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questions de communication, 2018, 34, 107-132
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RAPHAËL BARONI
École de français langue étrangère
Université de Lausanne
CH-1015
raphael.baroni[at]unil.ch
FACE À L’HORREUR DU BATACLAN:
RÉCIT INFORMATIF, RÉCIT IMMERSIF ET RÉCIT IMMERGÉ
Résumé. — Cet article prolonge le débat ouver t dans la 30e livraison de Questions de
communication (2016) concernant la place accordée à la théorie du récit à une époque
marquée par un intérêt sans précédent pour des narrations qui s’incarnent dans des formes
de plus en plus diverses. Plutôt que d’entrer dans un dialogue avec chaque répondant,
j’illustreraiparunexempleconcretcequej’estimeêtrelaspécicitéd’unedémarchequine
considèrepaslathéoriedurécitcommeunsimpleoutiletpourmontrerlesprotsquel’on
peut espérer tirer d’un travail de théorisation des formes narratives. Je soutiens qu’il existe
deuxprototypesopposésdelanarrativité,quiformentdeuxpôlesextrêmesentrelesquels
se répartissent les représentations narratives suivant que ces dernières se donnent pour
tâche principale d’expliquer un événement ou, au contraire, de produire une immersion
dans l’expérience racontée. Ces deux prototypes narratifs seront illustrés par deux récits
très différents d’un même événement dramatique. J’évoquerai rapidement l’existence d’un
troisième prototype : celui du récit immergé dans l’actualité, pour lequel la distinction entre
temps du discours et temps diégétique n’a pas lieu d’être. Je reviendrai en conclusion sur les
perspectives qui se présentent pour une narratologie de troisième génération.
Mots clés. —narratologie,récitmédiatique,intrigue,conguration,immersion,Bataclan
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R. Baroni
L’article de Raphaël Baroni « L’empire de la narratologie, ses dés et ses
faiblesses » (30, 2016) a donné lieu à des « Échanges » (31, 2017). Il revient
donc à celui-ci de répondre aux chercheur·e·s qui ont discuté ses propositions.
De l’utilité de la théorie du récit
pour les études narratives
Cet article prolonge le débat ouvert dans la 30e livraison de Questions de
communication (voir Baroni, 2016a) concernant la place accordée à la théorie du récit
à une époque marquée par un intérêt croissant pour des narrations qui s’incarnent
dans des formes de plus en plus diverses, allant des franchises transmédiatiques au
storytelling publicitaire ou politique, en passant par tous les genres et les formats
quepeuventprendreles récits factuelsouctionnelsquisaturent nos sociétés.
Plutôtqued’entrerdansundialogueavecchaquerépondant1, j’aimerais illustrer
parunexempleconcretcequej’estimeêtrelaspécicitéd’unedémarchequine
considère pas la théorie du récit comme un simple outil, mais comme un champ
derecherche à développer,etpourmontrerles prots que l’on peut espérer
tirer d’un travail de théorisation des formes narratives. L’analyse comparée de
deux traitements journalistiques des attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre
2015, qui se focalisent notamment sur l’attaque de la salle de concert du Bataclan,
permettrad’éclairerlesdivergencesformellesetfonctionnellesentredeuxpôles
de narrativité et de rediscuter la thèse ricœurienne concernant l’opération de la
« mise en intrigue ».
J’insiste sur le fait que je n’ai aucune critique particulière à adresser à celles et
ceux que j’ai nommés maladroitement les « simples usagers » de la boîte à outils
narratologique (ibid. : 227). Ainsi que le démontrent Delphine Saurier et Odile Vallée
(2017), on peut accomplir des analyses très riches de phénomènes intégrant une
dimension narrative sans que cela débouche nécessairement sur une théorisation
de la narrativité, qui n’est qu’un objectif annexe. Il faut d’ailleurs reconnaître
qu’au sein des études narratives, la boîte à outils fournie par les narratologues ne
représente souvent qu’une part négligeable de l’arsenal conceptuel mobilisé, et
que le rendement de ces outils reste dans la plupart des cas modeste, si ce n’est
discutable. Ce faible rendement s’explique d’ailleurs non seulement par le caractère
limité de ce que l’on peut accomplir avec une perspective narratologique, mais
aussi par l’inadéquation de concepts forgés dans le creuset de la théorie littéraire.
Les narratologues portent donc une part de responsabilité dans la « faiblesse »
1 Pour les réponses, voir les ar ticles de Jacques Walter et Béatrice Fleury, Jan Baetens, François
Jost, Arnaud Schmitt, Marc Mar ti, Alain Rabatel, Delphine Saurier et Odile Vallée publiés dans la
31e livraison de la revue Questions de communication (2017). Je remercie chacun de ces auteurs
pour la manière dont ils ont fait avancer le débat par le biais de critiques très constructives. Certains
argumentsavancésparcesderniersserontrediscutésauldecetteanalyse,notammentdansla
dernière partie.
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Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
de leur discipline, d’une part, parce qu’ils ont du mal à faire connaître les dernières
avancées de leur discipline en dehors des cercles de spécialistes, d’autre part, parce
que les récits extra-littéraires ont tardé à être pris au sérieux, ces formes ayant été
traitées trop longtemps comme de simples avatars des récits littéraires, au lieu de
reconnaîtreleursspécicitésmédiatiquesetdiscursives.
Jan Baetens (2017) souligne à juste titre la dépendance étroite de la théorie
envers les objets auxquels elle se confronte : à nouveaux récits, nouvelle
théorie. L’élargissement de ce que j’ai désigné un peu pompeusement comme
« l’empire de la narratologie » devrait par conséquent engendrer un effor t de
reconceptualisation qui n’a été jusqu’à présent que très partiellement entrepris.
Arnaud Schmitt (2017) rappelle l’importance de l’analyse textuelle, qui a
longtempsconstituéleprincipalbénéceattendud’unrecoursàuneperspective
narratologique, mais Alain Rabatel (2017) souligne aussi la nécessité de décrire
beaucoup plus précisément les phénomènes de surface, qui ont été trop souvent
négligés,cequipasseégalementparunepriseencompteplusnedesspécicités
sémiotiques et discursives d’objets très divers dans leurs fonctions, leurs formes et
leurs fonctionnements. C’est la raison pour laquelle François Jost (2017) en appelle,
et je ne peux que joindre ma voix à la sienne2, à l’émergence d’une véritable
narratologie comparée, qui s’attacherait notamment à mieux comprendre les
spécicitésdesincarnationsmédiatiquesdesrécits,toutenenvisageantl’existence
de phénomènes qui transcendent ces avatars.
Comme je tenterai de le montrer dans cet article, il me semble en particulier
nécessaire de reconnaître l’existence d’une pluralité de prototypes narratifs, de
manière à fournir des outils plus maniables et mieux adaptés pour rendre compte
desspécicitésderécitshétérogènes.Je pensequel’undestortsprincipauxde
la narratologie aura été de chercher à atteindre un prototype universel, ce qui
aconduit,danslemeilleurdescas,ànégligerlecaractèrespéciquedecertains
phénomènes, et dans le pire, à se désintéresser des manifestations qui s’écartent
de cette forme idéale3.
Deux thèses ricœuriennes discordantes
Avant d’avancer mes propres arguments, j’aimerais commencer par exposer
rapidement la manière dont Paul Ricœur a contribué à ouvrir un nouveau champ
de recherche pour l’étude des rapports entre l’expérience temporelle et sa mise
en récit, tout en obscurcissant la diversité des formes et des fonctions narratives
qui se déploient dans la sphère médiatique. Il faut reconnaître que s’il y a bien eu
2 Je rejoins cet appel dans Baroni (2017b).
3 J’ai montré ailleurs (Baroni, 2017b) que le projet d’une narratologie transmédiale a été longtemps
contrarié par le dogme genettien voulant que tout récit repose nécessairement sur la production
verbale d’un narrateur.
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R. Baroni
un tournant narrativiste dans la recherche francophone (voir Kreiswirth, 1995),
on le doit en grande partie à son œuvre, et notamment à la trilogie Temps et
récit publiée entre 1983 et 1985. Avant lui, pour les Anglo-Saxons, c’est surtout
le philosophe Hayden White (2017) qui a permis de rapprocher la théorie du
récit,traditionnellementconnéeà l’étudedesctions littéraires,de laréexion
sur l’écriture des récits factuels, notamment l’historiographie. Cette approche
s’inscrivait dans une perspective critique insistant sur l’impor tance de tenir compte
des médiations discursives à travers lesquelles nous rendons compte de la réalité.
Ainsi que l’afrme HaydenWhite, l’écriture n’est jamais transparente : même
si elle fait tout pour se faire oublier, elle façonne en partie la réalité dont elle
prétend rendre compte. Alors que les travaux de Hayden White, en l’absence de
traductions4, sont restés largement méconnus du public francophone, Paul Ricœur
ajouéunrôlede passeur en afrmant à lasuiteduphilosopheaméricainque
la mise en intrigue aurait pour fonction de donner sens et forme à l’expérience
temporelle. Il en tire la conclusion suivante : « Le temps devient temps humain dans
lamesureoùilestarticulédemanièrenarrative;enretourlerécitestsignicatif
dans la mesure où il dessine les traits de l’expérience temporelle » (Ricœur, 1983 :
17).
Il ne s’agit pas de revenir sur les acquis des approches inspirées de Hayden White
et de Paul Ricœur, qui ont eu le double mérite de nous faire prendre conscience
de l’omniprésence des formes narratives, qui s’étendent bien au-delà du cercle des
ctionslittéraires,etdeproblématiserlerôledesrécitsdanslamanièredontnous
nous appréhendons la réalité. Néanmoins, il ne faudrait pas que cette extension
conduise à écraser la diversité des récits. On peut soutenir au contraire qu’il
existedesdifférencesformellesetfonctionnellesprofondesentrelaconguration
narrative quel’onrencontredansunectionlittéraireetcelleproduite par un
historien ou un journaliste5. Sur ce point, il me semble que la thèse de Paul Ricœur
se montre hésitante, voire contradictoire si l’on oppose le premier au troisième
tome de Temps et récit6.
Dans le premier tome, la thèse ébauchée dès l’introduction semble se situer
dansladroitelignedurapprochementopéréparHaydenWhiteentrectionet
historiographie.PaulRicœur(1983:12)afrmeeneffetque«lesintriguesque
nousinventons» seraient« le moyenprivilégiéparlequelnousre-congurons
notre expérience temporelle confuse, informe et, à la limite, muette ». À ce stade
desaréexion,Paul Ricœur (ibid. : 126) insiste sur l’impor tance de généraliser
4 On doit à Philippe Carrard l’heureuse initiative d’une traduction de quelques textes majeurs de
H. White (2017), assortie d’une introduction à ses travaux.
5 Ce souci de tenir compte des contextes discursif et de la diversité formelle des récits médiatiques
se retrouve notamment dans les travaux de Marc Lits (2008) et de Philippe Marion (1997) à qui
l’on doit le concept de « médiagénie des récits ». Jean-Michel Adam (2011) a également insisté sur
les variations génériques qui affectent la narrativité.
6 Pour une discussion critique beaucoup plus détaillée concernant cette contradiction et des
conséquences à en tirer pour « poétique comparée des intrigues », je renvoie à Baroni (2010).
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Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
la notion de « mise en intrigue » pour en élargir l’application aux récits factuels,
notamment historiques :
«Je mepropose[…]dedégagercetteactivitédecongurationdescontrainteslimitativesque
le paradigme de la tragédie impose au concept de mise en intrigue chez Aristote. […] J’espère
démontrer par la suite […] que, sous la condition d’un plus grand degré d’abstraction et avec
l’addition de traits temporels appropriés, le modèle aristotélicien ne sera pas radicalement altéré
parlesamplicationsetlescorrectionsquelathéoriedel’histoireetlathéoriedurécitdection
lui apporteront ».
Pour résumer grossièrement, il faudrait donc comprendre cette première thèse
de la manière suivante : l’expérience temporelle serait à l’origine confuse, informe
etmuette,laréponsecroiséedelactionetdurécit historique consisteraità
transformer cette expérience en l’inscrivant dans une intrigue, autrement dit dans
uneformenarrative pourvued’undébut,d’unmilieuetd’unen.L’expérience
seraitainsienrichieparlacongurationnarrative:letempsdeviendraitunetotalité
compréhensibleetsigniantegrâceàlamédiationd’unrécit.
Je n’entrerai pas ici dans le détail des problèmes de circularité que pose une telle
conception de la narrativité et de l’expérience temporelle, en revanche, j’aimerais
souligner le fait que la thèse défendue par Paul Ricœur dans le troisième tome de
Temps et récit apparaît sensiblement différente. Au lieu d’insister sur la convergence
entrela«miseenintrigue»desrécitshistoriquesetdesctionslittéraires,Paul
Ricœur souligne au contraire l’existence d’une divergence formelle et fonctionnelle
profonde entre ces deux formes narratives. Il afrme ainsi que la ction, en
proposantdes«expériencesctives dutemps»formeun« contrepoint avec
lemondehistorique»(Ricœur,1985 :229). À l’historienlesoinde congurer
un récit explicatif qui consiste, entre autres caractéristiques, à se fonder sur des
sources pour réinscrire le « temps phénoménologique sur le temps cosmique »
(ibid.).Àlaction,aucontraire,lerôled’explorer « les innombrables manières
dont l’intentio et la distentio se combattent et s’accordent. En cela, cette littérature
est l’instrument irremplaçable d’exploration de la concordance discordante que
constitue la cohésion d’une vie » (ibid. : 248-249).
Pour le second Ricœur, l’aporie qui se manifeste à travers la dialectique de la
distentio/intentio ou de la concordance/discordance n’est donc plus un problème à
résoudre, mais elle constitue la nature même de l’expérience temporelle la plus
authentiqueàlaquellenousreconduiraitlerécitdection.Laperspectiveadonc
totalement changé entre le premier et le troisième tome, puisque Paul Ricœur
(ibid.:248)nitparadmettreque«laconcordancediscordanteétaitdéjààlafois
le nom d’un phénomène à résoudre et celui de sa solution idéale ». Pour résumer
cette nouvelle thèse, on pourrait avancer que face à une expérience temporelle
qui n’est que partiellement confuse, puisqu’elle est déjà prise dans des structures
quilarendentsigniante,l’auteursoulignequ’ilexistedeuxtypes de médiation
narrative. La première est d’ordre historiographique : elle consiste à réinscrire
l’événement, d’abord vécu comme une expérience subjective, dans un cadre plus
large et plus objectif. L’événement devient interprétable, il peut être étayé par
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R. Baroni
des sources, on peut en reconstruire l’enchaînement causal ou y reconnaître une
congurationdéjàconnuepourluiattribuerunevaleurcollective.
Cette opération correspond plus ou moins à la première thèse ricœurienne, mais
elle est maintenant restreinte à la description de l’écriture historique. En revanche,
lamiseenintrigueparlactionlittéraireapparaîtpourPaulRicœurcommeune
opérationtrèsdifférente:elleviseplutôtànousrapprocherdel’expériencevécue,
à révéler les apories qui se dissimulent derrière les explications plaquées sur les
événements. Bref, il n’est plus du tout question de donner sens et forme au vécu,
maisplutôtderévélerlanatureconcordanteet discordante de l’expérience imitée
parlaction.
Cettedernièredénitionrejointla manièredontjedénissaisla dynamiquede
l’intrigue dans La Tension narrative (Baroni, 2007). Dans cette acception étroite,
l’intrigue correspond à un dispositif dont la fonction première est d’intriguer le
lecteur, et ce faisant, elle met en scène le caractère sous-déterminé de notre
expérience temporelle :
« Le suspense met en scène l’incertitude d’un sujet en relation avec son avenir qui est, par nature,
sous-déterminé ; la curiosité, pour sa part, est fondée sur l’incertitude d’un objet (qui peut être
une chose, un événement, une action ou autrui dans son extériorité) tel qu’il est perçu ou décrit.
Le récit serait alors fondamentalement la mise en scène, par le biais de la mise en intrigue, de la
sous-détermination du devenir et du monde » (ibid. : 158).
Le modèle n’est plus celui d’une structure qui congure le passé pour le
rendresigniant,maisplutôtceluid’unarcdetensionfondésuruneimmersion
temporelle dans un événement vécu subjectivement et encore tissé de virtualités
et d’incertitudes. Ainsi que l’afrme Richard Pedot (2008 : 25), les récits « ne
peuvent être réduits au schéma chrono-logique7 de l’intrigue sans laisser échapper
ce qui en fait la force, la capacité d’intriguer ». Une telle conception rejoint par
ailleurs différentes approches linguistiques et narratologiques récentes qui, sous
l’inuencedesmodèlescognitivistes,insistentsurle«déplacementdéictique»
– une opération qui amène le lecteur à se situer imaginairement dans le plan
de l’histoire racontée (Duchan, Bruder, Hewitt, 1995) –, sur l’expérientialité qui
constitue le cœur de la narrativité mimétique (Fludernik, 1996), sur les virtualités
de l’intrigue (Dannenberg, 2008) et sur les calculs probabilistes qui en découlent,
qui sont articulés par le lecteur tout au long de sa progression dans l’histoire
(Kukkonen, 2014)8. À partir d’une telle perspective, nous verrons comment il est
possible de poser les bases d’une stylistique de l’écriture immersive et intrigante,
7 Sur le schéma quinaire, je renvoie aux travaux sur le récit de Jean-Michel Adam (1992 : 51-59). La
séquencenarrativeprototypiquetellequedénieparlalinguistiquetextuellen’estpasincompatible
avec une approche de l’intrigue comme arc de tension narrative, ainsi que le soulignent les derniers
travaux de J.-M. Adam, qui inscrivent l’approche textualiste dans le cadre de l’analyse de discours.
8 Pour une synthèse de ces approches, voir Baroni (2017a) et Patron (2018). Ainsi que le montre
P. Carrard (2012), l’immersion dans une scène narrative et la focalisation sur le destin d’êtres
individuels entre en contradiction avec le projet des historiens d’enrichir la compréhension du
passé en l’extrayant de la contingence de son déroulement.
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Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
et comment on peut l’opposer à une représentation narrative diamétralement
opposée, qui cherche au contraire à extraire les événements de la contingence de
leur déroulement.
Deux approches de la narrativité:
configuration et mise en intrigue
Je pense que la seconde thèse de Paul Ricœur, malheureusement beaucoup moins
populaire que la première, est pourtant la plus convaincante, car elle permet
d’éclairer les divergences formelles et fonctionnelles profondes qui existent
entre différentes formes narratives. Néanmoins, il me semble que rattacher cette
oppositionauxgenresdelactionlittéraireetdurécithistoriqueposedenombreux
problèmes9. Premièrement, au sein de ces deux genres, il existe un grand nombre
de possibilités narratives. Certains récits historiques peuvent malgré tout jouer sur
une immersion dans l’expérience subjective d’un protagoniste des événements,
par exemple dans des dramatisations à visée didactique10, et il faut ajouter que
les codes sur lesquels se fonde l’écriture historique varient d’une culture à une
autreoud’unepériodeàuneautre.Parailleurs,rienn’empêchecertainesctions
d’adopter le ton des récits factuels, à l’instar du Marbot de Wolfgang Hildesheimer11.
Il faut ajouter que la tension entre enrichissement explicatif et reconstitution
d’une expérience ne concerne pas uniquement les ctions littéraires ou
l’historiographie. Marie Vanoost (2016) a montré que les récits journalistiques se
répartissent eux aussi entre deux sous-catégories : un journalisme centré sur les
faits et leur explication, assez proche de l’opération historiographique classique,
et un « journalisme narratif », tiraillé entre le désir d’immerger le lecteur dans
une expérience racontée et la nécessité de l’informer en réinscrivant cette
représentationdansuncadreplussigniant;cesdeuxsous-catégoriespouvantse
mêler dans la pratique quotidienne des journalistes (voir aussi Merminod, 2018b).
Lerécitimmersif a donc des afnités évidentes avec la ction littéraire, mais il
n’est pas nécessairement étranger aux genres factuels, dont le spectre inclut aussi
l’autobiographie, la biographie romancée, le témoignage ou le reportage.
9 Il faut cependant noter que pour P. Ricœur récit littéraire et récit historique prennent un sens de
plusenplusmétaphoriqueàmesurequeprogressesaréexion,notammentdansSoi-même comme
un autre (1990).
10 Je pense notamment à L’Histoire de France en bande dessinée, lancée par Larousse en 1976 et
récemment rééditée, ou à la série télévisée documentaire pour la jeunesse Points de repères,
diffusée depuis 2016, qui rejoue des moments clés de l’histoire en faisant reposer ces bifurcations
sur des décisions subjectives, et en envisageant d’autres alternatives sur le mode de l’uchronie.
11 Sir Andrew Marbotestuneœuvredectionpubliéeen1981parWolfgangHildesheimer.Lelivre
se présente comme la biographie d’un critique d’art oublié du xixe siècle. Beaucoup de lecteurs
ayantlucetteœuvrecommeunvéritableessaihistoriqueetnoncommeunection,elleestparfois
considérée comme un canular. Le contrat de lecture proposé par cette œuvre romanesque a été
récemment rediscuté par Frank Wagner (2017).
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R. Baroni
Il existerait donc deux prototypes opposés de la narrativité12, qui forment deux
pôlesextrêmesentrelesquelsserépartissentlesreprésentationsnarratives,suivant
que ces dernières se donnent pour tâche principale de produire une immersion
dans l’expérience racontée ou, au contraire, d’expliquer les événements. On peut
décrire la première catégorie comme un récit immersif, de manière à insister sur
l’importance du déplacement déictique et de la focalisation sur une expérience
simulée ; je pense que l’expression mise en intrigue devrait être réservée à cette
catégorie narrative, du moins si l’on souhaite préserver ses connotations en français,
l’intrigue étant associée dans la langue naturelle à l’intérêt narratif, au suspense, à
la curiosité ou à la surprise. On peut baptiser récit informatif la seconde catégorie,
quidésigneunprototypeinverseconsistantàcongurerlesévénementspouren
accroître l’intelligibilité, ce qui rejoint la première thèse défendue par Paul Ricœur13 :
1. Récit immersif : L’intrigue est conçue dans le but d’immerger le lecteur dans
une expérience simulée et de nouer une tension orientée vers un dénouement
éventuel. Il s’agit de construire une expérience esthétique fondée sur le suspense,
la curiosité ou la surprise14, ce qui implique que la compréhension globale des
événementseststratégiquementretardéeoudénitivementempêchée.
2.Récitinformatif:Lacongurationnarrativeviseàordonnerlepasséd’unpoint
de vue rétrospectif, à établir les faits et à associer les événements à des cadres
interprétatifs qui les rendent compréhensibles : causalité, stéréotype, jugement
axiologique, exemplarité, etc.
Surlabasedecette opposition,ilmesemblediscutabled’afrmer,commec’est
trop souvent le cas dans le domaine des recherches sur le récit médiatique qui
s’inscrivent dans le sillage de Paul Ricœur, que la fonction de la « mise en intrigue »
serait de donner sens et forme au réel. Il me semble à l’inverse que les formes les
plus saillantes de narrativité sont celles qui déploient des trésors d’ingéniosité pour
obscurcir, au moins provisoirement, le sens des situations narratives représentées,
leurfonctionétantplutôtd’intriguerlelecteuretdele(re)plongeraucœurd’une
expérience saisie dans le cours de son accomplissement. Je reconnais cependant
l’existenced’uneautreformedenarrativité,assezraredansleregistrectionnel,
maistrèsrépandueailleurs,quiviseàcongurerlesévénementspourenaccroître
l’intelligibilité. L’opposition entre récit informatif et récit immersif rejoint alors celle
12 Je discute ces deux prototypes, parfois avec d’autres étiquettes (« récit intrigant » ou « récit
mimétique»d’uncôté,«récitcongurant»ou«récitexplicatif»del’autre),dansBaroni(2009;
2017a).
13 Cettetypologiese fonde enpartie surladénition gradualiste delanarrativitédéfenduepar
Françoise Revaz (2009 : 101-137), laquelle souligne à juste titre les différences de nature entre
chronique, relation et récit, ce dernier étant la seule forme narrative à reposer sur une véritable mise
en intriguedesévénements.Laspécicitédemonapprochetientaufaitquelesdeuxprototypes
que je dégage ne se distinguent pas par leur degré de complexité, mais par des fonctions discursives
opposées.
14 Sur les liens entre les intérêts narratifs et « l’immersion temporelle », voir Ryan (2001 : 141-148).
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Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
introduite par Monika Fludernik (1996 : 71, ma traduction) entre ce qu’elle appelle
le « report » et le « narrative storytelling » :
« Il faut établir une distinction entre la forme minimale d’un simple compte rendu des événements
(report) et une narration à grande échelle (narrative storytelling). […] Le compte rendu sert
simplement à résumer ou à présenter les faits dans une affaire, à fournir des informations. Il est
fondé sur une expérience de seconde main ou sur un résumé d’une expérience directe rendue
de façon non expérientielle. Il est donc pleinement corrélé avec l’objectivité, la distance et le sens
d’une histoire15 ».
MonikaFludernikfondesadénitiondelanarrativitésurlanotiond’expérientialité,
ce qui explique le caractère plus marginal des comptes rendus dans sa théorie.
C’est ce qui la conduit d’ailleurs à exclure les récits historiques du domaine de la
narrativitétellequ’elleladénit:
« Je soutiens ici que la narrativité est une fonction des textes narratifs et qu’elle se fonde sur une
expérientialité de nature anthropomorphe. [Cette] dénition exclut provisoirement l’écriture
historique du domaine central de la narrativité prototypique, dans la mesure où l’historiographie
consiste en un simple calibrage d’événements qui sont ensuite rapportés comme des faits
historiques16 » (ibid. : 26, ma traduction).
Même si les récits que l’on peut associer à la forme du compte rendu apparaissent
moins saillants du point de vue de leur narrativité, il ne faudrait pas en conclure
qu’ils seraient moins fondamentaux dans la manière dont nous nous représentons
les histoires qui saturent nos existences et les sociétés dans lesquelles nous vivons.
Il ne faudrait pas davantage négliger la complexité des moyens discursifs visant
à accroître l’intelligibilité des événements évoqués dans les récits informatifs,
dispositifs qui constituent le contrepoint exact des vecteurs immersifs mobilisés
par le prototype opposé.
Trois prototypes narratifs:
récit informatif, récit immersif et récit immergé
Pour illustrer les formes de narrativité dont j’ai esquissé le contour, j’opposerai
d’abord deux récits d’un même événement, qui se rattachent l’un comme l’autre
au registre du discours journalistique, mais qui se situent aux antipodes si l’on
considère leur traitement narratif des événements. Ces deux articles ont été
15 « One needs to distinguish between the minimal form of a mere report of events and narrative
storytelling on an extended scale. […] Report is used simply to summarize or present the facts of
the case, to provide information. Report is predicated on second-hand experience or on a summary of
rst-hand experience rendered non-experientially. It therefore fully correlates with objectivity, distance,
and the “point” of a story ».
16 « I here argue that narrativity is a function of narrative texts and centers on experientiality of an
anthropomorphic nature. [T]he denition tentatively excludes historical writing from the central realm of
prototypical narrativity, namely to the extent that historiography consists in a mere calibration of events
which are then reported as historical facts ».
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R. Baroni
choisis parce qu’ils renvoient à un événement particulièrement dramatique, qui
offre donc potentiellement prise pour la construction d’un récit saillant. Ils offrent
par ailleurs, en dépit de cette référence commune, un maximum de contraste dans
leurtraitementdiscursifdel’histoire,chacunincarnantidéalementl’undespôles
de la narrativité immersive ou informative. Il s’agit de montrer que le traitement
médiatique d’un événement singulier peut déboucher sur des productions
discursives très variées, et que leur analyse exige également de recourir à des
prototypes narratifs différenciés pour en expliquer le fonctionnement. On ne
peut donc pas se satisfaire du préjugé qui voudrait que, par le simple fait qu’une
histoire serait « racontée », il y aurait nécessairement « mise en intrigue » des
événements, ce qui impliquerait à la fois une immersion dans un monde possible
etla congurationd’unsensoud’uneexplication.Ilsembleraitaucontraireque
certaines de ces fonctions discursives soient mutuellement exclusives, ou du moins
qu’ellesreposentsurdesrouagesnarratifsspéciques.
Il faut préciser que l’ancrage discursif des deux récits est très différent : le premier
est un article de presse publié dans le quotidien Le Monde le samedi 14 novembre
2015, soit le lendemain des attentats du 13-Novembre. Le second est un article
du magazine hebdomadaire Les Inrockuptibles, publié cinq jours après les faits,
le 18 novembre. Les deux publications n’ont donc pas le même public et ne
s’inscrivent pas dans la même temporalité médiatique. Le Monde est un quotidien
généraliste qui se rattache à une presse de qualité, ce qui implique que la fonction
dedivertissementestmiseà l’arrière-plan,auprotde lamissiond’information
et d’explication de l’actualité. Les Inrockuptibles est un magazine hebdomadaire
culturel, engagé politiquement, mais dont la fonction de divertissement est plus
appuyée. Son rapport à l’actualité est aussi moins direct, ce qui se manifeste, entre
autres caractéristiques, par son ouverture à des articles qui privilégient la forme
de l’entretien, du reportage ou de ce que Marie Vanoost (voir supra) appelle le
« journalisme narratif ». L’orientation culturelle du magazine, qui ménage une
place importante à l’actualité musicale, explique aussi que son traitement des
événements soit focalisé sur le Bataclan, où l’un de ses journalistes, Guillaume B.
Decherf, a trouvé la mort, ainsi que nous en informe un article situé juste avant
celui que nous allons analyser.
Je reproduis ci-dessous les premiers paragraphes de l’article du Monde, qui feront
l’objet d’un commentaire détaillé :
« Une attaque “complexe” inédite sur le sol français
Les assauts simultanés de commandos-suicides sont typiques des pays où sévissent des guerres
asymétriques, Afghanistan, Irak ou Syrie.
C’est une première en France en matière d’attentat. Plusieurs kamikazes se sont fait exploser, dans
la soirée du vendredi 13 novembre, au terme d’assauts meurtriers menés aux abords du Stade
de France, à Saint-Denis, et dans cinq lieux à Paris, rue de la Fontaine-au-Roi, rue Bichat, boulevard
Voltaire, rue de Charonne et dans la salle de spectacle du Bataclan, après la prise en otage du
public. Ces attaques, dites “complexes”, au regard de modus operandi en plusieurs étapes, sont
inspiréesd’uneformedeviolenceayantcoursdepuisplusieursannéesdansdeszonesdeconit
117
échanges
Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
telles que l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie, où règne une forme de violence dont la France se croyait
jusqu’alors protégée.
L’attaque “complexe” type, telle qu’elle est mise en application en Asie du Sud ou au Proche-
Orientpardes groupesinsurgés, cumuleplusieursactions andedérouterlesfutures victimes
en associant très souvent le commando suicide et l’assaut arme à la main. Lors de montages plus
ambitieux, elle peut combiner plusieurs attaques simultanées contre un même lieu ou contre des
endroits distincts. Les cibles sont minutieusement choisies pour le symbole qu’elles incarnent, mais
les personnes qui s’y trouvent sont souvent tuées au hasard et pour leur seule présence dans ces
lieux. Le but est de faire le maximum de victimes et de frapper les esprits par la peur.
Lapolicescientiquearapidementpuidentierlescorpsdeskamikazescoupésendeuxauniveau
des ceintures d’explosifs.
Selonlespremiersélémentsdel’enquêtedeagranceconduiteparleparquet,notammentsurles
quatre assaillants qui ont pénétré dans les locaux du Bataclan, ces derniers portaient des ceintures
d’explosifs en entrant dans l’établissement. Ils ne les ont déclenchées que lors de l’assaut des forces
de l’ordre. Seul un des quatre assaillants ne parviendra pas à se faire sauter. Il a été tué par les
hommes de la brigade de recherche et d’intervention lors de l’assaut.
Auparavant, ces quatre hommes se sont appliqués à tuer leurs victimes par balles au moyen
d’armes automatiques, en tirant soit sur les gens à terre, soit sur ceux qui tentaient de fuir. “Leur
intention était clairement de mourir en martyr”, analyse un enquêteur mobilisé tout au long de la
nuit sur les lieux du drame ».
Onpeutdénir lastructure decetextraitdela manièresuivante: lapremière
partie de l’article (titre, lead, et 1re phrase) voit la désignation générique de
l’événement ; la deuxième partie (2e phrase) reprend la mention de l’événement en
uneseulephrase;latroisièmepartie(jusqu’àlandu2e paragraphe) comprend la
dénitionpuisl’explicitation17 de la catégorie événementielle générique « attaque
complexe»;enn,laquatrièmepartie(lestroisderniersparagraphes)constituele
compte rendu en tant que tel.
Le récit se veut strictement objectif, il n’y a donc aucune trace énonciative ou de
modalisations qui pourraient renvoyer à la subjectivité du journaliste. La modalité
du traitement de l’événement apparaît dès le titre. Le Monde choisit de désigner
les attentats par un terme générique, repris deux fois dans le corps du texte : il
s’agitd’uneattaque«complexe»,quiestcertesdéniecomme«inéditesurle
sol français », mais qui est rattachée à des événements « typiques des pays où
sévissent des guerres asymétriques ». Nous assistons ainsi à l’avènement d’une
nouvelle catégorie événementielle, qui est présentée comme l’information centrale
associée à ces attaques. En revanche, aucun des énoncés qui se rattachent aux faits
de la nuit précédente ne vise à recréer une scène immersive. On notera d’abord
qu’aucunsujetn’estdéniparsonnompropreoupardestraitsidiosyncrasiques.
Lesseulssujetssinguliersrenvoientàunesourcenonspéciée(un«enquêteur»)
et à l’un des assaillants qui « ne parviendra pas à se faire sauter ». Les protagonistes
17 Onpeutdirequecettepartieestdominéeparuneséquenceexplicativeplutôtquenarrative,
selon la typologie de Jean-Michel Adam (1992 : 127-144).
118 échanges
R. Baroni
sont donc généralement décrits de manière collective, à travers des lexèmes qui
renvoientàleurfonctionplutôtqu’àleuridentitésingulière:
– agresseurs : « plusieurs kamikazes », le « commando suicide », les « quatre
assaillants », « ces quatre hommes » ;
– victimes : les « cibles », le « public », les « victimes », les « gens à terre » ;
– protecteurs:la«policescientique»,le«parquet»,les«forcesdel’ordre»,les
« hommes de la brigade de recherche et d’intervention ».
Sur le plan de la construction d’un cadre spatio-temporel, on constate que la
focalisation sur un lieu singulier, en l’occurrence le Bataclan, n’est pas immédiate,
puisque cet endroit est d’abord mentionné en queue d’une liste passant en revue
tous les emplacements où se sont déroulés des « assauts meurtriers » : aux abords
du Stade de France, à Saint-Denis, à la rue de la Fontaine-au-Roi, à la rue Bichat, au
boulevard Voltaire et à la rue de Charonne.
Dans le compte rendu, le temps des verbes qui se rattachent aux événements de
la veille sont majoritairement énoncés au passé composé (« se sont fait exploser »,
«apu identier »,«ontpénétré», « ontdéclenchées», « a été tué »,«se
sont appliqués »), parfois associés à des imparfaits d’arrière-plan ou marquant
la simultanéité du procès (« ces derniers portaient des ceintures d’explosifs »,
« ceux qui tentaient de fuir »). Ce choix dans les tiroirs verbaux insiste surtout
surlecaractèreaccomplidesactions,plutôtquesurleurdéveloppementlinéaire.
On constate d’ailleurs que la structure de l’article ne suit pas la chronologie des
événements, même dans les paragraphes focalisés sur l’attaque du Bataclan. Le
premier paragraphe désigne globalement les contours de l’événement par le
terme générique « assauts meurtriers », mais il est rapidement caractérisé par
l’un des aspects les plus frappants de ces assauts : (4) des « kamikazes se sont
fait exploser ». En l’absence de connecteurs, la partie proprement narrative, qui
commence dans le quatrième paragraphe, adopte un style parataxique18 : il débute
par(6)l’identicationdeskamikazes«coupésendeux»,avantderemonterle
temps pour établir une chronologie des faits qui se sont déroulés dans un lieu
particulier : (2) des assaillants pénètrent dans le Bataclan ; (4) ils déclenchent leurs
explosifs lors de l’assaut ; (5) un terroriste qui n’est pas parvenu à se faire sauter
est abattu par les forces de l’ordre. Le paragraphe suivant ajoute deux éléments
supplémentaires,quiviennentcomplexiercettechronologie:(3)lesterroristes
ont abattu des victimes avant de se faire sauter ; (1) leur intention était de mourir
en martyr.
Sil’ondénitl’ordredesénoncésserapportantàdescontenusnarratifspardes
lettres, et l’ordre des événements auxquels ils se réfèrent par des chiffres – suivant
18 Aucune action n’est située précisément dans le temps et l’on constate l’absence d’adverbes
soulignant le caractère disruptif des procès (soudain, etc.) ou insistant sur leur enchaînement
chronologique ou causal (alors, ensuite, etc.).
119
échanges
Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
l’usage proposé par Gérard Genette (2007 : 27) dans Discours du récit – cela donne
la structure suivante :
A4 – B6 – C2 – D4 – E5 – F3 – G1
Alan Bell (1995 : 312, ma traduction) explique ce principe qui consiste, dans
l’écriture d’une nouvelle, « à ne pas donner la priorité à l’action ou au processus,
maisau résultat »,enlerattachant à la logiquedu ux d’actualité dans lequel
s’insère le discours journalistique : « C’est ce principe qui permet aux nouvelles
d’être actualisées jour après jour ou heure après heure. S’il y a un nouveau résultat,
l’action précédente peut redescendre dans l’histoire19 ». Les manuels d’écriture
journalistique préconisent également cet ordre anti-chronologique, qui s’explique
aussi par les contraintes d’une lecture hâtive, qui suit rarement le plan linéaire
del’articleet élude souvent la n du texte.Lanouvelleapparaîtalors comme
une sorte de narration qui ne suit pas « la progression vers un point culminant
et un dénouement. Habituellement, la nouvelle commence au contraire par… le
dénouement. Elle nous apprend tout de suite comment ça s’est terminé. […] Elle
dit l’essentiel d’abord, éliminant le suspense » (Ross, 1990 : 80).
Si le souci de nouer une intrigue ou d’immerger le lecteur dans une histoire est
étranger au journaliste du Monde, ce dernier déploie en revanche d’importants
efforts pour rendre cet événement plus compréhensible. Ainsi que je l’ai déjà
signalé, cela passe, sur un plan axiologique, par le rattachement des protagonistes
dudrameàdescatégoriesgénériques,quirenvoientauxguresdesagresseurs,
des victimes et des protecteurs. Par ailleurs, dès l’incipit, le journaliste opère un
recadrage des événements, qui apparaissaient d’abord comme un drame national
« inédit », avant d’être réinterprétés sur une échelle internationale permettant
d’identieruneredondance :cesattaquescomplexesseraient«inspiréesd’une
formedeviolenceayantcoursdepuisplusieursannéesdansdeszonesdeconit
telles que l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie ». Le deuxième paragraphe développe ce
parallèle, qui permet non seulement de comprendre la nature de l’agression, mais
également son objectif : il est précisé que les « cibles sont minutieusement choisies
pour le symbole qu’elles incarnent » et que le « but est de faire le maximum de
victimes et de frapper les esprits par la peur ». Cet article apparaît donc comme
un cas exemplaire du récit informatif : l’immersion et la mise en intrigue sont
neutraliséesauprotd’unereprésentationobjectivanteetgénéralisante,visantà
rendre compréhensible un événement ayant introduit une forte discordance dans
leuxdel’actualité.
Le récit proposé par Les Inrockuptibles apparaît radicalement différent, aussi bien
du point de vue fonctionnel que stylistique. Le titre choisi se situe d’emblée dans
leregistredesémotionsetdénitlescontoursd’unévénementsingulier:«Trois
19 « It is a common principle of news writing that it is not the activity or the process which takes priority
but the outcome. It is this principle which enables news stories to be updated day after day or hour by
hour. If there is a new outcome to lead with, the previous action can drop down in the story ».
120 échanges
R. Baroni
heures d’horreur au Bataclan ». Le chapeau revient sur ce cadre spatio-temporel
pour préciser la durée, le lieu et la nature de l’action qui s’y déroule : « De 21h40
à 0h30, la salle de spectacle parisienne a été le théâtre d’un massacre méthodique
doubléd’uneprised’otage ».Il s’agit aussidespécierlasource durécitetde
légitimer son autorité : « Notre journaliste Marie-Lys Lubrano était au plus près
des forces d’intervention ». La signature est donc d’emblée intégrée à la diégèse
et le régime énonciatif sera celui d’un récit partiellement homodiégétique, qui se
concrétise notamment par l’usage récurrent du pronom « on », qui prend ici une
valeur plus inclusive qu’impersonnelle.
Dans ce cas, les contextes plus larges renvoyant aux autres attaques parisiennes et à la
problématiquegénéraleduterrorismesontcomplètementévacuésauprotd’une
focalisation sur un chronotope20 clairement délimité. L’ancrage dans une expérience
subjectiveest marquénonseulementparl’identicationdelanarratrice,quiest
présentée comme un témoin des événements, mais également par le témoignage
de différentes victimes (notamment Yves, Alice et Julien), qui sont désignées dans le
ldutexteparleurprénometdontlesrécitsrespectifsvontpermettredesuivre
troislsnarratifs,troisdramespersonnelsquis’insèrentdanslachronologiedes
attentats. Au total, pas moins de huit noms propres sont mentionnés dans le texte,
toujours en lien avec les « victimes » ou les « protecteurs », mais jamais avec les
« agresseurs ». Les deux premiers paragraphes sont marqués par l’usage généralisé
du présent narratif, qui – par effet d’hypotypose21 – peut être considéré comme
l’indice le plus élémentaire du processus de déplacement déictique, auquel on
peut ajouter le recours fréquent au discours rapporté en style direct, comme si les
paroles étaient saisies dans l’actualité de leur énonciation :
« Paris, vendredi, 22 heures. Voilà une demi-heure que la fusillade au Carillon, près du canal Saint-
Martin, a ouvert le bal des attentats, quand une quinzaine de voitures de police s’engouffrent dans
leboulevardVoltaire.L’entréeenestrapidementferméetandisqu’uneotted’ambulancesdela
Croix-Rouge prend position. Avenue de la République, les cafés baissent leurs rideaux métalliques.
Flanquées de camions de pompiers garés en travers, les rues du quartier sont méconnaissables.
Unesurdeuxestbarrée;difciledesavoiroùsediriger.Trèsvite,on estcernés parlesrubans
rouges et blancs, incapables de dire si l’on s’approche ou si l’on s’éloigne de la zone dangereuse.
Soudain, au coin de la rue Crussol et du boulevard Voltaire, un hurlement nous glace : “N’avancez
pas !” Le ton sue la panique. Impossible de savoir d’où vient la voix, jusqu’à ce qu’un homme
caché derrière une moto bondisse dans la pénombre, arme au poing. On met un peu de temps
à percuter qu’il s’agit d’un policier. L’homme menace : “Recule ou je te défonce !” On obéit. Il
retourne s’accroupir entre les motos, sur le trottoir. Nous sommes devant le 41, boulevard Voltaire.
20 Sur l’usage de ce concept bakhtinien dans le domaine de l’analyse du discours journalistique,
je renvoie à la thèse défendue par Gilles Merminod (2018a). Je le remercie au passage pour sa
relecture du présent article.
21 L’hypotyposeestune«guredestyleconsistantenunedescriptionréaliste,animéeetfrappante
de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue au moment de son
expression » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypotypose). On considère généralement que le recours
dans un récit au présent parfois appelé « historique » relève d’un procédé qui peut être rattaché
àcettegurerhétorique.
121
échanges
Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
Le Bataclan est au 50. Les bribes d’infos qui rebondissaient dans les rues étaient vraies : il est 22h40
et une prise d’otages est en cours dans la mythique salle de concerts ».
Ces premières phrases situent la narratrice au cœur de l’action. On relèvera, au
début du premier paragraphe, l’association d’une phrase averbale avec une phrase
à présentatif, cette association visant probablement à produire un sentiment
d’immédiateté. On remarquera ensuite un grand nombre de constructions qui
viennent préciser les circonstances des événements rapportés. Le discours est
émaillé par plusieurs énoncés descriptifs, qui permettent de se construire une
représentation visuelle de la scène (« Flanquées de camions de pompiers garés
en travers, les rues du quartier sont méconnaissables »), ainsi que par différentes
expressions métaphorisantes (« le bal des attentats », « une otte d’ambulances »,
« les bribes d’infos qui rebondissaient dans les rues étaient vraies »), qui nous placent
dans un registre littéraire. La visualisation de la scène est par ailleurs étayée par
une grande photographie occupant la majorité de l’espace couvert par la double
page : l’image prise en plan large et en plongée montre une rue où se trouve un
groupe de policiers. On peut la rattacher, grâce à une légende, au cadre de l’action,
telqu’ilestdécritdanslespremiersparagraphes:«Uneledepolicierséquipés
de boucliers aux abords du Bataclan, le 13 novembre ». On notera que l’usage du
plan large, s’il semble se dissocier du point de vue de la narratrice, apparaît comme
un procédé cinématographique typique pour introduire une scène. Deux autres
photographies au cadrage plus serré nous placent ensuite à hauteur d’homme,
au cœur de l’action : la première montre un homme armé accompagnant deux
personnes portant un blessé, et la seconde une série de civils courant dans la rue.
La légende nous permet de rattacher ces images aux événements racontés, sans
nous permettre de les situer précisément dans le déroulement des faits : « La
police tente d’évacuer quelques blessés pendant la prise d’otage ».
Ainsi que nous l’avons déjà suggéré, l’usage répété du pronom « on » dans l’incipit
(« on est cernés par les rubans rouges et blancs, incapables de dire si l’on s’approche
ou si l’on s’éloigne de la zone dangereuse ») permet d’inscrire la narratrice dans
la communauté indistincte de ceux qui se trouvaient sur place (communauté que
le lecteur en régime immersif peut d’ailleurs rejoindre sur un plan imaginaire), et
certains témoignages se mêleront d’ailleurs à son discours sans que le marquage de
la polyphonie ne soit toujours explicite. Plusieurs subjectivèmes ancrent également
la représentation dans le ressenti du « je narré » ou de la foule présente sur place
(« un hurlement nous glace », « le ton sue la panique »), par ailleurs, des adverbes
tels que « voilà », « soudain », ou « très vite » dynamisent la durée et l’inscrivent
dans l’actualité des événements. Le récit vise donc la reconstitution d’une scène
focaliséesurl’expériencesubjectivede plusieurstémoins du drame, plutôt que
d’accroître notre compréhension objective des faits en s’appuyant sur le point de
vue rétrospectif de la journaliste qui rédige ce récit cinq jours plus tard. Au lieu de
chercher à remédier aux limitations du savoir des personnages plongés au cœur
des événements, la narration exploite ces lacunes pour dynamiser le récit : par
exemple,ilfautattendrelandudeuxièmeparagraphepourquele«jenarré»
sevoieconrmerlanaturedel’événementetsalocalisation, alorsquele«je
122 échanges
R. Baroni
narrant » ne peut évidemment pas ignorer de telles informations. De manière
semblable,l’explicitationdel’identitéoudurôleactantieldecertainspersonnages
est stratégiquement retardée pour produire un effet de curiosité relativement bref
maisparticulièrementefcacedanslepassagesuivant:«Impossibledesavoird’où
vient la voix, jusqu’à ce qu’un homme caché derrière une moto bondisse dans la
pénombre, arme au poing. On met un peu de temps à percuter qu’il s’agit d’un
policier ».
Suite à cette introduction, dont la durée est précisément délimitée entre 22h00
et 22h40, on observe ensuite une analepse dramatisée22, qui nous fait basculer
dans un autre point de vue : celui des témoins qui ont vécu le drame en direct, à
l’intérieur du Bataclan : « Les bribes d’info qui rebondissaient dans les rues étaient
vraies : il est 22h40 et une prise d’otages est en cours dans la mythique salle de
concert. À l’intérieur, tout le monde l’a compris depuis une heure ». À partir de ce
moment, le récit se focalise sur trois témoins principaux, désignés par leur prénom
et caractérisés par des traits idiosyncrasiques qui les distinguent de la foule : il y a
d’abord Yves, un auteur de 36 ans, qui accompagne Elea, une amie ; ensuite Alice,
23 ans, dont le récit est relayé par sa sœur Cécile car elle est trop éprouvée pour
témoignerdirectement;ennJulien,quiestdénicomme«grand, baraqué, le
crâne rasé » et qui « avait emmené son neveu au concert, avec deux copains »,
Xavier et Mathieu. Il faut préciser que les témoignages sont parfois rapportés en
style direct, mais ils sont le plus souvent transformés en récit narré au présent, dans
une forme qui se confond avec l’écriture de la journaliste.
À partir du ashback, le déroulement respecte strictement la chronologie des
événements,quiesttrèsprécisémentreconstruitedansleldurécit,probablement
en s’appuyant sur l’heure inscrite dans la mémoire des téléphones portables utilisés
par les témoins. L’agencement temporel de de l’article peut ainsi être reconstruit
de la manière suivante :
22h00 à 22h40 Exposition in medias res (focalisation sur l’espace extérieur au Bataclan)
21h00 à 22h40 Analepse dramatisée (focalisation sur l’espace intérieur au Bataclan)
21h00 Yves se place près de la scène
21h40 Attaque des terroristes
22h08 Yves envoie un SMS à sa petite amie pour la rassurer
22h20 Yves se réfugie sur le toit et appelle ses parents
22 Dans le cas présent, l’analepse s’intègre dans la dynamique du récit en succédant à une introduction
énigmatique engendrant de la curiosité, ce qui motive le retour en arrière. La scène rétrospective
joueainsilerôled’une«analepsecomplétive»danslaterminologiedeG.Genette(2007:41).
Sur la distinction entre « analepse dramatisée » (ou ashback) et « analepse allusive » (sans
immersion), voir Baroni (2016b).
123
échanges
Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
22h40 à 01h45 Retour au « présent » de la journaliste (focalisation sur l’espace extérieur au
Bataclan)
23h00 Départ du groupe d’inter vention
23h13 Arrivée d’un fourgon de la BRI
23h16 Des policiers entrent dans le Bataclan
23h19 Alice est sauvée et appelle sa sœur
23h40DébriengavecunnégociateurdelaBRI
23h45 Établissement d’une liste de contacts des victimes piégées à l’intérieur
00h00Assautnal
00h20 Série de coups de feu et d’explosions
01h15 Yves et Xavier sortent du Bataclan
01h45 Julien apprend que son neveu et Mathieu ont survécu
Ce qui frappe dans cette structure, ce n’est pas seulement le respect de la
chronologie, mais aussi la manière dont le récit suit précisément le déroulement
de plusieurs destins entrecroisés, en exploitant pleinement les incertitudes
éprouvées par les personnages plongés au cœur du drame, que ce soit à travers
leur interprétation erronée des événements (« comme les autres, aux premiers
coups de feu, elle a pensé à des pétards. Jusqu’à ce qu’elle voie le groupe se barrer
de la scène en courant ») ou par la manière dont ils envisagent des virtualités qui
ne se réaliseront pas :
« Dans la fosse, Alice remarque qu’il y a un petit espace sous la cabine des ingés son ; peut-être
qu’ellepourraits’yglisser.Àcôté,lesassaillantschuchotent enfrançais.Elleentend“grenades”et
comprend qu’ils veulent faire sauter la salle. Se fourrer dans un trou n’est pas forcément une bonne
idée s’il y a une bombe, ou s’il faut évacuer. Elle ne bouge pas ».
La tension narrative qui accompagne le récit de Julien est particulièrement
frappante, dans la mesure où la narratrice choisit de ne dénouer le suspense que
dans la dernière phrase de son article. On découvre Julien au moment où les
premiers rescapés du Bataclan sont évacués de la salle, alors qu’il téléphone à sa
sœur pour essayer de la rassurer :
« Julien, lui, essaie de rassurer sa sœur au téléphone. “Mais je ne l’ai pas laissé là-bas ! j’ai été
littéralement emporté par un mouvement de foule vers la sor tie de secours ! Je ne maîtrisais rien !”
La gorge écrasée par l’angoisse, il ne sait plus comment expliquer à sa sœur qu’il n’a pas abandonné
son neveu. Dans les minutes qui ont suivi l’attaque, il a réussi à le joindre et lui a demandé de se
cacher et d’éteindre son portable, pour ne pas se faire repérer. Quelques nouvelles lui parviennent
par SMS : un de ses amis, Mathieu, s’est caché sous les toits avec son neveu ».
Pour son malheur, Julien ne sera informé du sort de son neveu qu’une demi-heure
aprèslandesopérationsdesauvetage.Commelanarratricechoisitderepousser
124 échanges
R. Baroni
cette révélation dans le dernier paragraphe de son ar ticle, elle offre à son récit un
dénouement sous forme de happy end cathartique :
« Julien lui, ne peut plus appeler sa sœur. Il n’a pratiquement plus de batterie et absolument plus
de mots. Le Bataclan est évacué depuis une demi-heure, Xavier l’a appelé tout de suite. Mais pas
Mathieu ou son neveu. Julien vacille. Les journalistes complètent le tableau : il y a eu sept attentats
dans Paris et on parle de près d’une centaine de morts rien qu’au Bataclan. Julien n’entend pas.
Ennsontéléphonesonne.Ildécrocheetsemetàpleurer.Sonneveuestsor tiavecMathieu,ils
vont bien ; ils ont réussi à rester planqués sous le toit. “Putain, il est fort ce petit mec quand même”,
sourit Julien à travers ses larmes ».
Si la valeur informative de l’article du Monde ne pose guère problème, on pourrait
en revanche ressentir un certain malaise face au récit immersif publié dans Les
Inrockuptibles, qui rappelle les effets racoleurs de la presse à sensation. Marie
Vanoost (2016 : §9) a montré cependant que le journalisme narratif n’est pas
dénuédepréoccupationséthiques,ainsiquel’afrmentdenombreuxjournalistes
qui pratiquent ce genre :
« L’information, hors de tout contexte humain, constitue une abstraction que l’on peut facilement
ignorer ou ne pas pleinement comprendre. Les journalistes narratifs sont donc convaincus d’offrir
au lecteur une compréhension plus large et plus profonde du monde qui nous entoure, d’atteindre
unniveaudecongurationplusélevéquelejournalisme“classique”».
Là où l’article du Monde visait à colmater une brèche introduite par un événement
disruptif, en inscrivant la discordance du drame dans un cadre plus concordant, qui
permet de reconnaître des phénomènes plus généraux, le récit des Inrockuptibles
revient au contraire sur les circonstances de l’attaque du Bataclan, non pour les
éclairer, mais pour rendre justice à l’expérience vécue par les victimes. Au lieu
d’élargir l’échelle pour transcender la singularité de l’événement, il s’agit cette fois
de nous replacer au plus près du vécu des protagonistes et des témoins pour en
faire éprouver l’impact émotionnel. Le choix d’orienter le récit selon le point de
vue des victimes, et non selon celui des agresseurs ou des protecteurs, prend alors
une importance cruciale sur un plan éthique. Le savoir mis en jeu est fondé sur
une compréhension plus profonde,quisesitueauniveaudel’empathieplutôtqu’au
niveau d’une connaissance distanciée, qui rendrait les événements racontés plus
facilement interprétables. La narration immersive rejoint alors les propos d’Áron
KibédiVarga(1989:73)quandilafrmequele savoirque lerécitest appeléà
transmettre«n’estpasunsavoirscientique au sens strict et positiviste de ce
terme,maisplutôtunsavoirhumain,une accumulationetunprolongementdes
expériences du lecteur ».
Outre les métissages qui peuvent exister entre ces deux formes contrastées dont
je viens d’esquisser les caractéristiques fonctionnelles et formelles, je n’ai aucune
prétention à avoir épuisé les possibles narratifs qui s’offrent aux journalistes
quand il s’agit de traiter un événement dramatique. Il s’agissait néanmoins d’offrir
un modèle heuristique permettant de faire évoluer le cadre interprétatif dérivé
destravauxdePaulRicœur.Jevoulaismontrercommentunetypologieplusne
permettait de mettre en évidence certains phénomènes de surface que l’on peut
125
échanges
Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
rattacher alternativement à un style informatif ou, au contraire, à un style immersif,
tout en rattachant ces formes narratives aux fonctions qu’elles remplissent dans
leur contexte médiatique respectif.
Maisrien n’oblige à limiter notre horizon à ces deux pôles: il est notamment
possible d’esquisser une troisième catégorie médiatique, que l’on pourrait désigner
comme celle des récits immergés dans l’actualité, c’est-à-dire ceux qui s’insèrent
àlafoisdansleuxd’unévénementinachevéouénigmatique,etdansunesérie
d’épisodes orientés vers un dénouement possible, ce qui permet de structurer
une intrigue qui se déploie à l’échelle transtextuelle d’un feuilleton médiatique
(Baroni, 2016c : §17). Dans de tels cas, la question se pose moins dans les termes
d’une alternative entre style immersif ou style informatif, que dans ceux d’un jeu de
contraintes posées à l’écriture par la situation du narrateur, dont la perspective
est effectivement limitée, ce qui l’oblige à attendre des développements ultérieurs
pour raconter le dénouement. Dès lors, la distinction entre temporalité intra- et
extra-diégétique n’a plus la même pertinence : l’ancrage du discours est également
un ancrage dans un événement qui se raconte au jour le jour.
On constate ainsi que le soir même des attentats, le site du Monde a publié un
article proposant de « suivre en direct » le déroulement de la situation. Dans ce
premier compte rendu, d’abord mis en ligne le 13 novembre à 22h04 (soit environ
40 minutes après le début des attentats), puis mis à jour jusqu’au 15 novembre à
22h31, le récit n’est pas seulement focalisé sur le passé. Certes, une carte permet
de situer géographiquement et chronologiquement le déroulement des attentats,
qui sont littéralement saisis sous la forme d’une conguration visuelle, mais on trouve
aussi un point sur la situation actuelle – le « bilan provisoire » est énoncé au
présent, car il peut encore évoluer – et l’évocation de conséquences futures, qui
sont articulées sous la forme prospective du conditionnel :
« Un bilan provisoire fait état d’au moins 129 morts et 352 blessés, dont beaucoup dans un état
grave, selon le procureur de la République de Paris, François Molins, mais il pourrait s’alourdir. Sept
terroristes sont morts, tous après avoir actionné leurs ceintures explosives.
L’organisation État islamique a revendiqué ces meurtres, samedi. François Hollande a promis que
“la France sera[it] impitoyable à l’égard des barbares”. Il a décrété un deuil national de trois jours et
a annoncé que « tous les dispositifs » de sécurité seraient renforcés à leur niveau maximal.
Suivez la situation et les réactions en direct sur LeMonde.fr »
Pour le feuilleton médiatique, chaque épisode renvoie à la portion de l’histoire
qui vient de se dérouler, mais il faut envisager aussi une histoire inachevée et plus
englobante, ce qui implique non seulement d’inclure des rappels d’événements
plus anciens, mais aussi de rendre compte des événements actuels (ceux marqués
par une forme de suspension ou d’attente) et d’évoquer des développements
ultérieurs, qui sont généralement articulés, à ce stade, sous la forme d’hypothèses.
Sil’on veutesquisser une dénition de ce récit immergé dans l’actualité, il faut
dès lors intégrer à l’analyse ces trois aspects : passé, présent et futur, les deux
dernières perspectives temporelles ayant été généralement négligées par les
126 échanges
R. Baroni
approches formalistes, dont les concepts ont été forgés à partir de récits dont on
présupposait l’unité rétrospective et la complétude. On se situe alors de plain-pied
dans ce que Paul Ricœur appellerait la préguration ou la mimèsis 1, mais celle-ci
est saisissable à travers des formes discursives concrètes, et non comme un simple
pré-cadrage de l’expérience. Dans notre exemple, on constate que la logique du
direct appelle d’autres formats que celui du journalisme traditionnel, qui reste
soumisàunrythmedediffusionpériodiquequotidienouhebdomadaire.Lesls
d’actualité diffusés sur l’internet ou les chaînes d’information en continu prennent
alors le relais des médias traditionnels et produisent une expérience narrative de
plus en plus marquée par la multimodalité et la coordination transmédiatique.
Face aux inquiétudes engendrées par l’infotainmentetlesuxd’informationen
direct23, je tiens cependant à préciser qu’il serait réducteur de rattacher le feuilleton
médiatique exclusivement à ces nouveaux formats ou de l’associer à un inévitable
affaiblissementdutravaildeconguration,quiconduiraitàunepertedesensetàune
confusion généralisée. En effet, pour autant que l’événement ne soit pas pris dans
une actualité aussi brûlante qu’une série d’attentats, il faut reconnaître l’existence
de feuilletons médiatiques qui se déploient sur une très large échelle temporelle,
ce qui les rend parfaitement adaptables aux formats périodiques traditionnels et
à un journalisme d’investigation. Pour prendre des exemples récents, le suspense
politique lié à la négociation de la dette grecque (2010-2011), au Brexit (2016-
2018) ou au destin des migrants embarqués à bord de l’Aquarius (2016-2018)
ont tenu en haleine les lecteurs des journaux pendant des jours, des semaines
ou des années entières, ce qui a laissé tout loisir aux journalistes pour rédiger des
épisodes hautement informatifs au sein d’une actualité qui n’avait nul besoin d’être
dramatisée pour tenir en haleine le public jusqu’à son éventuel dénouement. Il y a
quelques enseignements à tirer du fait que ces récits immergés, rythmées par des
nœuds, des rebondissements et des dénouements plus ou moins imprévisibles,
ressemblent beaucoup, sur une échelle globale, aux récits immersifs, alors que sur
une échelle locale, chaque épisode peut parfaitement se conformer aux modalités
discursives des récits informatifs (voir Baroni, 2016c ; 2016d).
Je n’ai pas la place dans ces lignes pour entrer dans le détail de l’analyse de ce type
de narrativité immergée, que nous avons étudiée au sein du laboratoire d’analyse
du récit de presse (Larp) de l’Université de Fribourg en Suisse (Baroni, Pahud, Revaz,
2006 ; Revaz, Baroni, 2007 ; Revaz 2009 ; Baroni, 2016c), mais j’aimerais en revanche
insister sur l’importance de faire évoluer la théorie du récit en tenant compte des
phénomènes liés à la sérialisation de la production et de la diffusion des histoires.
23 Ainsi que l’afrme Marc Lits (2010 : §11), « le récit médiatique semble donc menacé par
l’information en direct. En outre, comme celle-ci gagne du terrain, tant par le développement
des chaînes d’information en continu (en radio comme en télévision) que dans une accélération
de la couverture médiatique de l’information rendue possible par les progrès technologiques
en transmission d’images et encouragée par la concurrence entre chaînes (la valeur est dans la
primeurdel’informationplutôtquedanssoninterprétation),lapossibilitéd’unecorrectemiseen
œuvre de la deuxième mimèsis doit désormais être rediscutée ».
127
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Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
Cette narrativité sérielle apparaît aujourd’hui de plus en plus centrale dans notre
paysage médiatique et elle mobilise des mécanismes qui lui sont propres24, ce qui
devrait nous amener à reconsidérer certains acquis de la théorie structuraliste et
à poursuivre nos efforts de théorisation (Escola, 2010 ; Goudmand, 2013 ; Baroni,
Jost, 2016 ; Ryan, 2018).
Vers une troisième génération de narratologues?
Laréexionquiprécèdevisait à montrerqu’uneconceptiontropétroitede la
narrativité, ou trop large de ce que l’on considère comme le processus de mise
en intrigue, conduisait à négliger des traits formels et fonctionnels extrêmement
importants qui permettent de caractériser des manières différentes de raconter
desévénementsréelsouinventés.Ainsiquel’afrmeGregoryCurrie(2010),les
récits sont des artefacts communicationnels façonnés dans des contextes discursifs
quiposentdescontraintesspéciquessurlesensetlaformedel’actenarratif.Je
ne peux donc qu’abonder dans le sens de Marie Vanoost (2016 : §49) lorsque
cettedernière afrmeque, « des contraintes, des visées, des effets – réels ou
espérés – différents impliquent, assez logiquement, une poétique au moins en
partie différente. La narratologie ne peut que s’enrichir au contact de récits qui
sortentdesondomained’analyseprivilégié–celuidelaction».
Latypologieprésentéedansceslignesnedénitquequelquespôlesoumodèles
prototypiquesdelanarrativitéquimériteraientd’êtreafnésenlesconfrontant
àdesobjetsempiriquesaussi diversiés que possibles.Jen’aifaitqu’efeurerla
dimension multimodale des formes narratives en évoquant les rapports texte-
image dans l’article des Inrockuptibles ou l’infographie du Monde, mais elle mériterait
d’être approfondie dans un contexte marqué par une interdépendance de plus en
plus forte entre des suppor ts médiatiques différenciés. Il me semble néanmoins
que l’analyse proposée permet de dégager, au sein des discours journalistiques, des
formes narratives représentant le passé selon des modalités contrastées, là où un
modèletropsimpleauraitplutôttendanceàécrasercesdifférences.
Pour conclure, j’aimerais revenir sur la question de la place occupée par la théorie
du récit au sein des institutions académiques, qui a fait l’objet des principales
critiques qui m’ont été adressées dans le cadre de cet échange. La question du
lieu d’ancrage institutionnel de la narratologie est, à mes yeux, secondaire. La
seule chose qui compte, c’est qu’il soit possible de trouver un endroit favorable
pour mener un travail de théorisation des formes narratives, ce qui implique de
maintenir,d’uncôté,undialogueaveclafamillerestreintedesnarratologues,tout
24 Je précise que dans les travaux du Larp, nous avons insisté sur les différences importantes qui
existententrela sérialisationdansle discours journalistiqueetles ctionssérielles,quitiennent
autant aux contraintes de production qu’aux formes textuelles et à la réception des discours
(Baroni, Pahud, Revaz, 2006 ; Baroni, 2016c).
128 échanges
R. Baroni
encontinuant,d’unautrecôté,à échanger avecdeschercheurs qui s’inscrivent
dans le champ plus vaste des études narratives. J’ai évoqué un ancrage dans les
départements de littérature pour une raison purement historique : c’est dans ce
contexte que s’est constituée une tradition de recherche plongeant ses racines
dans la poétique et la rhétorique classique, se prolongeant dans le formalisme
russe et le structuralisme français, et s’élargissant aujourd’hui pour intégrer une
réexiontransgénériqueettransmédiale(Thon,2016;Baroni,2017b;Ryan,2018).
S’inscrire dans cette tradition me semble être une nécessité si l’on veut éviter
de faire bégayer l’histoire ou de réinventer continuellement la roue, mais il ne
s’agit nullement d’afrmer que les œuvres littéraires constitueraient des objets
plus complexes ou plus intéressants pour la narratologie que les récits que l’on
rencontre dans d’autres médias (cinéma, télévision, bande dessinée, roman-photo,
jeux vidéo, etc.) ou dans d’autres sphères d’activité (journalisme, publicité, politique,
didactique, droit, médecine, etc.). J’estime cependant que le rattachement de la
narratologie àundépartement de littérature permettrait d’identier unlieuoù
cette tradition théorique et critique a pris son essor, et pourrait continuer de
prospérer en élargissant son spectre, tout en renouvelant l’attractivité d’une
discipline en crise. Il pourrait être utile, pour sortir de cette crise, de rappeler que
lesétudeslittérairesontlongtempsconstituélelieuoùuneréexiongénéralesur
lesformesnarratives,surlesctionsetsurl’immersiondansdesmondesracontés
a pu se développer.
Si les narratologues de la première génération ont été d’abord des littéraires – je
pensenaturellementàcesdeuxgurestutélairesquiviennentdenousquitter:
Tzvetan Todorov et Gérard Genette, mais aussi à Roland Barthes et à quelques
autres –, ceux de la deuxième génération ont essaimé dans des domaines très
variés, le spectre s’étendant des sciences du langage aux études culturelles, en
passant, entre autres, par le journalisme et les sciences de l’information et de
lacommunication.Ilyanéanmoinsunlrougeauquelsesonttenustous ces
chercheurs remarquables : l’effort continu pour faire évoluer la théorie du récit, ce
quiexigeàlafoislacapacitéàinscriresaréexiondansunetraditionthéoriqueet
critique, tout en nouant un dialogue avec une communauté de chercheurs de plus
enplusvasteetdiversiée.Ladettecommunedecesthéoriciensdurécitenvers
les travaux des narratologues de la première génération a longtemps constitué
unlienimportantpouruniercettefamillecomposite, alors queladiversitéde
ses membres a en même temps permis de faire des avancées considérables.
L’Observatoire des récits médiatiques de l’université catholique de Louvain a été l’un
desfersdelanced’unenarratologierelevantledédelatransmédialité,maiscette
orientation de recherche est fragile au sein d’une école de journalisme, et si l’on se
soucie de la santé de la théorie du récit, alors on peut juger inquiétant le fait que
lesigledel’ORMaitétérécemmentredénicommeObservatoire de recherche sur
les médias et le journalisme25.
25 Voir la page institutionnelle de l’ORM : http://www.comu.be/orm. Consulté le 20/12/2018.
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Face à l’horreur du Bataclan: récit informatif, récit immersif et récit immergé
Alors que la deuxième génération des narratologues est en train d’arriver à
l’âge de la retraite, la question est de savoir comment s’organisera une troisième
génération de chercheurs. Ainsi que le préconise Marc Marti (2017), le dialogue
interdisciplinaire est certes fondamental, de même que le maintien ou le
développement de réseaux26, de revues ou de collections, mais je pense que
l’identicationàunedisciplinederecherchepasseaussiparl’existenced’ancrages
institutionnelsoffrantla possibilitédepréserveretdefairefructierunhéritage
théorique commun. En 2013, la troisième conférence du réseau européen de
narratologie (ENN) s’interrogeait sur la manière dont la théorie du récit évolue et
sur la question de savoir si cette dernière s’orientait vers une consolidation ou vers
unediversication(Hansenet al., 2017). Je pense que si nous suivons le chemin
deladiversicationextrêmeetquenousneparvenonspasàtrouverdeterrain
favorisant une convergence disciplinaire, le risque est grand de devenir incapables
de poursuivre un débat d’idées qui seul permet de faire avancer la théorie. La
diversicationrisquealorsdedevenirunéparpillementouunedissolution.Peut-
être qu’un paysage académique débarrassé de la narratologie ne serait pas une
catastrophe en soi, les perspectives offertes aux études narratives demeurant
nombreuses, mais je pense malgré tout qu’un affaiblissement de la théorie du récit
ne serait pas une bonne nouvelle dans un contexte marqué par une montée en
puissance de ce qu’Yves Citton (2010) a appelé les « mythocraties ».
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26 Jeprotedecetteoccasionpoursignalerlacréationduréseaudesnarratologuesfrancophones
(RéNaF), annoncé dans mon article précédent (2016a) : https://wp.unil.ch/narratologie. Consulté
le 20/12/2018.
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