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Arbitrage commercial international et politiques
étatiques en matière commerciale : l’exemple du droit de
la concurrence
Ismaeel Alhadidi
To cite this version:
Ismaeel Alhadidi. Arbitrage commercial international et politiques étatiques en matière commer-
ciale : l’exemple du droit de la concurrence. Droit. Université de Bordeaux, 2019. Français. �NNT :
2019BORD0296�. �tel-02466314�
THÈSE PRÉSENTÉE
POUR OBTENIR LE GRADE DE
DOCTEUR DE
L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX
ÉCOLE DOCTORALE
SPÉCIALITÉ
DROIT PRIVÉ ET SCIENCES CRIMINELLES
Par Ismaeel ALHADIDI
ARBITRAGE COMMERCIAL INTERNATIONAL ET
POLITIQUES ÉTATIQUES EN MATIÈRE COMMERCIALE :
L’EXEMPLE DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Sous la direction de : Sandrine SANA-CHAILLÉ DE NÉRÉ
Soutenue le 11 décembre 2019
Membres du jury :
M. Eric KERCKHOVE
Professeur des Universités
Université de Lille
Rapporteur/Président
M. Youssef GUENZOUI
Maître de Conférences
Université de la
Polynésie française
Rapporteur
Mme Sandrine SANA-CHAILLÉ DE
NÉRÉ
Professeur des Universités
Université de Bordeaux
Examinateur
M. Jean SAGOT-DUVAUROUX
Maître de Conférences
Université de Bordeaux
Examinateur
Titre : Arbitrage commercial international et politiques étatiques en
matière commerciale : l’exemple du droit de la concurrence
Résumé : [Lorsqu’il est permis à l’arbitre de statuer sur des matières relevant de l’ordre
public, la question de son implication dans la défense des politiques étatiques en matière
commerciale, se pose. Prenant le droit de la concurrence en tant qu’exemple sur des politiques
étatiques, il convient de partir du principe que l’arbitre est impliqué dans la défense des
politiques étatiques de concurrence. Cette étude vise à mesurer cette implication. En effet,
l’intensité de cette implication varie en fonction de la matière de concurrence concernée. Il a
pu être observé que l’implication de l’arbitre dans la défense de certaines politiques étatiques
de concurrence, n’est pas seulement réelle, mais encore spontanée. Dans d’autres matières
régies par le droit de la concurrence, l’implication de l’arbitre dans la défense des politiques
étatiques de concurrence, est tout simplement formelle. En outre, la défense de l’arbitre de
certaines politiques de concurrence peut être entravée par une autre norme applicable.
Quelquefois, la conciliation des normes conflictuelles est possible. D’autres fois, elle ne l’est
pas, ce qui incite l’arbitre à exclure la politique de concurrence concernée. Enfin,
l’implication de l’arbitre dans la défense de certaines politiques étatiques de concurrence peut
est encadrée à l’excès, au point de dire qu’il s’agit d’un arbitrage particulariste.]
Mots clés : [Arbitrage, Concurrence, politiques, étatiques]
Title: International commercial arbitration and State policies in
commercial matters: the example of competition law
Abstract: [When it is allowed to an arbitrator to settle disputes considered to be matters of
public policies, the issue of his involvement in defending State policies is raised. Taking
competition law as an example on these policies, it can be assumed that the arbitrator is
involved in defending State competition policies. This study aims at measuring this
involvement which varies depending on the relevant subject matter. It can be observed that
the involvement of the arbitrator in defending some State competition policies is real and
spontaneous. When it comes to other State competition policies, his involvement is almost
formal. In addition, the arbitrator's support of some State competition policies can be hindered
by other international norms. Sometimes, the reconciliation of these conflicting norms is
possible, at other times it is not. Therefore, the arbitrator is prompted to exclude the
application of the relevant competition law. Finally, the involvement of the arbitrator in
defending certain State competition policies could be heavily supervised, to such an extent
that it is considered a particularistic arbitration.]
Keywords: [Arbitration, competition, policies, State]
Unité de recherche
[CRDEI (Centre de recherche et de documentation européennes et internationales),
n° E A 4193, Avenue Léon Duguit, 33608, Pessac CEDEX]
Remerciement
Je voudrais exprimer ma profonde reconnaissance et gratitude à Madame le professeur
Sandrine Sana-Chaillé de Néré. Son soutien infaillible et ses encouragements continus m’ont
permis d’aller au bout de la réalisation de cette thèse. Elle a toujours été là, prête à m’aider et
à m’orienter lorsque j’avais besoin d’elle, par ses exigences rédactionnelles, sa profonde
gentillesse et son extrême patience à mon égard. Consciente que la langue française n’était
pas ma langue maternelle, elle a pris soin de s'exprimer lentement et clairement pour que
puisse saisir ses propos. Face à cette personnalité, je ne peux qu’être très obligé. Madame le
professeur, je voudrais vous dire que je suis très fier d’avoir travaillé sous votre autorité.
À l’âme de ma mère Monira, à mon cher père Nayef,
à mon oncle Ali,
à ma sœur Haya,
à mes frères Eyad, Abdullah, Abdulazeez, Hammad,
à mes nièces Rasha, Tamara,
à mes neveux Nashmi, Shahm, Salman.
5
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
Aff. : Affaire.
BOCCRF : Bulletin Officiel de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des Fraudes.
BRDA : Bulletin Rapide de droit des Affaires.
Bull. ASA : Bulletin de l’Association suisse de l’arbitrage.
Bull. CCI : Bulletin de la Cour international d’arbitrage de la Chambre de
commerce international.
C. : Contre.
CCI : Chambre de commerce international.
CJCE : Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes.
CJUE : Arrêt la Cour de justice de l’Union européenne.
CNRS : Centre national de la recherche scientifique.
Coll. : Collection.
Comm. : Commission européenne.
Con. conc. : Conseil de concurrence.
Contrats, conc., consom : Contrats Concurrence Consommation.
Éd. : Édition.
Gaz. Pal. : Gazette du Palais.
GCLR : Global competition litigation review.
ICC : International Chamber of Commerce.
JCP G : Juris-Classeur Périodique, Edition générale.
Journal Officiel : Journal officiel de l’Union européenne.
JORF : Journal officiel de la République française.
Obs. : Observation.
Pas. : Pasicrisie belge.
RDC : Revue des contrats.
Rec. : Recueil de jurisprudence.
Rev. arb. : Revue de l’arbitrage.
Rev. crit. DIP : Revue critique de droit international privé.
6
Rev. dr. aff. int. : Revue de droit des affaires internationales.
RID éco. : Revue internationale de droit économique.
RJ com. : Revue de jurisprudence commerciale.
RJDA : Revue de jurisprudence de droit des affaires.
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil.
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial.
RTDE : Revue trimestrielle de droit européen.
S. : Suivant.
Spéc. : Spécifiquement.
TFUE : Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
TPICE : Arrêt du Tribunal de première instance des Communautés
européennes.
TUE : Arrêt du Tribunal.
7
SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE
L’IMPLICATION SPONTANÉE DE L'ARBITRE
DANS LA DÉFENSE DES POLITIQUES ÉTATIQUES DE CONCURRENCE
TITRE I - Le contrôle des ententes prohibées
Chapitre I - La phase de la constatation de l’entente par l’arbitre
Chapitre II - La phase de traitement d’une éventuelle entente par l’arbitre
TITRE II - Le contrôle de l’abus de position dominante
Chapitre I - Les caractéristiques de l’abus de position dominante
Chapitre II - Les conséquences de l’arbitrabilité des dispositions relatives à l’abus de
position dominante
DEUXIÈME PARTIE
L’IMPLICATION FORMELLE DE L'ARBITRE
DANS LA DÉFENSE DES POLITIQUES ÉTATIQUES DE CONCURRENCE
TITRE I - Le constat d’une défense insuffisante des politiques étatiques de concurrence
Chapitre I - L’applicabilité des dispositions relatives au déséquilibre contractuel par
l’arbitre
Chapitre II - L’applicabilité des dispositions relatives à la rupture brutale de relations
commerciales établies
TITRE II - Les fondements d’une défense effective des politiques étatiques de
concurrence
Chapitre I - Le soutien de la soft law aux politiques étatiques
Chapitre II - Le soutien de la lex mercatoria aux politiques étatiques
8
TROISIÈME PARTIE
L’IMPLICATION ENCADRÉE DE L'ARBITRE
DANS LA DÉFENSE DES POLITIQUES ÉTATIQUES DE CONCURRENCE
TITRE I - L’implication de l’arbitre encadrée par les Traités d’investissement
Chapitre I - La mise à l’écart du droit de la concurrence par le traité d’investissement
Chapitre II - La défense des politiques de concurrence sous couvert du traité
d’investissement
TITRE II - L’implication encadrée de l’arbitre par restriction excessive des prérogatives
arbitrales
Chapitre I - L’arbitre, un moyen de mise en œuvre de la politique concurrentielle de la
commission européenne
Chapitre II - L’empiétement de la commission sur la procédure arbitrale
9
INTRODUCTION
Il est admis que « les litiges ne constituent que la pathologie des rapports juridiques »
1
et l’un
des modes destinés à mettre fin à ces litiges est l’arbitrage. De ce fait, l’arbitre est un levier de
correction qui contribue à la réparation des rapports juridiques ayant évolué en différends.
« Classiquement la justice, dit-on, relèverait du "monopole" de l’Etat, ce qui est une manière
de dire que la justice sollicite l’intérêt public. Or, avec l’arbitrage international, il existe un
modèle différent de justice qui n’est pas une justice marginale ou isolée mais qui se pratique,
dans les affaires internationales, comme un véritable système »
2
. Une telle réussite de la
justice arbitrale a des explications.
Il est évident que l’arbitrage international représente des avantages considérables pour les
acteurs internationaux qui animent le commerce international
3
. « Pour prospérer, le
commerce international requiert de la souplesse ; l’arbitrage offre une grande souplesse dans
la résolution des litiges qui permet au commerce international de prospérer »
4
.
En effet, le caractère international des opérations commerciales, voire économiques, requiert
plus de liberté contractuelle et plus d’autonomie de volonté. C’est la raison pour laquelle les
entreprises internationales font recours à l’arbitrage comme mode de règlement de litige, car il
leur donne une marge de manœuvre plus étendue que celle des juridictions étatiques.
En réalité, l’appréhension nationale des questions relevant de la matière commerciale
internationale, décourage les acteurs du commerce international de s’engager dans des
rapports internationaux. En particulier, « la "pesée" de la lex fori, s’exerçant notamment par
l’application du droit procédural et par la "qualification", préalable à toute mise en jeu d’une
loi de fond déterminée, des rapports en cause, apporte au conflit un élément national qui
1
MAYER (P.), « L'autonomie de l'arbitre international par rapport aux juges étatiques (217) » : Collected
Courses of The Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, 1989, p.
373.
2
RACINE (J.-B.), « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international » : Rev. arb., 2005,
p. 308.
3
“The costs, inefficiency, and unpredictability of national courts systems has made international arbitration
the preferred means of dispute resolution in international business transactions”: DIMATTEO (L. ),
« Soft law and principle of fair and equitable decision making in international contract arbitration »: The
Chinese Journal of Comparative Law, 2013, pp. 2-3, published by Oxford University: http://cjcl.oxford
journals.org/
4
JOURDAN-MARQUES (J.), Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, Thèse, LGDJ,
Paris, 2017, p. 2.
10
rebute les partenaires »
5
. En outre, la crainte de la partialité des tribunaux nationaux en faveur
de l’entreprise nationale, constitue une raison importante incitant au recours à l’arbitrage,
notamment si les contractants relèvent d'environnements juridiques différents
idéologiquement
6
.
L’existence de points de contact entre le système arbitral et les ordres juridiques étatiques est
indubitable. L’arbitre vit parmi les évolutions des ordres juridiques étatiques. Cela se traduit
par le fait que « l’arbitrage international n’est pas, et ne doit pas être, un monde totalement
fermé sur lui-même. Il entretient des rapports de collaboration ou de coordination avec les
ordres juridiques étatiques. Il y a donc des passerelles, des points de contact, entre
l’arbitrage et les ordres juridiques étatiques qui impliquent que l’arbitrage n’est pas un
monde renfermé sur lui-même, complètement clos »
7
. En effet, le tribunal arbitral constitue
une juridiction parallèle aux juridictions étatiques, agissant positivement ou négativement,
selon des orientations et des points de vue inhérents aux ordres juridiques des Etats. De fait,
« l’arbitrage a dû apprendre à coexister avec la justice étatique »
8
.
L’implication d’intérêts publics dans un litige tranché par un arbitre international, signifie
davantage l’existence de points de contact entre l’arbitrage et les ordres juridiques étatiques.
En comparaison, l’implication exclusive d’intérêts privés dans un litige tranché par ce mode
de règlement de litiges, est moindre.
En général d'ailleurs, il est plus courant que l’arbitre tranche des litiges n’impliquant que des
intérêts privés. Toutefois, il est bien sûr amené à trancher des litiges engageant des intérêts
publics ou à la fois, des intérêts privés et publics. L’implication de l’intérêt public dans des
procédures d’arbitrage est la conséquence naturelle de l’extension de l’arbitrabilité.
Ce système doit donc être plus ouvert, pour accueillir davantage de notions aspirant à
atteindre l’intérêt public, car son succès s’explique en partie, par la prise en compte de ce
dernier. En d’autres termes, avec l’évolution spectaculaire de l’arbitrage, l’inclusion de
l’intérêt public dans le dynamisme du système arbitral est devenue inéluctable.
5
MOTULSKY (H.), « L’évolution récente en matière d’arbitrage international », in Ecrits II, Etudes et
notes sur l’arbitrage, Dalloz, 1974, p. 295.
6
idem.
7
RACINE (J.-B.), « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », op. cit., p. 308.
8
JOURDAN-MARQUES (J.), Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., p. 5
11
Pour mémoire, les ordres juridiques étatiques ont une vision et une orientation principalement
concrétisées par des législations nationales et accessoirement, par la jurisprudence étatique
interprétante. Elles visent à atteindre des objectifs généraux souvent résumés par "l’intérêt
public". Les lois de police en particulier et les lois d’ordre public en général, constituent des
exemples de lois consacrant le point de vue et l'orientation étatiques qui s'apparentent
naturellement à des politiques étatiques.
Dans sa démarche de résolution de litiges, l’arbitre se prononce principalement, sur les
relations contractuelles liant des parties et ne concernant que leurs intérêts privés. Or, des
politiques étatiques peuvent revendiquer leur application à ces relations de façon impérative.
Elles sont en effet nombreuses aspirant à régir des relations contractuelles internationales dans
la matière commerciale. Face à cette situation, l’arbitre ne peut pas rester neutre et inactif. Il
doit prendre position pour pouvoir se prononcer quant à la politique étatique impliquée.
Dans ces conditions, il est opportun de s'intéresser à la définition du mot "politique". Il s’agit
d’un terme qui « s’emploie en diverses expressions dans le sens de la ligne d’action, de
direction imprimée à une action par le choix des objectifs et des moyens de celle-ci »
9
. C’est
précisément dans ce sens, que les politiques étatiques vont être traitées dans le cadre de cette
étude. L’emploi de ce terme vise à mettre l’accent non seulement sur la teneur de la règle
juridique étatique ou le moyen de son imposition mais également, sur l’objectif qu'elle
souhaite atteindre. Cette perception des règles impératives étatiques permettra à l’arbitre de
bénéficier d'une marge de manœuvre pour trancher un litige ayant un intérêt étatique. Allant
jusqu'à se doter d’un pouvoir discrétionnaire qui lui donnera d’apprécier la légitimité de la
politique étatique concernée.
La sensibilité de certaines matières commerciales rend d'ailleurs l’arbitre attentif à la question
de l’imposition des politiques étatiques visant de façon ultime à réaliser un intérêt public, ce
qui restreint le libéralisme associé à l’arbitrage. En effet, l’arbitrage permet aux opérateurs
économiques internationaux de se libérer de certaines contraintes étatiques. En revanche,
d’autres contraintes étatiques qui expriment des politiques étatiques inaliénables, sont et
doivent être, imposées par l’arbitre. Il est bien placé pour permettre la prospérité de
l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle, sans pour autant sacrifier les contraintes
9
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, 11ème édition, PUF, Paris, 2016. p. 774.
12
étatiques jugées cruciales.
Indéniablement, les Etats conservent le contrôle sur certaines matières qui affectent la stabilité
de l’ordre public sur leurs territoires, même si l’ère actuelle est l’ère de la mondialisation. Les
Etats veillent à ce que des lignes d’action soient respectées dans certains domaines et ne
cèdent pas à la pression du libéralisme qui accompagne la mondialisation. L’un des piliers sur
lesquels reposent les Etats est l’économie nationale. Par conséquent, les politiques imposées
par les Etats pour protéger leur économie sont justifiables. En d’autres termes, il est dans
l’intérêt des Etats d’imposer le respect de l’ordre public économique, car le résultat d’un tel
cadre est « la réalisation d’objectifs économiques et sociaux précis »
10
.
Parmi les matières qui ont un impact direct sur l’économie se trouvent les pratiques
commerciales prohibées car elles exercent une influence sur la stabilité économique dans les
ordres juridiques étatiques. De fait, les pratiques commerciales exercées par certaines
entreprises, affectent l’équilibre des marchés constitutifs de l’économie. Elles doivent être
surveillées par l’Etat ou les Etats concernés et cela peut se traduire par des mesures concrètes
et fermes visant à mettre fin au préjudice subi par l’économie ou l’équilibre nécessaire à une
bonne économie. Autrement dit, la matière commerciale n’échappe pas au domaine des Etats
puisque l’économie en dépend d'une certaine manière.
Lorsqu’il est question de la matière commerciale, il ne s'agit pas seulement d'une zone très
limitée où la liberté contractuelle est prépondérante. Il s'agit également de l’autre facette, celle
d’une matière très règlementée par des dispositions légales prohibant toute pratique
commerciale de nature à ébranler les économies étatiques sur le court ou le long terme. Cette
idée est bien illustrée par un auteur selon qui « [...] le droit commercial, [...] est la résultante
d’une confrontation du politique et de l’économique ; du public et du privé ; du libéralisme
des échanges et de la protection des tiers ; du collectif et de l’individuel »
11
.
Dès lors, la matière commerciale est régie par des règles étatiques impératives dont l’objectif
est de sauvegarder l’équilibre nécessaire à protéger l’économie nationale. C'est la fonction
10
SALAH MOHAMED MAHMOUD (M.), « Droit économique et droit international privé. Présentation –
ouverture » : RID éco., 2010, p. 15.
11
KESSEDJIAN (C.), « Codification du droit commercial international et droit international privé : de la
gouvernance normative pour les relations économiques transnationales (Volume 300) » : Collected Courses
of The Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, 2002, p. 95.
13
attribuée au droit de la concurrence
12
. En effet, ce droit définit le périmètre dans lequel
peuvent manœuvrer les opérateurs économiques et le dépassement de ce périmètre doit être
sanctionné. En fait, ce droit fait partie du droit économique
13
qui est à son tour présenté
« comme une excroissance du droit public de l’économie ou comme une extension du droit
commercial »
14
. Du reste, attacher le droit économique qui englobe le droit de la concurrence,
au droit commercial, démontre son champ d’application qui est la matière commerciale.
Appartenant au droit public économique, le droit de la concurrence par sa nature même, ne
plie pas devant les relations internationales de droit privé. En principe, pour que le droit de la
concurrence trouve à s’appliquer, il faut délimiter le marché concerné de l’Etat ou des Etats
concernés. En l'occurrence, le marché concerné d’un Etat est son marché intérieur, alors que
le marché de plusieurs Etats est le marché unique qui regroupe les Etats membres de ce
marché.
« De façon générale, on entend par marché la rencontre de l’offre et de la demande pour un
certain bien (ou ses substituts) et dans une certaine région »
15
. Lorsque la région qui sert à
déterminer le marché d’un bien donné correspond au territoire d’un Etat donné, le marché
intérieur de cet Etat est impliqué.
Par conséquent, il existe le marché intérieur d’un seul Etat ou le marché intérieur de plusieurs
Etats, comme c’est le cas de l’Union européenne.
Lors de la détermination de ce marché, « le point décisif n’est pas où se trouvent les
demandeurs ou les offrants mais dans quelle région ils font l’offre ou la demande, dans le
pays ou à l’étranger. La question cruciale est de savoir dans quel endroit géographique
l’offre et la demande se rencontrent. Le marché ne se laisse pas diviser en un "marché de
l’offre" situé à l’étranger et un "marché de la demande" situé dans le pays et vice versa. Il
comprend toujours l’offre d’où qu’elle vienne ainsi que la demande (quelle que soit sa
12
L’habilité de l’arbitre à appliquer le droit de la concurrence ne fait plus de doute : “The question of whether
and if so, to what extent art. 101 TFEU is arbitrable was controversial for a while, but now settled in favour
of the full arbitrability of art. 101 TFEU.”: BLANKE (G.), « The arbitrability of EU competition law: the
status quo revisited in the light of recent developments: Part 1 » : GCLR, 2017, 10 (2), paragraph 92. « Le
droit de la concurrence a désormais acquis droit de cité au sein de la jurisprudence arbitrale » : RACINE
(J.-B.), « L’arbitre face aux pratiques illicites du commerce international » : Petites affiches, 2010, n° 201,
p. 8.
13
SALAH MOHAMED MAHMOUD (M.), « Droit économique et droit international privé. Présentation –
ouverture », op. cit., p. 11.
14
idem, p. 10.
15
BASEDOW (J.), « Souveraineté territoriale et globalisation des marchés : le domaine d’application des lois
contre les restrictions de la concurrence » : Recueil des cours, n° 264, l’Académie de droit international de
la Haye, 1997, p. 42.
14
provenance) pour une certaine région. Il est ainsi, dans chaque cas, déterminant de constater
si l’offre et la demande se rencontrent à l’étranger ou dans le pays, si l’offrant et le
demandeur apportent leurs prestations respectives en vue d’une région qui est située dans le
pays ou à l’étranger »
16
.
« Le marché intérieur est sur la base de ces explications l’endroit où une marchandise trouve
un preneur, le marché des débouchés, l’endroit où elle est remise au client, où elle est livrée.
Pour une prestation de service, le marché intérieur est constitué par la région pour laquelle
elle a été effectuée. Pour une construction, c’est par exemple l’endroit où elle est érigée, pour
un brevet d’invention la région pour laquelle il est concédé »
17
.
A partir de cette définition, le droit de la concurrence édicté pour protéger ce marché,
revendique son application lorsque la concurrence est restreinte sur le marché délimité par la
rencontre de l’offre et de la demande. Autrement dit, le droit de la concurrence intervient à
chaque fois qu’ « une influence est exercée sur le marché »
18
pour un bien donné. Il intervient
pour protéger la région qui tombe sous son emprise si « des effets se font sentir quand la
concurrence entre les offrants ou entre les demandeurs de ce bien et dans cette région est
restreinte. Plus précisément : le marché pour ce bien et dans cette région est troublé par le
fait que la liberté de la concurrence entre les offrants du bien est restreinte et que par là
même, la liberté d’action (la liberté de choix, de détermination, de contracter) des
demandeurs pour ce bien et dans cette région est réduite »
19
.
Le droit de la concurrence se revendique applicable dès la déstabilisation du marché intérieur
dont il assure la protection, c'est à dire dès que l’effet néfaste constaté sur le marché, est défini
comme point de rattachement. Concrètement, le droit de la concurrence va se référer au
« critère de territorialité objective »
20
pour déterminer son champ d’application. Les droits de
la concurrence européen et français ont adopté ce critère comme fondement de leur
application
21
. Ils utilisent des mécanismes juridiques permettant une application aussi
16
idem
17
idem, pp. 42-43.
18
idem, p. 42.
19
idem
20
idem, p. 91.
21
Bien que le principe de l’effet incident constitue la position théorique du droit européen de la concurrence et
la position de la Commission européenne, la pratique jurisprudentielle de la Cour de Justice a démontré
qu’ « il existait toujours un lien supplémentaire avec le marché commun, que cela soit au sens de la
territorialité subjective grâce à l’endroit où se déroulent les pratiques restrictives de la concurrence ou au
15
étendue, car ils ont la volonté réelle de repousser les pratiques anticoncurrentielles et ce, dans
l'intérêt public, très présent dans ces droits.
Ceci étant, il convient de signaler que "l’intérêt public" doit être pris au-delà de son sens strict
car il englobe le résultat escompté de la protection d’un intérêt privé, lorsqu'elle conduit à la
stabilisation de l’ordre économique
22
. Le droit de la concurrence qui protège les opérateurs
agissant sur le marché, n’entend pas seulement défendre leurs intérêts privés. Il cherche la
réalisation d’un objectif plus global : protéger le consommateur, pris en sa qualité abstraite et
non en sa qualité spécifiée, en lui permettant d’acheter des produits et des services aux prix
les plus optimisés
23
. En outre, le droit de la concurrence inclut l’intérêt de tiers qui se traduit
par le droit pour tous les opérateurs économiques agissant sur un marché, d’agir librement,
sans subir l'influence d’autres opérateurs, de nature à limiter leur choix. L'objectif est pour
l'arbitre de ne pas se focaliser sur la nature privée de l’intérêt invoqué devant lui, sans faire le
lien avec l’objectif ultime recherché par les politiques de concurrence qui constitue un intérêt
public
24
.
Les considérations qui peuvent influencer favorablement ou défavorablement l’implication de
l’arbitre dans la défense des politiques étatiques, sont multiples et d’origines différentes. Par
exemple, le caractère consensuel de l’arbitrage, son efficacité, son détachement des ordres
juridiques étatiques, l’autonomie de la volonté des contractants, la sécurité juridique des
opérations économiques internationales exprimée par la prévisibilité et enfin que l’arbitre ne
soit pas le garant de la protection des ordres juridiques étatiques, sont autant de considérations
qui contribuent à la libéralisation de l'arbitre des politiques étatiques. A l'inverse, l’efficacité
de la sentence arbitrale, la non-instrumentalisation de l’arbitrage, la nécessité de combattre les
sens du principe de la personnalité par le biais du rattachement au siège social d’une des entreprises
concernées ou de la nationalité des personnes agissantes. » : BASEDOW (J.), « Souveraineté territoriale et
globalisation des marchés : le domaine d’application des lois contre les restrictions de la concurrence », op.
cit., p. 100.
22
Sur l’aspect économique du droit européen de la concurrence, il a été soutenu que « le droit de la
concurrence a fait l’objet d’une remarquable évolution depuis les débuts de la construction européenne.
Historiquement appliqué par les juristes, il est le fruit de l’alchimie réalisé entre les sciences juridiques et
les sciences économiques : juridiques, car la discipline est constituée d’un ensemble de règles déterminant
les pratiques illicites ; économiques, aussi puisque sa visée ultime, par-delà le respect des règles en soi, est
la protection du consommateur et l’efficacité économique » : GRYNFOGEL (C.), Droit européen de la
concurrence, 4e édition, LGDJ, 2016, p. 10.
23
Certains auteurs ne distinguent pas les qualités de consommateur. L’intérêt du consommateur relève de
l’intérêt privé et l’intérêt public est de protéger le marché : « il fait peu de doutes que le droit de la
concurrence vise aussi bien à protéger les consommateurs et les opérateurs économiques – intérêts privés –
que le marché – intérêt public » : JOURDAN-MARQUES (J.), op. cit., p. 177.
24
Sur la distinction entre l’intérêt public et l’intérêt général voir : JOURDAN-MARQUES (J.), Le contrôle
étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., p. 174.
16
pratiques illicites dans la sphère internationale, la préservation de l’arbitrage en tant que mode
de règlement de litiges, l’élargissement de l’arbitrabilité ou la prise en compte des intérêts
étatiques par la soft law, sont eux, des considérations militant en faveur de la prise en
considération, voire l’application par l’arbitre des politiques étatiques. Le principe des attentes
légitimes peut être taillé sur mesure pour qu’il soit invoqué en faveur des deux positions
contradictoires et ce, en fonction du point de vue à partir duquel la question des politiques
étatiques, est examinée.
L’influence exercée par ces considérations contradictoires sur la doctrine et la jurisprudence
arbitrales, ne facilite pas la tâche du chercheur qui souhaite prendre position sur le rôle joué
ou qui doit être joué, par l’arbitre face aux politiques étatiques en matière commerciale. Il faut
garder une sorte d’équilibre entre l’autonomie de l’arbitre nécessaire à l’efficacité, la
crédibilité de l’arbitrage et la légitimité des politiques étatiques qui visent l’intérêt public.
Face à une telle exigence, l’arbitre ne saurait se montrer indifférent, étant donné les
conséquences néfastes qui pourraient s’ensuivre.
En principe, l’implication de l’arbitre dans la défense des politiques étatiques en matière
commerciale et en particulier, dans la défense du droit de la concurrence est indispensable. En
effet, l’autonomie de l’arbitre reconnue par le principe dit de "compétence compétence", le
pousse à adopter une attitude ralliée aux politiques étatiques de concurrence. En décidant que
le litige entre dans le cadre de sa compétence, l’arbitre est amené à appliquer la règle juridique
impérative régissant le litige. L’implication de l’arbitre dans la défense des politiques
étatiques de concurrence, résulte également de sa qualité de juge. Dès lors, il doit se garder
d’être instrumentalisé par les acteurs économiques qui justement, recourent à l’arbitrage, en
validant des pratiques illicites qui affecteraient les économies étatiques. Son statut de juge
privé ne doit pas l’empêcher d’agir d’office
25
et de condamner des pratiques prohibées par les
ordres juridiques étatiques, en employant les moyens à sa disposition. L’arbitre ne peut en
aucun cas, prêter main forte à des opérateurs économiques de mauvaise foi.
Dès lors, l'argument selon lequel la protection des ordres juridiques étatiques ne relève pas de
la compétence de l’arbitre et que cette mission n'incombe qu'au juge étatique, n’est pas
25
GOLDMAN (B.), « L’arbitrage international et droit de la concurrence » : ASA Bull., 7(3), 1989, pp.
294-295 ; GOLDMAN (B.) : «Conclusions », in Competition and arbitration law, International Chamber
of Commerce, Paris, 1993, pp. 336-337.
17
réaliste. Les litiges du commerce international impliquant la mise en œuvre du droit de la
concurrence ne sont pas négligeables et c’est à l’arbitre qui incombe la résolution de ces
litiges. L’arbitre est doté de pouvoirs considérables dans la résolution de litiges internationaux
et s’il se désintéresse des préoccupations étatiques, les répercussions négatives en seront
ressenties par les Etats. L’impact sera d’autant plus amplifié qu'il existe une tendance des
juges étatiques à faire du contrôle de la sentence arbitrale, une formalité.
Le contrôle de la sentence arbitrale par le juge étatique est nécessaire mais ce qui ne l’est pas,
c’est que le juge étatique soit obligé de réviser la sentence de l’arbitre. Cela serait contre-
productif et subversif pour l’arbitrage. Le respect des ordres publics des Etats par l’arbitre fait
de la relation entre le juge étatique et l’arbitre, une relation de coopération et non une relation
de méfiance. Par ailleurs, il faut rappeler que l’arbitre « n’est pas en mesure de s’assurer de la
bonne exécution de sa sentence. L’arbitrage serait donc tributaire de la justice étatique »
26
.
La qualification juridictionnelle de la mission confiée à l’arbitre suffit à le rendre responsable
de la défense des politiques étatiques car il exerce une fonction de juge. A ce titre, il ne peut
se dispenser d’appliquer les normes nationales ou internationales, consacrant des politiques
étatiques dignes de protection, étant donné les objectifs légitimes qu'elles poursuivent.
Il est vrai que l’internationalité des litiges tranchés par l’arbitre induit des difficultés non
négligeables. Par exemple, l’internationalité implique la question du conflit de lois qui naît de
l’autonomie de la volonté, dans la mesure où les opérateurs économiques internationaux
peuvent choisir le droit applicable à leur contrat. Le problème surgit lorsque ce choix est
remis en cause par l’intervention des lois de police qui traduisent habituellement les politiques
étatiques. Lorsque l'arbitre examine la justification derrière l’application d’une politique
étatique, il doit se montrer souple. S’il estime que la politique examinée ne mérite pas son
approbation car les résultats escomptés ne sont pas de nature à représenter un intérêt public, il
est en mesure de l’écarter. Il en sera de même s’il y a abus ou impartialité vis-à-vis des
entreprises étrangères sous prétexte de politiques étatiques.
L’arbitre comprend qu’il ne peut être indifférent aux politiques étatiques car les Etats ont les
moyens de restreindre ses pouvoirs à travers l’arbitrabilité et l’efficacité de la sentence
26
JOURDAN-MARQUES (J.), Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., p. 4.
18
arbitrale, celle-ci passant par des procédures de nullité ou d’exequatur. Certes, de telles
mesures extrêmes sont improbables mais nul ne peut garantir à l’arbitre qu'elles ne soient la
réaction brutale des ordres juridiques étatiques. Ainsi, « l’arbitrage doit consolider sa
légitimité pour ne pas être remis en cause par les ordres juridiques étatiques »
27
.
Pour se soustraire aux critiques concernant son interaction avec les politiques étatiques,
l’arbitre a développé des pratiques et des techniques. C'est ainsi qu'il peut être objectif dans le
traitement de litiges impliquant des politiques étatiques, en les défendant rationnellement
lorsqu’il constate leur violation. Par ailleurs, sa réponse peut être partiale, indiquant chez lui
des préjugés sur certaines questions appartenant également aux politiques étatiques. En
d'autres termes, il peut accepter l’inclusion de certaines politiques étatiques à sa conception de
l’ordre public et en repousser d’autres.
Le droit de la concurrence qui constitue l’objet de cette étude, contient les deux formes de
politiques étatiques évoquées, classées selon la perception arbitrale de la matière concernée.
C’est-à-dire que la perception arbitrale de la politique étatique de concurrence invoquée
permet d’évaluer l’implication de l’arbitre dans la défense des politiques étatiques de
concurrence. Lorsqu’il s’agit d’appliquer des dispositions impérieuses du droit de la
concurrence, cette implication peut être qualifiée d’implication spontanée. Lors de
l’applicabilité des dispositions constituant la base du droit de la concurrence, telles que les
ententes illicites ou les abus de position dominante, l’arbitre semble surmonter les difficultés
qui l’entravent de les mettre en œuvre. Lorsque l’arbitre est confronté à ces deux matières
impérieuses du droit de la concurrence, il examine l’applicabilité de ces dispositions de façon
objective. Si les faits litigieux le conduisent à constater une violation de ces dispositions, il
n’hésite pas à la sanctionner. En effet, lorsque l’arbitre examine une question relative au droit
de la concurrence sans que l’issue de cet examen soit attendue, on peut dire qu’il est objectif
et apprécie les conditions d’application de la disposition invoquée de façon neutre. Dans ce
sens, s’il constate que le droit de la concurrence a été violé sur tel ou tel point, il condamnera
cette contravention et en appréciera les conséquences. En revanche, s’il constate que le droit
de la concurrence n’a pas été violé et que le bien-fondé de l’allégation de l’une des parties ou
du tribunal lui-même, n’est pas établi, il déclare l’absence de contravention et en tire
également les conclusions qui s'imposent. L’implication de l’arbitre dans l’application des
27
idem, p. 7.
19
dispositions fondamentales du droit de la concurrence, est donc indubitable. Cette implication
se traduit par la possibilité réelle de déclarer l’annulation de l’accord contraire au droit de la
concurrence ou la possibilité de tirer les conséquences du comportement anticoncurrentiel
constaté par lui.
D'un autre côté, les dispositions fondamentales du droit de la concurrence étant notamment
composé de politiques étatiques de nature sensible, les Etats ne peuvent accepter aucune
méconnaissance de l’arbitre en ces matières. Comme cela a déjà été dit, les conséquences
néfastes sur les marchés qui subissent des pratiques prohibées, sont telles que l’arbitre doit
exercer un contrôle sur les ententes prohibées et sur l’abus de position dominante
spontanément.
De fait, la jurisprudence arbitrale démontre que l’arbitre est plus disposé à accepter
d’examiner des arguments fondés sur l’abus de position dominante ou les ententes prohibées
par le droit de la concurrence, car il partage les mêmes visions étatiques. Conscient de
l'importance de son rôle dans la lutte contre ces pratiques, son implication est bien établie et
mérite l’approbation. Il faut signaler à cet égard, que les dispositions portant sur les ententes
prohibées, sont plus susceptibles d’être invoquées devant l’arbitre que celles qui portent sur
l’abus de position dominante. Cela est dû au fait que les ententes sont plus en contact avec la
matière contractuelle qui est le terrain commun ou classique de l’arbitre. Toutefois, ce constat
n’empêche pas l’arbitre de se prononcer sur des questions intéressant l’abus de position
dominante dans certains contrats ou même, sur des questions relatives à l’abus de position
dominante fondées sur la responsabilité délictuelle, en mettant en œuvre une clause de
compromis. Cela s’applique également aux ententes prohibées car le contrat n’est pas le seul
moyen de mettre en place une entente contrevenant au droit de la concurrence.
Les contrats susceptibles d’éveiller l’application du droit fondamental de la concurrence,
notamment les dispositions relatives à l’abus de position dominante et les ententes illicites,
sont multiples et variés : contrats de distribution, de fourniture, accords de licence, de joint-
ventures, de coopération. Tous sont aptes à impliquer des enjeux concurrentiels dont la
résolution des litiges est confiée à l’arbitre, puisque ces contrats sont normalement soumis à
l’arbitrage
28
.
28
BLANKE (G.), « The arbitrability of EU competition law: the status quo revisited in the light of recent
developments: Part 1 », op. cit., paragraph 87.
20
Pour mener sa tâche à bien, l’arbitre étudie précisément une matière technique dont la maîtrise
nécessite des compétences particulières. Cette expertise sera notamment tangible lorsqu'il
appliquera des dispositions permettant d’exempter des pratiques en principe condamnées, par
les dispositions prohibant les ententes illicites. Pour ce faire, il vérifiera l’existence des
conditions nécessaires à la validation de ces ententes. Le droit européen de la concurrence
fournit un exemple éclairant à cet égard, avec l’article 101 § 3 du TFEU. Selon cet article en
effet, la réunion de certaines conditions permet à l’arbitre d’exempter une pratique prohibée
malgré le fait qu’elle constitue une entente illicite. Permettre à l’arbitre d’apprécier
l’applicabilité de l’exemption légale, signifie qu’il est impliqué dans la réalisation des
objectifs, escomptés de ladite exemption. En d'autres termes, c’est l’arbitrabilité de la matière
déduite de l’adoption du Règlement (CE) n° 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 101et 102 du TFUE
29
qui l’a rendu participant dans la
défense des politiques de concurrence et dans les dispositions relatives aux ententes
prohibées. De plus, l’arbitre est habilité à appliquer les Règlements européens dits
Règlements d’exemptions par catégorie, édictés en application de l’article 101 § 3 du TFUE.
D'après celui-ci, la réunion de certaines conditions permet de valider des accords, des
pratiques concertées et des décisions d’association, tombant objectivement sous le coup de
l’article 101 § 1 du TFUE. Il existe par exemple, des Règlements d’exemption par catégorie
pour les accords verticaux, de recherche et de développement, de spécialisation, de transfert
de technologie ou encore de distribution automobile. Par conséquent, ces Règlements servent
de cadre explicatif de l’article 101 § 3 du TFUE que l’arbitre peut mettre en œuvre. Ce
faisant, il participe à la mise en œuvre des pratiques étatiques primordiales de concurrence.
A l'évidence, l’arbitre fait face à des obstacles juridiques lorsqu’il décide d’appliquer le droit
de la concurrence. L'un de ces obstacles peut être que la loi d’autonomie qui régit le contrat,
n’est pas celle qui revendique son application, ce qui pose la question du respect de la volonté
des contractants
30
. Un autre obstacle viendra des parties à l’arbitrage lorsqu'elles veulent
29
Du Conseil du 16 décembre 2002, J. O., n° L 1 du 04/01/2003, pp. 1-25.
30
A cet égard, il a été soutenu que « le développement simultané de l’arbitrage et des droit de la concurrence
est à l’origine d’une rencontre parfois conflictuelle entre l’autonomie de la volonté, sur laquelle est fondé
l’arbitrage, et l’impérativité des politiques économiques. » : IDOT (L.), « Rapport introductif », in
Competition and Arbitration Law, International Chamber of Commerce, Paris, 1993, p. 13. Un autre auteur
a écrit dans le même sens que « l’application du droit de la concurrence par l’arbitre, en effet, provoque
l’affrontement de deux logiques : d’une part l’autonomie des parties à l’arbitrage, d’autre part la nécessité
du contrôle de concurrence. » : MAILHE (F.), « L’arbitrage saisi par le droit de la concurrence : Requiem
pour une chimère juridique », Rev. D. Aff., 2008, n° 6.
21
contourner le droit de la concurrence en interdisant à l’arbitre, d’examiner leur contrat sous
cet angle. Enfin, les parties peuvent libérer leur contrat de toute loi étatique en le plaçant sous
l’autorité de la lex mercatoria.
La volonté de l’arbitre d’imposer les dispositions impérieuses du droit de la concurrence ne
doit pas être infléchie par de tels obstacles. L’implication de l’intérêt public lui permet de
s’affranchir de tous ces obstacles.
L’implication arbitrale à l’égard de certaines politiques étatiques de concurrence ne trouve pas
d’équivalence lorsqu’il s’agit d’autres politiques étatiques de concurrence. Autant l’arbitre
sera-t-il impliqué lorsqu’il est confronté à des questions concurrentielles cruciales, autant il ne
veillera pas à la mise en œuvre des politiques étatiques de concurrences, considérées comme
secondaires ou annexées au droit de la concurrence. Il s’agit là d’une partie du droit de la
concurrence où la mise en œuvre de ses dispositions, ne dépend pas de l’affectation du
marché concerné dans son ensemble. Il suffit de constater la pratique prohibée en soi, pour
que la responsabilité de son auteur soit engagée, en dehors de l’exigence classique du droit de
la concurrence traduite par une influence exercée sur le marché, débouchant sur une
restriction de la concurrence.
Si l’arbitre examine une question relative au droit de la concurrence et que sa réponse est
l’inapplicabilité de la disposition invoquée, l’attitude de l’arbitre équivaut à une implication
formelle dans la défense des politiques étatiques de concurrence. L’arbitre déclare la position
classique dont il est convaincu et son examen de la question du droit de la concurrence est une
formalité visant à éviter la critique de l’infra petita. De manière plus générale, c'est une façon
d'échapper au contrôle du juge étatique qui voit dans l’étude de l’applicabilité du droit de la
concurrence - aboutissant à une réponse négative - un empêchement d’aller plus loin, dans le
contrôle de la sentence arbitrale. Par la suite, la sentence échappera à la violation de l’ordre
public de l’Etat, édictant le droit de la concurrence.
Cette position arbitrale peut être constatée dans l’interaction entre l’arbitre et des politiques
étatiques de concurrence, telles que le déséquilibre contractuel significatif et la rupture brutale
de relations commerciales établies. Ces dispositions faisant partie du droit français de la
concurrence, donc d'une politique étatique française, seront examinées par un arbitre
international.
22
Il est à noter que l’arbitre se montre parfois flexible dans sa volonté de condamner des
pratiques répréhensibles selon la loi française. Il est même possible que la sanction du
déséquilibre contractuel significatif, soit absente devant l’arbitre international. Quant à la
rupture brutale de relations commerciales établies, l’arbitre ne procédera à une condamnation
que si cette rupture correspond à sa conception de la bonne foi devant régir les relations
commerciales.
Cette attitude arbitrale est constante malgré le fait qu’elle ait les fondements juridiques lui
permettant de mettre en œuvre ces politiques étatiques de concurrence. Il s’agit en premier
lieu de la soft law. Cette branche du droit soutient les politiques étatiques de façon générale. Il
existe en son sein, des dispositions consacrées à la nécessité d’appliquer les politiques
étatiques, ce qui équivaut à une mise en garde sur les effets néfastes de la méconnaissance de
ces politiques. La soft law incite la mise en œuvre des lois de police et le respect des ordres
publics étatiques.
Pour l’arbitre, il est particulièrement aisé de mettre en œuvre une politique étatique et par la
suite, de fonder sa décision, sur des dispositions relevant de la soft law. Son statut en tant que
juge du commerce international lui permet de puiser des règles juridiques dans toutes les
sources de droit disponibles. Il le peut également parce que le principe d’autonomie de la
volonté des contractants, permet de désigner une norme souple comme un droit régissant le
contrat devant l’arbitre. Que cette norme renvoie aux règles juridiques impératives des ordres
juridiques étatiques, suffit à ce qu’elles soient prises en considération, voire appliquées. Les
Principes d’Unidroit par exemple, incitent le tribunal saisi à mettre en œuvre des règles
impératives relevant des ordres juridiques étatiques. Le simple fait que la soft law préconise la
mise en œuvre des normes impératives étatiques, est une raison de plus pour que l’arbitre
tienne compte de ces dispositions. Ne serait-ce que parce qu'elle permet de fonder la
légitimité de la sentence arbitrale contenant l’application d’une loi de police étrangère à la loi
d’autonomie.
Outre la soft law, une certaine conception de la lex mercatoria permet à l’arbitre de mettre en
œuvre des politiques étatiques de concurrence. La lex mercatoria est conçue comme une
méthode de résolution du conflit de lois, méthode permettant de désigner la loi à appliquer et
contribuant à augmenter les chances d’application d’une politique étatique de concurrence.
23
Par ailleurs, lorsque le contrat est placé sous l’autorité exclusive de la lex mercatoria, celle-ci
est capable d’absorber des règles d’ordre public, relevant d'ordres juridiques étatiques et de
les regrouper sous la conception d’ordre public transnational. Cette fonction de la lex
mercatoria est opérable et permet d’imposer le droit de la concurrence dans toutes ses
composantes.
De surcroit, l’interaction entre l’arbitre et les politiques étatiques de concurrence s’observe
dans les litiges d’investissement, ce qui est visible lorsque l’arbitre est confronté à des
questions concurrentielles dans des litiges d’investissements. Dans la mesure où le droit de la
concurrence contrevient à un Traité d’investissement, l’arbitre ne peut que faire prévaloir le
Traité d’investissement sur le droit de la concurrence. L’arbitre partira de ce principe.
Lorsqu’un Traité d’investissement s’applique à une question qui tombe en même temps sous
l’autorité du droit de la concurrence, c’est le Traité qui l’emporte devant l’arbitre. L’arbitre
fait primer le Traité d’investissement sur le droit de la concurrence, sans heurter ce dernier
frontalement. Il inclut donc dans son raisonnement, le droit de la concurrence en tant que fait
susceptible d’influencer sa décision, certaines conditions sont réunies. Toutefois, si l’arbitre
trouve une justification dans le Traité d’investissement lui permettant d’appliquer les
dispositions du droit de la concurrence, il y procédera. C’est pourquoi il est permis de dire que
les pouvoirs de l’arbitre dans ce contexte sont encadrés.
L’exclusion du droit de la concurrence au profit d’un Traité d’investissement a été observée
sur le plan européen. C’est l’attitude principale adoptée par l’arbitre en matière d’aides d’Etat,
consacrée par le droit européen de la concurrence lorsqu’un Etat membre prend une mesure à
l’encontre d’un investisseur, en application du droit européen de la concurrence qui prohibe
les aides d’Etat. Cela se traduit concrètement par le fait que l’investissement protégé par le
Traité d’investissement bénéficie d’une aide de l’Etat, telle que des avantages fiscaux. L’Etat
concerné supprimera cette aide pour préserver la concurrence sur le marché européen et
l’arbitre sera ensuite saisi, en vertu du Traité d’investissement applicable.
Dans d’autres litiges d’investissement, l’application du Traité d’investissement n’entraîne pas
la mise à l’écart du droit de la concurrence parce que la contradiction fait défaut. D'ailleurs, le
Traité permet l’application de ce droit contre le gré de l’Etat l'édictant, car l’arbitre en réalité,
se trouve en mesure d’appliquer le droit de la concurrence sous couvert du Traité
24
d’investissement. Lorsqu’une mesure étatique vise le pouvoir concurrentiel d’un investisseur
qui exerce une activité commerciale sur le territoire de l’Etat hôte, il applique certains
principes relevant du droit de la concurrence. Encadré par le Traité d’investissement, l’arbitre
traite la question concurrentielle sous couvert du principe de traitement national, typiquement
inclus dans les Traités d’investissement. Il sanctionne la mesure étatique visant le pouvoir
concurrentiel de l’investisseur, en déclarant une violation du principe de traitement national.
Selon ce principe, l’Etat hôte ne doit pas privilégier ses entreprises nationales, au détriment de
l’investisseur bénéficiant de ce principe.
Plus précisément, l’arbitre va employer le principe du traitement national, afin de protéger le
droit de l’investisseur. Ce droit est celui de participer au jeu de la concurrence sur le territoire
de l’Etat qui a pris des mesures visant à contenir ou endiguer la puissance concurrentielle de
l’investisseur, qui opère sur son territoire et qui fait concurrence aux entreprises nationales.
De cette façon, l’arbitre imposera l’application du droit de la concurrence de l’Etat, à l’origine
des mesures affectant le pouvoir concurrentiel des investisseurs étrangers. En d’autres termes,
le fait de porter atteinte à la position concurrentielle de l’investisseur étranger qui profite à des
entreprises nationales, constitue le déclenchement de la mise en œuvre du principe de
traitement national. Cette position arbitrale constitue d’ailleurs un rempart empêchant certains
Etats d’instrumentaliser leur droit de la concurrence, en l'utilisant contre les investisseurs
étrangers.
La mise en œuvre par l’arbitre des politiques étatiques de concurrence peut intervenir à la
suite d’une décision rendue par une autorité de concurrence. Décision mettant fin à des
pratiques anticoncurrentielle ou atténuant les effets d’une opération de concentration
économique. A cet égard, l’arbitre est chargé de la bonne application des engagements prévus
par la décision de l’autorité de concurrence incombant à l’entreprise concernée vis-à-vis des
tiers. En d’autres termes, l’implication de l’arbitre dans la défense de cette matière prend une
forme moins volontaire que son implication spontanée, constatée à l’égard des ententes
illicites et de l’abus de position dominante. Dans ce type d’arbitrage, dit arbitrage
d’engagements concurrentiels, l’implication de l’arbitre est restreinte dans le sens où sa marge
de manœuvre dans l’application du droit de la concurrence, est très étroite. Finalement réduit
à un bras opérationnel mettant en œuvre les décisions de l’autorité de la concurrence
compétente, il est tenu de suivre celle-ci dans son interaction avec le droit de la concurrence.
Dans l’arbitrage d’engagements concurrentiels, l’arbitre est chargé au nom des autorités de la
25
concurrence, de faire respecter les engagements auxquels les entreprises ont souscrit. Cette
action rassurera les autorités sur le statut de la concurrence sur le marché concerné. Ce type
d’arbitrage est approuvé par la principale autorité de la concurrence au niveau européen, la
Commission européenne. Dans sa mission d’appliquer et de faire respecter les engagements
concurrentiels, l’arbitre est totalement impliqué dans la défense des politiques étatiques de
concurrence. Néanmoins, cette implication est restreinte étant donné sa subordination à
l’autorité de la concurrence en charge de valider ou pas, les engagements des entreprises. Il
usera alors de décisions contraignantes pour ces entreprises mais également d'une certaine
façon, pour lui-même.
Le traitement arbitral différencié vis-à-vis des politiques étatiques de concurrence, doit
trouver une explication. En effet, l’arbitre ne reconnaît pas l’autorité du droit de la
concurrence dans toutes ses composantes. Il procède en quelque sorte, à un tri des politiques
étatiques de concurrence et il reconnaît la nécessité de la mise en œuvre de certaines d'entre
elles. En revanche, sur d’autres politiques étatiques de concurrence, l’arbitre montre un intérêt
superficiel pour leur application, encore plus pour leur imposition. La justification avancée
par l’arbitre pour se dissocier de ces politiques tient de façon générale, à l’internationalité des
litiges concernés, à la nature de l’intérêt privé, au caractère professionnel des opérateurs
économiques et enfin, à leur expérience des opérations du commerce international. Dans les
litiges d’investissement, l’arbitre n’hésite pas à exclure le droit de la concurrence, en décidant
de la primauté du Traité d’investissement sur le droit de la concurrence. Il invoque la
nécessité que les Etats respectent leurs obligations internationales nées de ce Traité.
Toutefois, cela ne l’empêche pas de tenir compte du droit de la concurrence dans son
raisonnement portant sur des litiges d’investissement ou de concilier les deux normes, si cela
s’avère possible.
La question qu’il convient de se poser en définitive, est la suivante : quel est le facteur qui
marque un tournant dans la position arbitrale vis-à-vis des différentes politiques étatiques de
concurrence ?
La réponse se trouve dans la légitimité de la politique étatique de concurrence impliquée.
L’arbitre considère que les dispositions fondamentales constituant le droit de la concurrence
sont légitimes et méritent d'être défendues. Par conséquent, il ne conteste pas l’application des
dispositions relatives à la prohibition des ententes illicites, à l’abus de position dominante.
26
En revanche, l’arbitre conteste la légitimité de certaines politiques étatiques de concurrence,
estimant qu'elles sont de nature à déstabiliser la pratique contractuelle poursuivie dans le
commerce international. Ainsi, il ne donne pas d’effet à certaines dispositions annexées au
droit de la concurrence et qui touchent le fond du contrat. Il examine l’application de ces
dispositions lorsqu’elles sont invoquées par les parties à l’arbitrage, mais il ne retient que la
partie des dispositions qu’il juge compatibles avec sa propre perception des transactions
internationales.
L’arbitre conteste également la légitimité de certaines dispositions relevant du droit de la
concurrence, parce qu'elles sont en contradiction avec un instrument juridique d’un pouvoir
normatif, supérieur à celui du droit de la concurrence applicable ou en tout cas, un instrument
juridique jouissant de la priorité. Pour l’arbitre international, le Traité d’investissement ne doit
pas être remis en cause par le droit de la concurrence, cela rendrait l’application de ce dernier,
illégitime.
En revanche, dans certains cas, l’arbitre parvient à appliquer le droit de la concurrence et le
Traité d’investissement cumulativement et harmonieusement. Un tel résultat serait atteint
lorsque le Traité d’investissement permet l’inclusion de la dimension concurrentielle dans ses
dispositions. Dans ce cas de figure, la légitimité du Traité d’investissement n’est pas remise
en cause.
Non seulement la légitimité de la politique étatique de concurrence qui dicte le comportement
de l’arbitre mais aussi le contexte dans lequel intervient l’arbitre. Lorsque l’arbitre intervient
aux cotés de l’autorité public en vue d’imposer ses politiques de concurrence, les prérogatives
de l’arbitre seront encadrées par cette autorité et son implication dans la défense de ces
politiques, ne serait pas expliquée selon la perception arbitrale de la légitimité. L’arbitre
participe dans la mise en œuvre des décisions émises par les autorités de la concurrence sans
qu’il y ait appréciation de légitimité vis-à-vis de ces décisions.
Par conséquent, il est possible de soutenir que la position prise par l’arbitre à l’égard des
politiques étatiques de concurrence, est tridimensionnelle. En effet, l'arbitre défend certaines
politiques étatiques de concurrence de manière spontanée (Partie 1). Mais son implication
dans la défense d'autres politiques étatiques de concurrence peut se révéler purement formelle
(Partie 2). Enfin, dans d'autres cas, l'arbitre n'a pas une complète marge de manoeuvre et son
implication dans la défense des politiques étatiques apparaît encadrée (Partie 3).
27
Première Partie : L’implication spontanée de l’arbitre dans la défense des politiques
étatiques de concurrence
Deuxième Partie : L’implication formelle de l’arbitre dans la défense des politiques
étatiques de concurrence
Troisième Partie : L’implication encadrée de l’arbitre dans la défense des politiques
étatiques de concurrence
28
PREMIÈRE PARTIE
L’IMPLICATION SPONTANÉE DE L’ARBITRE DANS LA DÉFENSE DES
POLITIQUES ÉTATIQUES DE CONCURRENCE
La légitimité de l’arbitre pour trancher des questions relevant de l’ordre public des Etats est de
moins en moins contestée. L’arbitre se reconnait le droit de se prononcer sur l’application des
dispositions relevant de l’ordre public des Etats de façon générale et en matière du droit
économique en particulier. En effet, l’appartenance du droit de la concurrence au droit
économique, imprégné par des dispositions impératives mais aussi au droit commercial, qui
constitue le domaine juridique naturel de l’arbitre rend l’arbitrabilité de cette matière
indispensable pour ce dernier.
L’arbitre fait son possible pour s’approprier une grande part des litiges du commerce
international. Il a compris que l’expansion de l’arbitrage comme mode de règlement de litiges
de commerce international va de pair avec la prise en compte de certaines dispositions du
droit de la concurrence dont le respect est crucial pour les Etats. C’est la raison pour laquelle
l’arbitre se sent obligé de prêter une attention globale au droit de la concurrence en général et
une attention particulière à certaines dispositions de ce droit étant donné l’effet néfaste causé
par leur méconnaissance. Il semble que le consensus portant sur l’importance de certaines
matières pour le fonctionnement des marchés des Etats rend ces matières dignes de respect
intrinsèquement.
Lorsque l’arbitre prête main-forte à des politiques étatiques de concurrence en les rendant
efficaces par leur mise en œuvre, il est impliqué dans la défense des politiques étatiques de
concurrence. Il convient de qualifier cette attitude arbitrale d’implication spontanée dans la
défense des politiques étatiques de concurrence.
L’implication spontanée de l’arbitre dans la défense des politiques étatiques de concurrence
désigne la prédisposition de l’arbitre à accueillir des arguments fondés sur des dispositions
relevant du droit de la concurrence et dont l’examen pourrait sceller l’issue d’un litige.
Cette implication désigne également la liberté totale de l’arbitre vis-à-vis des parties au litige
lorsqu’il se prononce sur l’applicabilité d’une disposition relevant du droit de la concurrence.
Cela veut dire que l’accord, selon lequel les parties à l’arbitrage s’entendent pour ne pas
29
appliquer le droit de la concurrence, ne doit pas être recevable par l’arbitre
31
. En outre,
l’implication spontanée signifie que la désignation d’un droit applicable outre que le droit de
la concurrence qui prétend régir le litige n’empêche pas l’arbitre d’appliquer ce dernier.
Il s’y ajoute que, l’implication spontanée de l’arbitre fait référence à l’absence de toute
contrainte juridique obligeant l’arbitre à rendre une sentence contrevenant au droit de la
concurrence. C’est dire que contrairement à l’implication encadrée, qui va être analysée plus
loin, l’implication spontanée de l’arbitre signifie que lorsqu’il applique le droit de la
concurrence, ses prérogatives ne dépendent pas de l’application d’une autre norme juridique
comme le droit de l’investissement ou une décision administrative comme les décisions
rendues par la Commission européenne en matière d’engagements concurrentiels.
Par-dessus tout, l’implication spontanée de l’arbitre désigne son attachement à l’application
de certaines dispositions du droit de la concurrence en toute objectivité et sans préjugés.
L’objectivité amène l’arbitre à examiner les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’une
disposition juridique et dès la réunion de ces conditions, il ne saurait pas repousser la
condamnation de la pratique prohibée par la disposition en question. L’exclusion par l’arbitre
des préjugés, lors de l’application d’une disposition relevant du droit de la concurrence
signifie que sa décision ne doit pas être attendue dans le sens où cette décision est prévisible,
étant donné le dogmatisme arbitral constaté sur certaines questions qui sera examiné plus loin.
En réalité, l’attitude arbitrale favorable à la défense des politiques étatiques de concurrence
est observée vis-à-vis des matières principales constituant le socle du droit de la concurrence,
à savoir : les ententes illicites et l’abus de position dominante. A travers ces deux matières
impérieuses du droit de la concurrence, il s’agira de cerner l’interaction concrète s’opérant
entre elles et l’arbitre, en explorant les points essentiels qui permettent à l’arbitre de parvenir
à une issue satisfaisante d’un point de vue du droit de la concurrence.
Prenant toutes ces précisions en compte, il convient d’aborder les matières concernées par
31
M. Goldman a écrit à cet égard que « Naturellement, si la clause [compromissoire] - on parle souvent de
clause pathologique et celle-là l’est certainement – reflète la volonté des parties de dire : "Monsieur, vous
ne regardez pas les règles de concurrence", cette clause est purement et simplement nulle parce qu’elle
manifeste la volonté des parties de contourner des règles impératives. » : GOLDMAN (B.),
« Conclusions », op. cit., p. 337. Face à cette situation, l’arbitre ne doit pas rester passif, il est tenu
de regarder la violation du droit de la concurrence sans détours et de prendre sur le fond, la décision
appropriée : GOLDMAN (B.), « Conclusions », op. cit., p. 337
30
cette attitude arbitrale. L’implication spontanée de l’arbitre dans la défense des politiques
étatiques de concurrence est observée dans son contrôle des ententes illicites (Titre1) et dans
son contrôle de l’abus de position dominante (Titre2).
31
TITRE I
LE CONTRÔLE DES ENTENTES PROHIBÉES
Avant d’appréhender le thème des ententes illicites, une définition générale de la notion
s’impose. En effet, « la notion d’entente s’entend en une concertation entre au moins deux
entreprises, formalisée dans un accord ayant pour objet et/ou effet de fausser ou entraver le
jeu de la concurrence sur les marchés »
32
.
Cette définition met l’accent sur la dimension volontaire, considérée comme nécessaire, pour
établir la responsabilité des entreprises impliquées dans un accord illicite. De plus, il convient
de dire que la tache de l’arbitre est relativement simple lorsque la concertation est formalisée
dans une clause contractuelle. Cela n’exclut pas la possibilité que l’arbitre se prononce sur des
ententes illicites sans support matériel. Cela permet de souligner un point essentiel, à savoir :
certes, l’arbitre est un juge factuel qui ne va pas au-delà de la convention qui lui est soumise,
mais ce n’est pas toujours opportun. En effet, il ne serait pas excessif de lui demander de
chercher l’existence de l’accord illicite, en dévoilant la concordance de volontés sous quelque
forme que ce soit, en vue de violer le droit de la concurrence.
Il se peut que l’entente existe bel et bien, mais qu'elle ne soit pas formalisée dans le contrat.
Tel est le cas lorsque l’entente est orale ou tacite : « le terme entente appartient au champ
sémantique de l’oralité, de la parole et non de l’écrit. L’entente marque une compréhension
tacite, une connivence, une complicité qui n’est pas formalisée »
33
. Une telle distinction
subtile peut convenir dans certains cas, dans le champ de l’arbitrage, en particulier lorsque les
parties à l’arbitrage ont recours à l’arbitre pour contourner les tribunaux étatiques.
Pour que l’arbitre intervienne au nom de l’intérêt public consacré par une législation étatique,
il faut le plus souvent qu’un intérêt privé soit associé à cet intérêt public. Cette association
d’intérêts est le résultat même de la nature de l’arbitrage. En effet, il est nécessaire que
l’arbitre trouve dans le contrat litigieux dénoncé par la partie ayant intérêt, une atteinte à
l’intérêt étatique. Et la mesure qu’il prend pour condamner le contrat bénéficie à l’une des
32
MAINGUY (D.), Dictionnaire de droit du marché : concurrence, distribution, consommation, Ellipses,
Paris, 2008, p. 163.
33
idem, pp.161-162.
32
parties au contrat et nuit aux intérêts de l’autre partie. L’arbitre est avant tout un juge de
contrat, qui tranche les litiges relatifs à celui-ci, ce qui veut dire que la majorité des litiges
relatifs aux ententes illicites intéressent des relations purement contractuelles. Par conséquent,
il est amené le plus souvent à examiner la compatibilité de certaines clauses ou le contrat dans
son ensemble avec les dispositions relatives aux ententes illicites. Lorsque l’une des parties à
l’arbitrage dénonce le contrat en précisant qu’il constitue une entente illicite, la nullité est
relevée par une partie à l’arbitrage, ce qui veut dire que l'argument de nullité arrange cette
partie et qu’elle espère en tirer profit. L’intérêt étatique dans ce cas, coïncide avec un intérêt
privé de l’une des parties.
Mais qu’en est-il lorsqu’aucune des parties n’a intérêt à dénoncer le contrat ?
Dans la mesure où aucune des parties à l’arbitrage ne profite de l’application de la prohibition
des ententes, il incombe à l’arbitre d’invoquer d’office, l’incompatibilité de l’accord avec le
droit de la concurrence applicable. Il s’agit des cas où les parties savent qu’elles enfreignent le
droit de la concurrence et qu'elles utilisent l’arbitrage comme outil pour sauver l’accord allant
à son encontre. Face à cette situation, si l’arbitre déclare son incompétence, son implication
dans la défense des intérêts étatiques est avérée, puisqu’il refuse d’être complice d’une
infraction au droit de la concurrence.
La rencontre entre l’arbitre et le droit de la concurrence est forte en matière d’ententes illicites
comparativement à la matière d’abus de position dominante. Le lien étroit qu’entretient la
matière des ententes illicites avec la matière contractuelle, donne à la première une
particularité par rapport à la seconde : l’abus de position dominante. Il est tout à fait
envisageable que les parties confèrent à l’arbitre une mission sans rapport avec un contrat,
alors que la politique étatique est au cœur du débat. Tel est le cas en matière concurrentielle
lorsqu’un opérateur économique agissant sur un marché accuse un autre opérateur
économique d'abus de position dominante. Dans ce genre de litiges, il suffit que les deux
opérateurs économiques se livrent à des opérations économiques sur le même marché.
Autrement dit, une relation directe entre les deux opérateurs n'est pas exigée, il suffit qu’une
relation indirecte de nature non contractuelle, soit établie. Il est évident qu’il s’agit de la
responsabilité délictuelle dans la présente hypothèse. Ces opérateurs peuvent conclure un
compromis pour que leur litige soit tranché par un arbitre. Dans un tel cas de figure, l’arbitre
se prononce sur un litige intéressant les intérêts étatiques de premier ordre, sans pour autant
qu’il y ait un contrat. Il faut remarquer que contrairement à la situation d’une entente illicite
33
consacrée par un contrat, la volonté commune des parties est à l’origine de l’intervention de
l’arbitre, pour se prononcer sur l’abus de position dominante. Cela signifie qu’a contrario, en
présence d’un contrat conclu entre les deux parties litigantes, une seule volonté suffit pour que
l’arbitre se prononce sur le litige concurrentiel. D'ailleurs, l’arbitre dispose d’une marge de
manœuvre plus importante dans l’appréciation des ententes illicites qu’avec l’abus de position
dominante. En effet, à partir du moment où la position dominante est établie, la marge de
décision de l’arbitre se réduit, lors de l’appréciation d’un abus commis par l’entreprise en
position dominante.
Tout ceci permet de constater que la perception de l’arbitrage, ainsi que la matière
concurrentielle face à laquelle se trouve l’arbitre, contribuent significativement à déterminer
le rôle de l’arbitre dans ce domaine, à savoir la défense des politiques étatiques et en
particulier, la défense du droit de la concurrence.
Par conséquent, il est compréhensible que l’arbitre se trouve fréquemment amené à se
prononcer sur une entente illicite. Cette constatation établie, il est nécessaire de trouver le lien
entre l’arbitrage et la prohibition des ententes illicites, du point de vue du droit de la
concurrence. Lorsque l’arbitre prononce la nullité d’un contrat ou d'une clause constituant une
entente prohibée, outre l’intérêt étatique, il protège un opérateur économique qui est à ce
moment-là, une partie à l’arbitrage : la partie lésée, qui a tout intérêt à se désengager d’une
relation contractuelle illicite. Il se peut également que l’une des parties au contrat trouve un
simple intérêt à dénoncer le contrat illicite, sans forcément être lésée. En effet, lorsqu’une
partie tenue par un contrat, cherche à le dénoncer, elle a intérêt à ne plus remplir ses
engagements, induisant des doutes sur sa bonne foi. Par voie de conséquence, la question qui
se pose à l’arbitre est de savoir comment distinguer la protection légitime contre la mauvaise
foi et les conséquences des deux situations.
Dans ce contexte, il est primordial de s'attarder sur la façon dont l’arbitre traite la présence
probable d’une entente illicite. Pour ce faire, il convient de relever que l’arbitre doit réagir en
deux temps. Il s’agit de la phase de la constatation de l’entente (Chapitre 1). Par la suite, il
s’agit de la phase du traitement de l’entente (Chapitre 2).
34
CHAPITRE I
LA PHASE DE LA CONSTATATION DE L’ENTENTE PAR L’ARBITRE
L’arbitre se trouve amené à se prononcer sur l’existence d’une entente illicite dans deux cas :
soit il est appelé à le faire par l’une des parties à l’arbitrage (Section 1), soit il se saisit lui-
même de cette question (Section 2).
SECTION 1 - L’UNE DES PARTIES RÉVÈLE L’EXISTENCE D’UNE ENTENTE
ILLICITE
Il est plus logique de dire que l’une des parties tente de remettre en cause la validité du contrat
conclu ou l’une de ses clauses, en invoquant l’incompatibilité avec le droit de la concurrence.
Mais il est pourtant concevable que les deux parties prennent l’initiative ensemble et
demandent au tribunal arbitral de mesurer la licéité de leur accord, par rapport au droit de la
concurrence. Ce faisant, les deux contractants montrent qu'ils ne veulent prendre aucun risque
de se voir infliger des amendes par les autorités de la concurrence. Un tel avantage peut être
plus à portée lorsque le contrat n’a pas encore commencé à être exécuté. Par ailleurs, la
possibilité que les autorités de la concurrence n’aient pas été saisies de l’affaire est plus
élevée.
Une autre raison pour formuler une demande au tribunal arbitral, pourrait être que ces
contractants cherchent à bénéficier de justifications existant en droit de la concurrence et qui
ont pour effet de rendre leur contrat valide, grâce aux pouvoirs reconnus à l’arbitre. Par
conséquent, il se peut que la volonté des parties ait pour but de se procurer une protection
consacrée par le droit de la concurrence et mise en œuvre par l’arbitre.
Cela a été dit : la plupart du temps, l’une des parties engagées dans un contrat, va tenter d'y
mettre fin en avançant son incompatibilité avec le droit de la concurrence. La raison en est
simple : la partie dénonçant le contrat estime ne plus y trouver son intérêt. Il se présente alors
en défenseur du droit de la concurrence ou il fait valoir la protection fournie par ce dernier.
Cette situation va forcément conduire à une procédure arbitrale où l’arbitre sera amené à
trancher le bien-fondé de cette revendication.
35
La première question qui se pose lorsque l’une des parties invoque l’application du droit de la
concurrence, est celle de savoir si l’arbitre est compétent pour se prononcer sur cette
application. Deux positions s’opposent à cet égard. La première exige qu’un accord exprès
soit inséré dans la clause compromissoire pour que l’arbitre se déclare compétent (I). La
seconde se contente d’un accord tacite dégagé de la clause compromissoire (II).
§I- Compétence consacrée par un accord exprès
Certains auteurs estiment que l’arbitre ne peut aborder les questions du droit de la
concurrence ayant lien avec le contrat unissant les parties, que si elles décident de reconnaître
à l’arbitre un tel pouvoir. Ainsi, « les arbitres ne peuvent trancher les questions antitrust
découlant de différends contractuels que si les parties ont décidé que les arbitres devaient le
faire. Bien sûr, ce n’est pas là une restriction inhabituelle, car tous les pouvoirs de régler les
litiges appartenant aux arbitres découlent exclusivement de l’accord des parties. Le premier
devoir d’un tribunal arbitral confronté à un point de droit de la concurrence est donc de
déterminer s’il est compétent pour trancher les questions antitrust »
34
. Il semble que l’auteur
préfère distinguer les questions contractuelles des concurrentielles, en les traitant séparément.
De ce fait, il faut que la clause compromissoire évoque les questions concurrentielles
expressément. Si la clause compromissoire ne contient pas une telle précision, l’arbitre aura
besoin une fois de plus, d’obtenir le consentement des deux parties à l’arbitrage pour traiter le
litige sous l’angle du droit de la concurrence.
Une telle position ne parait guère opportune car elle réduit l’autorité de l’arbitre de façon
démesurée, en le rendant dépendant de la volonté des parties, même après que le conflit soit
né. Il faut donc examiner les termes de la clause compromissoire pour connaître les limites de
la compétence de l’arbitre, sans catégoriser les questions litigieuses.
Ceci dit, l’exigence d’une délimitation assez stricte de l’objet du litige entre les parties à
l’arbitrage a un mérite : elle donne à la sentence arbitrale la possibilité d’échapper à de
multiples griefs par la suite. De fait, l’arbitre ne pourra pas être accusé de dépasser les limites
de sa mission et sa compétence ne pourra être remise en cause sur la base de l’ultra petita.
34
HOLTZMANN (H.), « Rapport sur les pouvoirs et obligations des arbitres », in Competition and
Arbitration Law, International Chamber of Commerce, Paris, 1993, p. 245.
36
En fin, si la clause compromissoire ne mentionne pas le droit de la concurrence, l’arbitre se
trouve dans l’obligation de vérifier s’il est compétent, ce qu'il fera avec la convention
d’arbitrage délimitant sa compétence
35
.
§II- Compétence consacrée par un accord tacite
L’appréhension de la question concurrentielle par l’arbitre ne fait pas toujours l’objet d’un
accord exprès. L’abstention des parties d’aborder la prérogative de l’arbitre face à la question
concurrentielle, débouche sur une reconnaissance de cette prérogative, au profit de l’arbitre.
Cette interprétation de la volonté des parties peut être appelée "reconnaissance passive de
compétence". Cela signifie que si les deux parties n’évoquent pas la possibilité d’un litige
relatif au droit de la concurrence et que la clause d’arbitrage est imprécise, l’arbitre retient sa
compétence pour trancher le litige, sans tenir compte de la contestation éventuelle d'une des
parties. Dans une affaire, l'arbitre n’a pas tenu compte de la demande de l’une des parties en
ce sens, car il a refusé de se dessaisir ou même de surseoir à statuer, jusqu’à ce que la
Commission européenne rende sa décision sur l’existence de l’infraction ou non, eu égard à
l’article 85 § 1 du Traité de Rome (actuellement l’article 101 § 1 du TFUE). Il a alors débouté
la partie qui avait formulé cette demande. En l’espèce
36
, il s’agissait d’un contrat de
distribution conclu entre un fabriquant italien et un distributeur français. Par ce contrat, le
Français demandait à son partenaire italien, de lui fournir des produits fabriqués
conformément aux modèles mis au point par lui : le Français concevait, l’Italien fabriquait. En
vertu du contrat, le Français jouissait de la distribution exclusive des produits italiens et il lui
était interdit de vendre en France, des marchandises semblables provenant d'autres
fournisseurs. La partie italienne a voulu se désengager de ses obligations énoncées dans le
contrat, arguant que ce dernier était nul en vertu de l'article 85 § 1 du Traité de Rome. Par
ailleurs, elle s'attendait à ce que l’arbitre renvoie l’affaire devant la Commission européenne,
n'ayant pas la compétence de statuer sur le litige. Contrairement à ce qu'elle espérait, l’arbitre
a reconnu sa compétence pour trancher le litige et n’a pas renvoyé l’affaire devant la
Commission. Il s’est estimé parfaitement apte à vérifier la contrariété du contrat au regard de
l’article 85 § 1 du Traité. Il a conclu à la compatibilité de l’accord avec l’article en question.
35
Selon certains auteurs, il est tout à fait envisageable qu'un arbitre ne puisse pas reconnaître un litige du fait
que celui-ci lui échappe, en vertu de l’accord des parties : DERAINS (Y.), « Rapport sur les pouvoirs et
obligations des arbitres », in Competition and Arbitration Law, International Chamber of Commerce, Paris,
1993, p. 255.
36
Sentence arbitrale CCI, aff. n° 1397 de 1966, Recueil des sentences arbitrales CCI 1974-1985, p. 179 ; JDI,
1974. 879, note Derains (Y.).
37
Il est évident que l’arbitre est favorable à l'extension de son champ de compétence, même si
cela implique de toucher à des matières sensibles pour les Etats. Il est évident également, que
cela a pour effet de renforcer l’institution arbitrale et de la rendre plus efficace dans la mesure
où le déroulement de l’arbitrage n'est pas retardé à chaque fois qu’une question relative aux
politiques étatiques, est soulevée. Une telle position est ralliée par M. Goldman qui soutient
qu’« il nous semble préférable d’admettre la compétence de l’arbitre saisi, en vertu d’une
clause compromissoire , d’un litige relatif à un contrat , s’étend , quelle que soit la formule
employée, à tout différend concernant l’application des règles de concurrence relatives aux
ententes, dont la solution peut avoir une influence sur la validité, l’exécution ou le sort du
contrat ; et en ce qui concerne l’abus de position dominante, à tout différend concernant
l’application des règles de concurrence au comportement incriminé »
37
.
Etant donné que les problèmes ayant trait au droit de la concurrence sont susceptibles de se
poser dans certains types de contrats, les parties doivent être attentives à ces questions et
rédiger une clause compromissoire précise, qui détermine la compétence des arbitres en ce
domaine
38
. Cela permet d'éviter la question complexe de l’étendu de la compétence de
l’arbitre.
Si l’arbitre estime qu’il est compétent pour statuer sur la question concurrentielle soulevée par
l’une des parties, il se trouve dans l’obligation d’y apporter une réponse. Si l’arbitre
n’examine pas la question relative au droit de la concurrence, alors qu’elle est invoquée par
l’une des parties et que la clause compromissoire lui permet de statuer sur cette question, sa
sentence pourra être contestée sur la base du principe infra petita. D’autant plus si l’acte de
mission de l’arbitre y fait référence. Cette disposition trouve sa base légale dans l’article V (1)
(c) de la Convention de New York
39
.
Etant donné ce qui précède, l’une des parties peut contester la compétence du tribunal arbitral
en avançant que les parties n’ont pas exprimé leur volonté expressément, de confier leur litige
37
GOLDMAN (B.), « L’arbitrage international et droit de la concurrence », op. cit., p. 293.
38
BOCKSTIEGEL (K.), « Rapport sur les pouvoirs et obligations des arbitres », in Competition and
Arbitration Law, International Chamber of Commerce, Paris, 1993, p. 206.
39
BLANKE (G.), « The Interaction Between Arbitration and Public Enforcement: Clash or Harmony? », in
Litigation and Arbitration in EU Competition Law, Edward Elgar, Cheltenham: UK, Northampton, MA:
USA, 2015, p. 265.
38
au tribunal. Mais une rédaction de la clause compromissoire assez générale, notamment en
matière des ententes illicites, permettra au tribunal de déclarer sa compétence.
D’ailleurs, il n'existe aucune opposition à ce que l’arbitre lui-même, se saisisse d’office de la
question d’une éventuelle contravention au droit de la concurrence, ce qui fera l’objet de
l’intitulé suivant.
SECTION 2 - L’ARBITRE RÉVÈLE L’EXISTENCE D’UNE ENTENTE ILLICITE
Dans le cas précédent, l’une des parties était à l’origine de la revendication d’une
contravention au droit de la concurrence devant l’arbitre. Dans celui qui suit, il s’agit d’une
autre situation : celle où l’arbitre lui-même est à l’origine du signalement d'une violation du
droit de la concurrence.
L’application du droit de la concurrence par l’arbitre d’office, fait l’objet d’un vif débat
40
.
Alors que certains auteurs – majoritaires – pensent que l’arbitre est en mesure de relever la
question relative au droit de la concurrence d’office, d’autres s’y opposent en arguant que cela
contrarie la fonction de l’arbitre
41
. Selon ce point de vue, il ne relève pas de la mission de
l’arbitre d'agir comme un juge étatique dont le rôle est quoi qu'il arrive, de faire régner la loi.
Face à cette question complexe, il faut signaler que la perception de l’institution arbitrale joue
un rôle important dans la réponse à l’interrogation, à savoir : l’arbitre a-t-il le pouvoir de se
saisir de la contravention éventuelle au droit de la concurrence de son propre chef ?
Pour apporter une réponse satisfaisante, il est indispensable de se pencher sur la nature de la
mission de l’arbitre et sa qualification. Certains lui attribuent la qualification juridictionnelle
car il dit la loi. Le fait que l’arbitre ne détienne pas de pouvoir public ne l’empêche pas
d’exercer une fonction juridictionnelle. En effet, « la conception de la justice qui permet
d’expliquer qu’un juge privé, investi seulement par la volonté des parties, puisse rendre un
acte juridictionnel repose sur une dissociation entre la justice et le pouvoir. Plus exactement,
il est nécessaire de se rendre compte que rendre la justice n’est pas l’expression d’un pouvoir
entendu ici comme synonyme de pouvoir régalien ou dérivé de la force publique. La justice
40
CISOTTA (R.), « Some considerations on arbitrability of competition law disputes and powers and duties
of arbitrators in applying EU competition law », in Litigation and Arbitration in EU Competition Law,
Edward Elgar, Cheltenham: UK, Northampton, MA: USA, 2015, pp. 256 et s.
41
Un auteur a soutenu que l’arbitrage est une sorte de transaction : HEUZE (V.), « Une vérité de transaction :
la convention d’arbitrage » : Rev. arb., 2015, pp. 3-48.
39
n’est pas une prérogative de puissance publique. Trancher un litige, exercer la juridictio, ne
doit pas être conçu comme un manifeste de pouvoir. C’est une fonction. En disant le droit,
c’est-à-dire en tranchant un litige en attribuant ou en refusant des droits, un juge ou un
arbitre exerce seulement une fonction juridictionnelle. Il est certes admissible de parler de
pouvoir juridictionnel : le juge et l’arbitre ont le pouvoir de rendre une décision en imposant
celle-ci aux parties »
42
.
En adoptant une telle qualification de l’arbitrage, rien ne s’oppose à ce que l’arbitre relève
d’office une question litigieuse et relative au droit de la concurrence. Sa mission est d'opter
pour la solution la plus appropriée au litige opposant les parties, celle-ci devant être
compatible avec le droit au sens général du terme. Autrement dit, il relève d’office la question
relative au droit de la concurrence pour remplir sa fonction juridictionnelle.
Au demeurant, « le droit de la concurrence est prescripteur de règles d’ordre public. Ces
règles qui sont applicables d’office par le juge, sont invocables par tout co-contractant ou
tiers, et ce à tout stade du procès »
43
. La zone d’arbitrage n'est pas une zone de non droit,
l’arbitre applique un ensemble de règles pour trancher le litige. Autoriser les parties à ne pas
répondre de leurs actes devant la justice étatique ne signifie pas leur permettre d’enfreindre
les politiques étatiques consacrées par des règles impératives, ayant cette qualité dans les
relations internationales comme les règles du droit de la concurrence.
Cette vision pro-étatique se heurte à des notions et règles relevant du droit de l’arbitrage. Se
faisant, l’application du droit de la concurrence d’office par l’arbitre devient délicate. La
convention d’arbitrage constitue un obstacle ; le droit choisi par les parties pour régir leur
litige en constitue un autre ; l’acte de mission en constitue un troisième. Ces obstacles ont
pour effet d’affecter la validité de la sentence arbitrale, dans la mesure où la volonté des
parties est contredite. C’est la raison pour laquelle prendre position par rapport à l’office de
l’arbitre, nécessite de ne pas ignorer les autres dimensions de l’arbitrage.
42
RACINE (J.-B.), « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », op. cit., 2005, pp.
346-347.
43
BELLET (J.-F.) et PETIT (N.), « Le droit de la concurrence : Précautions utiles lors de la rédaction d’un
contrat de distribution », in Actualité en matière de rédaction des contrats de distribution, Bruylant, 2014,
p. 39.
40
Il est utile de signaler que l’arbitre aborde la violation du droit de la concurrence selon les cas.
Plusieurs facteurs pourront l’influencer dans l’application ou non, du droit de la concurrence.
En effet, l’arbitre qui décide de sanctionner un contrat contraire au droit de la concurrence,
doit le faire selon le contexte de la violation. Cela veut dire qu'il est en capacité de décider de
maintenir de sa compétence, après la constatation d'une contravention au droit de la
concurrence en général ou la constatation d’une entente, en particulier. Cette viabilité est liée
à la notion d’autonomie de la clause compromissoire qui en principe, est autonome par
rapport au contrat principal. Or dans certains cas, la séparation de deux conventions peut
s’avérer contre-productive.
Il y a deux possibilités par rapport au pouvoir de l’arbitre de déclarer la nullité d’un contrat
contraire au droit de la concurrence. La première consiste à dire que l’arbitre n’a la possibilité
de déclarer la nullité d'un contrat que si l'une des parties la demande. Si l’arbitre procède à
l’annulation du contrat contraire au droit de la concurrence sans qu’il y ait une demande en ce
sens, formulée par l’un des plaideurs, sa sentence sera entachée de l’ultra petita (I). La
deuxième consiste à dire qu’en examinant la situation de l’arbitre sous un autre angle, il sera
contraint de prononcer la nullité d'un contrat lorsque celui-ci contreviendra à l’intérêt légitime
d’un Etat donné (II).
§I- L’incidence du principe ultra petita sur le pouvoir de l’arbitre de déclarer la nullité
du contrat
Lorsque la notion de la volonté des parties est évoquée en matière arbitrale, il n’est pas aisé de
comprendre immédiatement la phase d’arbitrage à laquelle il est fait référence. La volonté des
parties est exprimée lors de la rédaction de la clause d’arbitrage et de l’acte de mission de
l’arbitre et elle décide de la loi applicable au contrat. D'ailleurs, elle pourrait prendre une
forme négative lorsque les parties s’abstiennent délibérément, d'y inclure la violation du droit
de la concurrence, pour échapper à la sanction civile devant l’arbitre. Ce dernier cas est plus
fréquent lorsqu’il y a présence d’une entente illicite.
Il s’agit désormais d’examiner les arguments liés à l’attitude des parties, pour étayer
l’incapacité de l’arbitre à déclarer la nullité d’un contrat contraire au droit de la concurrence,
si aucune demande n’a été formulée en ce sens par l’une des parties. De fait, l’arbitre se
trouve dénué de tout pouvoir de déclarer la nullité du contrat illicite (A). Pour contrecarrer
41
cette abstention de la part des plaideurs, l’arbitre a des moyens à sa disposition, lui permettant
de ne pas valider un contrat illicite, du fait qu’il est contraire au droit de la concurrence (B).
A/ Le pouvoir de l’arbitre de déclarer la nullité du contrat est entravé par la passivité des
parties
La volonté dans les matières contractuelles, est une notion flexible qui permet d’orienter le
raisonnement dans la direction voulue par celui qui raisonne. Elle sera donc utilisée pour nier
à l’arbitre, son pouvoir de soulever une question apte à faire l’objet d’un litige.
La volonté des parties contractantes bénéficie dès le départ d'un contexte idéal en ayant le
pouvoir de choisir la loi qui régira leur contrat. Mais cette possibilité de choix ne suffit pas à
donner à la volonté sa vraie valeur. Il faut donc rendre cette dernière plus forte que la loi
régissant le contrat en faisant du contrat conclu entre les parties, une norme plus forte que le
la loi, en particulier si le litige est assujetti à un arbitre. C'est pour cette raison, qu'il a été
considéré que « devant les arbitres, le droit étatique choisi serait seulement contractualisé
pour compléter ou interpréter le contrat, ou pour le mettre en œuvre »
44
. Cette mise en
infériorité du droit étatique permet au contrat de s’interposer sur le plan du commerce
international, au point de dire que « le contrat est la norme principale et exerce une force
centripète sur les autres sources, essentiellement mobilisées selon leur capacité à aider son
interprétation et sa réalisation »
45
. En d'autres termes, le traitement du contrat diffère en
fonction de la juridiction. C’est dire qu’ « en schématisant, les arbitres sont globalement plus
soucieux du respect du contrat et de la bonne foi. Tandis que les juges étatiques s’estiment
tenus par la loi, les arbitres, eux, ne s’estiment réellement tenus qu’envers le contrat »
46
.
Partant de cette vision référentielle de la volonté, une tendance existe à élargir la marge de
manœuvre dont jouit la volonté et à lui permettre de faire le tri entre les normes. A ce titre,
selon certains auteurs, si les règles de la loi étatique ou non étatique, choisie par les parties,
vont à l’encontre du contenu du contrat, ces règles n’auront pas d’incidence sur leur contrat.
44
LOQUIN (E.), RAVILLON (L.), « La volonté des opérateurs vecteurs d’un droit mondialisé », in La
mondialisation du droit, sous la direction de E. Louquin et C. Kessedjian, Travaux du Centre de recherche
sur le droit des marchés et des investissements internationaux, volume 19, Litec, Dijon, 2000, p. 103.
45
DEUMIER (P.), « Les sources du droit et les branches du droit. A propos d’une conception doctrinale des
sources du droit du commerce international » : Mélanges en l'honneur de Jean-Michel Jacquet, LexisNexis,
Paris, 2013, p. 195.
46
RACINE (J.-B.), « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », op.cit., pp.
320-321.
42
Les parties jouissant d’une liberté de décision sur les règles applicables, elles peuvent écarter
celles qui contrarient leur volonté
47
, faisant en cela une application pure et simple de la
théorie de « l’incorporation matérielle »
48
.
Cette théorie n’est pas sans incidence sur les règles impératives. En effet, la théorie
d’incorporation de la loi choisie par les parties au contrat, a pour conséquence de changer la
nature des dispositions impératives de la loi applicable. Pour les besoins du contrat, elle
dégrade la loi au même rang que les dispositions contractuelles. Cela a pour conséquence de
transformer les dispositions impératives de la loi étatique en de simples règles supplétives
49
.
Cette opération est l’anéantissement des règles impératives étatiques devant l’arbitre.
Le lien entre l’autonomie de la volonté et la théorie de l’incorporation est très étroit. A cet
égard, il a été écrit que « le principe de l’autonomie de la volonté mis en œuvre devant les
arbitres serait nécessairement équivalent au mécanisme de l’incorporation »
50
.
En règle générale, ce courant de pensée amène à constater que la loi choisie par la volonté des
parties, ne saurait modifier les dispositions incluses dans le contrat et dictées par la volonté
des parties. A fortiori, l’arbitre ne peut imposer un point litigieux de façon autoritaire aux
parties à l’arbitrage. S'il le faisait, il mépriserait leur volonté d’opter pour la non-introduction
des questions relatives aux politiques étatiques dans leur litige. En d’autres termes, que les
parties décident de l’étendue du litige, détermine le champ d'action de l’arbitre.
Ce courant de pensée entraîne d’autres conséquences, notamment lorsque les parties ne
choisissent pas de loi spécifique pour régir leur contrat (fait rare en pratique). Dans ce cas, il
revient à l'arbitre de faire appliquer la loi la plus appropriée, mais qu'entend-on par-là ?
Les liens les plus étroits qu’entretient le contrat avec une loi donnée ne suffissent pas à la
désigner, voire ne conduisent pas à appliquer la loi la plus appropriée
51
. De même, la loi qui
47
LOQUIN (E.), RAVILLON (L.), « La volonté des opérateurs vecteurs d’un droit mondialisé », op. cit., pp.
102-103.
48
MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) »: Collected
Courses of The Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, 2003, p.
171.
49
idem, p. 163.
50
LOQUIN (E.), RAVILLON (L.), « La volonté des opérateurs vecteurs d’un droit mondialisé », op. cit., p.
103.
51
MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) », in Collected
Courses of The Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, 2003, p.
172.
43
conduit à l’inefficacité du contrat n’est pas la loi appropriée
52
. Il faut retenir la loi qui
convient aux parties du contrat en leur étant la plus utile. C'est cette loi qui s’avérera la plus
appropriée
53
. L’utilité dans ce sens peut correspondre à la validité du contrat examiné par
l’arbitre. Ceci est particulièrement important pour les opérateurs du commerce international
contribuant à construire un « marché globalisé »
54
. C’est donc la loi la plus permissible qui
s’applique.
Etant donné ce qui précède, il semble évident que la loi entraînant la nullité du contrat n’est
pas pertinente. Par conséquent, l’arbitre n’est pas en mesure d’opter pour une loi invalidant le
contrat. On peut dire également que le pouvoir de l’arbitre de soulever d’office la contrariété
du contrat au droit de la concurrence n’est pas compatible avec son enclin à faire échapper le
contrat à toute emprise étatique remettant en question la structure contractuelle élaborée par
les parties contractantes. D’autant plus que l’« on observera que les arbitres ont tendance à
éluder la norme impérative qui est simplement étatique, lorsqu’elle vient bouleverser une
solution purement contractuelle »
55
.
Si l’arbitre peut relever d’office le moyen d’ordre public, cela pourrait impliquer qu’il le fasse
en dehors de la loi choisie par les parties pour régir leur contrat. Puisque le droit de la
concurrence est considéré comme une loi de police, l’arbitre a à ce titre, la possibilité de lui
donner effet, alors qu’elle n'a pas été choisie par la commune volonté des parties.
Le mécanisme de loi de police se heurte à la notion d’autonomie de la volonté et les parties à
l’arbitrage ne conçoivent que l’application de la loi d’autonomie. Si l’arbitre leur impose une
autre loi, il détourne leur attente légitime.
La notion d’attente légitime est considérée comme une base suffisamment solide pour
respecter l’application de la loi d’autonomie. Elle joue un rôle important dans la
52
LOQUIN (E.), RAVILLON (L.), « La volonté des opérateurs vecteurs d’un droit mondialisé », op. cit., p.
104.
53
MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) », op. cit., p.
172.
54
LOQUIN (E.), RAVILLON (L.), « La volonté des opérateurs vecteurs d’un droit mondialisé », op. cit., p.
104.
55
FADLALLAH (I.), « L’ordre public dans les sentences arbitrales (Volume 249) »: Collected Courses of
The Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, 1994, p. 397.
44
détermination de la loi applicable « dans le système fonctionnaliste »
56
et la réduction des cas
de nullité fait partie de ses enseignements. « C’est parce qu’elle a pour objectif de développer
les échanges que l’attente doit être prise en considération»
57
. Il est communément admis que
l’autonomie de la volonté reconnue dans le choix de la juridiction mais aussi dans la loi
applicable, est une grande source de sécurité juridique, à condition que ce choix soit libre et
effectué en connaissance de cause
58
.
Ce mode de raisonnement a été adopté par des arbitres : l'un d'eux s’est ainsi abstenu
d’examiner la validité d’un contrat sous l’angle du droit européen de la concurrence, en
avançant qu’il ne saurait modifier la volonté des parties à l’arbitrage. Dans cette affaire
59
, un
contrat de distribution avait été conclu entre un concédant américain et un distributeur
allemand. Plus tard, le concédant avait décidé de rompre le contrat car le distributeur ne payait
plus les factures, ce dernier estimant que les produits reçus n'étaient pas conformes au contrat.
Soulevant une exception de compensation, il a ajouté que l’autre partie n'avait pas respecté la
clause d’exclusivité territoriale.
Lorsque la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, a
examiné le projet de la sentence, elle a attiré l’attention de l’arbitre sur la possibilité d’une
violation éventuelle du droit européen de la concurrence et dans ce cas, il fallait inviter les
parties à s’exprimer sur ce point.
L'arbitre n’a pas suivi cet argument, se prévalant de l’acte de mission : aucune des parties ne
lui ayant demandé d’examiner le contrat sous cet angle, il ne pouvait soulever cette éventuelle
violation d’office et se devait d'appliquer le droit de l’Etat de l’Illinois choisi par les parties.
Le fait que le droit allemand et le droit européen soient potentiellement non respectés,
n’emportait pas la conviction de l’arbitre. De son point de vue, soulever une telle question
56
MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) », op. cit., p.
189.
57
idem.
58
GAUDEMENT-TALLON (H.), « L’autonomie de la volonté : jusqu’où ? » : Mélanges en l’honneur du
professeur Pierre Mayer, LGDJ, Paris, 2015, p. 261.
59
Sentence arbitrale partielle CCI, aff. n° 7707, 1995, (lieu de l’arbitrage : New York – droit applicable : droit
américain), inédite, citée par TRUONG (C.), Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de
distribution dans les sentences arbitrales CCI, Litec, Paris, 2002, p. 121.
45
d’office, aurait modifié l’accord des parties sans leur autorisation. Or, la crainte de statuer en
ultra petita n’est pas de nature à justifier la décision de l’arbitre selon un auteur
60
.
En cherchant des justifications de la primauté de la volonté des parties à l’arbitrage, il apparaît
que les politiques étatiques sont impliquées. Il n’est pas rare de voir des textes législatifs
prônant un libéralisme accordé aux parties à l’arbitrage. En effet, la tendance des arbitres
d’obéir à la volonté des parties, même s'il y a un risque de ne pas respecter les règles
impératives, ne vient pas seulement des arguments relatifs à la prospérité du commerce
international, mais aussi de la volonté des Etats à travers leurs législations arbitrales. Lorsque
les législations étatiques permettent aux tribunaux étatiques de vérifier que l’arbitre ne
dépasse pas les limites de sa mission, elles établissent une barrière infranchissable avec les
arbitres. En suivant ce raisonnement, si un arbitre va contre la volonté des parties à l’arbitrage
en prononçant la nullité du contrat, il sera censuré par les tribunaux étatiques.
De fait, abandonner la compétence de reconnaître des litiges internationaux à des arbitres,
contribue à affaiblir l’imposition des règles impératives par les Etats. Au demeurant,
l’internationalité du litige a également contribué à libérer les opérateurs de commerce
international de l’impératif. A ce propos, « en dépit des difficultés extrêmes que soulève la
définition du domaine de la liberté des parties par la seule référence à l’internationalité du
contrat, cette distinction sert toujours en effet à légitimer, une fois franchies les frontières de
l’Etat du for, la faculté des parties de mettre à l’écart des dispositions dont l’impérativité ne
se justifierait que dans des situations totalement intégrées à la sphère de compétence de celui-
ci. L’argument relève plus du dogme que du raisonnement »
61
.
Il est frappant de constater la contradiction qui réside entre la demande faite à l’arbitre de
respecter l’intérêt étatique et en même temps, continuer à restreindre ses pouvoirs dans la
sanction du contrat illicite, notamment en le privant de statuer ultra petita.
Ayant pris en compte toutes ces considérations, peut-on conclure que l’arbitre n’a pas les
moyens de mettre en évidence une violation du droit de la concurrence et en particulier
60
TRUONG (C.), Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les
sentences arbitrales CCI, Litec, Paris, 2002,, pp. 121-122.
61
MUIR WATT (H.), « Aspects économiques du droit international privé : Réflexions sur l’impact de la
globalisation économique sur les fondements des conflits de lois et de juridictions » : Collected Courses of
The Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, 2004, p. 125.
46
déceler une entente prohibée ? Il convient désormais de mettre en lumière un autre point de
vue.
B/ Les moyens permettant à l’arbitre de se libérer de la passivité des parties
L’autonomie de la volonté des parties doit être largement reconnue au sein de l’arbitrage, à
condition que cette notion ne dépasse pas les cadres légaux. Sur ce constat, il a été
envisageable de promouvoir l’autonomie de la volonté dans l’arbitrage, tout en permettant à
l’arbitre d’intervenir dans certaines situations, afin que l’arbitrage préserve ses qualités en
général et son développement dans le commerce international en particulier.
L’autonomie de la volonté de l’arbitre, est l’arsenal qui protège son pouvoir d’intervenir
efficacement dans le déroulement de l’arbitrage. Il peut par exemple, introduire un point dans
les débats que les deux parties à l’arbitrage n’entendaient pas introduire ou avaient oublié.
L’arbitre doit avoir la possibilité de jouer un rôle positif dans la résolution du litige et les
arguments militant en faveur de ce rôle sont nombreux. Il a été vu que la volonté des parties
exprimée lors de la rédaction de l’acte de mission de l’arbitre, n’est pas la même volonté
exprimée lors de la conclusion du contrat principal. Ainsi, « un mouvement se dessine
cependant depuis quelques années en faveur de l’application par les arbitres internationaux
de la méthode des lois de police. On fait valoir que, si la volonté des parties s’impose à
l’arbitre, il s’agit seulement de celle qui définit la mission qu’il accepte, et non celle qui s’est
exprimée dans le contrat litigieux qui lui est soumis. Dès lors que l’une des parties conteste la
validité ou la pleine efficacité d’une clause de ce contrat, apparait un élément du différend,
que l’arbitre doit trancher »
62
.
Une autre notion relative à la volonté des parties peut apparaître pour accorder à l’arbitre la
faculté de soulever une question de son propre chef : la volonté implicite. En effet, lorsque les
parties confient à un tribunal arbitral le pouvoir de trancher un litige, elles concluent un
accord implicite, en vertu duquel la sentence arbitrale doit être apte à recevoir l’exequatur.
L'arbitre ne peut répondre à cette attente que s'il bénéficie des moyens juridiques le lui
permettant, y compris celui de signaler une violation du droit de la concurrence.
62
MAYER (P.), « La protection de la partie faible en droit international privé », in La protection de la partie
faible dans les rapports contractuels, comparaison franco-belge, LGDJ, 1996, p. 550.
47
L’arbitre est doté d’une expertise et d'une compétence certaines dans le domaine sur lequel il
a à se prononcer. En trouvant un point d’équilibre au sein de l’arbitrage, après avoir entendu
les arguments des parties, il a le dernier mot. L’arbitre n'est pas un juge privé qui statue à
partir des arguments présentés par les parties. C'est un juge privé qui impose sa compétence et
son expertise qu’il utilise dans son arbitrage dès que les parties décident de conférer la
résolution du litige à l’arbitrage. Il prendra soin de donner à chaque partie, la possibilité de
s’exprimer sur les points qu'il entend utiliser pour fonder l’issue du litige
63
.
Parallèlement, il est dans l’intérêt des parties que la sentence soit compatible avec
l’environnement juridique dans lequel elle va prendre place, notamment au niveau européen :
« It is ultimately in the parties’ interest to obtain an enforceable award that is in compliance
with the prevailing EU competition law provisions »
64
.
Le lieu de l'arbitrage est effectivement une autre dimension arbitrale à prendre en compte, car
il informera sur la culture juridique dont l’arbitre est issu et expliquera le choix du système
inquisitoire ou accusatoire pour lequel il opte. Au Royaume-Uni par exemple, le système
accusatoire tel que les juristes le pratiquent, prive les parties des connaissances de l’arbitre.
En effet, dans le droit anglais de l’arbitrage, un article permet aux parties de contrôler le
pouvoir de l’arbitre et d’atténuer l’emprise du système anglo-saxon, lorsqu’il s’agit d’établir
et de vérifier les faits et le droit, en se basant sur sa propre initiative. L’Arbitration Act de
1996 dans sa section 34 intitulée « Procedural and evidential matters» prévoit que « (1) It
shall be for the tribunal to decide all procedural and evidential matters, subject to the right of
the parties to agree any matter. (2) Procedural and evidential matters include: (g) whether
and to what extent the tribunal should itself take the initiative in ascertaining the facts and the
law ».
Ce texte législatif prend en considération l’importance de donner à l’arbitre, un pouvoir
discrétionnaire pour se prononcer sur le litige. Par ailleurs, l’absence d’un accord des parties
allant à l’encontre de cette faculté arbitrale ne laisse aucun doute sur la faculté de l’arbitre à
apporter au débat, une question qui pourrait être jugée par les parties, étrangère à leur litige.
63
BLANKE (G.), « EU Competition Arbitration in England and Wales: Some notes on practice and
procedure: Part 2 »: GCLR, 2012, 5 (2), paragraph 78.
64
BLANKE (G.), « The Interaction Between Arbitration and Public Enforcement: Clash or Harmony? », op.
cit., p. 278.
48
Le fait que le droit anglais contient une telle disposition prouve l’utilité d’un rôle positif de
l’arbitre dans la résolution de certains litiges. Ce rôle arbitral est compatible avec le droit de la
concurrence. En effet, l’implication du droit de la concurrence ne justifie pas la préférence du
système accusatoire. Cela signifie que l’approche inquisitoire assure une application
satisfaisante du droit de la concurrence, d’autant plus que ce dernier relève de la matière
technique
65
.
Selon certains, l’arbitre peut être à l’origine de l’application du droit de la concurrence, si
celui-ci fait partie du droit applicable désigné par les parties de façon assez générale, c’est-à-
dire, sans apporter plus de précision
66
. Il est vrai qu'« en principe, la loi désignée par les
règles ordinaires de conflit doit être prise dans son ensemble, sans distinction, y compris les
règles ayant le caractère de lois de police ou d’application immédiate. Il y va de l’unité de
l’ordre juridique en cause »
67
. De la même façon, les règles de police de la loi contractuelle
ne peuvent être écartées que s’il existe une règle complémentaire du droit commun y figurant
et contenant la solution du litige. Dans le cas inverse, les règles de police s’appliquent
nécessairement
68
.
Néanmoins, cette position a déjà été contredite par recours à l’interprétation de la volonté des
parties, arguant que le choix de la loi régissant le contrat, ne signifie pas que l’ensemble des
règles incluses dans celle-ci, soit applicable. Sur la base de l’autonomie de la volonté, ce sont
d'ailleurs des règles contraignantes qui ne trouvent pas à s’appliquer
69
. L'autonomie donne sa
légitimité à la loi choisie et ne peut, par la suite, subir une quelconque disposition allant à son
encontre. Autrement dit, lorsque les parties choisissent une loi applicable, « ce n’est pas
l’ensemble de l’ordre juridique qui est rendu applicable »
70
, faciliter en cela par l'idée que
65
BLANKE (G.), « EU Competition Arbitration in England and Wales: Some notes on practice and
procedure: Part 2 », op. cit., paragraph 78.
66
Voir: CISOTTA (R.), « Some considerations on arbitrability of competition law disputes and powers and
duties of arbitrators in applying EU competition law », op. cit., p. 258.
67
NUYTS (A.), « L’application des lois de police dans l’espace réflexion au départ du droit belge de la
distribution commerciale et du droit communautaire » : Rev. crit. DIP, 1999, p. 31, spéc., point 23.
68
idem, p. 31, spéc., point 26.
69
En ce sens : MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) »,
op. cit., pp. 153-154.
70
MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) », op. cit., p.
154.
49
pour « éloigner le contrat des contraintes étatiques, la volonté doit avoir préséance sur la
loi »
71
.
Le risque encouru par l’adoption d’une telle méthode est flagrant : à force de plaider pour une
règle matérielle, en vertu de laquelle le contrat international conclu par les parties ne peut se
voir invalider par l’application de la loi choisie, apparaît le risque non négligeable que les
intérêts étatiques ne soient plus respectés. Par elle, le contrat doit survivre coûte que coûte,
même s’il constitue une violation évidente des intérêts étatiques
72
.
Quoi qu’il en soit, il semble que l’arbitre soit la clé pour résoudre cette question controversée.
C’est la raison pour laquelle, il est préférable de lui accorder la possibilité de jouer un rôle
positif dans le règlement des litiges, même si ce rôle est jugé très incompatible avec la
fonction d’un juge privé.
Il semble également que l’arbitrage sache distinguer et concilier deux idées différentes :
l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle
73
, en retenant que « la liberté
contractuelle s’exerce toujours dans les limites de la loi »
74
. En outre, lorsque l’arbitre
applique une loi de police, il ne croit pas à l’autonomie de la volonté en dehors de toute
contrainte. Il procède à concilier les deux idées, en appliquant la loi choisie par les parties,
aux effets produits de l’intervention de la loi de police.
Deux situations sont susceptibles de se présenter devant l’arbitre, lorsqu’il mesure sa
compétence vis-à-vis d’un contrat dont l’illicéité ne fait pas de doute. Soit il constate que les
parties organisent leur entente, sans compter contester sa compétence et recourent à lui pour
résoudre les conflits entravant sa mise en œuvre ; face à cette situation, l'arbitre doit trouver
une solution pour ne pas valider leur contrat. Soit il constate que l’une des parties fait entrer
71
idem.
72
idem, p. 186.
73
« qu’on parle de "liberté contractuelle", rien de plus légitime, mais qu’on prétende la volonté autonome,
c’est-à-dire affranchie de toute contrainte extérieure, voilà qui est aussi injustifiable philosophiquement
que politiquement et économiquement. La volonté est libre dans le domaine où le législateur n’est pas
intervenu : c’est la distinction classique des lois impératives et des lois facultatives ou supplétives ; elle
vaut en droit interne, pourquoi disparaîtrait-elle en droit international ? Il faudra, dans l’avenir, limiter en
droit international la liberté de choisir entre différentes lois au domaine que la loi applicable d’office en
matière impérative veut bien abandonner à la liberté des parties. » : BATIFOL (H.), Les conflits de lois en
matière de contrats : Etudes de droit international privé comparé, Sirey, Paris, 1938, p. 11.
74
MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) », op. cit., p.
155.
50
dans le débat un point litigieux, sans invoquer son lien avec le droit de la concurrence et
l’arbitre décide de l’examiner sous l’angle de ce droit. Ce faisant, l’ultra petita ne peut lui être
reproché. Ces deux situations entraînent deux conséquences distinctes. La première est que le
principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage devient inopérant, ce qui correspond à la
première situation (1°). La seconde est que le principe de l’autonomie de la convention
d’arbitrage reste opérant (2°).
1°- L’autonomie inopérante de la clause compromissoire
La question de savoir si l’arbitre peut déclarer d’office la nullité du contrat sur lequel il se
prononce parce qu’il est contraire aux dispositions de l’ordre public, ne cesse pas de se poser
en différentes hypothèses. Si la réponse est en général positive, le risque se profile de finir par
imposer une réponse qui ne correspond pas toujours à la réalité. En effet, s'il est admis que
l’arbitre n’a pas le pouvoir de déclarer d’office, la nullité d’un contrat contraire au droit de la
concurrence, il lui est par contre donné la possibilité de déclarer son incompétence pour
trancher le litige. Certes, la compétence de l’arbitre dépend de la volonté des parties, mais,
une fois cette compétence est établie, il n’est pas obligé de trancher à leur guise, le litige les
opposant. Cette autonomie dont jouit l’arbitre, constitue une compensation pour équilibrer le
fait qu’il ne pourrait pas prononcer la nullité du contrat, sans être sollicité par l’une des
parties. Cependant, il est permis à l’arbitre de faire allusion à la nullité du contrat principal.
En effet, en déclarant la nullité de la clause compromissoire, il fait référence à la forte
probabilité de la nullité du contrat principal qui constitue l’objet de la clause compromissoire.
Cela veut dire que l’arbitre va cesser d’appliquer la notion de l’autonomie de la clause
compromissoire, par rapport au contrat principal. Plus précisément, l’arbitre fait étendre la
nullité supposée du contrat principal à la clause compromissoire et décline en conséquence, sa
compétence.
Ce raisonnement peut être néanmoins nuancé à travers l’affaire suivante. Dans un contrat qui
constituait une violation de l’article 81 du Traité instituant la Communauté européenne
[actuellement 101 § 1 du TFUE], le problème s’est posé. Ce contrat est une application
exemplaire de la notion d’entente, dont l’objet et l’effet sont l’incarnation d’une entente
prohibée par le droit européen de la concurrence. Le tribunal arbitral chargé de se prononcer
sur une violation des dispositions du contrat, s'est trouvé dans une situation délicate car
aucune des parties litigantes (deux sociétés néerlandaises) ne demandait au tribunal de
51
prononcer la nullité du contrat, alors qu’il était contraire à l’article 101 § 1 du TFUE. Ce
contrat de distribution était exclusivement réservé aux membres participant à l’opération
économique. Lesdits membres étaient les « importateurs établis aux Pays
-
Bas, d’un certain
produit Z ("dits importateurs Z"), les usagers-consommateurs hollandais du produits
("consommateurs Z") et les agents de producteurs et exportateurs étrangers ("agents Z") pour
la réglementation de l’importation et de la vente de Z sur le marché hollandais. Le contrat
n’était ouvert qu’à ceux admis par les membres existants. Les membres ne devaient traiter
qu’avec d’autres membres. Un importateur Z avait été mis à l’amende par l’autorité
contractuelle compétente pour avoir acheté directement à une entreprise belge des Z russes
déjà importé dans la CE. L’importateur fit appel contre la perception de l’amende et le
contrat stipulait qu’aux fins d’appel il convenait de s’adresser à des arbitres »
75
.
Les arbitres s’étant effectivement saisis du litige, ont constaté que la nullité du contrat n’avait
été demandée par aucune des parties. Le même constat s’est imposé à l’égard de la
compétence des arbitres, dans la mesure où aucune partie n’a contesté leur compétence. Or,
ces constats n’empêchaient pas les arbitres de faire allusion à la nullité du contrat, du seul fait
qu’il contrariait l’article 81 CE (actuellement 101 § 1 du TFUE). De surcroît, les arbitres se
sont d’emblée penchés sur une autre question très importante : la validité de la clause leur
attribuant la compétence de connaître du litige. Ils ont considéré que la clause compromissoire
ne pouvait être séparée du contrat principal et que l’autonomie de la clause ne trouvait pas à
s’appliquer, car celle-ci à l’instar du contrat principal, était destinée à violer le droit de la
concurrence. Le même vice qui atteignait le contrat principal s’étendait à la clause
d’arbitrage
76
. Selon M. Mayer « Certes, en raison de son autonomie, cette clause n’est pas
nécessairement atteinte par la nullité qui frappe la convention dans laquelle elle est insérée,
mais il en est autrement lorsqu’elle n’apparaît que comme une modalité de mise en œuvre des
dispositions contractuelles contraires au droit de la concurrence »
77
. En fin de compte, les
arbitres ont déclaré leur incompétence et se sont abstenus de trancher le litige.
75
SCHULTSZ (J.-C.), « Rapport sur les pouvoirs et obligations des arbitres », in Competition and
Arbitration Law, International Chamber of Commerce, Paris, 1993, p. 223.
76
Sentence arbitrale, 22 juillet, 1964, inédite, citée par SCHULTSZ (J.-C.), « Rapport sur pouvoirs et
obligations des arbitres », in Competition and Arbitration Law, International Chamber of Commerce, Paris,
1993, p. 224.
77
MAYER (P.), propos cité par SCHULTSZ (J.-C.), « Rapport sur pouvoirs et obligations des arbitres », in
Competition and Arbitration Law, International, Chamber of Commerce, Paris, 1993, p. 224.
52
Ceci dit, l’arbitre a dénoncé le contrat principal sans aller jusqu’à le déclarer nul, car il aurait
fallu que l'une des parties au moins, fasse cette demande de nullité. Le tribunal arbitral a fait
allusion à la nullité du contrat principal et ce, en déclarant la nullité de la clause
compromissoire et en faisant le lien entre cette dernière et le contrat principal. En effet,
l’arbitre a déclaré la nullité de la clause d’arbitrage puisque son objet était illicite. Etant donné
que la même illicéité entachait le contrat principal, l’arbitre a renvoyé le contrat principal à la
nullité, sans pouvoir en tirer les conséquences qui s’imposaient.
La raison pour laquelle pouvoir est donné à l’arbitre de déclarer son incompétence, est
concrète : la non instrumentalisation de l’arbitrage à des fins illicites, donc illégales. Cette
mesure a été expliquée à l’égard du droit européen de la concurrence en général et les ententes
prohibées en particulier, par un auteur lorsqu’il écrit « in keeping with their obligations under
EU law, contracting parties must not abuse their recourse to arbitration in order to
circumvent the application of EU competition law to disputes between them, nor may an
arbitrator – who arguably qualifies as an "undertaking" within the meaning of EU law –
enforce EU competition law violations through a non-compliant award without attracting
liability for complicity in illicit cartel activities or facilitating the circumvention of the EU
competition law rules more generally »
78
.
Il arrive que l’autonomie de la clause compromissoire ne soit pas remise en cause parce que
l’opération économique sur laquelle se prononce l’arbitre, n’est pas entièrement élaborée dans
le but de détourner le droit de la concurrence. Même s'il y a contravention au droit de la
concurrence à travers une entente illicite.
2°- L’autonomie opérante de la clause compromissoire
Si personne ne demande la déclaration de nullité du contrat, la déclaration de l’incompétence
de l’arbitre peut être retenue. C’est la position prise par M. Mayer lorsqu’il écrit que
« l’arbitre ne peut pas prononcer la nullité [du contrat illicite], parce que personne ne le lui
demande ; ce serait statuer ultra petita. S’il était un juge étatique, il pourrait au moins
refuser de condamner à exécuter, parce qu’un juge étatique ne doit pas ordonner un
comportement contraire à l’ordre public. Dans le cas de l’arbitre, le principal dispositif est
78
BLANKE (G.), « The Interaction Between Arbitration and Public Enforcement: Clash or Harmony? », op.
cit., p. 264.
53
plus exigeant : si les parties ont voulu exclure des débats la question de la licéité, l’arbitre ne
peut pas l’y introduire. Néanmoins, je ne vois pas l’arbitre – du moins je ne voudrais pas le
voir – ordonner l’exécution d’un contrat qu’il sait manifestement illicite, […]. Il ne lui reste
qu’une seule issue : se déclarer incompétent. Le fondement de cette incompétence n’est pas
difficile à trouver, l’objet du compromis tend à l’exécution d’un contrat illicite, donc cet objet
lui-même est illicite et le compromis est nul, donc l’arbitre est incompétent »
79
.
Par ailleurs, l’arbitre peut saisir l’occasion la plus opportune pour affirmer sa compétence
sans se voir reproché l’ultra petita. Dans le cas du droit de la distribution par exemple qui
entretient des liens étroits avec le droit de la concurrence, ce dernier s’oppose à ce que l’une
des parties au contrat de distribution, obtienne de son cocontractant un bénéfice sans
contrepartie. Ainsi, « si l’une des parties demande à l’arbitre de constater qu’une redevance
n’est pas due, – au motif, d’après cette partie qu’un contrat de distribution n’est jamais entré
en vigueur – l’arbitre peut très bien prendre la décision qui lui est demandée en constatant la
nullité du contrat au regard du droit de la concurrence. Sa décision ne sera pas ultra petita.
L’arbitre devra bien entendu, appeler les parties à se déterminer sur ce moyen soulevé
d’office. […] Mais un arbitre invité par les parties à se prononcer sur l’assiette de cette
redevance que les deux parties estimeraient due sans s’entendre sur son montant, ne pourrait
déclarer qu’elle ne l’est pas en raison de l’illicéité du contrat. Ce faisant, il dépasserait les
limites de sa mission et statuerait ultra petita. Dans cette dernière hypothèse, de même
lorsque la convention d’arbitrage lui interdit de se prononcer sur la validité du contrat,
l’arbitre n’a d’autre solution que de se déclarer incompétent »
80
.
Il peut être déduit de ce raisonnement que l’arbitre doit distinguer deux situations. D’une part,
si aucune des parties ne conteste la validité de leur accord principal, l’arbitre aura des
difficultés à fonder sa compétence pour prononcer la nullité du contrat. Dans ce cas, il se
déclare incompétent pour ne pas participer à la violation des politiques étatiques. D’autre part,
si l’arbitre constate en revanche, que l’une des parties remet en cause l’objet de leur contrat
principal, sans invoquer l’application droit de la concurrence, il aura parfaitement la
compétence de déclarer sa nullité en se référant au droit de la concurrence, à condition que la
clause compromissoire ne limite pas cette compétence. En un mot, la déclaration de nullité du
contrat principal est le gage de la volonté des parties, voire de l’une des parties, alors que la
79
MAYER (P.), « Le contrat illicite » : Rev. arb., n° 2, 1984, pp. 215-216.
80
DERAINS (Y.), « Rapport sur les pouvoirs et obligations des arbitres », op. cit., p. 256.
54
déclaration d’incompétence relève de la liberté de l’arbitre et n’est conditionnée à aucune
demande.
Reste un point essentiel dans le pouvoir de l’arbitre de prononcer son incompétence : l’arbitre
doit informer les parties de sa décision avant de l’annoncer. Cette mesure reconnaît que « les
arbitres ne devraient pas prendre les partis au dépourvu en statuant sur des problèmes de
droit de la concurrence, mais donner aux parties l’occasion de se prononcer avant que toute
décision ne soit prise »
81
. Si par exemple l’arbitre décide de déclarer son incompétence parce
qu’un droit de la concurrence a été enfreint par les parties, il est dans l’obligation de leur
expliquer qu’il se trouve être incompétent pour trancher leur litige. Alors, il est tout à fait
envisageable que les parties lui donnent l’autorisation de se prononcer sur la violation du droit
de la concurrence qu'il aura constatée. Ce faisant, il ne surprend pas les deux parties à
l’arbitrage et il remplit une obligation professionnelle relative à la fonction de l’arbitre.
L’institution arbitrale est conçue pour répondre aux besoins des opérateurs de commerce
international et il est logique de réduire autant que faire se peut les situations dans lesquelles
l'arbitre prononce son incompétence.
L’autonomie de la clause d’arbitrage par rapport au contrat principal, ne met pas un terme à
l’emprise de la volonté des parties exprimée lors de la rédaction de cette clause. Bien que la
clause d’arbitrage bénéficie d'une autonomie vis-à-vis du contrat principal, d’autres difficultés
peuvent empêcher l’arbitre de posséder le plein contrôle. Tel est le cas lorsque les parties
restreignent le pouvoir de l’arbitre : « Ainsi, si la convention d’arbitrage confie la compétence
de l’arbitre "aux difficultés relatives à l’interprétation du contrat", l’arbitre ne pourra statuer
sur une demande tendant au prononcé de la nullité du contrat en vertu du droit de la
concurrence »
82
. Pour autant, cela n’oblige pas l’arbitre à interpréter les dispositions d’un
contrat contraire au droit de la concurrence. Il peut déclarer son incompétence dès qu’il se
rend compte de l’illicéité du contrat.
Il découle de tous ces arguments que la volonté des parties à l’arbitrage et de l’arbitre joue un
rôle notable dans le règlement des litiges touchant aux politiques étatiques de concurrence.
81
BOCKSTIEGEL (K.), « Rapport sur les pouvoirs et obligations des arbitres », op. cit., p. 206.
82
DERAINS (Y.), « Rapport sur les pouvoirs et obligations des arbitres », op. cit., pp. 255-256
55
A ce qui précède, il faut ajouter un élément qui influence l’estimation et l’appréciation de
l’arbitre : les intérêts étatiques et l’effet qu’ils peuvent avoir dans le bouleversement de
l’institution arbitrale. Ces intérêts imposent aux arbitres de sortir de toute limite naturelle
entourant leur compétence et leur mission.
§II- Le pouvoir de l’arbitre de déclarer la nullité est dicté par les intérêts étatiques
L’invocation d’office de l’application du droit de la concurrence n’est pas une option pour
l’arbitre mais une obligation. Il a été vu que l’autonomie de l’arbitre lui permet d’introduire
au débat une question relevant du droit de la concurrence et si les parties à l’arbitrage refusent
d’en débattre, il doit déclarer son incompétence. Il s’agit désormais de tenter de démontrer
que la déclaration de la nullité d’un contrat illicite, ne doit pas être suspendue à l’invocation
de cette nullité par l’une des parties à l’arbitrage.
La reconnaissance de l’arbitrabilité des matières relevant de l’ordre public implique le devoir
de l’arbitre de considérer les intérêts légitimes des Etats. Le statut de l’arbitre en tant que juge
privé exerçant une fonction juridictionnelle et n’appartenant à aucun ordre juridique étatique,
lui permet de considérer les intérêts étatiques légitimes avec plus de souplesse qu’un juge
étatique (A). Dès que l’arbitre identifie un intérêt légitime étatique et cherche à le défendre, il
doit faire la part des choses entre l’attente légitime des parties à l’arbitrage et l’attente
légitime de l’Etat en cause (B).
A/ La compatibilité du statut de l’arbitre avec la prise en compte des intérêts étatiques
« L’arbitre a le devoir d’appliquer le droit de la concurrence d’un ordre juridique autre que
celui qui régit le contrat à titre principal, si cette application correspond à un intérêt légitime
de l’Etat dont émane ce droit »
83
. Ces propos indiquent qu’outre la volonté des parties à
l’arbitrage et celle de l’arbitre, il y une troisième dimension à prendre en considération : les
intérêts étatiques. L’arbitre et les parties au contrat international agissent dans un contexte
juridique. Le système arbitral est un système côtoyant les systèmes juridiques étatiques, il y a
donc des interactions entre eux. A ce titre, il est primordial que l’arbitrage n’empiète pas sur
les autres ordres juridiques étatiques au nom de la volonté des parties. L’équilibre entre
83
idem, p. 258.
56
l’arbitrage et les autres ordres juridiques étatiques n’est assuré que si l’arbitre attache de
l’importance aux intérêts étatiques.
Il y a trois raisons relatives au statut de l’arbitre l’incitant à faire respecter les intérêts
étatiques. Tout d’abord, l’autonomie dont jouit l’arbitre ne doit pas être comprise comme
synonyme d’hostilité aux politiques étatiques. En d’autres termes, l’autonomie de l’arbitre est
implicitement limitée par les intérêts étatiques légitimes (1°). Ensuite, la fonction
juridictionnelle exercée par l’arbitre lui impose d’invoquer des questions relatives à l’ordre
public dépassant les intérêts privés des parties et en tirer les conséquences (2°). Enfin,
l’arbitrage est réceptif des notions telles que l’ordre public véritablement international et cette
notion comprend dans ses composants, les intérêts étatiques les plus impérieux comme ceux
dictés par le droit de la concurrence (3°).
1°- L’autonomie de l’arbitre n’est pas synonyme d’hostilité aux politiques étatiques
Il est vrai que le statut de l’arbitre lui permet d’être plus autonome que dans un ordre juridique
étatique particulier. Grâce à cette autonomie, il sera plus engagé dans l’application des lois de
police, n’étant pas un juge étatique tenu de faire respecter les règles impératives relevant de
son propre ordre juridique. L’arbitre est en mesure d’appliquer les lois de police appartenant
aux ordres juridiques étatiques plus aisément qu’un juge étatique. Dans un contexte européen,
l’arbitre applique le droit européen de la concurrence, ce qui à l'évidence, correspond à
l’affirmation de son autonomie, même si c'est l'argument d'« une meilleur conformité des
sentences arbitrales au droit communautaire, noyau dur aujourd’hui de l’ordre public
économique »
84
, qui est avancé.
L’autonomie de l’arbitre ici ne signifie pas la facilité d’écarter des politiques étatiques, mais
plutôt la nécessité d’en tenir compte lorsqu’elles sont légitimes. Cette autonomie correspond à
l’affranchissement de l’arbitre de toute règle de source étatique affectant l’efficacité de la
procédure arbitrale ou visant à imposer des intérêts étatiques dénués de toute légitimité.
L’arbitrage est souvent présenté comme un mode de règlement de litiges détaché des ordres
juridiques étatiques : « la juridiction arbitrale […], de caractère privé et sans lien organique
avec le détenteur de la souveraineté, ne s’insère dans aucun ordre préétabli et jouit d’une
84
RACINE (J.-B.), « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », op. cit., pp.
322-323.
57
parfaite autonomie dans le cadre des règles contractuelles, statutaires ou légales qui la
gouvernent »
85
. Il n’en demeure pas moins que des limites à l’autonomie existent avec les
intérêts étatiques légitimes et que « l’autonomie de l’arbitrage ne se conçoit que limitée par
les intérêts légitimes des Etats [...]. L’arbitrage, en tant que justice parallèle à la justice
étatique, ne doit pas être indifférent et devenir hostile par indifférence aux politiques menées
par les Etats »
86
. Cela veut dire donc que l’autonomie de l’arbitre se traduit par un refus de
prêter main forte à des opérateurs économiques entendant enfreindre des politiques étatiques
légitimes.
Il est indéniable que les Etats tendent à contrôler leur ordre public économique à travers
l’imposition de certaines politiques visant à atteindre certains objectifs. De fait, les Etats ne
renoncent pas à leurs objectifs parce qu'un litige est confié à un tribunal arbitral et les arbitres
ont parfaitement compris l’importance des lois de police parmi lesquelles figure le droit de la
concurrence. Avec le temps, ce droit est de plus en plus pris en considération dans les
sentences arbitrales, ce qui induit la question de l'autonomie et de l'indépendance des arbitres.
Pour certains, « c’est parce que l’arbitrage international est autonome que les arbitres
doivent respecter l’ordre public. Il existe un lien de cause à effet entre les deux orientations.
L’arbitrage ne peut se concevoir comme étant autonome que dans le respect, non pas
scrupuleux le terme serait trop fort, mais attentif de l’ordre public. […] L’arbitrage ne peut
être autonome que dans la mesure du respect de l’ordre public […]. Une vision maximaliste
du respect de l’ordre public se justifie, à la fois devant les arbitres eux même et devant les
juges du contrôle de la sentence »
87
.
L’autonomie de l’arbitrage nécessite l’aptitude de l’arbitre à appliquer une loi de police sans
être obligé de se dessaisir au profit d’un juge étatique à chaque fois qu’une loi de police
s’invite devant lui. Au demeurant, l’autonomie de l’arbitrage exige de l’arbitre de remplir un
rôle important sur la scène internationale. L’arbitre est tenu de contribuer à l’imposition de la
légalité au sein du commerce international, rendant sa légitimité dans l’application des lois de
police incontestable. En effet « il n’est pas certain qu’ils appliquent moins souvent ou plus
mal qu’un juge national les lois de police étatiques. D’évidence, ils ne sont pas les défenseurs
naturels des politiques législatives poursuivies par les Etats. Mais l’intérêt bien compris des
85
OPETIT (B.), « Justice étatique et justice arbitrale » : Etudes offertes à Bellet P., Litec, Paris, 1991, p. 422.
86
RACINE (J.-B.), L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ Paris, 1999 p. 271.
87
RACINE (J.-B.), « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », op. cit., p. 324.
58
arbitres dans le cadre de ce que nous pouvons appeler "l’ordre juridique arbitral" est de
respecter les intérêts que les Etats entendent défendre dans l’ordre international par le biais
des lois de police. Il en va de la crédibilité de l’arbitrage, de son aptitude à allier les intérêts
privés et les intérêts publics. Même si l’arbitrage est loin d’être en danger, les arbitres, étant
devenus les juges de droit commun des litiges commerciaux internationaux, doivent selon
nous endosser de nouvelles tâches : ne plus être exclusivement les juges du contrat, mais
également participer, à leur manière, à la régulation de l’économie mondialisée »
88
.
Par conséquent, l’autonomie de l’arbitre ne s’interprète pas comme prétexte pour violer les
ordres publics des Etats. L’arbitre exerce une fonction juridictionnelle de dimension
internationale, ce qui le pousse à s’approprier de tous les questions liées aux intérêts qui
s’opposent dans la sphère internationale. Indubitablement, les intérêts étatiques viennent
heurter les intérêts privés des opérateurs économiques, à tel point que l’arbitre ne peut pas se
tenir à distance en adoptant une attitude passive.
2°- Le rôle positif de l’arbitre correspond à sa fonction juridictionnelle
Lors du règlement de litiges internationaux, l’arbitre exerce une fonction juridictionnelle.
L’un des points forts prouvant le pouvoir juridique du tribunal arbitral, est l’exception
d’incompétence à laquelle peut faire recours le défendeur, si l’autre partie au contrat porte le
litige devant une juridiction étatique
89
. Cette analyse est étayée par les juristes pour la raison
suivante : la nature contractuelle de l’arbitrage conduit à affaiblir cette institution et « à vider
la mission de l’arbitre d’une partie essentielle de son contenu »
90
. En ayant la qualité de juge,
l’arbitre a la latitude de ne pas suivre les parties dans leurs revendications
91
. A ce titre et en
démontrant la spécificité de la matière à la fois juridique et économique, il est reconnu que :
« […] les arbitres tiennent leur compétence de la convention d’arbitrage, qui leur confère une
mission d’intérêt privé, il n’en demeure pas moins qu’ils sont appelés à s’immiscer dans
l’ordre public économique applicable »
92
.
88
RACINE (J.-B.), « Droit économique et lois de police » : RID éco., 2010/1 (t. XXIV, 1), p. 76.
89
RIGAUX (F.), « Souveraineté des Etats et arbitrage transnational » : Etudes offertes à Berthold Goldman,
« Le droit des relations économiques internationales », Litec, Paris 1987, p. 264.
90
SALAH MOHAMED MAHMOUD (M.), « Droit économique et droit international privé. Présentation –
ouverture », op. cit., p. 31.
91
idem.
92
TRUONG (C.), Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les
sentences arbitrales CCI, op. cit., p. 117.
59
Ce raisonnement ouvre la voie à une interrogation importante : si la volonté des parties
contractantes occupait une place primordiale devant l’arbitre international, qu'en est-il
aujourd'hui ? Le respect de l’intérêt étatique nécessite que soit sacrifiée la volonté des parties
contractantes recourant à l’arbitrage. En d’autres termes, « le devoir de l’arbitre de respecter
l’ordre public étatique implique le pouvoir corrélatif d’aller à l’encontre de la volonté des
parties exprimée dans la clause d’élection de droit »
93
. La volonté des parties sera tout
simplement contredite par l’arbitre, voire ignorée, en ce qui concerne la loi choisie pour régler
leur litige.
Il est vrai que l’arbitrage se voit attribuer de plus nombreuses attentes et fonctions
qu'auparavant. Il est plausible de dire que l’accès de l’arbitrage aux matières relevant de
l’ordre public, a ébranlé les piliers classiques de cette institution. Dans ce nouveau cadre,
« l’existence de règles impératives, dont l’application immédiate est nécessaire à la
sauvegarde d’intérêts considérés comme majeurs par les Etats ou la communauté
internationale peut empêcher l’application de la loi choisie par les parties »
94
. L’arbitre a
maintenant la liberté de ne pas appliquer la loi désignée par les parties afin de régir leur
contrat, ce qui peut mécontenter les partisans d’une autonomie absolue de la volonté des
contractants. Etant en mesure d’opter pour l’application d’une loi de police au détriment de la
loi choisie par les parties, il est soutenu par le fait que « lorsque l’intérêt général est en cause,
la dérogation à la lex contractus au profit de la loi de police qui "se veut" légitimement
applicable est vivement souhaitable. L’arbitrage ne doit pas devenir un moyen pour les
parties de faire prévaloir effectivement leur volonté sur l’intérêt général, avec la complicité
de l’arbitre »
95
.
En fait, l’arbitre peut contredire la volonté des parties en appréciant la validité de leur contrat
à l’aune d’une loi de police étrangère à la loi d’autonomie. En revanche, il ne peut déclarer la
nullité d’un contrat violant l’ordre public d’un Etat donné, parce que les parties s’abstiennent
de revendiquer la nullité du contrat. Une question se pose donc : pourquoi est-il admis qu’ à la
demande de l’une des parties à l’arbitrage, l’arbitre déclare la nullité du contrat en se fondant
sur une loi de police étrangère à la loi d’autonomie, alors qu’il n’est pas admis qu’il puisse
déclarer la nullité du contrat sans être sollicité par l’une des parties ?
93
RACINE (J.-B.), L’arbitrage commercial international et l’ordre public, op. cit., p. 284.
94
VOGEL (L.) et VOGEL (J.), Traité de droit économique, Tome 2, droit de la distribution : droits
européen et français, Lawlex, Paris, 2015, p. 19.
95
MAYER (P.), « La protection de la partie faible en droit international privé », in La protection de la partie
faible dans les rapports contractuels, comparaison franco-belge, LGDJ, 1996, p. 551.
60
S'il est attendu de l’arbitre qu'il agisse en fonction des intérêts défendus par les Etats, la
doctrine arbitrale attend aussi de lui qu'il prenne l’initiative d'introduire dans le débat
litigieux, les questions d’ordre public. Par conséquent, le statut de l’arbitre est assimilé à celui
du juge étatique lorsqu’il est question d’ordre public, car « en invoquant d’office un principe
d’ordre public, l’arbitre s’élève au-dessus des parties. Sa mission est certes déterminée par
celles-ci. Mais pour l’accomplir, il décide en toute indépendance. Il s’érige en protecteur
d’un système de droit dans les relations internationales. Il n’est pas un simple instrument
entre les mains des parties »
96
.
L’arbitre exerce une fonction juridictionnelle et à ce titre, il n’est pas admissible qu’il constate
une illicéité entachant un contrat et s’abstienne d’agir. S’il est cohérent qu’n juge
international, ce qu’est l’arbitre, ait la possibilité de se déclarer incompétent s’il constate une
violation du droit de la concurrence lorsque les parties passent cette violation sous silence, il
serait plus cohérent qu’il soit dans l’obligation de déclarer la nullité du contrat entaché
d’illicéité, causée par la violation du droit de la concurrence, parce que la nature de la matière
relevant de l’ordre public lui permet de déroger aux constantes arbitrales.
Il s’y ajoute le fait que la séparation n'est pas clairement définie entre les obligations
contractuelles, constituant le champ principal dans lequel l’arbitre exerce sa fonction et les
dispositions impératives du droit de la concurrence. Des obligations contractuelles peuvent en
fait cacher une violation des règles impératives de la concurrence. Cette remarque a d'ailleurs
été développée : « sans vouloir prôner une assimilation pure et parfaite des pouvoirs de
l’arbitre sur ceux du juge, nous estimons qu’en matière de droit de la concurrence, la règle
d’ordre public est trop étroitement liée à la substance même de l’obligation contractuelle
pour être considérée comme exogène à l’objet du litige. Il rentre alors dans la mission du
juge de rechercher si l’objet du litige requiert l’application de la norme du droit de la
concurrence. La doctrine favorable à l’application d’office du droit de la concurrence doit
être approuvée, et peut tirer argument de l’identification croissante des rôles et missions du
juge et de l’arbitre caractérisée par une attraction mutuelle de leur modèle respectif »
97
. Tant
qu’il est permis à l’arbitre de relever d’office la contrariété du contrat au droit de la
concurrence, son pouvoir de déclarer la nullité du contrat devient une prérogative accessoire.
96
FADLALLAH (I.), « L’ordre public dans les sentences arbitrales (Volume 249) » : Collected Courses of
The Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, 1994, p. 402.
97
MOITRY (J.-H.), « Arbitrage international et droit de la concurrence : vers un ordre public de la Lex
Mercatoria ? » : Rev. arb., 1989, pp. 11-12.
61
La doctrine arbitrale peut être qualifiée de créative. Elle contient des notions visant à affirmer
l’autonomie et l’efficacité de l’arbitrage. La notion d’ordre public véritablement international
en fait partie. Il est à constater que cette notion est apte à accueillir les intérêts étatiques
légitimes, ce qui permet à l’arbitre d’avoir un rôle positif dans la sanction des pratiques
illicites.
3°- La notion d’ordre public véritablement international absorbe l’intérêt étatique
Il est primordial de rappeler que l’application du droit de la concurrence par l’arbitre d’office,
est la corrélation d’une théorie défendue par la doctrine arbitrale : la théorie de l’ordre public
transnational. « Parce que les Etats délèguent de plus en plus à l’ordre mercatique la gestion
de l’intérêt général, les arbitres sont habilités à en sanctionner les atteintes. Ainsi, la sanction
de l’illicéité des contrats n’est pas déterminée par la loi d’un Etat mais par référence à un
ordre public transnational partagé par la plupart des législations »
98
. Or, le recours à cette
notion ne répond pas entièrement aux aspirations des Etats, car cette même notion permet de
neutraliser une bonne partie des politiques étatiques. C’est la raison pour laquelle la principale
critique qui lui est faite, est son insuffisance : « L’ordre public transnational ne peut remplir
seul la fonction de limite à illicite car il ne peut être question de sacrifier les intérêts
étatiques. Il en serait d’autant moins question que l’ordre public transnational est lui-même
puisé dans les ordres étatiques »
99
.
Cette vérité n'empêche pas que la théorie de l’ordre public transnational puisse être employée
pour la défense et contre des intérêts étatiques. De fait, il a été mis en évidence que l’ordre
public international pouvait aussi servir à éviter l’application de lois impératives, en élaborant
une hiérarchie de normes au sein du commerce international. Pour parvenir à manier les
normes, la meilleure solution pourrait être un ordre public véritablement international, car
« l’ultima ratio des arbitres, pour écarter une loi impérative applicable, est de lui opposer
une norme supérieure d’ordre public international »
100
.
Il est vraisemblable que c’est l’imprécision entourant la notion de l’ordre public transnational
qui a incité certains auteurs à tout concentrer entre les mains de l’arbitre. Ainsi, il a été écrit
98
MEZGHANI (A.), « Méthodes de droit international privé et contrat illicite (Volume 303) », op. cit., p.
173.
99
idem.
100
FADLALLAH (I), « L’ordre public dans les sentences arbitrales (Volume 249) », op. cit. p. 422.
62
que « l’arbitre quant à lui n’est pas le serviteur de la loi. Il n’en est pas pour autant "au-
dessus" de la loi, pas plus qu’il n’en est "au-dessous",