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MÉDIAS SOCIAUX ET DÉVELOPPEMENT DE NOUVEAUX SERVICES : UNE
ENQUÊTE EXPLORATOIRE EN CONTEXTE D’ACTIVITÉ À HAUTE
INTENSITÉ EN CONNAISSANCES
Michaël Bénédic
ESKA | « Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements
organisationnels »
2019/61 Vol. XXV | pages 151 à 169
ISSN 2262-8401
ISBN 9782747229630
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-
comportements-organisationnels-2019-61-page-151.htm
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Médias sociaux et développement de nouveaux services:
une enquête exploratoire en contexte d’activité à haute
intensité en connaissances
Michaël BENEDIC
IUT de Metz - Université de Lorraine - CEREFIGE
Résumé:
La contribution attendue de cet article est d’apporter un éclairage au niveau individuel sur les
pratiques et bénéfices liés au recours aux médias sociaux dans le cadre du développement de
nouveaux services. Les potentialités oertes par l’émergence de ces outils en matière d’inno-
vation sont mises en avant par la littérature scientifique et professionnelle mais elles semblent
encore largement inexploitées par les acteurs dans les faits. Dans le contexte des sociétés de
services à haute intensité en connaissances la compétitivité dépend très fortement de la capa-
cité des acteurs à développer des solutions inédites et sur-mesure. Les enjeux du recours aux
médias sociaux pour répondre aux besoins du marché et innover prennent donc une impor-
tance particulière. Cette recherche de nature exploratoire est réalisée au moyen d’une étude
de cas auprès d’une société de conseil. L’analyse se situe en contexte intrapreneurial et à un
niveau individuel. Il s’agit de consultants qui ont recours à un réseau socionumérique pro-
fessionnel dans le cadre du développement de leurs ores de services. Les résultats mettent
en évidence des eets contrastés de l’utilisation du média social en fonction de la maturité
des pratiques et du niveau d’avancement dans la trajectoire de l’idée de nouvelles prestations.
Mots-clefs:
Médias sociaux, développement de nouveaux services, pratiques individuelles, trajectoire
d’une idée, réseau social.
1. INTRODUCTION
Le recours aux médias sociaux entraîne des conséquences sur la manière dont les acteurs au
sein des organisations considèrent et entretiennent leurs interactions avec l’environnement
(Semple, 2011). Ces nouveaux médias orent aujourd’hui en eet de nombreuses possibilités
afin de communiquer et d’échanger du contenu généré par des acteurs internes ou situés en
dehors des frontières de l’organisation (O’Reilly, 2005). Les entreprises les plus innovantes
cherchent des moyens ecaces d’utilisation des médias sociaux afin d’améliorer les produits
ou services existants ou d’en développer de nouveaux (Degen, 2009). Les évolutions induites
dans les pratiques et comportements des acteurs présentent en eet des potentialités intéres-
santes afin d’alimenter cette dynamique: mise en contact et interactions avec une diversité
d’acteurs (clients et utilisateurs actuels ou potentiels, experts, partenaires, etc.), accès, pro-
duction, diusion de contenu varié (documents, articles, vidéos, etc.), recueil d’évaluations,
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152 [2] MEDIAS SOCIAUX, RESEAUX PERSONNELS ET DEVELOPPEMENT
de commentaires, communication multi-directionnelle, messages courts, création de groupe
de discussions thématiques, etc.
Les enjeux du recours à ce type d’outil pour stimuler l’innovation prennent une impor-
tance singulière dans le contexte des sociétés de services marchands à haute intensité en
connaissance. Leur compétitivité dépend en eet de façon directe de la capacité des acteurs
à développer des solutions au caractère inédit et personnalisé sur la base de connaissances
spécifiques et d’interactions avec leurs clients (Tether et Hipp, 2002).
Si la littérature met en avant les potentialités oertes par le recours aux médias sociaux en
matière d’innovation (Degen, 2009 ; Matschke, Moskaliuk et Cress, 2012), nombreuses sont
les entreprises à ne retirer que peu d’avantages de leur utilisation (Roberts et Piller, 2016). Ce
constat nous amène à proposer un éclairage sur les pratiques des acteurs ainsi que sur les béné-
fices et enjeux liés à l’usage de ce type d’outil pour le développement de nouveaux services.
Nous réalisons une étude de cas exploratoire au sein d’un cabinet de conseil en management
qui évolue dans un contexte fortement intrapreneurial. Cette organisation présente la particula-
rité de réaliser des activités à haute intensité en connaissances et d’évoluer dans un environne-
ment très concurrentiel. Les enjeux liés à au développement de solutions innovantes y sont donc
fondamentalement élevés. Ce cabinet de taille restreinte doit en eet pouvoir se démarquer de la
concurrence (celle de grands cabinets de conseil notamment) afin d’assurer la pérennité de son
activité et encourage pour cela les prises d’initiatives des consultants. L’article se focalise plus
précisément, au niveau individuel, sur les pratiques et les impacts de l’utilisation d’un réseau
socionumérique professionnel sur les possibilités de développement d’ores nouvelles. Nous
réalisons une étude de cas en partant des pratiques et bénéfices concrets décrits par les acteurs
interrogés au moyen d’entretiens semi-directifs. L’analyse est conduite à partir des diérentes
phases de la trajectoire d’une idée identifiées par Perry-Smith et Mannucci (2017).
Cette contribution est structurée en six parties. Dans un premier temps, nous présen-
tons brièvement les enjeux du recours aux médias sociaux et aux réseaux personnels pour
le développement de nouveaux services à haute intensité en connaissance (1). Le terrain de
recherche (2) ainsi que la démarche méthodologique (3) sont ensuite exposés. Nous présen-
tons les résultats des analyses (4) puis engageons une discussion sur les limites, apports et
prolongements possibles (5) avant de conclure cet article (6).
2. MEDIAS SOCIAUX, RESEAUX PERSONNELS ET
DEVELOPPEMENT DE NOUVEAUX SERVICES PAR LES
INDIVIDUS
Les organisations doivent aujourd’hui, quel que soit leur secteur d’activité, être en mesure
d’améliorer ou de produire de nouveaux services de façon continue afin de rester compéti-
tives (Aas et Pedersen, 2010). Cet impératif est toutefois accru dans le secteur des services
marchands à haute intensité en connaissance encore dénommés knowledge-intensive business
services ou KIBS (Miles et al., 1995). Il s’agit d’entreprises réalisant pour le compte d’autres
organisations des services à haute valeur ajoutée intellectuelle (Muller et Zenker, 2001). Leur
activité repose sur la création, l’accumulation ou la diusion de connaissances profession-
nelles, liées à une discipline ou un domaine technique spécifique (Miles et al., 1995; Den
Hertog, 2000). Les prestations réalisées sont souvent très personnalisées pour répondre aux
problématiques de clients professionnels dans un cadre «business to business» (Muller et
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[2] MEDIAS SOCIAUX, RESEAUX PERSONNELS ET DEVELOPPEMENT 153
Doloreux, 2009). La capacité à entretenir des relations étroites avec les commanditaires prend
alors une importance particulière (Tether et Hipp, 2002) et peut aller jusqu’à de la co-produc-
tion d’innovation (Den Hertog, 2000). La compétitivité des KIBS implique le développement
de solutions novatrices pour leur propre compte ou celui de leurs clients.
Les médias sociaux orent un fort potentiel dans ce contexte pour la facilitation du partage,
de la création et de l’application de connaissances à la fois tacites et explicites utiles en milieu
professionnel (Von Krogh, 2012; Levy, 2013). Ces outils recouvrent « un groupe d’applications
Internet qui se fondent sur l’idéologie et la technologie du Web 2.0 et qui permettent la création et
l’échange du contenu généré par les utilisateurs» (Kaplan et Haenlein, 2010, p. 61). Ils s’appuient
donc sur un principe dit «User Generated Content» selon lequel l’essentiel du contenu proposé
résulte de l’implication, l’expression et la participation des utilisateurs (Matschke et al., 2012).
Ils permettent pour cela généralement à tout type d’utilisateur de participer (barrières à l’entrée
liés au coûts de participation inexistantes ou faibles) avec des applications et des fonctionna-
lités très simples d’utilisation (principe du «user friendly»). Les médias sociaux proposent un
contenu évolutif constitué de fils de discussion, témoignages, commentaires, appréciations, éva-
luations, etc. Ils permettent le partage de ressources de diérente nature (articles, documents,
images, son, extraits sonores et vidéos, etc.). Ils peuvent faciliter les comportements d’échange
et de collaboration en favorisant la mise en relation et les interactions avec des acteurs internes
ou externes à l’organisation (O’Reilly, 2005). Si bien qu’ils sont désormais présentés comme
un moyen incontournable pour faciliter le développement de nouveaux produits et services
(Roberts et Piller, 2016). Deux faisceaux d’arguments peuvent être identifiés. Premièrement,
les médias sociaux sont présentés comme un moyen de communiquer l’innovation en interne,
facilitant le changement et l’innovation organisationnelle. Ce n’est pas sur cette première pers-
pective que se focalise l’analyse menée dans cet article. Deuxièmement, ils sont vus comme un
moyen de constituer et maintenir des sources de connaissances et d’informations en permettant
le contact avec une diversité d’acteurs: clients et utilisateurs actuels, non-clients, non-utilisa-
teurs, experts externes, collègues dans le cadre d’organisations d’envergure.
Les recherches dans le domaine du management de l’innovation et de la créativité au
niveau individuel s’accordent sur le rôle central joué par les réseaux personnels pour accéder
aux ressources nécessaires au développement d’idées nouvelles (Kreiner et Schultz, 1993 ;
Perry-Smith et Shalley, 2003 ; Kijkuit et Van den Ende, 2007 ; Perry-Smith et Shalley, 2014;
Perry-Smith et Mannucci, 2017).
Toutefois, comme le soulignent Perry-Smith et Mannucci (2017), l’analyse des résultats
de ces recherches laisse apparaître des contradictions. Il est par exemple admis dans la lit-
térature que les réseaux personnels riches en trous structuraux facilitent l’accès à des infor-
mations nouvelles et favorise la créativité (Phelps et al., 2012) mais le lien empirique entre
trous structuraux et créativité au niveau individuel est équivoque. Burt (2004) a mis en évi-
dence une relation positive entre les trous structuraux et les idées créatives des individus mais
d’autres travaux n’ont trouvé aucune association entre non-redondance des contacts et créati-
vité (Perry-Smith, 2006; Zhou et al., 2009). Le constat est similaire pour ce qui concerne les
recherches qui abordent les problématiques de créativité et d’innovation en s’appuyant sur la
distinction entre liens forts et liens faibles27 (Granovetter, 1973).
27 « Combinaison du temps accumulé, de l’intensité émotionnelle, de l’intimité et des services réciproques qui caractérisent
le lien » (Granovetter 1973, p. 1361).
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154 [2] MEDIAS SOCIAUX, RESEAUX PERSONNELS ET DEVELOPPEMENT
Selon les résultats de certaines recherches (Baer, 2010 ; Perry-Smith, 2006 ; Zhou et al.,
2009) les liens faibles favorisent davantage la créativité individuelle. Ils permettent d’entre-
tenir des relations avec des groupes diversifiés et éloignés socialement, fournissant l’accès
à des informations originales, non-redondantes et sources d’idées nouvelles. Selon d’autres
résultats, les liens forts seraient préférables pour stimuler la créativité des individus car ils sont
porteurs de confiance et de soutien (Chua, Morris et Mor, 2012; Sosa, 2011).
Enfin, d’autres travaux ont souligné explicitement l’importance de considérer, au-delà de
la nature des relations, les attributs des alters (i.e., des contacts qui constituent le réseau de
l’acteur considéré). Les travaux de Rodan et Galunic (2004) montrent que l’hétérogénéité
des contacts en termes de connaissances techniques est plus importante que la structure du
réseau pour expliquer la probabilité de découvrir de nouvelles opportunités et d’innover des
managers.
Afin de pouvoir articuler et intégrer ces résultats partiellement contradictoires, une avan-
cée importante de ce corpus de recherche a consisté à établir une distinction entre diérentes
phases de la trajectoire de l’idée (Perry-Smith et Mannucci, 2017). Les eets des caractéris-
tiques du réseau social de l’individu seraient alors à distinguer selon le positionnement de
l’idée sur un parcours qui va de sa conception à sa diusion eective sous forme de produit
ou service. C’est ainsi que Kijkuit et Van den Ende (2007) articulent le processus créatif
autour de trois phases : la génération de l’idée, son développement et son évaluation. Selon
ces auteurs, la génération et le développement d’idées bénéficient de réseaux non-redon-
dants et hétérogènes avec de nombreux liens faibles. De tels réseaux peuvent procurer les
connaissances diverses, cruciales pour l’acte créatif de la génération d’idées. Ensuite, durant
les phases de développement et d’évaluation, les liens forts deviennent importants, notam-
ment ceux avec les preneurs de décision. Pour finir, ils font l’hypothèse que les réseaux per-
sonnels les plus ecaces en termes de créativité seraient ceux qui renforcent progressivement
leur degré de cohésion au cours des phases de développement et d’évaluation (Kijkuit et Van
den Ende, 2007).
Pour Perry-Smith et Mannucci (2017), les recherches sur l’innovation et la créativité ont
de façon plus ou moins explicite reconnu qu’il existe des phases intermédiaires entre la phase
initiale de génération de l’idée et sa phase finale d’implémentation. Selon les auteurs, la cla-
rification et la distinction fine de ces diérentes étapes permettront de mieux intégrer les
travaux sur le thème et de surmonter certaines inconsistances. Ils identifient quatre phases de
la trajectoire d’une idée que nous reprendrons dans cette réflexion. À chacune de ces phases
sont associés des besoins auxquels l’individu porteur de l’idée peut répondre au travers de la
mobilisation de son réseau social.
La première est la génération de l’idée (idea generation). Elle est entendue comme un pro-
cessus qui consiste à générer diérentes idées puis à en retenir une, jugée comme étant la plus
prometteuse. La sélection est réalisée au regard du caractère nouveau et utile que l’individu
attribue à l’idée. À cette étape, le besoin fondamental est la flexibilité cognitive, c’est à dire la
capacité à changer de schémas et de catégories cognitives (Amabile, 1983) pour associer des
idées peu communes ou conceptuellement éloignées. (Mumford et Gustafson, 1988).
La deuxième phase est l’élaboration de l’idée (idea elaboration). Elle est entendue comme
un processus d’évaluation systématique du potentiel de l’idée à des fins de clarification et de
développement. Une fois qu’une idée de base a été générée, l’individu cherche à l’aner en
détectant les incohérences et les améliorations possibles (Csikszentmihalyi, 1997 ; Hargadon
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et Bechky, 2006). Durant cette phase, le principal besoin est le support. Ceci peut se traduire
à la fois sur le plan émotionnel (conférant ainsi de la motivation à poursuivre la démarche) et
en termes de retours constructifs et de suggestions (pour pouvoir identifier les leviers d’amé-
lioration de l’idée initiale).
La troisième phase est la défense de l’idée (idea championing). Elle consiste à obtenir l’ap-
probation pour faire avancer l’idée et par conséquent à obtenir des ressources (en termes de
financement, de compétences ou encore soutien stratégique ou politique). À l’issue de cette
phase, l’idée peut être abandonnée ou recevoir le feu vert nécessaire à la poursuite de son
développement. Les besoins identifiés pour la réussite de cette phase relèvent de l’influence et
de la légitimité. L’influence est fondamentalement importante pour préserver les idées de la
critique et favoriser leur acceptation auprès des décideurs. La légitimité du porteur de l’idée
peut être interprétée comme un signal de nature à convaincre les décideurs sur ses compé-
tences et sa capacité à mener à bien son projet (Cattani et Ferriani, 2008).
La dernière phase est l’implémentation (idea implementation). Elle consiste à assurer la
conversion de l’idée en un résultat tangible (bien, service ou processus) qui pourra par consé-
quent être diusé et adopté. Cette phase est constituée de deux sous-phases. La première,
appelée production, correspond à la transformation du concept de base en un plan avec des
étapes détaillées à suivre pour que l’idée puisse être convertie en un produit ou service finalisé.
Lors de la seconde, (sous-phase d’impact), l’innovation est acceptée, reconnue et utilisée au
sein du domaine. Les systèmes sociaux jugent la nouveauté des produits ou services proposés
et du caractère opportun de leur intégration en tant que nouvelle norme de référence au sein
du domaine (Csikszentmihalyi, 1999). Durant cette phase, le besoin d’une vision et d’une
compréhension partagée apparaît afin de favoriser l’acceptation de la proposition de la part
des membres du domaine.
À partir d’une analyse quantitative d’envergure28, Roberts et Piller (2016) ont mis en évi-
dence que le recours aux médias sociaux est plus ecace lorsqu’il englobe ces diérentes
phases de développement de produits ou services. Les réseaux socionumériques constituent
une catégorie de médias sociaux particulière sur laquelle se focalise notre analyse. En facili-
tant l’établissement des connexions ou reconnexions utiles en milieu professionnel (Levin et
al., 2011), ils réinterpellent particulièrement les notions de réseaux personnels et de capital
social. Kane et al. (2014) dégagent quatre caractéristiques de ce type de média social (désigné
par le terme «social media networks»). Les utilisateurs y ont un profil unique, construit par
eux-mêmes, les interactions avec les membres de leur réseau et à l’aide des fonctionnalités
proposées. Diérents mécanismes permettent d’accéder, de diuser ou de restreindre l’accès
à du contenu digital. Des fonctions de recherche permettent d’établir des connexions avec
d’autres utilisateurs et de voir quelles sont leurs propres connexions sur la plateforme. Ce type
de média peut alors permettre de développer la connaissance qu’ont les utilisateurs de leurs
clients, d’accéder à des sources d’expertises externes, de faciliter les logiques de co-création
en développant conjointement idées et concepts avec de futurs utilisateurs et de soutenir les
lancements de nouveaux services et produits. (Roberts et Piller, 2016).
Si les potentialités en matière de développement de nouveaux produits ou services sont nom-
breuses, leur réalisation dépend très fortement de la manière dont ces outils sont utilisés par les
28 Le premier échantillon utilisé concerne 209 entreprises d’Europe du Nord, le second 453 entreprises d’Amérique du
Nord, d’Asie et d’Europe.
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156 [3] PRÉSENTATION DU TERRAIN DE RECHERCHE
professionnels au sein des organisations (Culnan, 2010; Roberts et Piller, 2016). Ceci justifie
la nécessité de s’intéresser aux pratiques et bénéfices concrets des acteurs dans un contexte
d’activités à haute intensité en connaissances où les enjeux liés au développement de solutions
nouvelles se trouvent exacerbés. Pour conduire cette analyse, nous nous appuyons sur la littéra-
ture qui s’intéresse aux liens entre les réseaux personnels, la créativité et l’innovation au niveau
individuel et en particulier sur la contribution de Perry-Smith et Mannucci (2017).
3. PRÉSENTATION DU TERRAIN DE RECHERCHE
L’organisation qui a constitué le terrain de recherche est un cabinet de conseil spécialisé sur
les problématiques de management des organisations. Ce cabinet compte une trentaine de
collaborateurs aux domaines d’expertises complémentaires pour adresser des questions liées
à la conduite du changement organisationnel (stratégie, management, organisation, innova-
tion, communication, etc.). Le cabinet a été fondé il y a une quinzaine d’années. Il est dirigé
par deux associés très fortement ancrés dans le contexte économique et social local. Il existe
une logique d’encastrement forte au niveau des acteurs locaux (avec des eets de réputation
et de bouche à oreille importants puisque clients et concurrents se connaissent). Les pres-
tations proposées s’adressent à des clients professionnels de diérentes natures (publiques,
privées, PME, grands groupes, etc.) et issus de divers secteurs d’activité (secteur bancaire et
financier, secteur industriel, administrations publiques, etc.). Cette société présente et réalise
des activités à haute intensité en connaissances et évolue dans un environnement attractif et
concurrentiel. Les enjeux liés au développement de solutions innovantes et de nouvelles pres-
tations sont donc forts. Ce type d’organisation constitue un terrain de recherche idoine pour
traiter des problématiques de mobilisation des réseaux sociaux à des fins d’innovation (Perry-
Smith, 2006; Cross et Cummings, 2004). Il est par ailleurs important de préciser qu’au sein
de cette organisation, le processus de développement de nouveaux services n’est pas structuré,
ni formalisé. Au-delà du support organisationnel et des ressources allouées, les consultants
s’organisent par eux-mêmes pour mener à bien le développement de prestations nouvelles.
L’accès au terrain s’est fait selon un certain opportunisme méthodique (Girin, 1979) en
raison des relations qu’entretient le chercheur avec ce cabinet pour y avoir exercer des acti-
vités. Le cabinet de conseil a lui-même connu un changement d’organisation important avec
la création de business unitsthématiques. L’idée a été de mettre à profit le savoir-faire et les
outils de gestion du changement pour adresser des thématiques spécifiques (santé et bien-
être au travail, management de la qualité, développement de l’orientation client, manage-
ment de l’innovation, développement professionnel notamment). Ces entités indépendantes
avec objectifs propres ont été confiées à des consultants expérimentés (deux consultants par
business unit) dans une logique intrapreunariale. Les consultants ont eu deux années afin de
positionner leur business unit sur le marché et proposer une ore de prestations innovante.
Ce changement d’organisation s’est accompagné d’une accentuation de la présence et de l’ac-
tivité des consultants sur le réseau socionumérique professionnel LinkedIn.
4. DISPOSITIF MÉTHODOLOGIQUE
Le caractère exploratoire de la recherche nous a incité à opter pour une architecture repo-
sant sur une étude de cas (Yin, 1984 ; Eisenhardt, 1989 ; Brown et Eisenhardt, 1997). Nous
nous sommes appuyés sur un cadre conceptuel souple qui a subi des évolutions au fil de la
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[5] PRESENTATION DES RESULTATS 157
recherche selon une démarche abductive. Le canevas de la recherche a évolué afin d’assurer
la congruence avec le matériau empirique recueilli (Avenier et Gavard-Perret, 2008). Cette
démarche abductive a constitué une base pour l’analyse du matériau empirique en vue de la
construction progressive de connaissances en relation avec des savoirs déjà admis. À l’instar
de Bouty (2000), nous avons réalisé l’analyse en partant des pratiques et bénéfices concrets
décrits par les acteurs interrogés au moyen d’entretiens semi-directifs. Les thèmes abordés
lors des entretiens ont été les suivants : présentation du poste occupé et des missions, histo-
rique et motivation du recours aux médias sociaux, description des usages et des pratiques
(temps dédié, fonctionnalités utilisées, etc.), description du portefeuille de contacts, béné-
fices perçus au niveau individuel et de l’organisation, risques perçus au niveau individuel et
de l’organisation, intentions d’utilisation future des médias sociaux. La durée des entretiens
est comprise entre une heure et une heure trente. Au total quatorze entretiens ont été menés
auprès des consultants des diérentes business units et associés du cabinet. Les données ont
été retranscrites sous forme de verbatim et codées. Le codage s’est fondé tout d’abord sur la
version détaillée de la grille d’entretien. De nouvelles sous-catégories ont été créées au fil du
codage jusqu’à stabilisation de la grille.
5. PRESENTATION DES RESULTATS
Nous proposons une restitution des résultats de notre étude de cas selon les axes principaux
qui ont fondés notre analyse. Nous apportons un éclairage sur les pratiques liées à l’utilisation
du réseau socionumérique par les acteurs rencontrés. Nous proposons ensuite une lecture des
eets engendrés dans une logique de développement de nouveaux services sous l’angle des
diérentes phases de la trajectoire d’une idée proposées par Perry-Smith et Mannucci (2017).
5.1. Des pratiques très variables selon les consultants
Si tous les consultants mentionnent l’intérêt de s’y connecter de façon relativement régu-
lière, certains associent leur utilisation des médias sociaux à un véritable investissement en
termes de temps et d’énergie: «En moyenne je dirais que ça me prend 4 heures par semaine et
c’est quelque chose que je fais sur mon temps personnel. Je regarde systématiquement qui a consulté le
profil, les notifications, je sais qui me suit et on garde contact de façon indirecte». Des répondants
mentionnent également le temps nécessaire à la gestion des groupes thématiques auxquels ils
appartiennent: «Je fais partie de plusieurs groupes et les centres d’intérêts changent dans le temps et
du coup, il faut faire le ménage en conséquence, ça prend du temps».
Pour les consultants qui font une utilisation avancée du réseau socionumérique, au-delà
des fonctionnalités permettant de rechercher des contacts, de mettre en ligne et de partager
des articles, un classement de contacts par catégories pertinentes est réalisé. « Je passe pas mal
de temps à classer mes contacts aussi: les «free lance», les autres concurrents, les partenaires, les mana-
gers, les responsables RH, les collègues et anciens collègues.Cela me permet d’aller plus vite quand je
recherche quelque chose de particulier et ça me donne une vue plus ecace de qui est dans mon réseau.
Ensuite, je peux contacter les personnes par groupe c’est pratique ». Ces pratiques témoignent de
la volonté de mettre à profit l’outil afin d’alimenter et développer un portefeuille de contacts
hétérogène et facilement mobilisable à des fins professionnelles. «Je repère des personnes qui
m’intéressent, de potentiels clients, partenaires, des experts, etc. Parfois c’est parce que certains de mon
réseau «likent» systématiquement des choses qu’ils publient. Je fais la démarche de me présenter en
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158 [5] PRESENTATION DES RESULTATS
expliquant qui je suis, ce que je fais et pourquoi je les contacte». Chez d’autres consultants l’utili-
sation faite est beaucoup plus sommaire et moins chronophage: «Je me connecte une fois par
semaine je dirais pour regarder si j’ai des messages ou des demandes de contacts». Une grande hété-
rogénéité en termes d’utilisation, de maturité des pratiques et de stratégies de composition de
portefeuille de contacts est ainsi relevée.
5.2. Un outil jugé globalement peu utile au niveau de la phase de génération d’idées
Il peut paraître délicat de chercher à établir un lien direct entre l’utilisation du réseau socio-
numérique et la génération d’idées. Cette phase revêt en eet un caractère aléatoire et impré-
visible. Elle est en grande partie fortuite et peut être influencée par une diversité de facteurs
environnementaux (Zhong, Dijksterhuis et Galinsky, 2008). Toutefois, de façon générale, les
répondants ne voient pas d’intérêt à recourir au réseau socionumérique professionnel pour
générer des idées à la fois nouvelles et utiles pour leurs ores de services. Diérentes raisons
sont évoquées. D’une part, les contenus ou les articles proposés par l’environnement social
constitué au travers de LinkedIn sont considérés comme faibles: «En général on a un titre
alléchant mais très souvent rien derrière, ça n’enrichit pas mes idées, ce n’est pas là que j›irais
fouiller ». La grande majorité des consultants rencontrés considère les contenus proposés
comme une première source d’information de nature assez générale: «Ça reste toujours du
superficiel car c’est de l›instantané. C›est une limite. Ça ne remplacera pas la presse ou les sites
spécialisés». Certains relèvent toutefois la possibilité d’obtenir une information qui va au-delà
de leur principal domaine d’expertise: «Ce n’est pas mon domaine mais je lis et relaye parfois des
articles sur des thématiques RH. Ça me donne une vision plus large et une idée de l’actualité RH».
D’autres y voient un moyen indirect d’alimenter leurs réflexions quant au développement de
nouveaux services: «Ça peut en revanche me faire rebondir sur d’autres pages, d’autres sites
pour creuser quand je veux creuser quelque chose qui m’intéresse». Ces possibilités ne sont
cependant pas exploitées par la majorité des consultants : «Non je n’apprends rien ici, ça ne
nourrit pas mes idées. Je viens plutôt ici quand j’ai déjà une idée».
Une exception notable peut cependant être relevée au niveau de cette première étape de
la trajectoire d’une idée. Le recours à LinkedIn est exploité par une minorité de consultants
aux pratiques avancées pour créer et maintenir des liens avec des experts sur des thématiques
d’intérêt au niveau international. La finalité est de pouvoir s’informer régulièrement de ce qui
est proposé sur d’autres marchés nationaux afin d’envisager les opportunités de transposition
des solutions sur le marché local. «Sur Linkedin, je suis des experts au niveau international. Je
regarde toujours ce qu’ils proposent, ce qu’ils postent, avec qui ils sont connectés, etc. Je vois ce qu’il se
passe et ça nourrit mes réflexions par rapport à ce que je pourrais proposer ici ». Utilisé en ce sens,
l’outil permet aux consultants de diversifier leur portefeuille de contacts professionnels (sur
le plan géographique en particulier) et d’alimenter leurs idées de proposition de nouvelles
prestations.
Toutefois, de façon plus générale, l’usage du média social ne semble pas susant à lui
seul afin d’alimenter le processus de variation associative (Simonton, 2003) que requiert la
phase de génération. Les informations et connaissances diusées au travers du réseau de
contacts des acteurs rencontrés sont globalement décrites comme insusamment complexes
et non-redondantes pour faciliter la génération d’idées (Taylor et Greve, 2006). Par ailleurs,
l’utilisation de l’outil ne semble pas produire d’eets au niveau de la flexibilité cognitive
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[5] PRESENTATION DES RESULTATS 159
(Dane, 2010). Elle correspond à la capacité à changer de schémas interprétatifs pour associer
et recombiner des idées ou concepts éloignés. Elle constitue selon Perry-Smith et Mannucci
(2017) le principal besoin à satisfaire par l’individu lors de la phase de génération d’idées.
Ce premier résultat peut paraître surprenant au regard des propositions élaborées par
Perry-Smith et Mannucci (2017) pour qui le nombre de liens faibles faciliterait la flexibilité
cognitive et la phase de génération. Si le réseau socionumérique constitue un moyen pour
développer ou maintenir un nombre important de liens faibles en facilitant les connexions
avec d’autres professionnels (Levin et al., 2011), les eets de son utilisation par les consultants
ne se traduisent pas lors de la phase de génération d’idées. Ce constat peut s’expliquer par
la prise en considération du caractère homogène des portefeuilles de contacts constitué en
termes de domaine d’expertise. Les réseaux des consultants sont essentiellement composés de
professionnels du même domaine et des acteurs du marché ciblé. Plus que la force des liens,
ce sont les caractéristiques similaires de contacts sur le plan des connaissances profession-
nelles qui pourraient partiellement expliquer la faiblesse des possibilités perçues lors de cette
phase. Ce constat est à mettre en relation avec les conclusions de Rodan et Galunic (2004).
Selon ces auteurs, l’hétérogénéité des contacts au sein du réseau personnel serait un élément
primordial pour découvrir de nouvelles opportunités et innover.
5.3. Des possibilités identifiées et partiellement exploitées lors de la phase
d’élaboration de l’idée
Cette phase consiste à évaluer le potentiel de l’idée de départ et à en détecter les faiblesses
et moyens d’amélioration. Les résultats de cette recherche exploratoire mettent en évidence
plusieurs possibilités oertes par le recours au réseau socionumérique en ce sens.
Le fait de consulter sur LinkedIn l’activité des contacts professionnels visés peut présenter
selon les consultants un certain intérêt pour aner leur idée de départ. «Ce que je regarde
pour me guider c’est: Qui poste quoi? Qui réagit sur quoi? Ça donne une idée de ce qui intéresse
les clients et des besoins qui pourraient être comblés». La participation aux groupes de discussion
et aux événements est également perçue comme une manifestation d’intérêt de la part des
clients et prospects: «Je fais attention àqui s’inscrit à tel ou tel groupe? Qui s’inscrit à quel événe-
ment?». Il s’agit ensuite pour les membres des business units de définir le périmètre des thé-
matiques à traiter: «Ça m’aide aussi pour bien définir le scope et optimiser les chances d’avoir des
clients pour ce qu’on va proposer». La finalité dans cette perspective est de pouvoir circonscrire
les thèmes d’intérêts au niveau du marché afin de définir l’étendue de la réponse à apporter.
Les propos d’une consultante en charge d’une business unit positionnée sur les questions de
bien-être et de santé au travail illustrent cette pratique : «J’ai utilisé Linkedin pour poster des
articles sur le techno-stress. Je pensais qu’il fallait faire quelque chose là-dessus. J’ai vu que ça suscitait
beaucoup de manifestations d’intérêt de la part de mes contacts. Ça m’a conforté dans l’idée de lancer
quelque chose sur le thème». Ce type d’initiative renvoie à la notion d’innovation de nouveau
champ d’expertise («new expertise-field innovation») proposée par Gadrey et Gallouj (1998)
dans leur analyse de différentes formes d’innovation dans le domaine du conseil. Il s’agit de
détecter un nouveau domaine d’expertise et de proposer des services de conseil aux clients
dans ce domaine spécifique.
Un autre avantage, beaucoup moins systématiquement mentionné, est de pouvoir contri-
buer à l’élaboration de l’idée au niveau de la faisabilité. Pour cela, deux stratégies sont
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160 [5] PRESENTATION DES RESULTATS
employées par les consultants aux pratiques les plus avancées. Elles requièrent, l’une comme
l’autre, une diversification du portefeuille de contacts professionnels.
La première, évoquée précédemment, vise à entrer en relation avec des experts théma-
tiques au niveau international. Les contacts et les échanges sont facilités par le fait que les
marchés convoités par ces experts dièrent de ceux des consultants locaux. «C’est sûr que c’est
beaucoup moins gênant de partager des idées et des solutions avec un expert qui se trouve en Grande-
Bretagne ou aux États-Unis. Quand j’ai des questions sur de la faisabilité ou de la mise en œuvre ils
me répondent. On a déjà essayé d’échanger avec d’autres consultants ici mais ça n’a jamais vraiment
rien donné ». La deuxième stratégie afin de faire progresser l’élaboration de l’idée en termes
de faisabilité passe par l’introduction d’hétérogénéité dans le portefeuille de contacts sur le
plan du domaine d’expertise. C’est ainsi que l’une des consultantes rencontrées compte un
sommelier dans son réseau de contacts professionnels. «Mon idée initiale c’était dans le cadre
de teambuilding de proposer des activités en faisant le parallèle entre l’acceptation du changement et
le processus de maturation du vin. Je l’ai contacté sur Linkedin pour voir s’il était intéressé et appro-
fondir cette idée. On travaille maintenant ensemble pour développer ça et le concrétiser dans le cadre
d’une co-animation».
Ces résultats font également apparaître des contractions avec les propositions de Perry-
Smith et Mannucci (2017). Selon eux, durant cette phase, le principal besoin du porteur de
l’idée est d’obtenir du support. Ceci peut se traduire à la fois sur le plan émotionnel et en termes
de retours constructifs et de suggestions. Les auteurs associent l’obtention de ce support au
développement et à la sollicitation de liens forts. Ces liens chargés émotionnellement seraient
plus enclins à fournir de l’aide et des conseils que les liens faibles. Or notre analyse met en
avant qu’au travers de l’utilisation de LinkedIn, ce sont essentiellement des liens faibles qui
permettent aux consultants de progresser dans l’élaboration de leurs idées (experts thématiques
géographiquement éloignés et professionnels issus de secteurs d’activité complétement dié-
rents de celui du conseil). L’éloignement (géographique ou thématique) et l’existence d’intérêts
convergents entre les consultants et les professionnels sollicités rendent les échanges possibles et
potentiellement fructueux lors de l’élaboration de l’idée en dépit de la faiblesse de liens.
5.4. La perception d’un moyen supplémentaire à combiner avec d’autres dispositifs
lors de la phase de défense de l’idée
La troisième phase consiste à défendre et promouvoir l’idée en vue de pouvoir poursuivre
son développement. Il s’agit d’exposer l’idée aux gardiens («gatekeepers») du domaine, de la
confronter à leur jugement en mettant en avant les effets bénéfiques au niveau du domaine
ou de l’organisation. Le porteur de l’idée doit obtenir la caution de ces «gatekeepers» afin
d’inscrire l’idée dans diérents domaines utiles à sa réalisation. Ces gardiens ont la faculté de
décider de la pertinence de l’introduction d’une nouvelle idée dans le domaine. Ils peuvent
faire partie du management et décider d’accorder des ressources au développement de l’idée
(allocation de temps, de moyen financiers, humains, matériels ou encore soutien politique).
Il peut s’agir également de représentants de domaines d’application spécifiques ou de repré-
sentants des marchés convoités. À l’issue de cette phase l’idée peut être abandonnée si elle ne
trouve pas preneur. Un exemple fourni par Perry-Smith et Mannucci (2017) pour illustrer
cette phase est celui du scénariste de film qui va chercher à vendre son idée auprès de studios
de production.
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[5] PRESENTATION DES RESULTATS 161
Dans le cas analysé, le contexte fortement intrapreneurial fait que les consultants ont toute
latitude pour développer les idées qui leur semblent prometteuses en fonction des moyens qui
leur sont alloués. Ce contexte se prête donc dicilement à l’analyse des eets engendrés pour
convaincre du bien-fondé de l’idée des «gatekeepers» au niveau interne (comme par exemple
des membres de la direction). Toutefois, s’ils avaient à le faire, les réactions suscitées sur le
réseau socionumérique pourraient être utilisées comme gage de légitimité et d’influence par
les consultants (comme par exemple le fait de pouvoir prouver l’existence d’un intérêt fort de
la part des représentants du marché ciblé).
L’utilisation faite du réseau socionumérique par les consultants est spontanément orientée
vers le test du potentiel marché de leurs idées de nouvelles prestations. LinkedIn leur permet
d’exposer leurs idées et de s’assurer de l’intérêt des clients visés. «J’avais vu que mes articles
suscitaient beaucoup de réactions chez certains responsables qualité. J’ai déjà décidé d’organiser un
événement en les y invitant. Ça a permis d’aller plus loin dans la compréhension de leurs besoins
autour de ces questions et de vraiment m’assurer qu’il y avait une opportunité au niveau du marché».
Dans cette perspective, le recours au média social est envisagé comme une première étape.
Les manifestations d’intérêt et réactions aux articles postés ou relayés par les consultants
leur permettent de présélectionner les clients professionnels à cibler. Des dispositifs complé-
mentaires tels que l’organisation d’événements sont ensuite mis en œuvre pour aller plus loin
dans la démarche de confrontation et de défense de l’idée auprès des acteurs du marché. Les
mécanismes d’influence et de légitimité dont l’importance est soulignée par Perry-Smith et
Mannucci (2017) lors de cette phase sont évoqués par les répondants : «Linkedin ça aide aussi
pour garder le contact avec des professionnels influents sur la place. Ils peuvent relayer ce qu’on fait,
c’est important pour nous. Ça nous aide à être crédibles plus rapidement quand on lance quelque chose
de nouveau sur le marché».
5.5. Un outil jugé incontournable au niveau de la sous-phase d’impact lors
de l’implémentation de l’idée
Cette dernière phase de la trajectoire permet de transformer l’idée en un résultat tangible et
d’en assurer la diusion et l’adaptation. Deux sous-phases sont ici distinguées. La première
appelée production correspond à la transformation du concept de base en un plan avec des
étapes détaillées. Aucun élément issu de l’étude de cas ne permet de mettre en évidence
les bénéfices du recours au réseau socionumérique à ce niveau. C’est avant tout lors de la
seconde sous-phase (sous-phase d’impact) que l’intérêt de l’utilisation du réseau socionu-
mérique est relevé. Il s’agit de faire reconnaître et utiliser les nouvelles ores de services au
sein du domaine. LinkedIn est perçu comme un levier incontournable lors de cette sous-
phase. Les principaux objectifs énoncés spontanément par les répondants sont en eet de
pouvoir gagner en visibilité et de positionner les business units dont ils ont la responsabilité
sur le marché: «C’est un excellent moyen pour communiquer autour de ce qui est fait, en parti-
culier les nouveautés qu’on propose, les événements qu’on organise pour y amener du monde. Il y
a un côté un peu vitrine derrière tout ça c’est certain». L’usage du média social est vu comme
une opportunité supplémentaire d’élargir le cercle de clients et de prospects lors du lance-
ment de nouvelles ores: «Le but c’est d’avoir un maximum de responsables RH et de respon-
sables innovation car ce sont les deux cibles privilégiées pour les ores développées par ma business
unit. Ça me permet aussi de me connecter avec des personnes auxquelles je n’aurais pas pensé».
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162 [6] DISCUSSION
Perry-Smith et Mannucci (2017) considèrent que le principal enjeu lors de cette sous-phase
de l’implémentation relève de l’émergence d’une vision et d’une compréhension communes
aux acteurs du domaine des avantages des nouvelles solutions proposées. Les possibilités
oertes à ce niveau par l’usage du réseau socionumérique sont également relevées: «Comme
c’est nouveau pour que ça prenne on essaie de faire un peu de buzz autour de ça. Ce qui est surtout
important c’est de bien faire comprendre la valeur ajoutée de nos nouveaux produits pour les clients
et par rapport aux concurrents». Les propos de cet autre consultant illustrent les pratiques
visant à accélérer la compréhension et la diusion des nouvelles ores auprès des acteurs
du marché: «Toute l’information qu’on diffuse sur nos nouvelles prestations on essaie que
ce soit commenté, diffusé et relayé au maximum. On fait en sorte d’alimenter les échanges,
de s’appuyer sur des témoignages, etc . ».
En somme, l’étude de cas laisse apparaître des eets contrastés du recours au média social
selon le niveau de maturité des pratiques et les phases de la trajectoire de l’idée de nouveaux
services. Les acteurs qui disposent des pratiques les plus avancées sont ceux qui mettent en
avant le plus de bénéfices. La perception de ces eets bénéfiques s’accentue à mesure du
niveau d’avancement dans la trajectoire de l’idée. Elle est faible lors de la phase de génération,
nuancée lors des phases d’élaboration et de défense de l’idée et beaucoup plus marquée et
partagée au niveau de la sous-phase d’impact lors de l’implémentation de l’idée.
6. DISCUSSION
Cet article a permis d’illustrer des apports et pratiques en lien avec l’utilisation d’un réseau
socionumérique professionnel dans une perspective de développement de nouveaux services à
forte intensité de connaissances. Plusieurs limites et prolongements peuvent être mentionnés
à l’issue de cette réflexion.
6.1. Une logique exploratoire et un matériau empirique limité
Le terrain de recherche de cet article n’est constitué que d’un seul cas. Ce choix a été guidé
par la logique exploratoire qui sous-tend cette réflexion mais également par l’opportunité
d’accéder au terrain. Le matériau empirique mobilisé pour mener cette analyse est relative-
ment limité. La source principale des données provient de quatorze entretiens semi-directifs
au total. Un prolongement possible consiste à réaliser d’autres études de cas dans un contexte
d’activité similaire (celui de la fourniture de services marchands à haute intensité de connais-
sance). Ces études de cas doivent par ailleurs être réalisées au sein d’organisation de taille
limitée, laissant place aux initiatives individuelles (cadre intrapreneurial) et où le processus de
développement de nouveaux services n’est pas structuré et standardisé.
6.2. Vers une analyse des conditions qui permettent un recours ecace aux réseaux
socionumériques professionnels pour le développement de nouveaux services
Cette recherche a mis en lumière que les consultants qui retirent le plus de bénéfices
du recours à LinkedIn sont ceux qui disposent des pratiques les plus avancées et y ont
consenti le plus d’investissement. Cette observation est à mettre en parallèle avec les
conclusions de Kane et al. (2014) selon lesquelles le niveau de maturité des pratiques
liées aux médias sociaux conditionne les bénéfices engendrés. Il serait donc intéressant
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[6] DISCUSSION 163
de poursuivre l’analyse dans une perspective coût/bénéfice. Il s’agirait de raisonner quant
au niveau d’investissement nécessaire à la maturité des pratiques liées à l’utilisation des
réseaux socionumériques par rapport aux eets engendrés pour le développement de nou-
veaux services. Une telle réflexion s’inscrirait dans la lignée de travaux menés sur les coûts
relatifs au développement du capital social (Hansen, Podolny et Pfeer, 2001 ; Glaeser,
Laibson et Sacerdote, 2002).
Il ressort également que les représentations que se font les acteurs de la nature des béné-
fices potentiels liés à cet outil conditionnent leurs pratiques, la composition de leur porte-
feuille de contacts et donc les avantages retirés (ce qui vient donc conforter leurs représen-
tations de départ). Les consultants qui ne voient qu’un intérêt en matière de visibilité sur le
marché ont tendance à ne constituer leur réseau de contacts que des acteurs locaux ciblés (ex:
DRH, responsables qualité, etc.). Dans ce contexte, le niveau d’ouverture ne favorise pas l’ac-
cès à de l’information ou de l’expertise nouvelles et l’utilisation de l’outil peut dicilement
constituer une source d’inspiration pour développer des solutions innovantes. Les bénéfices
sont alors cantonnés à des gains en visibilité sur le marché local. Partant du constat que les
bénéfices perçus conditionnent les pratiques et stratégies relationnelles des acteurs, il semble
important de travailler sur les représentations qu’ils se font des médias sociaux. Il s’agirait
en ce sens d’intégrer la mise en exergue de la diversité de pratiques et bénéfices potentiels
pour le développement de nouveaux services dans le cadre de dispositifs d’accompagnement
managériaux.
Par ailleurs, les conclusions de Roberts et Piller (2016) mettent en avant la nécessité
d’aller au-delà d’une simple présence sur les médias sociaux et de la constitution d’un vivier
de contacts pour favoriser l’innovation. Il appartient au management de définir clairement
la stratégie et les objectifs à partir des finalités de l’utilisation de ces outils pour le dévelop-
pement de nouveaux services. Plusieurs questions permettent d’orienter les réflexions en ce
sens. S’agit-il de rechercher des idées pour développer de nouveaux concepts de service ?
S’agit-il de rechercher de l’information et de l’expertise technique pour améliorer les capa-
cités de résolution de problèmes nouveaux rencontrés par les clients ? La finalité est-elle
d’améliorer la créativité en s’adressant aux utilisateurs et aux clients et en générant de nou-
velles idées et concepts avec eux ? Une fois ce cadrage eectué, des dispositifs de repérage
et de diusion des pratiques organisationnelles jugées ecaces et pertinentes pourraient
être déployés.
Enfin, les résultats de cette enquête exploratoire ont montré l’existence très limitée de
pratiques orientées vers la génération de nouvelles idées de prestations au travers de l’ou-
til LinkedIn. Ce n’est pas la finalité première de ce réseau socionumérique professionnel.
Il est utilisé essentiellement par les consultants comme une première source d’informa-
tion ou pour tester des idées préexistantes de développement de nouveaux services. Dès
lors, une suite envisageable pour cette réflexion consiste à analyser la complémentarité de
diérents médias sociaux (réseaux socionumériques, forums ou blogs spécialisés avec la
présence d’experts, wikis, etc.) et mettre en évidence l’intérêt d’un usage et de pratiques
diérenciés selon les cycles du processus de développement de nouveaux services ou les
objectifs poursuivis (i.e., compréhension et analyse des besoins du marché, évaluation de la
faisabilité technique de la solution par les interactions avec des experts, lancement à l’aide
des possibilités de diusion, relais, recommandations ou encore témoignages oertes par
les médias sociaux, etc.).
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164 [7] CONCLUSION
6.3. Vers l’identification de leviers pour capter le potentiel de valeur par
l’organisation et contrebalancer les risques liés à des pratiques individuelles
émergentes
L’utilisation qui est faite des médias sociaux dépend très fortement de l’intentionnalité des
acteurs: « Ce réseau c’est à moi, c’est moi qui l’ai construit, je demain je pars, je pars avec…
C’est juste que je décide à un moment donné de l’utiliser au service de l’entreprise ». Il ne faut
donc ne pas perdre de vue que ces réseaux de contacts sont animés, entretenus et mobilisés
par des individus qui ont leurs propres stratégies. «C’est un moyen de se faire connaître aussi, au
niveau individuel je veux dire». Un enjeu important pour l’organisation est donc de comprendre
comment capter de la valeur, par l’accès à des ressources utiles au développement de nou-
veaux services par exemple, en incitant les acteurs à mettre à disposition de l’organisation leur
réseau personnel. La compréhension fine des possibilités et leviers de conciliation des inté-
rêts stratégiques des acteurs et de ceux de l’organisation nécessite la mobilisation de travaux
complémentaires comme par exemple ceux de Bouty (2010) sur les fondements des décisions
d’échanges informels de ressources entre ingénieurs R&D au niveau interorganisationnel.
Une autre voie de recherche possible est d’investiguer les risques posés par des comporte-
ments d’échanges médiatisés et développés en dehors de politiques organisationnelles définies.
L’utilisation des médias sociaux sur la base de seules décisions et pratiques individuelles peut
présenter des risques de fuite d’informations ou connaissances de nature stratégique voire
confidentielle (Barnes et Barnes, 2009). L’usage des réseaux socionumériques implique en
eet que plus l’utilisateur partage de contenu plus il devient visible au niveau des réseaux de
contacts (Ellison et al., 2007). L’étude de cas exploratoire met en avant la conscience de ce
type de risques chez certains consultants. Ceci impacte notamment la manière dont ils consti-
tuent leur réseau de contacts professionnels: «Je fais une distinction entre les gros concurrents
et les petits concurrents. Les gros c’est non. Les petits concurrents sur les mêmes thématiques mais pas
trop armés je peux le prendre mais je reste vigilante». La maîtrise des flux d’informations et de
connaissances des acteurs de l’entreprise vers l’environnement externe apparaît comme donc
un enjeu important dans la mise en œuvre de modèles d’innovation ouverts au moyen des
médias sociaux.
Au-delà des risques, l’utilisation des médias sociaux peut aussi engendrer des eets néga-
tifs sur les performances en termes de développement de nouveaux produits ou services. La
perte de temps occasionnée afin de filtrer et sélectionner l’information et les contacts perti-
nents est illustrée par ce consultant: «Je dois beaucoup trier l’information. Par exemple les groupes
envoient automatiquement des mails chaque jour pour les news et ça alourdit la boîte aux lettres et ça
prend du temps». Ce type de risque est également souligné par Roberts et Piller (2016) qui font
état d’eets néfastes en raison de dicultés à se repérer dans la profusion des contributions et
à évaluer la fiabilité des informations. Il semble donc opportun d’alimenter les réflexions sur
les moyens de se prémunir de ce type d’inconvénients sans pour autant se priver de possibilités
pour le développement de nouveaux services.
7. CONCLUSION
Cette recherche a permis d’explorer, à un niveau individuel, les pratiques et bénéfices associés
à l’usage d’un réseau socionumérique professionnel dans le cadre de développement de nou-
velles prestations de services. Le contexte de l’analyse est celui d’une société conseil de taille
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RÉFÉRENCES 165
restreinte où l’intrapreneuriat et l’innovation de service prennent une importance particulière
pour assurer la compétitivité. Le recours au média social relève de l’initiative des acteurs ren-
contrés et ne s’inscrit pas dans une politique organisationnelle prédéfinie.
L’analyse met en évidence des eets contrastés du recours au média social en fonction
du niveau de maturité des pratiques et des phases de la trajectoire de l’idée de nouveaux
services. Les acteurs qui mettent en œuvre des pratiques avancées recensent des bénéfices
supérieurs. Cette perception est accentuée à mesure du niveau d’avancement dans la trajec-
toire de l’idée. Les interactions et l’accès au contenu générés par le portefeuille de contacts
des acteurs rencontrés sont globalement jugés de faible utilité lors de la phase de génération
d’idées (ils sont surtout considérés comme une première source générique d’information).
Davantage de possibilités sont mises en exergue lors de la phase d’élaboration de l’idée. Le
fait de pouvoir se connecter, interagir et consulter l’activité des professionnels des marchés
convoités permet aux consultants d’aner leur idée de départ. Une minorité des consultants
aux pratiques avancées emploie l’outil afin d’introduire de la diversité en termes de localisa-
tion géographique et de domaine d’expertise au sein de leur réseau de contacts. Les consul-
tants qui cherchent à diversifier leur portefeuille de contacts sur le plan géographique entrent
en relation avec des experts aux domaines de compétences similaires aux leurs et œuvrant sur
d’autres marchés nationaux. L’éloignement géographique des marchés convoités facilitent les
échanges et interactions notamment sur des questions de mise en œuvre et de faisabilité de
l’idée. Quelques pratiques isolées consistent également à entrer en relation avec des profes-
sionnels aux domaines de compétences très éloignés de ceux des consultants. L’objectif est
de faire progresser l’élaboration d’idées au caractère original en s’appuyant sur la fertilisation
croisée des expertises (par exemple celles d’un consultant et celles d’un sommelier dans le
cadre du développement d’activités de teambuilding). Ces possibilités sont toutefois encore
très faiblement exploitées. Lors de la phase de défense de l’idée, l’utilisation de LinkedIn
est considérée comme un moyen supplémentaire de confrontation et de défense de l’idée
auprès des représentants des marchés ciblés. L’utilisation de l’outil est alors orientée vers le
test du potentiel marché des idées de nouvelles prestations. Des moyens complémentaires
sont ensuite mis en place afin d’aller plus loin dans la réalisation de cette phase. Il s’agit
notamment d’organiser des événements pour échanger de façon plus directe avec des clients
potentiels et pour partie identifiés par le biais du réseau socionumérique. Enfin lors de la
phase d’implémentation, le média social est perçu par l’ensemble des consultants rencontré
comme un levier incontournable pour promouvoir les nouvelles ores. L’outil permet en eet
de communiquer autour des nouveautés et de susciter des échanges, réactions et témoignages
susceptibles de favoriser la compréhension des avantages et l’adoption par les contacts profes-
sionnels visés. Ces résultats, issus d’une recherche exploratoire, appellent d’autres travaux en
vue de mieux cerner les pratiques et eets de l’utilisation des médias sociaux dans un contexte
de développement de nouveaux services à haute intensité en connaissance.
RÉFÉRENCES
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Michaël BÉNEDIC est Docteur en Sciences de Gestion, Chercheur au Centre Européen de
Recherche en Economie Financière et Gestion des Entreprises (CEREFIGE). Il occupe un poste de
Maître de Conférences Associé au département GEA de l’IUT de Metz au sein de l’Université de
Lorraine. Ses enseignements portent sur la gestion des ressources humaines ainsi que sur le manage-
ment de l’innovation et le management stratégique. Ses recherches portent plus spécifiquement sur
les processus d’échange et de création de connaissances aux niveaux intra et inter-organisationnels.
Il s’appuie en particulier sur les travaux relatifs aux réseaux sociaux et au capital social, aux médias
sociaux, au knowledge management et aux communautés de pratique. Michaël réalise également des
interventions auprès d’entreprises et d’administrations pour le compte d’un cabinet de conseil spé-
cialisé en gestion du changement au Grand-Duché du Luxembourg. Il a travaillé avant cela pendant
plusieurs années au Centre de Recherche Public Henri Tudor comme ingénieur R&D sur des pro-
blématiques de management de la créativité organisationnelle et de l’innovation.
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RÉFÉRENCES 169
Title: How can social media improve new services development? An exploratory study in a
knowledge-intensive activity context
Abstract: The purpose of this article is to shed light on the individual practices, benefits and
challenges related to the use of social media for new services development. The potential
for innovation oered by the emergence of these tools is highlighted by the scientific and
professional literature, but the benefits seem to be still largely untapped. In the context of
knowledge-intensive business services, competitiveness highly depends on the ability to deve-
lop novel and tailor-made solutions. The challenges of using social media to meet the needs
of the market and innovate are therefore particularly important. This exploratory research is
conducted with a case study within a consulting firm. Consultants use a professional social
network website to develop their news services in an intrapreneurship context. The results
highlight contrasting eects of the use of social media according to the maturity of practices
and the level of progress in the idea journey.
Keywords: Social media, new service development, individual practices, idea journey, social
network.
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