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Approches anticipées et planifiées de la compensation écologique en Allemagne : vers un retour d’expérience pour la France ?

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Abstract

The mitigation hierarchy was introduced in 1976 in the first French and German laws on nature protection. While planned and pooled compensation organizations appeared in Germany at the end of the 1990s, it was not until the beginning of 2010 in France that we observed a shift towards a more pooled (mitigation banks institutionalized in 2016 in the Biodiversity Act) and planned (recent emergence of anticipated land strategies at the regional or local level) compensation organization. However, the type of biodiversity and the implementation modalities targeted by the different modes of compensation organization differ between the two countries. In this article, we put into perspective the German and French ecological compensation systems. La séquence Éviter-Réduire-Compenser a été introduite en 1976 dans les premières lois françaises et allemandes relatives à la protection de la nature. Si les organisations planifiées et mutualisées de la compensation apparaissent dès la fin des années 1990 en Allemagne, il faut attendre le début des années 2010 en France pour observer une évolution vers une organisation de la compensation davantage mutualisée (sites naturels de compensation institutionnalisés en 2016 dans la loi biodiversité) et planifiée (émergence très récente de stratégies foncières anticipées à l’échelle régionale ou locale). Le type de biodiversité et les modalités de mise en œuvre visés par les différents modes d’organisation de la compensation divergent toutefois entre les deux pays. Nous proposons dans cet article d’initier une mise en perspective des systèmes allemand et français de la compensation écologique.
Éviter, réduire, compenser : et si l’on s’organisait
à l’échelle des territoires ?
Approches anticipées et planifiées
de la compensation écologique en Allemagne :
vers un retour d’expérience pour la France ?
Les organisations planifiées et mutualisées de la compensation apparaissent dès la fin
des années 1990 en Allemagne, soit plus de dix ans avant que la France n’adopte elle-même
de telles approches. Dans quelle mesure un retour d’expérience allemand apporterait-il
un éclairage sur les récentes initiatives françaises et sur les enjeux qu’elles sous-tendent ?
Des entretiens menés auprès d’acteurs de la compensation à l’échelle du Land
du Bade-Wurtemberg ont permis aux auteurs de cet article d’identifier quelques pistes
de comparaison qui mériteraient d’être approfondies.
Allemagne et la France ont toutes les deux
promulgué en 1976 leurs premières lois
relatives à la protection de la nature. La loi
française (loi n° 76-629 du 10 juillet 1976
relative à la protection de la nature) ainsi
que la loi allemande (Bundesnaturs-
chutzgesetz – BNatSchG) ont initié la mise
en œuvre de la séquence Éviter-Réduire-Compenser
(ERC) dont l’objectif est d’aboutir à un bilan écologique
neutre dans le cadre des plans, programmes et projets
d’aménagement. Même si l’organisation de la compen-
sation écologique entre les deux pays tend à suivre la
même évolution, la définition et les modalités de mise en
œuvre de la compensation ne sont pas similaires.
Le cadre réglementaire allemand exigeait initialement
une compensation fonctionnelle stricte avec une obli-
gation de restauration à l’identique des fonctionnalités
des habitats dégradés. En raison d’une mise en œuvre
insuffisante, due notamment à des difficultés d’accès
au foncier et d’acceptabilité du dispositif, la législation
allemande s’est progressivement assouplie sur le plan de
l’équivalence et dotée d’outils pour faciliter et systéma-
tiser son application. La pratique de la compensation a
ainsi évolué depuis la fin des années 1990 pour tendre
vers une organisation planifiée (en amont des projets
d’aménagement) et mutualisée (regroupement possible
des mesures compensatoires) qui diffère selon les Länder
1
et les communes (Wende et al., 2018).
En France, la compensation appliquée au cas par cas
(compensation par la demande – en fonction de chaque
projet d’aménagement) demeure l’approche la plus uti-
lisée aujourd’hui. Ses modalités de mise en œuvre ont
récemment évolué pour tenter de répondre à la difficulté
de définir et réaliser une compensation écologique satis-
faisant les critères d’équivalence écologique, d’addition-
nalité et de proximité avec le site impacté. Cette évolu-
tion se rapproche à certains égards de la compensation
actuellement pratiquée outre-Rhin. Les sites naturels de
compensation (SNC), approche mutualisée et anticipée à
l’initiative d’opérateurs de compensation (compensation
par l’offre), ont été introduits par la loi n° 2016-1087 du
8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la
nature et des paysages (dite loi Biodiversité) bien qu’ils
soient encore peu développés. En parallèle, une nouvelle
manière de concevoir la compensation émerge actuel-
lement à travers l’intégration de la séquence ERC dans
la planification territoriale, afin de mieux l’anticiper et
l’intégrer dans les politiques d’aménagement et de pro-
tection de la biodiversité. Celle-ci comporte une diver-
sité d’organisations possibles (par exemple : constitutions
de réserves foncières, intégration dans la planification)
L’
1.
Les Länder sont l’équivalent des régions françaises dans
leurs dimensions mais ont des compétences bien plus étendues.
Ils sont par exemple entièrement compétents en matière d’éducation,
de culture et d’environnement.
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Éviter, réduire, compenser : et si l’on s’organisait
à l’échelle des territoires ?
portées par différents acteurs et à différentes échelles
territoriales (intercommunalités, régions, métropoles),
comme en témoignent les retours d’expérience faits lors
du colloque organisé par Irstea, en octobre 2018, « ERC :
et si on l’organisait à l’échelle du territoire ? ».
Le retour d’expérience allemand peut alors apporter
un éclairage sur ces récentes initiatives françaises et les
enjeux qu’elles sous-tendent. Nous tenons toutefois à
avertir le lecteur de la difficulté à retranscrire la situation
globale de la pratique de la compensation à l’échelle de
l’Allemagne
2
au vu de la diversité des pratiques selon les
Länder et les communes. Nous illustrerons notre propos
par des éléments issus d’échanges et d’entretiens avec les
acteurs de la compensation à l’échelle d’un Land spéci-
fique : le Bade-Wurtemberg
3
.
Nous porterons notre attention plus spécifiquement sur
l’organisation des systèmes de compensation anticipés
prévus dans le cadre réglementaire fédéral allemand de
la séquence ERC, appelé Eingriffsregelung, qui vise à
atténuer les atteintes portées à la nature et aux paysages.
En parallèle de ce cadre portant sur la biodiversité dite
ordinaire, il existe un cadre réglementaire spécifique,
appelé Artenschutzrecht, où les impacts portés aux
espèces et habitats protégés au titre des directives euro-
péennes Oiseaux et Habitats sont compensés au cas par
cas. Même si les modes d’organisation de la compensa-
tion développées dans le cadre de l’Eingriffsregelung ne
concernent pas la biodiversité remarquable, leur analyse
peut apporter des éléments pour la France, surtout si le
champ d’application de la compensation venait à être
renforcé et à s’étendre tel que le prévoit le Plan national
Biodiversité
4
de 2018.
Les principes généraux du système
de compensation en Allemagne
Le processus d’atténuation et de compensation prévu
par l’Eingriffsregelung a pour objectif de conserver la
capacité fonctionnelle des écosystèmes et l’intégrité des
paysages (Wende et al., 2018). LEingriffsregelung est
appliqué dans le cadre de deux lois distinctes, selon la
localisation et le type de projet d’aménagement :
la loi fédérale relative à la protection de la nature
(Bundesnaturschutzgesetz – BNatSchG) pour les impacts
associés aux projets d’infrastructures de grande ampleur
(par exemple : autoroutes, voies ferrées, éoliennes) ;
la loi fédérale relative à la construction (Baugesetz-
buch – BauGB) pour les impacts associés à la création
de zones résidentielles et commerciales. Dans ce cas, la
séquence ERC est intégrée dans les documents d’urba-
nisme par les communes.
Si ces deux lois fédérales fixent les grandes lignes de
mise en œuvre de la compensation, les modalités pra-
tiques sont définies à l’échelle de chaque Land. Selon
les Länder et les types de projet, plans et programmes,
Approches anticipées et planifiées de la compensation écologique
en Allemagne : vers un retour d’expérience pour la France ?
c’est à différentes échelles du Land que les autorisations
administratives sont délivrées et que le contrôle des
mesures compensatoires s’effectue.
Les mesures compensatoires peuvent être des actions de
restauration écologique (par exemple : amélioration de
l’état écologique de milieux forestiers), des actions de
gestion (par exemple : modification des pratiques agri-
coles) et, en dernier recours, des indemnisations finan-
cières lorsque les impacts sont restreints à de petites sur-
faces (Wende et al., 2018).
Une évolution de l’Eingriffsregelung :
vers une approche pragmatique
de la compensation
1976 - 1998
Entre 1976 et 1998, la compensation est réalisée au cas
par cas via deux types de compensation. Le premier,
appelé Ausgleich, est une compensation fonctionnelle
qui vise à restaurer à l’identique les fonctions de l’ha-
bitat dégradé (équivalence stricte) et à maintenir une
connexion fonctionnelle et spatiale entre le site dégradé
et le site compensatoire (critère de proximité). La légis-
lation allemande impose la mise en œuvre de ce type
de compensation en priorité. Le second type de com-
pensation envisagé, appelé Ersatz, est une mesure de
remplacement destinée à restaurer des fonctions diffé-
rentes de celles de l’habitat dégradé. Elle est utilisée en
remplacement de la compensation de type Ausgleich
lorsque celle-ci est jugée insuffisante ou non applicable.
Le critère d’équivalence ainsi que le critère de proximité
sont alors relâchés.
Cependant, la compensation reste peu mise en œuvre
durant cette période pour diverses raisons (Wende et al.,
2018) :
la recherche difficile de foncier liée à la forte urba-
nisation et à la densité démographique du territoire
allemand ;
la lenteur des procédures administratives ;
le coût élevé de mise en œuvre de la compensation ;
la faible acceptabilité du dispositif par certains agricul-
teurs et propriétaires fonciers.
1998 - 2010
Face à ce constat, une première modification est appor-
tée en 1998 dans la loi sur la construction, puis en 2002
dans la loi sur la protection de la nature, avec pour
objectif d’améliorer l’application de la compensation au
niveau des documents d’urbanisme. Cette modification
a introduit une flexibilité spatiale et temporelle avec la
possibilité de réaliser la compensation par anticipation.
En 2010, la compensation par anticipation est introduite
dans la loi sur la protection de la nature. La préférence
de l’administration allemande pour la compensation
fonctionnelle stricte (Ausgleich) n’est plus systématique
2.
La pratique de la compensation en Allemagne ne fait pas l’objet d’une littérature scientifique abondante.
3.
EIFER, localisé à Karlsruhe dans le Bade-Wurtemberg, est intégré au réseau d’acteurs de la compensation écologique de ce Land.
Les propos rapportés dans cet article sont notamment issus d’un séminaire de partage de connaissances sur la mise en œuvre de la compensation
écologique en France et en Allemagne que nous avons organisé en septembre 2018. Une quinzaine de personnes étaient présentes : opérateur
de compensation, association environnementale, élue au parti des Verts, bureaux d’études et chercheurs.
4.
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/18xxx_Plan-biodiversite-04072018_28pages_FromPdf_date_web_PaP.pdf
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Éviter, réduire, compenser : et si l’on s’organisait
à l’échelle des territoires ? Approches anticipées et planifiées de la compensation écologique
en Allemagne : vers un retour d’expérience pour la France ?
et, dans la pratique, on parle plutôt de Kompensation qui
fait référence aux deux formes de compensation, Ersatz
et Ausgleich, selon les cas.
En introduisant une plus grande flexibilité spatiale et
temporelle, ces évolutions ont permis le développement
de modes d’organisation mutualisés et anticipés de la
compensation en amont des projets d’aménagement :
l’Ökokonto (ou éco-compte) et le Flächenpool dont les
terminologies peuvent varier d’un Land à l’autre. Nous
en donnons ici les définitions théoriques.
Le Flächenpool est une forme de réserve foncière sur
laquelle aucune action de restauration écologique anti-
cipée n’est réalisée. Les terrains sont réservés en amont
d’éventuelles actions de restauration. LÖkokonto est une
forme d’organisation reliée à un compte dans lequel sont
comptabilisés des crédits d’éco-points correspondant à
la valeur des biotopes restaurés par anticipation. Un
maître d’ouvrage convertit les impacts générés sur les
biotopes en une dette d’éco-points qu’il honore ensuite
en achetant le nombre d’éco-points correspondant dans
un Ökokonto. Chaque transaction est inscrite dans un
registre (obligation variable selon les Länder et les cadres
réglementaires de l’Eingriffsregelung). Les règles d’utili-
sation de la compensation par Ökokonto, dans le cadre
de la loi sur la protection de la nature, sont précisées au
niveau de chaque Land, comme par exemple l’encadre-
ment de l’éloignement spatial entre l’impact et le site
compensatoire ou les méthodes d’évaluation en éco-
points (crédits et dettes). Les Ökokonten peuvent être
composés d’un ou pluisieurs sites restaurés de grande
surface, supposés augmenter les chances de réussite de
la restauration et le maintien sur le long terme des sur-
faces restaurées, ou de petites surfaces. Même s’ils ne
bénéficient pas d’un effet de regroupement spatial, la
gestion d’un ensemble de sites dispersés par un même
acteur intermédiaire, l’opérateur de l’Ökokonto, pourrait
consuire à une gestion plus efficace.
Il existe en réalité un continuum entre le Flächenpool
et l’Ökokonto. Selon les Länder, plusieurs cas de figures
sont possibles : les Flächenpools peuvent évoluer en Öko-
konto ou peuvent être dissous, les terrains réservés pour
de la compensation redeviennent alors aménageables.
2010 - 2018
La loi sur la protection de la nature introduit, en 2010,
une nouvelle modalité de compensation basée sur son
intégration dans les systèmes d’exploitation agricole et
sylvicole : les Produktionsintegrierte Kompensation (PIK).
L’ambition des PIK, qui doivent souvent être renseignés
dans un registre, est de faciliter l’implication des agricul-
teurs ainsi que la recherche de foncier et, de fait, amé-
liorer l’acceptabilité de la compensation écologique par
les acteurs agricoles et forestiers. Il s’agit d’une contrac-
tualisation entre un agriculteur et le maître d’ouvrage
avec pour contrepartie la mise en œuvre de pratiques
agricoles favorables à la biodiversité très hétérogènes.
Selon les Länder, ce mode de compensation est plus ou
moins accepté et utilisé. Les dispositifs de la Bavière et
du Brandebourg sont par exemple bien définis (Drucken-
brod et Beckmann, 2018).
En 2013, une tentative d’harmonisation par décret (Bun-
deskompensationsverordnung – BKompV) des modalités
de mise en œuvre de la compensation a été amorcée
à l’échelle fédérale dans le cadre de la loi sur la pro-
tection de la nature. Ce décret avait notamment pour
objectif d’harmoniser le contenu des compensations
et la méthodologie d’évaluation des biotopes en éco-
points à l’échelle fédérale (Wende et al., 2018). Adopté
par le gouvernement allemand en avril 2013, le décret a
cependant été rejeté en juillet 2013 par le conseil fédéral
représentant les Länder (Bundesrat) car, d’après certains
acteurs interrogés dans le Bade-Wurtemberg, il risquerait
de niveler vers le bas la qualité de la compensation et de
pénaliser les Länder ayant développé des pratiques et des
méthodes avancées.
Les évolutions successives de la réglementation alle-
mande ont ainsi permis d’institutionnaliser l’organisation
de la compensation selon un mode davantage planifié
et mutualisé. La diversité des pratiques et règles sur le
territoire allemand, liée au fédéralisme et aux deux lois
dans lesquelles l’Eingriffrsregelung est décrit, rend diffi-
cile l’analyse globale de la pratique de la compensation
en Allemagne. Nous proposons de décrire plus en détails
la pratique de la compensation anticipée et planifiée par
Ökokonto dans le Land du Bade-Wurtemberg car c’est
l’approche qui semble la plus utilisée et encouragée dans
ce Land selon ses acteurs de la compensation, même si
ces derniers admettent ne pas avoir une vision globale de
la pratique de la compensation (i.e. au cas par cas, par
Ökokonto, par Flächenpool).
La compensation par Ökokonto :
exemple du Bade-Wurtemberg
Les modalités de mise en œuvre de l’Ökokonto varient
selon les deux législations (BauGB et BNatSchG) définis-
sant le cadre d’application de l’Eingriffsregelung.
Dans le Bade-Wurtemberg, 20 % des compensations
par Ökokonto sont mises en œuvre dans le cadre de
la loi sur la protection de la nature. Les modalités pra-
tiques de ce type de compensation sont définies par le
décret Ökokonto-Verordnung (ÖKVO) qui s’applique
sur l’ensemble du territoire du Bade-Wurtemberg. La
méthodologie d’évaluation en éco-points, préconisée
dans ce décret, indique les trois critères selon lesquels
chaque biotope, au nombre de 223 dans le Land, doit
être évalué :
le degré de naturalité du biotope,
l’importance du biotope pour les espèces à enjeux,
la patrimonialité ou la singularité des caractéristiques
paysagères du biotope par rapport au contexte local.
Ces trois critères sont combinés pour aboutir à une
valeur en éco-points située entre 1 (par exemple : sur-
face asphaltée) et 64 (par exemple : tourbières naturelles)
(Küpfer, 2012). Ce type de méthodologie conduit à une
équivalence en éco-points qui autorise une substitution
plus large entre les milieux dégradés et les milieux res-
taurés (équivalence écologique relâchée) au sein d’une
même région naturelle. Le découpage des onze zones de
transaction des éco-points du Bade-Wurtemberg, défi-
nies dans le décret ÖKVO, s’appuie sur le périmètre des
régions naturelles (Naturräumliche Großlandschaften
Deutschlands) défini par les autorités fédérales. Les tran-
sactions d’éco-points doivent être renseignées dans un
registre dont les informations sont accessibles au public.
Les entités de contrôle et d’autorisation des Ökokonten
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Éviter, réduire, compenser : et si l’on s’organisait
à l’échelle des territoires ?
Approches anticipées et planifiées de la compensation écologique
en Allemagne : vers un retour d’expérience pour la France ?
sont les autorités régionales chargées de la préservation
de la nature : les Untere Naturschutzbehörden. Il s’agit
de l’autorité administrative (Landratsamt) des Landkreis
(i.e. districts de taille comparable à une communauté de
communes françaises mais ayant les compétences d’un
département) et des mairies des Stadtkreis (i.e. agglo-
mérations). Les actions de restauration écologique et le
calcul des éco-points sont réalisés généralement par des
opérateurs intermédiaires. L’un des principaux opéra-
teurs dans le Bade-Wurtemberg est appelé Flächenagen-
tur. Cet opérateur appartient au réseau fédéral, le BFAD
(Bundesverband der Flächenagenturen in Deutschland),
qui est un acteur central dans l’organisation de la com-
pensation en Allemagne. Le BFAD a notamment édité
une charte de bonnes pratiques avec des normes de qua-
lité à respecter (Wende et al., 2018).
Les 80 % de compensation par Ökokonto restants sont
mises en œuvre dans le cadre de la loi sur la construc-
tion. Ces Ökokonten sont alors portés et gérés par les
communes elles-mêmes pour la compensation des
impacts liés à leurs propres projets de développement,
mais aussi ceux de maîtres d’ouvrage privés auxquels
elles peuvent vendre des éco-points. La commune est
donc à la fois le maître d’ouvrage et l’opérateur de
compensation. Il n’y a pas de méthode unique définie
à l’échelle du Bade-Wurtemberg pour évaluer les bio-
topes en éco-points et, in fine, pour évaluer le besoin
de compensation. De nombreuses communes (80 %)
utilisent ou s’inspirent de la méthode d’évaluation des
biotopes préconisée par le décret ÖKVO (Mazza et Schil-
ler, 2014). La zone de transaction des éco-points corres-
pond au périmètre de la commune ou du district où se
situe l’Ökokonto. Il n’y a pas d’obligation de renseigner
ces transactions dans un registre. Certaines communes le
font néanmoins volontairement.
Sans nécessairement être spécifiques à ce Land, les acteurs
de la compensation par Ökokonto du Bade-Wurtemberg
font état de dysfonctionnements dans la mise en œuvre
de ce dispositif, dont certains font écho aux limites de la
pratique de la compensation en France (Regnery et al.,
2013) : ressources financières et humaines des administra-
tions régionales limitées, contrôle insuffisant, absence de
méthode unifiée d’évaluation des biotopes valable pour
les lois BauGB et BNatSchG, enregistrement non systé-
matique des compensations dans un registre. D’après les
associations environnementales, peu d’actions de restau-
ration écologique sont réalisées en dehors du cadre de la
compensation d’impacts via les Ökokonten. Le choix de
certaines mesures de restauration porterait plus sur leur
capacité à générer des éco-points (pour viser une rentabi-
lité financière) que sur leur pertinence écologique. C’est
par exemple le cas de mesures de boisement de milieux
initialement non forestiers. Une évaluation de la pratique
de la compensation par Ökokonto dans le cadre des deux
lois, actuellement en cours dans le Bade-Wurtemberg,
devrait permettre de limiter ces dysfonctionnements.
Mise en perspective des systèmes allemand
et français de la compensation écologique
Tout en mesurant la difficile comparaison entre ces deux
pays, nous pouvons esquisser quelques enseignements
préliminaires pour la France tirés du système allemand,
principalement à partir de l’analyse du Land du Bade-
Wurtemberg. Dans les sous-sections qui suivent, nous
présentons successivement cinq éléments centraux du
retour d’expérience allemand que nous mettons en pers-
pective avec l’expérience française.
Approche cohérente à l’échelle régionale et locale
Allemagne
Intégration par les Länder et les communes de la
séquence ERC dans les documents d’urbanisme depuis
la fin des années 1990.
Dans le cadre de la loi fédérale sur la construction : des
projets de petites dimensions avec des impacts faibles
peuvent faire l’objet de compensation en ville.
France
L’évolution de la compensation vers une approche pla-
nifiée à l’échelle locale voire régionale, notamment en
lien avec les récentes réformes territoriales, émerge peu à
peu. Poursuivre l’intégration de la séquence ERC dans les
documents d’urbanisme français, à travers les nouveaux
plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) par
exemple, devrait permettre une meilleure anticipation et
prise en compte des impacts liés à l’urbanisation.
Approche anticipée de la compensation
Allemagne
Forte urbanisation de l’Allemagne qui l’a rapidement
conduite vers un système de compensation anticipé, en
plus d’être planifié, pour faire face au problème de dis-
ponibilité du foncier.
Émergence des Ökokonten.
Pluralité des formes et tailles des sites de compensa-
tion : sites restaurés de grande surface ou sites restaurés
dispersés de plus petites tailles.
France
L’augmentation de l’artificialisation des sols en France
appelle également à une compensation davantage
anticipée et planifiée. Cette évolution a été amorcée
avec l’introduction des sites naturels de compensa-
tion (SNC), proches des Ökokonten, et les stratégies de
réserves foncières récentes, qui pourraient se rappro-
cher sur le principe de certaines formes de Flächen-
pools mais diffèrent en pratique puisque les réserves
foncières françaises ciblent les espèces et habitats pro-
tégés. Il faudrait approfondir le retour d’expérience sur
les Flächenpools qui semblent connaître un recul au
profit des Ökokonten
.
Biodiversité ordinaire et remarquable
Allemagne
Biodiversité ordinaire : fait l’objet de la majorité des
mesures compensatoires en Allemagne (Eingriffsrege-
lung) ; équivalence fonctionnelle souvent relâchée ;
compensation au cas par cas, ou par Flächenpool, ou
par Ökokonto.
Biodiversité remarquable (Artenschutzrecht) : équiva-
lence stricte requise ; compensation au cas par cas.
Le système allemand couvre donc les impacts portés à
tout milieu naturel et semi-naturel.
France
Très peu ciblée aujourd’hui par les mesures compensa-
toires françaises, la biodiversité ordinaire pourrait l’être
Sciences Eaux & Territoires n° 31 – 2020 :::::::::::::::::::
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Éviter, réduire, compenser : et si l’on s’organisait
à l’échelle des territoires ?
de type PIK alors que, dans la pratique, des agriculteurs
s’impliquent dans la compensation. Il serait donc inté-
ressant de suivre l’utilisation des PIK pour identifier s’ils
permettent de répondre à la fois aux craintes des agricul-
teurs (mobilisation des terres agricoles pour la compen-
sation, adaptation des pratiques agricoles et incidences
sur les prix du foncier agricole) et aux exigences de la
compensation pour, le cas échéant, étudier si une ins-
titutionnalisation de ce type d’outil serait opportune en
France.
Conclusion
La mise en perspective des systèmes français et allemand
de la compensation est une tâche délicate pour au moins
trois raisons. Premièrement, l’organisation fédérale de
l’État allemand, les cadres réglementaires impliquant la
mise en œuvre de la séquence ERC et la diversité des
pratiques rendent complexe une analyse globale de la
compensation (quel que soit son mode d’organisation).
Si la France a une réglementation beaucoup plus cen-
tralisée, il existe également des disparités régionales qui
rendent difficile la réalisation d’un portrait générique
de la pratique de la compensation. Deuxièmement, les
systèmes de compensation mis en œuvre dans le cadre
de l’Eingriffsregelung ne s’appliquent pas aux espèces
et habitats protégés, pourtant essentiellement visés par
les mesures compensatoires en France. Enfin, il semble
qu’il est difficile d’obtenir des informations fiables sur
la réalité de la mise en œuvre des mesures compensa-
toires (au-delà de leur inscription dans les registres le
cas échéant), aussi bien en France qu’en Allemagne. Le
retour d’expérience du système de compensation alle-
mand pourrait cependant permettre à la France d’évi-
ter certains écueils, de s’inspirer de bonnes pratiques
et éventuellement d’anticiper l’évolution de la mise en
œuvre de la compensation planifiée, notamment sur les
aspects organisationnels. Nous avons proposé quelques
premières pistes de comparaison qu’il serait intéressant
d’approfondir.
DRUCKENBROD, C., BECKMANN, V., 2018, Production-Integrated Compensation in Environmental Offsets - A Review
of a German Offset Practice, Sustainability, 10(11), 4161, disponible sur : http://www.mdpi.com/2071-1050/10/11/4161
KÜPFER, C., 2012, Strengthening ecology in the landscape – the eco-account is an important instrument to stabilize
ecological functions, Communication présentée à ECLAS The power of Landscape, Warsaw.
MAZZA, L., SCHILLER, J., 2014, The use of eco-accounts in Baden-Württemberg to implement the German Impact
Mitigation Regulation: A tool to meet EU’s No-Net-Loss requirement? A case study report prepared by IEEP with funding
from the Invaluable and OPERAs projects.
REGNERY, B., QUÉTIER, F., COZANNET, N., GAUCHERAND, S., LAROCHE, A., BURYLO, M., COUVET, D., KERBIRIOU, C.,
2013, Mesures compensatoires pour la biodiversité : comment améliorer les dossiers environnementaux
et la gouvernance ?, Science Eaux & Territoires, 8 p., disponible sur :
http://www.set-revue.fr/mesures-compensatoires-pour-la-biodiversite-comment-ameliorer-les-dossiers-environnementaux-et-la
WENDE, W., ALBRECHT, J., DARBI, M., HERBERT, M., MAY, A., SCHUMACHER, J., SZARAMOWIZC, 2018, Germany,
in: W. WENDE, G.-M. TUCKER, F. QUÉTIER, R. MATT, M. DARBI (édit.), Biodiversity Offsets - European Perspectives on No Net
Loss of Biodiversity and Ecosystem Services, Springer.
En savoir plus...
davantage à l’avenir, comme le prévoit le Plan national
Biodiversité de 2018. Les SNC – aujourd’hui surtout
dédiés à la biodiversité remarquable – se développent
peu en France. Cependant, si plus d’impacts portés à la
biodiversité ordinaire étaient compensés, les SNC pour-
raient être amenés à se développer davantage.
Cadre méthodologique pour définir
les besoins en compensation
Allemagne
Échelle fédérale : absence de cadre méthodologique
unifié.
Échelle du Land : définition de méthodes d’évaluation
des biotopes en éco-points pour la biodiversité ordinaire,
dans le cadre de la loi sur la protection de la nature.
France
De nombreuses méthodes d’évaluation du besoin de
compensation coexistent aujourd’hui en France et une
tentative de cadrage national est en cours. Ces méthodes
sont principalement élaborées par les bureaux d’études
en fonction des caractéristiques des sites évalués, même
si certaines émergent au niveau national pour les zones
humides. Un cadrage local/régional de la méthodolo-
gie, basé sur des grands principes décidés à l’échelle
nationale, pourrait s’avérer pertinent afin de gagner en
cohérence.
Acceptabilité par le monde agricole
Allemagne
Mise en place de l’outil PIK pour encadrer une partie
des compensations écologiques qui impliquent des
agriculteurs.
France
(voir l’article de Vaissière et al., pages 38-43 de ce même numéro)
La première réaction de crainte de la part du monde agri-
cole vis-à-vis de la compensation écologique, puis leur
attrait progressif pour cette opportunité de diversification
de leurs revenus, sont semblables de part et d’autre du
Rhin. La France ne dispose pas d’outil institutionnalisé
Approches anticipées et planifiées de la compensation écologique
en Allemagne : vers un retour d’expérience pour la France ?
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Adeline BAS, Ines IMBERT
et Sandra CLERMONT
EIFER, Emmy-Noether-Strasse 11,
D-76131 Karlsruhe, Allemagne.
adeline.bas@eifer.org
ines.imbert2@eifer.org
sandra.clermont@eifer.org
Marie-Eve REINERT
Steinbeis 2i GmbH, Steinhäuserstr.
12, D-76135 Karlsruhe, Allemagne.
reinert@steinbeis-europa.de
Constance BER
LATTS, Laboratoire Techniques, Territoires
et Sociétés,
École des Ponts ParisTech,
Boulevard Copernic, Cité Descartes,
77447 Champs-sur-Marne, France.
constance.berte@enpc.fr
Coralie CALVET
Centre d’économie de l’environnement
Montpellier (CEE-M),
Université de Montpellier, CNRS, INRA,
Montpellier SupAgro,
2 place Pierre Viala, 34060
Montpellier, France.
calvetcoralie@gmail.com
Anne-Charlotte VAISSIÈRE
Écologie Systématique Évolution,
CNRS, AgroParisTech, Univ. Paris-Sud,
Univ. Paris-Saclay, Bâtiment 360,
rue du Doyen André Guinier,
91405 Orsay Cedex, France.
anne-charlotte.vaissiere@u-psud.fr
Les auteurs
© santosha57 - Adobe Stock
... France has tended to favor restoration offsets, along with many other European countries [3,4]. However, there are many limitations to how these are currently implemented (e.g., [5,6]). ...
Article
Full-text available
It is increasingly common for developers to be asked to manage the impacts of their projects on biodiversity by restoring other degraded habitats that are ecologically equivalent to those that are impacted. These measures, called biodiversity offsets, generally aim to achieve ‘no net loss’ (NNL) of biodiversity. Using spatially-explicit modeling, different options were compared in terms of their performance in offsetting the impacts on wetlands of the planned urban expansion around Grenoble (France). Two implementation models for offsetting were tested: (a) the widespread bespoke permittee-led restoration project model, resulting in a patchwork of restored wetlands, and (b) recently-established aggregated and anticipated “banking” approaches whereby larger sets of adjacent parcels offset the impacts of several projects. Two ecological equivalence methods for sizing offsets were simulated: (a) the historically-prevalent area-based approach and (b) recently introduced approaches whereby offsets are sized to ensure NNL of wetland functions. Simulations showed that a mix of functional methods with minimum area requirements was more likely to achieve NNL of wetland area and function across the study area and within each subwatershed. Our methodology can be used to test the carrying capacity of a landscape to support urban expansion and its associated offsetting in order to formulate more sustainable development plans.
... Contrairement à la compensation mutualisée selon la loi sur la protection de la nature (BNatSchG), la compensation par Ökokonto dans le cadre du Code de la construction (BauGB) n'est pas nécessairement encadrée par décret à l'échelle du Land. Il en ressort ainsi une variabilité de pratiques de mise en oeuvre de la compensation mutualisée notamment sur le plan de la méthode utilisée (Bas et al., 2020) (cf. section III.2.2.2). ...
Technical Report
La note de synthèse présente le cadre règlementaire, ainsi que la pratique de la compensation écologique en Europe, en France et en Allemagne pour les projets éoliens et photovoltaïques au sol. Les pratiques de la compensation au cas par cas et de la compensation mutualisée sont décrites. / Das Hintergrundpapier liefert einen Überblick über den Rechtsrahmen der ökologischen Kompensation in Europa, Deutschland und Frankreich für Onshore-Windparks und PV-Freiflächenanlagen. Die Praxis der Einzelfallkompensation und der gepoolten Kompensation werden erläutert. The reports in French and German are available here: https://energie-fr-de.eu/fr/societe-environnement-economie/actualites/lecteur/note-de-synthese-externe-compensation-ecologique-pour-les-projets-eoliens-terrestres-et-pv-au-sol.html
... Cette solution par l'offre est une approche anticipée et mutualisée à l'initiative d'opérateurs de compensation (Hassan et al., 2015). années 1990 (Wende, Tucker, et al., 2018;Bas et al., 2020). Les avantages sont tout d'abord économiques. ...
Thesis
La biodiversité est confrontée à une érosion accélérée et est devenue une préoccupation environnementale mondiale ces dernières décennies. En France, la séquence Éviter–Réduire–Compenser (ERC) est un des outils réglementaires mis en place dans un contexte de destruction et de fragmentation des habitats d’espèces. Elle permet le développement des territoires tout en visant une absence de perte nette de biodiversité. Cependant, malgré les récentes évolutions réglementaires européennes et françaises, le triptyque ERC présente de nombreuses limites et enjeux d’ordre opérationnel. En positionnant nos travaux à l’interface entre recherche et opérationnalité, nous proposons un cadre méthodologique basé sur plusieurs approches de modélisation afin d’améliorer les processus d’évaluation et décisionnels aux différentes étapes d’aménagement, de la planification à l’opérationnel au moment de l’autorisation des projets. Dans une première partie du travail, nous intégrons les enjeux spatio-temporels de la biodiversité à l’ensemble de la séquence ERC, de l’évaluation des impacts potentiels au dimensionnement des mesures écologiques. À partir du cas précis de l’aménagement du Grand Stade de Lyon, nous montrons l’intérêt de combiner les modèles de distribution d’espèces et les graphes paysager pour identifier les réseaux écologiques et poser un cadre de calcul de l’équivalence écologique basé sur le volet fonctionnel de la biodiversité. Intégrer les dimensions spatiales et temporelles permet d’accroitre la connectivité des habitats et améliorer la conception des projets. Nous montrons ensuite qu’organiser la compensation à l’échelle des territoires en les intégrant aux réseaux écologiques améliore davantage les bénéfices et réduit le risque d’échecs des mesures. Notre démarche est présentée dans le contexte périurbain de l’Ouest de Lyon. Enfin, nous démontrons les implications d’une démarche anticipée et planifiée de la séquence ERC dans la planification stratégique des territoires. Pour cela, nous montrons dans le cadre de la Métropole de Toulouse l’intérêt d’étudier conjointement les dynamiques urbaines et écologiques pour mettre en place une stratégie de conservation de la biodiversité à l’horizon 2040 en assurant l’absence de perte nette sur les habitats d’espèces et leur connectivité selon différentes trajectoires d’urbanisation et de ratio de compensation. Cette thèse offre une approche globale pour orienter les décideurs et améliorer la prise en compte des fonctionnalités écologiques à différentes échelles spatiales et temporelles dans l’aménagement des territoires et l’application de la séquence ERC. Ce travail est basé sur des logiciels novateurs et accessibles pour tous les acteurs et constitue une contribution intéressante à l’appui des maitres d’ouvrage qui souhaitent s’assurer de l’absence d'effets significatifs ou irréversibles sur la biodiversité, et des autorités environnementales qui veillent à ce que l’ensemble des enjeux environnementaux soient bien pris en compte dans la conception des projets d’aménagement.
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