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48 / ARCHÉOLOGIA N° 575
POISSON D’AVRIL
OU ESCROQUERIE?
LES fake news
EN ARCHÉOLOGIE
L’expression fake news, littéralement « imitation d’information », est passée
dans le langage courant, bien que certains préfèrent utiliser hoax, ou
encore infox, mot-valise construit sur les termes « info » et « intox ». Dans
tous les cas, il s’agit toujours d’une information à succès, d’un « scoop » qui,
grâce aux réseaux sociaux, est souvent promis à un succès rapide, parfois
planétaire! L’archéologie o re un terreau fertile aux fake news, devenues
les stars de « l’archéologie-fi ction » ou « l’archéologie romantique ».
Par Jean-Loïc Le Quellec, directeur de recherche émérite au CNRS, IMAf, UMR 8171)
DOSSIER
Le British Museum berné. En2003, l’artiste contemporain Banksy crée une fausse peinture rupestre qu’il
accroche subrepticement (avec son cartel la datant de la préhistoire) au British Museum ; elle y reste trois jours
avant que le musée ne remarque l’anomalie. Aujourd’hui, l’homme préhistorique au caddie fait partie des collections
du musée… mais de celles du XXIesiècle! DR
ARCHÉOLOGIA N° 575 / 49
Des géants truqués!
Àla une de The New Nation,
une soit-disant spectaculaire
découverte en Arabie,
avérant l’existence des géants
mentionnés par le Coran.
Mais l’image qui illustre
l’article provient du site
Worth1000.com qui prime les
meilleurs trucages réalisés
avec Photoshop. Elle a été
réalisée le 2octobre2002 par
un participant canadien au
pseudonyme d’IronKite. DR
c’est-à-dire l’internaute qui va cliquer sur un
lien alléchant… et ainsi générer un revenu
fi nancier pour l’éditeur; il s’agit alors de
supercheries et, en certains cas, d’escro-
queries. Cependant, la même expression
désigne aussi des rumeurs infondées, fruit
parfois d’erreurs involontaires. Qu’en est-il
de l’archéologie? On y trouve tous ces cas
de fi gures : ils forment l’essentiel de ce
qu’on a dénommé « archéologie-fi ction »
ou « archéologie romantique ».
Une supercherie célèbre,
l’homme de Piltdown
L’un des exemples les plus célèbres de fake
archéologique est celui de l’homme de
Piltdown dont les restes furent présentés
en 1912 à la société géologique de Londres
Dans la pratique, les di érentes expres-
sions, fake news, hoax, ou infox, recouvrent
des réalités fort di érentes. En anglais,
fake ne veut pas dire « faux », mais désigne
une contrefaçon, une mauvaise imitation,
un bidonnage, bref, du toc. Il peut alors
s’agir de di user intentionnellement une
nouvelle erronée ou fantaisiste. Ce peut
être un simple pastiche, comme ceux que
publient Le Gorafi en France ou Nordpresse
en Belgique, ou bien une publication volon-
tairement déformée en fonction d’une
orientation politique ou religieuse, et visant
à agir sur la société. On est alors du côté
de la propagande. Par extension, la même
expression sert également à désigner les
« appeaux à clics » (ou « putaclic ») racon-
tant n’importe quoi pour appâter le client,
50 / ARCHÉOLOGIA N° 575
DOSSIER / FAKE NEWS
par un avocat, Charles Dowson, et un conservateur
du British Museum, Smith Woodward. Il s’agissait
d’une calotte crânienne et d’une mâchoire, dont on
considéra qu’elles avaient appartenu au plus vieil
ancêtre de l’homme, baptisé Eoanthropus dawsoni.
Le succès de cette trouvaille fut d’autant plus consi-
dérable qu’elle venait à point pour renforcer le pres-
tige anglo-saxon : en Angleterre aussi, il y avait donc
bien des fossiles humains! Malgré quelques réserves,
y compris de la part de l’abbé Breuil, la nouvelle
espèce fut généralement acceptée. En 1953 seule-
ment, des analyses et observations plus poussées
révélèrent qu’il s’agissait d’un faux : la mâchoire était
celle d’un orang-outang moderne dont les molaires
avaient été limées. On n’a jamais su qui avait conçu
cette supercherie, ni quelles étaient les motivations
du faussaire. Ce qui est sûr, c’est que cette falsifi ca-
tion avait été très habilement réalisée pour répondre
aux attentes des archéologues anglais de l’époque.
Le Brexit avant l’heure pour les archéologues anglais!
Cecrâne dont on a longtemps cru qu’il s’agissait de celui du
doyen (britanique) de l’humanité, l’homme de Piltdown, était
en réalité un faux réalisé avec la mâchoire d’un orang-outang.
John Cooke, en 1915, portraitura l’illustre Société géologique
de Londres, l’examinant, avec ses découvreurs, Woodward et
Dawson, à l’arrière-plan à droite.
DOSSIER / FAKE NEWS
ARCHÉOLOGIA N° 575 / 51
C’est notamment le cas des pré-
tendues découvertes de sque-
lettes humains géants, publiées
comme des preuves de l’exis-
tence des êtres gigantesques
appelés Nephilim dans la Bible.
Selon l’orientation des auteurs,
ces mêmes images servent aussi
à confi rmer les traditions cora-
niques a rmant qu’Adam était
un géant et que les humains
auraient progressivement dimi-
nué de taille.
Une page Facebook, intitulée
« L’évolution n’est pas scienti-
fi que », di use des messages
fi nancés par une organisation
religieuse créationniste. Ses
auteurs utilisent par exemple
les publications obsolètes de
Solly Zuckerman et de Charles
Oxnard pour conclure, sous des
dehors apparemment scienti-
fi ques, par la « découverte » que
les Australopithèques « sont des
singes », qu’ils seraient quadru-
pèdes et qu’ils n’auraient « rien
à voir avec les humains ». Ces
propagandistes oublient sim-
plement de mentionner que
la sous-famille des homininés
regroupe les gorilles et les homi-
niens, ces derniers comprenant
les chimpanzés et les hominines
(sans accent), lesquels incluent
les Humains, les Ardipithèques
et… les Australopithèques.
Certes, c’est un peu plus compli-
qué, mais cela permet de com-
prendre en quoi nous sommes
e ectivement apparentés aux
Australopithèques. Ce type de
fake news relève du mensonge par
omission, aux fi ns de défendre des
positions religieuses. Toutefois,
une religion ayant besoin de la
science est une bien pauvre reli-
gion, et une science nécessitant
de tenir des positions religieuses
ne serait plus une science.
AU SERVICE DE LA PROPAGANDE ANTI-ÉVOLUTIONNISTE
Une partie des fake news archéologiques vise à renforcer indirecte-
ment des orientations politiques ou religieuses anti-évolutionniste.
Elles réécrivent l’histoire de l’évolution.
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Impossible et faux! Cette photo truquée a été présentée au concours de Worth1000.com dans la
catégorie des découvertes archéologiques impossibles. Ce type d’image est souvent repris au premier
degré pour accréditer des fake news sensationnelles, comme l’existence de géants… DR
52 / ARCHÉOLOGIA N° 575
DOSSIER / FAKE NEWS
La « Dame Blanche »
n’en était pas une. Cette
silhouette est, contrairement
aux interprétations de l’abbé
Breuil, celle d’un homme et
elle n’a pas été peinte par
des Crétois dans le massif du
Brandberg en Namibie…
© Jean-Loïc Le Quellec
Un fake involontaire : la Dame
blanche de l’abbé Breuil
Il peut arriver que des chercheurs pensent
avoir fait une découverte extraordinaire,
qu’ils la médiatisent et construisent une
partie de leur carrière grâce à elle, avant
qu’on ne s’aperçoive que toute l’histoire
reposait sur une erreur ou sur du vent. C’est
une mésaventure de ce genre qui est arri-
vée à l’abbé Breuil, quand il a cru identi-
fi er une « Dame Blanche » sur une peinture
de Namibie, et qu’il y vit la preuve d’une
ancienne colonie crétoise en Afrique aus-
trale. En réalité, cette « dame » était dotée
d’un beau pénis et elle n’était nullement
blanche! L’a aire fi t grand bruit et on l’a
racontée en détail. Cette fausse nouvelle
est cependant toujours considérée comme
vraie par certains auteurs d’Afrique aus-
trale, comme Credo Mutwa, qui l’a prise au
pied de la lettre dans son livre Indaba, My
Children, toujours réédité depuis sa paru-
tion en 1964, et qui reste très prisé des ama-
teurs de New Age. L’histoire a une morale :
même des chercheurs prestigieux peuvent
être, en toute bonne foi, les auteurs invo-
lontaires de fake news, malheureusement
promises ensuite à un long succès.
Une histoire indissociable
decelle de l’archéologie
Les fakes sont indissociables de l’histoire de
l’archéologie : les tentatives des faussaires
ont conduit les archéologues à perfectionner
leurs méthodes, et inversement les faussaires
à améliorer les leurs. Il en résulte que les fakes,
hoax et autres fraudes ont contribué à faire
de l’archéologie une discipline de plus en
plus scientifi que. Lorsque des faux sont cou-
ronnés de succès, c’est généralement qu’ils
répondent aux attentes des chercheurs et du
public, et s’ils sont bien réalisés, les débusquer
peut prendre beaucoup de temps. Pourtant,
malgré les démentis, en dépit des déboulon-
nages détaillés que di usent les archéolo-
gues professionnels, « débunkeurs » et autres
« zététiciens », il arrive que le succès perdure
auprès d’une partie du public, qui préfère
suspendre son jugement critique quand des
pseudo-trouvailles viennent renforcer ses
convictions. Inversement, quand des décou-
vertes véritables paraissent contredire l’état
du savoir, elles peuvent être suspectées d’être
fausses, comme l’ont été les peintures préhis-
toriques de la grotte Cosquer en France ou
des gravures préhistoriques de la grotte de
Creswell Crags en Angleterre.
DOSSIER / FAKE NEWS
ARCHÉOLOGIA N° 575 / 53
C’est notamment le cas des
statuettes japonaises dites
dogū et de certaines peintures
rupestres tassiliennes, sur-
nommées « Martiens » à cause
de leur grosse tête à excrois-
sances interprétées comme
des « antennes ». Les consi-
dérations de ce type sont
usuellement regroupées sous
l’appellation de « théorie des
anciens astronautes » ou des
« anciens aliens ». De même, sur
eBay, de fausses statuettes funé-
raires de la culture de Hongshan
(Néolithique chinois) sont commer-
cialisées par des vendeurs sans scru-
pules qui les présentent volontiers
comme des représentations d’aliens.
Un autre exemple est le décor d’un
célèbre couvercle de sarcophage
trouvé à Palenque, considéré par
les tenants de cette théorie comme
fi gurant un astronaute en train de
piloter son vaisseau, alors que ce
décor a été parfaitement décrypté
par les archéologues : il s’agit d’une
représentation de K’inich Janaab
Pakal, roi Maya mort en 615 de l’ère
commune, entouré de signes astro-
logiques (soleil, lune, étoile), de
têtes de nobles et de serpents, selon
une mythologie propre aux Mayas.
Les livres ou fi lms abordant l’archéo-
logie sous l’angle « fantastique »
ou « mystérieux » pouvant générer
des profi ts considérables. Ce type
de publication a fait des émules qui
se sont singulièrement multipliés
ces dernières années, grâce à l’ap-
parition des réseaux sociaux et des
chaînes YouTube.
LES THÉORIES DES ANCIENS ASTRONAUTES OU ALIEN
Depuis les années 1960, avec le succès des livres délirants de Robert
Charroux, du Matin des Magiciens et des best-sellers de l’ancien
gérant d’hôtel et organisateur de concours de bodybuilding Erich
von Däniken, nombre de vestiges archéologiques authentiques
ont été utilisés comme autant de preuves du passage sur terre
d’anciens visiteurs extraterrestres.
CI-DESSUS
De vraies statuettes mais de
faux aliens. Les jades funéraires
Hongshan ont souvent des
formes étonnantes, et les faux
foisonnent sur les sites internet
qui les vendent parfois comme
des représentations d’aliens.
©Jean-Loïc Le Quellec
CI-CONTRE
Le « Grand Dieu » de Sefar.
C’est l’une des peintures
tassiliennes surnommées
« Martiens » par Henri Lhote.
Malheureusement, des auteurs
naïfs et mal informés ont pris
cette dénomination au pied de la
lettre. © Vincent Timothée
À DROITE
La plaque du sarcophage
de K’inich Janaab’ Pakal. Les
tenants de la théorie des « anciens
aliens » y voient un astronaute en
train de piloter son vaisseau… Elle
montre en réalité le roi entouré de
signes astrologiques (soleil, lune,
étoile), de têtes de nobles et de
serpents, selon une mythologie
propre à l’ère maya. Temple des
Inscriptions, VIIe siècle.
© Akg-images/Science Source
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DOSSIER / FAKE NEWS
54 / ARCHÉOLOGIA N° 575
Ainsi les fameuses pierres d’Ica,
avec leurs gravures, montreraient
des Amérindiens supposés contem-
porains des dinosaures et en train
de pratiquer des opérations à cœur
ouvert! On sait maintenant qu’elles
appartiennent à un ensemble de
15000 faux galets gravés et fabri-
qués en série par d’anciens cher-
cheurs de trésors et pilleurs de sites,
qui ont fait croire à leur découverte
à Ica au Pérou dans les années 1960.
Les non moins fameux crânes de cris-
tal constituent encore un exemple
d’OOParts – tous ces objets étant des
faux parfaitement documentés.
À côté de ces tricheries plus ou
moins habiles, existe aussi le cas de
phénomènes naturels mal identifi és
par ceux qui ont cru y reconnaître
des découvertes extraordinaires.
C’est le cas des sphères ou billes
de Klerksdorp, en Afrique du Sud :
ce sont des concrétions, générale-
ment de pyrite, dont la formation a
été très bien élucidée par les géo-
logues, et datant du Précambrien
(période située entre 4500 et 500
millions d’années avant nos jours!).
Il n’empêche : certains continuent de
publier des « informations » a rmant
qu’il s’agirait d’un alliage inconnu et
que ces objets auraient servi de mon-
naie ou de support pour le stockage
d’informations au sein d’une civili-
sation disparue; d’autres préfèrent
y voir des capsules renfermant des
formes de vie primitive, envoyées par
des extraterrestres dans toute la voie
Lactée, et fi nalement responsables
de l’apparition de la vie sur terre!
OUPS, VOICI LES OOPARTS !
OOPart est l’abbréviation de Out-Of-Place-
Artefacts, désignant des objets « déplacés »…
au se ns p ro pr e c om me a u s en s fi guré! Il s’agit
de découvertes – ou prétendues telles –
réputées être complètement anachro-
niques, et utilisées pour laisser croire
que d’anciennes civilisations auraient
atteint un niveau technique bien plus
développé que ce qu’on croyait…
voire supérieur au nôtre.
Bille de Klerksdorp. DR
Voyage au cœur du Glyptolithique.
Lespierres d’Ica sont supposées remonter
au « Glyptolithique », civilisation disparue il
y a plusieurs dizaines de millions d’années!
Elles montrent des animaux fantastiques, des
dinosaures en compagnie d’êtres humains,
des scènes évoquant des technologies
avancées, etc. © CC-BY-SA 3.0 Brattarb
ARCHÉOLOGIA N° 575 / 55
DOSSIER / FAKE NEWS
La révélation du Livre!
Sur les indications de l’ange,
Smith aurait découvert en
1827 un mystérieux livre aux
feuilles d’or, qu’il prétendra
avoir traduit avant de prendre
la direction de l’église des
Mormons. Lithographie, 1886.
©Granger/Bridgeman Images
délirantes sur la succession des « races »
éthérique, hyperboréenne, lémurienne,
atlantéenne, et bien entendu aryenne (!),
tout en utilisant des concepts obsolètes et
racistes, tels que « race jaune » et « sous-
race de Sémites primitifs ».
Nous aimons tous les belles histoires,
les récits d’aventuriers héroïques luttant
seuls contre tous pour faire valoir leurs
incroyables découvertes. Mais les belles his-
toires s’arrêtent quand la propagande et les
théories du complot commencent…
Un terreau fertile, l’ignorance
La réaction des archéologues professionnels
confrontés à ce phénomène est soit d’indi é-
rence, soit de sarcasme, comme en témoigne
le surnom de « pyramidiots » donnés aux
archéologues romantiques fondus de pyra-
mides. Mais il est toujours utile d’argumenter
et de di user l’état actuel du savoir, puisque
les fake news prospèrent en grande partie sur
l’ignorance et s’infi ltrent également dans les
« trous » de nos connaissances limitées. En
donnant du sens à des éléments encore mys-
térieux ou inaccessibles aux non-spécialistes,
les fake news archéologiques jouent le rôle
d’une mythologie contemporaine, quand
elles ne viennent pas alimenter des croyances
religieuses ou sectaires. Ainsi les conceptions
des Mormons se fondent sur la « traduc-
tion » par leur fondateur, Joseph Smith, d’un
mystérieux livre sur feuilles d’or qu’il aurait
découvert sous les indications d’un ange
appelé Moroni, le 22 septembre 1827 au fl anc
de la colline de Cumorah, près du village de
Manchester, dans l’État de New York!
Du folklore
aux théories complotistes
Sur les réseaux sociaux, des polémiques
éclatent régulièrement autour de l’idéolo-
gie des fausses nouvelles archéologiques,
alimentant le plus souvent un folklore plus
ou moins loufoque, propice aux scénarios
de fi lms, romans et bandes dessinées. Mais
certains archéologues romantiques dif-
fusent des propos complotistes (du genre
« la science o cielle occulte la vérité »),
premier pas vers une réécriture de l’his-
toire de l’humanité et la di usion de thèses
aberrantes. Un youtubeur se faisant appeler
Oleg de Normandie présente sur sa chaîne
Pagan TV une « contre-histoire » basée sur
le « paganisme européen » et « l’archéo-
logie interdite », en lien avec un prétendu
peuple hyperboréen civilisateur. Il reprend
ainsi les vieilles lunes des suprématistes
blancs sur les origines nordiques de « la »
civilisation. Un autre, également défenseur
d’une « Hyperborée » primordiale, di use,
sous le nom de Deï Mian, des vidéos qui
peuvent totaliser jusqu’à plus de 500000
vues. Sur la chaîne Nuréa TV, entièrement
dédiée aux « mystères » de l’archéologie,
il a tenu en octobre 2018 une conférence
visionnée plus de 81000 fois, dans laquelle
il développe au premier degré des thèses
POUR ALLER PLUS LOIN
LE QUELLEC J.-L., 2009, Des Martiens au Sahara. Chroniques d’archéologie
romantique, Actes Sud.
LE QUELLEC J.-L. 2010, La Dame Blanche et l’Atlantide. Enquête sur un mythe
archéologique, Errance/Actes Sud.
LE QUELLEC J.-L., 2018, « Une archéologie non rationnelle. L’archéologie
romantique », dans FRANÇOIS S., Un XXIe siècle irrationnel?, Éditions du CNRS,
p. 69-103.
DOSSIER / FAKE NEWS
56 / ARCHÉOLOGIA N° 575
Parmi les lieux les plus improbables où
fl euriraient les pyramides fi gurent la
Bosnie, le large de l’île de Yonaguni
au Japon, la Bretagne, le Portugal,
les Canaries, l’inévitable « triangle
des Bermudes », le fond du lac de
Tibériade, le Tibet, la jungle péru-
vienne ou même la planète Mars! Cette
ribambelle de découvertes s’est avérée
ne correspondre qu’à des formations
géologiques naturelles médiatisées par
des observateurs n’ayant pas la culture
scientifi que su sante pour les recon-
naître. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, la
« découverte » d’une citée perdue en
plein cœur du désert du Kalahari avait
La cité (défi nitivement) perdue du
Kalahari. Albert John Clement examine
l’une des formations doléritiques du Kalahari,
confondue avec les ruines d’une prétendue
cité antique… Clement, A.J., 1967, The
Kalahari and Its Lost City. Foreword by Prof.
T.B.Tobias.Cape Town: Longmans, XV, 214p.
LES THÉORIES SURRÉALISTES DES PYRAMIDIOTS
Une kyrielle d’auteurs surfent sur l’idée que les pyramides égyp-
tiennes auraient été construites par des extraterrestres ou avec des
techniques disparues, tout aussi supérieures qu’inconnues. D’autres
a rment avoir découvert des pyramides aux quatre coins du monde
et même de l’Univers...
Les « reptiles humanoïdes » d’un
bonimenteur. Dans des mises en scènes
pseudo-scientifi ques, Thierry Jamin a rme
sur son site Alien Project que l’examen de
certaines momies péruviennes révélerait
l’existence de « reptiles humanoïdes » extra-
terrestres…
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DOSSIER / FAKE NEWS
ARCHÉOLOGIA N° 575 / 57
fait grand bruit : ses blocs cyclopéens
étaient en fait le résultat d’un litage et
de fi ssures naturelles dans une forma-
tion rocheuse tout à fait ordinaire aux
yeux des géologues.
ALIGNEMENTS MYSTÉRIEUX
Une autre démarche très popu-
laire chez les pyramidiots consiste
à retrouver des alignements censés
témoigner d’une haute science dis-
parue, en traçant sur le globe des
lignes reliant divers sites archéolo-
giques. Toutes les combinaisons sont
permises, des pyramides de Gizeh à
l’île de Pâques, de Mohenjo-Daro au
Machu Picchu… C’est ce que font des
youtubeurs comme Jacques Grimault,
auteur d’un fi lm intitulé La Révélation
des Pyramides, et Sylvain Tristan qui,
lui, cherche des alignements reliant de
grandes capitales antiques (Babylone,
Mycènes, Teotihuacan…) dans l’inten-
tion de démontrer l’existence d’une
fabuleuse géométrie ancestrale!
Fréquemment, ces allégations, qui
cherchent à renforcer l’idée de « civi-
lisations supérieures » inconnues,
conduisent leurs auteurs à prendre au
pied de la lettre le mythe de l’Atlan-
tide ou à en réactiver d’autres comme
le légendaire continent de Mu.
Les soi-disant « pyramides » de Mars.
Ils’agit de formations géologiques naturelles.
Image obtenue par la sonde Mars Express
le 22 juillet 2006. ©ESA/DLR/FU Berlin -
G.Neukum/Novapix/Leemage
ESCROQUERIES À LA MOMIE…
Dans l’imaginaire commun, qui dit
« pyramide » dit aussi « momie » et,
fatalement, une grande partie des spé-
culations d’archéologie romantique
porte sur des restes de ce type. Ainsi,
parmi d’autres fanfaronnades, un aven-
turier du nom de Thierry Jamin a pré-
tendu avoir découvert au Pérou des
momies d’aliens, et il a utilisé un système
de fi nancement participatif sur Internet
pour monter des pseudo-expéditions
assorties de conférences supposées
annoncer ses découvertes retentis-
santes. Sachant le succès (mesuré
en nombre de clics) des publications
du promoteur de cette imposture, et
au vu des dizaines de milliers d’euros
qu’il a collectés de la sorte auprès des
internautes, d’autres ont pris modèle
sur lui, et l’on a vu apparaître derniè-
rement une véritable épidémie de
découvertes de momies d’aliens pré-
tendument mises au jour par de braves
huaqueros (pilleurs detombes).
… ET ALIENS DE BANDES
DESSINÉES!
Dès que des chercheurs sérieux se
sont penchés sur ces prétendues
trouvailles, tout a volé en éclats : il ne
s’agit que d’assemblages grossiers, de
bricolages réalisés à partir du résul-
tat de fouilles illégales et de momies
authentiques trafi quées. Les autorités
ont fermement dénoncé ces attaques
au patrimoine, violant toute déontolo-
gie archéologique et tirant profi t de la
crédulité et du manque de connais-
sances du grand public. La déforma-
tion volontaire du crâne dans di é-
rentes cultures a été en e et très bien
documentée par les archéologues, par-
ticulièrement en Afrique, en Océanie
et, bien sûr, chez les Mayas. Elle exis-
tait encore en France au début du XXe
siècle, avec ce qu’on appelle la « défor-
mation toulousaine ». Pour expliquer
de tels ossements, nul besoin, donc,
de faire appel à des extraterrestres au
cerveau surdéveloppé!
Un VRAI crâne déformé. Voici un exemple
de déformation crânienne chez les Cowlitz,
ancien peuple amérindien de l’0régon,
d’après une planche de Crania americana, par
Samuel George Morton (1839). DR