Wojciech Bogusławski (1757-1829) est directeur du Théâtre national de Varsovie dans les années 1783-1785, 1790-1794 et 1799-1814. Jusqu’en 1794, il cumule les fonctions de directeur, metteur en scène, acteur, chanteur et auteur-adaptateur-traducteur de la scène nationale polonaise. Au total, vingt-quatre textes dramatiques de Bogusławski ont des sources italiennes.
La rupture politique du troisième partage de la Pologne entraîne, dans le milieu théâtral de l’époque, un bouleversement dû au départ de Bogusławski de Varsovie qui devient responsable de la vie théâtrale de Lvov. Dans le répertoire dirigé par Bogusławski jusqu’en 1794 à Varsovie et à partir de 1796 à Lvov, il y a l’opéra Axur, król Ormus.
À l’origine, il y eut Tarare de Beaumarchais, représenté pour la première fois le 8 juin 1787 à l’Académie Royale de Musique de Paris, avec une musique d’Antonio Salieri. Très vite Lorenzo Da Ponte créa la version italienne du livret et Axvr, re d’Ormus fut exécuté pour la première fois le 8 janvier 1788 à Vienne. À Varsovie, Axur, re d’Ormus fut joué en 1789, 1790 et 1793. Ensuite, le public varsovien put confronter à l’original italien la version polonaise Axur, król Ormus, jouée à partir de septembre 1793. Bogusławski, auteur de la traduction, fut aussi interprète du rôle d’Axur. L’opéra a remporté un grand succès grâce à plusieurs aspects relevés par Bogusławski : des voix assorties, un jeu d’acteur bien meilleur que celui des Italiens, les magnifiques décors de Smuglewicz, des costumes coûteux, le sérail bien peuplé, la splendeur asiatique, le soin apporté à la réalisation du spectacle. Dans l’évolution du théâtre national, l’Axur de Bogusławski fut un point culminant de la rivalité avec l’opéra italien. II représente aussi un tournant en ce sens que, pour la première fois, des acteurs polonais ont chanté un opéra en entier.
Dans l’article, je compare le livret polonais (préservé sous forme d’un manuscrit et d’un texte publié) avec l’original, en prenant en considération les références culturelles que l’on peut diviser en trois groupes : 1) les éléments relatifs à la culture italienne, c’est-à-dire liés à la langue-culture source (source directe) et aux deux traditions théâtrales que l’œuvre représente (l’opéra italien et la commedia dell’arte) ; 2) les éléments liés à la langue-culture d’arrivée, c’est-à-dire ceux qui peuvent être traités par le public polonais comme des
allusions culturelles ou politiques ; 3) les éléments liés à l’Orient, lieu d’action exotique.
L’analyse porte aux conclusions suivantes. Dans les traductions de Bogusławski, le degré de fidélité au texte de départ varie en fonction des circonstances, et le respect pour l’original (voire l’admiration, dans ce cas), s’accompagne d’autres pulsions et motivations chez l’homme de théâtre. Ainsi, la culture italienne − modèle et concurrente − est un élément à exploiter, mais aussi à égaler, à surpasser et à combattre, l’exotisme oriental contribue au succès du spectacle surtout par le côté visuel, alors que la langue-culture polonaise fournit un code très particulier de communication avec le public polonais : par-delà le sujet exotique, la complicité s’installe grâce à des choix linguistiques qui, par touches légères, font vibrer des cordes profondes.