Content uploaded by Géraldine Michel
Author content
All content in this area was uploaded by Géraldine Michel on Sep 22, 2019
Content may be subject to copyright.
Éditorial – 5
Collaborer, coopérer et co-créer en recherche
Géraldine Michel et Isabelle Collin-Lachaud
Co-rédactrices en chef de Décisions Marketing
À la lecture des sommaires des revues scientifiques en gestion et au vu de l’analyse du dernier
éditorial de Décisions Marketing, qui recense uniquement 8 articles signés par un auteur seul
sur 69 papiers publiés en 4 ans, il semblerait que la recherche aujourd’hui ne soit plus l’apanage
de chercheurs isolés. L’ère du génie solitaire, caractérisée par Albert Einstein, Galileo, Newton
et Descartes semble révolue (Donald, 2012). La collaboration en recherche n’est pas quelque
chose de nouveau mais elle reste peu visible. Seules les discussions récentes, lors de la désigna-
tion du Prix Nobel, sur le nombre de personnes récompensées pour une découverte commune
montre l’enjeu des collaborations dans le monde de la recherche. Celles-ci peuvent prendre de
multiples formes, telles que les collaborations multidisciplinaires, internationales ou encore entre
la recherche et le monde de l’entreprise et des associations. Ces collaborations impliquent des
coopérations elles aussi variées entre collègues ou entre doctorants et directeurs de recherche
dans un objectif de contribuer à un champ de recherche bien précis. La collaboration constitue
donc aujourd’hui le défi du monde de la recherche. Comment la recherche s’organise à plusieurs ?
Quels types de collaboration et quelles clés de réussite ? Pour répondre à ces questions, nous nous
sommes appuyées sur des écrits déjà publiés sur ce sujet et sur les témoignages de 13 collègues
enseignants-chercheurs en gestion. Cet éditorial discute des principales collaborations identifiées
dans le monde de la recherche en marketing et tente d’apporter des éléments de réponse à la ques-
tion de la réussite des collaborations en recherche qui est aussi important que complexe.
Collaborer pour coopérer et co-créer
Ces trois notions, collaborer, coopérer et co-créer, importantes dans le monde de la recherche,
intègrent une dimension collective qui induit autrui, travailler « avec » (préfixe « co » en latin)
ce qui écarte dans un certain sens toute recherche réalisée uniquement de manière isolée. En
recherche, la grande majorité des chercheurs – pour ne pas dire tous les chercheurs – collaborent
avec des pairs (collègues), des directeurs de projets, des apprenants (doctorants, étudiants) mais
aussi des entreprises, des associations et des institutions dans l’objectif de coopérer. La colla-
boration et la coopération pourraient être considérées comme synonymes pour décrire l’idée de
DOI : 10.7193/DM.095.05.14 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.095.05.14
Michel G. et Collin-Lachaud I. (2019), Collaborer, coopérer et co-créer en recherche, Décisions Marketing, 95,
5-14.
6 – Décisions Marketing n°95 Juillet-Septembre 2019
participer avec autrui à une œuvre commune. Toutefois, il semble intéressant d’introduire ici une
certaine hiérarchie d’intensité pour mieux comprendre l’importance de l’intensité du travail de
toutes les parties pour pouvoir co-créer et apporter des résultats les plus conséquents possibles.
La coopération est ici supposée répondre à un degré supérieur de travail avec autrui que la colla-
boration. La coopération relève d’un niveau supérieur d’interdépendance entre les personnes en-
gagées dans un projet de recherche. L’idée ici est bien de coopérer au maximum pour co-créer et
ainsi aboutir à un travail où 1+1 > 2. La collaboration nécessite donc une coopération stimulante
faite d’échanges et de conversations riches pour déboucher sur une œuvre commune qui n’aurait
pas pu exister sans la coopération de chacun. Toutefois, comme le confirment les témoignages
recueillis pour cette étude, une recherche faite en collaboration n’exclut pas le travail solitaire
nécessaire dans le processus de réflexion et d’écriture d’un article scientifique. La recherche ne
peut se penser sans collaboration. En conséquence quels types de collaboration peut-on mettre
en place ? Avec qui ? Sous quelles formes ? Nous présenterons ici trois principales collaborations
identifiées dans la recherche en gestion.
Les différents types de collaboration
Les collaborations multidisciplinaires
La collaboration multidisciplinaire consiste à réfléchir à la ou aux discipline(s) qui permettent de
répondre de la manière la plus appropriée possible aux questions de recherche et aux possibilités
du terrain. Des équipes, impliquant des chercheurs mobilisant des méthodes variées et issues de
disciplines différentes permettent de combiner les atouts de chacun et d’enrichir la recherche.
Une question essentielle qui émerge de ce type de collaboration est d’identifier quel est le champ
disciplinaire que l’on vient enrichir et auquel on veut contribuer. Quand, par exemple, la théorie
du noyau central issue des travaux sur les représentations sociales est utilisée pour mieux com-
prendre l’image de marque comme une représentation sociale de la marque, c’est bien la psycho-
logie sociale qui vient nourrir et enrichir la littérature marketing sur le management de la marque
(Michel, 1999). La contribution à la théorie des représentations sociales reste limitée au fait
d’élargir le terrain d’application de la théorie du noyau central à la marque. Dans une recherche
multidisciplinaire, il est donc important d’identifier la ou les disciplines auxquelles on veut par-
ticulièrement contribuer, afin que les partenaires y trouvent leurs intérêts scientifiques respectifs.
Les collaborations internationales
La recherche avec des collègues étrangers a toujours été une voie de créativité et d’innovation
dans le monde de la recherche. Selon un rapport de l’UNESCO (2017), en 2014, un article scien-
tifique sur quatre a été cosigné par un collaborateur étranger, contre un sur cinq une décennie
plus tôt. Les collaborations entre des membres internationaux du milieu scientifique créent un
terreau fertile à la naissance de nouvelles idées. L’interaction avec des personnes de cultures dif-
férentes pousse, en effet, à voir les choses différemment. À l’ère de la mondialisation, on pourrait
s’attendre à ce que deux régions du monde qui ont le même problème appliquent la même solu-
tion, mais ce n’est pas toujours le cas. La collaboration internationale est essentielle pour élargir
la réflexion. Toutefois, si le travail collaboratif à l’échelle internationale permet d’acquérir de
nouveaux points de vue, il exige patience et planification.
Tout d’abord, trouver des collaborateurs étrangers peut s’avérer être un processus de longue ha-
leine. La rencontre doit avoir lieu au bon moment, et il se peut que des années s’écoulent avant
que l’occasion de travailler ensemble ne se présente. Par ailleurs, l’anglais est la principale langue
Éditorial – 7
de travail dans les milieux scientifiques. Lorsque la langue n’est pas bien maitrisée par une des
deux parties les communications entre partenaires peuvent parfois être un peu plus difficiles. Par
ailleurs, les projets internationaux se déroulent en général sur le long terme. La répartition de la
coopération sur différents continents peut compliquer l’organisation des réunions qui demande
aux chercheurs de s’habituer à participer à des téléconférences à toute heure du jour. Il s’avère
donc souvent préférable de réduire le nombre de personnes pour réduire les coûts de coordina-
tion. Et si cela est possible sur un plan financier, il est important d’envisager mutuellement des
séjours à l’étranger afin de favoriser d’autres types d’échanges aussi important pour créer du lien
entre les chercheurs au-delà du projet de recherche.
Les collaborations avec le monde des entreprises et des associations
Les collaborations de recherche avec le monde des entreprises et des associations représentent
une source de richesse pour les projets de recherche. Elles présentent une vaste gamme d’avan-
tages. Certes l’intérêt d’un tel partenariat concerne l’apport d’un terrain souvent inaccessible et
l’accès à du matériel et des installations auxquels certaines équipes de recherche n’auraient pas
accès autrement (salles avec vitres teintées, IRM, Oculométrie, etc.) mais la richesse de ce type de
collaboration réside surtout dans la complémentarité des approches. La collaboration recherche-
entreprise peut devenir une coopération riche quand les acteurs de l’entreprise sont impliqués
dans la définition du sujet de recherche et participent à l’élaboration du design de recherche. Ainsi
au-delà des apports matériels non négligeables, de façon plus qualitative, les collaborations du
monde de la recherche avec les entreprises ou les-associations produisent toute une gamme de
retombées tels que le partage entre équipe de recherche et entreprises, qui apportent des points
de vue différents et stimulent l’apparition de nouvelles idées dans le processus de recherche. Les
chercheurs et les professionnels s’accordent en effet dans la majorité des cas pour dire que les
différences fondamentales de motivation, de point de vue et de culture représentent plutôt un
avantage qu’un inconvénient (Guthrie, 2006). Ils considèrent comme essentiel le contact avec des
points de vue nouveaux ou différents des leurs.
Du point de vue des organisations, les avantages potentiels sont également importants. En termes
de réputation de nombreux secteurs valorisent les échanges avec le monde de la recherche. La
coopération avec des chercheurs peut être un atout pour renforcer la capacité en recherche au sein
des entreprises et du monde associatif. Par exemple, dans le domaine de la santé, les partenariats
avec les sciences sociales et l’étude des comportements de consommation sont des éléments qui
gagnent en importance.
Toutefois il ne faut pas oublier que ce type de collaboration engendre d’importants coûts de
coordination qu’il est crucial de prendre en compte dès le début de la collaboration pour pouvoir
mener les projets à termes. La notion du temps est également un élément déterminant. Alors que
les équipes de recherche estiment que communiquer des résultats de recherche après plusieurs
années de travail est habituel, les organisations ont besoin d’avoir des résultats intermédiaires. Il
est donc essentiel de s’accorder sur le rythme du processus de recherche et la forme des livrables.
La vision et les clés de la collaboration en recherche
Bien que les collaborations soient au cœur de la recherche, nous savons peu de choses sur les
organisations de travail qui satisfont les différents partenaires. Quelles sont les règles d’un bon
fonctionnement d’une équipe de recherche ? Quelles sont les clés organisationnelles et relation-
nelles pour la réussite des projets de recherche ? Fidèles au positionnement de la revue Décisions
8 – Décisions Marketing n°95 Juillet-Septembre 2019
Marketing, pour apporter des éléments de réponses à ces questions et proposer des recomman-
dations à l’action, nous nous appuyons sur 13 entretiens menés auprès de collègues en gestion
(encadré 1 et tableau 1).
Tableau 1 : Echantillon
Prénom Âge Discipline Institution
Alphonse 48 Marketing Université
Elise 50 Marketing Ecole de commerce
Fabiola 47 Marketing Université
Fabrizio 50 Gestion de production Université
Jeremy 54 Finance Université
Johnny 67 Marketing Ecole de commerce
Juan 36 Système d’information Université
Mireille 46 Marketing Université
Nicoletta 50 Organisations Université
Nina 39 Marketing Université
Pablo 48 Système d’information Université
Sofia 49 Marketing Université
Violette 45 Marketing Université
La collaboration en recherche, des atouts et des contraintes
Un premier résultat de notre étude montre que la majorité des répondants ne voit pas l’intérêt de
faire de la recherche de façon isolée, comme le soulignent Fabiola et Juan.
Personnellement, je vois peu d’intérêt à la recherche en solitaire. Il me semble que les pistes
intéressantes naissent de la confrontation des idées entre plusieurs personnes. (Fabiola)
Même si les désavantages peuvent sembler nombreux, je ne conçois pas une recherche soli-
taire dans notre écosystème académique actuel. (Juan)
Encadré 1 : Méthodologie
13 personnes ont été interrogées par mail entre le 27 août et le 1er septembre 2019. Les réponses oscillent
entre 1-2 pages word. Le guide d’entretien s’organise autour de 4 principales questions :
1. Que signifie collaborer en recherche ? Avec qui ? Pour quoi faire ? Quelles étapes cela implique ?
2. Quels avantages et quels inconvénients de la recherche en collaboration par rapport à la recherche
en solitaire ?
3. Quelles sont les clés d’une bonne collaboration en recherche ?
4. Que faut-il éviter de faire dans une collaboration en recherche ?
Éditorial – 9
La collaboration en recherche semble être une évidence pour la plupart des chercheurs, elle
constitue un moyen de s’entraider et de se soutenir dans le processus de recherche souvent bien
long et décourageant, comme en témoignent Elise et Nicoletta.
Pour moi faire de la recherche en solitaire c’est très difficile, je me décourage et je ne trouve
pas la motivation, notamment dans le processus de publication, souvent ingrat. (Elise)
Collaborer c’est aussi se donner de l’énergie et de la force pour reprendre un papier, suite à
des retours de reviewers par exemple, ou suite à un rejet. Dans une équipe, quand l’un baisse
en énergie, souvent un autre reprend le flambeau. (Nicoletta)
Les collaborations qu’elles soient entre chercheurs ou avec le monde de l’entreprise sont consi-
dérées comme une source d’enrichissements mutuels. C’est l’idée mise en avant par Nicoletta
qui montre la complémentarité entre chercheurs et acteurs économiques qui n’ont pas les mêmes
attentes de la recherche.
Ce que je trouve intéressant, c’est la collaboration avec les acteurs de terrain (livre blanc, etc.),
car les attentes ne sont pas les mêmes, et il y a une plus forte volonté de diffuser « socialement »,
ce qui accroît l’utilité sociale de la recherche, et la connexion avec des enjeux sociaux et socié-
taux. (Nicoletta)
Toutefois malgré ces nombreux avantages, la collaboration en recherche n’est pas dénuée de
contraintes qui impactent plus ou moins le processus de recherche et les relations entre les par-
tenaires. A la question sur les inconvénients des recherches en collaboration, les répondants
soulignent d’une part les contraintes de temps et les difficultés à coordonner les agendas, comme
l’explique Alphonse.
Les recherche menées en collaboration sont compliquées car les agendas sont souvent peu
compatibles, nous avons des contraintes et des priorités différentes. (Alphonse)
Ils soulignent également le danger de la mauvaise coordination ou répartition des tâches, le
danger d’un partenaire peu impliqué représente une limite importante à la réussite de la collabo-
ration et un danger qui peut entamer les relations entre les partenaires, comme l’expliquent Juan,
Johnny et Fabrizio.
Le plus négatif dans une collaboration c’est le « free rider », le 4e auteur, celui qui aurait dû
en faire plus mais qui n’a pas fait grand-chose, et qui devrait être dans les remerciements plu-
tôt qu’en vrai auteur. …. La collaboration ça peut générer des conflits et l’on doit s’arranger
avec la réalité quand un auteur dit écrire l’anglais et rend un document traduit sur Google
traduction… (Juan)
Les échecs ou les ressentiments peuvent être nombreux et résultent d’une impression d’un
partage inégal des tâches….si ce n’était pas prévu au départ. (Johnny)
Le plus contraignant c’est l’absence de volonté claire d’aboutir à des choses concrètes, tra-
vailler sans objectifs précis de communications, d’articles... (Fabrizio)
Malgré ces contraintes, les chercheurs composent, s’arrangent, patientent car la collaboration
reste le mode de recherche privilégié face à la recherche en solitaire et isolée qui effraie certains
chercheurs et n’est pas envisagée dans leur approche de la profession. Deux idées que Mireille et
Sofia soulignent.
10 – Décisions Marketing n°95 Juillet-Septembre 2019
La collaboration nécessite de la patience et de la coordination. Il faut accepter de ne pas pou-
voir tout contrôler, notamment la gestion du temps, la façon de travailler de ses partenaires,
les différents points de vues. Ce qui peut parfois être agaçant et peut laisser penser qu’on s’en
sortirait mieux seul. Mais à mon avis c’est une illusion, si l’équipe est bonne on va plus loin
avec elle que seul. (Mireille)
La collaboration c’est plus stimulant que seul où on peut toujours négocier avec soi-même de
ne pas continuer la recherche ou de ne pas tenir le calendrier qu’on s’est fixé au départ. (Sofia)
La conance et la communication, des éléments clés
Selon les témoignages recueillis, les chercheurs considèrent la confiance et la communication
comme deux éléments clés de la réussite d’une collaboration en recherche. En effet, une équipe
ce n’est pas uniquement des gens qui travaillent ensemble, une équipe ce sont des gens qui se font
mutuellement confiance (Demange, Henry et Préau, 2012). Les liens entre les partenaires sont
donc un élément important comme le souligne Sofia qui privilégie des partenaires « amis-cher-
cheurs » et Pablo qui explique l’importance de la dimension relationnelle.
L’avantage de travailler en collaboration avec des « amis chercheurs » est de se faire confiance
de pouvoir se dire les choses plus facilement, sans que l’autre ne prenne la mouche. Il faut
que chacun fasse confiance à l’autre, que chacun apprécie le travail de l’autre, que chacun
accepte la critique. (Sofia)
Une bonne collaboration c’est définitivement le résultat d’une bonne combinaison d’exper-
tises, de la confiance et une envie de partager avec des personnes qu’on estime. (Pablo)
Pour créer la confiance dès le début de la collaboration, il parait essentiel pour nos répondants de
mettre en place une organisation du travail la plus claire possible même si ce n’est pas simple et
que les choses évoluent selon les contraintes personnelles des partenaires et selon les aléas de la
recherche. Pour cela la communication la plus transparente possible est essentielle pour installer
un climat de confiance, comme le souligne Juan et Alphonse.
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, la communication sur les attentes de chacun, ses
objectifs, ses intérêts, ses disponibilités, est essentielle. (Juan)
Il faut savoir se synchroniser, comprendre les contraintes de l’autre, faire en sorte de réagir
vite même quand c’est pour dire que c’est difficile en ce moment et qu’on n’a pas trop le temps.
(Alphonse)
Plus la confiance s’établit rapidement, plus la recherche bénéficie des atouts de la coopération de
chacun (Demange, Henry et Préau, 2012). Il est donc important de pouvoir discuter de la façon
dont on souhaite collaborer. Cette confiance passe également par la valorisation des actions de
chacun comme l’expliquent précisément Nicoletta et Mireille.
Il faut bien s’entendre, c’est important de s’encourager, de se remercier, se féliciter récipro-
quement, au cours d’un cheminement souvent long, et dont on ne sait jamais s’il va aboutir
notamment dans la phase de publication … Bien sûr se critiquer pour avancer, mais avec
douceur, sous forme de questionnement que l’on se pose, ne pas avoir l’impression que l’on
détient la « vérité » sur la façon de faire. (Nicoletta)
Dans une collaboration il faut aussi des moments de convivialité pour souder les liens, fêter
les réussites, remotiver les uns et les autres ! (Mireille)
Éditorial – 11
Ne pas hésiter à exprimer la qualité d’une action bien menée par les partenaires, la prise en
compte des demandes des partenaires et l’écoute mutuelle semblent donc pouvoir aboutir à de
réelles coopérations (Demange, Henry & Préau, 2012). Pour certains des répondants l’impor-
tance de la confiance et de la bonne entente entre les partenaires les poussent à refuser certains
projets pour éviter toute collaboration trop complexe, source de problèmes malgré les compé-
tences des uns et des autres. C’est le cas de Nina, Alphonse et Violette.
Il faut éviter de travailler avec des personnes avec qui on ne s›entend pas, uniquement parce
qu’elles pourraient nous aider à publier… L’humain est pour moi essentiel dans toute col-
laboration. Ecrire un article avec un collègue doit être un processus où les relations sont
agréables, enrichissantes et grandissantes. (Nina)
Je travaille avec des personnes compétentes, mais aussi avec qui j’ai envie de bosser et avec
qui je sens que je vais m’entendre ; je préfère un chercheur moins aguerri mais plus sympa...
Collaborer doit être un plaisir pas une corvée, ni une source de problèmes. (Alphonse)
Ce qu’il faut éviter c’est l’effet d’opportunisme, choisir de travailler avec quelqu’un pour ses
compétences, sans s’être assurer d’être sur la même longueur d’ondes, dans ce cas-là je crois
que c’est voué à l’échec, ou en tout cas à une grande souffrance durant tout le processus de
recherche. (Violette)
Pour mieux se comprendre il faut également s’adapter au vocabulaire de l’autre. Les partenaires
hors de la communauté scientifiques ont souvent un vocabulaire différent, voire peuvent donner
deux sens différents à un même mot. Il est donc indispensable de faire des efforts d’explicitation
pour éviter les malentendus et soutenir une communication vraie entre tous.
L’organisation du travail, un cadre nécessaire même s’il évolue
Dans l’objectif de créer une équipe de recherche soudée, les répondants soulignent l’importance
de définir dès le départ une organisation du travail entre les différents partenaires. Comment les
tâches sont réparties ? A quelle fréquence faire des points d’étapes ? Quel est le délai temporel de
la recherche ? Comme l’expliquent Sofia et Jeremy les réponses à ces questions sont importantes
mais souvent difficiles à définir.
Ca implique de bien se mettre d’accord sur un calendrier, de savoir « qui fait quoi, et quand ? »
et d’essayer de le tenir. (Sofia)
Il est important de se mettre d’accord sur les apports prévus des uns et des autres, sur qui va
piloter le projet, l’écriture du papier. (Nicoletta)
Il faut définir l’apport de chacun sans pour autant qu’ils soient de même poids ou intensité de
travail, selon l’ordre des auteurs. (Jeremy)
Bien que ces éléments soient discutés entre les partenaires, il reste une large part d’informel,
d’improvisation tout au long du processus de recherche qui se déroule le plus souvent sur plu-
sieurs années. Comme le souligne Alphonse il n’est pas toujours facile de définir en amont des
objectifs précis.
Il faut faire en sorte que tout soit clair dès le départ, mais être capable de définir qui fait quoi
ce n’est pas toujours clair, élaborer un planning c’est encore pire, et déterminer la part de
chacun pour établir l’ordre des auteurs, ça peut aussi évoluer. (Alphonse)
12 – Décisions Marketing n°95 Juillet-Septembre 2019
Le principe d’une organisation d’un groupe de recherche est donc l’évolution de son fonction-
nement. Selon certaines études menées sur le sujet et notamment sur les équipes collaboratives,
les groupes de recherche qui fonctionnent bien vérifient 3 grands principes qui sont la confiance,
l’ouverture d’esprit et la valorisation de l’autre (Demange, Henry, et Préau, 2012).
La complémentarité et la stimulation pour pouvoir co-créer
Au-delà de l’organisation de la recherche, les répondants soulignent bien l’importance de la sti-
mulation intellectuelle autour d’un projet de recherche commun pour pouvoir co-créer, trouver
de nouvelles idées et ainsi contribuer à un domaine de recherche, comme le soulignent Nicoletta
et Johnny.
Une riche collaboration c’est quand les chercheurs et les acteurs co-construisent la recherche,
à des étapes différenciées … la confrontation des idées c’est une force de créativité. C’est aussi
apprendre des autres auteurs ; c’est combiner les compétences, par exemple sur des méthodo-
logies, des revues de littérature. (Nicoletta)
Les partages d’expertise sont de toutes natures : un a accès à des revues mais écrit peu, un fait
la littérature l’autre le terrain, le 3e l’analyse statistique. Tout est possible. La réussite tient à
un vrai partage d’objectifs, à la compréhension de l’objectif de l’autre, des autres. (Johnny)
La clé de cette co-création semble être la complémentarité, et la prise en compte des compétences
de chacun au sein de l’équipe comme l’expliquent Elise, Fabiola et Sofia.
Ce qui est important c’est la complémentarité des domaines d’expertise et des compétences,
méthodologie, écriture, collecte de données... (Elise)
Chacun œuvre en fonction de ses talents. Certains peuvent être plus à l’aise dans la collecte,
ou l’analyse, d’autres dans l’écriture, ou la revue de littérature ou dans la réflexion ; c’est
important de repérer et respecter les talents de chacun. Mieux vaut à ce propos travailler avec
des co-auteurs complémentaires plutôt que semblables. (Fabiola)
Pour moi, collaborer en recherche consiste à travailler à plusieurs et à pouvoir capitaliser sur
les qualités et compétences de chacun. J’ai toujours trouvé des co-auteurs complémentaires
à mes compétences qui maîtrisaient des méthodologies, de la littérature, ou un terrain dont je
n’étais pas experte. (Sofia)
Collaborer devient coopérer lorsque les partenaires combinent leurs compétences, il faut donc
aussi savoir faire preuve de souplesse sur les façons de penser et sur les méthodes afin de donner
de l’espace à chacun. Cette liberté favorise les échanges stimulants dans l’objectif d’aboutir à une
coopération où 1 + 1 > 2, une synergie. Des échanges inspirants favorisent la réalisation d’une
œuvre commune, comme l’expliquent Violette et Nicoletta.
Je dirai que collaborer c’est comme un ouvrage à quatre mains, il faut que les parties ré-
sonnent, se fassent écho et qu’en même temps elles s’enrichissent. A bien y réfléchir, si le
travail ne s’enrichit pas, c’est moins grave que s’il ne s’écoute pas. S’il y a l’effet d’écho, il
gagnera déjà en clarté, en simplicité, en efficacité ce qui est déjà énorme !!! L’enrichissement
c’est encore un step au-dessus et là on co-crée. (Violette)
Construire le sujet de recherche – Multiplier la force de recueil des données – Travailler en
commun sur l’analyse. C’est très agréable d’avoir des discussions sur l’analyse, de confronter
les idées, d’avoir une idée qui vient dans la discussion. (Nicoletta)
Éditorial – 13
Des échanges ouverts où chacun peut s’exprimer librement sans être remis en cause sont essen-
tiels. Il faut donc accorder une attention particulière aux mécanismes maximisant l’équilibre
entre les contributions de chacun. La coopération implique le travail de chacun et chacun doit
permettre de faire avancer la réflexion.
Conclusion
Pour que la collaboration de recherche devienne une coopération et aboutisse à la co-création
d’une œuvre commune, il faut privilégier des organisations qui favorisent le faire ensemble. La
devise « seul on va vite, ensemble on va plus loin » reste vraie dans le domaine de la recherche si
le respect de chacun, la confiance et la communication transparente sont au cœur des échanges.
La question de la collaboration en recherche n’a donc pas lieu d’être, la recherche est collabora-
tive, et nous avons ici proposé quelques pistes pour tendre vers des collaborations qui permettent
d’atteindre un objectif commun et qui satisfassent les différents partenaires.
Si l’on revient au début de notre réflexion sur la fin de l’ère des héros solitaires en recherche,
on peut se poser la question de la communication sur les processus de la recherche. Comment
relater les découvertes des équipes de recherche ? Leurs récits auraient-ils le même impact que
des fables mettant en scène un chercheur aussi solitaire que charismatique faisant une avancée
spectaculaire ? Selon Highfield (2012) la recherche doit inspirer des vocations, les histoires sont
importantes pour raconter les processus de recherche. Selon son analyse, les histoires des héros
de la science sont inspirantes à l’image de celle d’Einstein qui a été amené à la relativité restreinte
en pensant rouler sur des faisceaux lumineux. De même, Darwin n’était pas la seule personne à
formuler des théories évolutionnistes, mais c’est de lui et de ses découvertes dans les Galápagos
dont on se souvient comme ayant formulé la théorie de la sélection naturelle et l’ayant intégrée
dans notre culture. Bien entendu, ils ne travaillaient pas seuls et ne prétendraient pas l’être. Mais
les héros ou héroïnes humanisent certains des concepts les plus obscurs de notre culture en per-
mettant au grand public comme à la communauté scientifique d’associer un nom et un visage
aux découvertes et d’humaniser la science (Highfield, 2012 ; Touré-Tillery & McGill, 2015). Le
dernier exemple en date qui rejoint cette analyse est celui de la chercheuse Katie Bouman, qui
nous a permis de contempler un trou noir en postant sur les réseaux sociaux une photo de son
émotion lors de la découverte de l’image d’un trou noir. Cette image a fait le tour du monde, et a
permis une communication virale sur cette découverte. Comme on peut s’en douter la chercheuse
n’était pas la seule auteure de cette découverte et avait comme bien d’autres participé à la création
de l’algorithme. Mais son image et cette communication ont permis de transcender la simple
information factuelle de la découverte. L’émotion véhiculée par le message, sa spontanéité et son
incarnation montraient au monde un visage jubilatoire auquel il est plus aisé de s’identifier qu’à
un descriptif vulgarisé de la trouvaille. Si la science n’est pas comprise par tous, elle est ici fêtée
par tous. Il faudrait donc maintenant réfléchir à comment communiquer. Quelle narration utiliser
pour que les découvertes collectives puissent être visibles et être aussi inspirantes que celles des
héros ou héroïnes solitaires ?
Références
Demange, E., Henry, E., & Préau, M. (2012). De la recherche en collaboration à la recherche communautaire. Un
guide méthodologique, Paris, ANRS/Coalition Plus.
Donald A. (2012). How many scientifists does it take to make a discovery? Telegraph. Accessible depuis
l’adresse : https://www.telegraph.co.uk/news/science/9548376/How-many-scientists-does-it-take-to-make-
a-discovery.html
14 – Décisions Marketing n°95 Juillet-Septembre 2019
Guthrie B.M. (2006). Collaboration de recherche entre les entreprises et les universités : améliorer les échanges
interpersonnels, Innovation.ca. Accessible depuis l’adresse : https://www.innovation.ca/fr/reussites/collabo-
ration-de-recherche-entre-les-entreprises-et-les-universites-ameliorer-les-echanges
Highfield R. (2012). Why Science still needs its heroes? Telegraph. Accessible depuis l’adresse : https://www.
telegraph.co.uk/news/science/roger-highfield/9565035/Why-science-still-needs-its-heroes.html
Michel, G. (1999). L’évolution des marques: approche par la théorie du noyau central. Recherche et Applications
en Marketing (French Edition), 14(4), 32-53.
Touré-Tillery, M., & McGill, A. L. (2015). Who or what to believe: Trust and the differential persuasiveness of
human and anthropomorphized messengers. Journal of Marketing, 79(4), 94-110.
UNESCO (2017), Accessible depuis l’adresse : http://www.unesco.org/new/fr/natural-sciences/science-techno-
logy/single-view-sc-policy/news/international_scientific_collaboration_has_become_a_must_sa/