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Le jardin et le potager au 18e siècle
1re partie – Les plantes
Que doivent au 18e siècle, les plantes du jardin et du potager que nous cultivons
aujourd’hui ?
Comme l’ensemble du monde vivant, la diversité végétale est mouvante, change au cours
du temps, les espèces se transforment, certaines réussissent, d’autres au contraire
disparaissent. Cela vaut également pour les plantes de nos jardins, elles changent avec le
temps. En fait, pas tant que cela car le « fond » des plantes cultivées au jardin et au potager
s’est constitué dès l’antiquité et au moyen-âge. Les historiens et les scientifiques analysent
avec rigueur et passion ces faits anciens et nous aident à retrouver l’histoire de ces plantes.
Qu’est-ce qui a décidé de ces évolutions ? Le climat (nous sommes au cœur du petit âge
glaciaire, figure 1), les maladies, mais surtout l’utilisateur des plantes, le consommateur,
l’humain (on ne parlera pas ici de l’alimentation animale), avec ses revirements, les effets
de mode, des choix parfois imprévisibles ou improbables et d’autres beaucoup plus
logiques. Quant au sol, on peut considérer – à gros traits tirés - qu’il a peu changé ou plus
exactement que c’est un paramètre qui est ici peu pertinent et dont nous ne discuterons
pas.
« medieval warm period » = période chaude médiévale
« little ice age » = petit âge glaciaire
Les différentes courbes représentent les estimations de températures pour
différentes latitudes et selon différents auteurs
Figure 1 :
Le 18e siècle se situe au sein de la
période froide appelée « petit âge
glaciaire » bien documentée par les
climatologues. Ce refroidissement
climatique n’a pas été sans
conséquences sur l’agriculture et sur
la culture des plantes en général (on
voit à l’époque une stagnation dans
les rendements du blé et on a
dénombré jusqu’à 16 famines
majeures en France dont celle de
1709 liée à un hiver particulièrement
sévère). En ce qui concerne les
plantes de jardin et les potagères,
cette incidence n’est pas clairement
relevée dans les écrits.
L’étude de quelques plantes va nous permettre de préciser certaines de ces évolutions.
Les potagères
La carotte : elles étaient blanches, jaunes,
rouges, violettes, les carottes de nos
anciens ; jusqu’à ce que l’on découvre en
Hollande (pays dont la couleur
emblématique est justement le orange !)
une carotte de couleur orange, courte, à
cœur nettement moins fibreux et de goût
assez doux, relativement hâtive et se
cultivant facilement sous châssis, un
ensemble de caractères qui a rapidement
assuré son succès. Cet exemple illustre
l’effet que peut avoir l’introduction d’une
nouvelle variété pour une plante déjà
connue.
Des variétés de carotte de différentes couleurs ; historiquement,
c’est la carotte orange qui est arrivée la dernière et a supplanté
les autres…
A noter qu’avec le succès de sa voisine la
carotte, le panais (autre plante de la famille
botanique des Apiacées comme le céleri et
quelques autres…) s’est vu délaissé mais il
n’a pas totalement disparu et retrouve
même aujourd’hui un franc succès.
Le radis : puisque l’on est dans l’anecdote
colorée et le légume-racine, parlons aussi des
radis qui, pour nos anciens, n’étaient pas nos
petits radis roses et blancs ou nos petits radis
rouges apparus au 18e siècle mais des « radis
raves » à longue racine plus blanche, ceux
décrits par le naturaliste Linné.
Le radis appartient à la famille botanique des
Brassicacées, la même famille que les choux et
les navets.
La tomate : plante américaine introduite en Europe au 16e S d’abord comme ornementale
(Espagne, Italie puis sud de la France) enfin comme légume, c’est-à-dire consommée, à la
fin du 18e S. Son nom botanique, effectivement, ne la prédisposait pas à être consommée,
lycopersicum signifiant littéralement « pêche de loup » faisant référence aux propriétés
toxiques des plantes de sa famille botanique, les Solanacées. Que de succès depuis et que
de variétés créées (plus de 4.000 variétés de tomates sont actuellement inscrites dans la
base européenne des variétés de semences, premier légume consommé en France env. 6
kg/an/hab et sur le plan scientifique une des espèces les mieux caractérisées, du fait des
enjeux industriels et de l’intérêt privilégié que lui porte les Etats-Unis, les fabricants de
« ketchup » finançant beaucoup la recherche sur la plante). Cet exemple illustre le cas de
plantes qui vont changer d’usage et mettre quelques temps avant de se retrouver dans nos
assiettes.
La famille botanique des Solanacées a fourni de nombreuses plantes cultivées dont de
nombreuse potagères (aubergine, poivron, pomme de terre) dont l’histoire ressemble fort
à celle de la tomate (le poivron ou piment ayant diffusé en Europe un peu plus tôt). Dans le
cas de la pomme de terre on connaît le rôle clé joué par Parmentier pour en assurer le
succès d’abord auprès du Roi Louis XVI puis de l’ensemble du pays.
Quelques Solanacées : tomate, aubergine, poivron (piment), physalis, datura, pomme de terre (?)
Le fraisier : si la culture du fraisier des bois (Fragaria vesca) est documentée dès le 14e S, le
fraisier à gros fruit et « remontant » (c’est-à-dire qui fleurit et fructifie plusieurs fois au
cours d’une saison de végétation, assurant ainsi une production plus continue) n’apparaît
qu’au 18e S. Cette plante (Fragaria x ananassa) est un hybride (c’est la signification du
« x ») issu d’un croisement entre un fraisier du Chili (Fragaria chiloensis) et un fraisier de
Virginie (F. virginiana), le premier rapporté d’un voyage en Amérique du sud par Amédée
Frézier (voir note ci-après), l’autre précédemment rapporté d’un voyage en Amérique du
nord par Jacques Cartier. L’hybride conjugue les qualités des 2 espèces (gros fruit du
premier, précocité du second). L’une de ces hybridations (il y en aurait eu plusieurs à
l’époque en Europe) s’est faite en Bretagne donnant la célèbre fraise de Plougastel ! A
noter qu’à l’origine cet hybride était blanc ! D’autres hybrides entre fraisiers européens et
fraisiers introduits ont également été obtenus. Ils seront à l’origine des fraisiers cultivés
« remontants » et du retour en quelque sorte de la couleur rouge.
Le nom de famille d'Amédée François Frézier lui vient d'un de ses ancêtres, Julius de
Berry, qui avait servi des fraises des bois au roi Charles III le Simple à la fin d'un banquet à
Anvers en 916, le roi le remercia en l'anoblissant et en lui donnant le nom de Fraise, qui se
déforma en Frazer lorsque la famille émigra en Angleterre puis devint Frézier, quand ils
revinrent faire souche en Savoie. Source : Wikipedia
Si l’étrangeté du nom Frézier disparaît avec l’explication, il reste que ce dernier était en
outre un espion à la solde du Roi envoyé en Amérique du sud pour espionner les
possessions espagnoles et l’histoire de l’arrivée en France de la fraise du Chili appartient
ainsi au domaine de l’extraordinaire (de nombreux ouvrages relatent cette histoire qui
nous demanderait ici trop de place…), ce qui se vérifie également sur le plan botanique.
Dans cet exemple, en effet, le hasard joue un grand rôle car les 5 fraisiers rapportés du
Chili étaient tous femelles et donc incapables de se reproduire par voie sexuée mais
uniquement par voie asexuée grâce à leurs stolons (la fraise est une plante qui produit de
nombreux gourmands…). Ils se sont ainsi croisés avec leurs voisins fraisiers de Virginie.
Simple coup du hasard et début d’une belle histoire ! Chez les fraisiers il existe des
individus mâles (qui ne possèdent que des étamines, l’organe reproducteur mâle), des
individus femelles (qui ne possèdent que des pistils, l’organe reproducteur femelle) et des
individus hermaphrodites (qui possèdent les deux types d’organes) : on dit que l’espèce est
trioïque (ce qui s’oppose aux plantes monoïques qui n’ont que des individus à la fois mâles
et femelles, et aux plantes dioïques qui ont des individus soit mâle, soit femelle). Autre
particularité des fraisiers, la polyploïdie c’est-à-dire une multiplicité des lots de
chromosomes : le fraisier cultivé possède 8 exemplaires de chaque sorte de chromosomes
caractéristiques de l’espèce, au lieu des deux lots habituels (l’un provenant de la mère et
l’autre du père).
La place du fraisier parmi les potagères voire les légumes peut nous surprendre
aujourd’hui, mais ce n’était pas le cas à l’époque : le sens des mots a changé, et d’ailleurs
pas toujours dans le sens d’une amélioration… voir la 3e partie !
Figure 2
Antoine-Nicolas Duchesne, autre
personnage important, travaille dans
le Potager du Roi à Versailles où il
identifie un mutant de fraisier à une
seule foliole (la feuille composée
normale du fraisier comporte 3
folioles, comme le trèfle). Il fait la
description du mutant appelé
« monophylla » et étudie la
transmission du caractère (« Histoire
naturelle des fraisiers », 1766).
Les légumes délaissés, « le succès des uns fait le malheur des autres » : avec le succès de la
pomme de terre, les cultures de nombre de légumes-racines sont abandonnées p ex le
topinambour qui avait été introduit à la même époque mais aussi des espèces plus
anciennement cultivées, raves, carum, chervis, maceron, scolyme, bardane, raiponce... les
plantes du jardin et du potager changent du fait des découvertes et du changement des
goûts des consommateurs !
Les ornementales
Le rosier Jusqu’au 18e s les rosiers occidentaux ne fleurissent qu’une fois, au printemps.
L’arrivée des rosiers de Chine (Rosa chinensis) qui ont à la fois de grandes qualités
esthétiques, olfactives et sont remontants (ils fleurissent plusieurs fois par saison de
végétation), permet d’introduire par croisement ces caractéristiques dans les rosiers
européens. On crée alors les très nombreuses variétés à l’origine de tous nos rosiers
modernes. Vous pourrez admirer bon nombre de ces rosiers en visitant la Roseraie du Val-
de-Marne qui se trouve à l’Haÿ-les-Roses, une commune voisine (et bien d’autres jardins en
Région parisienne y compris celui de la Cour Roland !).
Rosa gallica var. officinalis, le rosier de Provins (www.aujardin.info)
Rosier de chine, Rosa chinensis (www.aujardin.info)
Petit problème génétique, les rosiers de Chine sont diploïdes (ils possèdent 2
exemplaires de chaque chromosome), les rosiers occidentaux sont tétraploïdes (4
exemplaires de chaque chromosome). Par croisement on obtient un nombre impair de
chromosomes ce qui devrait conduire à la stérilité lors de la formation des cellules
sexuelles (on divise alors par 2 le nombre de chromosomes, les deux exemplaires de
chaque paire se séparent).
Mais, situation là encore extraordinaire, chez certains rosiers (comme chez l’églantier
également appelé rosier des chiens et vulgairement « gratte-cul »), on observe un nombre
impair de chromosomes ! L’astuce : former des cellules sexuelles n’ayant pas le même
nombre de chromosomes…
Histoire de chromosomes chez le rosier
Reproduction chez un rosier pentaploïde (5n) :
Il y a formation des gamètes mâles haploïdes (1n) et de gamètes femelles tétraploïdes (4n)
par un mécanisme de méiose (de séparation des chromosomes) très inégal. L’union des
deux types de gamètes restaure un individu pentaploïde (1n + 4n = 5n).
Imaginons maintenant le croisement d’un individu diploïde (2n, type rosier de Chine) avec
un individu tétraploïde (4n, type rosier européen) :
Il y a formation de gamètes mâles haploïdes (1n) chez le premier et de gamètes femelles
triploïdes chez le second. Leur union génère un individu tétraploïde fertile (1n + 3n = 4n)
qui ressemblera davantage au parent femelle.
Il y a également formation de gamètes mâles haploïdes (1n) chez le second et de gamètes
femelles haploïdes chez le premier. Leur union génère un individu diploïde fertile (1n + 1n =
2n) !
Ainsi les embryons formés sont soit diploïdes (14 chrom.) soit tétraploïdes (28 chrom.)
selon le sens du croisement, mais dans tous les cas ils sont viables ! Coup de chance car
sans cela nous n’aurions peut-être jamais eu nos rosiers modernes…
(Fin de la parenthèse génétique, ouf !!!)
Retenons enfin que l’introduction d’une
plante étrangère peut, en l’absence des
conditions d’équilibre qui existent dans son
milieu d’origine, se révéler par la suite être…
une espèce invasive : l’ailante, bel arbre
introduit de Chine au 18e siècle en est un
bon exemple.
C’est aussi un arbre connu pour provoquer
des allergies.
http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/arbres/images/ailante-port.jpg
Les jardins (2e partie)
Jardin de curé, jardin paysan, jardin de grande demeure bourgeoise ou aristocratique, les
jardins et leurs usages sont divers. Plus tard viendront les jardins ouvriers, les jardins
d’instituteurs et nous n’oublierons pas les jardins botaniques. Que peut-on retenir des
jardins et potagers du 18e siècle ?
L’opposition jardin à la française, jardin à l’anglaise : changement de paradigme
C’est au 18e S que se situe l’arrivée, d’abord dans d’autres pays européens, puis en France
des jardins à l’anglaise. Un bon exemple local nous est donné par le château de Versailles
dont le jardin du roi (jardin du Grand Trianon) est à la française, celui de la reine à
l’anglaise. A l’origine, le jardin de la reine (une partie du jardin du Petit Trianon) était un
jardin botanique que Marie-Antoinette choisira par la suite de transformer en jardin à
l’anglaise.
Le jardin « à la française » est extrêmement structuré, jouant de lignes et de formes
géométriques, de symétrie et de perspective. L’objectif est de domestiquer la nature et
d’affirmer la supériorité humaine. C’est la forme ancienne et classique du grand jardin
d’agrément des élites.
Le jardin « à l’anglaise » (plus exactement ici anglo-chinois), encore appelé jardin paysager,
cherche bien au contraire à redécouvrir, à se réconcilier avec la nature qui n’est plus
perçue comme hostile. Avec des formes irrégulières, sinueuses, il s’agit aussi de rompre
avec la rigidité, en particulier de l’époque pré-industrielle. Le jardin est utile à l’humain et
lui apporte du plaisir, il n’est pas là uniquement pour affirmer la grandeur humaine. C’est la
forme nouvelle, « moderne », du jardin d’agrément des élites.
Le jardin de subsistance et le jardin d’agrément
Si le jardin est d’agrément pour les élites, il est de subsistance pour les paysans pour
lesquels on est bien loin encore de la sécurité alimentaire (c’est-à-dire l’assurance d’avoir
toujours d’une année sur l’autre quelque chose à manger) et la révolution de 1789 aura
pour une bonne part été déclenchée à cause de cela. On serait tenté de dire que de ce
point de vue rien n’a beaucoup changé au 18e S. Cependant, les historiens soulignent que
c’est parmi la petite noblesse qu’il faut rechercher les signes d’un changement car la
consommation des légumes (et donc leur culture et leur présence dans un jardin) est mieux
considérée par les élites qu’elle ne l’a été antérieurement (voir plus loin l’opposition
« viandes ou légumes »). Autrement dit, le légume fait moins honte à celui qui le produit !
Nous verrons (3e partie) comment la nature du légume selon qu’il pousse dans le sol ou au-
dessus est aussi l’objet d’une classification hiérarchique.
Les jardins botaniques
Si les tout premiers jardins botaniques voient le jour en Europe au 16e siècle, c’est surtout
au 18e siècle que l’intérêt pour ce type de jardin va se manifester (figure ci-après). Nous en
avons déjà évoqué un exemple avec le jardin de Trianon à Versailles.
Les jardins botaniques apparaissent aussi comme le prolongement des grandes expéditions
scientifiques au cours du 18e siècle, l’alternative étant la mise en collection des plantes
récoltées sous la forme d’un herbier (voir 3e partie). Ces expéditions vont rapporter de
contrées lointaines (Amérique du sud, Indes, Chine) de très nombreuses plantes nouvelles
que l’on souhaitera acclimater et présenter au public. Mais vouloir ainsi cultiver des plantes
exotiques en climat tempéré (la période étant en outre, on l’a rappelé en introduction,
comprise dans le « petit âge glaciaire ») aura nécessité quelques aménagements.
Les outils et techniques de jardinage, les aménagements
S’il faut retenir une invention
marquante du 18e siècle en
termes d’outillage, c’est
sûrement celle du sécateur qui
va tendre à remplacer la
serpette.
Peut être quelque chose qui
ressemblait à cela ??? (il n’y a
guère d’illustrations de cet
outil pour la période qui nous
intéresse...).
Soucieux de s’abstraire le plus possible des contraintes imposées par le climat, le jardinier
recherche des astuces pour cultiver les plantes qui l’intéressent, plantes locales qu’il
cherche à faire pousser plus tôt, plus vite, plus longtemps, plantes exotiques qu’il cherche à
acclimater (et les expéditions scientifiques de l’époque vont, entre autres, on l’a dit,
pourvoir en plantes nouvelles). On voit se développer l’usage des cloches en verre, avec un
verre de meilleure qualité que ce qui a pu se faire auparavant, des châssis, des murs dont
certains sont couverts de plâtre, des serres et en particulier des serres chauffées pour les
plantes exotiques (un exemple célèbre est la culture du caféier effectuée par de Jussieu),
les systèmes hydrauliques se perfectionnent, etc. Toutes ces choses ne sont pas
nécessairement nouvelles, mais elles s’améliorent.
L’Orangerie de Jussieu au château de
Versailles. Il faudra attendre le siècle suivant
et les progrès effectués sur la construction
et les matériaux pour voir apparaître des
serres ayant une architecture plus semblable
à ce que nous connaissons aujourd’hui.
Une réflexion technique se développe autour du choix des variétés à cultiver en fonction
des besoins et des saisons, de sorte que l’on puisse « fournir toute l’année » (on pourrait
reparler ici des fraisiers et de l’intérêt des cultures mixtes, variétés remontantes et non
remontantes). Les historiens nous signalent également que des préoccupations de récolte
et de transport conduisent à des innovations comme des paniers ou corbeilles carrés, à
compartiments, voire dotés d’un couvercle. Rappelons aussi que se développe à l’époque
le débat entre l’esthétique et l’utilitaire, entre le jardin de plaisance et le jardin d’utilité ce
qui n’aura pas été sans conséquences sur les aménagements (voir aussi la 3e partie et le
goût des aristocrates pour le « rustique »).
En guise de conclusion pour cette partie, un petit mot sur le Potager du Roi à Versailles : si
son aménagement date du 17e S et s’il est un jardin typiquement à la française, il se
distingue par sa vocation expérimentale marquée au 18e S par les travaux de Duchesne
déjà cités et les travaux de jardiniers comme les Le Normand (père et fils) qui auront
introduit l’ananas, le caféier, et essayé également mais sans succès d’introduire la truffe.
Cette vocation expérimentale (et pédagogique) est encore d’actualité au 21e S. Ne
manquez pas de lui rendre visite, il est tout proche !
Quelques faits de société au 18e siècle (3e partie)
Le contexte climatique du 18e S a été évoqué en introduction de la 1re partie (le « petit âge
glaciaire »). Nous poursuivons ici avec d’autres aspects du contexte de l’époque, des
comportements économiques et sociaux (alimentation, voyages, métiers) ou intellectuels
(l’état des connaissances en botanique) toujours en lien avec le jardin et le potager.
1-Viande ou légume
A propos de la consommation de viandes et de légumes au 18e Siècle, débat qui fait écho à
un autre, plus actuel, et qui nous concerne…
Nature du débat au 18e S,
l’analyse des historiens, le
« regard » porté à l’époque
sur la plante, sur les plantes
et en particulier les différents
types de légumes.
Extrait de Dominique Michel,
2003.
Quelques données tirées de la littérature : % de recettes dans les traités culinaires
consacrées aux viandes ou aux légumes, à différentes époques
époque
recettes de
viandes
recettes de
légumes
ht moyen âge et
renaissance
97,5%
2,5%
le ménagier de
Paris, 1393
90,2%
9,8%
XIVe-XVe
91,3%
8,7%
XVIIe
87,4%
22,6%
XVIIIe
env. 80%
env. 20%
grand livre
Marabout
67%
33%
2 livres de recettes
consultés
61 à 84%
16 à 39%
nb pages internet
env. 50%
env. 50%
Données de Flandrin, 1996, cité par Dominique Michel, 2003, complétées de recherches effectuées
sur internet et sur des ouvrages personnels.
Nombre de plantes différentes mentionnées dans les traités culinaires et livres de
recettes :
époque
nb de plantes
ht moyen âge et renaissance
16
le ménagier de Paris, 1393
33
XIVe
24
XVIe
29
XVIIe
51
XVIIIe
59
Histoire des légumes de Georges
Gibault, 1912
90
www.lesfruitsetlegumesfrais.com
49
encyclopedia universalis
74
wikipedia
69
2 livres de recettes consultés
20 à 38
Ces données montrent une nette augmentation de la consommation des végétaux au cours
du temps. L’amélioration n’est pas particulièrement propre au 18e S mais de vifs débats ont
eu lieu à l’époque (n’oublions pas que c’est « le siècle des lumières ») et le gain de
considération auprès des élites dont ont alors bénéficié les végétaux aura beaucoup joué
en leur faveur.
Autre point alimentaire et autre moteur du succès des végétaux, le 18e S se distingue par
l’invention du petit-déjeuner lequel s’accompagne d’une mondialisation de l’économie
(Christian Grataloup, univ. Paris-Diderot) : le thé est chinois, le sucre indien, le café
éthiopien, le cacao américain et tous se retrouvent… sur la même table !
« Thé ? Café ? Chocolat ? » Cette litanie du matin, formulée dans tous les hôtels du monde, évoque
à chacun un rituel quotidien immuable : celui du petit déjeuner. Qui peut en effet imaginer se réveiller
sans l’odeur stimulante d’un café, la chaleur enrobante d’un thé ou la douceur réconfortante d’un
chocolat chaud ?
Et pourtant, ces boissons, pour nous si familières, n’ont rien d’européennes. Ni le caféier, ni le théier,
ni le cacaoyer ne poussent dans les contrées tempérées. Alors comment ces produits ont-ils fait
irruption dans nos tasses, et ce dès le XVIIIe siècle, au point de devenir nos indispensables complices
des premières heures du jour ?
En retraçant l’étonnante histoire du petit déjeuner, de la découverte des denrées exotiques à leur
exploitation, de leur transformation à leur diffusion en Europe et dans le monde, c’est toute la grande
histoire de la mondialisation et de la division Nord/Sud que Christian Grataloup vient ici nous conter.
Présentation de l’ouvrage de Christian Grapaloup, historien « Le monde dans nos tasses - Trois
siècles de petit déjeuner »
2-L’attrait des voyages, la découverte de nouvelles plantes, mais aussi une lutte
économique
Les plantes voyagent !
Parfois elles accompagnent les humains qui ainsi les dispersent involontairement mais elles
sont aussi depuis fort longtemps l’objet même du voyage car la plante est une richesse. Le
18e S a été de ce point de vue une période capitale durant laquelle les grandes nations se
sont livrées une rude bataille pour s’accaparer au mieux ces richesses végétales. Ci-après,
nous reprenons la présentation d’un ouvrage qui constitue une très belle synthèse pour ce
thème.
Résumé du livre de Florence Lamy « La Guerre des épices » :
1771, au temps de la Compagnie Française des Indes.
La frégate « l'Hirondelle » et son capitaine, De Villemort,
quittent Port Louis pour accomplir une mission secrète : aller
voler aux Hollandais des plants de girofles et de muscades
dans les îles des Moluques, seul endroit au monde où on les
trouve.
Benjamin, jeune botaniste de 16 ans converti aux idées
nouvelles, fait partie de cette expédition dangereuse qui
regroupe marins, savants, cartographes et dessinateurs dans
une même aventure.
Tempête, tremblement de terre, découvertes de villes
lointaines, combat naval se succèdent, au fur et à mesure du
voyage.
Peu à peu notre héros, lié par une amitié secrète, découvre qu'il
y a un traître à bord.
A travers son héros de seize ans, botaniste passionné, Florence LAMY nous fait découvrir
l’épopée des voyages scientifiques au XVIII° siècle. C’est le moment où la cartographie se
met en place et où les épices sont autant de denrées précieuses et recherchées. Car si ces
voyages favorisent la connaissance de « l’Autre » dans ses façons de vivre, de croire et de
gouverner, ils sont aussi l’occasion d’agrandir le territoire, d’augmenter les royaumes
européens et trouver de nouvelles matières premières.
La Compagnie des Indes françaises était en concurrence directe avec ses homologues
anglaise et hollandaise et la guerre sur les mers était sans merci, comme le montre un des
épisodes du livre. Cependant, si instructif qu’il soit, La Guerre des épices se révèle
également un passionnant roman d’aventures où le héros montrera sa valeur autant que son
grand cœur. On se laisse transporter avec bonheur à ses côtés, à bord de l’Hirondelle.
http://siletaitencoreunefois.hautetfort.com/archive/2013/03/02/la-guerre-des-epices-f-
lamy.html
Le travail des illustrateurs
Les voyages scientifiques ne peuvent se concevoir sans de grands marins, sans de grands
botanistes, et de ce point de vue le 18e S nous aura laissé quelques noms célèbres,
Bougainville, Cook, Lapérouse, pour les premiers, Banks, Bonpland, Commerson, Michaux
pour les seconds. Ils ne peuvent se concevoir non plus sans de grands illustrateurs ayant
pour tâche d’immortaliser, de prendre sur le vif des observations de terrain. Certains nous
ont laissé entre autres de magnifiques portraits de plantes.
Petite histoire du dessin botanique
Si l’animal a été le premier sujet représenté par les hommes,
les végétaux ont été reproduits beaucoup plus tard. Du Moyen
Âge à la Renaissance, les moines cultivèrent dans des carrés
de terre surélevés des jardins de simples, c’est-à-dire des
jardins de plantes médicinales. Dans un esprit scientifique, ils
décrivirent minutieusement par écrit cette pharmacopée qui
très vite fut complétée d’illustrations. Ces planches et ces
ouvrages, largement diffusés dans toute l’Europe par la
gravure et l’imprimerie, engendrèrent un engouement pour le
dessin botanique.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, tandis que les grandes
expéditions scientifiques font découvrir à notre vieille Europe
des plantes exotiques et tropicales, les planches botaniques se
font toujours plus complètes et détaillées. De grands
artistes comme Nicolas Robert (1614-1685), Claude
Aubriet (1665-1742), Madeleine-Françoise
Basseporte (1701-1780), Gerard van Spaëndonck
(1746-1822), Pierre-Joseph Redouté (1759-1840) et
son frère Henri-Joseph (1766-1852), pour n’en citer
que quelques-uns, réalisent pour le Muséum National
d’Histoire Naturelle de Paris de véritables oeuvres d’art qui
constituent aujourd’hui le fleuron de ses collections.
Extrait du site : www.tela-botanica.org
Dans les premières décennies du XVIIe siècle : la gravure sur
bois conserve son hégémonie dans l’illustration des traités de
botanique tandis que l’utilisation du cuivre est croissante
dans le monde des arts. Dans la seconde partie du siècle puis
au XVIIIe siècle : l’usage des cuivres prend place en premier
lieu sur les frontispices des ouvrages avant de gagner les
illustrations botaniques. Cela permet de développer la
présentation d’éléments organiques comme les bulbes, les
graines ou les racines. L’utilisation de la gravure sur cuivre*
apporte alors un supplément de précision.
* La gravure sur cuivre est un terme générique qui désigne
diverses techniques de gravure : taille directe à l’aide de
burin ou de pointe sèche ou gravure à l’acide à l’aide de
l’eau-forte ou d’aquatinte. Cette technique est facilement
repérable car elle laisse une cuvette sur le papier du aux
pressions de la plaque de cuivre sur la feuille.
Extrait de : bibulyon.hypotheses.org (également source de
l’image ci-contre)
3-Les progrès des connaissances sur le monde végétal
Outre ce qui a déjà été dit sur les voyages scientifiques et sur les jardins botaniques :
Le vocabulaire botanique
Le sens des mots change au
cours du temps. C’est, en
particulier, le cas du mot
« légume » dont, finalement,
le sens ancien était plus
rigoureux et exact que le
sens moderne qu’il a pris… au
18e S !
Extrait de Dominique Michel, 2003
L’art de classer les plantes
Différentes classifications ont été proposées au cours de l’histoire et, point intéressant
notre sujet, elles se sont souvent traduites sur le terrain par la réalisation de jardins qui
s’inspiraient de la conception exprimée dans cette classification. Tournefort, grand
botaniste et grande figure de la fin du 17e S, avait ainsi contribué à fournir une nouvelle
classification des plantes et à réaliser le jardin du Roi (Louis XIV). Mais il refuse une idée qui
va être la grande révolution conceptuelle du 18e S : la sexualité des plantes. Linné, plus
pragmatique, même s’il ne défend pas particulièrement l’idée de sexualité chez les plantes,
va l’utiliser et fonde son système de classification des plantes sur le nombre d’étamines
c’est-à-dire le nombre d’organes mâles producteurs de pollen. Le jardin d’Uppsala en
Suède est réalisé suivant sa conception. Revenons en France et intéressons-nous à la
famille des de Jussieu qui a fourni plusieurs excellents botanistes : Antoine, Bernard (deux
frères) et Antoine-Laurent (leur neveu). C’est Bernard qui a conçu les plans du jardin du Roi
(Louis XV) en s’inspirant de la classification qu’il a élaborée. C’est également Bernard qui a
fait construire l’orangerie du château de Versailles dont nous avons déjà parlé (2e partie).
Antoine-Laurent a poursuivi les travaux de son oncle et est surtout connu pour avoir établi
ce que l’on appelle la «règle de subordination des caractères ». Que dit-elle ? Que certains
caractères des plantes sont plus importants que d’autres, sont plus constants et
permettent ainsi une classification plus naturelle. Les grandes familles de plantes étaient
ainsi établies et d’une certaine façon elles ont peu changé depuis.
N’oublions pas enfin JB Lamarck qui était aussi un très bon botaniste même s’il s’est - et
peut-être contre son gré – davantage illustré en zoologie.
Le botaniste suédois Carl von Linné publie
en 1735 son « Systema naturae ». Les
plantes y sont divisées en 24 classes selon
le nombre des organes mâles (étamines),
chaque classe étant redivisée en ordres
selon le type d'organe féminin (pistil).
Vers la fin du XVIIIe siècle, la complexité
des différents systèmes entraîne les
botanistes à distinguer les classifications
artificielles qui permettent de reconnaître
les espèces et les classifications naturelles
qui veulent prendre en compte tous les
caractères. Linné lui-même réfléchit à une
méthode naturelle mais les véritables
fondateurs en sont Michel Adanson (1727-
1806) et Antoine-Laurent de Jussieu
(1748-1836). Leurs travaux sont à l'origine
des sciences modernes de la classification
des formes vivantes (la systématique).
http://gallica.bnf.fr/essentiels/repere/scienc
es-naturelles-xviiie-siecle
Les herbiers
Outre l’illustration botanique, les jardins botaniques, les expéditions botaniques, le 18e S
est aussi marqué par la confection de très nombreux herbiers, en particulier en France.
Les herbiers qualifiés d’"historiques" représentent des
ensembles précieux pour les chercheurs car ils témoignent de
concepts de classifications particulières et contiennent de
nombreux spécimens de référence (types).
Présentation
Les herbiers historiques, comprenant environ 150 000
spécimens aujourd’hui, sont conservés séparément. Les plus
importants sont encore classés selon l’ordre suivi par leurs
concepteurs, dans les ouvrages où ceux-ci ont décrit des
plantes ou élaboré des systèmes de classification. Parmi ces
grands auteurs on peut citer les Jussieu actifs au Muséum
pendant trois générations (des années 1710 aux années 1850),
Michel Adanson (1727-1806), Jean-Baptiste de Lamarck
(1744-1829), André Michaux (1746-1803), René-Louiche
Desfontaines (1750-1833), Alexander von Humboldt (1769-
1859) et Aimé Bonpland (1773-1858). En général, ces
collections couvrent un spectre taxonomique très large (plantes
vasculaires et non vasculaires) et ont une répartition
géographique assez vaste également.
Parmi ces collections conservées séparément, on trouve aussi
des objets de format particulier. C’est le cas d’anciens herbiers
reliés tels ceux de Jehan Girault (ce petit livre date 1558 et est
entré grâce à la famille Jussieu), de Jean-Jacques Rousseau (15
classeurs contenant des types de Guyane récoltés par Jean-
Baptiste Fusée Aublet) et d’Albrecht von Haller (XVIIIe
siècle). Enfin, certains herbiers sont rangés dans ces
collections, en raison de leur singularité comme l’herbier Léon
Mercurin (XXe siècle), dont les spécimens, montés très
finement sur du bristol, sont très jolis.
Historique
Au XVIIe siècle, les botanistes fondent et consultent les
cabinets d’histoire naturelle. Ils annotent les échantillons et
décrivent de nouvelles espèces. L’herbier de Joseph Pitton de
Tournefort (1656-1708), nommé botaniste au Jardin du Roi en
1683 et à l’origine d’un grand développement de la botanique,
deviendra statutairement le premier herbier historique.
[Comme on l’aura noté, c’est au cours du 18e S que se
constitue l’essentiel des herbiers « historiques » dont le
récent très lourd travail de numérisation par le Muséum en
fait aujourd’hui plus encore qu’avant un outil de partage de
connaissance mis à la disposition de toute la communauté
des botanistes.]
Une page extraite du site du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris,
https://www.mnhn.fr/fr/collections/ensembles-collections/botanique/herbiers-historiques
Cette linaire (Antirrhinum sp.), intégrée dans l’herbier Jussieu, fut récoltée, en 1765, dans le jardin des
apothicaires à Paris. (source, MNHN)
4-Le développement de nouveaux métiers, grainetiers, semenciers, sélectionneurs
Les tout premiers catalogues de vente de
graines sont publiés en Grande-Bretagne
dès le 17e S. En France le catalogue
Andrieux est publié au 18e S. Il deviendra
le catalogue Andrieux-Vilmorin, associé à
la célèbre famille de semenciers-
sélectionneurs, les Vilmorin.
C’est au 18e S qu’apparaît le nouveau
métier d’ « hybrideur » qui deviendra
par la suite celui de sélectionneur-
producteur de semences ou de plants. Le
premier d’entre eux est officiellement le
pépiniériste anglais Thomas Fairchild, qui
en croisant artificiellement deux espèces
d’œillets a obtenu un individu stérile
mais se reproduisant par multiplication
végétative, donnant ainsi naissance à
une nouvelle variété pouvant être
reproduite à l’infini. Ce modèle fut
aussitôt transposé à de nombreuses
autres espèces du même type, en
particulier les arbres fruitiers et les
plantes ornementales, débouchant sur
une multitude de nouvelles variétés dont
certaines sont toujours cultivées
aujourd’hui. Mais pour fixer et exploiter
le progrès génétique chez les plantes à
reproduction uniquement sexuée le
problème est tout autre et il faudra
attendre le siècle suivant pour voir les
premiers résultats significatifs.
(d’après Henry Feyt, IRD 2007)
Hervé Levesque
Relais-Nature Jouy-Vélizy, Revue « La Garance voyageuse »