Contexte
Le conflit syrien qui sévit depuis 2011 a donné lieu à un flux massif de déplacements forcés. Face à l’une des pires crises migratoires contemporaines, le gouvernement du Canada a lancé l’Opération visant les réfugiés syriens à la fin 2015. À l’instar de plusieurs villes canadiennes, Gatineau a accueilli un nombre important de réfugiés syriens depuis 2016. À la fin de l’année 2020, ils étaient au nombre de 664 à avoir été réinstallés à Gatineau grâce au programme de prise en charge par l’État et au programme de parrainage par le secteur privé qui permet à des groupes d’individus et à des organismes sans but lucratif de parrainer des réfugiés. Il s’agit de deux programmes distincts comportant des modes de sélection et d’accompagnement des réfugiés qui leur sont propres.
Objectifs
Débutée en 2019, cette étude fait état de la réinstallation des réfugiés syriens et des facteurs qui ont favorisé versus entravé leur insertion et leur intégration. Nous nous penchons sur la mobilisation et la coordination des acteurs intervenant dans la réinstallation des réfugiés à Gatineau, le soutien dont ont bénéficié les familles dans le cadre de leur parrainage, leur satisfaction à cet égard, ainsi que sur les difficultés qu’elles ont rencontrées. Nous nous attardons ensuite à l’état de leur établissement et aux problèmes qu’elles ont rencontrés dans le domaine de la francisation et de l’emploi. Finalement, nous présentons quelques résultats sur la rétention des réfugiés à Gatineau et sur leur plan d’établissement à l’égard du Canada.
Résultats
L’arrivée des Syriens a été l’occasion pour la Ville de Gatineau et les intervenants de première ligne en réinstallation d’expérimenter une concertation structurée en matière de réinstallation. Cet exercice a permis à chacune des parties prenantes de faire valoir son importance et de mieux prendre sa place dans l’architecture des services d’accompagnement offerts aux nouveaux arrivants à Gatineau. Le Sommet du vivre-ensemble de la Ville de Gatineau qui s’est tenu en avril 2018 en est l’une des retombées et a lui-même mené à la création récente d’une table de concertation du vivre-ensemble et de l'immigration de Gatineau. Il y a donc tout lieu de croire que la ville de Gatineau sera bien préparée à accueillir les prochaines vagues d’immigrants.
Nos résultats ont permis d’établir dans un premier temps que les réfugiés parrainés par le secteur privé (RPSP) et les réfugiés parrainés par le gouvernement (RPG) avaient des profils différents à leur arrivée en raison de critères de sélection distincts. Les RPG avaient à leur charge des familles plus grandes tout en ayant une moins bonne connaissance des langues officielles du Canada et en étant moins scolarisés, spécialement les femmes. Dans un deuxième temps, nos résultats ont montré que les RPSP ont eu des contacts beaucoup plus étroits avec les personnes responsables de leur parrainage et cela a donné lieu à un accompagnement plus soutenu dans de multiples domaines. Les RPSP ont aussi rencontré moins de problèmes dans le cadre de leur parrainage et se sont montrés beaucoup plus satisfaits à l’égard de leur parrainage que les RPG. Parmi les raisons en cause, leurs besoins moins importants, le mandat limité des organismes désignés par le gouvernement pour accompagner les RPG, en l’occurrence l’Accueil Parrainage Outaouais (APO), et le fait que l’APO est une petite organisation. Les attentes parfois très élevées des réfugiés, leur méfiance envers le gouvernement alimentée par la guerre et leur méconnaissance du système d’État-providence canadien y sont aussi pour quelque chose. À la vue de la qualité de l’accompagnement offert par le parrainage du secteur privé, le gouvernement a eu raison de tabler sur les capacités du parrainage du secteur privé lors de la crise des réfugiés syriens, mais il est dommage qu’il ait par la suite refermé les vannes.
Il est regrettable que le programme de jumelage, qui existe depuis de nombreuses années à l’APO, n’ait pas été mieux mis à profit pour les RPG, d’autant plus qu’un très grand nombre de personnes souhaitaient aider et se portaient volontaires pour diverses tâches. La société civile a d’ailleurs joué un rôle déterminant dans l’accueil et l’accompagnement des réfugiés syriens en bonifiant les services d’accompagnement offerts par l’APO et en ciblant les réfugiés qui en avaient le plus besoin.
Nos résultats indiquent clairement que dans le contexte considéré ici, les RPG étaient doublement désavantagés : les obstacles qu’ils devaient surmonter pour refaire leur vie étaient plus importants en raison de leur profil alors que leur accompagnement était beaucoup moins soutenu comparativement aux RPSP. Il aurait dû s’ensuivre une intégration nettement moins réussie et c’est en effet ce que nous observons.
Environ 20% des réfugiés sont réfractaires à suivre une formation en francisation, notamment parce qu’ils ne voient pas la pertinence d’investir leurs efforts dans l’apprentissage du français plutôt que de l’anglais, une langue avec laquelle ils sont davantage familiers et qui est fortement en usage dans la région et au pays. Il apparaît aussi que les mères de famille nombreuse et particulièrement d’enfants en âge préscolaire sont moins enclines à prendre la direction des cours de francisation. Elles ont des problèmes à trouver un service de garde et lorsqu’elles y arrivent, elles doivent composer avec des déplacements laborieux en autobus, sans compter qu’elles trouvent angoissant de laisser leurs petits loin d’elles, auprès d’inconnus dans un pays qu’elles ne connaissent pas encore.
Les réfugiés qui entreprennent une formation en francisation se montrent insatisfaits de leur expérience, particulièrement ceux qui ont de jeunes enfants et ceux qui sont très peu scolarisés. Les premiers peinent à concilier les études à temps plein et la famille et, du coup, à respecter les consignes d’assiduité. Les seconds sont mentalement épuisés à la fin de la matinée et ont beaucoup de difficulté à maintenir leur attention en après-midi. À l’issue de leur formation, que plusieurs ont quittée en cours de route, de nombreux réfugiés affirment avoir très peu appris, particulièrement ceux qui sont peu scolarisés. Ils auraient souhaité que les cours soient moins scolaires et axés davantage sur la pratique dans des contextes authentiques. De plus, plusieurs élèves affirment être passés à un niveau supérieur même lorsqu’ils n’avaient pas l’impression de s’être améliorés.
Les RPG peu scolarisés sont ceux qui font face aux plus grands défis pour s’intégrer au marché du travail. Ils sont moins nombreux à entreprendre des démarches pour se trouver un emploi, rencontrent davantage d’obstacles lorsqu’ils en font, tirent plus difficilement profit du bassin d’emplois à Ottawa et, ultimement, sont moins nombreux à occuper un emploi. Les RPSP, peu scolarisés pour leur part, s’en sortent presque aussi bien que leurs compatriotes plus scolarisés, fort probablement en raison de l’accompagnement soutenu dont ils ont pu bénéficier dans le cadre de leur parrainage.
La première et principale difficulté à laquelle tous les réfugiés sont confrontés lorsque vient le temps d’intégrer le marché du travail est d’ordre linguistique. Les hommes sont avides de commencer à travailler, mais les cours de francisation qu’ils suivent ne leur permettent pas d’acquérir suffisamment de compétences linguistiques pour être fonctionnels en français. Certains contournent l’obstacle de la langue française en travaillant dans des milieux où la langue arabe est parlée, principalement dans le secteur de l’alimentation et de la restauration. Mais ce faisant, ils compromettent le maintien et l’amélioration de leur acquis en français et se cantonnent dans des emplois où leurs compétences ne sont pas valorisées. Un autre constat est que les réfugiés misent beaucoup sur leur réseau social pour se trouver un emploi et s’adressent peu aux services d’aide à l’emploi disponibles. En se fiant surtout à leur réseau social, les réfugiés se retrouvent souvent à travailler dans des milieux peu francophones et dans des emplois qui ne sont pas en lien avec leur expérience de travail passée et leurs compétences. Enfin, les réfugiés ne sont pas tous conscients des risques et des désavantages du travail au noir.
En dépit des difficultés posées par la langue française et de l’attractivité d’Ottawa, la ville de Gatineau a su retenir les réfugiés syriens dans une proportion très similaire à ce qui est observé pour l’ensemble des réfugiés dans les autres villes canadiennes.
Il ne fait aucun doute que l’Opération visant les réfugiés syriens du gouvernement canadien a remporté un large succès du point de vue des réfugiés réinstallés à Gatineau. La quasi-totalité d’entre eux ont l’intention de rester au Canada, ressentent un fort sentiment d’appartenance envers le Canada et apprécient grandement leur nouvelle vie.