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Soutenir le travail d'organisation du travailleur indépendant et l'agencement de situations de gestion

Authors:
  • Ministry of Labour, Paris, France

Abstract

Le développement de stratégies de services et d’accompagnement visant explicitement le « travail d’organisation de l’activité » des indépendants et des créateurs d’entreprise constitue un vecteur de sécurisation des trajectoires non salariées aujourd’hui souvent absent de débats polarisés – et on peut le comprendre – par les questions de protection sociale. La compréhension de l’entrepreneuriat comme « processus d’émergence organisationnelle » permet de donner un contenu nouveau à ces stratégies d’accompagnement, qu’elles soient déterminées par les acteurs de la politique de l’emploi, ou résulte de l’offre de service constituée par les tiers dont l’activité propre soutient l’émergence de nouvelles formes d’emploi (CAE ; couveuses-incubateurs ; sociétés de portage ; etc.). Ces stratégies visent le développement d’un apprentissage centré sur les « situations de gestion ».
#FUTUREOFWORK | Colloque de l’Observatoire du Travail Indépendant
Mercredi 12 septembre 2018 ― Paris, Auditorium du Monde
oOo
Soutenir le travail d’organisation du travailleur indépendant
et l’agencement de situations de gestion
Laurent DUCLOS
1
Résumé : Le développement de stratégies de services et d’accompagnement visant
explicitement le « travail d’organisation de l’activité » des indépendants et des créateurs
d’entreprise constitue un vecteur de sécurisation des trajectoires non salariées aujourd’hui
souvent absent de débats polarisés et on peut le comprendre par les questions de
protection sociale. La compréhension de l’entrepreneuriat comme « processus
d’émergence organisationnelle » permet de donner un contenu nouveau à ces stratégies
d’accompagnement, qu’elles soient déterminées par les acteurs de la politique de l’emploi,
ou résulte de l’offre de service constituée par les tiers dont l’activité propre soutient
l’émergence de nouvelles formes d’emploi (CAE ; couveuses-incubateurs ; sociétés de
portage ; etc.). Ces stratégies visent le développement d’un apprentissage centré sur les
« situations de gestion ».
Mots clés : création d’activité ; accompagnement ; émergence organisationnelle ;
apprentissage ; situation de gestion.
Classification JEL : L26,D21
La devise de la République, comme toute formule, constitue un client de choix pour les
appropriations et les détournements. L’intitulé de la seconde table ronde de #FUTUREOFWORK –
évènement consacré au développement des « nouvelles formes d’emploi indépendant » – Liberté,
Egalité, Représentativité mérite de ce point de vue un commentaire.
On considère habituellement que la structuration du salariat est le produit d’un échange qui
détermine, avec l’Etat social, le statut salarial : « subordination contre protection ».
Historiquement, ce statut gagne la bataille : le taux de salarisation de l'emploi croît en effet
continûment depuis un siècle, passant de 56 % au début du XXe siècle, à 72 % en 1962, et près de
90 % aujourd’hui
2
. Les protections qui sont attachées à ce statut pouvaient avoir deux sources :
1/. l’organisation de l’entreprise elle-même. La taille de l’organisation, sans doute, mais surtout
les fonctionnements d’entreprise
3
autorisent normalement une prise en charge collective des
risques de nature économique, au moins jusqu’à un certain point
4
. On pouvait appeler
marché interne le modèle d’entreprise sous-tendant historiquement et idéalement cette
capacité de collectivisation des risques, jusqu’au cœur même des épisodes de
1. Chef de projet « Ingénierie de parcours et stratégie d’accompagnement » – DGEFP. Chercheur rattaché à l’IDHES – UMR CNRS 8533.
École normale supérieure Paris-Saclay. E-mail : laurent.duclos@emploi.gouv.fr
2. Marchand (O.), 2010, « 50 ans de mutations de l’emploi », Insee Première, n° 1312, se ptembre. L’INSEE indique ce faisant que de 2006
à 2011 – hors agriculture –, les effectifs de non-salariés progressent de nouveau de 26 %, ce qui s’expliquerait pour partie par le
développement du statut de micro-entrepreneur et de la pluri-activité qui lui est souvent associée. V. Omalek (L.), Rioux (L.), 2015,
« Panorama de l’emploi et des revenus des non-salariés », Insee Références, p.11-28.
3. Avec un pouvoir réglementaire de l’employeur désormais intégré à l’ordre juridique étatique, autorisant par contrecoup le
développement de pratiques d’auto-réglementation de l’entreprise – une émancipation juridique de l’entreprise donc – et l’exercice
en son sein de libertés collectives qui furent le ferment du « développement social d’entreprise ». Jeammaud (A.), Lyon-Caen (A.),
1982, « Droit et direction du personnel », Droit social, n° 1, janvier, p. 56-69.
4. La détermination de ce « point » est partie intégrante du modèle de responsabilisation de l’employeur construit autour des exigences
du Plan de sauvegarde de l’emploi (art. L. 1233-61 c. Trav. et suiv.), et plus généralement des obligations qui restent à la charge de
l’employeur lorsque la rupture du contrat de travail est à son initiative (difficultés éc onomiques ; cas de force majeure ; etc.).
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2
restructuration
1
. Les évolutions marquant aujourd’hui les modalités d’exercice du pouvoir
économique se sont traduites par une certaine tendance à la commercialisation des formes
de mobilisation de la main d’œuvre ; des pressions exercées sur le « corps salarié » au partage
du risque économique ; une pluralisation des modalités d’externalisation du risque
d’emploi
2
; l’érosion de la norme d’emploi
3
avec la multiplication subséquente des formes de
rupture des contrats de travail. Pour le dire vite, ces évolutions ont largement déclassé la
conception de l’entreprise comme support de prévoyance organisationnelle et instance du
développement social
4
, en dépit de la récurrence des appels à la Responsabilité Sociale de
l’Entreprise (RSE)
5
;
2/. le mécanisme de l’assurance sociale et les techniques de mutualisation permettant de
répartir sur une collectivité élargie la branche ; le secteur privé ; la nation la charge de
certains « grands » risques, précisément qualifiés de « sociaux », liés à l’existence mais aussi
aux conditions du travail. L’institution de tels risques peut aller jusqu’à exonérer l’employeur
à la fois d’une charge et d’une responsabilité liée à la réalisation de l’aléa, ainsi évidemment
du risque chômage. La protection en question s’entend évidemment de la sécurité sociale
lato sensu, mais donc également de la prévoyance collective dite complémentaire mise en
œuvre par les compagnies d’assurances, les mutuelles et/ou les institutions de prévoyance,
via des contrats collectifs majoritairement
6
. Elle s’entend donc aussi du champ des garanties
sociales notamment visées par l’article L. 2221-1 du code du travail, en droit des relations
collectives du travail, y compris la formation professionnelle.
L’indépendance : un nouvel horizon d’émancipation des travailleurs ?
Les situations d’insécurité économique notamment liées à la faiblesse des revenus d’activité de
certains indépendants
7
; les faits de dépendance économique de travailleurs formellement non
salariés ; la faiblesse relative de la couverture sociale, alimentent aujourd’hui le débat public sur
la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs indépendants
8
. Et il est
compréhensible que l’indépendant d’aujourd’hui veuille sa part de la protection hier réservée au
salarié
9
. Le brouillage des frontières ou l’épaississement d’une zone grise entre salariat et
1. Doeringer (P.B.), Piore (M.J.), 1971, Internal Labor Market and Manpower Analysis, New York, D.C. Heath and Company.
Symptomatiquement, l’Etat prodiguera des encouragements à la gestion prévisionnelle des emplois, puis des compétences, sous
l’intitulé de la GPEC, au moment même où le maintien de l’emploi cessera d’être une stratégie dominante de la (grande) entreprise.
Cf. Duclos (L.), 2008, « Le droit de la bonne pratique. Enquête sur une norme de gestion prévisionnelle de l'emploi et des
compétences », Cahiers philosophiques, n° 116, p. 41-68.
2. Dupuis (Y.) et Larré (F.), 1998, « Entre salariat et travail indépendant : les formes hybrides de mobilisation du travail », Travail et
Emploi, n°77, p. 1-14 ; Morin (M.L), Dupuy (Y.), Larré (F.), Sublet (S.), 1999, Prestation de travail et activité de service, Cahier travail et
emploi, Ministère de l'emploi et de la solidarité, Paris, La Documentation française. Plus récemment, voir Jolly (C.), Flamand (J.), 2017,
« Salarié ou indépendant : une question de métiers ? », La note d’analyse, n°60, France stratégie, septembre; Thiery (S.), éd., 2017,
« Les nouvelles formes de travail indépendant », Avis et rapport du CESE, novembre.
3. En référence à la disposition de l’art. L. 1221-2 c. Trav. (loi n°2008-596 du 25 juin 2008) « Le contrat de travail à durée indéterminée
est la forme normale et générale de la relation de travail ».
4. Sainsaulieu (R.), 1987, « Développement social et création institutionnelle de l’entreprise », Organisation et management en
question(s), Logiques sociales L’Harmattan, Paris, p. 203-221.
5. Sur ce paradoxe, voir Supiot (A.), 2004, « Du nouveau au self-service normatif : la responsabilité sociale des entreprise », in Mélanges
en l'honneur de Jean Pélissier, Analyse juridique et valeurs en droit social, Dalloz, p.541-558.
6. Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, dite loi Evin. Art. L. 911-1 et suiv. CSS.
7. Salembier (L.), Théron (G.), 2018, « Les revenus d’activité des non-salariés en 2015 », Insee Première, n°1688, février; Auboin (P.),
Berthelot (F.), Lièvre (G.), 2018, « Les micro-entrepreneurs fin décembre 2017 », Acoss Stat, n°273, Juillet ; Les entreprises en France,
Insee Références, Édition 2017 ; Panorama de l’emploi et des revenus des non-salariés, Insee Références, Édition 2015.
8. Voir les débats autour de la suppression du RSI, effective au 1er janvier 2018, ou l’élargissement du périmètre de l’assurance chômage
(Willmann (C.), Éd., 2018, Assurance chômage : un nouveau modèle ? (dossier), Droit social, n°7-8, Juillet-août, p.580 s.). Voir
également, Amar (N.), Viossat (L.C), 2016, Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale, Rapport IGAS n°2015-121R,
mai ; Jolly (C.), Prouet (E.), Wisnia-Weill (V. ), 2016, « Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs », France s tratégie 2017-
2027, mars ; Elbaum (M.), Éd., 2016, Rapport sur la protection sociale des non salariés et son financement (HCFIPS), octobre. Cf.
également l’appel à projets DREES-DARES 2018 relatif aux « formes d’économie collaborative et la protection sociale ».
9. Cf. Sondage Talk4-Observatoire du travail indépendant du 12 septembre 2018. En ligne : https://www.travailindependant.org/wp-
content/uploads/2018/09/Resultats-talk4OTI.pdf
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indépendance une certaine convergence entre conditions salariale et non-salariale
1
justifieraient d’ailleurs que puissent être « exportées » vers les non-salariés, voire
unifiées/universalisées tout ou partie de ces protections. Tel est l’esprit du titre II et de
l’article 51 de la loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir
professionnel : « une indemnisation du chômage plus universelle et plus juste ». Pour autant les
débats ont montré qu’il pouvait être difficile de s’entendre sur les faits générateurs qualifiant la
privation d’emploi des travailleurs indépendants.
Alors que les salariés avaient vu leur protection progresser au prix de leur subordination, il ne
faudrait évidemment pas que le nouvel horizon d’émancipation promis aux indépendants les
amène à lâcher la proie pour l’ombre, à échanger la subordination contre une dépendance
économique porteuse à son tour d’insécurité. Le travailleur indépendant qui gagne en
responsabilité – devrait aussi pouvoir gagner en sécurité(s) pour pouvoir véritablement exercer
sa liberté
2
.
D’où d’ailleurs – face au spectre de la dépendance – la quête de nouvelles solutions de régulation
à laquelle renvoie l’exigence de représentativité dans l’intitulé de la table ronde. En matière de
régulation, une tendance se dessine ainsi autour d’une triple nécessité : il faudrait pouvoir peser
sur le fonctionnement des « réseaux » sur les stratégies d’externalisation, les conditions de
commercialisation de la relation d’emploi, la sous-traitance généralisée, le report des risques liés
à l’entreprise sur des tiers (y compris l’assurance chômage) pour ré-imputer correctement la
responsabilité ; protéger les « minorités de réseau » en garantissant leur autonomie ; mais aussi
faciliter la représentation des intérêts transversaux en revisitant les droits d’action collective
3
.
Il conviendrait enfin d’inventer des sécurités qui conviennent aux deux c(h)amps, dans un monde
l’instabilité de l’emploi semble un fait accompli pour tous à quoi enfin renvoie la
revendication d’une égalité dans l’intitulé de la table ronde. C’est l’idée, par exemple, de
développer des techniques de portabilité et/ou transférabilité des droits congrues aux parcours,
trajectoires et transitions professionnelles d’aujourd’hui. De ce point de vue, le CPF constitue un
laboratoire et un test intéressant de mise en œuvre d’un droit d’abord pensé pour le monde
salarié
4
.
Ces débats bien engagés concernent l’établissement de (nouvelles) garanties sociales et/ou
statutaires, individuelles, et donc prioritairement le champ de la protection sociale ; ils ne disent
rien ou presque du rôle que pourrait jouer l’appui à la structuration et à l’organisation de
l’activité même des travailleurs non salariés ou des créateurs d’entreprise dans la sécurisation de
leurs trajectoires d’emploi
5
.
1. Pour un essai récent sur ces convergences, voir par exemple d'Avezac de Moran (T.), 2016, « Penser l emploi autrement : Nouvelles
formes d’emplois, nouvelles compétences, nouveaux rapports au travail », Lab’HO, Adecco, décembre.
2. La liberté implique la responsabilité, la responsabilité implique à son tour la sécurité, faute de quoi liberté et responsabilité ne
peuvent s’exercer. Cet équilibre pourrait caractériser la relation d’emploi moderne y compris dans le salariat. D’où, d’ailleurs
l’exigence d’égalité sur les droits et les protections repensées. Cf., notamment, Supiot (A.), 2002, « Entre marché et régulation : les
nouvelles régulations sociales assurent-elles une sécurité tout au long de la vie ? » in Auer (P.), Gazier (B.), éds., L’avenir du travail, de
l’emploi et de la protection sociale, IIES, Genève, OIT, p. 171-173.
3. Duclos (L.), Groux (G.), Mériaux (O.), éds., Les nouvelles dimensions du politique : Relations professionnelles et régulations sociales,
Paris, L.G.D.J ; Gunther Teubner, « L’hydre à plusieurs têtes : les réseaux comme acteurs collectifs de degré s upérieur », in Droit et
réflexivité, Bruylant-LGDJ, 1996, p.267-290.
4. Art. 39 II de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; Art. L. 6323-25 et s. c. Trav. ; notament art. 1 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre
2018. V. Luttringer (J.M), 2018, « Quel CPF pour les travailleurs non salariés ? », Chronique n°137, JML Conseil – Droit et politique de
formation, mai.
5. Nota bene : quand ils ne l’encouragent pas, les pouvoirs publics suivent évidemment de près le développement des nouvelles formes
d’emploi, pour autant notamment qu’elles puissent constituer un cadre pour la sécurisation des trajectoires. Le problème est alors de
savoir ce qu’on trouverait à loger dans ce cadre. Voir, à ce sujet, l’intervention de la Déléguée générale à l’emploi et à la formation
professionnelle, Emmanuelle Wargon, « Evolution des formes d’emploi et politiques publiques » au Conseil d’orientation pour
l’emploi, le jeudi 23 janvier 2014. Cf., récemment, la détermination par l’article 83 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 d’une
expérimentation relative aux entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI).
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L’indépendant juge de l’opportunité de sa gestion
Normalement autonome dans l’organisation de leur travail, les travailleurs indépendants sont
en contrepartie des risques qu’ils assument juges de l’opportunité de leur gestion. On pourrait
s’interroger sur la valeur de cette liberté pour les intéressés, ce qui l’affecte pour mieux en
connaître le contenu. Il se peut en effet que le droit de l’exercer – formellement consacré soit
donné sans les moyens, enlevant précisément la possibilité d’éprouver la valeur qui pourrait s’y
attacher et d’exercer vraiment une responsabilité … de gestion
1
.
Le problème, en effet, n’est pas de simplement « barrasser les travailleurs de l’incertitude du
lendemain » – comme aurait dit Pierre Laroque – et de les protéger contre les risques prévisibles
de l’existence (même s’il le faut), mais également de donner à ces travailleurs les moyens
d’assumer une liberté et des responsabilités nouvelles, associées aux nouvelles formes
d’engagement dans le travail. Face aux risques d’entreprise, il faut ainsi mettre les indépendants
et les créateurs en capacité d’élaborer des réponses qui leur soient propres à travers / par
l’entremise de / grâce à leur gestion.
Réussir à mieux identifier le rôle que joue pour la sécurisation de sa propre activité
l’organisation d’un indépendant permettrait sans doute de rationaliser et de renouveler l’offre de
soutien à la création d’activités pérennes, qu’il s’agisse des stratégies d’accompagnement
déterminées par les acteurs de la politique de l’emploi, ou de l’offre de service constituée par les
nouveaux tiers de la relation d’emploi (sociétés de portage salarial ; plateformes de
crowdworking
2
) aujourd’hui suspectés de précipiter la précarisation et/ou « l’uberisation »
généralisées de l’emploi.
L’émergence des sociétés de portage salarial naguère, aujourd’hui des plateformes de
crowdworking n’a pas simplement rendu plus aiguë encore le brouillage des frontières entre
indépendance et salariat, elle a réintroduit subrepticement cette question de l’organisation, mais
sous la figure moderne du tiers
3
. Du point de vue de l’indépendant, aujourd’hui, le travail
d’organisation peut ainsi devenir de façon presque évidente l’attribut d’un tel tiers dont le
service propre aurait pour principal intérêt de lui « simplifier » la gestion. Ainsi qu’en témoigne,
par exemple, l’argumentaire du groupe ITG, le premier avantage d’un recours au « tiers porteur »
serait de « faire gagner du temps » au travailleur : « Devenez indépendant en 24h tout en étant
libéré de la gestion. La société de portage salarial prend en charge 100% de vos démarches
administratives »
4
. Le président de la Fondation Travailler autrement ne dit pas autre chose
lorqu’il insiste sur l’utilité des tiers : « L’accompagnement des travailleurs indépendants au
quotidien doit passer par des tiers employeurs, dont le rôle doit être d’accompagner les
travailleurs indépendants face à leurs enjeux : formation, protection, gestion des complexités
administratives, conseils pour développer son activité, etc. »
5
.
Notons que si le portage permet par construction d’accèder aux garanties sociales qui s’attachent
à la condition salariée, il ne comprend en revanche aucune promesse de développement
économique
6
. A l’inverse, alors que l’assignation statutaire est une condition de viabilité pour les
plateformes – aujourd’hui préservée par le juge, et enrichie socialement par voie d’ordonnance
7
1. Une courte majorité d’indépendants se vit comme entrepreneur (Sondage Talk4-Obse rvatoire du travail indépendant, op. cit.).
2. Wattecamps (C.), Kleczewski, (A.), Marique, (E.), 2017, « Des écueils en droit de l’éc onomie de plateformes : regards reno uvelés sur
certaines dichotomies fondamentales », Reflets et perspectives de la vie économique, Tome LVI, p. 57-95.
3. Xhauflair (V.), Pichault (F.), 2012, « Du Tiers à la Tercéisation : modalités d'une fonction essentielle pour l'émergence d' une régulation
à l'échelon inter-organisationnel », Négociations, n° 18, p. 43-59. Kerbourc’h (J.Y), Prouet (E.), 2018, « Les tiers dans la relation de
travail : entre fragmentation et sécurisation de l’emploi », La note de France Stratégie, n° 65, mars.
4. https://www.itg.fr/portage-salarial/introduction.html#Avantages.
5. https://www.leportagesalarial.com/etude-travailleurs-independants-enseignements/
6. Contrairement à une entreprise classique, l’entreprise de portage n’est pas tenue de fournir du travail au salarié porté : art. L. 1254-2
c. Trav. V. Ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015 rela tive au portage salarial ; art. L.1254-1 à L.1254-31 ; L. 1255-14 à L. 1255-18 ; D.
1254-1 à R. 1254-5 c. Trav.
7. Fabre (A.), 2018, « Les travailleurs des plateformes sont-ils des salariés : premières réponses frileuses des juges français », Droit social,
n°6, juin, p. 547-558. En ce qui concerne notamment la protection sociale des travailleurs des plateformes collaboratives, v. Décret n°
2017-774 du 4 mai 2017 relatif à la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique ; V. également sur
la condition d’autonomie (dans l’organisation ou la direction du travail) : Thiébart (P.), 2015, « Quand l'économie collaborative est
rattrapée par le Code du travail », La Semaine Juridique Sociale, n° 36, 1er septembre, 1297.
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5
– le crowdworking, qui permet d’adresser l’offre de service à une « foule » en constituant la place
de marché automatisée de micro-travaux, comprend quant à lui la promesse d’une activité ad
libitum
1
. Le crowdworking libére également du souci de gestion, mais sur le volet du
développement commercial cette fois. De ce point de vue, le Go It Alone (GIA)
2
d’aujourd’hui
n’est pas nécessairement le Do It Yourself (DIY) typifié par l’anthropologie entrepreneuriale
savante
3
, puisque selon le vœu de l’essayiste Bruce Judson, « l’entrepreneur en solo » devrait
aussi apprendre à outsourcer ce qu’il ne sait et donc ne devrait pas faire.
Pour l’heure, l’examen d’un corpus quelconque ayant le travail indépendant pour thème révèle
que les apparitions du verbe « organiser » y appellent souvent l’emploi de la forme pronominale
réfléchie, le conseil en matière d’organisation prenant l’aspect d’un commandement puisant à la
morale puritaine : il ne faut pas perdre son temps / il faut s’organiser
4
. Autrement dit,
l’organisation pour un indépendant renvoie d’abord à une action qu’il exerce sur lui-même et
non pas à une compétence d’agencement visant un objet extériorisé (c’est-à-dire mis à distance
de soi) ; pour le reste elle peut s’externaliser (c’est-à-dire être sous-traiter). C’est exactement
l’esprit de l’offre aujourd’hui constituée par les legaltechs
5
avec leur régime caractéristique
d’abonnement, évidemment payant, mais incluant souvent des prestations dont la délivrance est
aujourd’hui gratuite en ligne, ainsi du Titre emploi service entreprise (Tese) de l’Urssaf :
plateformes de génération de document, de formalités automatisées et de mise en relation avec
des professionnels du droit
6
; néobanques
7
; experts-comptable en ligne
8
.
Cette offre de prestation est-elle toujours compatible avec le développement des compétences
réellement nécessitées par la création d’activité ? Une telle interrogation n’est pas vaine
concernant notamment – parmi les créateurs ceux qui partant de rien se trouvent obligés de
mener l’enquête pour savoir ce qui dans leur environnement peut avoir statut de ressource pour
le déploiement même de leur activité
9
. De quoi dépend alors la capacité à exercer un « œil
gestionnaire » sur des éléments qui ne sont pas donnés a priori au créateur, mais qui sont utiles à
la détermination et à la concrétisation d’un business model ?
1. « Conduisez quand vous voulez. Gagnez autant d'argent que vous le souhaitez » / « Uber vous donne le pouvoir » etc. Source :
https://www.uber.com/. Pour une approche économique des perspectives de développement des plateformes, voir Baudry (B.),
Chassagnon (V.), 2016, « L’arbitrage entre le salariat et le travail indépendant au prisme des théories de la firme : une analyse
économique des pratiques de crowdworking », Revue de l’OFCE, n°149, p. 167-189.
2. Judson (B.), 2004, Go It Alone! The Secret to Building a Successful Business on Your Own, New York, HarperBusiness.
3. Baker (T.), Nelson (R.E.), 2005, « Creating Something from Nothing: Resource Construction through Entrepreneurial Bricolage »,
Administrative Science Quarterly, 50, p. 329–366.
4. Voir, par exemple, « Les sept règles d’or du travailleur indépendant » proposées sur le site StudyramaPro par Christina Gierse,
Rédactrice en chef de Focus RH : « 1. Pas de travail, pas d'argent. C’est la première règle. Voilà pourquoi dès le ma tin, vous quitterez
votre lit douillet pour rejoindre votre table de travai l. 2. De l'organisation ! Vous pouvez vous imposer votre propre discipline. (…)
L'organisation passe (…) par la hiérarchisation des tâches à effectuer. (…) Le plus dur (…), c'est paradoxalement de n'avoir personne sur
le dos (…) C'est à vous de planifier votre mission et de gérer votre temps, etc. ». http://www.studyrama.com/pro/travail-distance/les-
7-regles-d-or-du-travailleur-independant-17895.html
5. Legaltech (Legal Technology) : solutions logicielles ou de plateforme automatisant la délivrance de prestations de nature juridique
(génération de documents ; mise à disposition d’outils ; prise en charge de processus, de formalités et de tâches spécialisées ; mise en
relation avec des professionnels du droit). Pour une carte des Legaltechs fra nçaises et de l’offre de prestation qu’elles proposent aux
TPE-PME, voir Marraud des Grottes (G.), 2017, « Legaltechs françaises, tendances 2017 : un secteur émergent en phase de
consolidation », Actualité du droit, Wolters Kluwer, 5 décembre – en ligne : https://www.actualitesdudroit.fr/browse/tech-droit/start-
up/10619/infographie-legaltechs-francaises-tendances-2017-un-secteur-emergent-en-phase-de-consolidation
6. e.g : Legalstart – https://www.legalstart.fr/
7. e.g : Quonto, néobanque des entreprises e t des indépendants – https://qonto.eu/fr
8. e.g : ECL Direct – https://www.expert-comptable-tpe.fr/services-ecl-direct/
9. Baker (T.), Miner (A.S), Eesley (D.T), 2003, « Improvising firms: bricolage, account giving and improvisational competencies in the
founding process », Research Policy 32, p. 255–276 ; Emin (S.), Schieb-Bienfait (N.), 2003, « De la pertinence des approches par le
projet pour analyser les processus entrepreneuriaux collectifs », Revue de l’Entrepreneuriat, Vol. 12, p. 15-42 ; Hein (F.), 2016, « Les
fondements culturels de l’action entrepreneuriale », Revue Française de Socio-Économie, n° 16, p. 183-200 ; Vignikin (A.), Leroy (D.),
Chédotel (F.), 2016, « L’improvisation en tant que situation managériale ? Comment évolue-t-elle durant la vie d’un projet ? », @GRH,
n° 18, p. 65-98.
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Qu’est-ce que l’organisation d’un créateur ?
Pour le travailleur indépendant, la première des incertitudes et des préoccupations est en
effet liée à son activité. Il est exposé par nature au risque d’entreprise et on ne peut
certainement rien lui garantir de ce point de vue. Au moins peut-on l’aider à sécuriser son
modèle d’affaire, en renforçant notamment sa capacité d’organisation et donc de jugement.
C’est un élément déterminant du soutien à apporter au développement de l’activité des
indépendants.
Mais qu’entend-on par « organisation » ? Ainsi que le relève Emile-Michel Hernandez, « si les
anglo-saxon disposent de termes différents pour caractériser le processus (organizing) et son
résultat (organization), les francophones doivent se contenter du seul vocable d’organisation »
1
.
Or, la question qui nous intéresse ici du côté des créateurs est d’abord le processus
d’émergence organisationnelle (organizing). Ce n’est que dans un second temps qu’on pourra se
poser la question de savoir si une personne seule au sens du self-employment ou de
« l’emploipreneur » – peut constituer une organisation en tant que phénomène résultant
2
. Pour
autant nous dit Hernandez, lors de la période d’émergence, le créateur doit agir (organizing)
« comme si » son organisation (organization) existait déjà pour pouvoir intégrer et valoriser les
ressources nécessaires au développement de l’activité. Autrement les traits de l’organisation
résultante peuvent être proches des conditions d’émergence d’une activité. Une organisation
de ces deux points de vue pourrait être définie par deux premières caractéristiques : une
intention qui relète l’objectif ou le projet
3
; une attention, d’abord liée à la recherche
d’informations utiles à l’action. En la matière, il faut être capable de distinguer et de sélectionner
dans un flot continu d’activités et d’occupations disparates ce qui précisément doit devenir
l’objet d’une attention privilégiée, un « fait »
4
, pour pouvoir reconnaître et installer par suite des
situations de gestion (cf. infra), au bénéfice évidemment de la consolidation d’une trajectoire de
développement.
L’intention précède l’attention, avant que l’attention ne domine l’intention : c’est ce que nous
disent les didacticiens à propos du développement des apprentissages
5
. Or les situations de
création sont clairement des situations d’apprentissage.
Mais trois autres caractéristiques sont engagées dans la définition tant du processus
d’organisation (organizing) que de sa résultante :
- la séparation « entre l’organisation et son environnement, (mais surtout) entre le créateur et
l’organisation »
6
, incluant un certain degré de formalisation, ce que nous avons appelé
l’extériorisation par différence avec l’externalisation consistant quelque part à confier à un
tiers l’instance de contrôle de l’action
7
. On pourrait dire simplement que l’organisation en
tant que résultante du travail d’organisation naît avec cette dissociation et cette
extériorisation pour la one person organization
8
. Par contrecoup, on peut penser que
l’externalisation du « travail d’organisation » peut peser à terme sur la viabilité des décisions
prises par l’indépendant et donc sur la pérennité de son activité ;
1. Hernandez (E.M), 2008, « L'entrepreneuriat comme processus d'émergence organisationnelle », Revue française de gestion, 185, p.
89-105.
2. De la même façon, le mot « entre prise » désigne l’action de celui qui use de la liberté d’entreprendre (i.e. l’action entreprise), mais
dans un sens second et dérivé il désigne l’organisation de cette action (l’entreprise). Supiot (A.), 2011, Critique du droit du travail,
Paris, PUF, Préface de l'édition Quadrige, pp. IX-XLIV.
3. Schmitt (C.), « Les situations de gestion : Entre intentionnalité et problématisation », Projectics / Proyéctica / Projectique 2017/2
(n°17), p. 9-24.
4. « Dire que l’on est « au cœur d’un fait », c’est souligner l’attention privilégiée que l’on accorde à certains éléments du réel. Le fait n’est
plus une extériorité froide, il est une forme que l’on détache d’un ensemble offert potentiellement à la perception, il est sélectionné
pour son intérêt et est considéré indépendamment des relations causales dans lesquelles il peut être inséré ». Il a désormais de la
valeur. Prairat (E.), 2014, « Valuation et év aluation dans la pensée de Dewey », Le Télémaque, 46,(2), p. 175.
5. Je remercie Patrick Mayen de m’avoir soufflé cette expression.
6. Hernandez (E.M), 2008, op. cit. p. 92
7. Duclos (L.), 2018, « Employeurabilité : définition(s), enjeux et perspectives », Communication à la Commission « Évaluation » du
Conseil National de l'Emploi, de la Formation et de l'Orientation Professionnelles (CNEFOP) 22 mars.
8. Katz (J.A.), « One person organizations as a resource for researchers and practitioners », American Journal of Small Business, vol. VIII,
n° 3, January-March 1984, p. 24-30, cité par Hernandez (E.M), 2008, op. cit.
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7
- l’interaction, c’est-à-dire la capacité à entrer dans des échanges (profitables) avec un
extérieur. Dans le champ disciplinaire dédié à l’entrepreneuriat, les principales revues de
management publient des articles qu’on peut classer par domaine conceptuel ou à
l’intersection de plusieurs domaines. Caroline Verzat et Olivier Toutain ne signalent
curieusement aucun article à l’intersection des domaines « Modes d’organisation » et
« environnement »
1
, alors qu’il est de notoriété publique que l’organisation et le travail
d’organisation constituent le principal moyen d’ajuster l’entreprise à son contexte et,
inversement, d’ajuster l’environnement de l’entreprise afin que cette dernière reste adossée
à ses marchés, c’est-à-dire crée un avantage concurrentiel
2
;
- l’intégration, processus de stabilisation par lequel le modèle de l’entreprise devient
« économique », au sens de la constitution d’un agencement de ressources qui se tient
3
. Pour
évoquer ce processus, on pourrait utiliser le terme de « concrétisation » au sens de
Simondon (« qui croît ensemble ») – pour désigner un double mouvement complémentaire de
juxtaposition et d’intégration de ressources. Un nouvel agencement est créé en combinant
des briques élémentaires. Au départ l’agencement créé reste peu intégré, avant de suivre une
trajectoire évolutive qui lui devient propre ; il gagne en intégration pour devenir un tout
cohérent : c’est la concrétisation (du projet).
Sécuriser le développement de l’activité : l’aide à la structuration de situation de gestion
Quelles stratégies de service et d’accompagnement des indépendants et des créateurs ? Au
contraire du seul développement de « prestations » dédiées, standardisées et disjointes, le
« service »
4
en question viserait explicitement le travail d’organisation de l’activité et l’aide à la
structuration de « situations de gestion ».
Les « situations de gestion » au sens de Jacques Girin sont des interactions « cadrées »
produisant des résultats susceptibles d’être évalués
5
. Structurer des situations de gestion, c’est
transformer les évènements qui émaillent la vie de l’indépendant ou du créateur et/ou les
situations qu’ils traversent en « objets » de sa gestion. Ces situations et ces évènements
produisent donc des résultats dont il conviendrait de pouvoir juger : l’indépendant ou le créateur
doivent être capables de leur donner une valeur, s’ils veulent pouvoir orienter et développer leur
activité. Ce qui doit relever d’une gestion à ce niveau n’est pas donné, au contraire des objets de
gestion de la grande entreprise le plus souvent prédéterminés et préformatés. Il s’agit
notamment que cette structuration soit la source d’un apprentissage qui permette au créateur
de s’appuyer sur son environnement (vs. subir un « contexte d’action » donné), d’y puiser des
moyens ou des ressources pour le développement de son activité
6
.
1. Busenitz (L. W.), Plummer (L. A.), Klotz (A. C.), Shahzad (A.), Rhoads (K.), 2014, « Entrepreneurship Research (1985–2009) and the
Emergence of Opportunities », Entrepreneurship Theory and Practice, 38(5), pp. 981–1000, utilisé dans Verzat (C.), Toutain (O.), 2015,
« Former et accompagner des entrepreneurs potentiels, diktat ou défi ? », Savoirs, n° 39, p. 11-63.
2. Duclos (L.),
Foot (R.), Uzan (O.), 1998, « Les économies de la coordination : généalogie de la grande entreprise industrielle »,
Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, Note de recherche NT9807RF, juin. Akrich
(M.), Callon (M.), Latour (B.), 1988, « A quo i tient le succès des innovations ? ». Gérer et comprendre, n°12, p. 14-29.
3. Thevenot (L.), 1987, Economie et politique de l’entreprise : esquisse des formules d’investissement inductrielle et domestique, INSEE,
Unité de recherche, note n°186/930 (CEE, note n°168/7), 18 juin.
4. Concernant la distinction en « logique de prestation » et « logique de service », voir Baron (X.), Cugier (N.), 2016, « Des services
généraux aux aménités des environnements du travail », l’Expansion Management Review, 10 février, p. 105-110. Fretel (A.), Grimault
(S.), 2016, L’évaluation de l’accompagnement dans les politiques d’emploi : stratégies et pratiques probantes », Comm unication au
Conseil d’orientation pour l’emploi, 2 février.
5. Girin (J.), 1990, « L’analyse empirique des situations de gestion : éléments de théorie et de méthodes», dans A.-C. Martinet
(coordination), Épistémo logies et Sciences de Gestion, Éditions Economica, Paris, p. 141-181; Girin (J.), 2016, Langage, organisations,
situations et agencements, Québec, Presses de l'Université de Laval-Hermann. Schmitt (C.), 2071, « Les situations de gestion : Entre
intentionnalité et problématisation », Proj ectics / Proyéctica / Projectique, n°17, p. 9-24.
6. « Réservons le mot «contexte» aux moments menant à la conformation passive ». « Les caractéristiques d’un contexte sont pensées
comme indépendantes des conduites que l’on y réfère ». En revanche, « un env ironnement est constitué par l’ensemble des conditions
qui interviennent dans le développement des capacités de l’individu au titre de moyen ou de ressources ». Zask (J.), 2008, « Situation ou
contexte ? Une lecture de Dewey. », Revue internationale de philosophie, n° 245, p. 3 13-328.
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8
On découvre les prémices de stratégies d’accompagnement ainsi orientées dans une partie de
l’offre constituée dans le cadre des coopératives d’activité et d’emploi (CAE) ou du portage. Ces
stratégies peuvent être par ailleurs adossées à des garanties statutaires, comme dans le Contrat
d'appui au projet d'entreprise (CAPE) et/ou le CAPE associé à l’environnement créé par les
couveuses (cf. présentation en annexe). Ces stratégies peuvent encore être mises en œuvre à
travers le développement de la fonction d’accompagnement, ainsi du parrainage
1
, un type de
soutien généralement sous-valorisé des dispositifs d’aide à la création (cf. l’exemple du Nouvel
accompagnement à la création ou la reprise d'entreprise, NACRE
2
). Notons que, dans le contexte
de l’entrepreneuriat, le mentorat était souvent valorisé comme patron des formes
d’accompagnement. Pour autant, « il se (distingue) du parrainage, en étant (…) moins orienté
vers l’action »
3
. Or, c’est clairement cette orientation qui nous intéresse en ce qu’elle pourrait
rapprocher le parrainage du format pédagogique des actions de formation en situation de travail
(AFEST) récemment mise à l’épreuve par l’expérimentation initiée par la DGEFP, et lui conférer la
même efficacité
4
. Il y a là tout un champ – notamment ouvert par la mise en place du CPF pour
les indépendants et les pluriactifs
5
– qui devrait intéresser demain, hors les acteurs habituels de
l’accompagnement des créateurs
6
, l’intervention des Fonds d’assurance formation (FAF) des
non-salariés, l’Agefos PME pour le secteur de la pêche maritime et des cultures marines, l’Afdas
pour les artistes auteurs ou, encore, la chambre régionale de métiers et de l’artisanat
7
.
Au bénéfice de l’évaluation du dispositif NACRE, Solveig Grimault a pu montrer que c’était
« plutôt par effraction, ou aux marges (des) réseau(x), mais sans en irriguer le fonctionnement
d’ensemble, qu’apparaissent et que sont activées les conditions d’efficacité d’un véritable service
d’accompagnement territorialisé »
8
. Il faudrait rendre plus visible mais surtout valoriser les
activités qui se déploient dans cette partie immergée de l’aide à la création pour en faire le pivot
des stratégies d’accompagnement. Solveig Grimault insiste à juste titre sur les bénéfices induits
par la relation de parrainage en termes d’accompagnement de l’expérience, de continuité du
service rendu au créateur, d’économie de l’attention. Reprenant les orientations de recherche de
Marcelle Stroobants
9
, elle montre en quoi l’accompagnement du créateur en situation
fonctionne comme « processus habilitation » développer ses compétences). Non pas
simplement en raison de ses aspects formateurs mais aussi parce la structuration de situation de
gestion mobilisent des objets, des procédures, des techniques, bref des outils de/pour la gestion
qui sont des instruments de mise à distance, mais qui participent également, et comme on dit, de
1. Voir, par e xemple, les pratiques déployées par le réseau France initiatives. Counselling, coaching, sponsoring, mentoring coexistent
avec tutorat, conseil ou consultance, parrainage ou encore compagnonnage. Cf. Paul (M.), 2004, L’accompagnement : une posture
professionnelle spécifique, Paris, France, L’Harmattan.
2. Grimault (S.), en collaboration avec Boukabza (C.), Lautard (M.), Rey (F.), Roué (V.), Vigier (V.), 2014, « Enquêtes monographiques sur
le dispositif nouvel accompagnement à la création ou reprise d’entreprise (Nacre) », Document d’études DARES, n°179, février. Le
nouvel accompagnement à la création ou la reprise d'entreprise (Nacre) dédié au public de la politique de l’emploi est une aide au
montage du projet de création ou de reprise d'entreprise, à la structuration financière et au démarrage de l'activité. Depuis le 1er
janvier 2017, le Nacre est une compétence des régions.
3. St-Jean (E.), Mitrano-Méda (S.), 2013, « Former les mentors po ur entrepreneurs pour aller au-delà de la transmission d'expérience »,
Revue de l’Entrepreneuriat, Vol. 12, p. 123.
4. Delay (B.), Duclos (L.), 2016, Les formations en situatio n de travail à l'épreuve du droit : une démarche d'expérimentation, Droit social,
n°12, décembre, p.981-987 ; Caser (F.), Freundlieb (I.), Delay (B.), Duclos (L.), Estrade (M.A), 2018, Expérimentation relative aux
actions de formation en situation de travail (AFEST), Rapport final, Anact, Cnefop, Copanef DGEFP, FPSPP, juillet.
5. Décret 2016-1999 du 30 décembre 2016 relatif à la mise en œuvre du CPF pour les travailleurs indépendants, les membres des
professions libérales et des professions non salariées, leurs conjoints collaborateurs et les ar tistes auteurs ; loi 2018-771 du 5
septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
6. Lesquels restent mobilisés dans le développement et la valorisation des apprentissages et des compétences entrepreneurials. L’Union
des couveuses d’entreprise (UCE), par exe mple, a récemment valorisé le parcours des créateurs en couveuse (qu’ils créent ou non leur
entreprise à l’issue du CAPE), via une certification inscrite depuis janvier 2015 au RNCP « Entrepreneur de TPE », de niveau « Bac +2 ».
Idem en ce qui concerne le réseau des Boutique de gestion (BGE). Sans préjudice des parcours pensés et structurés par l’ensemble des
réseaux « créateurs d’environnement » de créateurs (BGE ; IF ; ADIE ; CAE ; Agence France entrepreneur ; etc.).
7. Voir, à ce propos nota mment, le rapport et l’avis du Cese : Thierry (S.), rapp., 2017, Les nouvelles formes du travail indépendant, Avis
du Conseil économique, social et environnemental, novembre, préconisation 11. On ne sera pas surpris, à l’inverse, que
l’accompagnement et la formation ne soient pas pensés comme des sécurités essentielles par les indépendants et les créateurs. On
notera cependant que l’accompagnement est davantage plébiscité par les « entrepreneurs indépendants » que par les trava illeurs
portés ou les micro-e ntrepreneurs, un effet de position, en lien avec l’expérience (cf. sondage Talk4-Observatoire du travail
indépendant du 12 septembre 2018).
8. Grimault (S.), 2018, « Accompagner la créa tion d’entreprise », Education Permanente, n°216, p.55.
9. Stroobants (M.), 1994, « La visibilite des compétences » in Ropé (F.), Tanguy (L.), éds., Savoirs et compétences, Paris, ministère de
l’Éducation nationale, p. 197-222.
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9
la production de « réalités augmentées ». Cette instrumentation permet d’avoir une certaine
intelligence des situations traversées : elle est habilitante à son tour en ce qu’elle accroît le
pouvoir d’agir ; elle équipe les situations qui contrôlent l’expérience et l’action (elle est donc
contraignante au bon sens du terme)
1
; elle stabilise les apprentissages du créateur,
l’interprétation qu’il peut avoir des évènements qui émaillent la vie de son affaire, comme sa
capacité à valoriser les ressources que lui procure un environnement
2
.
Conclusion
Ainsi que le notent Alain Fayolle et Brigitte Pereira, pour nombre d’acteurs, y compris l’acteur
public, « velopper l’entrepreneuriat, c’est (…) avant tout (encore et toujours) abaisser les
barrières réglementaires »
3
. Si l’on en croit les données Doing Business de la Banque Mondiale la
France a un rang plus qu’honorable en la matière, qu’il s’agisse du nombre de formalités à
accomplir pour créer une entreprise, du temps que cela prend, ou du coût en % du revenu par
tête. Il se peut que « l’attractive simplicité » des créations statutaires envoie aujourd’hui un
mauvais signal aux individus concernés
4
, en leur donnant à penser qu’ils auraient certes
besoin d’accéder à quelques « prestations » constituant un gain de temps pour le
développement « horaire » de l’activité, sans les alerter sur le contrôle que des situations de
gestion installées pourraient utilement exercer sur cette dernière. Or l’intelligence de telles
situations n’est pas donnée avec les statuts. Le fait que le statut juridique est prépondérant pour
la pérennité à cinq ans des entreprises les sociétés étant nettement plus pérennes (67 %) que
les entreprises individuelles classiques (50 %) –, peut témoigner de la différence de maîtrise qui
s’y attache souvent. L’insee le rappelle à l’occasion : la pérennité croît avec l’expérience
professionnelle du créateur
5
. Le problème se pose de façon aigue pour ceux que Alain Fayolle
appelle les « créateurs par nécessité »
6
. On peut rappeler au passage qu’au premier semestre
2014 selon l’enquête Sine –, les créateurs hors micro-entrepreneurs sont en premier lieu des
salariés du privé (32 %) puis des chômeurs (27 %). C’est une première : pour les cohortes
précédentes (2006 et 2010), les chômeurs étaient les plus nombreux
7
. Pour les auto-
entrepreneurs immatriculés au premier semestre 2014, la répartition est comparable : ce sont
essentiellement des salariés du privé (38 %) et des chômeur(28 %).
Ce n’est pas tout à fait un hasard si l’Etat dédie aux créateurs des dispositifs d’accompagnement
– et on pourrait regretter que nombre de micro-entrepreneurs « invisibles » ne trouvent pas à en
bénéficier. Ce n’est pas tout à fait un hasard non plus si – aux termes de l’article L. 6323-6 c. Trav.
« les actions de formation d'accompagnement et de conseil dispensées aux créateurs ou
repreneurs d'entreprises ayant pour objet de réaliser leur projet de création ou de reprise
d'entreprise et de pérenniser l'activité de celle-ci » sont éligibles au CPF. On l’a dit, la question des
apprentissages est centrale pour l’ (auto)contrôle du processus d’émergence organisationnelle.
Olivier Favereau avait naguère insisté sur le lien qui peut s’établir ou non entre la contrainte
extérieure – un certain contexte réglementaire par exemple –, et la question de l’apprentissage :
le fait que la contrainte perçue comme pesant sur un veloppement puisse se transformer en
« simple » condition de ce développement – lui servant même de levier, en raison notamment de
1. Sur cette contrainte d’un genre particulier, voir Berry (M.), 1983, « Une technologie invisible ? L'impact des instruments de gestion sur
l'évolution des systèmes humains », Centre de Recherche en Gestion, Ecole Polytechnique, juin.
2. Quéré (L.), 1997, « La situation toujours négligée ? », Réseaux, 1997/5, n° 85, p. 163-192 ; Quéré (L.), 2006, « L’environnement comme
partenaire », Sujets, activités, environnements: Approches transverses, Paris, PUF, p. 7-29.
3. Fayolle (A.), Pereira (B.), 2012, « L'e ncouragement à l'auto-entrepreneuriat es t-il une bonne politique publique pour l'esprit
d'entreprendre et la création d'entreprises ? », Annales des Mines - Gérer et comprendre, n° 107, p. 52-62.
4. Barnier (L.-M.), Conti (M.), Levy-Ta djine (T.), 2013, « Le statut d’auto-entrepreneur joue-t-il contre l’accompagnement ? Premiers
ques-tionnements et agenda de recherche », dans T. Levy-Tadjine et Z. Su, Entrepreneuriat, PME durables et réseaux sociaux -
Ouvrage en l’hon-neur du professeur Robert Paturel, L’Harmattan, Paris, p. 163-173.
5. Fiche « Démographie des sociétés et entreprises individuelle » in Les entreprises en France, Insee Références, Édition 2017.
6. Versus, les freelances en tant que travailleurs indépendants qualifiés dont l’étude Hopwork / Ouishare 2017 nous dit qu’ils le sont à
90% par choix délibéré (sondage par surveymonkey évidemment susceptible de biais de sélection). https://cdn.malt.com/etude-
freelance-2017/etude-complete-malt-ouishare-2017.pdf
7. Fiche « Créateurs d’entreprises hors micro-entrepreneurs », in Les entreprises en France, Insee Références, Édition 2017.
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la stabilité qui s’attache peu ou prou aux « règles » –, constitue un bon indicateur des capacités
de distanciation, d’extériorisation et d’apprentissage qui devraient pouvoir se manifester lors du
processus d’émergence organisationnelle
1
. Il ne s’agit plus tant d’effacer ou de contourner la
contrainte, mais bien de la dépasser, l’apprentissage organisationnel permettant d’étendre alors
l’espace des possibles
2
. On repère habituellement ce phénomène dans la grande entreprise ; on
pourrait montrer qu’un soutien à l’émergence organisationnelle peut créer un résultat
comparable pour le créateur indépendant : ce dépassement serait le témoin d’une capacité à
multiplier et donc à maîtriser les situations de gestion. Et on peut penser qu’un accompagnement
… en situation précisément, serait un vecteur choisi de développement de cette maîtrise.
1. Concernant les griefs habituellement adressés à la réglementation dans les sondages réalisés auprès des créateurs et des
indépendants et leur inter prétation, voir Duclos (L.), 2018, « Employeurabilité : définition(s), enjeux et pe rspectives », Communication
à la Commission « Évaluation » du Conseil National de l'Emploi, de la Formation et de l'Orientation Professionnelles (CNEFOP) 22 mars
2. Favereau (O.), 2006, « Critères d’efficacité économique du droit du travail », in Lyon-Caen (A.), éd., L'évaluation du droit du travail :
problèmes et méthodes, Paris, Institut International Pour les Études Comparatives-Da res.
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11
ANNEXES
oOo
Sources de l’étude et de la présente communication
Cette communication commandée par l’Observatoire du travail indépendant (OTI) a pour origine les travaux engagés
et/ou alimentés par la DGEFP concernant le concours des « nouvelles formes d’emploi » (NFE) à la sécurisation des
transitions et des trajectoires professionnelles (cf. rapports du Conseil d’orientation pour l’emploi, avril 2014 ; du Conseil
national de l’information statistique, mars 2016). La loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son
avenir professionnel a remis évidemment au cœur de l’actualité la question de la sécurisation des parcours des
indépendants, mais aussi précisé, par exemple, les compétences des OPCA/OPCO à l’égard des TPE-PME aux termes de
l’article L.6332-1 c. Trav. présent et à venir. Voir, notamment, l’introduction à l’article 83 d’une expérimentation relative
aux entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI).
Notre réflexion a également été nourrie par les travaux menés dans le cadre et/ou à destination d’ateliers réunissant des
experts et/ou des dirigeants de la TPE-PME, organisés pour la DGEFP (mars-mai 2014), par le réseau des Boutiques de
gestion (BGE) (juillet 2014), avec le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) en appui à la
construction d’une offre de service du ministère du Travail à destination des TPE-PME en matière de GRH (cf. Plan TPE-
PME, juin 2015), ou encore avec la Maison professionnelle du spectacle vivant en Avignon (juillet 2016) et, dernièrement,
pour le CNEFOP sur la notion d’employeurabilité (mars 2018). Ces travaux personnels ou collectifs ont été prolongés par
un travail d’enquête et une série d’entretiens auprès de responsables de TPE. Je voudrais remercier particulièrement
pour ces échanges : Jean-Claude Picot, directeur du cabinet Cadres Conseil ; Xavier Baron, directeur du cabinet XBRH,
notamment coordinateur du Consortium de Recherche de l’Ile Adam ; Luiza-Maria Martins de Barros, appui-conseil en
gestion de TPE-PME, Ikorina Services. Je voudrais encore remercier Françoise Benczkowski de la Mission ingenierie de
l’emploi à la DGEFP dont l’expertise sur le CAPE, le portage ou les CAE m’a été précieuse, et Solveig Grimault qui a piloté
l’évaluation du dispositif NACRE pour le compte de la DGEFP et de la DARES.
Le contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE)
L’intérêt manifesté par les services de l’Etat et les collectivités pour des initiatives locales développées sous le terme
générique de « couveuses d’entreprise » (associations, coopératives) – permettant à des porteurs de projet d’entreprises
de tester « en situation concrète » la faisabilité du projet et d’acquérir les compétences afférentes au métier
d’entrepreneur – a conduit la DGEFP à proposer entre 2000 et 2002 une expérimentation nationale. Dans la suite de ces
travaux la Loi n° 2003-721 pour l’initiative économique du 1
er
août 2003 qui a institué le CAPE (Contrat d’appui au projet
d’entreprise). L’organisation d’une transition sociale et professionnelle pour des personnes créatrices de TPE et de leur
emploi semblait nécessaire en raison des risques sociaux et économiques attachés au passage au travail indépendant
pour ces personnes, le plus souvent fragilisées ou manquant de culture entrepreneuriale et de moyens. Les personnes
concernées relèvent bien des politiques de l’emploi : 80 % de demandeurs d’emploi et de bénéficiaires de minima sociaux
(dont 30% dans les quartiers de la politique de la ville), des salariés précaire, à temps partiel ou en reconversion. L’objectif
visé est d’assurer une continuité de droits sociaux sur un parcours et une possibilité de réversibilité de la démarche en cas
d’abandon du projet.
Le Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise (CAPE) est un contrat « sui generis »
1
qui définit le cadre d’exercice d’une
fonction d’appui dispensée par une personne morale à un porteur de projet d’activité économique, pendant une durée
comprise entre un et 3 ans. Il est prévu au code de commerce
2
, qui renvoie au code du travail la définition de la situation
sociale et professionnelle
3
du titulaire du contrat d’appui. Le contrat d’appui porte sur les modalités de mise en œuvre
d’une « aide particulière et continue dans le cadre d’un programme de préparation à la création et à la reprise d’une
activité économique ou d’une entreprise, ainsi qu’à sa gestion ». Le contrat doit a minima prévoir les moyens mis en
œuvre, les frais éventuels facturés par la structure d’appui au titulaire du contrat, ainsi que les modalités de calcul et de
versement de l’éventuelle rémunération (il n’est pas prévu de rémunération minimum) ; la nature et les limites selon
lesquelles le titulaire du contrat peut engager la responsabilité de la structure d’appui. Le contrat est articulé autour de
deux phases – une phase de préparation et de test (l’activité est hébergée par la structure d’appui), une phase de
lancement de l’activité (l’activité est immatriculée). Le titulaire du contrat relève du régime général de sécurité sociale et
participe à l’assurance chômage. Il est couvert pour les risques AT/MP et bénéficie de certaines dispositions du code du
travail (Hygiène/Sécurité). Il bénéficie de l’ensemble des dispositions prises en faveur des travailleurs privés d’emploi
(assurance chômage, dispositifs et mesures de l’emploi et de la formation professionnelle). Les conditions de maintien, de
cumul et d’ouverture de droits sont rappelées dans la circulaire UNEDIC n°2007-06 du 16/04/07.
Fonctions assurées par la structure d’appui : la couveuse met en œuvre un ensemble de services et de moyens pour
assurer le développement de l’activité en matière commerciale, juridique, d’appui à la gestion (comptabilité, relation aux
tiers). Elle assure en outre la relation aux organismes sociaux (déclarations sociales et fiscales). La fonction
d’intermédiation mise en œuvre par la structure d’appui (couveuse) pour la mobilisation des ressources publiques et
1. C’est un contrat commercial qui emprunte au droit du travail et de la protection sociale un certain nombre de dispositions qui
permettent d’assurer un statut social protecteur aux personnes sans déréguler le droit positif (contrat de travail). Ce procédé permet
d’étendre le périmètre des droits (chômag e compris) à des publics non salariés (technique d’extension).
2. Articles L. 121-1 à L. 127-7 du Code de commerce.
3. Articles L. 5142-1 à L. 5142-3 du CT.
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privés du territoire au bénéfice du parcours des créateurs (notamment via les mesures de l’emploi et de la formation
professionnelle), permet d’assurer l’ancrage des personnes et des activités dans des réseaux et le tissu socio-économique
du territoire. La structure d’appui assure le suivi et le contrôle des actes afférents au déroulement de l’activité en test et
l’ensemble des responsabilités contractuelles et délictuelles vis-à-vis des tiers, dans la limite des clauses du contrat. Elle
assume un certain nombre de responsabilités afférentes à la fonction employeur : au regard des organismes sociaux, elle
est responsable des déclarations et du paiement des cotisations et contributions sociales et des conditions de travail
(hygiène/sécurité au travail). A noter qu’il est prévu une responsabilité solidaire si le contrat se poursuit au-delà de
l’immatriculation de l’entreprise ; le parcours en couveuse est limité actuellement à la phase ante-création de test du
projet.
La difficulté à mobiliser certaines mesures de l’emploi et de la formation professionnelle (mesures gérées par Pôle Emploi
(CSP), contrats aidés, formation professionnelle etc.), ne permet pas toujours de consolider le modèle économique de
l’accompagnement, et limite les publics concernés comme les jeunes ou les primo demandeurs d’emploi qui ne
bénéficient pas de revenus de remplacement pendant la période de lancement de l’activité ; certains assouplissements
pourraient être apportés pour rendre le dispositif plus attractif vis-à-vis d’acteurs économiques, consulaires, cellules de
reclassement, incubateurs pour le développement du CAPE dans la phase de développement de l’activité après
l’immatriculation de l’entreprise (Cf. le régime de la responsabilité).
Environ 8300 CAPE ont été signés en 2017 par quelques 250 structures associatives ou coopératives. La durée moyenne
du CAPE est de 15 mois. En outre, le dispositif se diffuse dans les Coopératives d’activité et d’emploi (CAE) suite aux
dispositions règlementaires issus de la loi du 31 juillet 2014 qui promeut le recours au CAPE pour encadrer la phase de
test de l’activité des entrepreneurs préalable à l’intégration de l’entrepreneur comme salarié/associé (4000 CAPE environ
signés en 2017).
Source de l’encadré : DGEFP, Juin 2018
Nouveaux services aux TPE/PME : carte des « legaltech » (*)
(*) Legaltech (Legal Technology) : solutions logicielles ou de plateforme automa tisant la délivrance de prestations de nature juridique
(génération de documents ; mise à disposition d’outils ; prise en charge de processus, de formalités et de tâches spécialisées ; mise en
relation avec des professionnels du droit).
Source : Marraud des Grottes (G.), 2017, « Legaltechs françaises, tendances 2017 : un secteur émergent e n phase de consolidation »,
Actualité du droit, Wolters Kluwer, 5 décembre en ligne : https://www.actualitesdudroit.fr/browse/tech-droit/start-
up/10619/infographie-legaltechs-francaises-tendances-2017-un-secteur-emergent-en-phase-de-consolidation
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Entraves à la création d’entreprise dans les pays de l’EU-28, 2012
«Pourquoi ne serait-il pas faisable pour vous de devenir indépendant au cours des cinq prochaines années?»
SOURCES : OCDE/Union européenne, 2016, La création d'entreprises inclusives: recueil de bonnes pratiques, Éditions OCDE, Paris ;
Commission européenne, 2012, «L’entrepreneuriat dans l’UE et au-delà», Eurobaromètre Flash 354.
Quatre figures du créateur d’entreprise
SOURCE : Classification appuyée sur une exploitation de l’enquête système d’information sur les nouvelles entreprises (SINE) de l’Insee et
un échantillon représentatif de l'ensemble des créations d'entreprise du premier semestre 2002, in Gomel (B.), 2011, « Le travai lleur
individuel, une figure dominante parmi les créateurs d’entreprise », Connaissance de l’emploi, n°86, CEE, nov.
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Glissement annuel du nombre de micro-entrepreneurs économiquement actifs et du chiffre d’affaires trimestriel
SOURCE : Auboin (P.), Berthelot (F.), Lièvre (G.), « Les micro-entrepreneurs à fin décembre 2017 », ACOSS STATS, n°273 – Juillet 2018
Dispersion du revenu des « auto-entrepreneurs » actifs en 2014
1. Économiquement actifs : auto-entrepreneurs ayant dégagé un chiffre d’affaires non nul dans l’année ou, en cas d’affiliation en cours
d’année,dans les quatre trimestres qui ont suivi leur immatriculation. Champ : France, hors agriculture et hors taxés d’office – personnes
cotisant à un ré gime social non salarié, en activité en fin d’année. Lecture : en 2014, la moitié des auto-entrepreneurs actifs ont un revenu
inférieur à 2 900 euros sur l’ensemble de l’année. Source : Insee, base Non-salariés.
SOURCE : Les entreprises en France, Insee-Références, Édition 2017.
Créateurs d’entreprises hors micro-entrepreneurs : montant des moyens nécessaires pour démarer selon le secteur
d’activité en 2014
1. Activités spécialisées, scientifiques, techniques et de soutien aux entreprises. Champ : Fra nce, entreprises créées au cours du premier
semestre 2014, exerçant des activités marchandes non agricoles, hors auto-entrepreneurs. Source : Insee, Sine 2014, interrogation 2014.
SOURCE : Les entreprises en France, Insee-Références, Édition 2017.
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Technical Report
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Le rapport présente la démarche et les enseignements d’une expérimentation relative aux « Actions de formation en situation de travail » (AFEST) initiée par la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) en 2014, lancée officiellement en novembre 2015 avec le soutien du Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels (FPSPP), du Comité Paritaire interprofessionnel National pour l’Emploi et la Formation (Copanef) et du Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop), et achevée en juin 2018. L’expérimentation a concerné 21 projets conduits dans 50 entreprises, au bénéfice de la formation de 70 salariés ; les chantiers d’implantation des actions de formation de formation en situation de travail ont été pilotés par une dizaine d’Opca partenaires (Actalians, Afdas, Agefos PME, Constructys, Fafih, Fafsea, Opcalia, Opcalim, Opca TS, Uniformation). L’expérimentation a bénéficié de l’appui du réseau Anact-Aract, opérateur en charge du déploiement opérationnel, du suivi et de la capitalisation des projets. Elle s’est déroulée sur une période de plus de 2 ans. 18 monographies qui constituent le cœur du rapport ont été rédigées sur les différents projets. Coordination et rédaction de la partie transversale : Fabienne CASER (Anact), Isabelle FREUNDLIEB (Aract Centre-Val de Loire), avec les contributions de : Laurent DUCLOS (DGEFP), Béatrice DELAY (Cnefop), et Marc-Antoine ESTRADE (FPSPP). Rédaction des monographies : Lydie DIAN (Aract Centre-Val de Loire), Dominique DILLY (Aract Hauts-de-France), Florent DUBUS (Aract Normandie), Isabelle DUDOGNON (Aract Nouvelle Aquitaine), Yann-Gaël FOURQUIER (Anact), Sylvie MORIN-LAGRANGE (Aract Bourgogne Franche-Comté), Michaël Paquin (Aract Grand Est), Salima Rairi (Aract Ile-de-France).
Book
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Au cours des deux dernières décennies, le champ de la recherche en gestion et des études organisationnelles a connu une croissance considérable. Parmi les productions dans le champ de langue française, certaines font date. Les travaux de notre regretté collègue Jacques Girin entrent dans cette catégorie. Il a en effet produit, au cours de sa carrière, un certain nombre d’articles et de chapitres d’ouvrages qui ont joué un rôle important. Jusqu’ici éparpillés dans des supports variés, parfois confidentiels, ils ont été regroupés ici dans un seul et même ouvrage pour permettre à tout enseignant-chercheur de langue française d’avoir accès à une pensée à la fois riche, originale et d’une grande pertinence pour la recherche contemporaine en gestion.
Article
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La notion de situation est étonnamment très peu mobilisée en management. L’objectif de cet article est de s’interroger sur la pertinence de cette notion pour comprendre la complexité des organisations. Nous montrons aussi que cette notion permet d’envisager les différentes interactions entre les acteurs, leur intentionnalité ou encore la dynamique de ces interactions. Au final, nous proposons une définition de la notion de situation de gestion.
Article
The one person organization has been neglected in much of organizational research. This has occurred despite the one person organization's ubiquity and importance to organizational theory and the workforce. Prior admonishments about the uniqueness of such firms have gone largely unheeded, and suggestions to the owners of one person organizations have often been misguided. The paper goes on to show how this modal organization fits into the open-systems framework and where the one person organization offers unique opportunities for important research in the areas of individual-work and individual-organization relationships, organizational founding research, and occupational choice research for marginal members of society.
Article
Entrepreneurial mentoring is the support of novice entrepreneurs by experienced businesspeople professionals that quickly gain popularity with governmental and non-governmental organizations supporting and developing entrepreneurship. However, a question remains : is it necessary for these organizations to train mentors in order to maximize the novice’s learning or is the mentor’s experience sufficient ? To answer this question, we analyzed (via mentor-mentee dyads) the effect of the mentor’s training, entrepreneurship and mentoring experience on his style of intervention and mentor functions, as well as the effect on the mentee’s degree of satisfaction and learning. Our results show that the more a mentor is trained, the more he develops relational competencies, thereby creating a favorable (trusting) environment and developing an appropriate style (maieutic), which allows the mentee to learn and become more autonomous in his entrepreneurship practice. However, the mentor’s experience in entrepreneurship does not have an impact on the quality of the mentoring relationship nor does it impact the novice’s learning. Our results also show that, contrary to our expectations, mentoring experience has a negative impact on most of the psychological functions of the mentor. We found that this effect can be neutralized by the continuous training of mentors, which suggests that entrepreneurship support organizations should implement specific training sessions for senior mentors.
Article
Current research on cooperation at work feeds on conceptual and theoretical innovations which have appeared in the study of cognitive social activities. This article attempts to gauge such innovations. It focuses in particular on the problematics of « situated action », « distributed cognition » and the operability of objects, of which it emphasizes both the interest and the difficulties. It shows that the rediscovery of the environment and context does not mean that the situation is no longer neglected.
Article
This paper presents a figure of a third-party supporting actors when trying to find sustainable and long-term compromises inside inter-organisational partnerships. On the basis of the transversal analysis of two contrasted case studies of pilot projects – of which one has led to the creation of a new employment regulation scheme, and one has not gone beyond the cobbling-together set up by precarious workers – we identify five characteristics of the third-party action which help to explain the success or the failure of the process. These characteristics are the cornerstones of a terceisation function. This function differs from the usual understanding of the role or function of the third-party actor. It is a pragmatic incentive aiming at placing the actors in a position where they can “terceise” themselves. This means that, with the help of a pragmatist methodology, actors become able to make an identity shift which allows them to go beyond their organisational routines and defensive strategies, and therefore to let emerge new, sustainable, and long-lasting compromises.
Article
Le champ de l’entrepreneuriat, a s’etre trop focalise sur la creation d’entreprise, a longtemps neglige son corollaire, la creation d’organisation. L’ambition de ce travail est de combler ce manque. Une premiere partie precise d’abord la notion d’organisation et celle d’emergentisme. Une deuxieme, a travers plusieurs etudes de cas, montre comment dans la pratique les entrepreneurs passent du projet a l’organisation. En conclusion, l’auteur s’interroge sur la perennisation de l’emergence organisationnelle.
Cet équilibre pourrait caractériser la relation d'emploi moderne … y compris dans le salariat. D'où, d'ailleurs l'exigence d'égalité sur les droits et les protections repensées
La liberté implique la responsabilité, la responsabilité implique à son tour la sécurité, faute de quoi liberté et responsabilité ne peuvent s'exercer. Cet équilibre pourrait caractériser la relation d'emploi moderne … y compris dans le salariat. D'où, d'ailleurs l'exigence d'égalité sur les droits et les protections repensées. Cf., notamment, Supiot (A.), 2002, « Entre marché et régulation : les nouvelles régulations sociales assurent-elles une sécurité tout au long de la vie ? » in Auer (P.), Gazier (B.), éds., L'avenir du travail, de l'emploi et de la protection sociale, IIES, Genève, OIT, p. 171-173.
En ce qui concerne notamment la protection sociale des travailleurs des plateformes collaboratives, v. Décret n° 2017-774 du 4 mai 2017 relatif à la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique
Fabre (A.), 2018, « Les travailleurs des plateformes sont-ils des salariés : premières réponses frileuses des juges français », Droit social, n°6, juin, p. 547-558. En ce qui concerne notamment la protection sociale des travailleurs des plateformes collaboratives, v. Décret n° 2017-774 du 4 mai 2017 relatif à la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique ;