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SANTÉ PUBLIQUE / PUBLIC HEALTH
Mise à jour des connaissances concernant quatre maladies délaissées
en Haïti : mansonellose, tungose, lèpre, charbon
Update of knowledge on Neglected Diseases in Haiti: Mansonelliasis, Tungiasis, Leprosy,
and Anthrax
C.P. Raccurt · J. Boncy · R.M.A. Jean-Baptiste · R. Honoré · L.L. Andrecy · P. Dély · L. Mondésir · M. Chatelier ·
A. Existe · P. Adrien
Reçu le 17 septembre 2017 ; accepté le 12 décembre 2017
© Société de pathologie exotique et Lavoisier SAS 2018
Résumé Comme dans la plupart des pays pauvres de la pla-
nète, les maladies infectieuses négligées sont nombreuses en
Haïti où elles représentent un réel problème de santé publique
avec des conséquences létales, surtout pour les enfants. Nous
faisons le point des données accessibles pour quatre d’entre
elles. Totalement délaissée depuis la découverte de sa pré-
sence en Haïti en 1920, la filariose due à Mansonella ozzardi
persiste en foyers côtiers avec une prévalence élevée chez les
adultes alors qu’un traitement efficace est disponible.
Connues depuis la période précolombienne dans l’île d’His-
paniola, les lésions cutanées dues à Tunga penetrans persis-
tent dans les régions les plus reculées et difficiles d’accès où la
population vit dans des conditions précaires et dans une très
grande pauvreté. Nous rapportons les données d’enquêtes
récentes qui montrent l’importance de cette ectoparasitose
en Haïti où les taux de prévalence sont très élevés dans cer-
taines communautés rurales isolées. Des cas de lèpre resurgis-
sent en Haïti alors qu’aucun programme de surveillance n’est
effectif depuis 2004. Enfin, la maladie du charbon est endé-
mique dans les régions d’élevage où des épidémies familiales
resurgissent périodiquement en milieu rural. Le dépistage des
personnes atteintes de ces maladies et leurprise en charge sont
nécessaires pour une amélioration de la santé et une baisse de
la mortalité en Haïti.
Mots clés Maladies négligées · Mansonellose · Tungose ·
Lèpre · Charbon · Haïti
Abstract Haiti, like most limited-resources countries in the
world, faces numerous neglected infectious diseases. They
represent a real public health issue with lethal consequences
especially in children. We are reviewing here the available
literature on four neglected infectious diseases, mansonellia-
sis, tungiasis, leprosy and anthrax. Filariasis, due to Manso-
nella ozzardi, has been totally neglected since its discovery
in 1920 in Haiti; it persists in coastal homes with a high
prevalence in adults when an effective treatment is available.
The skin lesions caused by Tunga penetrans have existed
since the pre-Columbian period in Haiti. They persist in
the most retreated and hard-to-reach areas where the popu-
lation lives in precarious conditions and in extreme poverty.
New available research data show the importance of the pro-
blem with very high prevalence rates in some rural commu-
nities far away from any healthcare center. Cases of leprosy
are recently reemerging as no monitoring program has been
in place since 2004. Finally, anthrax is still endemic; small
epidemics resurfacing periodically in families in rural areas.
Screening of people for these diseases and managing the
cases are necessary to improve health and reduce morbidity
and mortality in Haiti.
Key words Neglected diseases · Mansonelliasis · Tungiasis ·
Leprosy · Anthrax · Haiti
C.P. Raccurt (*)
Département des maladies infectieuses,
Faculté des sciences de la santé, Université Quisqueya,
218 rue Jean-Paul II, Haut-Turgeau, Port-au-Prince, Haïti
e-mail : raccurt@yahoo.fr
J. Boncy · A. Existe
Laboratoire national de santé publique,
52 angle Delmas 33 et rue Charbonnières, Port-au-Prince, Haïti
R.M.A. Jean-Baptiste · L.L. Andrecy · P. Dély · L. Mondésir ·
P. Adrien
Direction d’épidémiologie, de laboratoire et de recherches,
52 angle Delmas 33 et rue Charbonnières, Port-au-Prince, Haïti
R. Honoré
Ministère de la Santé publique et de la Population, 1, Angles des
rues Jacques Romain et Maïs Gaté, Delmas, Port-au-Prince, Haïti
M. Chatelier
Direction départementale de la santé de l’Artibonite,
Gonaïves, Haïti
Bull. Soc. Pathol. Exot. (2018) 111:17-23
DOI 10.3166/bspe-2018-0005
Introduction
La plupart des maladies tropicales sont longtemps restées
négligées, dans les pays du Sud, faute de moyens et surtout
d’intérêt du fait de leur faible pathogénicité et de leur mor-
talité réduite. Récemment, l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) a listé 17 maladies tropicales négligées comme
cibles de traitements de masse et d’actions de prévention en
vue de leur élimination : des résultats spectaculaires ont été
obtenus pour certaines d’entre elles [41]
En Haïti, pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental,
les maladies transmissibles sont la première cause de morbi-
dité [1,25], dont trois particulièrement délaissées puisque
l’OMS ne les a même pas incluses dans sa liste (mansonel-
lose, tungose et charbon). Certaines sont des problèmes de
santé publique majeurs bien identifiés et font l’objet de pro-
grammes de lutte depuis une ou deux décennies. C’est le cas
de la filariose lymphatique due à Wuchereria bancrofti [4] et
des helminthoses intestinales transmises par le sol [8]. Ces
endémies parasitaires largement répandues en Haïti ont béné-
ficié depuis le début des années 2000 de campagnes annuelles
de traitements de masse par l’albendazole dont l’impact sur la
santé des populations traitées a été clairement positif [18].
Cependant d’autres maladies à transmission vectorielle
représentent en Haïti un risque sanitaire important [5]. Parmi
elles, les arboviroses sont en pleine recrudescence, comme la
dengue [34], ou d’introduction récente : Chikungunyia,
Zika, West Nile virus [14,17,27,40]. Le paludisme [10,11]
et la filariose due à Mansonella ozzardi [30,31] persistent
en Haïti. Les fièvres dues aux arbovirus et à Plasmodium
falciparum ou à Mansonella ozzardi sont généralement trai-
tées de façon empirique sans que le diagnostic étiologique
n’ait été formellement établi. En effet, les sérodiagnostics
des arboviroses ne sont pas disponibles, pour l’instant, en
Haïti. Quant au paludisme et à la mansonellose, les compé-
tences pour en faire le diagnostic ne sont pas toujours au
rendez-vous en milieu rural où ces maladies parasitaires sont
les plus fréquentes…
Trois maladies tropicales sont très négligées en Haïti : la
mansonellose, la tungose et le charbon qui ne font donc pas
partie de la liste des 17 maladies négligées. Elles en ont
néanmoins la plupart des caractéristiques, concernant des
populations pauvres, exclues et peu visibles, sans poids poli-
tique. Elles sont cause de stigmatisation, pour certaines, et
intéressent peu la recherche. Pourtant des solutions efficaces
et réalistes existent pour les trois.
La mansonellose, filariose peu pathogène due à M. ozzardi,
est totalement ignorée des autorités sanitaires bien que sa pré-
valence élevée dans certains foyers et son impact aient fait
l’objet de dix années d’études en Haïti [28].
La tungose, dermatose due à la pénétration de Tunga
penetrans dans le derme, est fréquente dans des communau-
tés rurales reculées et enclavées. Des enquêtes récentes ont
montré que cette ectoparasitose affecte une forte proportion
des habitants qui y vivent dans des conditions de pauvreté
extrême et d’insalubrité [15,20].
Bien qu’en forte régression dans le monde entier au cours
de la dernière décennie, la lèpre semble être en recrudes-
cence en Haïti depuis la disparition du Père Ollivier
en 2004 qui avait mis en place un programme de dépistage
et de lutte aux Gonaïves et dans l’Artibonite. La situation
actuelle est mal connue, mais cette maladie fait partie des
17 maladies tropicales négligées contre lesquelles l’OMS
recommande une action ciblée.
Quant au charbon, il persiste en Haïti atteignant égale-
ment les enfants [16]. Cette enzootie est mal évaluée et la
vaccination du bétail est faite en fonction des ressources
financières disponibles.
Dans cet article, nous analysons les données disponibles
concernant la situation actuelle de ces quatre maladies tropi-
cales négligées évitables, dans le but d’attirer l’attention des
autorités sanitaires et des bailleurs de fonds. Il est en effet
nécessaire de pouvoir dépister les malades atteints de ces
maladies parasitaires ou bactériennes grâce à la disponibilité
de moyens diagnostiques performants pour assurer leur prise
en charge avec des traitements spécifiques adaptés.
Méthodologie
Cette analyse a été réalisée en consultant la banque de don-
nées PubMed de l’US National Library of Medicine, Natio-
nal Institutes of Health : pour Mansonelliasis/Haiti, on
trouve 13 articles scientifiques, trois pour Tungiasis/Haiti,
16 pour Leprosy/Haiti et 11 pour Anthrax/Haiti.
À ces articles s’ajoutent des informations trouvées sur
Internet concernant chacune de ces maladies en Haïti et des
données d’enquêtes menées dans ce pays mais non publiées.
La mansonellose en Haïti
Cette filariose due à Mansonella ozzardi, exclusivement
néotropicale, est répandue en petits foyers sur le continent
américain du sud du Mexique au nord de l’Argentine et dans
certaines îles de la Caraïbe [19,28]. Cette filaire strictement
néotropicale vit à l’état adulte chez l’homme dans la cavité
abdominale et dans le mésentère. Les microfilaires sont
retrouvées dans le sang capillaire aussi bien de jour que de
nuit, mais aussi dans le derme. Elles poursuivent leur déve-
loppement chez deux types de diptères nématocères hémato-
phages : les simulies dans le bassin amazonien, et les culi-
coïdes dans la Caraïbe, au Mexique et en Amérique du Sud
[19] Les sujets porteurs de microfilaires présentent souvent
une forte éosinophilie, des réactions de type allergique,
18 Bull. Soc. Pathol. Exot. (2018) 111:17-23
souffrent de prurit, de douleurs osseuses et articulaires, de
paresthésies, de céphalées, d’accès fébriles [23]. Récem-
ment, des lésions oculaires ont été rapportées au Brésil chez
des sujets porteurs de microfilaires M. ozzardi [9,12,39]. Elle
a été signalée pour la première fois en Haïti par la mission
Rockefeller en 1920 [29], mais sa présence a ensuite été
rapidement oubliée. Ce n’est que 54 ans plus tard, en 1974,
que sa présence a été « redécouverte » en Haïti sur des gout-
tes épaisses prélevées dans le cadre du contrôle du paludisme
[33]. Mansonella ozzardi se maintient en Haïti jusqu’à nos
jours dans de petits foyers côtiers. Les deux principaux
foyers sont situés dans le nord (entre Port-de-Paix et Cap
haïtien et le long de la vallée de la rivière du Limbé) et dans
le sud où de nombreux cas se concentrent le long de la côte
entre Jérémie et Petit-Trou-de-Nippes, incluant la presqu’île
des Baradères et les îles Cayemittes. De petits foyers plus
circonscrits existent à Cabaret, Gressier et Léogane, au fond
du golfe de la Gonâve, autour de Miragoane et sur la côte des
Nippes, depuis Petit-Goâve jusqu’à Anse-à-Veau, autour de
Saint-Louis-du-Sud, sur le pourtour de l’île de la Gonâve, et
enfin sur l’île à Vache. Les foyers connus d’Haïti sont repor-
tés sur la carte de la figure 1.
Une première étude épidémiologique réalisée en 1978 à
Bayeux, village de pêcheurs situé à proximité de la man-
grove sur la côte nord d’Haïti, à l’ouest du Cap haïtien, avait
montré une prévalence de 16 % chez les 1 165 villageois
examinés [32]. Une nouvelle enquête communautaire, réali-
sée en 2013 auprès de 462 habitants de Corail et de ses envi-
rons, sur la côte septentrionale de la presqu’île sud-ouest,
entre Pestel et Jérémie, a montré une prévalence identique
(16,5 %) et, comme à Bayeux, une atteinte prédominante des
adultes [31]. À Bayeux, les sujets porteurs de microfilaires
M. ozzardi présentaient une éosinophilie élevée, des épiso-
des fébriles à répétition, et souffraient de céphalées, de dou-
leurs diffuses, et surtout de démangeaisons chroniques fré-
quentes [23].
Cette filariose signalée en Haïti depuis presque un siècle,
oubliée, puis redécouverte est restée complètement négligée
par les autorités sanitaires, alors que le traitement par iver-
mectine a donné d’excellents résultats tant à la Trinité (Tri-
nidad) [7,13] que dans le bassin amazonien [3]. Étant donné
la bonne efficacité de ce traitement, il serait temps que les
porteurs de microfilaires soient systématiquement dépistés
dans les foyers répertoriés, et traités par ivermectine, surtout
dans les régions marécageuses colonisées par la mangrove
où prolifèrent ses deux principaux vecteurs en Haïti : Culi-
coides furens [21] et C. barbosai [22].
La tungose en Haïti
Cette ectoparasitose due à Tunga penetrans, une puce ayant
comme réservoir les porcs et/ou des chiens, qui se développe
dans les sols secs et sablonneux en région tropicale, est
Fig. 1 Répartition des foyers de mansonellose en Haïti. Chaque point représente un cas / Distribution of mansonelliasis foci in Haiti.
Each dot is a case [33]
Bull. Soc. Pathol. Exot. (2018) 111:17-23 19
endémique depuis toujours en Haïti. Lors de son premier
voyage en 1492, Christophe Colomb en débarquant à Hispa-
niola, l’actuelle Haïti, remarqua chez les Indiens des lésions
caractéristiques provoquées par la pénétration sous la peau
des puces femelles fécondées, notamment au niveau de la
plante des pieds et des orteils, provoquant des lésions
connues sous le nom de chiques [37]. Cette affection est
fréquente chez les personnes marchant pieds nus, en parti-
culier les enfants. La chique se localise, dans la majorité des
cas, au niveau des pieds et essentiellement au niveau du sil-
lon péri-unguéal ou sous-unguéal ou au niveau des plis inter-
digitaux. Cette lésion est généralement très douloureuse pou-
vant entraîner une gêne à la marche, surtout en cas de
surinfection. Elle peut être une porte d’entrée pour le tétanos,
complication dramatique en l’absence de vaccination. Les
cas compliqués se présentent avec une hyperkératose et
une surinfection (pustules, ulcérations, nécroses), puis l’ap-
parition de lymphangite, d’adénites, enfin une atteinte géné-
rale avec septicémie pouvant entraîner la mort.
De récentes enquêtes menées au cours de la dernière
décennie en Haïti ont montré la persistance de cette ectopa-
rasitose dans des foyers ruraux d’accès difficile et très encla-
vés, situés à plusieurs heures de marche du premier centre
de santé. Une enquête menée dans le Plateau central en 2005
auprès de la population [15] a montré que, sur 177 patients,
132 étaient atteints de tungose, soit 74,6 % : 85 étaient de
sexe masculin (64,4 %), 47 de sexe féminin (35,6 %), et
23 étaient des enfants (17,4 %). Chez 45 patients, les lésions
étaient surinfectées (34,1 %). Une deuxième enquête a été
menée en mai-juillet 2009 dans quatre communautés rura-
les : deux situées dans le département de l’ouest –Belle
Fontaine (commune rurale de Croix-des-Bouquets) et Vallue
(commune rurale de Petit-Goâve) –et deux situées dans le
département du Centre –Cerca Carvajal près de la frontière
dominicaine (arrondissement de Hinche) et Savanette
(arrondissement de Lascahobas) [20]. Sur 383 personnes,
119 présentaient des lésions caractéristiques, soit une préva-
lence de 31,1 %. Cependant, la prévalence variait considéra-
blement d’une communauté à l’autre, passant de 10,6 % à
81,8 % ! Dans ces quatre communautés, les enfants âgés de
1 à 10 ans représentaient le groupe le plus infecté : 44, soit
37 % des cas dépistés. Comme le montre le tableau 1, la
population de sexe féminin était la plus touchée (58 %),
mais cette différence n’est pas statistiquement significative.
Une troisième enquête a été menée en mars 2014 à Médor
(6
e
section communale de Petite Rivière de l’Artibonite),
dans l’Artibonite, où 1 125 cas de tungose dont 127 décès
probablement dus à des surinfections avaient été dénombrés
entre 2007 et 2014. Selon les soignants de la zone, cette
ectoparasitose est présente dans presque toutes les localités
de Médor (Marinette, Morne Georges, Haut Platon, Nan
Fachèt, Sigala, Binot, Kaplesi, Zoranje et Vye Zoranje,
Maugé, Bwajou) et atteint aussi bien les enfants que les
adultes. Les habitants de cette zone rurale marchent le plus
souvent pieds nus. L’enquête menée en 2014 dans cette
même zone rurale de l’Artibonite a recensé 178 patients
atteints de tungose. Ils se répartissaient en 78 de sexe mas-
culin (44 %) et 100 de sexe féminin (56 %), et en 64 enfants
âgés de moins de 13 ans (36 %). Comme le montre la
figure 2, sur 29 localités de provenance des cas recensés
au cours de l’enquête, quatre concentraient 69,2 % des cas :
Capsin (51 cas), Zorange (30 cas), Simonnette (27 cas) et
Maurant (15 cas).
Ces données montrent la persistance de la tungose en
Haïti dans des communautés rurales isolées et d’accès diffi-
cile où les habitants vivent dans une très grande pauvreté et
dans de mauvaises conditions d’hygiène, dans de petites
maisonnettes au sol en terre battue, et marchent le plus sou-
vent pieds nus. Des prévalences très élevées ont été obser-
vées dans certaines communautés. Les enfants représentent
environ un tiers des cas. Comme il est habituel, la très grande
majorité des lésions siègent au niveau des pieds et sont surin-
fectées dans la moitié des cas. Cette ectoparasitose invali-
dante provoque une gêne à la marche. En Haïti, les gens
atteints sont stigmatisés et répugnent à se rendre dans des
centres de santé qui sont souvent situés à plusieurs heures
de marche. Une prise en charge de ces cas est pourtant néces-
saire : formation d’agents de santé dans les régions touchées
allant au contact des patients pour les dépister et les soigner,
information des personnels de santé et conscientisation des
populations concernées, désinfection des sols des maisons et
de l’environnement péri-domiciliaire et traitement des ani-
maux domestiques atteints, notamment les chiens, distribu-
tion de chaussures pour protéger les habitants de l’infection,
enfin campagnes de vaccination antitétanique dans les zones
les plus touchées, etc.
Tableau 1 Répartition selon le sexe des cas de tungose dans quatre communautés haïtiennes / Distribution according to sex of tungia-
sis cases in four Haitian communities [17].
Belle Fontaine Cerca Carvajal Savanette Vallue Total
Sexe masculin 10 11 23 6 50
Sexe féminin 9 25 25 10 69
Total 19 36 48 16 119
20 Bull. Soc. Pathol. Exot. (2018) 111:17-23
La lèpre en Haïti
La lèpre, ou maladie de Hansen, causée par Mycobacterium
leprae, est connue depuis la plus haute Antiquité. Le bacille
se multiplie très lentement dans l’organisme humain : la
période d’incubation de la maladie est d’environ cinq ans.
Les symptômes peuvent n’apparaître qu’au bout de 20 ans.
Cette mycobactérie se développe dans la peau, les nerfs péri-
phériques, les muqueuses des voies respiratoires supérieures
et les yeux. La lèpre n’est pas très contagieuse. Elle est trans-
mise par des gouttelettes d’origine buccale ou nasale, lors de
contacts étroits et répétés avec un sujet infecté et non traité.
Selon l’OMS, l’élimination de la lèpre à l’échelle planétaire
a été atteinte en 2 000 lorsque le taux de prévalence mondial
a été inférieur à 1 cas pour 10 000 personnes. La polychimio-
thérapie a permis de guérir près de 16 millions de patients au
cours des 20 dernières années : le taux de prévalence de la
maladie a baissé de 99 %, passant de 21,1 cas pour
10 000 habitants en 1983 à 0,24 cas pour 10 000 habitants
en 2014. Aujourd’hui, à l’exception de quelques petits pays
(dont Haïti), la lèpre est considérée éliminée par l’OMS.
La situation actuelle de la lèpre en Haïti est mal connue.
Les données sont anciennes : de 1977 à 1999, un plus grand
nombre de cas de formes paucibacillaires que de formes
multibacillaires avaient été enregistrés (Tableau 2) [6]. Or,
entre 2000 et 2004, le département de l’Artibonite avait
atteint le seuil d’élimination avec moins d’un cas pour
10 000 habitants. Depuis la mort du Père Ollivier en 2004,
le dépistage systématique ne se fait plus dans ce départe-
ment. Dans le département de l’Ouest, la destruction par-
tielle du centre de référence de la lèpre, l’hôpital Cardinal
Léger, à Léogane, lors du tremblement de terre du 12 janvier
2010, a freiné les activités. En 2012, sur 242 patients hospi-
talisés dans les locaux restaurés, un tiers était des lépreux et
seulement six interventions chirurgicales ont concerné des
lépreux sur les 100 réalisées. Actuellement, de nouveaux
cas continuent à se manifester. En juin 2014, sur 100 patients
vus à la clinique de dermatologie des Gonaïves, 21 cas sus-
pects dont 19 se sont révélés positifs ont été dépistés (don-
nées non publiées) ! Une jeune fille âgée de 16 ans a été vue
à Petit Goâve en juillet 2015 [36]. Le type de lèpre des
19 patients des Gonaïves et de la jeune fille de Petit Goâve
n’a pas été précisé. Or, les antibiotiques contre la lèpre ne
sont plus disponibles, en Haïti, et aucun système de surveil-
lance ni d’enregistrement des nouveaux cas n’existe à notre
connaissance…Une remise à l’honneur de cette maladie
négligée s’impose : la mise en place d’un programme de
formation des personnels de santé au dépistage de la lèpre,
de surveillance effective et de traitement des cas dépistés est
une nécessité en vue de l’élimination de cette maladie dans le
pays, à l’instar de ce qui a été obtenu dans la plupart des
autres pays dans le Monde.
La maladie du charbon en Haïti
La maladie du charbon, également appelée fièvre charbon-
neuse, est une anthropozoonose due à Bacillus anthracis, qui
atteint les herbivores, et accessoirement les humains.
L’homme est contaminé le plus souvent suite à la manipula-
tion de la viande d’un animal mort du charbon. Cette mala-
die se manifeste généralement sous la forme cutanée : appa-
rition d’une plaie noirâtre sur la peau, inflammation et fièvre
et se guérit facilement. On peut aussi contracter la forme
digestive en ingérant une viande contaminée, surtout si
celle-ci est mal cuite. Ce sont des cas beaucoup moins fré-
quents. Il existe aussi la forme respiratoire, beaucoup plus
dangereuse et souvent fatale, et d’autres formes graves,
comme une atteinte oculaire pouvant entraîner la cécité.
En Haïti, la maladie du charbon sévit depuis longtemps
[24] et a gagné du terrain ces dernières années. Confinée au
nord et au sud jusqu’en 1986, elle est devenue endémique
dans tout le pays [35], notamment dans l’Artibonite [38] où
sa fréquence a été multipliée par 17 en dix ans, entre 1992 et
Fig. 2 Répartition géographique des 178 cas de tungose vus
dans les communautés rurales de Médor dans l’Artibonite en mars
2014 / Geographical distribution of the 178 cases of tungiasis
cases identified in the Médor rural communities (Artibonite)
in March 2014
Tableau 2 Incidence de la lèpre en Haïti de 1977 à 1999 / Inci-
dence of leprosy in Haïti from 1977 to 1999 [6].
Âge Formes
multibacillaires
Formes
paucibacillaires
Tota l
< 15 ans 85 412 497
≥15 ans 357 1 306 1 663
0-65 ans 442 1 718 2 160
Bull. Soc. Pathol. Exot. (2018) 111:17-23 21
2002 [26]. Chaque année, dans les années 2000, des centai-
nes de têtes de bétail en mouraient, entraînant des pertes
économiques pour les communautés paysannes.
Aujourd’hui, grâce aux efforts conjugués du ministère de
l’Agriculture et des Ressources naturelles, des Organisations
internationales (ex. FAO), des Organisations non gouverne-
mentales (ex. Vétérimed) et des éleveurs-paysans, le charbon
est en nette régression. Cependant, de janvier 2012 à avril
2013, 6 cas de charbon ophtalmique ont été soignés au Cen-
tre ophtalmologique Brenda des Cayes, dans le sud du pays,
sans que l’on ait des précisions sur l’origine géographique
des cas, et en 2014, des cas humains ont été rapportés dans
différentes localités notamment à Corail, 8
e
section commu-
nale de Petit-Goâve, où six bœufs sont morts du charbon et
neuf personnes ont contracté la maladie, selon les paysans de
la région…Un cas récent de charbon ophtalmique en Haïti
vient d’être publié [42]. La vaccination du bétail coordonnée
par l’ONG Vétérimed a donné des résultats prometteurs qu’il
faut renforcer pour arriver à l’éradication de cette maladie en
Haïti dans un avenir prochain.
Recommandations
En Haïti, comme dans d’autres pays d’Amérique latine et
des Caraïbes, les maladies infectieuses négligées persistent
et affectent principalement des populations isolées qui vivent
dans des conditions socio-économiques de très grande pau-
vreté [2]. On prête très peu d’attention à ces maladies qui ne
sont pas considérées comme des priorités politiques. Or qua-
tre d’entre elles pourraient être relativement facilement
contrôlées, si la volonté politique et les moyens financiers
étaient au rendez-vous.
La filariose due à M. ozzardi, limitée à des foyers circon-
scrits le long des côtes haïtiennes, pourrait être éliminée en
traitant systématiquement par ivermectine les habitants por-
teurs de microfilaires, comme cela a été fait à la Trinité
[7,13]. Il importe donc de procéder à des dépistages systé-
matiques dans les foyers côtiers.
La tungose devrait régresser par la mise en place dans les
foyers connus d’équipes formées au traitement sur place
des populations atteintes, à la désinfection des sols des habi-
tations contaminées, au dépistage et au traitement dans les
villages concernés des chiens et des animaux domestiques
porteurs de puces-chiques. Une distribution gratuite de
chaussures aux populations les plus démunies, comme cela
a été fait dans un passé récent, serait un complément utile
pour lutter contre la tungose en Haïti.
Pour la lèpre, la reprise du dépistage systématique des
nouveaux cas, notamment dans les écoles, sur l’ensemble
du territoire est une nécessité en vue de leur traitement avant
l’apparition des complications.
Enfin, pour la maladie du charbon, la poursuite de la vac-
cination des animaux, la conscientisation des éleveurs-
paysans sur les risques sanitaires liés à la manipulation de
viandes contaminées, le renforcement des contrôles sanitai-
res des viandes dans les abattoirs et sur les marchés, le dépis-
tage et le traitement des cas humains dans les zones d’éle-
vage sont autant d’actions à promouvoir ou à renforcer et à
réglementer en vue d’éliminer progressivement le charbon
d’Haïti.
Ces mesures de bon sens ne nécessitent pas des moyens
financiers considérables. Elles dépendent avant tout d’une
volonté politique et d’une détermination des acteurs de la
santé en Haïti.
Liens d’intérêt Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens
d’intérêt.
Références
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