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À chaque démocratie son débat

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Représentative, délibérative, sauvage… À l’heure où des démocraties s’inventent et où d’autres s’ankylosent, revenons sur la place qu’occupe le débat au sein de chacune d’entre elles. Courant Dimitri, « À chaque démocratie son débat », Revue Projet, 2019/6 (N° 373), p. 59-64. https://www.cairn.info/revue-projet-2019-6-page-59.htm
À CHAQUE DÉMOCRATIE SON DÉBAT
Dimitri Courant
C.E.R.A.S | « Revue Projet »
2019/6 N° 373 | pages 59 à 64
ISSN 0033-0884
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-projet-2019-6-page-59.htm
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373 • Revue Projet • décembre 2019/janvier 2020
I
l flotte dans l’air un parfum de fin de
règne. Un peu partout dans le monde,
les constats de crises profondes des systè
-
mes politiques augmentent. Pour succéder
au gouvernement représentatif, instauré au
XVIII
e
siècle par des « pères fondateurs »
opposés à la démocratie
1
, des modèles alter-
natifs sont mis en avant. La France des « gi-
lets jaunes » en donne un parfait exemple. Il
existe une immense variété de conceptions
de la démocratie
2
, mais on distinguera ici,
schématiquement, cinq grands modèles,
différenciés notamment par leurs
rapports respectifs au débat, à la dé-
libération et à la décision. Le débat
consiste en une succession de prises
de parole plus ou moins opposées ; la
délibération est un échange d’argu-
ments et une évaluation de raisons
pour préparer un choix ; la décision
est l’action de choisir. Au sens étymo-
logique, le terme « démocratie » dé-
signe un régime da ns lequel le peuple
exerce le pouvoir. Mais sous une ap-
parente simplicité, de nombreux pro-
blèmes se posent : quel peuple ? Quel
pouvoir ? Quel débat ? Sous quelles
moda lités ?
Le premier modèle est celui de la dé-
mocratie représentative - on parle
aussi de gouvernement représenta
-
tionnel ou d’aristocratie élective Les
électeurs donnent leur voix à un élu
mais sans que celui-ci ne soit tenu de respec-
ter ses promesses et son programme : il n’y
a pas de mandat impératif. Ce modèle est
sous le feu de nombreuses critiques. La dé-
cision appartient aux représentants élus qui
délibèrent entre eux, les représentés ayant
la liberté de débattre, mais sans participer
à l’élaboration des lois. En réalité, les élus
sont peu « représentatifs » de la population
(par l’âge, la classe, le genre…). Les facteurs
institutionnels de défiance sont clairs et
s’intensient : hausse du taux d’abstention,
baisse du nombre d’encartés dans les partis
et de la conance envers les politiciens. Le
mouvement des « gilets jaunes » n’est que la
dernière expression d’une colère envers un
système « représentationnel » qui s’est éga
-
lement manifestée lors des mouvements dits
« des places » : Occupy au niveau mondial, les
Indignés en Espagne, Syntagma en Grèce,
Nuit debout en France…
Ces mouvements renvoient en partie au se-
cond modèle, la démocratie insurgeante ou
sauvage, qui s’observe dans les mouvements
•••
1 Francis Dupuis-Déri, Démocratie. Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, Lux, 2013.
2 Le philosophe Jean-Paul Gagnon a répertorié, dans un projet en cours, plus de 2234 expressions de
démocratie.
À chaque
mocratie
son débat
Représentative, délibérative, sauvage…
À l’heure où des démocraties
s’inventent et où d’autres s’ankylosent,
revenons sur la place qu’occupe le
débat au sein de chacune d’entre elles.
DIMITRI COURANT
Savons-nous encore débattre?
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sociau x, les manifestations, les occupat ions,
les blocages… Ici, le débat est avant tout un
préalable aux mobilisations et actions im-
pliquant autant les corps que les paroles.
Cette forme a historiquement mené à des
avancées sociales et politiques majeures (le
surage universel, les droits civiques ou le
droit de grève), portées, non par des majo-
rités, mais par des minorités actives. Si elle
présente l’inconvénient
d’être éphémère, elle a
permis d’exiger des
droits durables
3
. Ain
-
si, les « gilets jaunes »
ont couplé leurs ac
-
tions de protestation
avec une proposition
institutionnelle : le ré-
férendum d’initiative
citoyenne (Ric), conçu comme un droit dé-
mocratique, à l’instar du droit de vote, et lié
au troisième modèle de démocratie.
La démocratie directe ou semi-directe existe
en Suisse, dans certains États américains et
dans une quarantaine de pays. Elle permet
aux citoyens de s’exprimer et de prendre des
décisions directement par vote, sans passer
par leurs représentants. Les débats visent ici
à médiatiser une initiative an d’obtenir des
signatures, puis des votes. Une initiative doit
porter sur un sujet précis et récolter des si-
gnatures (100 000 en Suisse, 700 000 dans la
proposition des « gilets jaunes » en France)
dans un déla i déni (dix-huit mois en Suisse).
Faire aboutir une initiative est dicile (ob-
tenir les signatures susantes) et rempor-
ter ensuite la majorité est très rare. Par ail-
leurs, l’inuence de l’argent et des fausses
informations dans les débats référendaires,
où la forme prime parfois sur le fond, fait
craindre à certains que les décisions soient
peu rééchies et mal informées. En démo-
cratie directe, la logique quantitative prime ;
mais rien ne gara ntit l’aspect qualitatif. Pour
répondre à ce problème, des assemblées ci-
toyennes sont proposées an de veiller à la
qualité de la délibération.
Les deux derniers modèles, la démocratie
participative et la démocratie délibérative,
sont un entre-deux par rapport aux formes
précédentes. S’ils permettent à des citoyens
de prendre part aux délibérations politiques,
contrairement au gouvernement représen-
tationnel, ils ne conent pas pour autant
au corps civique un pouvoir de décision,
contrairement à la démocratie directe. Au
sein des modèles par ticipatifs et délibératifs,
le terme « d’assemblée citoyenne » a le vent
en poupe. Mais derrière le même vocable
se cachent des diérences importantes. Les
assemblées participatives reposent sur du
volontariat : tous ceux souhaitant y prendre
part viennent. Les assemblées délibératives
3 Arthur Guichoux,
« La démocratie
ensauvagée »,
Esprit, n° 451,
janvier-février 2019,
pp. 75-82.
La logique participative est simple : vient qui
veut. Le débat est en théorie ouvert à tous, mais,
finalement, les participants ont un profil spécifique ;
ce sont, en majorité, des hommes âgés, blancs,
politisés et diplômés.
Savons-nous encore débattre?
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373 • Revue Projet • décembre 2019/janvier 2020
•••
reposent sur du consentement : les gens sont
tirés au sort et acceptent (ou non) de venir
4
.
De plus, les assemblées participatives et dé-
libératives peuvent être le fruit du travail
de militants s’organisant par le bas, ou être
mises en place par les pouvoirs publics, par
le haut.
Participative :
des assemblées locales
et ouvertes
La logique participative est simple : l’au
-
to-sélection, « vient qui veut ». Le débat est
en théorie ouvert à tous, mais, nalement,
les participants ont un prol spécique ; ce
sont, en majorité, des hommes âgés, blancs,
politisés et diplômés. Il manque donc sou-
vent les femmes, les jeunes, les minorités,
les personnes plus précaires ou marginali
-
sées. Ce biais s’observait par exemple dans
les « réunions d’initiative locale » du grand
débat national. Cela entraîne un manque de
diversité cognitive, car
l’intelligence collec
-
tive ne fonctionne que
si le groupe de citoyens
débattant possède une
bonne variété de prols
et d’expériences de vie.
En outre, se fait sentir
le manque de modé
-
rateurs expérimentés
pour s’assurer que tous,
même les plus timides et celles et ceux qui
se sentent le moins légitimes à parler en pu-
4 Yves Sintomer,
« Délibération et
participation : anité
élective ou concepts
en tension ? »,
Participations, n° 1,
2011, pp. 239-276.
Savons-nous encore débattre?
DÉFINITION RAPPORT AU DÉBAT
ET À LA DÉCISION EXEMPLES
DÉMOCRATIE
REPRÉSENTATIVE
Système dans lequel le
pouvoir est aux mains
d’une minorité élue.
Les élus ont le monopole
des décisions publiques et
délibèrent entre eux. Les
représentés peuvent débattre
mais sans pouvoir.
La Ve République en
France et la plupart des
pays occidentaux au
XXIe siècle.
DÉMOCRATIE
INSURGEANTE
Expression populaire
passant par des
mobilisations et des
mouvements sociaux
an d’obtenir des droits.
Les débats sont vus comme
insufsants pour peser
politiquement, ils servent
surtout à préparer des
actions : manifestations,
grèves.
Les « gilets jaunes »,
Nuit Debout, Occupy,
les Indignés…
DÉMOCRATIE
DIRECTE
Système dans
lequel les citoyens
peuvent prendre des
décisions législatives
ou constitutionnelles
directement.
L’élément central est la
décision populaire, par la
récolte de signatures et
le vote. Les débats visent
surtout à médiatiser une
initiative.
La Suisse, un grand
nombre d’États états-
uniens…
DÉMOCRATIE
PARTICIPATIVE
Dispositifs ouverts
dans lesquels viennent
débattre ceux qui le
souhaitent.
Le débat est central et ouvert.
Cependant, sans facilitateur
ni diversité sociale, il risque
d’être d’une faible qualité et
de n’avoir que peu d’inuence
sur les décisions publiques.
Les budgets
participatifs (Porto
Alegre, Paris, New
York…), les réunions
de la Commission
nationale du débat
public…
DÉMOCRATIE
DÉLIBÉRATIVE
Dispositifs fermés dans
lesquels débattent des
panels diversiés de
citoyens tirés au sort.
Ces dispositifs visent à
dépasser le simple débat
pour atteindre une vraie
délibération au sens
d’échanges d’arguments
préparant une décision.
Les jurys citoyens,
les conférences
de consensus, les
sondages délibératifs,
les assemblées
citoyennes…
Les diérents modèles de démocratie
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blic, aient des opportunités de s’exprimer.
Cette lacune donne un monopole aux do-
minants sociaux et aux « grandes gueules »
qui accaparent la parole. On risque donc
une succession de monologues au lieu d’une
délibération et, pire encore, que le débat ne
serve à rien et ne soit pas suivi d’e ets poli-
tiques
5
. La participation est ainsi seulement
thérapeutique et vidée de
tout pouvoir d’ in uence.
Toutefois, elle permet
dans certains cas de
construire une commu-
nauté, de politiser des
acteurs et de résoudre un
problème, souvent local.
Il existe deux formes
d’assemblées partici-
patives. Les assemblées
populaires sont organi-
sées par la société civile
(comme Nuit Debout,
Occupy, les Indignés, les
gilets jaunes…), proches
du modèle de la démo-
cratie ensauvagée, où, assemblés, les débats
des citoyens peuvent conduire à des actions
de contestation. Les assemblées étatiques
sont, quant à elles, à l ’initiative des pouvoirs
publics : les débats de la Commission natio-
nale du débat public (CNDP), les budgets
participatifs, les procédu res de concertat ion
locale… Si elles ont parfois permis d’in é-
chir cert ains projets, elles comptent aussi des
exercices de communication politique sans
pouvoir réel.
Délibérative : des
assemblées fermées
et tirées au sort
Les assemblées délibératives, quant à elles,
sont composées de citoyens tirés au sort,
constituant un échantillon diversifié de
la population, et sont les seuls dispositifs
quali és d« assemblées citoyennes » par les
chercheurs. Elles permettent ainsi une « re-
présentation miroir » : elles sont parita ires et
assurent la même proportion de jeunes, de
femmes, etc., dans l’assemblée que dans la
population. Mais cette exigence en matière
de représentativité implique une clôture :
viennent seulement débattre ceu x qui ont été
tirés au sort et qui ont accepté de participer.
Il s’agit de consentement, pas de volontariat
(comme dans les assemblées participatives),
ni de devoir (comme dans les jurys d ’a ssises).
La qualité délibérative est assurée ici, outre la
diversité du panel, par la présence de facil ita-
teurs expérimentés et par des présentations
contradictoires d’experts. L’objectif est de
construire de bonnes
recommandations,
valables pour toute la
population. Mais ces
avantages s’accompa-
gnent aussi d’incon-
vénients : un format
fermé, une difficulté
d’organisation et un
coût élevé.
Les assemblées citoyennes organisées par la
société civile sont plutôt rares, à cause du
manque de moyens des acteurs non éta-
tiques, qui doivent recourir à des levées de
fonds et au volontariat. Des expériences ont
cependant vu le jour en Belg ique (le G1000),
5 Dimitri Courant,
« Petit bilan du grand
débat national »,
Analyse Opinion
Critique, aoc.media,
2019.
Savons-nous encore débattre?
Dimitri
Courant
doctorant
en science
l’Université de
Lausanne et
à l’Université
Paris 8.
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en Australie (le Parlement citoyen) et avec les
premières assemblées citoyennes islandaises
et irlandaises. Ces panels délibératifs, ras-
semblant entre 100 et 1 000 citoyens tirés au
sort, ne durent souvent pas plus d’une jour-
née, faute de ressources, et n’ont pas de prise
directe sur les institutions politiques.
Des assemblées citoyennes étatiques, mises
en place par les pouvoirs publics, ont une
connex ion à la décision plus prononcée, bien
que variable. Elles reçoivent un mandat des
autorités pour remplir une mission précise :
proposer, souvent au terme de plusieurs mois
de délibération, une réforme électorale (dans
deux États du Canada et aux Pays-Bas), voire
une nouvelle constitution (en Islande), ré-
viser certains articles de la constitution
(aux seconde et troisième assemblées irlan-
da ises)6... Le grand débat national français
comptait lui aussi des assemblées de ce type :
les « conférences citoyennes régionales ».
Mais elles ne duraient qu’un week-end et les
contr ibutions, pourtant intére ssantes, n’ont
pas été suivies d’eets.
Articuler
les démocraties
Si ces assemblées ainsi que ces formes de
démocratie et de débats sont diérentes,
rien n’empêche de les
articuler. Ainsi, en Is
-
lande, des manifesta
-
tions et des assemblées
populaires au sein de
mouvements sociaux
ont abouti à la mise en
place d’une assemblée
délibérative organisée
par la société civile,
conduisant nalement
les pouvoirs publics
à proposer une assemblée étatique. En
Belgique, le G1000 combinait des assemblées
ouvertes locales et une assemblée délibéra-
tive tirée au sort. Un processus similaire a
eu lieu en Irlande. Un collectif de citoyens a
organisé des débats par ticipatifs ouverts an
de construire un agenda politique « par le
6 Dimitri Courant
et Yves Sintomer,
« Le tirage au sort au
XXIe siècle. Actualité
de l’expérimentation
démocratique »,
Participations, no 23,
2019, pp. 5-32.
•••
Savons-nous encore débattre?
DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE DÉMOCRATIE DÉLIBÉRATIVE
DÉFINITION Dispositifs ouverts visant à faire
participer le plus grand nombre. Dispositifs fermés visant à faire délibérer
un panel diversié de la population.
AVANTAGES Ouverture et proximité. Représentativité et qualité de délibération
(facilitation).
INCONVÉNIENTS Manque de diversité, risque de
monologues et faible poids politique. Fermeture du débat aux seuls tirés au sort
et coûts d’organisation élevés.
EXEMPLES
NONÉTATIQUES
Les assemblées populaires au sein
des mouvements sociaux : Nuit
Debout, Occupy…
Les assemblées citoyennes organisées
par la société civile : le G1000 belge, le
Parlement citoyen australien…
EXEMPLES
ÉTATIQUES
Les débats de la Commission
nationale du débat public, les budgets
participatifs, des procédures de
concertation locale…
Les assemblées citoyennes étatiques : au
Canada (Colombie-Britannique, Ontario),
aux Pays-Bas, en Islande, en Irlande, en
France…
Comparaison de la démocratie participative
et de la démocratie délibérative
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64
bas ». Puis un panel diversi é de 100 citoyens
tirés au sort a été constitué pour délibérer
sur les trois thèmes qui avaient émergé des
réunions participatives. Le gouvernement
a alors mis sur pied une convention cons-
titutionnelle, réunissant 66 citoyens tirés
au sort et 33 élus. Celle-ci a délibéré sur
dix enjeux et trois propositions ont été sou-
mises à référendum. Deux d’entre elles ont
été approuvées par la population : le mariage
homosexuel et la  n de
l’interdiction du blas-
phème. Par la suite, un
nouveau dispositif a
réuni 99 citoyens tirés
au sort, un week-end
par mois pendant un
an et demi, pour trai-
ter cinq autres enjeux :
le droit à l’avortement,
le vieillissement de la
population, le change-
ment climatique, les ré-
férendums et les parle-
ments. Sous la pression
de manifestations ma s-
sives, le gouvernement
a accepté de soumettre le premier thème à
référendum. Et, en mai 2018, les Irlandais
votaient massivement en faveur de la léga-
lisation de l’avortement, suivant ainsi la re-
commandation du panel
7
.
L’année 2019 a vu des délibérations d’assem-
blées citoyennes dans de nombreux pays :
France, Angleterre, Écosse, Pays de Galles,
Irlande, Espagne, Belgique… Le thème
le plus récurrent est celui du changement
climatique. Dans ce cas aussi, on observe
une articulation des di érentes formes de
démocratie. Il s’agit d’une revendication de
collectifs (Extinction Rebellion et « gilets ci-
toyens ») qui ont obtenu gain de cause. Ai nsi,
en France, la Convention citoyenne sur le
climat et ses 150 citoyens tirés au sort débute
ses travaux en octobre 2019 dans l’enceinte
du Consei l économique socia l et environne-
mental (Cese). Le Cese avait conduit une pre-
mière expérience de démocratie délibérative
lors du grand débat, via un panel de 28 ci-
toyens, également tirés au sort : l’avis ainsi
rendu est partic ulièrement intéressant même
s’il est largement passé inaperçu.
L’in novation démocrat ique semble connaît re
un réel dynamisme. Il reste à voir si ces nou-
velles assemblées citoyennes s’articuleront
avec des référendums et des mobilisations
sociales pour produire des changements
politiques, permettant de revitaliser la
démocratie. Ou bien ne seront-ils que des
gadgets faisant débattre les citoyens en vain,
déconnectés de toute in uence réelle sur les
décisions politiques ? Si l’enjeu de leur insti-
tutionnalisation sur le long terme sera cru-
cial, les assemblées citoyennes seules ne sau-
veront pas la démocratie. Celle-ci ne saurait
se limiter aux dél ibérations d’une poignée de
citoyens, qu’ils soient élus ou tirés au sort ;
le reste du corps civique doit lui aussi avoir
voix au chapitre et prendre part au débat.
Penser la démocratie au XXI
e
siècle implique
de prendre en considération ses di érentes
facettes, au lieu de vouloir répliquer une « re-
cette » sans laisser place à l’inventivité. Cela
implique également de s’inspirer des expé-
rimentations passées et étrangères – mais
en allant plus loin et en expérimentant de
nouvelles pratiques –, de rouvrir l’imagi-
nation démocratique et de montrer que de
nombreuses alternatives sont possibles pour
répondre aux dé s sans précédent auxquels
nous faisons face.
7 J’ai observé et
étudié directement
le cas irlandais lors
de mes recherches.
Dimitri Courant,
« Les assemblées
citoyennes en
Irlande. Tirage au
sort, référendum et
constitution », La vie
des idées, 2019.
Savons-nous encore débattre?
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Article
La question de la légitimité des membres des assemblées citoyennes est un aspect peu étudié des exercices délibératifs et participatifs. Les membres des assemblées citoyennes, s’ils sont des acteurs clés des innovations institutionnelles, devraient disposer d’un statut juridique clairement défini afin de renforcer leur légitimité juridique. Si leur légitimité politique est forte, le vocable d’« assemblée citoyenne » contribue en partie à brouiller le cadre de leur légitimité. Une étude de la légitimité de celles-ci peut être nourrie par une analyse des deux dernières expériences françaises d’assemblée citoyenne que sont la Convention citoyenne pour le climat et la Convention citoyenne sur la fin de vie. L’utilisation du vocable d’« assemblée citoyenne » a un impact direct sur la légitimité des membres des exercices participatifs et contribue à en faire une fausse idée claire. La pérennisation des exercices délibératifs et participatifs au sein du système constitutionnel ne pourra s’opérer qu’au prix d’une clarification du statut des acteurs impliqués.
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