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1er Congrès TACD 2019 Page 1 sur 13
A l’interface entre recherche et enseignement, les ingénieries
didactiques
Marie-Jeanne PERRIN-GLORIAN
Laboratoire de Didactique André Revuz
Université d’Artois
Mots clés : ingénierie didacque ; théorie des situaons ; théorie de l’acon conjointe en
didacque ; coopéraon entre chercheurs et enseignants ; producon de ressources pour les
professeurs.
L’Ingénierie Didactique pour le Développement et la formation (IDD) décrite en appui sur la
théorie des situations (TS), l’Ingénierie Didactique Collaborative (IDC) appuyée sur la TS et
la recherche collaborative, et l’Ingénierie Coopérative (IC) appuyée sur la TACD semblent
partager beaucoup de caractéristiques. Peut-on en dire plus sur les points communs et
différences en lien avec le cadre théorique ? Quelle est l’influence des savoirs en jeu sur cette
coopération entre enseignants et chercheurs ? Quelle différence selon qu’elle implique des
enseignants et formateurs du primaire, généralistes, ou des professeurs de mathématiques du
secondaire ? Telles sont les questions que nous abordons dans cette communication.
Key-words: didactic engineering; theory of didactic situations; joint action theory in
didactics; cooperation between researchers and teachers; producing resources for
teachers.
Introduction : ingénierie didactique et enseignement ordinaire
C’est en lien avec l’ingénierie didactique, conçue comme une phénoménotechnique
pour provoquer et étudier des phénomènes didactiques dans des conditions
déontologiquement acceptables pour les professeurs et les élèves, que s’est développée et
formalisée la théorie des situations (TS) (Brousseau, 2006, 2013 ; Bessot, 2011). Une école
d’été de didactique des mathématiques a étudié en 2009 la place de l’ingénierie didactique
(ID) dans différentes perspectives théoriques (Margolinas et al. 2011). L’ingénierie didactique
a ainsi joué un rôle essentiel dans le développement de la didactique des mathématiques en
France, comme méthodologie de recherche prenant en compte la complexité des contraintes
de la classe et appuyée sur une analyse du savoir et des conditions d’apprentissage de
différents points de vue (Artigue, 1990). Cependant, des situations issues d’ingénieries
diffusent dans l’enseignement ordinaire et, sans le contrôle de l’environnement de recherche,
les apprentissages visés ne sont pas toujours au rendez-vous. Dès les premières années, la
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question de la reproductibilité des situations était soulevée (Artigue, 1986) mais c’est surtout
à partir des années 1990 et de l’implication forte des didacticiens dans la formation initiale
des enseignants que la diffusion des produits de l’ingénierie didactique est prise comme objet
de recherche. De nouvelles formes d’ID se développent, dans le cadre des LéA1 ou des
IREM2, telles l’ingénierie coopérative (IC) (Sensevy, Forest, Quilio, Morales, 2013 ; Joffredo-
Le Brun, Morellato, Sensevy, & Quilio, 2018), l’ingénierie didactique collaborative (IDC)
(Derouet, à paraître) ou l’ingénierie didactique pour le développement et la formation (IDD)
(Perrin-Glorian, 2011). Ces ingénieries restent une méthodologie de recherche mais prennent
explicitement en compte dans leurs questions la diffusion dans l’enseignement des situations
élaborées.
Dans tous les cas, l’ID suppose une collaboration entre chercheurs et enseignants mais
le partage des questions de recherche peut varier. Dans l’ID classique, les questions de
recherche sont du côté du chercheur. Les enseignants collaborent avec les chercheurs dans
l’élaboration de situations de classe qui doivent respecter les hypothèses du chercheur mais
aussi être adaptées à la classe et gérables par l’enseignant. Le chercheur est principalement
intéressé à l’avancée d’une problématique théorique qu’il met à l’épreuve à travers ce qu’il
pense général derrière la réalisation particulière mais l’enseignant est directement impliqué
dans la réalisation particulière : il veille à l’apprentissage de ses élèves actuels pour lesquels la
réalisation de l’ingénierie constituera l’enseignement de la notion, même s’il peut retenir des
faits plus généraux pour une reprise de la situation dans une autre classe ou communiquer
avec ses collègues. S’il s’agit de produire des ressources pour l’enseignement, sans qu’il y ait
pour autant confusion des rôles, il y a partage de questions de recherche et appui explicite sur
la complémentarité des compétences pour mener à bien l’ingénierie qui, outre des
publications de recherche, doit déboucher sur des productions diffusables dans l’enseignement
ordinaire. Mangiante-Orsola et Perrin-Glorian (2017) ont mis en évidence le double
positionnement du chercheur dans la collaboration. Mais il y a aussi un double
positionnement des enseignants qui participent à une telle ingénierie, à la fois enseignants de
leur classe et prenant une position générique pour représenter leurs collègues. De plus, les
enseignants et les chercheurs peuvent être en même temps des formateurs, ce qui ajoute une
dimension supplémentaire dans la collaboration.
1. Lieu d’éducation Associé à l’Institut Français de l’éducation voir http://ife.ens-lyon.fr/lea
2. voir http://www.univ-irem.fr/ pour une présentation générale des IREM et https://irem.univ-paris-diderot.fr/
groupes-irem pour la liste des groupes de travail de l’IREM de Paris.
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L’IDD décrite en appui sur la TS, l’IDC, appuyée sur la TS et la recherche
collaborative (Desgagné et al. 2001) et l’IC appuyée sur la TACD semblent partager beaucoup
de caractéristiques. Peut-on en dire plus sur les points communs et différences entre ces
différentes approches en lien avec le cadre théorique ? Quelle est l’influence des savoirs en
jeu sur cette coopération entre enseignants et chercheurs ? Quelle différence selon qu’elle
implique des enseignants et formateurs du primaire, généralistes, ou des professeurs de
mathématiques du secondaire ? Telles sont les questions que nous souhaitons aborder dans
cette communication.
Nous commencerons par dégager des points communs essentiels entre recherches
relevant de ces ingénieries avant d’interroger des éléments qui apparaissent dans une
approche et moins dans les autres et de revenir sur un point essentiel : la complémentarité
entre les acteurs et la manière dont ils peuvent partager l’action conjointe.
Des points communs essentiels
Les problématiques et méthodologies de recherches emblématiques de ces différentes
approches – la recherche ACE (Arithmétique et Compréhension à l’école élémentaire) pour
l’ingénierie coopérative (Joffredo-Le Brun, Morellato, Sensevy & Quilio, 2018), la thèse de
Charlotte Derouet (2016) pour l’ingénierie didactique collaborative et la recherche sur
l’enseignement de la géométrie au cycle 3 du LéA Valenciennes-Denain (Mangiante et Perrin-
Glorian, 2017) pour l’ingénierie didactique pour le développement et la formation – nous
semblent partager trois points communs essentiels :
- les questions de recherche sont directement issues d’un problème d’enseignement
d’un contenu précis et englobent des questions de formation des maîtres,
- le caractère cyclique de la méthodologie qui nécessite plusieurs réalisations et donc
un temps long.
- un partage assumé et théorisé du travail et des responsabilités dans l’élaboration de
l’ingénierie entre chercheurs, enseignants et éventuellement formateurs.
Les questions de recherche
Dans les trois cas, il s’agit d’élucider un problème d’enseignement et de formation et
de produire des ressources3 pour les professeurs, acceptables dans l’enseignement ordinaire et
susceptibles d’améliorer l’apprentissage des élèves, y compris des élèves en difficulté. La
3. Dans le cas de Derouet, cette production est seulement un projet à moyen terme, pour une étape future de la
recherche.
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production de situations d’enseignement n’est donc pas seulement une méthodologie mais fait
partie des objectifs de la recherche au même titre que l’étude de leur adaptation aux
conditions ordinaires d’enseignement et aux besoins des enseignants, ainsi que l’étude de la
diffusion de ces situations dans l’enseignement ordinaire via la production de ressources et
des besoins de formation et d’accompagnement des enseignants qu’elles nécessitent pour que
ceux-ci puissent les utiliser efficacement et améliorer l’apprentissage de leurs élèves. Il s’agit
donc de mettre à l’épreuve les conditions qui permettent de définir ces situations. De plus,
l’ID porte sur l’enseignement d’une partie importante du programme d’une année : on se situe
non au niveau du thème mais au moins du secteur, voire du domaine (Chevallard (2005).
Dans les trois cas, il s’agit donc d’élaborer une proposition de transposition didactique
sur un contenu assez large et d’en étudier les conditions de diffusion dans l’enseignement
ordinaire. Cependant les niveaux d’enseignement et les contenus mathématiques diffèrent, ce
qui peut avoir un effet sur les autres caractéristiques de l’ingénierie didactique et en particulier
la collaboration entre les différents acteurs. Nous y reviendrons dans la suite. Dans le cas
d’ACE et de l’IC, il s’agit de l’arithmétique au cycle 2 (6-9 ans) ; dans le cas de l’IDD, de la
géométrie au cycle 3 (9-12 ans) ; dans le cas de l’IDC, il s’agit d’articuler lois à densité et
calcul intégral en terminale scientifique (grade 12).
L’étude des pratiques ordinaires des enseignants n’est pas un objectif explicite dans ces
diverses ingénieries : d’ailleurs Derouet (à paraître) remarque que c’est un objectif important
dans la recherche collaborative dont elle s’inspire mais pas dans sa propre recherche. Une
connaissance assez fine des pratiques ordinaires est néanmoins indispensable au projet. Elle
est apportée aux acteurs par leur expérience professionnelle d’enseignants et de formateurs,
complétée par la littérature, au moins dans le cas des chercheurs. Cependant, la mise en œuvre
de dispositifs d’élaboration de ressources et de dispositifs d’accompagnement de la diffusion
de ces ressources est aussi un moyen d’étude des pratiques ordinaires, explicite dans l’IDD.
Le caractère cyclique de l’ingénierie didactique et l’analyse a priori
Artigue (1990) a identifié quatre phases dans l’ID : les études préalables ; l’élaboration
d’une séquence d’enseignement et l’analyse a priori de cette séquence en référence aux
hypothèses et études préalables ; le recueil de données lors de l’implémentation en classe et
l’observation de cette séquence ; l’analyse a posteriori de la séquence et la confrontation à
l’analyse a priori. Ainsi conçue, l’ID vise principalement à élaborer, consolider ou adapter le
cadre théorique qui la soutient. Cependant, en même temps, au fil des années, dans les
ingénieries longues comme celles de Brousseau ou Douady sur les décimaux, ce n’est pas
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seulement le cadre théorique didactique qui se précise et s’enrichit, c’est aussi l’approche du
contenu mathématique lui-même ainsi que les conditions de sa mise en œuvre en classe. Le
caractère cyclique de l’ingénierie didactique, remise à l’étude, réalisation après réalisation, est
renforcé s’il est associé à un projet de formation des maîtres ou de production de ressources
pour l’enseignement ordinaire et se retrouve dans des travaux internationaux rattachés à
d’autres approches théoriques. Nous verrons plus loin comment la collaboration entre les
différents acteurs peut se développer dans les différentes phases de l’ingénierie didactique.
Partage de la responsabilité de l’ingénierie entre les différents acteurs
Une caractéristique majeure des types d’ID auxquels nous nous intéressons et qui les
différencie des ID classiques est la prise en compte dans les questions de recherche de la
collaboration entre chercheurs en didactique et praticiens de l’enseignement qu’elles mettent
en avant et organisent dans des dispositifs avec l’aide d’institutions, comme les LéA ou les
groupes IREM, qui fournissent quelques modestes moyens pour rendre cette collaboration
matériellement possible. L’ID classique suppose aussi une association des enseignants aux
problématiques de recherche, avec explicitation éventuelle des conditions de fonctionnement
(Comiti et Grenier, 1995). Cependant, l’organisation du dispositif de travail entre chercheurs,
formateurs et enseignants n’est pas inclus dans l’étude dans les ID classiques alors qu’il en
fait partie dans celles qui nous intéressent ici.
Des spécificités, des nuances, des différences ?
Deux points nous paraissent inégalement développés dans les publications des
chercheurs, et susceptibles de différencier ingénierie didactique pour le développement et la
formation et ingénierie coopérative. Nous les abordons maintenant.
Les deux niveaux dans l’ingénierie didactique pour le développement et la
formation
Les diverses descriptions de l’IDD mettent en avant deux niveaux non indépendants de
questionnement et de validation. Au premier niveau, il s’agit de tester la validité théorique des
situations au plan épistémologique et cognitif et de dégager les choix essentiels de
l’ingénierie, ce qui est primordial car il est indispensable de laisser des marges de manœuvre
aux enseignants tout en leur indiquant les fondements des ingénieries qui permettent de
construire avec les élèves le sens des notions enseignées. Le deuxième niveau concerne les
pratiques ordinaires des enseignants et leurs possibilités d’évolution en repérant les points sur
lesquels ils ont besoin de soutien, points à prendre en compte dans les ressources et dans les
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formations. C’est surtout ce deuxième niveau qui la distingue de l’ingénierie didactique
classique ou ingénierie didactique de recherche (IDR). La séquence doit être non seulement
viable dans les classes ordinaires mais y être diffusable. En fait le questionnement est triple :
sur le contenu lui-même et sa possible transposition didactique (réflexion épistémologique,
cognitive et didactique), sur les pratiques ordinaires d’enseignement de ce contenu, sur le
contenu des ressources à produire et leur mode d’élaboration (réflexion didactique et
ergonomique).
L’identification des deux niveaux interroge sur les cadres théoriques utilisables : la TS
permet de tester la validité théorique des situations, et, dans le cas considéré, de mieux
caractériser l’approche de la géométrie qu’elles représentent (niveau 1) mais il faut des outils
pour tester l’adaptabilité à l’enseignement ordinaire (niveau 2) et aussi organiser une
dialectique entre les hypothèses de niveau 1 et de niveau 2. Nous avons eu recours pour cela à
la double approche didactique et ergonomique de Robert et Rogalski (2002) et à l’ergonomie
cognitive à travers les travaux de Béguin (2005) sur la conception de dispositifs ou
d’artefacts.
Le principe de symétrie entre les acteurs dans l’IC
Dans leur description de l’IC, Sensevy et al. dégagent cinq critères parmi lesquels le
principe de symétrie fondé sur le rejet, à la suite de Dewey, entre différents dualismes,
notamment entre théorie et pratique, entre ceux qui pensent et ceux qui agissent, entre fins et
moyens. Les acteurs n’ont pas la même expérience, ni les mêmes positions institutionnelles,
ce qui fait que leurs rôles dans l’ingénierie coopérative peuvent être différents mais il est
nécessaire que chaque acteur « joue son jeu », qu’il propose au collectif son point de vue, de
sa position, irréductible aux autres points de vue, qu’il puisse donner les raisons d’être des
structures élaborées, construire une relation de première main à l’ingénierie (Sensevy et al.,
2013, p. 1033, notre traduction). Les auteurs parlent même de « local practical
indistinguishability between the teacher and the researcher ». Ce principe de symétrie énonce
de manière très forte des conditions qui sont présentes dans l’IDD et l’IDC quoique
présentées de façon plus nuancée. Jusqu’à quel point les enseignants doivent-ils devenir
chercheurs et les chercheurs enseignants ? D’où la question que nous abordons maintenant.
Quelle complémentarité entre les acteurs ? Comment l’action peut-elle
être conjointe entre chercheurs, enseignants et formateurs ?
Examinons en premier lieu les dispositifs mis en place par les équipes de recherche
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pour organiser la collaboration entre les différents acteurs.
Dispositifs pour la collaboration entre chercheurs et enseignants
Remarquons d’abord que dans l’ingénierie didactique collaborative décrite dans
Derouet (à paraître), la collaboration concerne un chercheur et un enseignant, ce qui ne
nécessite pas de dispositif particulier. En revanche dans l’IC, comme dans l’IDD, des
dispositifs à plusieurs niveaux sont décrits : la première sphère et la deuxième sphère dans
l’IC, le groupe restreint et le groupe élargi dans l’IDD. C’est dans le groupe restreint ou la
première sphère que s’élabore et que s’évalue l’ingénierie didactique, en intégrant les
contributions qui viennent du groupe plus large, comme l’illustre le schéma extrait de
Mangiante et Perrin-Glorian (2017, p.44) où le groupe restreint est représenté par le rectangle
intérieur à l’ellipse qui contient le groupe élargi aux enseignants qui testent les situations et
font un retour. L’équipe restreinte (chercheurs et formateurs) pilote le dispositif, élabore des
versions provisoires de la ressource, que les enseignants maîtres formateurs testent eux-
mêmes dans leur classe avant de pouvoir les proposer à des enseignants de la circonscription
qui vont à leur tour les tester dans leur classe. Ainsi, la conception de ressources est organisée
selon des boucles itératives (flèches rouges) dont le but est de produire des séquences
d'enseignement adaptées, utiles et diffusables dans l'enseignement ordinaire.
Figure 1 Dispositif de coopération entre chercheurs, formateurs et
enseignants dans l’IDD
Mangiante et Perrin-Glorian (2017, p. 52) qualifient ce groupe restreint d’« instance de
conversion entre recherche et enseignement », indispensable pour l’instauration d’une
dialectique entre les niveaux 1 et 2 dans la démarche d’IDD : « Il nous est apparu que le
groupe restreint et la présence dans ce groupe de maîtres formateurs qui sont à la fois
enseignants et formateurs jouait un rôle essentiel qui devait être identifié en tant que tel dans
la démarche d’IDD. […] C’est dans le groupe restreint que peut s’exercer concrètement la
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dialectique entre les deux niveaux de questionnement de l’IDD. L’existence de ce groupe crée
un lieu où les hypothèses de recherche se traduisent en hypothèses de travail qui sont amenées
à évoluer dans le travail commun, ce qui amène ensuite à préciser ou modifier les hypothèses
de recherche. » Notons aussi que c’est à la position qu’occupent les acteurs que nous nous
intéressons pour définir cette instance. Les acteurs en tant que personnes peuvent avoir des
expériences plus riches qui peuvent favoriser la collaboration : le chercheur peut avoir une
expérience d’enseignement au niveau considéré, l’enseignant peut avoir une expérience de
chercheur, et ce sont bien les personnes qui interagissent dans les différents groupes.
La collaboration dans les différentes phases de l’ingénierie didactique
Seule Derouet mentionne explicitement les différentes phases de l’ID. Même si ce
n’est pas dit pour les autres, la collaboration entre les différents acteurs varie nécessairement
selon les phases de l’ID. Ainsi, lors de l’implémentation en classe, l’enseignant de la classe
observée est amené à prendre des décisions qui n’ont pas été prévues dans l’analyse a priori
car il reste le premier responsable de l’apprentissage de ses élèves ; les autres membres de
l’équipe sont observateurs et recueillent des observables pour les analyses ultérieures. Quant
aux analyses préalables qui comprennent en général une analyse épistémologique du savoir,
de son histoire, de l’histoire de son enseignement, une étude des demandes institutionnelles,
elles sont du côté du chercheur. Il peut aussi avoir fait lui-même ou étudié des recherches sur
les pratiques usuelles des enseignants dans le domaine, cependant les professeurs et les
formateurs apportent sur ce point leur expertise professionnelle, essentielle pour l’élaboration
de l’ingénierie didactique. Notons que les analyses préalables ne sont pas toujours incluses
dans la description de l’I.D. Il semble que ce soit le cas de l’IC : « the first act of the
engineering process consists (…) in working out this piece of knowledge, both in the
individual relationship that the participants build with this knowledge, and in the making of a
collective relationship with this knowledge » (Sensevy et al., 2013, p. 1032). Cela n’empêche
évidemment pas les acteurs de s’appuyer sur de telles études pour mener leur recherche mais
celles-ci semblent extérieures aux boucles décrites.
C’est dans l’élaboration des situations et dans les phases d’analyse, a priori et a
posteriori, que la collaboration entre tous les acteurs nous paraît essentielle et qu’on peut
véritablement parler d’action conjointe avec des apports différents des acteurs qui contribuent
à enrichir l’analyse. Le chercheur a éventuellement fait des études préalables, il connaît
d’autres recherches sur le sujet. L’enseignant a des expériences d’enseignement sur le sujet, il
connaît les réactions des élèves à des situations analogues. Le formateur a éventuellement
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observé des situations analogues dans plusieurs classes, il connaît les pratiques de différents
enseignants sur le sujet. Mais que veut dire « analogues » ? C’est le travail conjoint de
l’équipe qui permet d’accepter ou de rejeter ces analogies et de les affiner. L’élaboration de la
situation et son analyse a priori se font en même temps, dans une dialectique. L’analyse a
posteriori peut se faire à différents moments et niveaux entre les différents acteurs : à chaud,
au fil des séances, elle peut conduire à modifier le déroulement prévu. Sur un plus long terme,
elle peut remettre en cause des hypothèses et revoir plus profondément l’analyse a priori.
Production d’une ressource : un but commun, des objectifs spécifiques, une
égale considération
L’objectif de rédiger en commun une ressource pour les enseignants est un élément
essentiel de la collaboration aussi bien pour l’IC que pour l’IDD parce qu’il donne un but
commun à tous les acteurs. Il est seulement en projet dans Derouet (à paraître) qui étudie
plutôt la collaboration entre un enseignant et un chercheur dans une ingénierie de recherche
classique qui prévoit d’emblée un élargissement futur. Dans l’IDD, c’est un élément important
de la dialectique entre les deux niveaux parce que le but commun au groupe restreint s’étend
au groupe élargi. « Ainsi, la nécessité de l’instance de conversion semble découler de la
volonté de prendre en compte les deux sens des rapports entre recherche et enseignement :
diffuser des résultats de recherche via une ingénierie didactique et répondre aux besoins de
l’enseignement. C’est le lieu où s’organise une dialectique entre les niveaux 1 et 2 de l’IDD et
c’est aussi le moyen d’élaborer une ressource utile du point de vue des chercheurs (répondant
aux besoins qu’ils ont identifiés) et utilisable du point de vue des enseignants (répondant aux
besoins ressentis). » (Mangiante et Perrin-Glorian, 2017, p. 53).
Les discussions sur le contenu de la ressource et son organisation sont des occasions de
partager les connaissances des différents acteurs sur le contenu mathématique, sur les théories
didactique « en acte », sur l’apprentissage des élèves et leurs difficultés, sur les pratiques
ordinaires des enseignants, leurs contraintes et les ressources dont ils disposent.
L’entremêlement du mathématique et du pédagogique dans la mise en œuvre des situations en
classe donne en effet l’occasion d’éclairer un point de vue par l’autre. Dans la ressource sur la
géométrie élaborée par le LéA Valenciennes-Denain, nous avons ainsi éprouvé le besoin de
greffer deux types de commentaires qui se complètent et se répondent au long de la
description des situations, les uns spécifiques de la situation, les autres plus généraux.
Ainsi chercheurs, enseignants et formateurs ont un objectif commun auquel ils peuvent
contribuer chacun avec ses compétences et en profitant des compétences complémentaires des
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autres. Ils ont aussi des objectifs spécifiques et des contraintes différentes, liés à leur fonction.
Des variables : contenu mathématique, niveau scolaire, nouveauté du
thème dans la recherche en didactique
Les différents acteurs ont des relations différentes au savoir mathématique en jeu. Ces
différences peuvent être accrues selon ce savoir et selon qu’il s’agit d’enseignants et de
formateurs du primaire ou du secondaire. Par exemple, suivant qu’on s’intéresse au nombre
en CP ou à la géométrie au cycle 3, les enseignants sont plus ou moins sûrs de leur savoir
mathématique, ils ont des habitudes plus ou moins ancrées et il accordent plus ou moins
d’importance au domaine mathématique considéré. Concernant la géométrie, les enseignants
du primaire sont ouverts aux innovations et même demandeurs de situations-problèmes pour
les élèves mais ils ont des difficultés à voir les contenus géométriques sous-jacents à ces
problèmes. Sur le même sujet, les professeurs du secondaire sont plus à l’aise sur le contenu
mais n’ont pas une vue d’ensemble cohérente de l’enseignement de la géométrie, leur culture
didactique est plus restreinte et ils subissent une pression du temps bien plus forte.
Une autre variable importante est la nouveauté du sujet dans la recherche en
didactique, la quantité de travaux plus ou moins anciens sur le sujet et en particulier
l’existence d’ingénieries didactiques qui ont servi dans des recherches antérieures. Par
exemple, la recherche ACE bénéficie de nombreux travaux sur le nombre ; en géométrie au
cycle 3, il y a des travaux antérieurs mais peu d’ingénieries didactiques ayant une certaine
ampleur. De plus, l’approche proposée rompt non seulement avec les pratiques usuelles des
niveaux considérés mais aussi avec la formation des enseignants en géométrie. Il en est de
même pour la question étudiée par Derouet. Dans ces recherches, le contenu mathématique
lui-même est en question d’où l’importance des analyses préalables côté chercheur.
Discussion et conclusion
La diffusion des ressources et la formation
Dès ses débuts, l’ID est conçue comme une méthodologie à l’interface entre recherche
et enseignement. C’est particulièrement le cas pour les ingénieries didactiques qui visent la
production de ressources pour l’enseignement ordinaire. La question de l’usage des ressources
par les enseignants est un thème de recherche récent en didactique des mathématiques
(Gueudet et Trouche, 2010). La diffusion de ressources innovantes à des enseignants qui n’ont
pas un contact direct avec la recherche est une importante question connexe à celle qui nous
intéresse ici. En effet, la diffusion est aussi l’occasion d’une collaboration entre chercheurs,
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formateurs et enseignants car elle se fait à travers différentes publications de recherche ou
professionnelles, mais aussi par la formation initiale et continue des enseignants.
Vers une description commune ?
Nous nous sommes intéressée ici à des ingénieries didactiques qui incluent dans leurs
objets d’étude la collaboration entre enseignants et chercheurs pour produire des ressources
diffusables dans l’enseignement ordinaire. A partir de la comparaison des différents travaux
que nous venons d’esquisser, nous tentons un schéma (figure 2) qui nous semble en partie
résumer notre travail et peut-être aider à dégager des éléments pour une description commune.
La description de l’ingénierie coopérative semble porter surtout sur le cercle bleu intérieur,
alors que l’IDD inclut les études préalables et donne une plus grande place à l’interrogation
sur le savoir à enseigner. Dans les deux cas, la production d’une ressource est au centre.
Notons aussi que les descriptions évoluent à mesure que l’outil est utilisé dans des
recherches concrètes. Ainsi l’importance des deux groupes et l’instance de conversion
n’étaient pas encore identifiées dans Perrin-Glorian (2011).
Des différences liées aux cadres théoriques de référence ?
Dans leur description, les chercheurs mettent la focale sur un aspect plutôt qu’un autre.
Cette différence est sans doute due pour partie aux recherches qu’ils ont effectivement
menées. Ainsi l’IDD distingue deux niveaux parce que le rapport au savoir à créer pour les
élèves est encore en question. L’IC met l’accent sur la coopération entre les acteurs comme la
Figure 2
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TACD met l’accent sur l’action conjointe entre l’enseignant et l’élève dans la relation
didactique.
La TS est présente dans les deux cas, explicitement ou à travers la TACD, pour
l’élaboration d’une situation qui représente le savoir conformément à l’analyse
épistémologique préalable en tenant compte des contraintes cognitives ainsi que pour les
analyses a priori et a posteriori. Dans l’IDD, d’autres cadres théoriques sont mobilisés pour
élucider la relation entre chercheurs et enseignants comme moteur de l’ingénierie didactique
alors que la TACD semble modéliser aussi bien les relations entre enseignants et élèves que
celles entre chercheurs et enseignants, toutes médiées par le savoir. Ce point me paraît mériter
discussion car il me semble que, si l’on peut comparer au niveau du partage des buts, il y a
une différence fondamentale entre les deux cas : le professeur sait à l’avance ce que l’élève
doit apprendre même s’il ne sait pas comment il peut l’apprendre ; dans une ingénierie
coopérative, professeurs et chercheurs apprennent les uns des autres en poursuivant un but
commun mais aucun ne sait à l’avance ce qu’il va apprendre ni même ce qu’il y a à apprendre.
On est dans une situation de recherche et non d’enseignement. Sur ce point, les travaux
comparés ici diffèrent. Un travail supplémentaire serait nécessaire pour creuser cette
différence et ses implications dans les recherches.
Références bibliographiques
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