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C Maroy et B. Cattonar: Professionnaisation ou Déprofessionnalisation [RASE vol. 5, núm. 3: 394-423]
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PROFESSIONNALISATION OU DÉPROFESSIONNALISATION DES
ENSEIGNANTS? LE CAS DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE
BELGIQUE
7
CHRISTIAN MAROY
8
ET BRANKA CATTONAR
9
Introducción
otre propos est d’interroger la stratégie de transformation du métier d’enseignant,
actuellement promue en Communauté française de Belgique (CFB), pour en
réfléchir le s e
ffe ts
en
t
erme de« professionnalisation » des enseignants. Nous commencerons
par présenter le modèle de professionnalité enseignante valorisé dans les discours de nombreux
acteurs qui sont intervenus publiquement sur cette question. Une remarquable convergence est
perceptible autour d’une redéfinition de la professionnalité enseignante à partir du modèle du
“praticien réflexif”. Proposé comme une réponse à la complexité croissante de la pratique
enseignante, la valorisation de ce modèle s’inscrit dans une entreprise de conversion identitaire
des enseignants via la formation (initiale et continue). Notre intention n’est pas de discuter
théoriquement ce modèle, mais d’en analyser le contexte d’apparition et les effets pragmatiques
dans le contexte actuel de transformation du système d’enseignement. Cette rhétorique du
changement du métier d’enseignant prend en effet sens par rapport au développement d’un
nouveau mode de régulation du système d’enseignement qui, en Belgique francophone, s’efforce
de le rendre plus équitable et efficace. Nous nous interrogerons sur la signification d’une telle
7
[Nota de los editores : Este artículo fue publicado originalmente como documento de trabajo en: "CAHIER DE
RECHERCHE DU GIRSEF (Groupe Interfacultaire de Recherche sur les Systèmes d’Education et de
Formation). N° 18 septembre 2002", en la Université de Louvain-la-Neuve (Bélgica). Financiado por el
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique de la Communauté française de Belgique.]
8
Christian Maroy es Catedrático y Titular de la Cátedra de Investigación de Canadá en Políticas Educativas, en
la Facultad de Ciencias de la Educación de la Universidad de Montreal christian.maroy@umontreal.ca
9
Branka Cattonar es profesora de la Université de Louvain-la-Neuve (Bélgica) branka.cattonar@uclouvain.be
N
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stratégie de transformation du métier du point de vue de la place des enseignants comme
groupe professionnel, en nous fondant sur différentes approches au sein de la sociologie des
professions. La volonté de transformer le métier d’enseignant, replacée dans le contexte actuel
du système éducatif de CFB, engage-t-elle une “professionnalisation” ou une
“déprofessionnalisation” des enseignants? Nous montrerons que de nombreux signes de
déprofessionnalisation accompagnent une rhétorique de la professionnalisation qui a davantage
une vertu idéologique que des effets pratiques. Cette double tendance va de pair avec une
accentuation de la division du travail entre les « enseignants de base » et de nouvelles élites,
professionnelle et gestionnaire, dont le pouvoir ou l’influence sur les enseignants s’accentue. On
peut parler d’une complexification et d’une recomposition de la division du travail entre les
différents professionnels du champ de l’enseignement.
Nous présenterons d’abord les principales orientations du modèle du praticien réflexif,
telles qu’elles ressortent des discours publics développés par de nombreux acteurs non
enseignants au sein du champ éducatif de la CFB. Dans un deuxième temps, nous montrerons
dans quel contexte de réforme d’ensemble du système éducatif ces discours prennent place.
Nous présenterons ensuite les différentes approches sociologiques des professions avant de nous
interroger sur les indices actuels de professionnalisation ou de déprofessionnalisation du monde
enseignant. Dans la dernière section, nous montrerons que ces tendances apparemment
contradictoires vont de pair avec une accentuation de la hiérarchie et de la division du travail
parmi les professionnels du champ éducatif.
I. Convergences dans les discours des acteurs éducatifs autour de la
transformation de la professionnalité enseignante
Divers acteurs non-enseignants intervenant dans le champ éducatif de la Communauté
française de Belgique tiennent actuellement des discours enjoignant les enseignants à transformer
leurs pratiques, et audelà, leur identité professionnelle. Une analyse de contenu des discours
tenus par ces acteurs (experts, pouvoirs organisateurs, intervenants pédagogiques, mouvements
pédagogiques, syndicats et associations de parents) fait apparaître une étonnante convergence
10
.
On retrouve en effet un très large consensus, autour: (1) de la nécessité de transformer le métier,
(2) de la “nouvelle” professionnalité enseignante à promouvoir, et (3) des “moyens” à mettre en
œuvre pour que la pratique du métier change.
1. Une volonté de transformer la professionnalité enseignante selon le modèle du
“praticien réflexif”
L’accord se fait tout d’abord sur la nécessité de changer le métier d’enseignant qui doit
s’adapter aux évolutions récentes du système éducatif et plus largement à celles de la société: la
10
Le lecteur trouvera les publications analysées en fin de bibliographie. Cette partie synthétise une analyse
développée dans Cattonar et Maroy, 2000.
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modification du public scolaire, devenu plus hétérogène et plus difficile (démotivation, crise de
discipline, rapport utilitariste et désabusé au travail scolaire, etc.), les récentes réformes du
système éducatif, les nouvelles missions de l’école complexifiant le rôle de l’enseignant, la
“désinstitutionnalisation” de l’école, sa “marchandisation”, la pluralisation de la culture, la perte
de sens, l’individualisme, etc.. Selon les acteurs étudiés, ces transformations exigent de la part des
enseignants une nouvelle manière de pratiquer et de concevoir leur métier: de nouvelles
compétences à acquérir, mais aussi une nouvelle “culture” et “identité professionnelle”. Les mêmes
acteurs éducatifs partagent ensuite la même vision de ce que doit idéalement être, faire et savoir
l’enseignant aujourd-’hui.
Tous valorisent, avec quelques variantes
11
, le même modèle de “professionnalité
enseignante” (entendu comme l’ensemble des pratiques, attitudes et compétences attendues et
jugées nécessaires à l’exercice de la profession), partageant (explicitement ou non) le modèle du
“praticien réflexif”, qui semble s’imposer comme modèle de référence
12
, à l’encontre de celui du
“magister” ou du “technicien” anciennement valorisés
13
.
Un praticien réflexif
Face à un contexte éducatif et social changeant et complexe, l’enseignant doit ainsi
devenir un praticien réflexif, capable de s’adapter à toutes les situations d’enseignement par
l’analyse de ses propres pratiques et de leurs résultats. Il doit pouvoir se poser la question du
sens des actions qu’il mène, s’interroger sur ses propres conceptions, sur ce qu’il fait et
pourquoi il le fait. Par cette capacité à “s’auto-analyser”, il peut alors “identifier ses réussites et
ses insuccès” et par-là réajuster ses actions. L’enseignant ne peut plus se contenter de reproduire
des routines pédagogiques, des “recettes et règles préétablies et extérieures”. Au contraire, il doit
être capable de les utiliser et/ou d’en créer de nouvelles, de manière “autoréflexive” et “en
situation”. Désormais, c’est l’enseignant lui-même qui doit se construire la “bonne manière de
11
Nous ne présenterons pas dans ce texte les divergences (relativement secondair es) en tre les différents
acteurs, mais le lecteur intéressé les trouvera exposées dans Cattonar et Maroy, 2000. Les divergences sont le
plus souvent liées à la position ou à la fonction des acteurs. Par exemple, les “experts” (chercheurs en Sciences
de l’éducation) parlent davantage du processus d’apprentissage et de l’aspect réflexif du travail, le
mouvement pédagogique comme la Confédération Générale des Enseignants insiste plus sur son aspect
collectif, et les syndicats mettent plutôt l’accent sur les problèmes liés aux conditions d’emploi et de travail.
12
Ce modèle du “praticien réflexif”(promu par nombre de psychopédagogues suite aux travaux de Shön en
1983) est proche du “professionnel” valorisé par Huberman (1993) et Perrenoud (1993), du “pôle du
professionnel”relevé dans la littérature psychopédagogique par Lang (1996) et qui semble actuellement promu
en France dans les textes officiels (Lang, 1999), de la “professionnalisation organique” mise en évidence par
Lessard (1991) et de la “professionnalité managérialisée” décrite par Demailly (1997) et qui tendrait
actuellement à avoir une position symbolique dominante.
13
L’enseignant “maître instruit” est principalement caractérisé par la maîtrise des savoirs disciplinaires, il
travaille individuellement, mène une pédagogie de type “monolithique” et “transmissive”, en se référant aux
prescriptions formelles provenant des autorités scolaires. Le “technicien” est celuiqui possède et applique un
répertoire de techniques pédagogiques et savoir-faire procéduraux précis et efficaces, dérivés d’études
scientifiques. Voir Lessard (1991), Lang (1996), Blin (1997).
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faire”, par un va-et-vient entre pratique et théorie, en adoptant une attitude “critique,
pragmatique, voire opportuniste” par rapport aux savoirs théoriques, aux techniques et outils
pédagogiques qu’il a appris lors de sa formation, dans lesquels il peut puiser mais de manière
réfléchie et adaptée à la situation
14
.
Cette dimension “auto-réflexive” du travail est supposée rendre l’enseignant “autonome”:
un “acteur” (par opposition à la figure d’“exécutant”) non seulement capable d’agir et de penser
par lui-même, mais également conscient qu’il peut avoir un contrôle sur les effets de son travail,
qu’il peut “(ré)agir face aux difficultés de son métier au lieu de les subir”.
Un spécialiste de l’apprentissage
Face à un public perçu comme plus difficile et démotivé et face au problème de l’échec
scolaire, l’enseignant est également appelé à devenir un spécialiste de l’apprentissage se centrant,
dans son travail en classe, sur le processus d’apprentissage des élèves. Il ne peut plus se
contenter de “transmettre son savoir”, mais doit, à travers une pédagogie de type constructiviste,
amener l’élève à être “l’acteur” de sa formation et l’aider à devenir un “sujet” percevant le sens
de l’apprentissage
15
. Il doit également pratiquer une pédagogie différenciée, en particularisant ses
méthodes d’apprentissage (mais non les objectifs) pour répondre aux besoins spécifiques de
chaque élève. Pour ce faire, l’enseignant ne doit plus seulement maîtriser les contenus de
l’enseignement (les savoirs liés à la discipline qu’il enseigne), il doit aussi pouvoir les remettre en
question et maîtriser les compétences nécessaires à l’acte même d’enseigner, le “savoir-
enseigner”.
Cette conception de l’enseignant comme “spécialiste de l’apprentissage” va de pair avec la
valorisation d’une identité professionnelle large, celle de “formateur”, qui soit commune à tous
les enseignants, dépassant les identifications liées aux disciplines enseignées, à la filière ou au
niveau d’enseignement, et affirmant que “tous les enseignants participent au même projet: celui
d’éduquer et d’apprendre à apprendre”.
Un enseignant travaillant en équipe et ancré dans son établissement
Enfin, face aux nouvelles missions de l’école et la complexification de son rôle,
l’enseignant est enjoint de travailler en équipe et de développer des pratiques institutionnelles en
14
Le modèle du praticien réflexif prône une plus grande articulation entre les savoirs issus de la pratique et les
“savoirs savants”. L’enseignant se construit lui-même un savoir systématique, explicité et communicable (il
doit savoir justifier pourquoi il adopte telle ou telle conduite), à partir de sa propre “réflexion sur et dans
l’action” (une “pensée-agie”, enracinée dans la situation même), en lien avec les savoirs théoriques.
15
Le rôle de l’enseignant est de guider l’élève à construire lui-même ses savoirs ; il doit comprendre comment
l’élève procède pour apprendre, savoir repérer ses obstacles et susciter l’auto-analyse de l’élève.
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s’investissant dans la gestion collective de la vie de son établissement. Il doit développer les
relations avec ses collègues et “ceux d’en haut” (les pouvoirs organisateurs, l’inspection, les
commissions de programme, la direction, les parents, les chercheurs universitaires,
l’environnement socioéconomique, etc.). Le travail enseignant est ainsi appelé à devenir un
“travail collectif” (rompant l’isolement actuel dans lequel travaillent les enseignants
16
),
impliquant des “pratiques institutionnelles” au sein de l’organisation scolaire: travail en équipe
pédagogique, classes coopératives, projets d’établissement, tenues de conseils, etc.
17
. Ce qui exige,
de la part des enseignants, l'acquisition de nouvelles compétences: d’une part, savoir
communiquer, gérer un groupe, écouter les avis divergents, négocier avec des partenaires
différents; d’autre part, savoir, en collégialité, élaborer des propositions, gérer des projets, les
mettre en œuvre, les ajuster et les évaluer (impliquant la connaissance de l’organisation et du
fonctionnement de l’institution scolaire).
2. Une conversion identitaire via la formation
Pour que le métier change dans le sens que nous venons de présenter, “pour produire les
enseignants nouveaux dont l’école a besoin”, le “moyen” proposé par les différents acteurs est la
formation (initiale et continue), perçue comme “le principal levier du changement”. La
formation est ainsi appelée à se développer et à devenir permanente: “elle ne doit plus se faire à
titre personnel ou exceptionnel, mais devenir une partie normale et naturelle de la carrière”.
Outre les savoirs disciplinaires et les savoirs et savoir-faire liés au modèle du praticien réflexif, la
formation doit également travailler “l’habitus” de l’enseignant, ses “croyances” et “attitudes”
18
. La
rhétorique sur la transformation du métier d’enseignant ne vise donc pas seulement un
changement “technique” des manières d’enseigner et de quelques compétences, mais bien un
changement plus profond engageant l’identité professionnelle ou l’habitus de l’enseignant, par la
conversion identitaire de chaque enseignant au nouveau modèle de professionnalité.
II. Quelques tendances récentes du système d’enseignement: perte du
consensus, évolution des modes de régulation du système
16
Cet isolement étant perçu par les différents acteurs non seulement comme une source d’inefficacité, mais
aussi comme l’une des causes de l’actuel “malaise enseignant”.
17
Le travail en équipe est également perçu comme un “temps d’auto-formation informelle” et comme une
occasion pour l'enseignant de confronter ses propres conceptions avec celles de ses collègues, de mettre en
dialogue le savoir qu'il s'est lui-même construit et par-là d’être reconnu et de se reconnaître comme “acteur” :
“l’enseignant ne doit pas seulement savoir-faire, mais aussi le faire savoir”.
18
La formation, désormais conçue comme un lieu de réflexion et de création, doit également articuler advantage
formation pratique et théorique, et se développer autour de problèmes professionnels concrets, en école.
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Ces discours sur la transformation du métier d’enseignant apparaissent dans un contexte
de changement du système éducatif, notamment d’effritement du consensus culturel au
to
ur de
l’école e
t
d’évolution de ses modes de régulation. Malgré son importante décentralisation et la
diversité des options éducatives
19
, on peut avancer que jusque dans les années ’60, le système
d’enseignement était traversé en Belgique par les significations majeures de la modernité
20
. Ce
consensus culturel semble se lézarder depuis une vingtaine d’années: la massification de l’école,
la bureaucratisation, la crise de l’emploi, la mise en doute plus générale du savoir scientifique, de
la raison, du progrès conduisent à une crise de sens et à l’éclatement des attentes. On
retrouverait en Belgique des tendances proches de celles décrites en d’autres termes par
Derouet (1992) lorsqu’il avance qu’il n’y a plus, en France, de principe unique de justification
du projet scolaire (justice, égalité des chances) et que c’est dorénavant au plan local que les
acteurs construisent dans des orientations diverses (domestique, marchande, civique) une
justification de l’action scolaire.
Dans ce contexte d’effritement du consensus culturel autour de l’école, l’enseignement en
Belgique francophone a connu dans la dernière décennie de nombreuses secousses: austérité
budgétaire, pertes d'emploi et mouvements sociaux forts des enseignants ou des étudiants.
Parallèlement, une intense activité législative s'est développée, justifiée par un discours en
appelant à la fois à la rationalité (efficacité), à la démocratie participative et à l'équité. Une des
initiatives majeures à ce sujet est la promulgation en 1997 d’un décret qui, pour la première fois,
explicite les objectifs généraux du système scolaire dans un texte de loi, décret cadre qualifié
dès lors de décret Missions
21
. Une telle explicitation ne supprime évidemment pas les ambiguïtés
puisque ces objectifs peuvent, aux yeux des acteurs, paraître difficilement conciliables
22
alors que
le décret précise qu'ils ne peuvent être hiérarchisés.
19
En Belgique, la moitié des élèves sont scolarisés dans des établissements sous la tutelle d'autorités
privées (ecclésiastiques en général), les programmes d'études et les méthodes pédagogiques relèvent de la
compétence de chacun des “pouvoirs organisateurs” (autorités éducatives privées ou publiques responsables de
un ou plusieurs établissements), il n'existe pas de corps d'inspection public couvrant l'ensemble des
établissements, les épreuves d'évaluation certificative sont conçues et corrigées par chaque professeur pour ses
classes, les parents peuvent choisir l'établissement qui leur convient le mieux et enfin, il n'y a pas de collège
unique ou de “comprehensive school”.
20
Comme le montre Bastenier (1998), l’école en Belgique s’est inscrite dans une perspective d’affirmation de
la rationalité et de croyance au progrès engendré par la croissance. Son rôle majeur fut de combattre
l’ignorance, ce qui correspondait à la fois à un projet politique (l’intégration de citoyens avisés) et
économique (la préparation des travailleurs nécessaires à la société industrielle). En somme, nonobstant les
oppositions entre laïques et catholiques, il y aurait eu jusque dans les années ‘60 un projet commun autour
d’une école participant à l’avènement de la modernité.
21
Ces missions sont les suivantes: promouvoir la confiance en soi et le développement personnel de chaque
élève ; amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à
apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle ; préparer
les élèves à être des citoyens responsables ; assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation
sociale.
22
Par exemple, comment réconcilier l’apprentissage de compétences pertinentes pour s’insérer économiquement
et la promotion de chances égales d’émancipation sociale, une logique d’épanouissement de chacun et la
logiqued’apprentissage de savoirs et de compétences pour tous.
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Une ligne de force du décret Missions se dégage cependant: promouvoir une logique de
tronc commun dans l'enseignement fondamental et les deux premières années du secondaire (via
la promotion de socles de compétences à atteindre), tronc commun associé à la volonté d'une
“école de la réussite” qui fasse pièce aux problèmes récurrents de l'échec scolaire. Une telle
orientation normative des politiques scolaires ne signifie bien entendu pas qu'elle fasse consensus
parmi les acteurs locaux. Au contraire, ces affirmations législatives quant aux finalités et à la
philosophie éducative du système se développent alors même que le consensus sur l'école paraît
plus précaire que dans les années ‘50-‘60.
L’activité législative de la dernière décennie a aussi un impact sur les formes de
coordination et le mode de régulation prégnants dans le système (Dupriez et Maroy, 1999;
Maroy 2000). Rappelons d’abord que l’institution scolaire belge ne s’est pas construite
historiquement comme un “système” d’enseignement fortement intégré. Si l’Etat y joue un rôle
croissant tout au long de l’histoire, il a dû partager son rôle d’autorité relativement centralisée
avec des fédérations de pouvoirs organisateurs (ce qu'on nomme en Belgique les “réseaux”),
construits sur des clivages philosophiques
23
. Parallèlement, les établissements scolaires locaux et
le marché jouent eux aussi un rôle très important. Or, le décret Missions a renforcé l'autorité des
instances centralisées sur les instances locales, dans le but notamment de développer une plus
grande convergence, voire une plus grande homogénéité des pratiques dans un système marqué
depuis sa création par la “liberté d’enseignement”, liberté de choisir l’école du point de vue des
usagers ou de créer une offre scolaire du point de vue de tout groupement organisé. L’extrême
disparité et diversité des pratiques (en matière d’évaluation, de curriculum réel, de pratiques
pédagogiques) est en effet une situation de plus en plus dénoncée tant par des universitaires
que par des élites dirigeantes, notamment parce qu’elle nuirait à l’équité du système, tout en
n’étant pas gage de meilleure qualité du système d’enseignement (Crahay, 1997; Vandenberghe,
1998). Le renforcement des autorités centralisées favorisé par le décret Missions va alors de pair
avec l'apparition de règles substantielles communes aux différents “réseaux d’enseignement”
relatives essentiellement aux statuts des enseignants et aux programmes d'enseignement qui
tendent ainsi vers plus d’homogénéité
24
. Par ailleurs, des règles de procédure communes tendent
à faire converger le mode de fonctionnement des établissements quel que soit le “réseau” -,
règles communes qui ont fait l'objet d'un consensus entre les autorités des différents réseaux et
23
Les “réseaux” d’enseignement constituent un ensemble de pouvoirs organisateurs plus ou moins intégrés
dans une structure fédératrice qui en représente les intérêts auprès du pouvoir politique tout en proposant à ses
membres une série de services de nature juridique, administrative ou pédagogique. Quatre “réseaux”
d’enseignement coexistent en Belgique francophone: le réseau étatique de la Communauté Française de
Belgique, le réseau des pouvoirs publics locaux (villes, communes et provinces), le réseau de l’enseignement
libre confessionnel (en majorité catholique), le réseau d’enseignement libre non confessionnel.
24
Les programmes restent officiellement une prérogative de chaque pouvoir organisateur, mais l’émergence
depuis 1994 des “socles de compétences” (pour l’enseignement fondamental et le premier degré de
l’enseignement secondaire), et la promulgation en 1997 du décret Missions instituant officiellement ces
mêmes “socles de compétences” et d’autres références telles que les “profils de formation” dans
l’enseignement de qualification ou “les compétences terminales” à atteindre à l’issue de l’enseignement
secondaire de transition, viennent très clairement affirmer une balise publique solide à laquelle devront
s’articuler les programmes de tous les pouvoirs organisateurs. Cette innovation constitue indiscutablement un
mouvement vers une accentuation de la standardisation du curriculum et surtout la définition de points de
repères communs qui pourraient servir à évaluer ou à situer le travail de chaque unité d’enseignement
décentralisée.
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l'Etat régulateur. Ces règles communes tendent sinon à limiter les marges d'autonomie des
acteurs locaux du système (pouvoirs organisateurs, directions, enseignants), du moins à affecter
les jeux et les stratégies de ces acteurs dans la mesure où des obligations de concertation sont
instaurées soit entre établissements scolaires d'un même réseau (conseil de zone où se concertent
les ouvertures de nouvelles options ou de nouveaux programmes), soit au sein des
établissements scolaires (conseils de participation où se définit le “projet d’établissement”). Dans
cette dernière instance, de nouveaux acteurs interviennent, comme les parents ou les
représentants de l'environnement de l'école. Enfin, le respect des procédures à suivre est
renforcé par des possibilités de recours des usagers du système contre les pouvoirs
organisateurs locaux (recours contre les décisions des conseils de classe en matière de
redoublement ou d’orientation; recours contre des décisions de renvoi ou de non-inscription
d’élèves).
Le fonctionnement concret des établissements scolaires reste cependant largement
indéterminé et ouvert. D’une part, parce qu'il y a moins de consensus institutionnel assurant
une régulation normative aux attentes ou aux pratiques des acteurs locaux. D'autre part, parce
que les transformations du cadre formel du système par les instances centrales laissent encore
une large marge de manœuvre aux acteurs locaux; on pourrait même ajouter, que ce jeu local
est complexifié par l'intervention de nouveaux acteurs comme les parents ou les acteurs socio-
économiques.
Dans un tel contexte, il nous semble que le discours sur la nécessaire transformation du
métier d’enseignant révèle une stratégie de changement de l’institution scolaire qui repose de façon
très importante sur une entreprise de conversion identitaire et professionnelle des enseignants.
La rhétorique appelant à la diffusion du modèle du “praticien réflexif” est l’expression d’une volonté de changer
les enseignants pour accompagner d’autres changements du fonctionnement du système scolaire. Certes, les
changements de professionnalité sont invoqués pour faire face aux défis d’un travail enseignant
devenu plus complexe et difficile. Il s’agit donc bien d’aider l’enseignant à mieux résoudre ses
problèmes. Cependant, ces défis prennent également sens au regard des nouvelles missions de
l’enseignement fraîchement explicitées et par rapport aux logiques à l’œuvre dans les politiques
scolaires effectives. Pour que l’école puisse faire face aux changements de l’environnement et
poursuive effectivement des objectifs d’équité et d’efficacité, il faut arriver à changer les
enseignants, les arracher à leurs routines passées pour qu’ils puissent adopter de nouvelles
pratiques dans la classe (évaluation formative, pédagogie constructiviste et différenciée, etc.) et
agir de façon plus concertée et plus collective au sein des établissements. Les réformes
ministérielles engagées depuis quelques années visent de plus à limiter sinon à résorber les
variations entre établissements (dénoncées comme particulièrement fortes en Belgique; Crahay,
1997), à renforcer une relative homogénéité d’exigences à travers tout le système scolaire (cf.
la mise au point d’outils comme les socles de compétences, les profils de formation qui
tendent à favoriser un curriculum commun), et à promouvoir une logique collective au sein
même des établissements (valorisation d’une logique de projet, concerté avec tous les membres
de la “communauté” éducative). Pour ce faire, une des stratégies explicites est d’arriver à ce que
les pratiques des enseignants soient moins disparates (en terme de niveau d’exigences et de
critères d’évaluation, par exemple au travers de la promotion de “batteries d’épreuves
étalonnées”), plus concertées, voire plus collectives. Un des problèmes à résoudre du point de
vue des gestionnaires du système et de leurs conseillers est donc la diversité actuelle des
pratiques enseignantes et l’isolement dans lequel travaillent les enseignants.
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Dans ce contexte, le souci de changer les pratiques enseignantes prend un tour
largement instrumental. La stratégie de conversion identitaire des enseignants semble une
mesure d’accompagnement des réformes, qui vise à rendre les pratiques enseignantes plus
homogènes et conformes aux buts visés, s’agissant par exemple de l’instauration d’une approche
par compétences dans tous les établissements ou de la promotion de la concertation entre les
enseignants. Il n’est dès lors pas étonnant que plusieurs décrets ministériels sur la formation
initiale d’abord et bientôt en matière de formation continuée soient considérés comme la suite
logique des réformes engagées dans les années ‘90
25
. La formation est une des voies de diffusion
des concepts, références et outils pédagogiques véhiculés par le décret Missions par exemple:
pédagogie constructiviste et différenciée, socles de compétences, batteries d’épreuve, etc.
26
De
même, certains pouvoirs organisateurs peuvent insister sur le fait que la formation continuée est
au service du projet d’établissement.
Précisons bien la portée de cette thèse: nous ne voulons pas dire que le modèle du
“praticien réflexif” est en lui-même instrumental et n’a aucune pertinence pratique pour les
enseignants. C’est bien le fait de la généralisation d’un discours de changement du métier, et
notamment le fait qu’il ait été repris par les autorités organisationnelles, qu’il faut comprendre à
la lumière des réformes par ailleurs en cours dans le système scolaire. On peut émettre
l’hypothèse que la généralisation ne se serait pas opérée si, par ailleurs, une intense activité
législative n’avait pas pour but de susciter davantage de convergence dans les pratiques
pédagogiques et le fonctionnement d’un système scolaire profondément décentralisé (Dupriez et
Zachary, 1998; Maroy et Dupriez, 2000 )
27
. L’analyse pourrait ici être utilement complétée en
examinant davantage la genèse sociale et intellectuelle du modèle du praticien réflexif et les
étapes de la diffusion de la rhétorique du changement du métier enseignant.
28
25
Décret du 12 décembre 2000 (Moniteur belge du 19.01.2001) « définissant la formation initiale des
instituteurs et régents »; décret du 8 février 2001 (Moniteur belge du 22.02.2001) « définissant la
formation initiale des agrégés de l’enseignement secondaire supérieur ». Deux avant-projets de décret sur la
formation continuée sont également en cours de discussion à ce jour (juin 2002).
26
Ainsi, la note ministérielle (2000) relative à l’actuelle réforme de la formation initiale des enseignants de
l’enseignement secondaire inférieur “prétend à la fois concrétiser les réformes du système éducatif et favoriser
l’apprentissage de tous les élèves” (p.1). Les deux récents décrets redéfinissant la formation initiale des régents
(2000) et agrégés (2001) font référence au décret Missions de 1997 (art.3), aux décrets sur les Socles de
compétences et les Compétences terminales (art.7).
27
Lang (1999) arrive pour la France à une conclusion fort proche de la nôtre : la politique de
“professionnalisation” actuellement promue par les décideurs éducatifs français (selon une conception
également proche du modèle du “praticien réflexif”) serait selon lui un moyen stratégique utilisé pour
moderniser l’institution scolaire, s’incrivant dans une politique de déconcentration et décentralisation des
pouvoirs, et dans une dynamique de responsabilisation des acteurs (pp.14-15 et p.238). Elle trouverait
également ses racines dans la déqualification relative des enseignants, dans la transformation des missions de
l’école (produire un enseignement de masse de “haut niveau” alliant efficacité et excellence) et dans la
reconnaissance d’un certain nombre de savoirs spécifiques à l’apprentissage.
28
Le modèle semble avoir été mis en forme autant par des universitaires que par ce qu’on pourrait appeler des
“intellectuels organiques”de mouvements pédagogiques, à l’interface entre le monde universitaire et les
praticiens (voir ainsi pour la Belgique les travaux de Grootaers ou Tilman, par ex. Grootaers, 1991); sa
diffusion originelle dans les années ‘80 semble limitée aux mouvements pédagogiques et ne s’être généralisée
que dans les dernières années.
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Avant de proposer quelques hypothèses sur la portée pragmatique d’une telle rhétorique
et de cette stratégie de transformation du métier d’enseignant en terme de
“(dé)professionnalisation” du métier d’enseignant, nous allons d’abord proposer quelques balises
théoriques nécessaires pour cerner les notions de profession et professionnalisation.
III. Profession, professionnalisation: de quoi parle-t-on ?
On retrouve dans la littérature sociologique plusieurs conceptions différentes de la
professionnalisation, qui se rattachent à des définitions différentes de la “profession”. Nous
allons brièvement présenter ces approches sociologiques, afin de fournir les principaux points de
repères théoriques nécessaires pour comprendre et resituer le débat actuel sur la (dé)
professionnalisation des enseignants.
29
Le plus souvent en effet dans ce débat, on ne considère
qu’une de ces approches – l’approche fonctionnaliste développée dans les années ‘50-‘60alors
qu’elle a été considérablement critiquée et relativisée par d’autres approches interactionniste,
marxiste et néowébérienne.
1. L'approche fonctionnaliste
Si l'analyse des activités professionnelles a toujours occupé une place centrale en
sociologie depuis ses débuts (Dubar, 1996, pp. 134-136), la sociologie des professions ne s'est
véritablement instituée qu'aux Etats-Unis au début du 20ème siècle, notamment avec le
développement des recherches fonctionnalistes sur les professions
30
. Celles-ci ont cherché à
construire une théorie du fonctionnement des groupes professionnels, à dégager les principes de
cohérence de l’ensemble des caractéristiques des professions les différenciant des "occupations",
et cela en analysant les "fonctions sociales objectivement remplies" par les professions étudiées
(Chapoulie, 1973, p.91). Les professions vont alors être perçues comme des "médiations entre les
besoins individuels et les nécessités fonctionnelles", contribuant à la régulation et au contrôle
permettant le bon fonctionnement de la société (Chapoulie, 1973, p.92)
31
. Des auteurs comme
29
Cette synthèse de la littérature se base essentiellement sur celles réalisées par Bourdoncle (1993),
Chapoulie (1973), Dubar (1996), Perrenoud (1993), Tripier (1998) et Vrancken (1998).
30
Moment où le “monde social ”va cesser d’être présenté comme modifiable par des moyens tels que la
négociation collective, le syndicalisme, l’activité politique, etc., pour être considéré comme contrôlable par
l’activité conjointe des spécialistes des sciences sociales, des agences gouvernementales et des entreprises
industrielles. C’est dans ce contexte que l’intérêt pour les associations professionnelles va croître. Aussi, la
sociologie des professions aux Etats-Unis sera à ses débuts fortement tributaire de la législation fédérale,
notamment de la promulgation du “Taft Hartley Act ”(1947) qui instaure une distinction entre organisation
syndicale et association professionnelle, contribuant de la sorte à une séparation claire entre les “
professions ”et les “ autres métiers ”. Pour une analyse historique et contextuelle de l'émergence et du
développement de la sociologie des professions, voir Dubar (1996, p.131-138).
31
Le fonctionnalisme postule, dans sa forme radicale, que les éléments d’une société forment un tout
indissociable, jouent un rôle vital dans le maintien de l’équilibre d’ensemble et sont donc indispensables. Le
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Parsons (1968), Wilenski (1964), ou Carr-Saunders et Wilson (1964) sont représentatifs de cette
approche.
Dans cette approche, les professions vont d'abord être caractérisées par leur position «
interstitielle » dans la structure sociale (Parsons), qui s’exprime par l’accomplissement des tâches
typiques de ces métiers dans « l’intérêt général » et le « désintéressement institutionnel » (plutôt
que l’intérêt personnel). En d’autres termes, les professions sont « neutres » vis-à-vis des
différentes classes sociales auxquelles elles offrent, au moins tendanciellement, les mêmes
services (Chapoulie, 1973, pp.91-92). Au nom de cet « intérêt général » qu’elles poursuivent et
grâce aux certifications scolaires et au caractère ésotérique des initiations leur donnant accès, les
professions ont alors le droit de se retirer des règles du marché parfait, et donc de créer des
barrières à l’entrée et de contrôler leur démographie interne.
Au-delà de la différenciation marginale des diverses définitions fonctionnalistes des
professions, Chapoulie (1973) a dégagé sept caractéristiques principales du "type idéal de la
profession", pour lesquelles il existe un très large accord parmi les auteurs fonctionnalistes. Ce
type-idéal des professions, les fonctionnalistes l’ont construit par abstraction des caractéristiques
« importantes » des professions établies, c'est-à-dire sur base des professions libérales
(principalement la médecine et les professions juridiques) qui leur ont servi de modèles.
Dans l'approche fonctionnaliste, les "professions" se distinguent ainsi essentiellement des
"occupations" non professionnelles par un monopole dans l’accomplissement des tâches
professionnelles reposant, d’une part, (1) sur une compétence techniquement et scientifiquement fondée,
une base de savoirs scientifiques et ésotériques, et, d’autre part, (2) sur l’acceptation et la mise en
pratique d’un code éthique réglant l’exercice de l’activité professionnelle. Le droit d’exercer suppose
(3) une formation professionnelle longue, délivrée dans des établissements spécialisés. (4) Le contrôle des
activités professionnelles est effectué par l’ensemble des collègues, considérés comme seuls compétents pour
effectuer un contrôle technique et éthique (contrôle de la pratique par les pairs et autonomie
dans l’exercice de la profession vis-à-vis de l’Etat ou de la clientèle). Les professions règlent donc
à la fois la formation professionnelle, l’entrée dans le métier et l’exercice de celui-ci. (5) Le contrôle
est généralement reconnu légalement et organisé sous des formes qui font l’objet d’un accord entre la
profession et les autorités légales. (6) Les professions constituent des communautés réelles dans la
mesure où, exerçant leur activité à plein temps, n’abandonnant leur métier qu’exceptionnellement
au cours de leur existence active, leurs membres partagent des « identités » et des intérêts spécifiques. Enfin,
(7) les professions appartiennent aux fractions supérieures des classes moyennes: le statut social, le revenu, le
prestige et le pouvoir des membres des professions sont élevés.
Seule apte à former et certifier ses membres, la profession – dans la perspective
fonctionnaliste apparaît ainsi comme un système fermé caractérisé par une identité, des limites et
un langage spécifiques. Par le contrôle exercé (notamment via son recrutement), la profession est
fonctionnalisme présuppose la stabilité et l’intégration des systèmes sociaux, et tend à ramener l’explication
des faits sociaux à la mise en évidence de leurs fonctions (les faits sociaux ne sont que par ce quoi ils
servent). Cf. Cuin (1993, p.104). Il suppose que toute chose ou action répond nécessairement à un besoin et
est indispensable au fonctionnement de la totalité du système général (ou de la société). Tout a un sens ou
une fonction, qui doit être reporté à l’ensemble du système plus général qui l’environne. Cf. De Coster (1996,
pp.64-71).
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un univers qui préserve son expertise face au monde "profane". C’est une activité savante,
intellectuelle (et non de nature routinière, mécanique ou répétitive), de nature altruiste (au
terme de laquelle un service précieux est rendu à la société, et par lequel le professionnel jouit en
retour d’un certain prestige social) et qui engage la responsabilité individuelle de celui qui
l’exerce. Le groupe qui exerce cette activité est régi par une forte organisation et une grande
cohésion interne (Perrenoud, 1993, p.59).
Les recherches fonctionnalistes se réduisent alors généralement à la comparaison entre les
descriptions de situations concrètes et ce modèle, le « type-idéal des professions» (Chapoulie,
1973, p.92). La «professionnalisation» étant définie comme le processus selon lequel un corps
de métier tend à s’organiser sur cet idéal-type du professionnel (Chapoulie, 1973, p.89).
L'approche fonctionnaliste des professions a longuement été critiquée, sur plusieurs de
ces aspects. Parmi les principales critiques, on peut d'abord évoquer celle qui remet en cause le
principe même de la démarche des études fonctionnalistes (s'interroger sur l’écart entre divers
corps de métier et le type-idéal) et le caractère opératoire de l'idéal-type des professions. Selon
Chapoulie (1973, pp.93-95), si l’on soumet cette description idéal-typique à des vérifications
empiriques, aucun métier ne s’approche de ce modèle (et l’inadéquation du modèle
fonctionnaliste pour décrire d’autres professions que la médecine -considérée comme modèle
type des professions-, est encore plus évidente). Ainsi, l'enseignement, dans une approche
fonctionnaliste, sera décrit comme une « semiprofession » (Huberman, 1993; Perrenoud, 1993)
et les enseignants comme un groupe professionnel qui n’est qu’une réalisation très imparfaite du
type-idéal des professions. Dans cette perspective, le groupe enseignant ne sera appréhendé que
par l’intermédiaire des caractéristiques typiques des professions établiesqu’il ne possède pas
(Chapoulie, 1973, pp.97-98).
L'approche fonctionnaliste néglige aussi l’examen des relations de pouvoir au sein de
chaque contexte professionnel: tout semble se dérouler en dehors des conflits et enjeux
internes (Vrancken, 1998, p.278). Enfin, la principale critique viendra des sociologues
interractionnistes dont nous allons maintenant présenter l'approche.
2. L’approche interactionniste
L'approche interactionniste récuse d'abord la possibilité d’une théorie générale des
professions (Chapoulie, 1973, p.88) et va plutôt s'attacher à étudier les groupes professionnels
comme "objets de la pratique quotidienne" (Chapoulie, 1973, p.99), en ne cherchant pas à fonder
théoriquement ce qui distingue les "professions" (soit les professions « libérales », terme français
qui se rapproche le plus du
t e
rm e a n g l a i s p r o
f
e s s i o n ) d e s "occupations" (activités
professionnelles en général), mais en s'efforcant plutôt à comprendre pourquoi une "occupation"
cherche à devenir une "profession".
En effet, pour les sociologues interactionnistes, les fonctionnalistes ont confondu le
symbole valorisé dans le langage ordinaire et le concept opérationnalisé. Pour Hughes, un des
plus éminents représentants de cette approche aux côtés de Becker et Strauss, le terme
"professionnel" doit être pris comme une catégorie de la vie quotidienne (un folk concept), qui
n'est pas un concept descriptif, mais qui implique avant tout un jugement de valeur et de
prestige (Dubar, 1996, p.142). Les interactionnistes vont dès lors adopter une définition
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nominaliste de la profession, conçue comme « n’importe quelle activité qu’une société donnée
considère comme une profession » (Schudson, 1980, cité par Bourdoncle, 1993, p.88). Le trait
central des professions n’est plus leur savoir de haut niveau ou leur altruisme (comme
l’affirmaient les fonctionnalistes), mais leur capacité à faire reconnaître par la société leurs prétentions
(Bourdoncle, 1993, p.89). Contrairement aux études fonctionnalistes, les recherches
interactionnistes vont alors prendre pour point de départ l’examen des relations sociales qui
définissent chaque groupe professionnel comme une unité de fait, produit d’une histoire
relativement contingente (Chapoulie, 1987, pp.179-180), en prônant une étude dynamique des
interactions entre les membres des groupes professionnels et leurs clients, leurs collègues et
d’autres groupes de travailleurs (Chapoulie, 1973, p.113). Ils vont aussi développer une approche
davantage centrée sur les « occupations », toutes les occupations et pas seulement les professions
libérales. Ils vont ainsi s’intéresser à des activités occupationnelles peu étudiées, voire a priori
insignifiantes, comme les boxeurs, les musiciens de jazz ou les pourvoyeurs de drogues
(Vrancken, 1998, p.279). Pour Hughes et ses disciples, le point de départ de toute analyse
sociologique du travail doit reposer sur un examen de la division du travail: on ne peut séparer
une activité professionnelle de l'ensemble de celles dans lesquelles elle s'insère et des procédures
de distribution sociale des activités. Ainsi, un "professionnel" est à la fois celui qui peut
déléguer des "sales boulots" à des tiers et ne garder que ce qui est lié à une satisfaction
symbolique et à une définition prestigieuse (Dubar, 1996, p.142). Ils vont alors s'attacher à
étudier les négociations entres les acteurs qui contribuent à redéfinir la division du travail entre
divers groupes (par exemple, entre les médecins et les infirmières).
Le processus de « professionnalisation » tel qu’il est défini par les interactionnistes
implique alors deux caractéristiques essentielles: (1) la « licence » (ou le diplôme), qui est la
permission, l'autorisation légale accordée aux individus exerçant un métier d’effectuer certaines
tâches que ne peuvent exercer des individus non reconnus; (2) et le « mandat », qui représente
l'obligation légale d'assurer une fontion spécifique. Ainsi, pour Hughes, tout ensemble de gens
qui s’adonne à une tâche particulière peut être considéré, de la part de l’Etat ou de la société,
comme ayant reçu la mission de l’accomplir. Les dépositaires de cette permission octroyée (la «
licence ») la transforment en vocation, en responsabilité collective (le « mandat »). Les « licenciés
» font comme si on leur avait confié une "mission" qu’ils seraient les seuls à pouvoir
accomplir, et forts de cette conviction, ils entament alors une action de « confiscation
monopoliste » (Dubar, 1996, pp.142-143; Tripier, 1998, p.55).
C’est donc quand un métier est apte à afficher son mandat vis-à-vis de la société, c’est-
à-dire à se voir reconnaître une compétence orientée vers l’ensemble de la société, qu’une
profession apparaît et est alors reconnue comme telle. Ainsi, pour Freidson (1984, p.195): « ce
qu’exprime le statut de profession, c’est que la société croit que tel métier présente les propriétés
susdites, et qu’elle croît en la dignité et à l’importance du travail qui s’y fait […] Le trait
pertinent pour la définition est le statut » (cité par Vrancken, 1998, p.282).
Pour mener à bien une telle activité, le "professionnel" ainsi pourvu d'un diplôme et d'un
mandat, doit également mettre en œuvre un « savoir coupable », une connaissance de l’interdit
ou de l’inavouable, qui caractérise une aspect essentiel de la relation entre le "professionnel" et
son client (Dubar, 1996, p.143). La manifestation la plus ordinaire de ce savoir coupable se
trouve dans le regard que le professionnel porte sur son client: un regard technique et distant,
utilisant un langage interne à la profession (Bourdoncle, 1993, p.89).
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Contraitement à l’approche fonctionnaliste, les interactionnsites vont aussi s’intéresser au
"marchandage" entre le client (qui reçoit un service) et le praticien (qui le procure). L’enjeu de
cette rencontre étant la légimitité même du professionnel tant le "profane" peut parfois s’estimer
victime de l’incompétence ou du manque d’attention de la part du professionnel (Vrancken,
1998, p.282).
Enfin, les interactionnistes vont montrer que les professions ne sont pas un lieu
d’émergence de valeurs unanimes, ne forment pas une "communauté" homogène comme le
prétendaient les fonctionnalistes, mais qu’au contraire les professions apparaissent plutôt comme
un enchevêtrement de « segments professionnels », porteurs d'activités, d'intérêts et d'identités
différents et pouvant être en compétition les uns avec les autres (Vrancken, 1998, p.282). C'est
un monde où règne la concurrence mais où l’important est que les professionnels persuadent
le monde extérieur qu'ils partagent les mêmes intérêts (Tripier, 1998, p.56).
Selon Bourdoncle (1993, pp.89-90), malgré leur relativisme et leur démystification, les
interractionnistes n'ont toutefois pas réellement réussi à donner une vision différente des
professions, restant centrés sur les praticiens individuels et leurs interactions personnelles, sans
prendre en compte l'ensemble du groupe et notamment les structures de pouvoir plus larges.
3. Les approches marxiste et néo-wébérienne des professions
A partir des années '60, des approches plus conflictualistes et politiques vont faire
évoluer les théories fonctionnalistes et interactionniste des professions. En particulier, deux
courants vont aborder les professions en s’intéressant à l’ensemble du groupe, aux structures de
pouvoir plus larges et aux processus historiques à l’œuvre dans la société globale: le courant
marxiste plutôt centré sur les rapports sociaux de production et le courant néo-webérien plus
orienté sur les phénomènes de marché (Bourdoncle, 1993, pp.90-94). Leurs thèses vont tourner
autour de la question du pouvoir des professions. Comme les interactionnistes, ils admettent que
ce qui fait une profession, c’est la reconnaissance sociale que lui confère la société. Pour eux
cependant, cette reconnaissance est due non au hasard d’une faveur sociale, mais à un processus
politique de contrôle du marché et des conditions de travail, acquis par un groupe social à un moment
historique déterminé. La professionnalisation n’est plus alors considérée comme un processus
historique d’approfondissement du savoir et du contenu moral d’une activité, mais comme un
processus politique de renforcement de son contrôle par elle-même (Johnson, 1972).
Le courant marxiste
Les fonctionnalistes prétendaient que les professions échappaient à la "lutte de classe" et
étaient neutres du point de vue de la structure de classes. C’est bien ce qu’avance Parsons
lorsqu’il cherche à définir les professionnels: «Les professionnels ne sont ni «capitalistes» ni
«ouvriers», ils ne sont pas non plus typiquement des administrateurs gouvernementaux, ni des
bureaucrates. Ils ne sont certainement pas des petits propriétaires, paysans indépendants ou
des membres des groupes de petits propriétaires urbains» (Parsons, 1968, cité par Benguigui,
1972, p.112). Comme l’avance Benguigui, aucune définition positive n’est donnée au-delà de
cette énumération négative, de sorte que les professionnels sont en quelque sorte « au-dessus
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des classes sociales » et considérés comme contribuant à la stabilité sociale et idéologique de la
société. Les auteurs marxistes vont à l’opposé montrer leur "nature de classe" et situer
l’évolution des professions dans le cadre des formes historiques d’évolution du capitalisme.
Pour eux, loin de se transformer en une nouvelle classe gouvernante, les professionnels sont de
plus en plus des salariés, de plus en plus soumis au contrôle et au pouvoir d’autrui. Ils sont ainsi
proches des autres travailleurs et astreints au même processus de subordination. Comme les
autres travailleurs salariés, ils sont en train de perdre le contrôle sur la production de leur savoir,
sur le processus de travail, et / ou sur les finalités de leur travail; bref, ils sont de plus en plus «
prolétarisés » (Bourdoncle, 1993, pp.93-94). Larson (1977), par exemple, va montrer qu'au lieu
d'être éloignées des conflits de classe comme le prétendait Parsons, les professions reflètent
étroitement la structure de classe de la société occidentale et son évolution d’un état
précapitaliste à un capitalisme monopolistique. L’organisation de l’économie et de la société
autour du marché à partir de la fin de 18ème siècle a ainsi amené les professions à asseoir leurs
privilèges d’exercice non sur un privilège de naissance, mais sur un contrôle du marché: on y
accédait désormais par l’éducation (le diplôme) et le mérite; les universités et autres lieux de
production des savoirs devinrent dès lors les lieux centraux de diffusion du modèle
professionnel. A partir du 19ème siècle, avec la mise en place de puissantes associations
professionnelles, vint « l’âge d’or » des professions libérales, dont les fonctionnalistes firent le
type-idéal des professions, oubliant que ce n’était là qu’une forme d’organisation passagère. En
effet, l’apparition d’entreprises géantes, d’Etats multicompétents et de services nombreux et
puissants, bref le développement de ce que les auteurs marxistes ont nommé le «capitalisme
monopolistique», a provoqué une forte salarisation de l’emploi professionnel. Leur activité
s’accomplit désormais dans le cadre de structures hiérarchiques et fonctionnelles des grandes
organisations, leur contrôle du marché et leur autonomie professionnelle perdent une grande
partie de leur signification. Si les professions salariées conservent un certain prestige, une
rétribution et un contrôle de l’emploi spécifiques, selon la théorie marxiste, ce ne sont là que
des formes résiduelles qui risquent de disparaître sous l’effet des "forces capitalistes" qui vont
finir par contrôler et rationaliser tout travail, déposséder les professionnels de leur savoir,
supprimer leur autonomie et leur qualification, bref les «prolétariser» (Bourdoncle, 1993, pp.92-
93).
Parmi les auteurs marxistes qui ont pris comme objet d'étude les enseignants, on peut
citer Bowles et Gentis (1971) qui ont relevé plusieurs indices de leur "prolétarisation": le recours
dans les établissements scolaires des techniques de gestion scientifique des entreprises, comme
l’intervention d’experts extérieurs pour "rationnaliser" les programmes, l’évaluation, l’orientation
des méthodes d’enseignement. D’autres auteurs, comme par exemple Apple (1980, 1983), vont
accumuler les signes de cette prolétarisation. Apple va ainsi montrer que la nature du travail
enseignant devient plus étroitement contrôlée et les programmes plus précisément définis (en
termes d’objectifs comportementaux à atteindre, de stratégies d’enseignement à suivre, de
réponses attendues des éléves). L’expertise pédagogique que l’enseignant met en œuvre dans sa
classe a été capté par les experts pédagogiques et les spécialistes ministériels en matière de
programme et d’évaluation. Enfin, les auteurs marxistes mettent également l'accent sur
l’accroissement du travail, son intensification: classes plus chargées, tâches supplémentaires
(administration, surveillance, etc.) (Cf. Bourdoncle, 1993, pp.99-100).
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Le courant néo-webérien
Les auteurs webériens vont partir de la notion de « fermeture sociale » empruntée à
Weber, qui désigne le « processus par lequel une catégorie sociale donnée tend à réguler en sa
faveur les conditions du marché face à la compétition actuelle ou potentielle des prétendants, en
limitant l’obtention des conditions favorables à un groupe restreint d’éligibles » (Sacks, 1983, cité
par Dubar, 1996, p.162). La professionnalisation est alors définie comme un type particulier de
fermeture à base de diplômes qui consiste en « une stratégie destinée, entre autres, à limiter et
contrôler le flot des entrants dans une profession, pour préserver ou augmenter sa valeur
marchande » (Parkin, 1979, cité par Bourdoncle, 1993, p.91). Les "professionnels" sont ainsi
ceux qui sont parvenus à organiser l'acquisition et la légitimité de leur compétence (…) sur la
base des titres officiels détenus par eux" (Larson, 1977, cité par Dubar, 1996, p.162).
Ils reprennent également la notion webérienne de « groupe de statut », défini comme
l’ensemble des personnes construisant par leurs échanges et leur formation une conception
commune de leur identité, de leurs buts et de leur honneur. Les groupes professionnels qui
arrivent à contrôler le marché sont alors appelés « professions ». Les plus anciennes se
transforment en groupe statutaire en masquant leur travail politique de contrôle pour mettre en
avant l’honneur et la morale de leurs membres (Bourdoncle, 1993, p.91).
On peut rattacher à ce courant Freidson, qui analyse la profession « comme une forme
d’organisation d’une activité professionnelle qui assure à ses membres un monopole de cette
activité et une place dans la division du travail qui les affranchit de l'autorité d’autres sur leur
travail » (Freidson, 1994, p.115, notre traduction). La professionnalisation est alors définie
comme le processus par lequel un groupe professionnel va construire son autonomie politique et
un monopole d’exercice sur une palette de tâches déterminées grâce à la maîtrise de certains savoirs
et savoir-faire reconnus comme nécessaires à l’exercice de ces tâches et au caractère insubstituable
de ces compétences (la compétence est en ce sens la liaison existante entre une série de tâches
–la production d’un bien ou serviceet un ensemble de savoirs ou savoir faire jugés
indispensable à l’exercice de ces tâches). La stratégie adoptée par les groupes professionnels dans
ce sens suppose toute une série de luttes gagnantes vis à vis d’autres professions concurrentes,
vis-à-vis du contrôle de leurs activités par leurs « clients » ou surtout vis à vis de l’Etat (ou des
employeurs) qui sanctionneront ou non leur « compétence » exclusive dans l’exercice de
certaines activités professionnelles.
L'autonomie politique du groupe professionnel n'est pas nécessairement fondée sur des
savoirs efficaces; elle peut parfois précéder le développement d’un savoir qui par la suite devient
de plus en plus efficace et probant dans la production de tel service (cas de la médecine)
(Freidson, 1970). A l’inverse, la possession d’un savoir efficace n’implique pas nécessairement
l’autonomie professionnelle, même si il peut y contribuer.
Dans cette perspective, un groupe professionnel se définit donc principalement par le fait
qu’il a réussi à établir un pouvoir collectif sur la définition des conditions de son activité: (1) sur les
modalités d’accès et de formation au métier (contrôle de la formation et des conditions d’accès
au métier), (2) sur les termes de l’échange relatifs au service rendu (salaires, conditions d’exercice,
etc.), et (3) sur le contenu du travail, considéré comme valable (définition des tâches du ressort
exclusif de la profession, définition des frontières entre la profession et les autres, de la
compétence nécessaire à l’exercice de ces tâches, etc.). La stratégie de professionnalisation ne se
limite donc pas, comme dans l'approche fonctionnaliste, à une augmentation des compétences et
C Maroy et B. Cattonar: Professionnaisation ou Déprofessionnalisation [RASE vol. 5, núm. 3: 394-423]
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de la formation des membres individuellement. Elle suppose aussi la présence d’un « pouvoir
organisé par les travailleurs euxmêmes pour contrôler les termes, les conditions et le contenu du
travail, - ce que Johnson (1972, p.45) appelle un contrôle collégial ou ‘professionalisme’ »
(Freidson, 1994, p 114, notre traduction). Des conceptions proches ont été reprises dans la
littérature francophone par Paradeise avec la notion de marché du travail fermé (Paradeise,
1988) et dans le champ de l’éducation par Lang (1999) ou Tardif et Lessard (1999).
Ainsi, pour Lang (1999), l’autonomie du groupe professionnel n’est pas la conséquence
d’une compétence rare et d’une polarisation sur le service rendu (comme le prétendaient les
fonctionnalistes); ces deux arguments sont plutôt utilisés de la part de la profession pour
"justifier après-coup" leur autonomie déjà acquise ou simulée, qu'elle cherche à étendre ou à
protéger (Lang, 1999, p.42). En outre, l'autonomie de facto ne suffit pas, le groupe
professionnel doit être reconnu comme étant seul capable de produire des savoirs fiables, pertinents et
légitimes (Lang, 1999, pp.42-43). Pour Lang, c'est surtout la reconnaissance d’une autonomie qui
caractérise les professions: reconnaissance de (1) l'autonomie concernant la teneur de l’exercice
professionnel, la profession ayant seule la compétence et la légitimité de définir ses actes
professionnels; (2) de l'autonomie dans l’organisation sociale du travail: définition des conditions
de travail acceptables, des conditions d’accès, de l’habilitation à l’exerice, etc. (Lang, 1999, p.43).
Suite à Freidson (1994) et Lang (1999), nous retiendrons cette définition de la
professionnalisation comme la conquête par un groupe professionnel d’un espace d’autonomie professionnelle
reconnu comme tel par l’Etat, les usagers, les autres professions. Cette conquête va alors de pair avec un
sentiment d’existence subjective comme groupe, avec une capacité d’intervention externe plus ou
moins fort.
IV. Professionnalisation, déprofessionnalisation ou complexification des
modes de contrôle du travail enseignant ?
Au regard de la sociologie des professions, la volonté actuelle de transformation du
métier d’enseignant, la rhétorique de professionnalisation qui la soutient, mais aussi les
évolutions récentes du système éducatif paraissent engager des évolutions apparemment
“contradictoires”, à la fois “professionnalisantes” et “déprofessionnalisantes”. Ces tendances
contradictoires pourraient cependant trouver sens si on émet l’hypothèse d’une spécialisation et
d’une division verticale du travail accrue au sein du groupe professionnel entre d’une part les enseignants de
base et d’autre part des élites professionnelle et gestionnaire dont le pouvoir et le contrôle sur les
premiers s’accentuent. On assisterait en fait au renforcement des pouvoirs d’une élite
administrative dans le système scolaire (depuis les directions d’école jusqu’au administrateurs
centraux du système), doublée du renforcement d’une élite intellectuelle qui se voit de plus en
plus confier la tâche de penser le travail enseignant, et surtout d’accompagner la conversion et la
formation des enseignants au nouveau modèle de professionnalité. On serait ainsi en présence
d'une complexification de la division du travail au sein du corps enseignant, complexification qui
passe par le développement du poids des spécialistes universitaires de sciences de l’éducation et
l’apparition de nouveaux “métiers” (comme les enseignants chargés de l'accompagnement
pédagogique de leurs collègues) dont le rôle dans la modélisation du travail des enseignants de
base s’accentue, non sans résistance d’ailleurs. En définitive, on assisterait avec la profession
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enseignante, à un cas particulier d’une tendance plus large à la formalisation accrue des modes de
contrôle au sein des groupes professionnels (Freidson, 1994). C'est ce que nous allons à présent
développer.
1. Dynamique professionnalisante ou déprofessionnalisante: ambiguïtés de la
rhétorique sur la transformation du métier d’enseignant
La redéfinition du métier enseignant proposée aujourd’hui en Communauté française par
les différents acteurs éducatifs est relativement peu thématisée da n s le ur s d is co ur s en
t
e r m
e d e “professionnalisation”. Seuls les “experts” en Sciences de l’Education et les autorités
éducatives portent un projet explicite de “professionnalisation des enseignants”, qui fait
référence au modèle fonctionnaliste anglo-saxon de la profession alors que les autres acteurs
parlent simplement en terme de “transformation du métier”.
32
Ainsi, les “experts” définissent l’enseignant “professionnel” comme un praticien qui a
acquis par de longues études le statut et la capacité à réaliser en situation complexe et en
autonomie des actes intellectuels non routiniers engageant sa responsabilité individuelle, adaptés
aux objectifs poursuivis et à des exigences éthiques. Son activité est “altruiste”, il rend un
“service précieux” à la société. Enfin, les enseignants professionnels sont structurés en un
organisme officiel gérant la formation, développant le savoir, veillant au respect d’un code
éthique et contrôlant les conditions d’accès à la profession.
33
Les autorités éducatives en CFB se réfèrent également à une conception fonctionnaliste
– moins complète - de la profession. Ainsi, l'actuelle réforme de la formation initiale des
enseignants de l’enseignement secondaire inférieur et supérieur cherche explicitement à
“accroître la dimension professionnelle des enseignants en augmentant leurs compétences, en
permettant de construire une identité professionnelle et amenant la société à les reconnaître
comme des professionnels compétents” (note minisérielle, p.2). “Parler de professionnalisation
de leur métier, c’est donc reconnaître aux enseignants (comme on le fait pour les médecins,
ingénieurs ou les juristes) une expertise et des compétences spécifiques, une autonomie
professionnelle et une responsabilité individuelle et collective” (“Devenir enseignant”, p.13). Le
projet vise aussi la prise de conscience des enjeux éthiques de la profession (art.3. des décrets), la
construction d’un code éthique (circulaire concernant la formation initiale des régents, juin 2001,
p.12), le développement d’un contrôle mutuel entre pairs et l’institutionnalisation d’un “serment
de Socrate” qui doit être prononcé publiquement au terme des études au cours d'une cérémonie
publique organisée dans l'institution de formation, par lequel les enseignants “s’engagent à mettre
toutes leurs forces et toute leur compétence au service de l’éducation de tous les élèves qui leur
seront confiés. La mention de cet engagement est apposée sur leur diplôme” (art.14 des décrets).
32
Cependant, comme nous l’avons vu à la section I, les différents acteurs partagent en définitive largement le
même modèle de professionnalité enseignante et proposent une même stratégie de changement du métier
passant par la formation.
33
Cependant, comme nous le verrons, si les “experts” font explicitement référence à une définition
fonctionnaliste relativement complète, leurs propositions concrètes deprofessionnalisation du métier
d’enseignant sont loin d’encouvrir toutes les dimensions.
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Ces discours sur la professionnalisation ou le changement du métier enseignant, au
regard des évolutions et des politiques éducatives effectives, sont-ils réellement porteurs d’une
dynamique de professionnalisation des enseignants, si l’on reprend à Freidson la conception néo-
wéberienne de ce processus ? Autrement dit, la rhétorique sur la transformation du métier
d’enseignant peut-elle véritablement contribuer à favoriser un processus de professionnalisation,
alors que, comme on l’a souligné, elle s’inscrit dans une logique relativement instrumentale
d’accompagnement des réformes ?
2. Une dynamique de professionnalisation ?
Si l’on se réferre à la conception néowébérienne, on peut avancer que la dimension
professionnalisante de la rhétorique du changement du métier des enseignants autour du modèle
du praticien réflexif est assez réduite.
Certes, la redéfinition du métier proposée s’efforce d’être revalorisante puisqu’elle en fait
des “acteurs autonomes” et qu’elle reconnaît la complexité et la multidimensionnalité de leur
travail: l’enseignant ne peut plus être un simple “exécutant” (le programme, les méthodes, etc.),
être “l’ouvrier à la chaîne qui distribue des morceaux de connaissances”, il doit “devenir
didacticien, épistémologue, chercheur, médiateur, formateur”. Le projet de transformation du
métier d’enseignant porté par les différents acteurs engage ainsi le développement et la
reconnaissance d’une certaine expertise et autonomie professionnelles. Toutefois, la conception
de l’autonomie qui est valorisée dans les discours est relativement restreinte et
“individualisante”. L’autonomie de l’enseignant réflexif est en effet envisagée, non pas comme
une autonomie collective de la profession qui garantirait une autonomie de l’enseignant vis-à-vis
“des autorités scolaires” ou des “experts” qui lui dicteraient ses manières de faire, ou vis-à-vis de
la “clientèle” (comme les parents d’élèves). L’enseignant doit plutôt faire preuve d’une
“autonomie envers lui-même”, par rapport à tout ce qui pourrait l’influencer de manière
“inconsciente” ou incontrôlée: par exemple par rapport aux savoirs acquis lors de sa
formation qu’il ne doit pas appliquer mécaniquement comme des “recettes extérieures et
préétablies”, ou par rapport à ses propres conceptions et son “habitus”. L’autonomie n’est pas
pensée ici enterme “d’émancipation par rapport à un pouvoir”
34
. L’enseignant est autonome
uniquement dans le sens où il est capable d’autoréguler son action et de guider, seul, son propre
apprentissage par une analyse critique de ses pratiques et des résultats de celles-ci. On pourrait
néanmoins dire qu’il s’agit indirectement et implicitement d’une autonomie par rapport au
pouvoir “symbolique” des experts et des savoirs “externes” issus de la Science de l'Education.
L’autonomie valorisée par les discours est de plus ambiguë et potentiellement génératrice
d’injonctions paradoxales. Tout d’abord, les enseignants sont invités à être autonomes selon une
voie définie de façon principalement hétéronome (par des acteurs non enseignants, et en
particulier par les chercheurs en Sciences de l’Education qui diffusent le modèle du “praticien
34
D’autant plus qu’il s’agit d’une autonomie laissée à l’enseignant quant à la manière d’enseigner, mais
pas quant aux contenus et aux objectifs élaborés par les pouvoirs publics. En outre, cette autonomie quant à la
méthode pédagogique est finalement assez limitée, puisqu’en même temps on l’enjoint fortement de mener une
pédagogie de type constructiviste et différenciée.
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réflexif”). Ensuite, cette promotion de l’autonomie intervient dans un contexte où par ailleurs,
comme on l’a vu, plusieurs réformes promeuvent un usage plus homogène d’outils pédagogiques
standards et tendent à cadrer davantage les pratiques enseignantes. Les enseignants pourraient
être alors confrontés au paradoxe suivant: soit ils acceptent les notions et outils que les
réformes leur suggèrent (ou leur imposent) d’utiliser ou les savoirs scientifiques venant des
psychopédagogues, et ils risquent alors de se vivre comme peu autonomes; soit ils affirment leur
autonomie en référence au modèle du praticien réflexif mais ils risquent alors d’être en défaut
s’ils s’affranchissent des outils qu’on leur suggère par ailleurs d’utiliser. Dans les deux cas, les
enseignants risquent de se retrouver “en défaut” vis-à-vis des autorités organisationnelles qui
construisent les politiques scolaires ou vis-à-vis des “experts”. Le rapport d’autorité symbolique
(dans le cas des experts), organisationnel (dans le cas des autorités scolaires) ou mixte (dans le
cas des personnels de “conseil pédagogique” organisationnellement mandatés) crée donc les
conditions pour que, dans le contexte d’un encadrement plus important des pratiques
enseignantes et indépendamment des (bonnes) intentions de ses promoteurs, la valorisation du
modèle du praticien réflexif engendre auprès des enseignants des situations typiques du “double
bind” thématisé par Bateson.
Or, on peut considérer que l’autonomie et le pouvoir sont de s élém en
t
s esse n
t
iels de
la “professionnalisation” si on l’envisage dans une perspective néowébérienne. C’est une thèse
que développe Lang (1999), en s’inspirant de Freidson: pour Lang, l’autonomie (et sa
reconnaissance) doit être perçue, non pas comme la conséquence, mais comme une condition
fondamentale de la construction d’une professionnalité spécifique et de la reconnaissance sociale
du groupe professionnel. La constitution de l’autonomie, se traduisant par un contrôle du groupe
enseignant sur son activité, est selon lui l’un des principaux enjeux de la professionnalisation:
non exécutant de procédures élaborées ailleurs et sujet du processus de professionnalisation, le
groupe doit affirmer son expertise, son propre contrôle de l'espace de professionnalité (Lang,
1999, p.37). Il faut en outre que cette autonomie soit reconnue délibérément, recouvrant “le droit
exclusif de décider qui est autorisé à accomplir le travail et comment celuii doit l’être”
(Freidson, cité par Lang, 1999, p.38). Ce doit être une autonomie de droit, légitimée et organisée.
Peut-on alors conclure que la tendance à la professionnalisation est fort réduite ?
Apparemment. La stratégie de transformation du métier souhaitée par les différents acteurs
passe en effet sous silence de nom br e u s e s dim e n si o n s po
te n t
ie ll e m ent
“professionnalisantes”. En particulier, la question du pouvoir est largement occultée dans la
plupart des discours analysés. On ne cherche pas à augmenter l’autonomie des enseignants, leur
contrôle sur l'exercice professionnel. Si la pratique collégiale est fortement valorisée, les thèmes
de l’organisation autonome des professionnels sur le plan du contrôle mutuel entre pairs, sur le
plan de la définition de la formation initiale et continuée par les enseignants euxmêmes, ou
encore plus largement sur le plan de la défense collective des intérêts de la profession auprès de
l’Etat ou d’autres professions sont pratiquement absents. De manière générale, l’approche du
métier développée par les différents acteurs (hormis les syndicats) est “individualisante”,
évacuant sa dimension collective. On peut dès lors se demander si la référence à la rhétorique de
la professionnalisation – adoptée non pas par les enseignants eux-mêmes mais par des autorités
politiques, administratives et universitairesne joue pas un rôle surtout idéologique, visant à
“revaloriser”, aux yeux des enseignants euxmêmes et de l’opinion publique, une situation
objective qui n’évolue pas véritablement en terme de professionnalisation.
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3. Des indices de déprofessionnalisation
On pourrait même aller plus loin et plaider que la déprofessionnalisation gagne si on
entend par là que d’autres acteurs voient leur droit de regard sur le travail des enseignants
augmenter. Ne peut-on dire en effet que la baisse de statut et de prestige de la profession
enseignante que de nombreux auteurs attribuent à l’élévation générale des niveaux scolaires au
sein de la population (Lang, 1999; Tardif et Lessard, 1999) et la perte de confiance dans l’
“orientation de service” à la société manifestée par les enseignantsest en effet renforcée et
entérinée en Belgique francophone par les évolutions législatives déjà évoquées? Par exemple,
par l’introduction des préoccupations et des logiques des parents dans le fonctionnement des
écoles via l’apparition des conseils de participation où ils sont représentés. La possibilité pour les
parents de déposer des recours face aux décisions d’orientations des conseils de classe
n’introduit-elle pas un doute supplémentaire quant aux capacités professionnelles des
enseignants, et ne diminue-t-elle pas de fait l’autonomie professionnelle des enseignants (ne fut-
ce que par les conduites préventives adoptées par les enseignants pour éviter les éventuels
recours) ?
Par ailleurs, l’élévation souhaitée du niveau de formation promue par la rhétorique
analysée renvoie principalement à la dimension de technicité dans l’exercice du métier (passant
par la revalorisation de la formation; cf. la brochure “Devenir enseignant”), et bien moins à la
valorisation d’une image et/ou d’un statut social. Cette valorisation sociale pourrait
également se faire par la valorisation du service rendu par la profession, au service d’autrui et de
la communauté. Hormis les syndicats (et certaines “fédérations de pouvoirs organisateurs”
comme le SEGEC), le discours déployé ne se centre pas sur la revendication d’une
amélioration collective du statut social de l’activité enseignante, elle ne cherche pas
(explicitement) à faire reconnaître à la hausse la valeur du service que rendent les enseignants
35
.
Enfin, si l’on regarde la conception de la professionnalité qui est valorisée dans les
discours et la situation des enseignants dans le contexte actuel du système éducatif, les
enseignants semblent relativement loin d’être autonomes. Si l’on peut concevoir qu’ils jouissent
d’une relative autonomie en classe (autonomie relative d’exécution et degré réduit de codification
des tâches), les enseignants, en tant que groupe professionnel, ne paraissent pas bénéficier d’une grande autonomie
en ce qui concerne la teneur de leur travail: les savoirs disciplinaires et curriculaires restent normés et
légitimés de l’extérieur, et si avec la promotion du modèle du praticien réflexif on leur
reconnaît une certaine compétence et légitimité dans la définition de leurs actes professionnels,
la voie dans laquelle ils doivent les construire reste conçue et légitimée de l’extérieur
36
. Les
35
Cependant, au cours de l’année 2001, le thème de la “pénurie des enseignants” est apparu en Communauté
française de Belgique. La dévalorisation du statut et du salaire des enseignants sont des aspects fréquemment
évoqués pour l’expliquer ; symétriquement, la revalorisation de la condition enseignante apparaît de plus en
plus thématisée dans le débat public. Pour rappel, l’essentiel de l’analyse de discours sur laquelle repose la
section I porte sur des discours antérieurs à 1999 (voir, pour plus de détails, Cattonar et Maroy, 2000).
36
L'extériorité des enseignants face à ces savoirs est l’un des principaux obstacles qu’identifie Bourdoncle
(1993, pp.105-111) à leur professionnalisation. A ce propos, on peut relever que l'actuel projet de réforme
de la formation initiale des enseignants de l'enseignement secondaire inférieur (2000) dit explicitement s'être
appuyé sur des enseignants des départements pédagogiques des hautes écoles, des chercheurs en éducation,
des partenaires du monde associatif, médiateurs, travailleurs sociaux collaborant avec les écoles et enfin des
"jeunes diplômés impliqués depuis peu de temps dans le métier" (note ministérielle, p.1): c'està-dire des non-
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récentes réformes touchant le curriculum (davantage centralisé et redéfini sur base d’une
approche par compétences) et les pratiques d’évaluation (avec la diffusion des “batteries
d’épreuve étalonnées”), qui sont davantages prescrits et échappent désormais en partie aux
enseignants en exercice pour devenir le produit d’acteurs externes, limitent la sphère d’activité
traditionnellement reconnue au groupe. On pourrait parler d’une certaine “déqualification”
(Lessard, 1999, p.5). Certes, pour le moment, ce sont des outils de référence présentés comme
des aides, qui ne sont pas imposés, mais ils peuvent déjà servir comme références dans les
recours déposés par les usagers contre les décisions des conseils de classe. Les standards de
compétence et “épreuves d’évaluation” de référence servent aussi d’ores et déjà dans le travail
“d’accompagnement pédagogique” des réformes que plusieurs réseaux d’enseignement ont mis
en place. On pourrait dire que le “mandat” des enseignants au sens interactionniste est mis à
mal.
4. Complexification de la division du travail et formalisation du contrôle dans le
champ de l’enseignement
En définitive, si dans une perspective néowebérienne, on définit la professionnalisation
comme la conquête par un groupe d’un espace d’autonomie reconnu comme tel (Lang, 1999,
p.47), alors les enseignants belges ne sont pas en voie de professionnalisation. Ils ne le sont pas
plus, si, suivant une définition fonctionnaliste, on l'envisage comme l’accès à un modèle
professionnel idéal préétabli, ou encore suivant une définition interactionniste, on l'envisage
comme l'accès à une reconnaissance sociale.
Toutefois, au-delà de ces tendances, on pourrait faire l’hypothèse que le champ des
“professionnels de l’éducation” voit moins son autonomie se réduire que sa division du travail
interne se complexifier et se formaliser.A l’échelle de l’ensemble des professionnels de l’éducation,
plus large donc que les enseignants, on pourrait avancer que le phénomène le plus important
est l’accentuation de la division sociale du travail dans la profession entre divers segments voués
à la gestion et l’administration, à la recherchedéveloppement et enfin à la pratique de terrain.
Corrélativement, il y aurait une formalisation accrue de nouveaux modes de contrôle, qui
tendent à accentuer les distances sociales et techniques entre les diverses catégories de
professionnels du champ éducatif, au point qu’on pourrait se demander s’ils ont finalement
encore des points communs.
En effet, les tendances précitées à la perte d’autonomie des enseignants de base sont
notamment liées au développement de divers outils de référence (comme les socles de
compétence, les batteries d’épreuve étalonnées, etc.). Ceux-ci sont les produits d’une
“technostructure” pédagogique composée d’experts en sciences de l’éducation ou d’anciens
enseignants, situés tantôt dans les universités, tantôt dans des rôles de “conseil” ou de “staff”
auprès des autorités administratives des établissements scolaires. Leur rôle est notamment de
enseignants (hormis les jeunes diplômés). La brochure "Devenir enseignant" est ainsi parsemée de multiples
références à des chercheurs en Sciencesde l’éducation.
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développer des “outils”, des “programmes” ou des “projets” pédagogiques à relayer par la suite
dans les établissements scolaires. De plus, de nouveaux agents de supervision, d’encadrement,
de conseil, ou de soutien (qui ont des fonctions et des dénominations diverses comme chargés
de mission pédagogiques, inspecteurs, formateurs de formation continuée etc) se développent,
certes de façon inégale selon les réseaux et secteurs de l’enseignement. Ces agents sont le plus
souvent des enseignants détachés partiellement ou totalement de leurs tâches d’enseignement
dont le rôle général est d’améliorer la « qualité » du travail d’enseignement, par un encadrement
de proximité du travail des enseignants et/ou des établissements. Ainsi récemment, ils ont été
chargés d’accompagner la mise en place des réformes ministérielles, en travaillant de concert
avec les équipes éducatives de terrain (par exemple, pour la mise en place d’un curriculum basé
sur les compétences).
On pourrait donc, dans la foulée de Freidson, parler d’une knowledge elite (Freidson, 1994,
p.142), soit d’une élite intellectuelle ou techno-pédagogique au sein de la profession, qui n’est sans doute
pas neuve, mais qui tend au cours de la dernière décennie à s’étoffer considérablement. Leur rôle
devient aussi plus formalisé et leur existence de plus en plus institutionnalisée en relation avec
les experts universitaires qui préexistent de longue date. Ainsi par exemple, en vertu des
réformes récentes, les enseignants des écoles normales, chargés de la formation initiale et de plus
en plus de la formation continue, doivent devenir comme leurs collègues des universités, des
“enseignants-chercheurs”. De plus, dans la foulée des dernières réformes, plusieurs pouvoirs
organisateurs dans l’enseignement libre catholique ont décidé de mettre une partie de leurs
moyens financiers en commun pour développer ces nouveaux agents de développement
pédagogique. La récente réforme de la formation initiale propose également un « nouvel acteur
pédagogique », les « maîtres de formation pratique »: des enseignants engagés à mi-temps dans
l’institution de formation, intervenant dans le cadre des « ateliers de formation professionnelle »,
non par pour enseigner, mais « témoigner d’une pratique professionnelle », en collaboration
avec les professeurs de psychopédagogie ou de discipline des écoles supérieures (circulaire
concernant la nouvelle formation des régents, p.6). Les relations entre les experts universitaires,
ces agents issus du corps enseignant, et les enseignants eux-mêmes resteraient à explorer en
détail, mais on peut d’ores et déjà remarquer que les enseignants les perçoivent de façon
ambivalente, simultanément comme des soutiens potentiels dans l’exercice de leur tâches, mais
aussi comme des vecteurs d’une standardisation et d’une formalisation de leurs pratiques
pédagogiques.
A côté de cette élite techno-pédagogique, il faut enfin remarquer le renforcement
considérable d’une élite administrative (administrative elite, Freidson, 1994, p.142) qui elle aussi
existe de longue date. Cependant, on peut également avancer que ses prérogatives, sa formation,
ses compétences tendent progressivement à se formaliser et leur pouvoir se renforcer. Ainsi, en
vertu du décret Missions déjà évoqué, des “instances de coordination des pouvoirs
organisateurs” sont désormais reconnues et subventionnées dans un cadre légal. Ces instances
n’exercent en théorie d’autre rôle que délégués par leurs entités constituantes; néanmoins, elles
sont amenées à secréter non seulement une expertise pédagogique et administrative sur le
fonctionnement du champ scolaire, mais aussi à assumer un rôle central dans la négociation avec
les autorités publiques. Leur pouvoir de fait se développe ainsi de façon considérable. Bien
que ces instances soient partiellement composées d’anciens enseignants (promus via soit la voie
administrative de la direction d’écoles, soit celle de l’expertise et de la recherche-développement),
il ne faudrait pas les réduire à cette élite enseignante; les agents qui les composent reflètent aussi
les clivages institutionnels et politiques qui traversent historiquement le champ d’enseignement
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belge (comme les clivages entre laïques et catholiques, entre pouvoirs publics centraux et
pouvoirs publics locaux). Une partie de ces agents doivent ainsi leur position davantage à leurs
positions dans le champ politique ou le champ ecclésial qu’à leurs caractéristiques proprement
professionnelles.
Par ailleurs, l’autre composante de l’élite administrative de la profession enseignante est
composée des directions d’école, traditionnellement et légalement issues du corps enseignant.
Le managérialisme qui accompagne la mise en place des nouveaux modes de régulation du
système engendre cependant une tendance à redéfinir leur rôle en accentuant de plus en plus
leurs spécificités de “gestionnaires”. Au sein même des établissements, les modes de relations
hiérarchiques aux enseignants tendent à fluctuer entre des relations marquées par la collégialité
professionnelle (directeur comme primum inter pares) et l’émergence de figures plus nettement
gestionnaires.re hypothèse est donc que la division du travail entre ces catégories s’accentue et que de plus en plus
les enseignants se trouvent dans une situation de dépendance soit de nature “technique et professionnelle” vis-à-
vis de l’élite technico-pédagogique, soit de nature administrative et gestionnaire vis-à-vis des administrateurs des
établissements ou du système scolaire. Si, jusqu’à présent, un passé professionnel d’enseignant
largement partagé peut rassembler ces agents, si la préoccupation des “missions” globales du
système les rapproche, il n’empêche que la distance sociale entre eux s’accentue. C’est sans doute
cette accentuation des distances et cette formalisation accrue des relations entre catégories qui
conduisent à des diagnostics contrastés de l’évolution du corps en terme de
“professionnalisation” ou de “déprofesionnalisation”. La déprofessionnalisation est ainsi mise en
avant par ceux qui pensent que les enseignants de terrain perdent progressivement la maîtrise
professionnelle de la conception de leur travail au profit d’une technostructure pédagogique.
Outre les outils, les programmes, les références en matière d’évaluation, la “bonne manière de
faire” reste dictée et légitimée par les experts. Même s’il y a valorisation de l’autonomie et de la
réflexivité des enseignants, cette autonomie reste pensée et valorisée par la knowlegde elite. Comme
Lessard l’indique (Lessard, 1999, p.6), il y a une division accrue entre des “enseignants
praticiensexécutants” et une “supra-structure” d’individus (comme les autorités scolaires, les
experts, les intervenants pédagogiques, etc.) qui pensent le travail mais ne l’exécutent pas.
Cependant, la thèse et le discours de la nécessaire professionnalisation des enseignant trouvent
une certaine plausibilité car ces élites en appellent à un renforcement de la formation des
enseignants de base, tout en exaltant leur nécessaire autonomie et réflexivité dans le cadre d’un
modèle de professionnalité redéfini, non plus autour des savoirs, mais de la compétence
pédagogique et organisationnelle.
Plutôt donc que de diagnostiquer de façon définitive la professionnalisation ou la
déprofessionnalisation des enseignants de terrain, il nous semble plus pertinent de considérer
le champ de l’éducation dans son ensemble et de constater la complexification accrue de la
division du travail, notamment entre les gestionnaires, les experts, les intervenants pédagogiques
et les enseignants-praticiens (même si ces derniers sont appelés à devenir des “chercheurs”).
C’est entre ces catégories que se joue la question de la répartition du pouvoir de définir et/ou
d’évaluer le contenu du travail des enseignants de terrain, même si des acteurs comme les
parents, les autorités de tutelle (état, église) pèsent aussi fortement sur les arbitrages et les
décisions à cet égard. Les enjeux relatifs à l’emploi, aux carrières des enseignants, la question de
la définition des politiques d’accès ou de formation au métier, sont également des enjeux qui
peuvent opposer ces diverses catégories.
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S'il y a de fortes chances pour que les enseignants de terrain perdent progressivement la
maîtrise de nombre d’aspects de leurs pratiques, cette maîtrise ne sort pas pour autant des
spécialistes du champ de l’éducation. L’autonomie, le savoir et le pouvoir professionnel de la
catégorie enseignante ne peuvent s’envisager sans les situer dans l’ensemble des professions de
l’éducation, au sein desquelles la pratique enseignante reste une référence centrale. Nous serions
tentés d’avancer l’idée que les divisions hiérarchiques relativement simples, voire informelles
qui existaient au sein de la profession et de longue date, tendent à se complexifier et à se
formaliser, au point qu’on est en droit de se demander si l’on a pas dorénavant affaire à plusieurs
catégories professionnelles concurrentes davantage qu’aux positions différenciées et hiérarchisées
d’agents inscrits dans le même champ professionnel. Ainsi, pour C. Lessard, au Québec, le
développement et la spécialisation des directions d’école, inspecteurs et autres cadres scolaires
conduit au fait qu’ils ne sont plus considérés comme des enseignants aux fonctions spécifiques,
mais comme des supérieurs hiérarchiques, dont les intérêts ne sont plus perçus comme
identiques et/ou convergents (Lessard, 1999, p.2).
Conclusion
Une rhétorique consensuelle se développe en Communauté Française de Belgique,
comme dans d’autres pays, sur la nécessité de transformer les enseignants. Ce discours émerge
dans un contexte de réforme et d’inflexion des modes de régulation du système d’enseignement
et apparaît davantage comme le vecteur d’une stratégie instrumentale de réforme de
l’enseignement et du travail enseignant plutôt que le reflet d’une volonté d’améliorer la position
professionnelle des enseignants. On ne peut que constater d’abord que ce discours semble fort
peu porté et promu par les enseignants eux-mêmes. Il est davantage le résultat d’un discours
expert, relayé assez largement par les parents ou les autorités administratives ou politiques. La
redéfinition de la professionnalité enseignante souhaitée par ce discours (valorisant un enseignant
praticien réflexif, spécialiste de l’apprentissage et engagé organisationnellement dans son
établissement scolaire) paraît dès lors largement ambiguë du point de vue d’une dynamique de
professionnalisation/déprofessionnalisation des enseignants. D’un côté, effectivement il est fait
appel au développement de leur expertise, de leur autonomie réflexive, de leur formation initiale
et continue comme à la valorisation de leur expérience de terrain. Cependant, il leur est demandé
simultanément d’entretenir cette capacité professionnelle dans un contexte où les politiques
éducatives rélayées par de nouvelles catégories d’acteurs (experts, intervenants pédagogiques)
balisent soigneusement les limites de l’autonomie des enseignants de terrain. Ainsi, on a insisté
sur la visée de standardisation des programmes comme de l’évaluation poursuivie par les
réformes récentes. Cette perte de maîtrise et d’autonomie de l’enseignant de terrain pourrait dès
lors être interprétée comme une déprofessionnalisation, tout à fait contraire aux intentions
explicites affichées par ceux qui veulent voir évoluer les enseignants vers un modèle
professionnel. Il pourrait en ressortir des injonctions paradoxales, puisque l’enseignant se voit
appelé à la fois à développer son autonomie critique, tout en suivant les lignes directrices des
élites administratives ou intellectuelles au sein du champ de l’enseignement. Par ailleurs, d’autres
signes de déprofessionnalisation ont été accentués dans les réformes récentes; il en va ainsi de
la place accrue donnée aux usagers (parents et élèves) dans le fonctionnement des écoles et dans
les limites apposées par la loi à la souveraineté des décisions d’évaluation et d’orientation des
enseignants. Ces évolutions législatives ne peuvent qu’accentuer le sentiment de perte
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d’autonomie et de prestige que les enseignants vivent vis-à-vis de leurs “clients” dont les
ressources culturelles sont croissantes même en dehors des positions sociales élevées.
En définitive, sans vouloir clôturer une discussion qui mériterait plus ample investigation
empirique et une discussion critique plus élaborée, il nous semble que la question de la
professionnalisation des enseignants, doit être traitée en considérant l’évolution d’ensemble des
diverses catégories professionnelles au sein du champ de l’enseignement. A cet égard, ne faut-il
envisager la catégorie enseignante au sens large, en considérant l’apparition et le renforcement
en son sein d’une hiérarchisation et d’une spécialisation accrue entre diverses catégories aux
ressources, pouvoir, prestige tout à fait inégaux, bien qu’ils partagent en définitive sur le plan de
l’histoire individuelle et de la position fonctionnelle un même rapport central et structurant à la
pratique enseignante? On a ainsi souligné avec Freidson et d’autres auteurs spécialisés dans le
champ de l’éducation, l’approfondissement et la formalisation de la division du travail entre des
élites de la profession, soit de nature administrative, soit de nature intellectuelle, dont l’emprise
professionnelle ou le pouvoir organisationnel sur les enseignants de terrain se formalisent sans
doute et s’accentuent peut-être.
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- pour la Communauté française, sur le Décret Missions (1997), le Projet éducatif et projet pédagogique,
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instituteurs et des régents (2000), la brochure « Devenir enseignant » publiée par le
Ministère de la Communauté française (2001);
- pour le syndicat SEL, sur les articles publiés dans Le Bulletin (1997-1999) et l’ouvrage Profs au
bord de la crise de nerfs (mai 89); pour la CEMNL sur les articles parus dans Option (1995-
1999) et sur le Mémorandum de la CSC-Enseignement (juin 1999); pour la CGSP, sur les
articles publiés dans Tribune (1997-1999) ;
- pour les “experts”, sur les textes de Paquay L., Altet M., Charlier E., Perrenoud P. (eds.), Former
des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ? (1996); de Paquay L.,
“Vers un référentiel des compétences professionnelles de l’enseignant ?” (1994); de
Crahay M., Une école de qualité pour tous ! (1997); et de Crahay M., “Qu’est devenue l’école
en Communauté française de Belgique au cours des dix dernières années?” (1999) ;
- pour la Confédération Générale des Enseignants, sur les articles parus dans Echec à l’Echec
(1995-1999), et leur Manifeste (1995);
- pour les intervenants pédagogiques sur une enquête réalisée par B. Delvaux, F. Dourte, M.
Verhoeven (Cerisis), en 1996 ;
- pour l’association de parents FAPEO: sur leur mémorandum Attentes des Parents de
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scolarité primaire en Communauté française Wallonie – Bruxelles. Une analyse
économique et quantitative, Les cahiers de Recherche du GIRSEF, n°15.
Si vous souhaitez obtenir d'autres numéros de ces cahiers, vous pouvez les obtenir au
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Un résumé des textes parus dans ces cahiers est disponible sur le Web à l'adresse suivante:
http://www.girsef. ucl.ac.be/cahiers.html.
Cahiers de Recherche du GIRSEF (suite)
Casalfiore S. (2002) Les petits conflits quotidiens dans les classes de l'enseignement
secondaire. I. Nature et sens des transgressions sociales à l'origine des conflits dans la
dyade enseignant-élève, Les cahiers de Recherche du GIRSEF, n°16
De Villé Ph. (2002) Equal opportunity in the educational system and the ethics of
responsibilty, Les cahiers de Recherche du GIRSEF, n°17
Fecha de recepción: 01/09/2012. Fecha de evaluación: 15/09/2011. Fecha de publicación: 30/09/2012