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COMITÉ DE LECTURE
- ProfesseurANOH Paul, Géographie, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY (Côte d’Ivoire)
- Professeur AFFOU Yapi, Géographie, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY (Côte d’Ivoire)
- Professeur Céline BIPKO, Géographie, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY (Côte d’Ivoire)
- Professeur Nacoulma GOAMA, Géographie, Université de Ouagadougou (Burkina Faso)
- Professeur IBO GUEHI Jonas, Histoire, Université Nangui ABROGOUA (Côte d’Ivoire)
- Professeur EKANZA Simon-Pierre, Histoire, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY
(Côte d’Ivoire)
- Professeur Es-Said KINANA, Droit, Université Hassan 1er de Settat, Maroc
- Professeur BADINI Amadé, Philosophie, Université de Ouagadougou (Burkina Faso)
- Professeur BOA Thiémélé, Philosophie, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY (Côte d’Ivoire)
- Dr BAMBA Assouman, Philosophie, Université Alassane OUATTARA (Côte d’Ivoire)
- Professeur KUHN André, Criminologie, Université de Lausanne (Suisse)
- Professeur MALGOUBRI Pierre, Linguistique, Université de Ouagadougou (Burkina Faso)
- Dr ADEPKATE Alain, Linguistique, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY (Côte d’Ivoire)
DIRECTEUR DE PUBLICATION
Prof BIAKA Zasseli Ignace
COMITE DE REDACTION
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BOIGNY (Côte d’Ivoire)
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(Côte d’Ivoire)
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(Côte d’Ivoire)
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(Côte d’Ivoire)
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(Côte d’Ivoire)
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(Côte d’Ivoire)
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(Côte d’Ivoire)
- Professeur KOUASSI Zamina Johnson, Anglais, Rédacteur, Université Félix HOUPHOUET-
BOIGNY (Côte d’Ivoire)
Directeur de publication
Prof BIAKA Zasseli Ignace
AGAMAN Mathieu : la propriété privée et la question de l’injustice sociale…........…….…….. 4
EL BAZZIM Rachid : Le règlement des différends de l’Organisation Mondiale du
Commerce, un mécanisme en perpétuelle adaptation pour une meilleure efficacité....…….......... 15
MALGOUBRI Pierre : Les dialectes bisa : dialectométrie, traits communs et traits
différentiels..................................................................................................................................... 26
OUEDRAOGO Tiga Alain : Analyse comparée des structures syllabiques du mooré,
du kaadciiné et du kpãngɔɔma,à la lumière de la théorie du gouvernement…..…............…….... 36
PARÉ Moussa & al : Stéréotype et image de l’autre: l’Espagne musulmane à travers
La chanson de Roland…………..............................…………………………………………....... 51
ROUAMBA /OUEDRAOGO Claudine Valérie & al : Logiques et stratégies
d’adaptation des étudiants en situation d’orientation subie à l’Université
Ouaga I/Pr Joseph Ki-Zerbo……................................................................................................... 59
SORO Nonhontan : Les usines d’égrenage de coton en Côte d’Ivoire de 1912 à 1960 :
Naissance et Evolution.....................................................................................................................71
TRA BI Boli Francis : Logiques des acteurs clandestins du Parc National de la
Marahoué, Côte d’Ivoire…............................................................................................................. 89
TUO Péga & al : Urbanisation et gestion de l’environnement dans la ville de
Bondoukou (Nord-Est de la Cote d’Ivoire)…............................................................................... 107
YAYA Konaté : Approche sociolinguistique du dioula en Côte d’Ivoire……………….......…. 122
EDITORIAL
Secrétaire Exécutif du PASRES
Docteur SANGARE Yaya
ET SI LA VIE SE PENSAIT EN TERMES D’ENVIRONNEMENT
Bien que l’étymologie du concept « environnement » soit inconnue, il reste que les racines
grecque, latine et gauloise se combine tout au long de l’histoire pour le construire incitent à voir
l’existence humaine et celle de tous les vivants en termes de relations d’environnement. On peut
donc définir l’environnement comme l’ensemble des éléments naturels et culturels dans lesquels
évoluent les êtres vivants.
De là, on peut considérer l’ensemble des publications du numéro 11 de la RSS-PASRES
comme les diverses manifestations de l’environnent qui entoure un individu et constitue les condi-
tions socioculturelles et naturelles agissant sur sa vie.
Si nous considérons la racine grecque gyros disant le cercle ou la racine gauloise viria pour
signifier un anneau, un bracelet, on peut arguer que la société est une clôture dans laquelle se déroule
l’essentiel d’une vie humaine. Dans ce cas, Agaman Mathieu dans « La propriété privée et la ques-
tion de l’injustice » analyse les perturbations internes comme l’injustice affectant cet environne-
ment humain au quotidien. Konaté Yaya, quant à lui, esquisse les éléments constitutifs d’un environ-
nement linguistique qui détermine les échanges entre les hommes et permet le dynamisme écono-
mique. Il soutient que cet environnement immanent et immuable n’est pas figé comme le montre
son article « Approche sociolinguistique du Dioula en Côte d’Ivoire ».
Mais la vitalité économique n’a de sens que rapporter à une histoire qui en évalue le
devenir. En ce sens, la racine latine virare d’environnement signifiant « changement de direction »,
est approprié dans la détermination historique de la culture du coton en Côte d’Ivoire. Selon
Nouhontan Soro, les origines coloniales de la culture du coton expliquent les fluctuations de son
rendement. Pour ne pas succomber aux multiples changements que porte l’histoire, l’environnement
historique est généralement composé de « Stéréotype et image de l’autre ». Pour Moussa Paré et
Severin Konin, « l’Espagne musulmane » en est un exemple « à travers La chanson de Roland».
De son côté, Rachid El Bazim présente « Le règlement des différents » comme celui de « l’Orga-
nisation Mondiale du Commerce » comme « un mécanisme en perpétuelle adaptation pour une
meilleure efficacité » afin que la société reste un environnement normatif sanctionnant la démesure
des intérêts égoïstes. Toutefois, la norme peut être elle-même source de dérèglement Dans cette voie,
elle provoque des infractions qui en signifient les limites. Dans « Logiques des acteurs clandestins
du Parc National de la Marahoué », Tra Bi Boli Francis explique les motivations de l’agir illégal
des ruraux exploitant des aires naturelles protégées.
Les parcs et réserves sont le résultat d’une protection des ressources naturelles dont le rythme de
destruction par les activités anthropiques est plus rapide que leur rythme de renouvellement. En
effet, la publication « Urbanisation et gestion de l’environnement dans la ville de Bondoukou »
porté par Péga Tuo affirme que les technopoles et les mégalopoles que sont les centres urbains, dans
leur expansion territoriale et technologique engendrent des problèmes d’assainissement et de gestion
des ordures dans l’environnement urbain.
Le numéro 11 de la RSS-PASRES rappelle donc aux uns et aux autres qu’aucune vie ne
peut prospérer en dehors d’un environnement naturel et culturel qui en assure l’identité dans les
transformations qu’impose le temps.
LOGIQUES DES ACTEURS CLANDESTINS DU PARC NATIONAL DE
LA MARAHOUÉ, CÔTE D’IVOIRE
TRA BI Boli Francis*
Résumé :
Il est reconnu que les phénomènes sociaux résultent autant de déterminismes extérieurs
que d'une agrégation d’actions individuelles ou collectives. C’est dans ce cadre que l’effort scienti-
fique dans cette étude se propose de comprendre les motivations ou raisons d’agir des populations
installées illégalement dans le Parc national de la Marahoué (PNM). Sur le plan théorico-méthodo-
logique, nous avons fait référence au paradigme actionniste à travers l'ethnométhodologisme de
Garfinkel et celui de l’individualisme méthodologique de Boudon dont le substrat revendique la
reconnaissance d’une forme plus ou moins affirmée decomportement stratégique des acteurs. Au
moyen des entrevues semi-dirigées et de l’observation participante, l’étude étiologique des infiltra-
tions du parc montre, d’une part que la rationalité stratégique met en avant le rapport gain/perte et
d’autre part, que les versants identitaire et relationnel reposent sur la représentation et l’interpréta-
tion qu’ont ces populations relativement à leurs référents symboliques et normatifs. En clair, les
motivations des populations dites clandestines répondent à un souci de satisfaction des besoins
d’ordre social, économique et psychologique.
Mots clés : Logique d’action, besoin, conservation des aires protégées, identité
Abstract :
It is recognized that social phenomena result as many external determinisms of an aggrega-
tion of individual and collective actions. It is in this framework that the scientific effort in this study
proposes to understand the motivations or reasons to act illegally populations in the Marahoué
national park. Theoretical-methodologically speaking, we referred to the actionist paradigm
through the ethnomethodology of Garfinkel and claims that methodological individualism of
Boudon whose substrate recognition of a more or less assertive form of strategic behavior of
players. Through semi-structured interviews and participant observation, the etiological study of the
park shows that strategic rationality puts forward the gain/loss report and on the other hand, that the
slopes identity and relational-based representation and interpretation have these populations
relatively to their symbolic and normative references clearly, the motivations of the clandestine
populations respond to a concern for the social, economic and psychological needs.
Keywords : Functioning logic, need, preservation of the protected areas, identity
* Université Félix Houphouët Boigny de Cocody-Abidjan, Centre National de Floristique (CNF)
E-mail : bolitbf@gmail.com
INTRODUCTION
L’état inquiétant de notre planète conduit les scientifiques à problématiser davantage la
relation entre société et nature. C’est ce qu’on appelle la « crise environnementale ». Plusieurs
institutions internationales en ont fait autant le constat que des prospectives. En fait, l’érosion de la
biodiversité se poursuit ; ce qui fait penser que l’intérêt que la biodiversité suscite auprès des acteurs
de la société ne semble pas avoir été suffisant jusqu’ici pour arrêter ou même ralentir cette érosion.
Ainsi selon la Fondation Internationale du Développement Rural (RAFI), la biodiversité se détruit à
un rythme de 50 à 100 fois supérieur à celui qu’elle aurait dû suivre naturellement (D.Arnaud, & al.
1993). Pour l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le quart de
la diversité biologique de la planète risquerait de disparaître d’ici 2020. Réalité ou délire d’écolo-
gistes, il est à retenir que les phénomènes d’extinction des espèces posent le problème de la conser-
vation et de la gestion des ressources naturelles. S'il y a désaccord sur les chiffres et les délais, la
grande majorité des scientifiques (L. Aké Assi et Boni, 1990 ; Lévêque, 1994 ; F. Lauginie, 2007)
pensent que le taux actuel d'extinction est plus élevé et plus rapide qu'il ne l'a jamais été.Il y a
consensus sur le fait que l'homme en soit la cause, en particulier par la fragmentation des habitats
et/ou la destruction des écosystèmes, en somme la biodiversité.
Au niveau de la Côte d’Ivoire, le couvert forestier suit le même modèle d’extinction. En
effet, les forêts ivoiriennes pourraient bien se trouver à un tournant décisif, menant vers des taux de
déforestation et de dégradation forestière plus élevés. Des signes indiquent que ces forêts subissent
une pression croissante du fait d’une variété de forces, notamment l’expansion des exploitations
agricoles, de la production de charbon de bois, des tendances démographiques et de l’urbanisation
accélérée. Comme indicateurs quantitatifs, le couvert forestier, estimé à 16 millions d’hectares à la
fin du 19ème siècle (L. Aké-Assi & D. Boni, 1988)est passé à 8,45 millions ha dans la décennie
1960 et ne s’évaluait qu’à 2,7 millions d’hectares à la fin du 20ème siècle (R. Païvinen, J. Pitkanen
& R. Witt, 1992).Cette émaciation de la surface forestière a continué jusqu’en l’an 2000 où elle a
atteint 1,385 millions ha. Cette évolution des surfaces de la forêt dense montre l’ampleur de la
déforestation en Côte d’Ivoire où près de 84% du couvert forestier des années 1960 est perdu en
2000 (M. KONÉ et al., 2014).Cette réduction drastique de l’espace arable s’est exacerbée suite à la
crise militaro-politique qu’a connue le pays. Plongée dans une crise grave proche de la guerre civile,
la Côte d’Ivoire a subi un véritable pillage de ses ressources biologiques, notamment les parcs natio-
naux, les réserves naturelles et les forêts classées au mépris des conventions internationales et des
lois nationales (Gadji, 2014). L’étude de Dibi (2010) illustre bien cette corrélation entre la situation
de crise et la dégradation des aires protégées. En effet, s'appuyant sur trois cartes de la couverture
végétale du parc de la Marahoué issues du traitement d'images satellitaires sur les années 1974, 1986
et 2003,il ressort, selon lui, qu’en 1974, la superficie forestière de la zone sud du Parc estimée à
87116 ha a été attaquée de façon anodine sur une aire d’environ 2676 ha pour l'installation d'exploi-
tations agricoles. En 1986, la dégradation forestière va s'accroître avec les zones cultivées (15000
ha) qui s'étendent légèrement au-delà des zones dites agro-forestières complètement dégradées au
Sud (zone Bonon et Garango) et au Nord (au-dessus du fleuve Bandama). Ainsi, les surfaces fores-
tières ont régressé et sont passées à 75 458 ha. En 2003 (période de guerre en Côte d’Ivoire), la
situation est devenue plus alarmante avec une généralisation des agressions à l'ensemble des forêts
du parc qui se situe à 59080 ha contre 27342 ha de cultures. En dépit de l’arsenal juridique dont s’est
doté la Côte d’Ivoire, les aires protégées continuent de faire l’objet d’agressions considérables.
Parmi celles-ci, le Parc National de la Marahoué est l’une des plus entamées.
Par ailleurs, les données recueillies par WCF, de mai à décembre 2006, montrent que celui-ci est
soumis à différents types de pressions : exploitation illégale intense de bois, défrichage, implanta-
tions agricoles, capture de la faune sauvage. Le cas du parc de la Marahoué est encore exacerbé en
ce sens qu’en son sein, en dehors des pressions observées dans d’autres aires protégées, existent des
situations et attitudes sédentaires. Dans cette interaction entre l’homme et la nature, plusieurs
facteurs concourent à la dépréciation de ce sanctuaire de la biodiversité.
Par ailleurs, il est reconnu que les phénomènes sociaux résultent autant de déterminismes
extérieurs que d'une agrégation d’actions individuelles ou collectives. Pour dépasser les lectures
déterministes de ce phénomène environnemental, nous utiliserons la notion de logique d’action dans
la lignée des travaux de M. Weber pour accéder aux comportements des acteurs exploitants du parc
de la Marahoué. « Cette perspective (logiques d’actions) diffère de celle d’autres chercheurs en
accordant une grande importance aux interprétations que, dans la pratique, les gens donnent comme
explication à leur comportement. Pour comprendre la conduite d’un individu, on doit savoir com-
ment il percevait la situation, les obstacles qu’il croyait devoir affronter, les alternatives qu’il voyait
s’ouvrir devant lui ; on ne peut comprendre les effets du champ des possibilités, des sous-cultures
de la délinquance, des normes sociales et d’autres explications de comportement communément
invoquées, qu’en les considérant du point de vue de l’acteur » (Becker H.S, 1986 : 106).
A partir de l’argument selon lequel le comportement des individus est une conséquence
directe des processus rationnels de prise de décision, on pourrait se demander à quelles logiques
répondent les infiltrations illicites dont fait l’objet le Parc National de la Marahoué.C’est dans ce
cadre que nous initions cette étude. Il s’agira pour nous d’appréhender la logique d’exploitation des
populations infiltrées du Parc de la Marahoué avant de les situer dans leur dynamique contextuelle.
L’hypothèse qui sous-tend cette étude postule que l’exploitation illégale du parc résulte de la
logique d’appropriation de ses ressources par les populations en vue de satisfaire leurs besoins.
La posture théorique dont relève cette hypothèse s’inscritdans le paradigme actionniste en prenant
appui sur l'ethnométhodologisme de Garfinkel et l’individualisme méthodologique de Boudon. Ce
paradigme revendique la reconnaissance d’une forme plus ou moins affirmée de comportement
stratégique des acteurs (Guyot, 2004).
L’effort scientifiqueà consentir permettra de comprendre les motivations ou raisons d’agir des popu-
lations clandestines en articulant notre démarche autour desaxes suivants :
- La clarification des termes « logiques d’acteurs » et « logiques d’actions » ;
- La méthodologie utilisée ;
- La présentation, l’interprétation et
- la discussion des résultats en invoquant les composantes stratégique, identitaire et relationnelle.
I- Les « logiques d’acteurs » dans le cadre conceptuel de référence de « logiques d’action »
Les logiques d’action telles qu’abordées par Amblard (2005) et ses collaborateurs sont
quasiment l’affirmation d’une méthode : il s’agit de mettre au jour « les raisons d’agir » des indivi-
dus, en prenant en compte la diversité des mobiles et des rationalités, à partir des discours que
tiennent les acteurs sur leur propre conduite. En d’autres termes, c’est rendre compte des logiques
d'action, c'est rechercher ce qui fonde les choix des acteurs, comprendre quelles rationalités
sous-tend chaque action. En tant que telle, la logique d’action constitue un cadre conceptuel de
référence qui apparait dans le champ sociologique où émergent des interactions. Pour dire que les
logiques d’action s’expriment lors d’interaction résultant de la combinaison de l’acteur et de la
situation d’action.
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Elles se réfèrent à l’articulation entre l’acteur, stratégique sentant, et la situation d’action. Cette
articulation est symbolisée par l’équation suivante : « acteur + situation d’action = logique d’action
». La notion de « logiques d'action » est donc d'une certaine façon plus large et plus variée que
celle de « logique d'acteur » dans la mesure où celle-ci (logique de l'acteur) relèvent d'un processus
microsociologique et individualisant (l'acteur) alors que les logiques d'action font référence à un
processus macrosociologique. En tout état de cause, il y a une interdépendance évidente et profonde
entre la logique de l'acteur et les logiques d'actions.
En somme, pour le sociologue, parler de logique d’action c’est «explorer le lien entre
l’intention et l’action, de retrouver la « piste sinueuse des choix opérés par l’acteur et de rendre
compte de ce qui les fonde … » (Amblard et al., 2005). En d’autres termes, elle renvoie à l’étude des
opérations de l’esprit considérées par rapport à la fin à laquelle il tend. Cette quête de raisons de
l’agir en situation intègre ce concept dans la sphère globale de la sociologie dite de l’action. De ce
point de vue, l’on se rapproche de plus en plus du paradigme actionniste à travers l'ethnométhodolo-
gisme de Garfinkel et celui de l’individualisme méthodologique de Boudon. C’est dire qu’un acteur
social agit essentiellement en fonction de son intérêt et que cette action est liée au fait que l’acteur
soit lui-même rationnel.
Ainsi donc, si la logique d’action n’est pas réductible au paradigme actionniste, ce dernier
y est pour une part non négligeable. Nous adhérons donc à l’idée boudonienne qui postule que l'indi-
vidu est « l'atome logique de l'analyse » car il constitue l'élément premier de tout phénomène social.
Comprendre le social, c'est, dans cette perspective, analyser les rationalités des individus, puis saisir
leurs « effets de composition », c'est-à-dire la façon dont l'ensemble des actions individuelles
s'agrègent pour créer un phénomène social. En tout, l’acteur est la source première et la plus décisive
de toute production sociale (Crozier et Friedberg 1977). En somme, nous nous inscrivons dans le
schème dit actanciel. Cette approche est fondée sur l’idée que les comportements des acteurs
sociaux ne peuvent être réduits à des effets de structure, mais que leurs actions sont intentionnelles
et stratégiques. Les phénomènes sont ainsi expliqués en tant que composantes et résultantes de ces
actions (Quivy et Campenhoudt, 2006). C’est dans cette optique que nous mettons l’accent sur les
motivations des populations clandestines dans l’exploitation des aires protégées, notamment celles
de la Marahoué.
II- Méthodologie
1- Terrain d’étude et participants
L’espace qui fait l’objet de la présente étude est le Parc National de la Marahoué. Nous
avons mené l’essentiel de l’investigation autant à la périphérie (dans quelques villages riverains du
parc) qu’au sein du parc (dans les campements installés dans les limites du parc). L’enquête (effec-
tuée dans le cadre des travaux de notre thèse) a porté sur une population diversifiée. Mais, prioritai-
rement, notre investigation est dirigée vers les exploitants clandestins, les populations riveraineset
les agents chargés de la sauvegarde du parc.Les agents chargés de la sauvegardereprésentent les
agents de l’OIPR du Centre de gestion de Bouaflé.
Pour ce qui concerne cette étude, la population investiguée est composée de 129 sujets
constitués majoritairement des populations dites clandestines du parc de la Marahoué réparties en
deux groupes, notamment les acteurs sédentarisés dans le parc et les populations riveraines,
c’est-à-dire résidant dans les villages environnants.
2- Méthode de recherche
Une méthode étant liée à la tentative d’explication d’une réalité, nous avons choisi la
méthode compréhensive. La démarche compréhensive permet d'expliquer un phénomène à partir
des intentions et des mobiles des acteurs impliqués. Pour notre étude, elle permet de dégager la
logique des conduites individuelles et collectives en ce qu’elle se focalise sur la mise au jour des
significations attribuées à l’agir des populations clandestines.
3- Techniques de recueil de données
a- Recherche documentaire
Les documents techniques importants constituent ceux traitant essentiellement des
problèmes des aires protégées d’Afrique, de Côte d’ivoire et précisément du Parc National de la
Marahoué. Il s’agit des rapports d’activité, de compte-rendu des plans d’aménagement, de
séminaires et d’atelier des ONG, et des recherches scientifiques des universités. Ces sources ont
émané des institutions commises à la conservation des aires protégées, telles que l’OIPR, la SODE-
FOR. D’autres documents de méthodologie nous ont renseigné sur les logiques d’action, les
pratiques des différents acteurs.
b- Observation participante
Cette technique a consisté pour nous à faire usage du langage pour intégrer le milieu. Cette
immersion a permis d’abord d’observer directement les conduites des individus dans des circons-
tances variées et de saisir les activités illégales (pêche, sédentarisation, installations agricoles, etc.)
dans leurs conditions réelles de production. Elle a permis ensuite d’accéder aux pratiques non
officielles qui sont souvent occultées dans le discours, soit parce qu’elles sont banales, familières ou
innovatrices. En effet, partageant le même code ethnolinguistique, c’est-à-dire le Gouro, avec la
plupart des enquêtés, nous avons su accéder au vécu et à beaucoup d’informations à caractère ethno-
logique. C’est grâce à cette technique que nous avons administré notre guide d’entretien.
c- Enquête interrogation
L’entretien comporte plusieurs variantes. Pour cette étude, nous avons opté pour l’entretien
non directif ou entretien en profondeur, son usage étant recommandé dans les études portant sur les
besoins ou les motivations et toutes les fois que la recherche porte sur des perceptions et des repré-
sentations souvent latentes (valeurs, représentations, opinions). Ce type d’entretien a été mené au
moyen d’un guide d’entretien inspiré de la grille de référence proposée par L. Memert (1992)1.
Nous avons privilégié les acteurs dits clandestins à qui nous avons administré un guide qui
a abordé les thématiques suivantes : le profil des acteurs, la représentationet les relations des acteurs
à l’espace protégé,les attentes ou les besoins des populations infiltrées, enjeux de leur exploitation
du PNM, les motivations de ces acteurs et leurs interactions avec les agents de protection.
1. La grille d’entretien de L. Memert prend en compte les données de base concernant l’identification de l’acteur, la relation de l’acteur avec
le problème ou le territoire, les logiques d’actions, l’interaction avec les autres acteurs, l’information sur ces derniers, l’attitude d’ensemble
de l’acteur par rapport au problème, les perspectives d’avenir.
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Ces items peuvent être déclinés au travers d’une logique exprimée et d’une logique
interprétée. La logique exprimée est, comme son nom l’indique, une logique verbalisée.Pendant que
la logique interprétée traduit l’enjeu réel de l’acteur qui motive son action. (Partoune C., 2009).
La première logique (exprimée) concerne les besoins exprimés par les acteurs installés au
sein du PNM. Les items en rapport avec la logique interprétéea permis de montrer non seulement les
représentations que se font ces populations enquêtées mais aussi les mobiles et les raisons de leur
agir, c’est-à-dire les motifs d’exploitation de l’espace protégé. Ces données révèlent, par la même
occasion, les activités exercées par ces populations infiltrées pour subvenir à leurs besoins exprimés.
Le choix des unités de notre échantillon résulte de la démarche de « choix raisonné » en ce sens que
les unités choisies sont sélectionnées sur la base d’une analyse des caractéristiques qu’elles
présentent et non tirées au sort. La méthode des unités type2 a été choisie pour constituer notre
échantillon d’enquête. Le principe de cette méthode est le suivant : la population est découpée en
catégories, on choisit dans chaque catégorie une ou quelques unités types la représentant.
En l’absence de base de données fiables, nous avons contourné cette insuffisance en faisant
intervenir dans notre échantillon plusieurs catégories d’individus susceptibles de nous donner des
informations. Ainsi nous avons interrogé les acteurs dits clandestins qui sont composés des
personnes qui ont infiltré le parc et donc qui sont installés dans les campements situés dans les
limites du parc ainsi que les populations riveraines. Les populations riveraines sont les habitants des
villages riverains du parc qui constituent des témoins privilégiés pour certains et/ou acteurs de
l’exploitation de l’aire protégée pour d’autres. Sur la base de ces acteurs illégaux identifiés, nous en
avons retenu 129 à interroger pour la présente étude. Selon l’activité exercée, nous les avons classés
comme exploitants agricoles, braconniers, extracteurs de produits divers, et autres (pêcheurs,
commerçants, artisans, etc).
4- Analyse des données
En ce qui concerne les méthodes mobilisées pour l’analyse des données recueillies, nous
avons eu recours à l’analyse qualitative et quantitative. Ainsi pour l’approche qualitative, nous
avons utilisé l’analyse de contenu en codant les entretiens. Il s’agit principalement de rassembler ou
de recueillir un corpus d’informations concernant l’objet d’étude, de le trier selon qu’il y appartient
ou non, de fouiller son contenu selon ses ressemblances « thématiques », de rassembler ces éléments
dans des classes conceptuelles, d’étudier les relations existant entre ces éléments et de donner une
description compréhensive de l’objet d’étude (Mucchielli (2006). Ce qui nous a permis de formali-
ser des relations entre les différents thèmes.Les indicateurs que nous avons choisis sont les
fréquences d’apparition des termes principaux relatifs à nos variables d’intérêt que sont les besoins
exprimés et leurs procédés de satisfaction exprimés par les sujets. Pour l’analyse quantitative,ces
codes ont, par la suite, été transposés dans un tableur (Microsoft Excel) avant d’être importés dans
le logiciel « Statistical Package for the Social Sciences » (SPSS 22.0). Nous avons opté pour une
analyse bi-variée en mettant en relation les besoins exprimés par les acteurs et les procédés de
satisfaction. Ce travail nous a permis de regrouper les besoins exprimés (socioéconomique, culturel,
psychologique) par les enquêtés d’une part et leurs procédés de satisfaction (liés à la flore et à la
faune) d’autre part.
2. « La méthode des unités types consiste donc dans un premier temps à découper la population parente en catégories d’unités. Les catégories
sont définies en fonction de critères ou variables qui sont liés au phénomène étudié »
III- Présentation et interprétation des résultats
Tableau : Lien entre les besoins exprimés par des sujetset leurs procédés de satisfaction
Khi2 : 23,122 au seuil de 0,000 à 2 ddl
Source : Enquête, TRA Bi Boli Francis, octobre 2010
Le tableau ci-dessus met en lien les besoins exprimés par les sujets avec les procédés de
satisfaction qui sont regroupés dans deux domaines définis que sont la flore et la faune. Ces procé-
dés, en termes clairs, constituent les moyens par lesquels les populations parviennent à satisfaire
leurs désirs. Nous avons retenu trois types de besoins exprimés que sont les besoins socioécono-
mique, culturel et psychologique.
A l’issue de l’analyse des données du tableau, il ressort qu’il y a un lien significatif entre
les besoins exprimés et les procédés de satisfaction (Khi2 = 23,122 au seuil de 0,000). Toutefois, ces
relations sont fluctuantes relativement aux besoins exprimés et au domaine dans lequel ils sont
assouvis.
A la lecture (horizontale) du tableau, l’on note d’abord que 89 sujets sur les 129 (soit 69%)
estiment exploiter le parc pour des besoins socioéconomiques. Parmi ces 89 sujets enquêtés, 40
sollicitent la faune en y menant certaines activités pendant que 49 exploitent la flore.
Ensuite, en ce qui concerne les besoins à enjeux culturels, 15 individus (soit 11,62%)
prétendent exploiter le PNM pour satisfaire ce type de besoin.Relativement aux deux domaines
identifiés, 1 seul sujet déclare se tourner vers la faune alors que les 14 autres se dirigent vers la flore
pour satisfaire ce type de besoin. Enfin, les besoins dits psychologiques se justifient par l’exploita-
tion de la flore du parc et sont portés par 25 sujets sur le total des129, soit 19,38%. Il faut noter que
cet enjeu psychologique se situe seulement au niveau de la flore qui consiste à faire du parc leur
propriété.
Selon nos investigations à travers les personnes interrogées, les résultats affirment que le
souci de satisfaction des besoins socioéconomiques constitue la première cause de l’exploitation de
l’aire protégée.
Tableau croisé Besoins exprimés * Procédés de satisfaction
Effectif
Procédés de satisfaction
Total
Faune
Flore
Besoins exprimés
Socio-économique
40
49
89
Culturel
1
14
15
Psychologique
0
25
25
Total
41
88
129
78
Figure : Représentation des composantes écosystémiques comme lieu de satisfaction des besoins
Le graphique ci-dessus représente la proportion des composantes écosystémiques du parc
sollicitées pour répondre aux besoins des populations enquêtées. L’analyse des données du
graphique montre qu’en fonction des besoins exprimés, les acteurs s’orientent le plus vers la flore
(en couleur verte) que vers la faune (en couleur bleue) pour satisfaire leurs besoins. Ces sollicitations
sont de 41 sujets sur les 129 pour la faune et de 88 sur les 129 pour la flore. Il y a donc un lien entre
les besoins des populations et les composantes écosystémiques du parc sollicitées pour les résoudre.
Toutefois, l’on note que majoritairement les besoins sont satisfaits dans le domaine de la
flore (88/129, soit 68,21% des sujets).Le données du graphique exposent que la flore est exploitée
majoritairement pour assouvir les besoins exprimés par populations enquêtées. Ces besoins se répar-
tissent en besoins socioéconomique pour 49 sujets (soit 38% des enquêtés) et à enjeu culturel pour
14 sujets (soit 10,85%) et enfin à enjeu psychologique pour 25 sujets (soit 19,38%).
Par ailleurs, 41/129 sujets (soit 31,78% des sujets) assouvissent leurs besoins à travers
l’exploitation des espèces de la faune. Ces procédés liés à la faune se répartissent selon les besoins
de type culturel et socioéconomique. Concrètement, 1 seul sujet déclare utiliser les procédés liés à la
flore pour assouvir ses besoins culturels pendant que les 40 autres (soit 31% des sujets) exploitent la
flore pour répondre à leurs besoins,spécifiquement, à caractère socioéconomique.
Chaque besoin est satisfait à travers des activités exercées (procédés de satisfaction) dans
les limites du parc.Au regard des résultats contenus dans le graphique ci-dessus, il ressort que les
populations exercent des activités qui répondent à des besoins de divers ordres. A partir de ces
données, nous allons regrouper ses modalités ou unités dans des agrégats de besoins. Confrontésaux
résultats des entretiens avec les sujets, nous rangeons les profits en trois(3) catégories de besoins qui
se retrouvent dans les niveaux suivants : culturel, psychologique et socioéconomique.
La logique d’un acteur est construite autour des enjeux et des objectifs associés à ces enjeux.
a- Logique construite sur les enjeux socioculturels
L’analyse des tableaux nous amène à ranger dans le volet socioculturel les besoins exprimés par les
sujets qui sont : l’extraction de plantes pour leurs vertus médicinales dans le parc et l’érection de
certaines périphéries du parc en un lieu de culte et d’expression des convictions religieuses. Dans le
tableau, ces besoins sont exprimés par 15 sujets sur 129.
Dans la cosmogonie africaine, les populations se servent de certains animaux ou végétaux
pour des usages divers. Ainsi, certains animaux possèdent des vertus curatives. En fonction donc de
leurs besoins, les villageois, qui connaissent les noms et les propriétés thérapeutiques de plusieurs
plantes et racines sauvages, ramassent souvent celles qu’ils considèrent utiles pour le soin de leurs
maladies. Aussi, des plantes sont-elles considérées comme ayant des propriétés aphrodisiaques.
C’est l’exemple du très célèbre « cure-dent Gouro ». En outre, le braconnage de certains animaux
répond à ces besoins. En effet, la chasse à l’éléphant est organisée pour l’ivoire et la chair, mais aussi
pour ses excréments. Les tradi-thérapeutes estiment que les crottes de l’éléphant, composées d’un
agrégat de plantes, sont utilisées pour soigner de nombreuses maladies. Les populations témoignent
toutes dans ce sens. Une guérisseuse nous révèle ceci : « le caca d’éléphant soigne beaucoup de
maladies. Il peut soigner les maladies d’enfant, le zona, les maladies cancéreuses… » Pendant
que d’autres espèces sont utilisées pour des besoins surnaturels (totem, etc.), des rituels ou des
danses traditionnelles. Les chimpanzés sont recherchés pour leur peau. La fabrication des tam-tams
de certaines danses sacrées se font avec la peau de la poitrine des gorilles. Aussi, des mammifères
comme les céphalophes et antilopes sont sollicités pour leurs peaux servant à la fabrication de
tambours. Tout comme des espèces végétales et animales extraites du parc sont sacrées et utilisées
dans les cérémonies traditionnelles.
b- Logique construite sur les enjeux socioéconomiques
Les activités liées à la flore qui composent les besoins de type socioéconomique sont l’agri-
culture, le braconnage, la pêche, la vente des parcelles du parc et l’artisanat. Il faut entendre par «
besoins de type socioéconomique » les besoins ayant des enjeux alimentaireset la recherche de
revenus. Dans les entretiens, il ressort que les besoins prioritaires relèvent de la recherche de revenu
et de denrée alimentaire. Ici, les besoins d’alimentation peuvent être satisfaits à travers plusieurs
activités, notamment l’agriculture (de subsistance ou vivrière) majoritairement et le braconnage, la
pêche en moindre proportion. Les besoins liés à la recherche de revenus appellent à des activités
comme l’agriculture (de rente) et la vente de parcelles du parc cet subsidiairement l’artisanat. Le
cumul de ces données représente une proportion de près de 69% (89 sujets). Pour les personnes
habitant le parc, c’est l’espace où elles retirent toutes leurs revenus. Pendant l’enquête les expres-
sions comme « c’est ici que notre manger quitte » étaient récurrentes. Pour d’autres, « c’est notre
champ qui fait que on envoie nos enfants à l’école ».
L’installation des différents groupes ethnolinguistiques dans la région s’est organisée histo-
riquement en deux principales « vagues » migratoires : les populations « autochtones » que sont les
Baoulé (peuple Akan du centre de la Côte d’Ivoire) et les Gouro (peuple du groupe des Mandé du
sud du centre-ouest de la Côte d’Ivoire) installées depuis de longues dates dans la région du parc et
les populations installées dans la région après le classement de cet espace.
Parmi ces dernières, une partie est constituée d’agriculteurs qui se sont sédentarisés et s’inscrivent
dans une logique de capitalisation de l’aire protégée au travers de productions agricoles. En effet,
une partie des productions a largement dépassé le stade de la satisfaction des besoins alimentaires,
pour passer à une économie destinée à la production de surplus commercialisables. En ce qui
concerne les produits de rente, leur contribution est substantielle eu égard à l’ensemble du pays. Il
se dit même que le parc contribue pour 40% à la production cacaoyère de la région de la Marahoué.
Alors que, comme l’indique les résultats du recensement national de l’agriculture de 2001, la
Marahoué occupe une place non négligeable dans la production de ce binôme au plan national. C’est
ce qui fait dire à ce planteur, avec fierté, que « c’est nous on fait cacao de Marahoué, gouverne-
ment même sait ».
Les cultures de type vivrier contribuent spécifiquement à régler les besoins de consomma-
tion. Le parc pourvoit la région et même le pays en produits vivriers de plusieurs sortes. Par ailleurs,
d’autres fruits sauvages, des graines et des gousses de certaines plantes légumineuses herbacées sont
occasionnellement ramassées dans la forêt et ainsi que des animaux (des petits mammifères) sont
destinés presque exclusivement à l’autoconsommation.
L’exercice de cette activité agricole confère à ces clandestins un statut d’agent de développement.
Ceci pourrait encourager, par ailleurs, les autochtones à persister dans une marchandisation de l’aire
protégée.
En outre, le braconnage de certaines espèces animales procure des devises. Elles sont
recherchées pour leur venaison destinée à la vente. C’est ainsi que l’éléphant et le phacochère sont
braconnés pour leurs ivoires. Aussi, le commerce qui s’organise autour du gibier, appelé « viande de
brousse » est de plus en plus florissant et génère des devises autant aux braconniers qu’aux reven-
deurs. Car le gibier est, en effet, un aliment de luxe en zone urbaine où son prix supplante celui de
la viande d’élevage.
c- Logique construite sur les enjeuxd’appropriation de l’aire protégée
Nous appuyant sur les données contenues dans le tableau, le besoin que nous qualifions de
psychologiquerepose sur le sentiment de propriétédu parc que revendiquent les populations dites
clandestines. Ces données affichent une proportion de 25/129, soit 19,38%. Par ailleurs, certaines
déclarations des enquêtés lors de nos entretiens corroborent ces constats. Les activités liées à ces
besoins sont l’agriculture et la vente de portions du parc.
Il existe dans les villages diverses modalités juridiques d’accès à la terre. Les principaux
acteurs du régime foncier dans un village donné sont les autochtones propriétaires appartenant aux
familles fondatrices de la localité. La répartition des divers modes d’acquisition ou d’usage de la
terre dans un village Gouro est sous la responsabilité des chefs coutumiers traditionnels qui y
concentrent l’essentiel des pouvoirs de gestion du terroir villageois. C’est ce qui ressort de la
question de notre guide d’entretien relative au mode d’accès à la terre dans la région. Concernant le
parc de la Marahoué, cet espace est réclamé par des riverains sur ses diverses limites. Dans la limite
nord-est, il était la propriété du chasseur LIALI qui l’a laissé en héritage à son fils LIALI Bi Zamblé
qui jouissait de la gestion et de la propriété jusqu’à son érection en aire protégée.
81
3. LIALI est un chasseur originaire du village de Kouezra S/P de Zuenoula (nord-est du parc de la Marahoué) à qui il est attribué la découverte
de la forêt de la Marahoué dans la partie nord-est.
4. Des témoignages des villageois de Bonon, ce personnage est celui qui a découvert en premier la richesse floristique et faunique de l’aire
actuellement protégée appelée parc de la Marahoué surtout vers sa limite sud.
5. Ancien aide-forestier et originaire du village de Gobazra (S/P de Bonon), il servait de compagnon au conservateur européen au temps
colonial. Après le départ de ce dernier, il lui a été confié l’espace à conserver jusqu’à son classement en réserve naturelle.
Dans la limite nord-est, il était la propriété du chasseur LIALI3 qui l’a laissé en héritage à son fils
LIALI Bi Zamblé qui jouissait de la gestion et de la propriété jusqu’à son érection en aire protégée.
Dans sa frontière sud, selon les témoignages des villageois, le parc a été découvert par un chasseur
du nom de TROU BI Gooré4 lors de sa randonnée de chasse. L’actuel parc est dit appartenir à Goba-
zra à travers l’un des leurs nommé GUESSAN Bi Zébié5 qui a servi avec un conservateur européen.
Pendant le déroulement de notre enquête, nous nous sommes rendu compte que les populations
riveraines du parc et celles vivant à l’intérieur ont toujours pensé que cette forêt fait partie de leur
propriété, malgré son classement en parc national. Ainsi, elles la perçoivent comme un bien naturel
qui relève du droit coutumier. Alors que le contexte et les principes de protection de ce patrimoine
s’inscrivent dans la pratique du droit moderne. Cette démarche est toujours opposée au concept du
droit traditionnel des paysans. Ces derniers se prévalent le plus souvent du droit de propriété sur
cette forêt, supposée appartenir à leurs ancêtres. En somme, les populations riveraines s’autoprocla-
ment toutes propriétaires de l’espace classé. Pour eux, le site a été classé sans leur consentement.
Les populations concernées se sentent pour cela victimes d’une expropriation de leurs ressources.
Cette victimisation a fait naître des réactions et celles-ci se manifestent par des défrichements
illicites et la destruction massive de la faune sauvage. Comme autres réactions, ces populations
bradent les terres à des personnes étrangères à la région devant lesquelles elles se déclarent proprié-
taires. Aujourd’hui ces personnes opposent une hostilité à toute idée de déguerpissement. Un autre
aspect de l’hostilité des populations à la politique de conservation est la revendication visant la
réduction du parc. Le chef du village de Blaisekro nous déclare ceci « nous sommes installés ici il
y a très longtemps avant le parc. Moi mon père, Yao Kouamé Blaise (fondateur de ce village) m’a
amené ici tout petit en 1964. Mais avant mon arrivée, lui il était déjà ici. On ne peut pas quitter,
qu’on nous laisse nos champs qui sont déjà dans le parc. Y a plus de forêts ailleurs si on quitte ici
on va aller où ? ». Mieux, ils n’hésitent plus à réclamer ouvertement le déclassement du parc, afin
de libérer des terres pour l’expansion des activités agricoles.
IV- Discussion des résultats
Dans cette partie du travail, il s’agira pour nous de mettre en relation les résultats de
l’enquête avec la proposition hypothétique que nous avons retenue. Ce travail aboutira à la vérifica-
tion de l’hypothèse émise. Vérifier cette hypothèse suppose que nous discutions les résultats
obtenus.Cet exercice va se construire autour de l’objectif que nous avons assigné à cette étude qui
est de « comprendre les motivations des exploitants clandestins du parc de la Marahoué ». L’examen
détaillé des résultats de notre étude ouvre la piste pour la compréhension de l’exploitation illégale
du parc de la Marahoué. A cet effet, la relation que nous voulons établir entre les variables de cette
hypothèse est la suivante : les populations locales exploitent les ressources naturelles du parc dans
le souci de satisfaire leurs besoins fondamentaux. Ainsi, pour vérifier cette hypothèse nous nous
sommes appuyé sur les besoins exprimés par les populations et leurs sources ou procédés de
satisfaction. C’est le lieu d’exprimer les usages que font les populations du parc à travers ses compo-
santes, flore et faune.
La discussion de la logique d’acteur-clandestin va s’élaborerautour des composantes straté-
gique et identitaire. Ceci nous amène à combiner les besoins psychologiques et culturels dans la
composante identitaire.
Pour notre étude, la compréhension de l’action des exploitants du parc nécessite l’examen des
composantes que sont la dimension stratégique et la dimension identitaire.
Pour notre étude, la compréhension de l’action des exploitants du parc nécessite l’examen des
composantes que sont la dimension stratégique et la dimension identitaire.
La logique stratégique de l’acteur-clandestin
La stratégie est une « réponse » de l’acteur à la complexité, selon Morin (1980). Pour lui, « la straté-
gie est opposée au programme et considérée comme se construisant au regard des projets des
acteurs, du contexte organisationnel et environnemental dans lequel les projets se développent, et
des perceptions des acteurs de ce contexte et de leurs propres capacités d'action. Elle se définit
comme la méthode d'action propre à un sujet en situation de jeu, où, afin d'accomplir ses fins, il
s'efforce de subir au minimum et d'utiliser au maximum les règles, les incertitudes et les hasards de
ce jeu ». C’est dire que l’action dépend beaucoup plus des ressources et des atouts dont l’acteur
dispose et des relations dans lesquelles il est inséré. Au total, l’on retient que « l’analyse stratégique
conçoit le délit comme un comportement orienté vers des résultats, ayant sa rationalité propre,
compte tenu des opportunités qui s’offrent à l’auteur et de la conduite de son adversaire » (Cusson,
1998).
Dans la composante stratégique, l’action dépend plus des ressources et atouts dont l’acteur
dispose (Guyot et Vandewattyne, 2004). Les ressources et atouts de l’acteur-clandestin intègrent la
politique économique entreprise par la Côte d’Ivoire. Dans notre contexte d’étude, les choix des
acteurs clandestins sont motivés par la rationalité et le profit que tirent les populations de cette aire
protégée. En effet, la réalité socioéconomique dans laquelle évolue la paysannerie ivoirienne trouve
leur dénouement dans l’exploitation de la terre. A ce titre, les ressources de la terre (flore et faune)
contenues dans le parc incitent la convoitise des riverains pour résoudre les problèmes d’ordre
économique.
En effet, la Côte d’Ivoire a, pour sa part, donné à son développement économique une
orientation fondée sur la ressource agricole. L’agriculture reste donc la principale activité écono-
mique de la Côte d’Ivoire ; de fait, elle contribue pour 33% de son PIB, 66% de ses recettes d’expor-
tation et 2/3 des emplois (Zolty et al., 1994).
Par conséquent, la résorption du problème de développement, notamment la croissance économique,
est tributaire à l’agriculture à travers la production des cultures de rente que sont le café, le cacao,
le palmier à huile et l’hévéa. Engagées dans cette perspective économique, l’option pour les popula-
tions est de mettre en friche de grandes portions de terres pour optimiser leur chance de sortir du
sous-développement. Cet argument, de portée nationale, valorise la pratique de l’agriculture et
surtout les produits de rente. C’est sous cette valorisation des pratiques agricoles que les clandestins
se couvrent pour convoiter les espaces protégés. A l’instar du pays, les populations affirment
pratiquer les activités (agriculture et autres) en vue de satisfaire leurs besoins d’ordre économique.
Au niveau du parc de la Marahoué, dans cet objectif, elles exercent soit l’agriculture de rente, le
braconnage, la pêche comme activités majeures. La caractéristique commune à ce type d’activités
est que les produits dérivés sont destinés à la commercialisation ; d’où le but lucratif. En outre, la
marchandisation des parcelles de l’aire protégée présente une spéculation monétaire pour les
acteurs. L’appropriation des parcelles de la terre « exprime la transformation de la question foncière
avec le développement de l’économie de marché. Elle correspond à la transformation du rapport des
paysans à la terre qui devient une marchandise échangeable à partir d’un équivalent général des
échanges, l’argent » (Desjeux, 1987).
En clair, le parc revêt un enjeu économique, eu égard aux transactions monétaires qui s’effectuent
autour de ce patrimoine foncier. Tout gain confondu, la marchandisation des parcelles du parc de la
Marahoué génère des ressources économiques. Les cas d’acquisitions par des modes monétarisés
(achats/ventes, prêts et mise en gage), correspondent le plus souvent, chez les vendeurs et acqué-
reurs, à des besoins économiques. D’une part, le vendeur engrange de l’argent par l’opération de
vente qu’il entreprend, tout aussi le bénéficiaire de la vente (l’acheteur) à travers la mise en valeur
de l’espace acquis bonifie son acquis, d’autre part. Il s’agit pour lui de pratiquer des cultures de rente
qui constituent une source de revenu très certaine à long terme.
Pour mieux comprendre la dynamique des acteurs dans les aires protégées, nous nous
sommes intéressés d’abord à l’identification des perceptions et des représentations des groupes
d’acteurs à propos de la gestion des ressources naturelles. Cette identification aide à la compréhen-
sion de la multiplicité des enjeux et des intérêts, ainsi que des conflits et pressions qui y sont obser-
vés.
La représentation sociale s’impose à l’individu, ce qui l’influence dans sa perception et,
simultanément, les perceptions partagées du groupe se retrouvent dans la représentation sociale
(Jodelet, 1989). Par ailleurs, il faut ajouter que les perceptions participent aux activités de jugement
général. Elles se fixent et se consolident dans notre esprit en s’intégrant à la masse d’expériences
personnelles et aux autres perceptions que nous avons en mémoire. Cela nous procure des balises,
des bases relativement solides qui nous conditionnent, orientent nos actions et notre comportement.
À la seconde où un objet est perçu, s’enclenche une réponse qui serait une sorte de condition ou
préparation à l’action. On parle ici d’attitudes, qui sont des prédispositions mentales guidant le
comportement envers un objet réel ou symbolique.
Dans ce sens, les représentations couvent des enjeux qui varient d’un acteur à un autre.
Gaspard Rwanyiziri (2009) évoque des enjeux d’ordre socio-économique, écologique et politique.
Pour l’acteur communautaire (populations locales), cet enjeu est « socio-économique » et aussi
culturel parce que les aires protégées sont considérées comme leur mère nourricière. Il s’emploie à
exploiter au mieux les aires protégées. Cet enjeu est sous-tendu par la logique du droit coutumier
qui encourage l’exploitation et l’utilisation des ressources par les communautés locales qui se basent
sur les droits traditionnels de coupe et de feu.
La logique identitaire et relationnelle
Nous inscrivant toujours dans la perspective des logiques d’acteurs, il est convenu qu’un acteur, en
plus d’être stratégique, est aussi enraciné socio-historiquement et donc caractérisé par sa culture et
son identité. C’est le lieu pour nous d’appréhender la logique d’acteurs en rapport avec la culture et
même la représentation que les communautés rurales se font de l’aire protégée.
Nous inspirant de l’historicité de Touraine, nous abordons cette composante identitaire et
relationnelle en l’intégrant dans le paradigme dit « socioculturel » de Bertrand et Valois (1980).
Selon eux, les concepts-clés de ce paradigme permettent une décomposition de la réalité sociale en
éléments susceptibles d'être appréhendés au niveau des individus et de leurs rapports avec le milieu
social, par exemple leurs attitudes, leurs comportements, leurs représentations, leurs activités.
En effet, ils définissent le paradigme socioculturel comme étant un ensemble de croyances, de
conceptions ou de généralisations et de valeurs comprenant une conception de la connaissance, une
conception des relations personne-société-nature, un ensemble de valeurs-intérêts, une façon de
faire, un sens global qui, d'une part sous formes d'exemples, définissent et délimitent pour un groupe
social donné, son champ possible et sa pratique sociale et culturelle et qui, d'autre part, assurent par
le fait même sa cohérence et sa relative unanimité(Bertrand et Valois, 1976). Pour ces auteurs, les
composantes d'un paradigme socioculturel sont au nombre de cinq: 1) La conception de la connais-
sance qui renvoie « à la manière d'appréhender et de symboliser la réalité et d'en construire un
système de représentations » ; 2) la conception des relations personne-société-nature, c'est-à-dire la
dialectique qui conçoit la personne comme un être dominant la nature et ayant des rapports avec ses
semblables, mais pouvant également s'identifier à cette nature et aux autres ; 3) les valeurs-intérêts
renvoient aux priorités, aux préférences d'un groupe social et aux éléments de satisfaction de ses
aspirations et besoins; 4) la façon de faire fait référence au travail individuel et collectif, à la
production et aux techniques de production des biens nécessaires à la vie biologique et sociale du
groupe ; 5) le sens global est la signification globale donnée à l'action humaine, c'est-à-dire le
modèle culturel d'un groupe social (Yao, 1982).En clair, les actions communautaires s’inscrivent
dans un ensemble de normes et croyances qui structurent leur représentation.
Il faut signifier que la représentation sociale s’impose à l’individu, ce qui l’influence dans
sa perception et, simultanément, les perceptions partagées du groupe se retrouvent dans la représen-
tation sociale (Jodelet, 1989). Par ailleurs, il faut ajouter que les perceptions participent aux activi-
tés de jugement général. Elles se fixent et se consolident dans notre esprit en s’intégrant à la masse
d’expériences personnelles et aux autres perceptions que nous avons en mémoire. Cela nous procure
des balises relativement solides qui nous conditionnent, orientent nos actions et notre comporte-
ment. À la seconde où un objet est perçu, s’enclenche une réponse qui serait une sorte de condition
ou préparation à l’action. On parle ici d’attitudes, qui sont des prédispositions mentales guidant le
comportement envers un objet réel ou symbolique. Les attitudes illustrent « l’orientation générale,
positive ou négative, vis-à-vis de l’objet de la représentation » (Moscovici, 1972).
Ainsi, lorsqu’on étudie les représentations, il faut garder en mémoire qu’elles relèvent «
d’une dynamique sociale et d’une dynamique psychique ». Elles sont donc le produit des interac-
tions.
Concernant la composante identitaire, l’analyse des résultats de notre investigation portant sur les
motivations des clandestins du parc s’inscrira dans le cadre général de la méthode sociologique de
Durkheim. Celle-ci consiste à expliquer les conduites des acteurs par les relations sociales dans
lesquelles ils sont engagés. Sur cette base, il est bon de chercher à élucider le concept de relation
sociale. Selon l’idée de Touraine (1979), une relation sociale est une interaction placée dans un
champ entre des acteurs qui ont en commun un minimum de normes et de règles. En tant que tel,
cette relation devrait se décliner en des dimensions variables. L’analyse de la composante identitaire
et relationnelle permet de comprendre la perception qu’ont les populations vis-à-vis du parc, d’une
part et la relation qu’elles établissent entre elles et cet espace, d’autre part. Selon Guyot (2004),
l’acteur se distingue par son identité et sa culture, car il est un sujet en action dans différents groupes
articulés avec des cadres sociaux plus larges. Chaque groupe ou cadre véhicule et produit une
culture spécifique, c’est-à-dire un complexe cognitif, normatif, prescriptif et symbolique (traditions,
coutumes, valeurs, règles de conduite, canaux d’information, attitudes, stéréotypes, etc.).
Par exemple, le fait de voir une forêt vierge non exploitée a une signification particulière pour
chaque personne. En effet, l’individu sélectionne et met en relation les éléments de son environne-
ment qui lui sont subjectifs. Ces sélections et mises en ordre impliquent un choix et dépendent d’une
série d’éléments culturels et sociaux (normes, valeurs, etc.).Ce choix s’opère dans un contexte bien
précis. En fait, l’homme noir ne vit pas seulement de la nature mais vit avec elle (Gadou, 1997).
C’est le sens donné à l’écologie africaine qui prône une relation de proximité entre les hommes et la
nature. La notion d’écologie africaine qui, du reste, a une connotation théorique, implique des actes
et attitudes à adopter vis-à-vis de la nature. C’est cette forme pratique de l’écologie africaine qui est
contenue dans l’humanisme africain. En clair, les communautés africaines entretiennent des liens
culturels et traditionnels forts avec leurs ressources naturelles. La politique de mainmise de l’Etat a
coupé ces liens. Pour reprendre Mwenya (1997), « la philosophie holistique africaine est disloquée
». Par ailleurs, l’on pourrait ajouter avec Lazarev (1993) que la communauté constitue le niveau
d’identification le plus significatif. A ce niveau, les membres de la communauté partagent un
patrimoine culturel commun, une organisation sociale et un système politique communs, enfin, un
territoire commun. Le territoire d’une communauté apparaît, ici, comme étant la base physique de
l’économie de la communauté, la base servant à l’identification culturelle et sociale de ses membres,
la base géographique du système politique de la communauté. Ces communautés se font donc une
identité culturelle. Et celle-ci fait référence au sentiment d’appartenance à une culture. Ici on
comprendrait la notion de « culture » dans son sens anthropologique, c’est-à-dire un ensemble de
significations, valeurs et normes de comportements spécifiques que le groupe s’efforcera de garder
et de transmettre et par lesquelles ses membres auront tendance à se percevoir comme similaires
entre eux et différents des membres d’autres groupes culturels.
Au regard de ce qui suit, les motivations d’infiltration du parc par les populations ont une
forte connotation réactionnaire et d’affirmation de soi. Ce dans le sens que les êtres humains sont de
nature sociohistorique. C’est dire qu’ils sont inscrits dans une démarche d’accumulation et d’appro-
priation. Les communautés vivant le long des frontières du parc défendent leur revendication sur les
terres du parc comme étant « un droit moral de la subsistance ».Le classement de l’espace Marahoué
est perçu comme une expropriation par les populations. Puisque pour elles les générations futures
(leurs progénitures) ne pourront pas bénéficier de ce patrimoine. Cette expropriation fut ressentie
comme une frustration. Pour ainsi dire, c’est cette réaction à la frustration qui justifie le dommage
écologique causé par les ménages. En effet, selon les résultats de notre investigation, les perceptions
que les sujets locaux ont du parc établissent qu’elles le réclament comme leur propriété. La version
de l’histoire de la création de cet espace protégé corrobore ces données. Pour elles, le parc leur
appartient et donc constitue leur patrimoine. Plus, la dénomination d’antan de l’aire comme «
Réserve de Bouaflé » (qui est passée par la suite à « Parc National de la Marahoué »), corrobore
l’idée de leur propriété et justifie la convoitise de cet espace. En conséquence, il ne peut être cédé à
l’Etat ou autre prétendant que par une compensation. Cette fierté, ce sentiment d’appartenance et
même d’appropriation de l’espace protégé satisfait le besoin psychologique ou moral des popula-
tions riveraines. Ce réconfort moral constitue la prégnance de la marchandisation de ses parcelles.
En outre, cette relation organique population/espaceest bien expliquée par Pourtier (1986) qui
estime que pour les populations locales, ces espaces dits« vides » font partie intégrante de « l’espace
vital » des humains et correspondent à des étendues socialisées et historicisées. C’est d’ailleurs là
que se trouvent notamment les sites d’anciens villages, d’anciens champs dont l’appropriation
foncière continue d’être importante.
Ainsi le maintien de lieu de culte (adoration des éléments de l’écosystème) et l’extraction de plantes
et autres produits de la faune pour les soins de santé au sein du parc sont loin de toute illégalité à
leurs yeux.Cette volonté d’appropriation et besoin de revendication (bien qu’étant en violation des
règles de conservation) colle bien à la vision de Koudou (2007) pour qui « une lecture existentielle
conduit à considérer une déviance comme l’expression d’une affirmation réactionnelle de soi au
travers d’un acte de liberté revendiqué en quête de jouissance personnelle ». En tant que tel,
l’exploitation du parc de la Marahoué est justifiée et même légitimée par les populations.
En outre, le versant culturel est envisagé eu égard à l’interprétation qu’ils font de certaines
lois et règles (qu’elles soient coutumières ou modernes) en matière de foncier. En clair, cette
interprétation se fait relativement aux référents symboliques et normatifs des populations concer-
nées.Dans le cadre de notre recherche, cette interprétation se fait relativement à la cosmogonie
africaine,il est à signaler que les notions d’identité et de culture évoquent surtout le domaine de
règles.
En fait, l’Etat a établi une législation en rapport avec la gestion des aires protégées qui vise
à inculquer une conscience écologique à tous. Cette culture officielle (d’obédience occidentale
soit-elle) se repère ainsi à travers la construction de règles issues en partie de la situation d'action, en
partie des représentations des relations entre acteurs. Idéologiquement, cette construction est initiée
par le politique qui, dit-on, œuvre pour les générations futures. Nous nous inscrivons, de ce fait, dans
la logique du développement durable. Nous retenons ce concept dans l’acception qu’un développe-
ment à long terme n’est viable qu’en conciliant trois aspects indissociables: la rentabilité écono-
mique, le respect de l’environnement et l’équité sociale. En clair, le développement durable est « un
mode de développement économique cherchant à concilier le progrès économique, social et la
préservation de l'environnement considérant ce dernier comme un patrimoine à transmettre aux
générations futures » (Adrian, 1996).Ici, cette approche idéologique (en termes de culture) se heurte
à une sorte de micro-culture développée par les populations locales qui fait échouer cette règle.
Soucieux de résoudre l’incertitude et l’insécurité qui règnent sur la scène foncière et singu-
lièrement en milieu rural, le législateur ivoirien est intervenu pour organiser le « domaine foncier
rural ». C’est dans cette optique que la neuvième législature a voté la loi n° 98-750 du 23 décembre
1998 relative au domaine foncier rural, promulguée et publiée en 1998 (loi modifiée en 2013). Avec
la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 portant code foncier rural, la propriété foncière coutumière a
été reconnue. Cette loi allie donc droit coutumier et droit moderne.
Par son caractère hétérogène, cette loi comporte des « amalgames » au niveau de la défini-
tion du domaine foncier rural lui-même et des « non-dits ou des aspects cachés » au niveau du droit
coutumier et aussi de l’acquisition et de l’accès aux terres. En conséquence, la contradiction entre
les droits coutumiers et les droits positifs et l’affaiblissement des modes de régulation locaux contri-
buent à une situation de confusion juridique. Ce flou juridique a tendance à laisser libre cours à la
compétition sur les terres ; chacun y allant de l’interprétation qui lui est favorable.
Par ailleurs, l’ambiguïté foncière est corrélative de situations parallèles en rapport avec des
faits historiques de la région de la Marahoué. En effet, l’aménagement du barrage de Kossou a
provoqué un flot d’immigrants « dirigés » qui ont été installés dans la forêt de No noua. Durant cette
opération de Kossou, 3500 Baoulé ont été concernés (Schwartz, 1982).
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Cette situation conforte le fait que l’interprétation des communautés exploitantes est
saturée de symbole et de mythe faisant du parc « le terroir » de ces communautés, c’est-à-dire leur
référent culturel, leur propriété. Cela est d’autant plus vérifié qu’elles usent, même, de ce droit de
propriété pour mettre en vente ou céder les parcelles à un autre acquéreur présenté comme étranger
à la localité (Tra, 2013).
Par ailleurs, il est reconnu que la logique d’action en tant que cadre conceptuel de référence
intégrant un champ où émergent des interactions, elle résulte de la combinaison de deux entités que
sont l’acteur et la situation d’action. Aborder spécifiquement l’un des pans (logique d’acteur), c’est
traiter de façon parcellaire la question de l’exploitation des aires protégées. Sa compréhension
devrait nécessiter d’autres investigations qui prennent en compte l’environnement et donc la
situation d’action de ces clandestins.
CONCLUSION
Principal objet des politiques de conservation tout au long du 20è siècle, les aires protégées
se sont retrouvées récemment au centre d’un enjeu à versant multiple. En effet, ce projet impliquant
une multiplicité d’acteurs, débouche sur un défi majeur partagé entre Développement/Environne-
ment. Au PNM, la politique de conservation durable instituée depuis plusieurs décennies a du mal à
donner des résultats probants. Le constat est que toutes les parcelles de cette aire protégée sont
soumises à de fortes pressions. Pour contribuer à la compréhension de cette dégradation, notre
recherche a procédé à une analyse de la logique d’action des différents acteurs engagés dansl’aire
protégée. Conscient de l’importance des logiques d’action dans l’appréhension d’un phénomène
comme l’exploitation de cet espace, nous avons voulu examiner les raisons qui poussent les acteurs
communautaires de la Marahoué à ramer à contre-courant des lois et balises de la conservation des
aires protégées. Nos investigations révèlent que les motivations répondent à un souci de satisfaction
des besoins d’ordre social, économique et psychologique.
Au terme de ce travail, l’étude étiologique des infiltrations du parc nous a permis de propo-
ser une analyse des logiques d’acteurs à partir de leur rationalité. D’abord la rationalité stratégique
met en avant le rapport gain/perte eu égard au respect de l’interdiction d’infiltrer le parc. Ensuite, les
versants identitaire et relationnel reposent sur la représentation et l’interprétation que font les popu-
lations clandestines relativement à leurs référents symboliques et normatifs. Toute entreprise de
recherche ayant une portée sociale, les résultats de la présente étude pourraient aider les décideurs à
mieux adapter leurs actions en matière de protection du PNM en particulier et des parcs nationaux
de Côte d’Ivoire en général.
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