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La mobilisation populaire qui soulève l’Algérie n’est pas seulement une révolte contre des conditions de vie devenues inacceptables. C’est aussi un mouvement qui fait des rues du pays le théâtre d’une construction organisée de la vie collective et politique par des citoyens qui revisitent leur histoire et prennent leur indépendance.
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Le Hirak algérien*:*un*laboratoire*de*citoyenneté
Islam*Amine*Derradji*et*Amel*Gherbi
La mobilisation populaire qui soulève l’Algérie n’est pas seulement une révolte contre des
conditions de vie devenues inacceptables. C’est aussi un mouvement qui fait des rues du pays le
théâtre d’une construction organisée de la vie collective et politique par des citoyens qui revisitent
leur histoire et prennent leur indépendance.
Depuis le 22 février, l’Algérie vit au rythme de mobilisations inédites. Des millions d’Algériens
ont investi les rues du pays, pour s’opposer au cinquième mandat du président Abdelaziz
Bouteflika, avant de revendiquer un changement radical de régime. Il en a résulté une inflation
d’analyses visant autant à définir le phénomène insurrection, crise, révolte, Hirak1, révolution
(Hammouche 2019 ; Ferhani 2019) qu’à réfléchir à ses conditions d’émergence (Aziri 2019 ;
Mohamed Aziz 2019). Certaines lectures expliquent ainsi le timing des mobilisations par
l’opportunité politique qu’offrirait le moment électoral en contexte autoritaire ; d’autres soulignent
le rôle des nouvelles technologies dans la structuration des réseaux qui articulent le mouvement ;
d’autres encore expliquent les mobilisations par la dégradation des finances publiques et la
corruption qui alimenteraient les griefs populaires ; certaines insistent enfin sur la contribution des
jeunes et s’attachent à décrire l’avènement d’une génération politique débarrassée des traumatismes
du passé et porteuse de renouveau démocratique.
Nous souhaitons compléter ces analyses en posant la question des expériences citoyennes que les
mobilisations rendent possibles. L’objectif est moins de faire l’inventaire des conditions nécessaires
à l’émergence du mouvement que de comprendre comment des figures citoyennes se forment et se
révèlent, à mesure qu’elles fabriquent l’espace public qui les constitue. La citoyenneté est alors
saisie par les pratiques sémiotiques des acteurs : la manière dont ils façonnent les catégories de leurs
engagements publics, tracent les contours de leurs communautés et définissent le sens du bien
commun.
Nous montrons plus spécifiquement que les mobilisations procèdent d’un souci de soi (Foucault
1984) qui se manifeste dans le déploiement d’une civilité urbaine. Les performances publiques des
citoyens algériens contribuent, par l’autocontrôle et la maîtrise de soi, à démentir un discours
officiel qui condamnait les manifestations au « chaos syrien ». Les citoyens puisent en outre dans
un fonds commun de luttes pour la dignité, afin de rompre avec des figures de corruption que le
régime avait fini par incarner (Hachemaoui 2011). Le roman national devient alors le support d’un
processus de subjectivation politique qui accompagne la publicisation de l’espace public (Terzi et
Tonnelat 2016).
Cette réflexion prend appui sur un matériau collecté en ligne : slogans et pancartes, vidéos des
agoras citoyennes, entretiens accordés par les manifestants à des journalistes. Nous mobilisons
1Si Hirak ou Harak signifie « mouvement » en arabe, la dénomination « Hirak algérien » renvoie plus
spécifiquement aux mobilisations qui ont cours depuis le 22 février 2019 en Algérie. Nous reprenons dans ce texte la
catégorie émique la plus investie par les acteurs, bien que celle de Thawara, « révolution », soit de plus en plus
prégnante.
1
également des données recueillies lors d’enquêtes de terrain réalisées entre 2012 et 2016, dans le
cadre d’une recherche sur les émeutes en Algérie.
Une*histoire*de*luttes*qui*informe*le*présent
Les mobilisations des derniers mois s’inscrivent dans une longue histoire algérienne de lutte pour
la dignité. Entamée après la Seconde Guerre mondiale avec le mouvement de libération nationale,
qui devait mettre un terme au joug colonial français et constituer les Algériens en sujets politiques
de plein droit, cette lutte se poursuit dès l’indépendance avec l’entrée en clandestinité de militants
de gauche ou d’extrême gauche opposés au régime de parti unique (Metref 2017 ; Redjala 1988).
Dans les années 1970, Alger devient le lieu d’exil privilégié des révolutionnaires. L’ANC de
Nelson Mandela, l’OLP de Yasser Arafat et les Black Panthers d’Eldridge Cleaver y trouvent refuge
et assistance. L’Algérie soutient alors le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et interpelle les
pays du Sud sur la nécessité de prendre leur destin en main (Deffarge et Troeller 1972).
Les années 1980 voient l’émergence d’un mouvement culturel berbère (MCB) revendiquant la
reconnaissance officielle d’une identité amazighe, dépréciée par les tenants du nationalisme arabe
(Temlali 2016). Les mouvements féministes s’amplifient également, portés par une opposition au
nouveau code de la famille, accusé de confiner la femme algérienne au statut de mineur à vie
(Belhouari-Musette 2006).
En dépit de la guerre civile des années 1990, les luttes n’ont jamais cessé, si bien que le premier
mandat du président Bouteflika est marqué par d’importantes mobilisations en Kabylie, au
printemps 2001, après la mort d’un jeune homme dans les locaux de la gendarmerie nationale. Ces
mobilisations débouchent sur une plateforme de revendications exigeant alors le respect des libertés
individuelles et l’approfondissement de la démocratie (Temlali 2003).
Qu’il s’agisse du cadrage des revendications ou des répertoires d’action, les marcheurs des
dernières semaines ont largement puisé dans ce fonds commun de luttes, tantôt pour s’en faire
l’écho, tantôt pour en tirer des leçons. C’est particulièrement évident dans la manière dont les
symboles du roman national sont réinvestis : chants patriotiques, figures héroïques de
l’indépendance, drapeau national comme signifiant d’un attachement indéfectible à la patrie.
« Un seul héros, le peuple », slogan fort du mouvement de libération national, se retrouve à
nouveau écrit sur les pancartes. Les portraits de Larbi Ben’Mhidi ou d’Ali la Pointe,
révolutionnaires mythiques, sont brandis en signe de gloire retrouvée (figure 1). Leurs photos
contrastent ainsi avec un portrait présidentiel devenu synonyme de culte de la personnalité.
Figure*1
2
© Djamila Ould Khettab, Alger, mars 2019. Les auteurs et le comité de rédaction ont fait le choix de
flouter les visages, afin de ne pas exposer les manifestant·e·s.
Si les marcheurs s’inscrivent dans la filiation du mouvement de libération nationale, invitant ainsi
à reprendre le chemin d’une lutte pour la dignité, d’autres épisodes conflictuels passés orientent les
choix stratégiques et les modes d’action.
Les appels au calme, à la retenue, au sens des responsabilités, sont ainsi marqués par l’expérience
des émeutes d’octobre 1988 (Aït-Aoudia 2015). Les citoyens les justifient aussi bien par la
nécessité de se prémunir contre la répression que par la volonté d’éviter d’offrir au régime la
possibilité de bénéficier, comme il a pu le faire par le passé, d’un pourrissement de la situation.
Missibssa, un jeune étudiant en finance de 20 ans, explique à France Inter que « toute la population
algérienne est catégorique sur ce point : elle veut que ces manifestations restent pacifiques […].
Nous ne voulons pas que ces manifestations soient reprises par quiconque pourrait utiliser la haine
et la casse » (Cavaillès 2019).
Les Brassards verts d’Alger et les Gilets oranges se constituent, à la suite d’appels lancés sur les
réseaux sociaux, pour aider à encadrer les marches, alerter sur les risques de bousculades et
apporter, en cas de besoin, des soins aux marcheurs. Toufik Amrane, journaliste et reporter
d’images, a lancé l’initiative des Gilets oranges après que des accrochages ont éclaté le 12 avril
entre manifestants et forces de l’ordre, près du tunnel des facultés, à Alger. Il explique avoir
contacté des amis journalistes avant d’être rejoint par des bénévoles, dont plusieurs étudiant·e·s ou
médecins (Nadir 2019). L’objectif est alors de maintenir le caractère pacifique des marches, en
constituant « des rangées, une sorte de cordon entre les policiers et les manifestants, pour créer une
distance entre les deux parties » (Alioui 2019).
En tirant ainsi les « leçons » de l’histoire, les marcheurs réinterprètent l’espace des possibles. Ils
s’efforcent d’éviter les erreurs du passé et puisent dans le roman national les référents nécessaires à
la fabrique d’une identité porteuse de dignité et de civilité.
Figure*2
3
© Jidal, Alger, mars 2019.
Le*souci*de*soi*et*le*rapport*au*monde
Si la maîtrise de soi et la retenue des passions sont, comme l’évoquait Norbert Elias, corrélatives
du « processus de civilisation » (Elias 1991), il s’ensuit que le caractère pacifiste des mobilisations
et l’encadrement strict des marches permet d’envoyer le message sans équivoque au monde que
« nous sommes nous aussi des gens civilisés » (figure 3).
Figure*3
© Dilem, Liberté, 18 mars 2019 (source : www.liberte-algerie.com/dilem/dilem-du-18-mars-2019/page/
16?fbclid=IwAR2YolYJ6Ps8fpNf7wXPZ21uctAUgLi4Gc44CQo4bg-mcLb1fdGw3nYE2dE ).
4
La civilité se manifeste également par des actes destinés à assurer la propreté de l’espace urbain
ou à en embellir le mobilier. Brassards verts et Gilets oranges organisent le nettoyage des rues,
s’affairent au ramassage des déchets après les marches ou repeignent les murs des villes (figure 4 ;
Chahinez 2019 ; Saadoun, 2019).
Figure*4
© Jidal, Alger, mars 2019 et © Toufik Amrane, mars 2019. On peut lire sur la photographie de droite :
« pacifique, pacifique, marche civilisée ».
À rebours d’un discours officiel qui agite le spectre du chaos syrien ou renvoie de la jeunesse
l’image d’une horde qui menacerait l’ordre public (Belghiche 2019), les marcheurs répondent par
un humour caustique, tentent de fraterniser avec les policiers2, pour s’en faire des alliés, et montrent
à chacune de leurs sorties que la citoyenneté peut être une fête.
L’entrée dans l’espace urbain est alors l’occasion de forger une image positive et valorisante de
« soi », qui rejette l’assignation à des catégories dépréciatives et rompt avec les images de barbarie
terroriste que l’actualité régionale et internationale la plus tragique a contribué à diffuser. Moncef,
jeune citoyen algérien interviewé par le site TSA, déclare ainsi : « Le gouvernement essaie de faire
croire que nous sommes des sauvages, que nous ne savons pas nous exprimer, ni manifester de
façon pacifique et organisée. Nous sommes en train de prouver le contraire. » Son amie Abir
ajoute : « Nous voulons donner l’image d’un peuple civilisé, qui sait ce qui est bénéfique pour son
pays » (Saadoun 2019).
La manière dont certains slogans reprennent les signes et symboles des produits mondialisés de
consommation témoigne tout à la fois des armes de résistance qu’offre l’humour et de la volonté
d’investir une culture partagée qui, par-delà l’Algérie, permet d’instituer un monde sémiotique
commun. Les paquets de Marlboro deviennent ainsi « mal barrés, votre système nuit gravement à
notre système de santé » (figure 5) ; on rappelle que « seul Chanel peut faire le numéro 5 » ; la
formule de Yoda dans Star Wars est détournée au bénéfice du peuple (figure 5) et le docteur Emmett
Brown de Retour vers le futur interpelle Marty McFly sur les risques de déchirures de l’espace-
temps associés au prolongement du quatrième mandat du président Bouteflika (figure 6)…
Figure*5
2Les marcheurs scandent « khawa khawa » (« frères, frères ») pendant les marches.
5
© Ziri Gunfood Oulmane, Alger, mars 2019.
Figure*6
© Ziri Gunfood Oulmane, Alger, mars 2019.
Si les performances publiques offrent l’occasion d’une présentation et d’une représentation
valorisante de soi, c’est aussi qu’elles permettent la mise à distance de parangons de servilité que le
régime a fini par banaliser, comme la figure bien connue du chiyatt – le « brosseur » –, celui qui
flatte le puissant dans le sens du poil ou en chante les louanges, pour mieux s’attribuer ses faveurs –
ou la figure, plus récente, du mangeur de cachir. Le cachir est un pâté (bologne) offert en sandwich
au public venu assister au meeting de campagne d’Abdelaziz Bouteflika. Le mangeur de cachir est
alors décrié comme celui qui s’inscrit dans un rapport clientéliste avec le régime et accepte une
posture de vassalité (figure 7). Cette posture est d’autant plus indigne que les meetings de campagne
sont marqués par des rituels révérenciels impliquant le portrait officiel du président, à défaut de sa
présence physique.
Dans ces conditions, la candidature d’Abdelaziz Bouteflika est vécue comme une humiliation.
Les images du meeting, diffusées à la télévision nationale, se traduisent par un choc moral, une
6
réaction viscérale d’indignation et de colère face à une situation jugée moralement insoutenable
(Jasper 1998). Des portraits officiels du président sont alors arrachés des façades des Assemblées
populaires communales3 de Khenchela ou d’Annaba4.
Figure*7
© Hicheme le Hic, El Watan, 23 février 2019. Source : https://www.elwatan.com/le-hic/le-hic-185-23-
02-2019 .
L’investissement collectif de l’espace urbain témoigne alors d’un souci de soi qui « place la
question de la vérité – de la vérité de ce que l’on est et de ce qu’on est capable de faire – au cœur de
la constitution du sujet moral » (Foucault 1984, p. 94). Elle s’accompagne d’un processus de
subjectivation par lequel les marcheurs se donnent à voir tels qu’ils souhaitent être vus, rejettent
l’assignation aux catégories d’incivilité, de chaos ou de barbarie et investissent les référents
valorisants de l’identité collective (lutte du mouvement de libération nationale), pour rompre avec
des figures de vassalité (culte du portrait présidentiel, figure du mangeur de cachir). Ils se
définissent ainsi en sujets éthiques et politiques aptes à reprendre en main leur destin collectif.
Cette entreprise de redéfinition ouvre l’espace des possibles, dès lors qu’elle permet de réévaluer
la capacité d’action des personnes mobilisées sur leur monde. S’inscrire dans la filiation des
glorieuses figures de la guerre de libération nationale, c’est s’intimer le devoir d’agir et se sentir le
pouvoir de le faire. C’est enfin raviver l’espoir en la possibilité de redresser les rapports entre État
et société, dont la détérioration s’était jusqu’à maintenant traduite par un accroissement du nombre
d’émeutes ou de candidatures à l’immigration irrégulière.
«*Je*ne*veux*plus*te*quitter,*mon*Algérie*»
Dans un texte désormais classique, Albert Hirschman (1970) soutient que les individus peuvent
répondre de deux manières à une relation qui se détériore : en sortir (exit) ou faire entendre leurs
griefs (voice). L’option choisie dépend du coût d’opportunité de chacune, de l’attachement à
l’organisation (loyalty) et de l’espoir en la possibilité effective de redresser la situation5.
3L’Assemblée populaire communale (APC) est l’équivalent du conseil municipal en Algérie.
4Pour les vidéos des APC prises d’assaut, voir : www.huffpostmaghreb.com/entry/a-annaba-le-cadre-de-bouteflika-
ne-fait-plus-rire_mg_5c6e6aa7e4b0f40774cc475a .
5Les organisations peuvent se trouver confrontées à des niveaux variables d’exit ou de voice. Les organisations pour
lesquelles le voice est considéré comme une mutinerie et l’exit une trahison vont connaître des niveaux plus faibles
7
Dans le cadre de recherches menées sur les émeutes urbaines en Algérie (Derradji, à paraître),
nous avons montré que les individus qui s’y engageaient faisaient l’expérience d’une dévalorisation
statutaire. En dépit des motifs variés par lesquels ils justifiaient leurs actions – absence de logement,
chômage, abus de pouvoir, corruption d’agents de l’État, difficulté d’accès aux services publics – ils
exprimaient le sentiment unanime d’un déni de leur citoyenneté. Le concept de hogra était
particulièrement mobilisé par les « émeutiers » pour rendre compte des rapports à l’autorité
publique. Dans le langage populaire algérien, ce terme désigne à la fois un abus de pouvoir et le
mépris dont peuvent faire preuve des individus qui occupent des positions dominantes.
Pour Adel, jeune « émeutier » de 28 ans, l’émeute est un voice. C’est le moyen de « transmettre
un message et dire aux autorités qu’on existe ». Or si on lutte pour exister, c’est bien que la
reconnaissance fonde l’égalité en dignité, laquelle permet un accès équitable aux ressources
matérielles et symboliques de l’État. Si cette égalité ne semble pas garantie ; si les normes et
obligations qui encadrent le rapport du citoyen à l’autorité publique sont enfreintes ou soumises au
pouvoir discrétionnaire d’agents de l’État ; si des catégories d’individus jouissent d’un accès
privilégié aux ressources matérielles ou symboliques de l’État, alors que d’autres s’en trouvent
exclus, l’autorité publique finit par construire, dans le quotidien de ses interactions avec les
individus, des catégories duales de citoyenneté.
Ainsi relégué aux « lisières de la citoyenneté » (Jenson 2007, p. 24), Abdou, jeune « émeutier »,
finit par nous rappeler l’évidence en guise de justification de sa colère : « J’ai une carte d’identité
nationale comme tout le monde. »
Dans ses travaux sur les harragas algériens, candidats à l’immigration irrégulière, Farida Souiah
(2012), montre comment ces derniers sont souvent évoqués comme « preuve ultime des
dysfonctionnements qui touchent le pays » (p. 105). Elle souligne en outre qu’el harga est une
sortie (exit) au sens d’Hirschman, « une stratégie active destinée à faire face à une situation difficile
dans laquelle misère et hogra les empêchent d’envisager un avenir » (p. 119). Cette option finit, en
outre, par supplanter le recours à la protestation (voice), car celles et ceux qui la choisissent ne
croient plus en la possibilité d’améliorer leur situation en Algérie.
Les mobilisations des derniers mois se sont accompagnées de slogans tels : « pour la première
fois, je ne veux pas te quitter mon Algérie » ou encore « rana hna ! » (on est là !) (figure 8). Les
performances publiques des citoyens algériens, en introduisant de nouvelles façons de manifester et
de se manifester (voice) et en réitérant l’attachement à la communauté politique, permettent la
fabrique d’un sujet politique capable d’agir sur son monde et contribuent à renouveler la croyance
en la possibilité d’un avenir meilleur, porteur d’opportunités sociales et de dignité politique. Le
présent embrasse ainsi dans une même vision une gloire passée retrouvée et des attentes futures
réactualisées.
Figure*8
de contestation, mais seront moins viables sur le long terme. De plus, les options seront entreprises à des niveaux
avancés de détérioration de la relation et prendront des formes plus révolutionnaires que réformistes (Hirschman
1970, p. 121).
8
© Algérie Debout, 2019 et © Collectif « Rana hna », 2019.
Le sentiment d’une reprise en main du destin collectif finit par libérer les énergies. Les initiatives
citoyennes se multiplient à travers le territoire national algérien et racontent le besoin collectif
d’entreprendre. Des débats et des assemblées citoyennes sont ainsi organisés par différents collectifs
pour discuter de l’Algérie de demain (figures 9 et 10).
Figure 9
© Jidal, mars 2019
.Figure*10
9
© NABNI, mars 2019.
Si les slogans à travers lesquels s'expriment les manifestants véhiculent des discours qui
s’inscrivent dans le registre du lien social qui unit sinon uniformise et qui pacifie sinon
invisibilise les divergences –, les interactions citoyennes au sein des forums publics qui se
constituent (physiques comme médiatiques) offrent autrement la possibilité de se manifester (voice).
À cet égard, en publicisant des situations problématiques vécues individuellement ou localement,
ces modalités d’interaction expérimentales laissent transparaître les clivages et les inégalités qui
traversent le monde social (Terzi et Tonnelat 2016 ; Dewey 2010 ; Mead 2006). La préservation de
l’espace public est alors tributaire de la manière dont ces rapports sont négociés, pour permettre
l’expression du dissensus, sans compromettre la participation à la communauté politique.
Mérites*et*limites*d’une*expérience*citoyenne*transformatrice
Les mobilisations des derniers mois ont fait bien plus que briser le mur de la peur, comme aiment
à le souligner certains analystes de la scène politique algérienne (Lepage 2019). Elles ont conduit à
un véritable réenchantement du politique.
D’abord, parce qu’elles procèdent d’un salutaire souci de soi (Foucault 1984), les performances
publiques des citoyens algériens participent, par l’autocontrôle et la maîtrise de soi, à déconstruire
un discours officiel qui condamnait les manifestations au « chaos syrien ». Ils puisent en outre dans
un fonds commun de luttes pour la dignité, afin de rompre avec des figures avilissantes de vassalité
et façonner des représentations valorisantes de soi qui participent de la formation du sujet politique.
Ensuite, parce qu’elles permettent, comme l’évoquait déjà Hannah Arendt, le passage d’une
existence privée, tout entière affairée aux activités vitales de production et de reproduction, à une
existence publique soucieuse de discuter et de construire un monde commun. Le sentiment de fierté
retrouvée dont témoignent les citoyens algériens, de même que le bonheur d’être ensemble qu’ils
expriment, rappellent le caractère émancipateur de l’action politique (Arendt 1995).
La préservation de cet acquis demeure toutefois un enjeu perpétuel. Alors que l’appropriation des
espaces publics offre des ressorts à la « motilité » (Djelloul et Mezoued 2019 ; Kaufmann et
Jemelin 2004), sinon des « prises » (Joseph 1997) génératrices d’une confiance dans la capacité de
se redéfinir et d’agir collectivement, la (dé)libération des voix (au sein de dispositifs publics de
prise de parole) met en évidence l’épreuve d’articuler le pluralisme d’une société qui (ré)apprend
tout juste à se (re)connaître. Autrement dit, à travers les différentes modalités d’expression, survient
une prise de conscience de la composition du public et de ses qualités sociologiques diverses. Se
profilent alors des revendications identitaires plurielles, qui laissent largement indéterminées les
modalités de la coexistence au sein d’un espace politique commun revitalisé.
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Amel*Gherbi est doctorante en études urbaines au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut
national de la recherche scientifique (INRS-UCS) (Montréal, Québec, Canada). Elle travaille sur les
enjeux de mobilités internationales et d’hospitalité à l’échelle locale.
Islam * Amine * Derradji est doctorant au département de science politique de l'Université de
Montréal (Québec, Canada). Il termine actuellement une thèse consacrée aux coalitions
protestataires en Algérie.
Pour*citer*cet*article*:
Islam Amine Derradji & Amel Gherbi, « Le Hirak algérien : un laboratoire de citoyenneté »,
Métropolitiques, 12 juillet 2019. URL : https://www.metropolitiques.eu/Le-Hirak-algerien-un-
laboratoire-de-citoyennete.html.
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... In the early days of the movement, groups such as the "green armbands" and the "orange vests" were created following minor incidents in order to prevent physical confrontations, channel protests, prevent sexual harassment, and provide emergency care. Responding to officials who constantly invoked the chaos in Syria and Libya, activists strove to collectively demonstrate the "civism" of their society, for example by implementing clean-up operations after the marches (Derradji and Gherbi 2019). ...
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The advent of the Arab Spring in late 2010 was a hopeful moment for partisans of progressive change throughout the Arab world. Authoritarian leaders who had long stood in the way of meaningful political reform in the countries of the region were either ousted or faced the possibility of political if not physical demise. The downfall of long-standing dictators as they faced off with strong-willed protesters was a clear sign that democratic change was within reach. Throughout the last ten years, however, the Arab world has witnessed authoritarian regimes regaining resilience, pro-democracy movements losing momentum, and struggles between the first and the latter involving regional and international powers. This volume explains how relevant political players in Arab countries among regimes, opposition movements, and external actors have adapted ten years after the onset of the Arab Spring. It includes contributions on Egypt, Morocco, Kuwait, Saudi Arabia, Syria, Algeria, Sudan, Lebanon, Iraq, Jordan, Yemen, and Tunisia. It also features studies on the respective roles of the United States, China, Iran, and Turkey vis-à-vis questions of political change and stability in the Arab region, and includes a study analyzing the role of Saudi Arabia and its allies in subverting revolutionary movements in other countries.
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Territorial transition in southern countries seems to have a distinctive aspect in comparison to northern countries, as it is governed by a dual challenge. On one hand, to regulate unrestrained urbanisation and, on the other hand, to maintain the principles of sustainability promoted on an international scale. In this article, we focus on the interaction between the two main pillars of sustainability, namely the social and the environment, and in particular on the degree of citizen involvement in processes regarding conservation of natural areas within their cities. Therefore, we question the modalities of territorial transition within theoretical and empirical frameworks for the case of the cities of Duitama in Colombia and Setif in Algeria. Two cities situated in southern countries, amid territorial transition, with rather similar geographical and natural characteristics, yet with very different social conditions. Through a comparative study it is possible to comprehend the diversity of social practices towards protecting the environment in these urban areas. The aim of this study is to understand how the inhabitants of these towns are currently involved in environmental protection, and their potential involvement in the ecological transformation that these two territories will undergo in the future.
Article
This article examines democratic backsliding in Algeria through a focus on the Hirak movement, born in 2019. Specifically, it explores government repression and the resulting impact on political action (the use of terrorism charges, the banning of parties, the prosecution of political activists and leaders). To this end, the article will present a ‘timeline’ of repression over the past four years, showcasing relevant numbers and trends that speak to the movement’s activism and responses by the government. The article incorporates primary data collected from the country, including through interlocutor activists who have borne the brunt of government crackdowns. Ultimately, the article seeks to investigate the ways in which Tebboune’s government has made it impossible for a viable opposition force to emerge from the Hirak – The obstacles to democratic progress Some of those who haven't took part in initiatives within the Hirak such as the platform for discussions ‘Nida 22’ or joined groups for the support and the defense of political prisoners.
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Dans l’après-midi du 27 février 2019, des professionnels de l’audiovisuel public ont organisé un sit-in devant le siège de l’ENTV1. Cette action de protestation inédite dans l’histoire de l’entreprise est intervenue quelques jours après le déclenchement du mouvement du 22 février connu désormais sous le nom de hirak. Je m’intéresserai dans le cadre de cette contribution aux stratégies rhétoriques et discursives employées afin de restaurer l’éthos en conformité avec l’éthique du travail de journaliste. C’est à travers une série de commentaires d’infonautes apparaissant sur une vidéo de ces sit-in, postée sur YouTube, que j’analyserai la réaction des internautes par rapport au mouvement des journalistes.
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De nombreuses critiques ont ete formulees quant a la portee politique du rapprochement aujourd’hui croissant entre questions politiques et questions urbaines, civilite et citoyennete. Ces critiques ont souligne les effets en trompe-l’œil imputables a « l’orientation localiste et urbaniciste de l’action publique? [1] », ainsi que les risques d’un confinement de l’engagement militant dans le local. Sans pretendre trancher ici ces debats, on propose de suspendre toute presomption concernant « ce que veut dire » le fait de parler d’engagement de proximite, de citadinite, ou de civilite, pour considerer ce que peuvent faire certaines de ces facons de parler? [2] et d’agir, dans des contextes particuliers, ici celui d’une activite associative. L’analyse portera sur un discours de la proximite, mis en œuvre dans le cadre d’une demarche de communication, entreprise en 2009 par l’association Les Morts de la Rue, engagee dans le soutien aux personnes a la rue, et dont la principale activite consiste a offrir des funerailles aux personnes decedees a la rue. Cette demarche offre une occasion interessante d’aborder l’articulation possible de gestes civils elementaires et de l’engagement citoyen.
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Si la corruption est omnipresente en Algerie, ce n’est pas seulement parce que la manne petroliere permet de securiser des clienteles. C’est un effet de la construction du regime ou plutot son mode de pouvoir depuis l’independance. Cette description des mecanismes du pouvoir algerien permet de comprendre la singularite de ce pays, a l’ecart de la vague de revolte.
Article
Le 19 avril 2001, un jeune Algérien, Guermah Massinissa, mourait, atteint par une rafale de mitraillette dans les locaux de la gendarmerie à Beni Douala, en Grande-Kabylie. L’événement aurait pu n’être qu’un « fait divers » à inscrire au riche registre des bavures policières. Il n’en a pas été ainsi. La maladresse de la communication officielle aidant1, la mort de Guermah Massinissa a déclenché en Kabylie un tourbillon d’émeutes et de répression. Elle a fait déborder le vase d’une colère populaire dont une répétition miniature avait été les manifestations qui ont suivi l’assassinat du chanteur Matoub Lounès le 25 juin 1998. Partie de Beni Douala, la révolte s’est étendue à toute la Kabylie. Elle a eu aussitôt un puissant écho dans les autres régions, malgré une insidieuse propagande tendant à donner du massif kabyle l’image d’un éternel foyer sécessionniste.
Article
L'A. se penche sur les dimensions temporelle et spatiale de l'hospitalite. Apres avoir examine l'hospitalite de la ville et notamment son accessibilite, il analyse les gestes et les mots de l'hospitalite en rappelant que la question migratoire a pose la question du sens commun, de l'intelligilbilite commune. Puis il observe les formes de l'engagement minimal que permet la ville : si nous attendons de l'espace qu'il nous offre des prises pour l'activite en cours, ce que nous presupposons de l'univers des rencontres, c'est au contraire une capacite a nous assurer la possibilite d'evoluer dans un monde de liens faibles. Ceci est du a densite des relations et a l'heterogeneite des populations composant la ville. L' « innattention civile » de Goffmann en est un prototype, de meme que les banalites d'usage. Le droit a la consideration et le droit a la tranquillite revendiques dans les villes y sont preserves. L'A. insiste sur le caractere mouvant de la frontiere public/prive et sur l'importance des seuils, ainsi que sur la reversibilite de la notion d'hote. Il conclut avec la dimension linguistique de l'accueil, en conferant a la traduction une dimension de confrontation feconde
« La révolution menacée », El Watan, 14 avril
  • T Belghiche
Belghiche, T. 2019. « La révolution menacée », El Watan, 14 avril. Disponible en ligne à l'URL suivant : www.elwatan.com/edito/la-revolution-menacee-14-04-2019.
Disponible en ligne à l'URL suivant
  • D Belhouari-Musette
Belhouari-Musette, D. 2006. « Le combat des Algériennes pour la citoyenneté », NAQD, n° 22-23, p. 177-192. Disponible en ligne à l'URL suivant : www.cairn.info/revue-naqd-2006-1-page-177.htm.
Algérie : les démons du passé incitent les Algériens à se faire entendre sans heurts », France Inter, 1 er mars
  • T Cavaillès
Cavaillès, T. 2019. « Algérie : les démons du passé incitent les Algériens à se faire entendre sans heurts », France Inter, 1 er mars. URL : www.franceinter.fr/monde/algerie-les-demons-du-passeincitent-les-algeriens-a-se-faire-entendre-sans-heurts.