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Chapitre 11
Nature et restauration psychologique
Barbara BONNEFOY
Les effets du contact avec la nature sur la sante
´sont maintenant
bien documente
´s en psychologie. Les personnes vivant a`proximite
´
d’espaces verts ont moins de risque de de
´pression, d’anxie
´te
´, de stress
et de maladies respiratoires (Maas et al. 2009), ceci gra^ce a` l’ame
´lioration
de la qualite
´de l’air ambiant induite par les parcs et les opportunite
´s
d’y pratiquer des exercices physiques. L’impact positif de la pre
´sence
d’espaces verts sur les sympto^mes de de
´pressions et d’anxie
´te
´est, de
plus, particulie
`rement important chez les enfants et les personnes a`
faibles revenus. Quatre facteurs majeurs expliquent la relation positive
entre le contact avec la nature et la sante
´(de Vries 2010) : (1) l’ame
´lio-
ration de la qualite
´de l’air (par l’absorption de contaminants atmosphe
´-
riques par la ve
´ge
´tation) ; (2) la stimulation de l’activite
´physique
(marche, ve
´lo, activite
´s de plein air) ; (3) la facilitation de la cohe
´sion
sociale (les personnes vivant a`proximite
´d’espaces verts ressentent
moins de solitude et se sentent moins isole
´es) ; enfin, (4) la restauration
du stress ou de la fatigue mentale.
Dans ce chapitre, nous aborderons principalement les effets be
´ne
´-
fiques du contact avec la nature sur le stress et la fatigue attentionnelle,
en de
´taillant deux the
´ories comple
´mentaires qui en rendent compte : la
The
´orie de la Re
´duction du Stress (TRS), (Ulrich 1984 ; 1991), qui
s’inte
´resse aux bienfaits des environnements naturels quand un individu
est confronte
´a` une situation perc†ue comme exigeante ou menac†ant son
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bien-e^tre ; et la The
´orie de la Restauration de l’Attention (ART), (Kaplan
et Kaplan 1989 ; Kaplan 1995), qui met l’accent sur la restauration de la
fatigue attentionnelle qui se produit apre
`s l’engagement prolonge
´dans
une ta^che mentalement fatigante. Ces deux the
´ories sont bien su^r com-
ple
´mentaires car elles abordent chacune diffe
´rents aspects de la restau-
ration (Hartig et al. 2003). Elles s’appuient toutes les deux sur l’ide
´e
bien de
´veloppe
´e en psychologie que nos ressources cognitives et atten-
tionnelles sont limite
´es, qu’elles s’e
´puisent et demandent a`e^tre recons-
truites re
´gulie
`rement (Kahneman 1973). Des travaux plus re
´cents sur
la connexion a` la nature offrent un cadre d’analyse inte
´ressant pour
approfondir le ro^le be
´ne
´fique de la nature sur les individus.
The
´orie de la re
´duction du stress (Stress Restoration Theory)
En 1984, un article, publie
´dans la revue Science, mettait en e
´vi-
dence que des patients se remettaient plus rapidement d’une ope
´ration,
qu’ils consommaient moins d’analge
´siques et se sentaient plus sereins si
la fene^tre de leur chambre d’ho^pital donnait sur un paysage naturel.
Cette ce
´le
`bre recherche de Robert Ulrich a e
´te
´re
´alise
´e de 1972 a` 1981
aupre
`s de 46 patients ayant subi une ablation de la ve
´sicule biliaire et qui
ne pre
´sentaient aucun trouble psychologique ni aucune complication
suite a` l’ope
´ration. Tous les patients se
´journaient dans des chambres
similaires avec fene^tre, et pouvaient voir la vue exte
´rieure depuis leur lit.
Une partie des patients suivis avait vue sur une fore^t et tandis qu’une
autre partie avait vue sur le mur d’un ba^timent mitoyen. Pour chaque
patient suivi, une infirmie
`re collectait la quantite
´d’analge
´siques
consomme
´s chaque jour et la dure
´e d’hospitalisation ; elle appre
´ciait
e
´galement le comportement et le bien-e^tre du patient (s’il avait besoin
d’encouragement, s’il e
´tait triste, confiant, s’il se de
´plac†ait, etc.). Les
donne
´es recueillies pour ces deux groupes ont ensuite e
´te
´compare
´es :
les patients dont les fene^tres donnaient sur un espace naturel re
´cupe
´-
raient plus rapidement que les autres.
Depuis, d’autres travaux ont mis en e
´vidence les effets be
´ne
´fiques
du contact avec la nature (paysage naturel, sons, photos) sur la re
´duction
du stress ou de l’anxie
´te
´lie
´sa` une hospitalisation ou a` un examen invasif
ou douloureux. Diette et coll. (2003) ont ainsi teste
´les effets de paysages
et de sons naturels sur le stress perc†u, l’anxie
´te
´et la douleur ressentie par
des patients venant a` l’ho^pital subir une endoscopie des bronches : une
156 Le souci de la nature
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partie des patients suivis par l’e
´tude passait cet examen en conditions
standard, tandis qu’une autre e
´tait installe
´e face a` une photo de paysage
verdoyant et fleuri et e
´coutait, via un casque auditif, des sons de la nature
(oiseaux, ruissellement d’eau). A
`l’issue de l’examen, les patients des
deux groupes indiquaient le degre
´de douleur ressentie, l’anxie
´te
´
e
´prouve
´e et les difficulte
´sa` respirer durant l’examen. La comparaison
des deux groupes a mis en e
´vidence que les patients expose
´sa` la vue et
aux sons de la nature avaient moins souffert et qu’ils avaient e
´prouve
´
moins d’anxie
´te
´que les autres. En outre, ils avaient eu le sentiment de
mieux respirer et gardaient une impression globalement plus positive de
l’examen que ceux qui avaient ve
´cu une situation d’examen standard.
Effectivement, quand un individu est confronte
´a` une situation
perc†ue comme exigeante ou menac†ant son bien-e^tre, les environne-
ments naturels induisent des e
´motions positives et re
´duisent les pense
´es
ne
´gatives et le stress. Or le fait de pouvoir exercer du contro^le sur les
e
´ve
`nements en re
´gulant positivement nos e
´motions ne
´gatives et notre
anxie
´te
´est une composante importante de la sante
´; le contact avec la
nature y contribue. Au Japon, une forme de me
´ditation, appele
´eshinrin-
yoku (bain de fore^t), consiste a` passer du temps ou a` marcher en fore^t en
pre^tant une attention a` l’environnement (sons, odeurs, couleurs, etc.).
Des e
´tudes sur le shinrin-yoku montrent son effet positif sur les e
´motions
et la vivacite
´, mais aussi sur la de
´pression et l’anxie
´te
´(Morita et al. 2007).
Les environnements naturels ont aussi un effet be
´ne
´fique sur la sante
´car
ils permettraient de re
´cupe
´rer d’une fatigue mentale et attentionnelle.
La the
´orie de la restauration de l’attention (Attention Restoration
Theory, ou ART)
La notion d’attention de
´signe avant tout un ensemble de processus
permettant de contro^ ler et re
´guler la quasi-totalite
´de nos activite
´s cogni-
tives. William James (1890) la de
´finissait comme « la prise de possession
par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un objet ou d’une suite de
pense
´es parmi plusieurs qui semblent possibles [...] Elle implique le
retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres ».
L’attention est essentielle a` notre capacite
´de prendre du recul, de syn-
the
´tiser l’information, faire un plan ou de re
´fle
´chir, dans un monde ou`
les demandes de la vie sociale ou de l’environnement sont tre
`s impor-
tantes. La psychologie distingue traditionnellement plusieurs formes
Nature et restauration psychologique 157
Souci-nature17054 - 21.2.2017 - 16:56 - page 157
d’attention : (1) l’attention se
´lective permet de faire le tri entre plusieurs
informations pre
´sentes dans notre environnement et active un me
´ca-
nisme de se
´lection de l’information et un me
´canisme d’inhibition (il
empe^che le traitement d’informations qui n’auront pas e
´te
´se
´lection-
ne
´es, ce que nous faisons lorsque nous sommes concentre
´s sur une
activite
´). Au contraire, (2) l’attention partage
´e consiste a` re
´partir son
attention entre plusieurs activite
´s, te
´le
´phoner et faire la cuisine par
exemple. L’attention soutenue (3) est la capacite
´de traiter une activite
´
pendant une dure
´e importante de fac†on a` terminer une ta^che (Lieury
2008). Enfin, (4) les psychologues parlent d’attention distribue
´e, lorsque
l’individu balaye un champ perceptuel sans privile
´gier une zone parti-
culie
`re (Lachaux 2013).
Le mode
`le des ressources attentionnelles (Kahneman 1973) postule
que les ressources adaptatives mises en œuvre par les individus pour
re
´pondre aux demandes de la vie sociale ou de l’environnement sous
l’angle du stress, des e
´motions ne
´gatives, et/ou sous l’angle du contro^le
de soi, sont limite
´es. Par conse
´quent, la restauration de ces ressources
attentionnelles constitue un enjeu majeur pour l’individu : sans res-
sources attentionnelles suffisantes, un individu a toutes les chances de
ressentir de l’impatience, de l’irritabilite
´, de la distraction face au pro-
longement d’une tache ou a` la re
´alisation d’une nouvelle activite
´. Si
cet e
´tat se re
´pe
`te dans le temps et que l’environnement physique et
social ne permet pas ou mal de re
´cupe
´rer de cette fatigue, les individus
se retrouvent assez vite en situation de stress chronique, voire en situa-
tion d’impuissance d’acquise.
Dans le de
´but des anne
´es 1970 a` l’Universite
´du Michigan, Rachel
et Stephen Kaplan ont entrepris un programme de recherche aupre
`s de
personnes habitue
´es a` fre
´quenter des espaces naturels, a` qui ils ont
demande
´de tenir un journal de bord de leurs expe
´riences en y notant
sentiments, impressions, motivations. A
`partir de ce mate
´riel re
´cupe
´re
´
durant une dizaine d’anne
´es, ces chercheurs ont de
´veloppe
´la notion
d’« environnement restaurateur »
1
(Kaplan 1984) : apre
`s avoir fre
´quente
´
des espaces naturels, les participants se disaient profonde
´ment repose
´s
et avaient me^me un sentiment de « gue
´rison ». Ils ajoutaient avoir e
´te
´
dans un e
´tat de re
´flexion, de prise de recul avec leur vie et leurs priorite
´s
158 Le souci de la nature
1. Restauration : terme ge
´ne
´rique, en psychologie de l’environnement, se re
´fe
`re a`
l’expe
´rience d’un processus de re
´cupe
´ration psychologique et physiologique, de
´clen-
che
´e par des environnements particuliers et les configurations de l’environnement.
Souci-nature17054 - 21.2.2017 - 16:56 - page 158
du quotidien. Les auteurs sugge
`rent ainsi que les be
´ne
´fices de ces
environnements se jouent en premier lieu a` un niveau attentionnel
(Kaplan 1995). S’appuyant sur les travaux de William James (1890), ils
se
´parent le processus attentionnel en une entite
´volontaire (attention
partage
´e, soutenue, se
´lective) et une entite
´moins se
´lective (attention
distribue
´e, flottante). L’attention volontaire, c’est-a` -dire l’attention se
´lec-
tive, soutenue ou partage
´e, repose sur un effort cognitif de l’individu qui
entraı^ne au bout d’un certain temps (apre
`s une journe
´e de travail par
exemple) un e
´tat de fatigue attentionnelle. Certains environnements, en
sollicitant moins les ressources attentionnelles dirige
´es, auraient un
pouvoir restaurateur ou reconstituant et permettraient de reconstruire
celles-ci.
Pour Kaplan (1995), le contact avec des environnements naturels
(parcs naturels, jardins, fore^ts, plages, parcs urbains, mais aussi plantes
vertes sur le rebord d’une fene^tre, vue sur des arbres) est un moyen de
rendre temporairement inutile le de
´ploiement de l’attention soutenue,
dirige
´e ou se
´lective, et donc de lui permettre de prendre du repos. Ces
environnements naturels peuvent ainsi contrer le de
´ficit attentionnel,
mais sous quatre conditions dans la relation a` l’environnement (Kaplan
1995) : fascination, e
´vasion, cohe
´rence et compatibilite
´.
La fascination est centrale dans l’ART. Elle renvoie a` une forme
d’attention qui permet de soutenir son attention sans effort, c’est en
quelque sorte une forme d’attention flottante, distribue
´e. Le caracte
`re
fascinant d’un objet ou d’un environnement offre en effet la possibilite
´
a` l’individu de reposer son attention se
´lective ou soutenue en la rem-
plac†ant par une attention qui ne demande aucune concentration parti-
culie
`re. Herzog et coll. (1997) distinguent la fascination forte de la
fascination douce. La premie
`re renvoie a` des activite
´s qui vont occuper
totalement l’attention, captiver l’individu sans ne
´cessairement permettre
la re
´flexion : regarder une course automobile, fre
´quenter un parc d’at-
traction, un concert rock, un bar, une fe^te, jouer aux jeux vide
´o. Ces
activite
´s re
´cre
´atives peuvent faciliter la re
´cupe
´ration de l’attention en
permettant l’e
´vasion mais elles favorisent peu la re
´flexion. La fascination
douce, au contraire, est moins captivante et plus contemplative (regarder
la neige tomber, les arbres, e
´couter le chant des oiseaux, sentir des
plantes, se sentir connecte
´a` la nature a` un espace naturel). Ce type de
fascination a l’avantage de promouvoir la re
´flexion tout en favorisant la
re
´cupe
´ration de l’attention. La seconde qualite
´recommande
´e par l’ART
est l’e
´vasion, qui renvoie a` l’e
´loignement physique ou virtuel des aspects
Nature et restauration psychologique 159
Souci-nature17054 - 21.2.2017 - 16:56 - page 159
de la vie quotidienne. Cette e
´vasion permet de se sentir ailleurs, de sortir
de ses pre
´occupations, elle libe
`re l’individu de l’activite
´mentale reque
´-
rant l’attention dirige
´e. L’e
´vasion ne se situe pas ne
´cessairement au
niveau ge
´ographique (me^me si cet aspect peut en amplifier le senti-
ment), mais a` un niveau psychologique ; un simple changement de
perspective de la part de l’individu peut permettre l’e
´vasion. Troisie
`me
qualite
´reconstituante, la cohe
´rence se rapporte a` l’e
´quilibre entre la
facilite
´d’utilisation et la richesse d’un milieu. L’environnement doit
en effet e^tre suffisamment riche pour ge
´ne
´rer de la fascination et offrir
la possibilite
´de contempler, expe
´rimenter ou re
´fle
´chir. Enfin, la com-
patibilite
´repre
´sente les liens et interactions entre l’environnement et
l’individu : un environnement compatible re
´pond aux besoins de l’indi-
vidu sans lui demander un effort d’attention. L’individu peut effectuer
ses actions et accomplir ses buts sans que l’environnement ne l’en
empe^che. Ces quatre qualite
´s de la relation a` l’environnement sont
interde
´pendantes et s’influencent les unes les autres. Un environnement
peut, de plus, re
´pondre a` une ou plusieurs de ces proprie
´te
´s sans e^tre
pour autant qualifie
´de reconstituant.
En re
´sume
´, la the
´orie de la restauration de l’attention (ART) entre-
voit certaines expe
´riences comme une alternative au quotidien, qui
permettent de se reposer temporairement des efforts attentionnels
que certaines activite
´s requie
`rent. En se plongeant dans un environne-
ment naturel fascinant, cohe
´rent et compatible avec ses besoins, l’indi-
vidu s’e
´loigne mentalement de ses pre
´occupations. La restauration de
l’attention repose sur quatre be
´ne
´fices cognitifs : nettoyer l’esprit du
bruit cognitif re
´siduel produit au cours des ta^ches effectue
´es quotidien-
nement, re
´cupe
´rer de la fatigue attentionnelle, pouvoir penser a` des
proble
`mes imme
´diats a` re
´soudre et re
´fle
´chir a` des questions existen-
tielles comme ses priorite
´s, ses buts, sa place dans l’univers (Kaplan et
Kaplan 1989). En ce sens, les environnements reconstituants favorisent
le bien-e^tre.
Les environnements reconstituants sont extre^mement varie
´s.
Ainsi, si une randonne
´e d’une dizaine de jours en pleine nature est
tre
`s be
´ne
´fique de ce point de vue-la` (Kaplan 1984), une immersion totale
n’est pas force
´ment ne
´cessaire. Une simple heure de marche dans un
parc (Ottosson et Grahn 2005), ou me^me une fene^tre de bureau offrant
une vue sur un jardin (Kaplan 1993), peut ge
´ne
´rer des be
´ne
´fices cognitifs
et comportementaux imme
´diats sur l’attention et la me
´moire. De plus,
ces be
´ne
´fices n’apparaissent pas seulement lorsque le contact avec la
160 Le souci de la nature
Souci-nature17054 - 21.2.2017 - 16:56 - page 160
nature est re
´el : la vue de photos repre
´sentant un espace naturel permet
un regain attentionnel (Berto 2005) ; Cackowski et Nasar (2003) ont
montre
´que la re
´sistance a` la frustration (mesure
´e par le temps passe
´
sur des anagrammes insolubles) e
´tait beaucoup plus e
´leve
´e lorsque les
sujets avaient regarde
´une vide
´o pre
´sentant des espaces verts. Les expe
´-
riences de restauration sont e
´galement possibles dans d’autres contextes,
comme les monaste
`res (Ouellette et al. 2005) et bien su^ r les muse
´es
(Kaplan et coll. 1993 ; Scopelliti et Giuliani 2005).
L’attrait pour la nature semble augmenter lorsque les individus se
trouvent dans une situation de stress ou de fatigue cognitive. Pour
ve
´rifier l’hypothe
`se selon laquelle nos pre
´fe
´rences en matie
`re d’environ-
nement seraient guide
´es par un besoin de restauration, Korpela et Hartig
(1996) ont demande
´a` des e
´tudiants d’e
´valuer deux types d’environne-
ments, pre
´sente
´s par l’interme
´diaire de photographies projete
´es : une
se
´rie de photographies d’un paysage urbain (Stockholm) et une se
´rie de
fore^t (sue
´doise). Les participants devaient ensuite choisir dans quels
paysages pre
´sente
´s ils pre
´fe
´reraient se promener. Les participants
e
´taient interroge
´s soit le matin avant les cours, soit en fin de journe
´e
apre
`s leurs cours, c’est-a` -dire en e
´tats suppose
´s diffe
´rents de fatigue
mentale. La pre
´fe
´rence accorde
´e aux paysages forestiers e
´tait davantage
marque
´e chez les participants qui se trouvaient en situation de fatigue
mentale (imme
´diatement apre
`s une journe
´e de cours) que chez ceux qui
e
´taient repose
´s (le matin, avant le de
´but des cours). L’attrait pour la
nature pourrait donc e^tre bien influence
´par le besoin de re
´ge
´ne
´ration
des individus.
Les environnements naturels sont ve
´cus par les humains comme
e
´tant tre
`s compatibles, il existe incontestablement un e
´cho particulier
entre les aspirations humaines et la nature. La the
´orie de la biophilie
(Wilson 1984 [2012]) avance que les humains posse
`dent une affinite
´
inne
´e pour la vie, qui les motive a` chercher le contact avec les animaux,
les ve
´ge
´taux et les paysages. Cette hypothe
`se lie la diversite
´des espe
`ces et
des types de paysages a` un fonctionnement humain optimal. Dans une
perspective psychologique, les travaux sur la connexion a`lanature
offrent un cadre d’analyse comple
´mentaire.
Nature et restauration psychologique 161
Souci-nature17054 - 21.2.2017 - 16:56 - page 161
La connexion a` la nature
La connexion a` la nature se traduit par un sentiment de commu-
naute
´, de parente
´et d’appartenance a` la nature. Schultz (2001) la de
´crit
comme « l’importance selon laquelle un individu inclut la nature dans
son syste
`me de repre
´sentation cognitif du Soi ». Pour Nisbet et al. (2011),
il s’agit de l’appre
´ciation et de la compre
´hension de notre inter-connec-
tivite
´avec les autres e^tres vivants et les e
´cosyste
`mes de la plane
`te. Clayton
(2003) introduit le concept d’identite
´environnementale, associe
´ea` des
attitudes et comportements favorables a` la protection de l’environne-
ment. La connexion a` la nature a trois composantes (Schultz 2001) : une
composante cognitive, ou le sentiment de se sentir inte
´gre
´a` la nature,
une composante affective ou le plaisir de prendre soin de la nature, et
une composante comportementale d’engagements a` agir favorablement
pour l’environnement naturel.
La connexion a` la nature est relie
´e au sentiment de bien-e^tre, mais
moins au bien-e^tre he
´donique (bien-e^tre e
´motionnel lie
´au fait de sentir
bien) qu’au bien-e^tre eude
´monique, lie
´au sentiment de vivre une vie
e
´panouie. Celui-ci se rapporte plus particulie
`rement a` l’e
´panouissement
personnel, la signification de la vie, l’autonomie et aux relations avec les
autres. La connexion a` la nature, en sugge
´rant une implication dans
quelque chose de plus important que soi-me^me (Howell et al. 2011),
participerait a` cet aspect du bien-e^tre. Cette relation pourrait aussi s’ex-
pliquer par un lien e
´troit entre spiritualite
´et sentiment de connexion a` la
nature (Kamitsis et Francis 2013).
La connexion a` la nature est plus une disposition stable a` travers le
temps et les situations qu’une simple expe
´rience ponctuelle, qui pous-
serait les individus a` rechercher le contact avec la nature. Ce sentiment
d’e^tre connecte
´a` la nature trouverait son origine dans les expe
´riences
passe
´es et notamment celles se rapportant a` l’enfance : les liens affectifs
que nous nouons dans l’enfance avec les paysages qui nous entourent
ont une influence sur nos rapports a` l’environnement a` l’a^ge adulte.
Beaucoup d’adultes associent les lieux les plus signifiants de leur enfance
a` la nature (Sebba 1991 ; L. Chawla, dans cet ouvrage).
Mais si la connexion a` la nature est explique
´e par nos expe
´riences
passe
´es, elle est aussi beaucoup me
´die
´e par nos repre
´sentations socio-
culturelles. Ainsi, lorsque l’on demande a` des personnes de re
´fle
´chir a` la
mort et a` la liberte
´lorsqu’elles s’imaginent e^tre au contact d’une nature
« domestique
´e » en ville ou dans des environnements plus sauvages tels
162 Le souci de la nature
Souci-nature17054 - 21.2.2017 - 16:56 - page 162
que fore^t ou de
´sert, leurs re
´ponses deviennent ambivalentes (Koole et
Van den Berg 2005). La nature sauvage est, en effet, a` la fois associe
´ea` la
mort et a` la liberte
´. Ces rapports a` la nature sont e
´videmment variables
entre individus. Par exemple, dans des situations (e
´voque
´es) ou` la nature
est impressionnante (rencontres rapproche
´es avec des animaux sau-
vages ; affrontement avec une tempe^te ou un tremblement de terre ;
situations de
´routantes comme se perdre dans les bois), Van den Berg
et Ter Heijne (2005) ont confirme
´que ces situations e
´taient recherche
´es
ou e
´vite
´es selon le besoin de sensation forte et le genre (les hommes
de
´clarant pre
´fe
´rer davantage ces situations que les femmes).
Conclusion
Les travaux pre
´sente
´s dans ce chapitre invitent a` conside
´rer les liens
positifs entre les environnements naturels, la sante
´et le bien-e^tre. Plus
pre
´cise
´ment, ils montrent que le contact ponctuel ou re
´pe
´te
´avec ce type
d’environnement favorise la reconstruction des re
´serves attentionnelles
des individus, indispensables au bien-e^tre et aux faculte
´s cognitives. Le
fait de passer du temps dans la nature permet aussi de re
´cupe
´rer davan-
tage que le fait de s’engager dans d’autres types d’activite
´s re
´cre
´atives
(Wells 2000). Le potentiel restaurateur des environnements naturels
aide les individus a` re
´guler l’exce
`s d’informations et de stimulations
lie
´a` la vie urbaine. D’autres travaux incitent a` encourager davantage de
contacts avec la nature car cela favorise sur le long terme l’autonomie
dans la protection de l’environnement (Kaiser et al. 2014), mais aussi
dans le de
´veloppement de ses propres capacite
´sa` re
´guler ses e
´motions,
son stress et ses capacite
´s attentionnelles. Favoriser la congruence per-
sonne-environnement dans l’ame
´nagement des cadres de vie en tenant
compte du ro^ le essentiel des environnements restaurateurs permettrait
donc d’inte
´grer une varie
´te
´d’options susceptibles de re
´pondre aux buts
et aux besoins de chaque individu. Cela suppose e
´galement de lutter
contre les ine
´galite
´s d’acce
`sa` ces environnements, aussi bien en termes
de sante
´et de bien-e^tre des individus qu’en ce qui concerne la qualite
´du
cadre de vie.
Nature et restauration psychologique 163
Souci-nature17054 - 21.2.2017 - 16:56 - page 163