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Le regard des chercheurs : Le retour inattendu de la
tolérance
Nonna Mayer, Guy Michelat, Tommaso Vitale, Vincent Tiberj
To cite this version:
Nonna Mayer, Guy Michelat, Tommaso Vitale, Vincent Tiberj. Le regard des chercheurs: Le retour
inattendu de la tolérance. La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2015,
La Documentation française, pp.285 - 293, 2016, 9782110101716. �hal-02409296�
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CHAPITRE 1
LE RETOUR INATTENDU
DELATOLÉRANCE
Grâce à l’indice longitudinal de tolérance, fondé sur 69 séries de questions du
baromètre annuel de la CNCDH portant sur les opinions envers les minorités,
on peut mesurer l’évolution annuelle de la tolérance depuis 1990. Cet indice
montre que le niveau des préjugés varie, et parfois de manière brutale. Les
citoyens sont ambivalents sur ces questions, comme l’a montré le politologue
Paul Kellstedt 3 pour les Américains. En chacun de nous coexistent des disposi-
tions à l’ouverture aux autres et à la fermeture. La prédominance des unes sur
les autres dépend du contexte et particulièrement de la manière dont les élites
politiques, racontent l’immigration et la diversité.
L’année 2015a été riche d’événements susceptibles de peser dans les deux sens,
soit vers plus de crispation envers les immigrés et les minorités en France soit,
au contraire, vers plus d’ouverture. Les attentats de janvier et de novembre 2015
pouvaient ainsi créer une « peur normative » au sens où l’entend la psychologue
Karen Stenner 4, nourrissant le rejet des immigrés en général et des musulmans
en particulier, ou, au contraire, accentuer le sentiment de solidarité avec la
communauté juive directement touchée par l’attaque contre l’Hyper Cacher,
par exemple. De même, la crise des réfugiés syriens pouvait soit exacerber les
craintes face à leur nombre croissant, en provenance d’un pays musulman qui
plus est, soit remettre au centre du jeu des valeurs de solidarité, particulière-
ment après les photos du jeune Aylan et la politique d’accueil prônée par la
chancelière Angela Merkel.
L’histoire de l’indice longitudinal de tolérance nous apprend que les attaques
terroristes ne produisent par elles-mêmes aucun effet systématique. Depuis
1990, il y a eu les attentats islamistes de l’été 1995à Paris, ceux de Washing-
ton et New York en septembre 2001, ceux de Madrid en mars 2004, ceux de
Londres en juillet 2005. Pourtant, en 1995, 2001 et 2004 on ne constate pas
de crispation raciste en France. Entre 1994 et 1995, l’indice reste stable, entre
2000 et 2002, la tolérance progresse, tout comme entre 2003 et 2004. Si on
constate une baisse importante de l’indice entre 2004 et 2005 c’est avant tout
3. Paul Kellstedt, The mass media and the dynamics of American racial attitudes, Cambridge, Cambridge
University Press, 2003.
4. Karen Stenner, The Authoritarian Dynamic, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj,
Tommaso Vitale
le regard deschercheurs surlesdIfférentes formes de préJugés
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à cause de la flambée de violences consécutives à la mort de Zyed et Bouna à
Clichy-sous-Bois. Quant aux attentats de janvier 2015, l’enquête de la CNCDH
menée en mars de la même année montre qu’ils ont été suivis par une remontée
de la tolérance de 3 points, d’autant plus remarquable qu’elle s’est produite
en moins de deux mois.
Ce sont moins les événements en tant que tels qui peuvent influer sur les opinions
des individus, que la manière dont ils sont « cadrés » (framed) par les élites poli-
tiques, sociales et médiatiques. Les responsabilités de ces dernières sont donc
particulièrement importantes pour donner le ton, imposer un récit dominant.
Par exemple en 2005 le débat s’est focalisé autour de la notion « d’émeutes
musulmanes », au détriment d’autres manières de couvrir et d’interpréter ces
événements comme celle des inégalités sociales ou de la relégation urbaine par
exemple. Ce prisme musulman a eu des conséquences majeures sur la montée
de l’islamophobie dans certaines strates de l’opinion publique et a abouti à une
baisse de l’indice de 6 points. La présidentielle de 2007 s’est jouée en partie à
Clichy-sous-Bois. À l’inverse, les attentats de janvier ont été l’occasion de « sortir
par en haut », grâce notamment aux manifestations du 11janvier. Les citoyens
qui sont descendus dans la rue prônaient la tolérance, le refus des amalgames et
l’attachement à la liberté d’expression et non le rejet de l’islam et des immigrés
(voir infra le chapitre 6 de cette partie).
Le score du Front National aux élections départementales, puis régionales de
2015, la montée des actes racistes, antisémites et islamophobes particulièrement
forte cette année
5
, pouvaient laisser augurer d’une augmentation de l’intolérance.
Cela d’autant plus que les atermoiements du gouvernement et de l’opposition
sur la politique à mener face aux réfugiés syriens tout comme le débat autour
de la déchéance de nationalité n’avaient pas donné un signal clair vers plus
de tolérance. Pourtant les évolutions de l’indice sont non seulement positives,
mais particulièrement fortes.
Les évolutions de l’indice global de tolérance
Encadré 1. Présentation de l’indice longitudinal de tolérance
L’indice longitudinal de tolérance a été créé en 2008 par Vincent Tiberj selon la méthode élaborée par
le politiste américain James Stimson. Son objectif est de mesurer de manière synthétique les évolutions
de l’opinion publique à l’égard de la diversité avec un indicateur comparable dans le temps.
Plutôt que de se fonder sur une seule question susceptible d’être affectée par des biais de mesure et des
erreurs d’une année à l’autre, ou de ne pas être reposée chaque année, l’indice agrège désormais 69
séries de questions posées à au moins trois reprises dans le baromètre CNCDH, qui couvre désormais
la période 1990-2016. Ainsi deux nouvelles questions sur les Roms viennent d’être intégrées, ainsi que
deux nouvelles concernant les stéréotypes anti-juifs. 51 d’entre elles, soit environ 74 %, ont été posées
à au moins 8 reprises. Pour 6 d’entre elles, on dispose de mesures sur au moins 15 années. Outre la
condition d’être répétées dans le temps, ces séries ne sont sélectionnées que si la question porte sur une
dimension préjudicielle à l’égard d’une minorité ethno-religieuse ou touchant directement l’individu dans
son rapport à l’autre. Sont exclues les questions sur l’homosexualité, la peine de mort ou le sentiment
5. Le total des actes et menaces racistes, antisémites et islamophobes a atteint en 2015 un nombre record
de 2032, en hausse de 22 % par rapport à celui de 2014.
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d’insécurité par exemple. En revanche toutes les questions relatives à la tolérance à l’égard des juifs,
des musulmans, des noirs ou des Roms ont été incluses, tout comme des questions plus générales ayant
trait au jugement sur l’immigration ou au multiculturalisme.
Chacune des séries utilisées dans le calcul de l’indice prend pour l’année considérée une valeur calculée
en rapportant la proportion de positions tolérantes dans l’échantillon à la somme des proportions de
réponses tolérantes et intolérantes. Ce score peut se comprendre comme la part d’opinions tolérantes
exprimées. Si la question « les immigrés sont la principale source d’insécurité » obtient une note de
54, cela signifie que parmi les personnes ayant répondu à cette question, 54 % rejettent cette idée.
Une fois ces valeurs calculées pour les 69 séries, une procédure statistique est appliquée qui permet de
« résumer » l’information qu’elles contiennent pour aboutir à cette mesure synthétique.
Au final on obtient une note globale de tolérance pour l’année considérée, qui peut théoriquement
évoluer de 0 si les personnes interrogées ne donnaient jamais la réponse tolérante, à 100, si elles la
donnaient systématiquement. L’avantage des scores calculés pour chacune des années est qu’ils sont
comparables. Ainsi une augmentation de l’indice sur une année équivaut à une progression de la
tolérance dans l’opinion publique française, une diminution un retour vers l’intolérance. Le deuxième
avantage de ce mode de calcul est que ces évolutions s’avèrent beaucoup plus fiables qu’une question
ou un ensemble de questions. Ainsi, pour un échantillon de 1000 personnes, la marge d’erreur pour
une question est d’environ +/-3,2 %. Par exemple si 56 % des personnes interrogées estiment que les
Roms forment un groupe à part dans la société, on sait qu’il y a 95 chances sur 100 que la proportion
correcte varie entre 59,2 % et 52, 8 %. Pour l’indice global calculé en 2009 par exemple, la marge
d’erreur globale est de +/-1,6 %, pour le même intervalle de confiance (95 %).
Figure 1.1. L’indice longitudinal de tolérance (1990-2016)
L’augmentation de la tolérance entre mars 2015 et janvier 2016 est de 5 points,
passant de 59à 64 sur 100. Ce niveau est équivalent à celui de l’année 2004 et
place l’année 2016 dans les 5 années les plus tolérantes sur cet indice. Surtout,
cette évolution efface presque entièrement la baisse des années 2010-2013,
dont on avait relevé à l’époque non seulement l’ampleur, mais aussi la durée.
L’augmentation de l’indice entre 2015 et 2016 vient donc confirmer celle enre-
gistrée en 2014 et en 2015.
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Une telle remontée de l’intolérance a rarement été constatée sur une année.
Seules les évolutions de l’indice mesurées entre 2001 et 2002 (+7) ou entre
2004 et 2005 (-6) ont dépassé cette amplitude. Cela indique bien la spécificité
de la période que la France vient de traverser. Incontestablement, 2015 restera
une année particulièrement mouvementée. Reste à comprendre ces évolutions,
dont on aurait pu attendre qu’elles suivent un autre chemin, vu le contexte des
débats de l’année 2015.
Comme on le fait remarquer depuis la création de l’indice en 2009, ces évolutions
nous rappellent combien il serait faux de considérer la tolérance ou l’intolérance
comme des attitudes stables, construites une fois pour toutes pendant les années
« d’impression » de la petite enfance (une conception « stabiliste » qui remonte
à Theodor Adorno et à ses collègues). Au contraire, l’indice montre bien que
les Français évoluent sur ces questions, tant à la hausse qu’à la baisse. Prises
à la lettre, les évolutions de l’ILT entre 2009 et 2015 impliquent que près d’un
Français sur dix serait passé de la tolérance à l’intolérance avant de revenir à
ses positions antérieures. On ne peut exclure, compte tenu du type de données
dont on dispose, que la proportion de répondants ayant changé d’attitude soit
encore plus forte : ceux qui sont responsables de la baisse de l’indice entre 2009
et 2013 ne sont peut-être pas tous revenus à leurs positions d’avant ; d’autres
individus pourraient être à l’origine de la remontée de la tolérance.
Non seulement les attitudes intolérantes et xénophobes ne sont pas aussi
stables qu’on pourrait le croire, mais la tendance actuelle paraît aller vers des
oscillations de plus en plus fortes. C’est, en tout cas, l’impression visuelle qui
se dégage de la figure 1-1.
Les conditions susceptibles de faire évoluer l’indice sont connues. En premier lieu,
il y a les facteurs de long terme favorables à l’ouverture à la diversité que sont
l’élévation du niveau de diplôme et le renouvellement générationnel. Ensuite,
la dégradation des conditions économiques
6
semble peser en sens inverse, vers
moins de tolérance. Enfin la couleur politique du gouvernement influe selon le
modèle dit « thermostatique » 7 soit vers plus de tolérance si le gouvernement
est de droite, soit vers plus de crispation s’il est de gauche. À la lumière de
ces résultats, la singularité de l’année 2015 est encore plus marquée : on aurait
pu s’attendre à plus d’intolérance à la fois pour des raisons économiques et
politiques, or c’est l’inverse qui s’est produit.
6. Avant 2009 nous n’avions pas relevé de lien significatif entre niveau de chômage ou taux de crois-
sance du PIB et évolutions de la tolérance (voir Jim Stimson, Vincent Tiberj, Cyrille Thiébaut, « Le mood, un
nouvel instrument. Au service de l’analyse dynamique des opinions », Revue française de science politique,
60(5),2010, p.901-926). Néanmoins la « grande crise » de 2008 pourrait bien avoir changé la donne.
7. Christopher Wlezien, «The Public as Thermostat: Dynamics of Preferences for Spending», American
journal of political science, 39(4), 1995, p. 981-1000.
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Une remontée de la tolérance à large spectre
Le phénomène est d’autant plus remarquable que cette remontée de la tolérance
touche des groupes très différents, comme l’indiquent la figure 1-2 qui montre
les évolutions de la tolérance au sein des différentes cohortes et la figure 1-3
qui fait de même pour les groupes politiques.
Figure 1.2. Les évolutions de la tolérance par cohortes de naissance
On retrouve des résultats relativement classiques.Chaque nouvelle cohorte
est plus tolérante que celles qui l’ont précédée, en fonction du moment où ses
membres ont été socialisés. En cela les préjugés sont des « échosde mondes
anciens », où par exemple la notion de race et le racisme biologique faisaient
partie du sens commun. Enfin, rappelons que les préjugés ne sont pas un effet
de l’âge et du vieillissement. Par exemple entre 1999 et 2009, chaque cohorte
a vieilli de 10 ans, pourtant la tolérance a considérablement progressé, qu’elle
compte surtout des retraités (les cohortes nées avant 1940 ou entre 1940 et
1955), des actifs (les cohortes 1956-66 ou 1957-77) ou des jeunes pas encore
ou tout juste entrés sur le marché du travail (nés après 1977). Plutôt que de lier
conservatisme et âge, idée trop souvent présente dans les débats publics, il
convient plutôt de raisonner en termes d’effets de période : indépendamment
de leurs positions dans le cycle de vie, les individus sont affectés par le contexte
de l’enquête, qui incite soit à plus soit à moins de tolérance.
La remontée de tolérance constatée en 2016a obéi à une chronologie différente
selon les cohortes. D’abord, il est frappant que les personnes interrogées nées
dans les années 1967-77 se soient retrouvées au même niveau que leurs aînés
en 2013. Même si les plus jeunes voyaient leur tolérance reculer, la cohorte née
en 1977 et après était la seule à relativement résister. Clairement, les individus
nés entre 1967 et 1977 et leurs cadets ont été particulièrement réactifs aux
événements de janvier 2015, avec une remontée marquée de leur indice de
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avant 1940 1940-55 1956-66 1967-76 1977 et après
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toléranceen moins d’un trimestre : +9 points pour les premiers, +8 points pour les
seconds. Rappelons que ces cohortes sont aussi celles qui ont le plus manifesté
en janvier, ou auraient le plus souhaité le faire. À l’inverse, les baby boomers
nés dans les années 1940-55 semblent ne pas avoir été touchés (d’ailleurs, ils
sont aussi les plus opposés aux mobilisations « Je suis Charlie »), tandis que les
membres de la cohorte suivante voyaient leur niveau de tolérance progresser
de 4 points (voir infra, chapitre6).
On pouvait craindre une fracture sociale après les attentats de janvier, entre
des générations anciennes traversées par des tensions xénophobes et des
générations post-baby-boom moins promptes à l’amalgame et plus soucieuses
du vivre ensemble. Les succès électoraux du Front National en 2015 viennent
pour partie peut-être de là
8
. Mais il semble que les cohortes diffèrent dans
leur réactivité aux événements. Ainsi, les cohortes nés en 1956-66 et 1940-55
voient leur tolérance progresser beaucoup plus vite dans la période février
2015-janvier 2016 : +9 points pour les premières, +10 points pour les secondes
contre +2 points pour la cohorte née en 1977 et après et +5 points pour la
cohorte 1967-77. Il est malheureusement impossible de dater plus précisément
la période et le rythme de cette progression. Est-ce le débat sur la déchéance
de nationalité de décembre-janvier?Les discours anti-FN de l’entre-deux tours
des régionales? La photo du petit Aylan? Autant d’éléments qui peuvent avoir
été déclencheurs et que l’enquête par sondage n’a pu saisir.
8. Il faut rappeler que si l’on tient compte de l’abstention particulièrement élevée dans ces cohortes
récentes, en calculant les scores du FN par rapport aux inscrits, ce dernier fait nettement mieux nationa-
lement dans la tranche d’âge des 65 ans et plus que dans celle des 18-24 ans, tant aux départementales
qu’aux régionales de 2015, comme aux élections européennes de 2014.
Figure 1.3. Les évolutions de la tolérance par positionnement politique
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Gauche Centre Droite
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On retrouve une chronologie des évolutions assez proche quand on prend en
compte le positionnement politique des répondants. Dans ce graphique (figure
1.3), comme dans les enquêtes précédentes, les électeurs de gauche s’avèrent
systématiquement plus tolérants que les électeurs se plaçant au centre, qui
eux-mêmes le sont plus que les électeurs se plaçant à droite.
La gauche a un peu plus réagi que la droite après les événements de janvier
2015 : l’indice augmente de 6 points pour la première contre 3 pour la seconde.
La tolérance à gauche a ainsi retrouvé un niveau équivalent à celui des années
2010 et 2011 dès mars, tandis que les électeurs de droite restaient dans des eaux
particulièrement basses, similaires à leur niveau de l’année 2000. En revanche,
la droite a particulièrement progressé dans la période mars 2015-janvier 2016,
avec une hausse de 9 points contre 3 points pour la gauche (l’évolution pour
le centre est non-significative). Au final, début 2016, la gauche et la droite ont
retrouvé et dépassé leur record historique de tolérance de 2009. Seuls les
électeurs du centre ou qui refusent de se classer s’avèrent moins tolérants en
2016 qu’en 2009.
L’élasticité au contexte est donc différente selon les positionnements politiques :
autant la gauche a plutôt bien résisté entre 2009 et 2014 dans une phase de
retour d’intolérance (-7 points), autant les électeurs du centre et de droite y
ont été particulièrement sensibles (-13 points). Mais un des enseignements
de la période qui vient de s’écouler est que cette élasticité peut se manifester
aussi dans l’autre sens. On avait pointé du doigt la responsabilité de certains
leaders de l’UMP dans la période 2012-2013, notamment Jean François Copé
avec ses propos sur l’arrachage des pains au chocolat pendant le Ramadan,
ou lors des débats autour de la loi Taubira. Cette remontée de la tolérance
peut être a contrario liée aux prises de positions de leaders politiques comme
Xavier Bertrand, Alain Juppé ou Nathalie Kosciusko-Morizet qui essayent de
faire exister une autre ligne, plus ouverte à la diversité, dans leur parti. Il faut
souligner toutefois une division des répondants de droite sur ces sujets, à la
différence de leurs homologues de gauche chez qui la tolérance est l’opinion
largement dominante.
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Une remontée qui profite à toutes les minorités
Non seulement la tolérance générale a progressé, mais c’est aussi le cas pour
l’ensemble des minorités qui peuvent être exposées au racisme. La tolérance
envers la communauté juive a progressé de 3 à 5 points selon la version de
Figure 1.4. Les indices de tolérance par minorités
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Figure 1.5. Indice de tolérance pour les Roms
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l’indice que l’on prend en compte
9, de 6 points pour les Roms et de 7 points
pour les noirs, les maghrébins et les musulmans. Ce résultat démontre encore
une fois qu’il est nécessaire de distinguer entre la logique des opinions qu’on
mesure dans le baromètre de la CNCDH et les évolutions des actes racistes.
Ces deux phénomènes s’avèrent très souvent indépendants les uns des autres.
Quoi qu’il en soit, la remontée de la tolérance sur la période 2014-2016 atteint un
niveau inégalé depuis 1999 pour ce qui est de l’acceptation de la communauté
noire (indice de 79), revient au niveau d’avant la chute d’après 2009 pour les
maghrébins (69) et pour les juifs (82). Seule la tolérance envers les musulmans et
les Roms reste significativement en deçà du niveau de 2009. Autrement dit, alors
qu’on aurait pu craindre des amalgames entre musulmans et djihadistes qui se
seraient traduits par la libération de sentiments islamophobes, les répondants
semblent avoir résisté à ce « cadrage » proposé notamment par l’extrême droite.
Remontée réelle ou artefact?
Face à ces résultats qui pointent presque tous vers une remontée de la tolérance,
il convient de rester prudent. Apriori, le scénario d’une dynamique autoritaire,
aboutissant à un raidissement des attitudes envers les différentes minorités en
France, ne s’est pas produit, ce qui est appréciable. Néanmoins, on peut se
demander si ces résultats ne sont pas « trop beaux ». Plusieurs éléments doivent
être rappelés. En premier lieu, l’institut en charge du terrain de l’enquête a
changé entre mars 2015 et janvier 2016, même si une remontée de tolérance
avait déjà été détectée après les attentats de janvier et dès la fin de l’année
2014. En deuxième lieu, les évolutions de la tolérance sont moins évidentes
dans d’autres enquêtes barométrisées. On pense ici au Baromètre d’image du
FN du Monde ou au Baromètre confiance du CEVIPOF, mais celles-ci suivent
des méthodologies et des modes de recueil différents.
Ces différences entre enquêtes menées par un enquêteur (face-à-face ou télé-
phone) et enquête autoadministrée (internet) amènent à prendre en compte un
dernier élément. Les évolutions de l’Indice Longitudinal de Tolérance reflètent-
elles les évolutions réelles des préjugés ou les évolutions de la conscience
qu’ont les répondants de la désirabilité sociale de ces opinions? Une partie
des évolutions des réponses d’une année sur l’autre peut s'expliquer par le fait
que certains répondants se sentent plus ou moins libres de donner leur opinion.
C’est ainsi qu’on a évoqué régulièrement la libération d’une parole raciste à
l’encontre de Christiane Taubira pour éclairer un retour de racisme biologique
en 2013 (aujourd’hui de nouveau marginal). La même logique peut jouer en
janvier 2016 après que les médias et nombre de responsables politiques aient
pointé du doigt le vote Front National. Reste que si les attitudes xénophobes
sont plus ressenties comme illégitimes ou « indicibles » en 2016 qu’en 2014,
c’est déjà un premier résultat positif pour la lutte contre le racisme.
9. La première version de l’indice se fonde uniquement sur les séries de questions « historiques » présentes
dès 2009 dans le baromètre. La deuxième version inclut deux nouvelles questions relatives au pouvoir et
au rapport à l’argent supposés des juifs. Elles induisent un niveau absolu de tolérance un peu moins élevé,
mais quelle que soit la version prise en compte les évolutions dans le temps restent similaires.