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Les pierres oghamiques sont des pierres qui présentent une écriture sculptée. Elles constituent un support à des messages écrits et sont en elles-mêmes une écriture dans le paysage. On les rencontre en marchant dans les champs, ou en parcourant des sites archéologiques bien repérés. L’origine de cette écriture comme son étymologie demeure assez mystérieuse bien que nous puissions transcoder cette écriture dans notre alphabet. / Oghamic stones are stones that have a sculpted writing. They are a support for written messages and are in themselves a writing in the landscape. They can be found walking in the fields, or visiting well-identified archaeological sites. The origin of this writing as well as its etymology remains quite mysterious although we can transcode this writing into our alphabet.
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Les pierres oghamiques sont
des pierres qui présentent une
écriture sculptée. Elles constituent
un support à des messages écrits
et sont en elles-mêmes une
écriture dans le paysage. On les
rencontre en marchant dans les
champs, ou en parcourant des
sites archéologiques bien repérés.
Lorigine de cette écriture comme
son étymologie demeurent
assez mystérieuses bien que
nous puissions transcoder cette
écriture dans notre alphabet.
Nous en proposons ici une étude
assez simplie qui s’accompagne
d’une série photographique
mettant en relation la pierre et
son environnement1. Chaque
pierre est associée au paysage
qui l’entoure, chaque paysage
représente en somme le point
de vue de la pierre. Les images
sont parfois associées à des
« frottographies », relevés de
l’inscription sur du papier
par contact à même la surface
minérale. Lécriture gravée
revient alors sur le papier
par une trace fragile.
Les inscriptions oghamiques
ont été trouvées en Europe du
Nord-Ouest. Leur distribution
correspond  l’aire d’inuence
irlandaise (carte 1). Elle
s’étend sur l’Écosse, le pays
de Galles, l’île de Man, le
sud-ouest de l’Angleterre
(Devon et la Cornouailles).
La plus importante concentration
d’oghams se situe en Irlande
(carte 2) avec pas moins des cinq
sixièmes des inscriptions. Leur
répartition se concentre sur
seulement trois régions : le Kerry,
Cork et Waterford. C’est-à-dire le
sud et le sud-ouest de l’Irlande.
Le Kerry à lui seul en compte
120 soit un tiers du total dont
60pour la pninsule de Dingle.
Létymologie du mot ogham
demeure incertaine, plusieurs
hypothses ont vu le jour:
Alexander MacBain, dans le
dictionnaire étymologique de la
langue gaélique (1896), note que
les formes archaïques oghum et
Ogma ma Elathan – c’est--dire «le
ls du savoir» – tireraient leur
origine du nom du dieu Ogme.
Ogme appartient aux Tuatha Dé
Danann (tribus de la déesse Dana)
qui sont des dieux qui viennent
de quatre les du nord du monde:
Falias, Gorias, Findias et Murias et
sont l’un des peuples qui auraient
occupé la terre d’Irlande. Ogme
est à la fois dieu guerrier et dieu
de la magie et il a le privilège de
pouvoir paralyser ses ennemis
par sa parole. Éloquence et poésie
sont ses armes favorites. On lui
attribue la création des oghams.
Une autre origine possible vient
de la racine gaélique og-úaim
(McManus D., 1988) qui peut
signier « point de taille », se
référant alors à la pointe d’une
arme tranchante qui pouvait
servir pour graver ces inscriptions.
Une version moins scolastique
considère l’ogham comme une
écriture sacrée où chaque lettre
associée à un végétal vénéré
possède une valeur occulte
et symbolique et était utilisée
comme outil de divination.
Comme toujours en Irlande,
l’étude historique des faits et des
objets rencontre un imaginaire
teinté de mythologie. Mais ces
pierres sont bien réelles, on les
découvre en parcourant l’île
Verte, parfois en suivant les pas
des habitants passionnés, des
historiens ou des archéologues,
mais souvent aussi par hasard.
Les pierres sont non seulement
le support à l’écriture oghamique
mais leur situation dans
l’espace leur confère une
fonction particulière. Elles
ont été trouvées sur des sites
ecclésiastiques mais également
sur des versants de montagne
ou face à la mer. Ces différentes
positions géographiques
offrent une clef de lecture sur
la fonction de ces pierres.
Elles pouvaient indiquer un lieu
sacré, une tombe, un titre, une
concession foncire, une liation.
La position des pierres pouvait
également remplir une fonction
légale (McManus) et symboliser
une frontière territoriale. Nombre
ont pu être réutilisées pour des
constructions ou déplacées.
Les 400 inscriptions oghamiques
reconnues et enregistrées dans
le Corpus Inscriptionum Insularum
Celticarum (CIIC) de Macalister
constituent la plus ancienne trace
d’irlandais. Lécriture oghamique
aurait été créée vers le ive siècle
(M.J. O’Kelly, 1989). Cependant, il
est possible que l’alphabet utilisé
pour écrire les premiers signes
graphiques du vieil irlandais ait
été utilisé dès le iiesiècle (Harvey,
1990, p. 13-14) ou même au ier
(Carney, 1975, p. 53-65) et ait
continué à être produit jusqu’au
ixesiècle (McManus). Les premières
inscriptions sont appelées
«orthodoxes» et les secondes
plus tardives sont appelées
«scolastiques». Elles tmoignent
d’évolutions dans l’épigraphie
irlandaise et utilisent davantage
une ligne dessinée comme tige.
Il s’agit d’une écriture
alphabétique composée de vingt
Les oghams,
ou les paysages
d’une écriture
à ciel ouvert
1 Ces images sont consultables
sur notre site www.a-m-e-r.com,
L’Atelier des mots et du regard.
2 3
Carte 1. Carte 2.
Ogham, Ballinrannig (2017, Pierre-Jérôme Jehel).
lettres (feda pl. de d: «bois,
arbre»), divises en quatre
familles (aicmí, pluriel de aicme
en irlandais). Chaque aicme était
nommée d’après sa première
lettre: Aicme Beithe, Aicme Húatha,
Aicme Muine, Aicme Ailme. Les
caractères ou les lettres sont
généralement appelés feda,
la ligne druim: «arte, bord,
dos». Les noms des lettres ont
probablement été inventés à
l’origine pour les sons irlandais
primitifs an d’tre reprsents
par l’alphabet oghamique. La
lecture s’opère le plus souvent
de bas en haut pour les pierres
érigées verticalement et de
gauche à droite lorsque la pierre
était couchée. Dans la tradition
manuscrite, donc plus tardive,
chacune des lettres avait un
nom, qui était un mot dans la
langue, et ce contrairement à
l’alphabet latin où les noms des
lettres n’ont pas d’autre sens.
Lécriture est donc composée de
quatre groupes de cinq encoches
qui se répartissent à gauche, à
droite, en travers et au milieu
d’une ligne souvent verticale. Les
incisions plus courtes sur l’arête
correspondent aux voyelles.
Un cinquième groupe de cinq
lettres supplémentaires a été
ajouté dans certains manuscrits,
à une époque plus tardive, et
sont appelées forfeda. Elles
correspondent aux sons ou
diphtongues d’origine étrangère.
La tige (ligne) verticale, druim
en irlandais, correspond à une
utilisation d’un angle ou d’un
4 5
Sources : https://ogham.celt.dias.ie et https://fr.wikipedia.org
bord naturel de la pierre. Des
archéologues ont émis l’hypothèse
que la pierre ne fut peut-être pas
le seul support, des tablettes en
bois auraient pu être également
utilisées comme dans l’écriture
runique ; nonobstant, aucune
à ce jour n’a été découverte.
Fionnbarr Moore (2007) montre
que les inscriptions utilisent
des formules comme :
X MAQI Y, en anglais «X ls
de Y» ; X AVI Y, dans lequel
AVI signie «petit-ls» ;
ANM qui signie «nom de»
ou KOI, qui signie «ici» ;
CELI notamment dans
la formule X CELI Y, qui
signie «X suiveur de Y».
Aicme Ailme
voyelles
Aicme Beithe Aicme Húatha Aicme Muine Aicme Forfeda
Ogham, Lugnagappul (2017, Pierre-Jérôme Jehel).
beith [b] bouleau bouleau
luis [l] herbe sorbier
fearn [w] aulne aulne
saille [s] saule saule
nuin [n] fourche/grenier frêne
Aicme Beithe
húath [y] peur ou terreur aubépine
duir [d] chêne chêne
tinne [t] barre houx
coll [k] noisetier noisetier
ceirt [kw / q / (k)] buisson pommier
Aicme Húatha
muin [m] ruse /amour vigne
gort [g] champ lierre
getal [gw puis ng] mort genêt, fougère
straif [sw] ou [ts] puis [z] soufre prunelier
ruis [r] rouge sureau
Aicme Muine
ailm [a] pin sapin
onn [o] frêne ajonc
úr [u] terre / argile bruyère
edad [e] non determiné peuplier / tremble
idad [i] non determiné if
Aicme Ailme
A
O
U
E
I
B
L
F
S
N
H
D
T
C
Q
M
G
N
Z
R
EA
OI
UI
IA
AE
Nom irlandais Latin Traduction du nom Signication mdivale
6 7
Première page de l’Auraicept na n-Éces du livre de Ballymote
(Dublin, Royal Irish Academy, MS. 23 p 12, F. 170r).
Ces expressions ou formulations
peuvent être mélangées
pour générer des phrases
plus complexes telles que :
X MAQI Y MUCOI Z ; X KOI MAQI
MUCOI Y (Moore, 2010).
La pratique des inscriptions
oghamiques a peu à peu
disparu au fur et à mesure de
l’établissement de l’écriture
manuscrite (vers le viiesiècle).
L’alphabet oghamique a toutefois
La plage de Minard Castle
(2017, Pierre-Jérôme Jehel).
Ogham, Ballintaggart (2017, Pierre-Jérôme Jehel).
Ogham, Dunmore (2017, Pierre-Jérôme Jehel).
Logham est étroitement lié au
lieu. Les pierres sont choisies et
érigées à une place précise. En
ce sens, les pierres oghamiques
sont une inscription dans l’espace
et composent le paysage habité
où les messages épigraphiques
transmettent l’histoire des lieux.
La pierre de Coumeenoole par
exemple située à l’extrême ouest
de la péninsule se dresse face à
l’Atlantique et à l’île des Blaskets.
L’inscription ERC MAQI MAQI-
ERCIA DOVI I (of Erc son of
Mac-Erce descendant of Duibne,
[Macalister]) dans sa translitération
afrme la volont d’Erc. Le choix
du lieu dénote une perception
d’un espace sensible et singulier.
La pierre mémorielle de la
reine Scotta est allongée sur un
versant de la vallée de Finglas
qui descend en pente douce vers
la rivière. Elle nous fut indiquée
par des habitants2 des alentours
passionnés d’histoire locale et
ns connaisseurs des chemins de
traverse. De l’affrontement terrible
qui permit l’installation du peuple
des Milésiens venu de Phénicie
continué à être utilisé dans
certains manuscrits, comme le
livre de Ballymote du xive siècle.
Dans l’inscription sur pierre,
la tige joue sur la morphologie
naturelle de la pierre et l’écriture
devient une combinaison
unique entre pierre et encoche,
une forme manuscrite in situ.
La pierre est à la fois objet et
support. Le choix de la pierre
fait partie du travail d’écriture.
Logham de Ballintaggart, sur
lequel on peut lire AKEVRITTI
(Cuppage 1986, nº820, nº3)
et qui serait un nom propre,
est à ce titre particulièrement
intéressant. La pierre a dû être
prélevée sur la plage de Minard
Castle, seul site sur la péninsule
où il est possible de trouver
des pierres roulées de cette
taille, ce qui représente une
distance de plus de 12km avec
le site où elle a été trouvée.
2 Nous remercions ici la famille
Fitzgerald de Castlegregory et en
particulier Franck Fitz qui nous
a guidés la première fois dans ce
champ pour nous révéler avec ferveur
et émerveillement l’emplacement
de cette pierre remarquable.
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89
avec sa reine, il ne subsiste que
ces encoches arrachées à la pierre
par une main qui voulut écrire
le présent et rendre hommage à
sa reine tombée sur le champ de
bataille. Nulle bibliothèque pour
conserver l’histoire, le lieu est un
livre à ciel ouvert et l’air se remplit
petit à petit des échos du passé.
Les oghams introduisent l’histoire
dans le paysage par une lecture in
situ. Le lieu est érigé, il fait sens. Il
est irrémédiablement lié à l’écrit. Il
ne s’agit pas en effet d’une histoire
quelque part mais bien « ici ».
Corinne Feïss-Jehel,
EPHE, PSL Université Paris
Pierre-Jérôme Jehel,
Gobelins, école de l’image
Bibliographie
Carney, J. (1975), «The Invention of the
Ogom Cipher», Ériu, vol. 26, p. 53-65.
Cuppage, J. et al. (1986), Archaeological
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Two Traditions or One?», Archaeology
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of the Gaelic Language, 1896, p.266.
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Moore, F., «Munster Ogham Stones:
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Monk, M.A. and Sheehan, J. (ed.), Early
medieval Munster: Archaeology History and
Society (Cork 1998) p. 23-32, Fulford.
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Hiberno-Latina na Bretanha romana
e pós-romana: evidências a partir
das Ogham Stones», in Anais
eletrônicos do XXVIII Simpósio Nacional
de História da ANPUH, Florianópolis.
Ogham, Finglas Glen, Scotta (2017, Pierre-Jérôme Jehel).
Dans la bibliographie, on a conservé,
pour le terme « ogham » présent dans
les titres des ouvrages cités, l’écriture
qui prévalait au moment de leur
parution ; graphie qui, par ailleurs, a pu
évoluer au cours du temps (NDLR).
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Article
List of illustrations Preface Glyn Daniel Acknowledgements 1. The Ice Age 2. The Mesolithic period 3. The Neolithic period 4. The late Neolithic/Beaker period 5. Megaliths 6. Single burials and earthen and stone enclosures 7. The Bronze Age 8. Bronze Age burial 9. Bronze Age settlement and stone monuments 10. The Iron Age 11. Later prehistoric settlement 12. Iron Age burial Appendix Bibliography.
Archaeological Survey of the Dingle Peninsula
  • J Cuppage
Cuppage, J. et al. (1986), Archaeological Survey of the Dingle Peninsula, Ballyferriter, 248 pages.
« The Ogham Inscriptions and the Roman Alphabet: Two Traditions or One?
  • A Harvey
Harvey, A. (1990), « The Ogham Inscriptions and the Roman Alphabet: Two Traditions or One? », Archaeology Ireland, vol. 4, n o 1, p. 13-14.
An Etymological Dictionary of the Gaelic Language, 1896
  • A Macbain
MacBain, A., An Etymological Dictionary of the Gaelic Language, 1896, p. 266.
  • D Mcmanus
McManus, D. (2006), « Written on Stone », Irish Arts Review, vol. 23, n o 3, p. 98-99.
« The Ogham Stones of County Kerry
  • F Moore
Moore, F. (2010), « The Ogham Stones of County Kerry », in Murray, Griffin. Medieval Treasures of County Kerry, Tralee, Kerry County Museum.
Ogham Stones: Siting, Context and Function
  • F Moore
  • Munster
Moore, F., « Munster Ogham Stones: Siting, Context and Function », in Monk, M.A. and Sheehan, J. (ed.), Early medieval Munster: Archaeology History and Society (Cork 1998) p. 23-32, Fulford.
  • Finglas Ogham
  • Glen
Ogham, Finglas Glen, Scotta (2017, Pierre-Jérôme Jehel).