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QUAND LE DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES MINIERS BROUILLE
LES FRONTIÈRES ENTRE LES SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉ. CAS DU
SECTEUR MINIER EN AFRIQUE DE L'OUEST
Pascal Rey et Marie Mazalto
De Boeck Supérieur | « Mondes en développement »
2020/1 n° 189 | pages 81 à 97
ISSN 0302-3052
ISBN 9782807393714
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2020-1-page-81.htm
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Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189 81
DOI : 10.3917/med.189.0081
Quand le développement des territoires miniers
brouille les frontières entre les secteurs public et
privé. Cas du secteur minier en Afrique de l'Ouest
Pascal REY1 et Marie MAZALTO2
L’importance de nouveaux projets d'exploitation minière industrielle en Afrique
a soulevé de nombreuses questions à propos des synergies entre les secteurs
privé et public dans le cadre du développement de tels projets. Les relations
adoptées par les sociétés minières et les États et les inégalités entre les différents
acteurs participent à créer le flou dans la relation public-privé et sa perception.
À travers des travaux de recherche et d’expertise réalisés en Afrique de l’Ouest
entre 2008 et 2019, nous réexaminons les rôles et les responsabilités des
différents acteurs dans la création de synergies entre les secteurs privé et public.
Nous explorerons les stratégies déployées des deux côtés pour comprendre les
intérêts qui influencent la mise en œuvre des politiques.
Mots-clés :
Afrique de l’Ouest, développement territorial, partenariat public-
privé, régulation, secteur minier
Classification JEL :
F23, G38, L72, M14, O13
When the development of mining territories clouds the boundaries
between the public and private sectors. The case of the mining sector in
West Africa
The significant number of new mining projects in Africa has raised many questions
about the synergies between the private and public sectors in the development of such
projects. The position taken by the mining companies and the states and the inequalities
between the different actors contribute to creating uncertainty in the public–private
relationship and its perception. Through research and expertise conducted between 2008
and 2019 in West Africa, we propose to re-examine the stakeholder roles and
responsibilities in building synergies between the private and public sectors. We will
explore strategies deployed on both sides to understand the interests that influence the
implementation of policies.
Keywords:
Land management, mining sector, public-private partnership,
regulation, West Africa
1 Institute for Social Research in Africa, géographe, chercheur associé. Pascal.rey@insuco.com
2 IFSRA, sociologue, chercheur associée. Marie.mazalto@insuco.com
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82 Pascal REY et Marie MAZALTO
Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189
u cours de la dernière décennie, le boom minier africain a soulevé de
nombreuses questions relatives aux conditions favorisant le
développement régional dans les zones minières au regard des synergies
existantes entre les entreprises privées et le secteur public3. De nombreux
projets miniers industriels voient le jour dans des zones enclavées, faiblement
peuplées et négligées par les institutions publiques. Or, l’implantation d’un
projet minier contribue à reconfigurer rapidement et en profondeur les
dynamiques socio-économiques, culturelles et démographiques d’un territoire.
En l’absence d’une représentation structurante de la part de la puissance
publique, les responsabilités en termes de développement local incombent bien
souvent, par défaut, à l’acteur privé. L’État semble miser ainsi sur le fait que
l'entreprise minière y pourvoira. À une autre échelle, le gouvernement voit aussi
dans un vaste projet minier l'occasion de faire appliquer la loi dans des zones où
elle ne l’est pas. L’entreprise minière devient alors un levier qui permettrait à
l'État de renforcer son autorité sur le territoire national.
Cet article cherche à interroger la porosité des frontières entre acteurs publics et
acteurs privés sur la spécificité des modèles de développement des régions
minières dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Dans quelle mesure l’État
hôte, puissance publique, met en œuvre des politiques dont l’objectif est non
seulement la croissance du produit intérieur brut (PIB), et aussi un
développement maîtrisé des territoires miniers ? Comment se distribuent les
rôles dans la dynamique de développement de tels territoires alors que les
conventions minières accordent des concessions minières sur des centaines,
voire des milliers d’hectares à des consortiums privés ? Quels sont les impacts
de l’asymétrie des moyens déployés entre les entreprises et les instances
gouvernementales ?
Autant de questions qui se posent, car si ce type de collaboration public-privé
bénéficie à court terme à la fois aux entreprises minières (objectif de rentabilité
à laquelle participe la paix sociale dans la zone d’exploitation) et aux pouvoirs
publics (objectif de développement économique du territoire concerné et du
pays), il modifie le paysage démocratique local et l'équilibre des pouvoirs établis.
Face à des acteurs publics aux compétences et aux ressources limitées, les
sociétés minières peuvent être perçues comme des agents non seulement
économiques, mais aussi sociaux, voire institutionnels. Il existe un risque que les
sociétés minières orientent unilatéralement leurs actions pour servir leurs
intérêts propres, sans aucun contrôle externe. Il existe également un risque que
les communautés locales considèrent le promoteur minier comme leur unique
interlocuteur légitime, car doté d’une solide représentation locale.
3 Le secteur public englobe communément les administrations publiques, les institutions
publiques et les entreprises publiques (dont l'État est majoritaire au capital). Le secteur privé
est principalement constitué des entreprises et des organisations non gouvernementales mais
aussi des mutuelles, des coopératives et des banques et fonds d'investissement à capitaux
privés.
A
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Territoires miniers et frontières entre les secteurs public et privé 83
Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189
Sur la base de travaux de recherche et d'expertise menés entre 2008 et 2019 en
Afrique de l'Ouest, nous proposons de réexaminer les rôles et les
responsabilités des parties prenantes dans la construction de synergies entre
secteurs privé et public dans le domaine extractif. Nous explorerons les
stratégies déployées des deux côtés pour identifier les intérêts qui influencent la
mise en œuvre d’un type de politiques de développement, dans un contexte
caractérisé par l’implantation d’une (ou de plusieurs) entreprise privée
potentiellement aussi puissante que le gouvernement du pays hôte.
Nous reviendrons dans une première partie sur la description des acteurs pour
mieux analyser les limites de la dichotomie public-privé. Dans une deuxième
partie, nous chercherons à comprendre les enchevêtrements des intérêts publics
et privés dans la mise en œuvre de grands projets miniers industriels. Les
problématiques d’ancrage territorial des entreprises, de la temporalité, ou encore
des mécanismes de reddition de compte concernant les actions de
développement à l’œuvre sont centrales dans ce questionnement. Enfin, dans
une dernière partie, nous aborderons les enjeux de régulation des pratiques et
les voies qui peuvent être envisagées pour qu’émergent des modes de régulation
qui associent les acteurs publics et privés au profit d’un développement durable.
1. LE DÉSÉQUILIBRE ENTRE COMPAGNIES
PRIVÉES ET ÉTATS
1.1 Contexte
Cet article se base pour partie sur des travaux de recherche réalisés dans le cadre
de l’Institut pour la recherche en sciences sociales en Afrique (IFSRA)4,
notamment le projet de recherche sur les impacts du secteur extractif sur le
développement5. Une autre partie relève du travail d’expertise menée par les
auteurs, essentiellement dans le cadre de missions réalisées pour le compte
d’entreprises minières, de gouvernements, de bailleurs internationaux ou
d’associations dans différents pays ouest-africains, avec un accent mis sur la
Guinée. Ces missions consistent, d’une part, en la réalisation d’études d’impact
socio-économique de différents projets miniers. Elles sont composées de
recherches qualitatives et quantitatives combinées, afin de réaliser des
photographies des futurs territoires miniers (études socio-économiques de
4 www.ifsra.org
5 Projet financé par le R4D (the Swiss Agency for Development and Cooperation (SDC) et the
Swiss National Science Foundation (SNSF)), réalisé en partenariat avec l’ETHZ
(Eidgenössische Technische Hochschule Zürich), l’Université de Berne et de Luri
(Mozambique), visant à développer un cadre théorique et une méthodologie pour la collecte
et l’analyse de données pour permettre un suivi continu des impacts économiques, sociaux,
environnementaux et institutionnels des activités extractives.
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base), d’études d’évaluation des impacts, des plans de gestion de ces impacts, de
plan d’action de relocalisation en cas de déplacements involontaires de
populations. D’autre part, elles consistent en des audits de projets miniers au
regard de la mise en œuvre des standards internationaux, de programmes de
développement et de l’appui technique à l’élaboration de politiques sectorielles
dans le secteur minier.
1.2 Les intérêts des parties prenantes
Si nous pouvons inscrire notre réflexion dans la théorie des parties prenantes
(stakeholders theory), qui s’est développée à partir des travaux de Freeman (1984),
celle-ci présente néanmoins des limites. Cette approche consiste à analyser les
relations que l’entreprise entretient avec les acteurs de son environnement. Il
devient alors possible d’aborder la complexité et la richesse de l’environnement
de l’entreprise et de mettre au jour les limites des frontières entre le « pur
privé » et le « pur public ». Cependant, les entrelacs entre l’entreprise et son
milieu sont si nombreux qu’ils obligent à repenser les catégories analytiques
traditionnelles en intégrant des variables culturelles, sociales et politiques. Ces
dernières amènent le chercheur à questionner les frontières qu’impose la
dichotomie analytique secteur public-secteur privé.
Les fondements des stratégies ou politiques de la responsabilité sociétale des
entreprises (RSE) et de l’éthique organisationnelle s’ancrent pourtant toujours
aujourd’hui dans ce cadre théorique. Ce courant s’attache à évaluer le type et les
niveaux de pression sociale auxquels la firme doit faire face.
Dans le secteur minier, la pression est mutuelle. D’une part, elle est exercée par
l’État hôte sur les entreprises, afin qu’elles initient l’application des lois
nationales dans les territoires miniers enclavés et délaissés par les autorités
publiques. De l’autre, les entreprises en appellent à l’État pour planifier le
développement, investir dans les services de base et maintenir la paix sociale.
Cette approche par les parties prenantes induit une vision dichotomique des
acteurs issus du secteur privé et ceux qui relèvent du secteur public. Une
seconde méthode consiste à élaborer des listes d’acteurs, en distinguant les
actionnaires, les banques, le « management » et les salariés, les autorités
publiques, puis une constellation d’autres acteurs de second rang qui gravitent
autour de l’entreprise tels que les communautés locales, les organisations non
gouvernementales (ONG), les associations, les médias, etc. Les définitions des
parties prenantes sont nombreuses. Nous retiendrons celle proposée par
Clarkson (1995) qui définit ces parties comme étant des groupes ou des
personnes qui exercent ou revendiquent un intérêt et une influence dans un
projet.
La majorité des entreprises minières sont des consortiums transnationaux dont
les ramifications et la puissance financière dépassent celle de nombreux États
africains où ils implantent leurs projets. Certaines de ces entités sont des
ensembles complexes formés à partir d’une collaboration entre des personnes
morales qui échappent bien souvent à toute tentative d’identification.
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Territoires miniers et frontières entre les secteurs public et privé 85
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Du côté des État hôtes, les codes miniers ouest-africains prévoient
systématiquement une participation gratuite minoritaire, sous forme de droit
d’entrée, de l’État à hauteur de 10% (Burkina Faso, Libéria, Sénégal, Côte
d’Ivoire, Ghana) à 15% (Guinée), ou 20% (Mali). Le code minier
communautaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)
a entériné cette participation de la puissance publique nationale à hauteur de
10% des projets miniers (2003, Art 12). Le secteur public national se convertit
donc en actionnaire des projets qu’il promeut sur son territoire. Cette
participation lui assure à la fois des dividendes et une garantie d’accès privilégié
à l’information concernant le montant des recettes fiscales, sans pour autant lui
conférer un droit de regard sur les choix stratégiques (Charlet et al., 2019).
Du côté des entreprises étrangères, certaines firmes minières deviennent les
figures de proue de puissances nationales publiques (telles que la Chine ou le
Brésil), qui représentent leurs intérêts stratégiques, diplomatiques, économiques
et politiques dans les pays où elles opèrent. Le gouvernement chinois travaille
ainsi depuis 2009 à l’implantation de ses industries en Afrique, à travers un
modèle de coopération économique basé sur la création de zones économiques
spéciales (ZES), ou zones franches, et le financement et la construction
d’infrastructures contre un accès facilité aux ressources. Cette stratégie, qui
consiste à faciliter l’ouverture de nouveaux marchés aux entreprises chinoises
(bauxite, aluminium, bâtiments et travaux publics), contribue à renforcer la
porosité entre secteur public et secteur privé. Ce type d’accord bilatéral plonge
plus encore les État dans une spirale d’endettement à long terme et débouche
sur des stratégies fiscales très favorables aux entreprises étrangères (nouvelles
formes de « conditionnalités »). Ces stratégies placent les États dans un rôle de
promoteur de leur secteur minier au détriment de leur souveraineté.
Sur le secteur minier, certaines des plus grandes entreprises chinoises
convergent vers l’Afrique de l’Ouest, en particulier en Guinée, depuis 2016,
pour extraire et exporter la bauxite et, potentiellement, le fer dans le Sud-Est :
précurseur, SMB Winning doté de deux terminaux fluviaux, exporte 36 MDT
(millions de tonnes) de bauxite par an et vise les 50 MDT. Citons la société
publique chinoise State Power Investment Corp (SCPI) ; le groupe public
Aluminium corp of China (Chalco), TBEA Group, société privée chinoise, a
signé un projet de 2,89 milliards de $US, Chinalco, numéro un mondial de la
production d’aluminium exploite la bauxite et envisage d’augmenter sa
participation dans le projet de fer du Simandou, première réserve mondiale. Par
ricochet, l’implantation de ces consortiums ne se limite pas à l’extraction du
minerai, elle permet un apport de fonds publics/privés étrangers pour la
construction d’infrastructures annexes aux mines (ports, routes, rails, centrales
hydroélectriques.) La création d’une première ZES en Guinée6, destinée à
6 Présidence de la République de Guinée, Secrétariat général du Gouvernement, Décret
D/2017/089/PRG/SGG « portant création d’une Zone Economique Spéciale dans la région
administrative de Boké ».
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promouvoir les investissements étrangers dans une des régions du monde les
plus riches en bauxite, fait donc partie de cette stratégie qui convertit les États
africains, puissances publiques, en promoteurs de leur secteur minier, au
bénéfice de puissances industrielles étrangères (publiques et privées). Le secteur
public ne se retrouve donc pas uniquement du côté de l’État « hôte » : il existe
une immixtion également dans le secteur privé étranger à travers des sociétés à
forte participation étatique. On ne se situe plus dans une dichotomie public
(l’État) – privé (l’entreprise), mais dans des jeux d’acteurs beaucoup plus
complexes où le secteur dit public se dilue à l’intérieur de l’entreprise, les
intérêts privés et l’entreprise à l’intérieur de l’État.
1.3 Les États africains promoteurs de leur secteur minier
Une récente étude menée sur 14 pays africains producteurs d’or illustre ce
processus à grande échelle : « Les taux effectifs moyens d’imposition (TEMI)
révèlent que les régimes fiscaux miniers sont régressifs. Dans tous les pays, plus
la rente minière est élevée, moins elle est taxée. La part de la rente qui revient à
l’État peut ainsi varier du simple au double selon la rentabilité de la mine. Les
systèmes fiscaux sont d’autant plus régressifs qu’ils s’appuient principalement
sur des prélèvements qui ne s’adaptent pas, ou peu, au bénéfice de l’exploitant
(non indexés sur les variations du prix de l’or) » (Laporte et al., 2016, 30). Ce
constat est d’autant plus important à poser que l’exploitation mondiale de l’or
dans les pays riches en ressources est assurée pour environ 50% par des
entreprises étrangères. Les quinze plus grandes entreprises aurifères au niveau
mondial exploitent l’or de 28 pays dont neuf pays d’Afrique. Ce constat fait dire
à Nse Eyene (2017, 1), dans son analyse des partenariats publics-privés, que : «
la proximité et l’influence de grandes entreprises dans certains États africains
notamment ont parfois amené ces derniers à prendre des décisions contraires à
leurs propres intérêts en faisant bénéficier les investisseurs d’avantages
financiers au détriment des citoyens, conduisant par voie de conséquence à une
gestion inadéquate des fonds publics ». Rubbers (2013), dans une étude
comparative menée dans plusieurs pays africains, constate que si les
investissements miniers ont permis aux pays d’accueil d’afficher des taux de
croissance élevés, souvent au dessus de 5%, en revanche ces investissements
profiteraient plus aux actionnaires des compagnies étrangères et aux leaders
politiques nationaux africains qu’au développement des pays concernés. Les
résultats du travail de la Commission d’enquête parlementaire burkinabé sur la
gestion des titres miniers et la responsabilité sociétale des entreprises minières
sont à ce titre très parlants : « Grâce à ces efforts et aux actions de réforme des
décennies 1990-2000, l’embellie minière se fit jour à partir de 2005, plaçant
aujourd’hui l’or comme le premier produit d’exportation du Burkina Faso. Dès
lors, et depuis une dizaine d’années, les populations impactées par les projets
miniers, les jeunes et les femmes en quête d’emploi ou d’activités
rémunératrices, le peuple entier de travailleurs, commerçants, agriculteurs,
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éleveurs, recherchent vainement les retombées économiques positives de ce
développement minier » (Assemblée nationale du Burkina Faso, 2016, 2).
Campbell et Laforce (2016) permettent de prolonger la réflexion grâce à leurs
travaux sur l’évolution des codes miniers africains. Les auteurs analysent ce
processus dans lequel, à partir des années 1980, les sociétés minières d’État ont
progressivement laissé place au secteur privé transnational dans un large et
profond processus de réforme visant à attirer les investissements directs
étrangers (Campbell et Laforce, 2010). La démarche suivie cherche à mettre en
évidence les relations d’influence qui caractérisent un vaste processus de
redéfinition des régimes miniers dans plusieurs pays africains. En 1995, 35
codes miniers du continent avaient été révisés. Plusieurs ont par la suite fait
l’objet de réformes supplémentaires dans un processus continu de libéralisation
des cadres juridiques. La principale hypothèse avancée par Campbell (2011)
consiste à affirmer que les vagues successives de réforme des codes miniers
africains ont dans les faits entraîné un processus de redéfinition du rôle et des
responsabilités des États africains sans précédent historique sur le continent, et
ce dans le sens d’une certaine réduction de leur souveraineté (GRAMA, 2003).
L’État, dans son rôle de promoteur des investissements, prend donc le pas sur
l’État régulateur et puissance publique en charge du développement.
1.4 Dépasser la dichotomie public-privé dans un monde
globalisé
L’équipe de Campbell (Campbell, 2011) souligne l’importance d’un autre acteur
dont le statut public ou privé n’est pas si évident à saisir. Il s’agit du rôle tenu
par les institutions financières multilatérales, et, plus spécifiquement, le Groupe
Banque mondiale (GBM), dans le processus de réforme des codes miniers
africains. Ce sont les normes de performances sociales et environnementales
développées par la Société financière internationale (SFI , 2012) et celles de la
Banque mondiale récemment révisées (2018) qui sont devenues le cadre
normatif de référence pour garantir la durabilité du modèle de développement
du secteur minier. Les sociétés minières s’engagent, le plus souvent, à respecter
ces normes internationales du GBM dans la mesure où la recherche
d’investissements passe par des structures bancaires qui s’alignent pour la
majorité sur les Principes de l’Équateur, cadre normatif qui reprend celui du
GBM. Ces normes tendent d’ailleurs progressivement à se substituer aux
législations nationales défaillantes pour favoriser une bonne gouvernance des
projets miniers. Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver des renvois à ces normes
dans les codes miniers ouest-africains.
Cette présentation des principaux acteurs qui œuvrent sur la scène mondialisée
et les scènes nationales dans le secteur minier montre la profonde imbrication
entre acteurs privés et publics dans leurs différents champs d’intervention. Les
banques, les entreprises minières, les États, les institutions financières
internationales, les organisations corporatistes, etc. sont autant d’acteurs qui
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collaborent et/ou se concurrencent dans les sphères décisionnelles. Les
solutions institutionnelles et les montages financiers relèvent également, d’une
nouvelle configuration des interactions entre les secteurs public et privé. Cet
état de fait favorise l’émergence de certaines asymétries et de lacunes dans les
mécanismes de régulation au profit de facilitations promues par la puissance
publique. Comme le constatent Sevaistre et Ricci (2017), l’État a besoin du
secteur privé et le secteur privé a besoin de l’État, mais les questions de
régulation et de légitimité sont au centre du questionnement lorsqu’il s’agit
d’interroger les relations entre secteurs privé et public au regard des enjeux de
développement tant national que local.
Si les initiatives qui consistent à élaborer des cadres légaux pour attirer les
investissements étrangers trouvent facilement des financements (la Banque
mondiale finance les processus de révision des codes miniers africains), celles
qui tentent de replacer l’État dans son rôle de contrôleur et de régulateur du
secteur souffrent d’un manque chronique de moyens, voire de motivation
politique. Pourtant, ni l’État, ni la compagnie privée n’ont intérêt à ce que cette
situation reste figée.
2. QUELLES INTERACTIONS PUBLIC-PRIVÉ ET
POUR QUELS AVANTAGES ?
2.1 L’exemple du droit foncier : quand l’État s’appuie sur le
privé
Afin de mieux comprendre les relations entre l’État et le promoteur privé, nous
abordons ici la question des déplacements involontaires de populations pour
libérer l’espace avant la construction des infrastructures minières et, en
particulier, les questions relatives au droit foncier. Nous traitons ici de la norme
de performance 5 qui porte sur l’acquisition de terres et la réinstallation
involontaire (SFI, 2012). En plus des propriétaires qui ont un « droit légal » sur
les terres, cette norme de performance met l’accent sur l’importance de
compenser les communautés ou les individus qui « ont des droits d’utilisation
coutumiers ou traditionnels » (Ibid., 2). Dans un tel contexte, la compagnie
minière est dans l’obligation de reconnaître les deux systèmes : celui du code
foncier et celui sous l’égide du droit coutumier. Cela est d’autant plus vrai que le
code minier renvoie explicitement aux normes internationales de la SFI pour ce
qui concerne les déplacements involontaires.
Le droit foncier au niveau villageois est géré par les autorités coutumières. De
fait, la compagnie minière devra traiter aussi bien avec l’État, avec qui elle est
engagée contractuellement, qu’avec les chefferies traditionnelles. Si, dans la loi,
l’État ne reconnaît pas véritablement les formes de détention de terre locales,
dans les faits, il les prend en compte (Rey, 2011). Il est, en effet, difficilement
recevable de ne pas compenser les ayants droit locaux sous le prétexte qu’ils ne
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Territoires miniers et frontières entre les secteurs public et privé 89
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possèdent pas de titre de propriété, alors qu’ils occupent ces espaces depuis
plusieurs siècles.
Ce phénomène nous amène à réfléchir sur le processus en cours en Guinée, en
particulier dans le cadre du développement de projets miniers industriels
majeurs. Les déplacements des populations liés à la construction
d’infrastructures (voies ferrées, sites miniers, logements, routes, ports, etc.) ont
déjà un impact sur une large étendue du territoire national. La méthodologie
préconisée par le GBM et promue par l’État, consiste en une reconnaissance
des ayants droit sur la base du droit coutumier et à assurer une titrisation des
déplacés pour sécuriser leurs droits sur les nouveaux espaces occupés. Les
personnes physiquement déplacées doivent être « réinstallées dans un lieu
qu’elles peuvent occuper en toute légalité et dont elles ne peuvent être
légalement expulsées » (SFI, 2012, 2). Cette sécurité foncière ne peut être
obtenue que par l’obtention de titres fonciers sur les nouveaux espaces
d’installation des communautés délocalisées. On parle alors de « compensation
de la terre par la terre ».
Un projet minier comme celui du Simandou en Guinée, opéré par la compagnie
Rio Tinto, voit de nombreuses préfectures (8) traversées par ses infrastructures
d’exportation. Les obligations en termes de sécurisation foncière des
populations déplacées vont ainsi toucher un nombre important de territoires où
l’emprise du code foncier est très faible.
La stratégie de l’État est alors de s’appuyer sur les déplacements de populations
pour permettre au droit moderne (le code foncier) de pénétrer les zones rurales
dans lesquelles il n’a quasiment aucune emprise. L’État compte sur le projet
privé pour asseoir ses politiques et la réglementation nationale. Le privé devient
un outil de mise en œuvre et d’implantation de la Loi.
2.2 Le développement territorial : quand le privé a besoin de
l’État
De son côté, au-delà des permis d’exploitation, la compagnie minière a besoin
de l’État pour assurer l’intégration de son projet dans son territoire. Trop
fréquemment, la compagnie minière est laissée seule au niveau local sans
qu’aucune forme de médiation étatique ne soit instaurée pour garantir son
intégration. En plus des problèmes de régulation, la compagnie se voit le plus
souvent perçue comme un substitut de l’État dans ces zones généralement très
peu développées.
Au niveau local, l’État semble donc absent. On retrouve généralisés des modes
de gouvernance caractérisés par le manque de moyens et un ensemble de
dysfonctionnements structurels largement décrits par Olivier de Sardan (2004).
Ils contribuent non seulement à l’improductivité du pouvoir déconcentré mais
aussi à une perception négative de l’État par les communautés locales.
De son côté, la décentralisation se heurte, notamment, à l’attribution optimiste
de fonctions peu applicables, au manque de compétences et de connaissances
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Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189
des textes par les élus locaux, autant de facteurs qui s’ajoutent aux carences de
moyens et qui limitent son efficacité (Rey, 2016).
Avec l’État qui est peu présent dans ces zones, l’entreprise se retrouve alors
l’investisseur et l’interlocuteur « institutionnel » principal. Elle devient la cible de
toutes les attentes, en particulier concernant le déploiement des services qui
relèvent du rôle régalien de l’État, aussi bien au niveau des populations que des
autorités locales qui attendent que l’entreprise se porte garante du
développement des territoires. Cette attente est présente à tous les niveaux et il
n’est pas rare que l’État lui-même se place dans une posture attentiste et
délègue à la compagnie minière son rôle régalien (Rey et de St Simon, 2011).
Les retombées des revenus destinés au développement local posent également
la question de l’absence de stratégie d’accompagnement, alors que les
communautés, peu et mal outillées pour gérer de tels montants, ont tendance à
abandonner les secteurs économiques traditionnels au profit de stratégies à
court terme, de capture de la rente (Keita et al., 2012).
La compagnie minière n’a pourtant aucun intérêt à cristalliser toutes les attentes
au niveau local et à jouer le rôle de l’État, au risque de se retrouver dans une
posture qui complique la mise en œuvre de son projet d’exploitation. D’une
part, l’entreprise a comme objectif de s’ancrer dans son territoire d’exploitation
afin de favoriser un « bon voisinage » avec les communautés locales, ce
essentiellement afin de pouvoir exploiter dans les meilleures conditions (paix
sociale). Pour autant, en l’absence d’un État « acteur socio-économique » au
niveau local, le risque pour l’entreprise, est de se muer en agent social substitut
de l’État et de voir converger vers son projet toutes les attentes et les
frustrations au niveau local.
Elle n’a ni la vocation, ni les moyens de se substituer à l’État dans la conduite
du développement local, même si elle est généralement contrainte d’investir
dans différents secteurs normalement assumés par l’État, pour pouvoir
exploiter les ressources minières. Cherchant à se désengager de l’ancien modèle
« paternaliste », les entreprises sont cependant souvent confrontées aux attentes
des populations qui aspirent à profiter des retombées de l’exploitation minière
par une amélioration des conditions d’accès aux services de base (eau,
électricité, santé, éducation).
Ainsi, soucieuses de maintenir la paix sociale, nombre d’entreprises investissent
sur leurs fonds propres dans la construction d’écoles, de centres de santé ou
encore la fourniture d’eau et d’électricité au bénéfice des communautés
impactées. Les grèves et les émeutes en Guinée dans les villes de Boké et
Kamsar ou Fria (Souaré, 2015) montrent les limites d’un tel modèle. Lorsque les
opérateurs miniers cessent de se substituer à l’État, qui ne prend pas
immédiatement la relève, les soulèvements incontrôlables sont susceptibles de
se multiplier et l’appauvrissement de se généraliser.
Comme le soulignent Godard et Hommel (2005), situer l’essentiel des enjeux
du développement durable au niveau de l’entreprise peut s’avérer une stratégie
périlleuse à plusieurs niveaux. En termes de développement, l’entreprise
risquede développer le territoire en fonction de ses propres intérêts. Cette
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approche est aux antipodes d’un développement qui concilie durabilité socio-
économique et environnementale.
En effet, l’entreprise ne peut avoir une vision globale de l’aménagement du
territoire lorsque plusieurs projets privés d’ampleur s’y développent : c’est bien
à l’État qu’il incombe de prendre en compte les impacts cumulés, qu’ils soient
positifs ou négatifs (économiques, sociaux, environnementaux et culturels). Il
lui revient de s’assurer que le territoire est « planifié » en fonction des activités
qui s’y développent et de ses stratégies. À cela s’ajoute la vision durable d’un
territoire : la compagnie minière n’aura jamais autant que l’État le pouvoir de
planifier un développement qui va au-delà de la durée de vie de son projet,
même s’il lui est demandé d’anticiper l’arrêt de ses activités. L’État doit ainsi
jouer un rôle prépondérant dans la prise en compte de tous ces facteurs pour
assurer un développement durable et soucieux des interactions des différents
projets privés en cours de développement.
2.3 Les enjeux de gouvernance dans les dynamiques
territoriales
Dans les zones minières, il serait difficile de prôner une diminution du rôle de
l’État dans la mesure où ses représentants ne disposent pas des moyens pour
remplir leurs mandats. À ce titre, Szablowsky (2007) pose l’hypothèse qu’une
« stratégie d’absence sélective de l’État » serait à l’œuvre.
En effet, l’État régulateur semble démissionnaire, ce tant au niveau central que
local. Les cadres légaux en faveur du développement communautaire et de la
protection de l’environnement, s’ils existent, ne sont que très partiellement
promus et mis en œuvre au niveau local. Soucieux de rassurer les entreprises, les
États promeuvent des politiques publiques de la responsabilité sociétale des
entreprises, sortes de feuilles de route qui confèrent une grande marge de
manœuvre aux projets pour développer leurs propres stratégies d’implication
communautaire (Sénégal, Guinée)7. Ces outils de gouvernance, formes de « soft
law », valorisent l’image des pays et des acteurs privés qui y adhèrent sur une
base volontaire. L’État tend ainsi à privatiser les mécanismes de contrôle et
d’évaluation des impacts des projets, sans prévoir des critères d’évaluation
précis concernant leur niveau de mise en œuvre (Wong et Kiswend-Sida
Yameogo, 2011).
En revanche, les outils dits « techniques » que sont les études d’impact et les
différents plans de gestion et d’action sont de véritables instruments de
gouvernance qui lient, en vertu de la loi, les entreprises au gouvernement et le
gouvernement aux entreprises. Dans la gestion des impacts de leurs projets, les
grands groupes et les pays miniers revendiquent leur volonté d’appliquer les
plus hautes normes internationales. La clé du développement des territoires
7 Voir, par exemple, Ministère des Mines et de la Géologie (2017).
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Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189
miniers tient alors dans la qualité et le niveau de mise en œuvre de ces
instruments. Pourtant, dans la majorité des cas, ces documents de gestion des
impacts ne sont pas, ou sont mal, divulgués, vulgarisés et les acteurs concernés
se retrouvent dans une quasi-impossibilité de se les approprier et ce tant au
niveau local que national. De plus, l’État central ne se donne pas, ou trop peu,
les moyens de vérifier et de contrôler leur degré de mise en œuvre.
La question de la régulation des pratiques au niveau local est donc un enjeu fort
de cette collaboration public-privé et les insuffisances de l’État et des
collectivités locales ne permettent pas d’assurer un système de régulation fiable,
aux dépens du territoire et des populations locales.
3. LA RÉGULATION AU RISQUE DU FLOU
POLITIQUE, INSTITUTIONNEL, JURIDIQUE ET
CONTRACTUEL
3.1 Quels interlocuteurs pour quelles responsabilités au
niveau local ?
Localement, la mondialisation continue à brouiller les cartes dans la distinction
qui peut être faite entre le secteur privé et public, entre le technique et le
politique, entre la puissance publique garante de l’intérêt général et le secteur
privé de ses propres intérêts. Sur les territoires miniers, en l’absence d’une
puissance publique, les populations ne savent plus quels sont leurs
interlocuteurs légitimes, qui sont leurs représentants et comment exprimer leurs
revendications. On observe une multiplication de micro-soulèvements
populaires qui illustrent le sentiment d’impuissance des populations (Burkina
Faso, 2016 ; Guinée région bauxitique de Boké, 2017 et 2018 ; Kayes, Mali,
2019) Ils sont la plupart du temps initiés par les mouvements de jeunesse, par
les autorités coutumières, les associations de ressortissants basés à l’étranger ou
dans les capitales, qui tentent difficilement de faire valoir leur légitimité afin de
mobiliser la population sur le terrain politique. Là encore, les manipulations, les
enjeux de pouvoirs et les intérêts personnels viennent la plupart du temps
rapidement à bout de ces mouvements. Les symboles de la puissance publique
sont attaqués, voire détruits, les populations cherchant à dénoncer l’impunité
avec laquelle certaines entreprises évoluent sur leur territoire et à révéler les
manquements de l’État dans le développement. Une fois les troubles retombés,
l’entreprise minière fait face seule aux populations et à leurs attentes déçues en
termes de développement. Ce que certains analysent comme un processus de
« désinstitutionalisation de l’espace politique » (Fortier, 2014) se traduit sur le
terrain minier par un flou autour des espaces politiques légitimes pour les
revendications sociales.
Au regard de tels contextes, il ressort nettement que l’appareil d’État qui
concède des droits aux entreprises se doit également d’être en capacité de
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Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189
défendre l’intérêt général. D’une part, il s’agit de promouvoir les droits de ses
citoyens, d’instaurer des mécanismes de prévention et de limitation des impacts,
de compensation et de réinvestissement de la rente obtenue dans le
développement du territoire, grâce aux taxes et aux impôts payés par les
entreprises. D’autre part, il convient de garantir certaines facilités aux
entreprises, afin de bénéficier de leurs capitaux, de leur expertise et de leurs
marchés. La présence de l’État au niveau local devient alors un enjeu pour
toutes les parties prenantes.
3.2 Quelles options pour une régulation pragmatique ?
Il existe un ensemble de règlements internes à l’opérateur minier (code
d’éthique, politique communautaire et environnementale, de sécurité, de la
RSE, etc.). Selon Gendron et al. (2004), plusieurs « intervenants des affaires »
présenteraient les initiatives volontaires comme une alternative à la loi. Les
auteurs insistent sur le fait que, dans ce contexte, il n’y aurait pas d’espace pour
réfléchir à une articulation entre les deux espaces. Or, à partir du moment où les
règlements sont produits par l’entreprise privée et pour garantir ses intérêts, se
pose la question de leur légitimité et des limites induites par le processus
d’autorégulation. En effet, Gendron et al. (2004) soulignent le fait qu’une
entreprise « exemplaire », lorsqu’elle s’implante dans certains pays du Sud, peut
se transformer en entreprise opportuniste et prédatrice qui peut participer,
l’espace d’un temps, au développement local, mais tout aussi subitement y
mettre fin, lorsque ses impératifs de rentabilité risquent d’être menacés.
D’un autre côté, le renforcement des capacités du secteur public (administration
locale, par exemple) par le privé (la compagnie minière, souvent mieux outillée
que les instances déconcentrées et décentralisées) est fréquemment évoqué par
les instances internationales ; néanmoins, l’appui donné par une entreprise
privée à un gouvernement pour renforcer sa « bonne gouvernance » pose des
problèmes de nature éthique. La meilleure voie semble donc de clarifier le rôle
de l’État et de participer au renforcement des capacités de toutes les parties
prenantes en les associant autour d’un projet commun. Chacun peut ainsi tenir
un rôle cohérent avec ses attributions et, surtout, respectueux du cadre politique
et législatif du pays.
Deux aspects d’une telle approche méritent d’être soulignés. D’une part, se
pose la question des moyens à déployer pour éviter l’ingérence de l’entreprise
dans l’expression des intérêts de chacune des parties prenantes en question.
D’autre part, l’accent doit être mis sur le montage institutionnel pour permettre
à chacun de tenir un rôle en accord avec ses prérogatives et compatible avec ses
moyens. Le renforcement des capacités passe alors par le montage en commun
d’un plan de développement qui respecte les orientations données par l’État et
met en avant les priorités exprimées par les communautés locales.
Comme le souligne Belem (2005, 18), dans les pays en développement, la
participation de l’entreprise au développement de sa zone d’exploitation «
requiert la participation des acteurs locaux (État et communauté locale) en vue
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Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189
de déterminer les besoins primaires et de renforcer les capacités de ces derniers
en matière d’organisation et de gestion de ces initiatives à long terme ».
Cependant, dans un contexte où l’État ne joue pas son rôle de contrôleur, on
peut s’inquiéter de la légitimité et des risques de dérive. Il s’agirait de construire
un système de régulation intégré et basé sur la transparence. Par le biais de la
consultation et de la communication locale, la logique partenariale entre tous les
acteurs de la zone doit permettre le déploiement d’un programme
d’aménagement commun également orienté vers l’extérieur grâce à la recherche
de partenaires exogènes : « Par l’élargissement du spectre des acteurs impliqués
dans la régulation des activités des multinationales, la responsabilité sociale
participerait à une stratégie d’innovation régulatoire adaptée aux exigences d’un
développement durable » (Belem, 2005, 18).
L’implication des acteurs ne doit pas s’arrêter aux simples parties prenantes
locales. L’élargissement passe aussi par l’implication d’autres financeurs. Si un
seul investisseur appuie un tel programme, des questions inhérentes à
l’assouvissement d’intérêts unilatéraux émergent. Il apparaît primordial que les
bailleurs de fonds internationaux et les partenaires techniques s’impliquent dans
les zones où les opérateurs miniers sont en place. C’est en multipliant les
acteurs, et donc les intérêts en jeu, qu’un système de régulation plus performant
peut espérer émerger grâce à la pluralité des orientations, des objectifs, des
méthodes, des contrôles mutuels, pour promouvoir une régulation par la
diversité et la synergie des intervenants. Il s’agirait de constituer une mosaïque
d’acteurs, avec d’un côté les populations résidentes qui subissent les impacts des
activités de la mine, les populations migrantes qui cherchent de l’emploi, les
administrations déconcentrées et décentralisées et les membres de la société
civile et du secteur privé local et national ; de l’autre, l’entreprise minière et
d’autres acteurs du développement qui mettent en œuvre un programme
d’aménagement du territoire supporté par des bailleurs aux logiques plurielles.
CONCLUSION
Il ressort de cet article que penser la complexité des frontières entre secteur
public et secteur privé implique de se questionner sur les enjeux de
responsabilité, de légitimité et de capacité des différents acteurs dans la
promotion des investissements miniers au service d’un développement
territorial et durable en Afrique de l’Ouest.
Ces questions sont d’autant plus difficiles à cerner que la porosité des frontières
entre le public et le privé dans le secteur minier ouest-africain est prégnante.
En effet, si cet article démontre la complexité à définir des frontières claires
entre privé et public, il fait ressortir que la souveraineté d’un État n’est pas
privatisable et doit primer sur tout autre intérêt lorsqu’il est question de
préserver et de promouvoir l’intérêt public. Alors que l’entreprise privilégie le
moyen terme, l’État a la responsabilité de planifier à long terme. Si l’entreprise
développe des stratégies d’affaire, l’État est en charge du développement social.
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Territoires miniers et frontières entre les secteurs public et privé 95
Mondes en Développement Vol.48-2020/1-n°189
Si l’entreprise se préoccupe des impacts directs de son projet, il revient à l’État
de se pencher sur les impacts indirects et cumulés, et les enjeux de
développement durable de son territoire.
D’un côté, au niveau national, l’État doit clarifier les réglementations et préciser
les limites des pratiques des entreprises privées. D’un autre côté, l’État doit être
particulièrement présent dans les arènes locales afin de se donner les moyens de
suivre les évolutions à apporter dans les réglementations. L’ampleur de tels
projets provoque des transformations du territoire et du contexte rural, et
également des enjeux réglementaires aussi bien au niveau local que national.
Dans les contextes qui nous intéressent, avec un État peu présent dans les
sphères locales, la proposition de Gendron et al. (2004, 89) semble la mieux
adaptée : « il est vraisemblable que ce système soit à la fois privé et public, c’est-
à-dire proposé et conçu par des acteurs privés, mais encadré par les pouvoirs
publics ». Il s’agirait de suivre et d’analyser de près les différentes expériences
dans l’aménagement des zones rurales et la gestion des impacts des projets
miniers et d’intégrer les plus performantes, tout comme les normes des sociétés
les plus « responsables » (en clair, qui ont les règles internes les plus
contraignantes), au corpus légal afin d’obliger toutes les sociétés extractives
présentes dans le pays à s’aligner sur ces nouvelles normes. L’État renouerait
alors avec son rôle de garant de l’intérêt général et ne se contenterait plus de
celui de facilitateur économique (Biersteker, 1990).
Il devient ainsi important de renforcer la pyramide de la gouvernance locale et
la chaîne de responsabilité entre les différents niveaux de gestion du secteur
(national, régional, local) comme garde-fou contre la porosité des frontières
entre acteurs publics et privés pour les territoires miniers. En effet, d’une part,
la représentation du pouvoir public, à toutes les échelles, nécessite d’être
renforcée dans son rôle et les moyens mis à sa disposition pour promouvoir
l’intérêt public. D’autre part, les entreprises doivent être incitées à favoriser la
transparence et à assumer leurs responsabilités, au regard de leurs objectifs et
des moyens déployés pour y parvenir.
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