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La loi sur la transition énergétique, croissance verte et développement durable

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La loi sur la transition énergétique pour une croissance verte (2015) se présente comme une nouvelle politique énergétique. Elle intègre bon nombre de problématiques et d'enjeux dont les questions liées à l'habitat et les transports. Pourtant, il existe encore des zones d'ombre. D'une part, la loi continue de s'inscrire dans une logique de croissance économique forte. D'autre part, elle fait la part belle au progrès technique. Enfin, elle ne semble pas tenir compte du nouveau paradigme énergétique qui a émergé dans les années 2000, à savoir le triptyque sécurité énergétique, pauvreté pétrolière et changement climatique. La notion même de justice énergétique confirme l'idée que la volonté des différents gouvernements de mettre en place des politiques visant à atténuer les effets du changement climatique ou à sécuriser leurs approvisionnements en énergie, rend de plus en plus vulnérables les ménages et les populations les plus démunies.
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Revue Francophone du Développement Durable, n°6, octobre 2015
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Loi sur la transition énergétique, croissance verte et
développement durable
Arnaud DIEMER
Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, TRIANGLE
Résumé
La loi sur la transition énergétique pour une croissance verte (2015) se présente comme une nouvelle
politique énergétique. Elle intègre bon nombre de problématiques et d’enjeux dont les questions liées
à l’habitat et les transports. Pourtant, il existe encore des zones d’ombre. D’une part, la loi continue de
s’inscrire dans une logique de croissance économique forte. D’autre part, elle fait la part belle au
progrès technique. Enfin, elle ne semble pas tenir compte du nouveau paradigme énergétique qui a
émergé dans les années 2000, à savoir le triptyque sécurité énergétique, pauvreté pétrolière et
changement climatique. La notion même de justice énergétique confirme l’idée que la volonté des
différents gouvernements de mettre en place des politiques visant à atténuer les effets du changement
climatique ou à sécuriser leurs approvisionnements en énergie, rend de plus en plus vulnérables les
ménages et les populations les plus démunies.
Mots clés :
Croissance verte, énergie, justice, soutenabilité, transition
Entre 2013 et 2015, la France a lancé un Débat National sur la Transition Energétique
(DNTE) qui s’est clos par l’adoption de la loi sur la transition énergétique pour la
croissance verte (loi n°2015-992), le 17 août 2015. De nombreuses institutions ont
participé et alimenté ce débat. En 2013, l’ADEME et l’OFCE ont évalué différents
scénarios à l’horizon 2030 et 2050. A l’aide du modèle Three-ME - modèle d’équilibre
général avec une décomposition sectorielle permettant de différencier les effets
propres à chaque filière et leur impact sur le reste de l’économie – (Callonnec & alii.,
2013), ces deux organismes ont cherché à estimer les gains ou les pertes générées à
partir de trois scénarios de mix électrique (Haut, Median, Bas). Le scénario médian
(baisse de la part du nucléaire dans la production électrique de 25% en 2050) est ainsi
supposé entraîner une augmentation de 3.1 points d’indice de PIB. Autrement dit, la
transition énergétique pourrait engendrer un gain équivalent à deux années de
croissance supplémentaire sur la période 2013 2050 ! (ADEME, 2013). En 2014, le
CREDOC se proposait d’engager les français sur le chemin de la sobriété énergétique
(Maresca, 2014). Ainsi, le débat de la transition énergétique ne devait pas se limiter
aux arbitrages du mix énergétique (sortie du nucléaire, réduction de la dépendance
au pétrole), il avait également l’ambition d’amener les citoyens à plus de
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responsabilisation, à aller au-delà des éco-gestes et à changer leurs comportements.
Ce chemin était parsemé d’embûches, toutefois, incorporé dès la conception des
habitats, des équipements et des usages (celui de la voiture), il était susceptible
d’amener la France à prendre le tournant du bottom-up : « Après les éco-gestes, le
nouvel impératif s’appelle la sobriété énergétique. Celle-ci veut faire advenir un mode de vie
moins consommateur, mais suscite des réticences au nom de la liberté individuelle »
(Maresca, 2014, p. 1). En 2015, l’Académie des Sciences n’hésitait pas à rappeler
l’ambition d’un tel projet : « réduire de moitié l’énergie consommée (on passera de 154 à 77
millions de tonnes équivalent pétrole de consommation d’énergie finale), réduire de 40% en
2030, les émissions de gaz à effet de serre (par rapport au niveau de 1990), porter la part des
énergies renouvelables à 23% de la consommation finale brute d’énergie en 2020 puis à 32%
en 2030 » (note publiée le 22 janvier 2015).
Autant dire que les attentes étaient fortes et que la loi sur la transition énergétique
pour une croissance verte devait relever le défi bottom-up sans toutefois renoncer à
une stratégie top-down impulsée par l’Etat. Quelques mois après sa promulgation, il
semblerait que la loi ait intégré bon nombre de problématiques et de suggestions
formulées par les experts et la société civile. Ainsi, si le champ de l’énergie est encore
marqué par le redéploiement des technologies (anciennes, nouvelles), par les modes
de régulation marchande et le souci de sécurisation des approvisionnements, il
semblerait que la question sociale ait été suffisamment intégrée au cadre législatif
pour tenir compte des usages, des organisations, des acteurs, ainsi que des inégalités
d’accès, de la précarité, des consommations et des conflits géopolitiques (ATHENA,
2013). Pourtant, il existe encore des zones d’ombre (pas de remise en cause de la
croissance, absence de prise en compte du système énergétique global) qui
pourraient bien poser les limites du projet et des scénarios attendus pour 2030 et
2050.
Dans ce qui suit, nous entendons revenir sur les principaux apports de cette loi de
transition énergétique pour la croissance verte, notamment en la comparant à ce qui
s’est mis en place en Allemagne. En effet, l’année 2015 semble marquée par un
nouveau record de production en matière d’énergie renouvelable. Outre-Rhin, les
énergies vertes ont couvert près d’un tiers de la consommation électrique allemande,
à hauteur de 32.5% contre 27.3% en 2014. La production éolienne terrestre s’est hissée
quant à elle à 78 térawattheures (TWh), soit un bon de 50% par rapport à 2014 (Agora
Energiewende, 2015). Ces évolutions conjointes pourraient bien favoriser un
couplage franco-allemand, porteur de projets pour l’avenir (notamment si
l’Allemagne parvient à réduire sa dépendance vis à vis du charbon, ce dernier
représente encore 42% de la production électrique et que la France diminue sa
dépendance vis à vis du nucléaire). Nous évoquerons ensuite les zones d’ombre de la
loi. Si le législateur a cherché à impliquer tous les secteurs consommateurs d’énergie,
la loi s’inscrit encore dans une logique de croissance plus ou moins verdissante avec
le temps. Il semblerait que la sobriété énergétique ne soit pas encore conçue comme
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un modèle visant à changer les comportements des usagers. Par ailleurs, l’absence
totale de référence au système énergétique global risque de peser sur les
représentations du processus énergétique (production, consommation, déchets) et
pire encore, sur l’articulation entre énergie et justice… Plus que tout autre mix
énergétique, il semblerait que la justice énergétique se présente de plus en plus
comme un nouveau paradigme au coeur des scénarios 2030 et 2050.
L’énergie, une variable clé du développement durable
Il est indéniable que depuis les années 90, le développement durable popularisé par
le Rapport Brundtland a occasionné un changement d’état d’esprit, une manière
différente d’appréhender, voire de comprendre le monde et de se projeter dans
l’avenir (Figuière, Boidin, Diemer, 2014). A nos yeux, il introduit six ruptures
sémantiques :
- Préconiser une entrée par les enjeux de société (réchauffement climatique, énergie
renouvelable, OGM, accès à l’eau, préservation de la biodiversité, temps de travail…)
via ce que l’on a coutume de qualifier de questions socialement vives (QSV). Ces
dernières ont l’avantage de remettre en cause le rapport au savoir puisque le risque,
l’incertitude ou l’ignorance font désormais partie intégrante de la réflexion
(Simonneaux, Legardez, 2004).
- Faire le pari de la transdisciplinarité via un raisonnement par la complexité
(Nicolescu, Morin).
- Procéder sur la base d’une analyse systémique. L’acte de conceptualisation par une
approche du type « System Thinking » (Meadows, 2012).
- Substituer la notion de pilier(s) par celle de dimension(s) du développement
durable afin (i) de ne pas se limiter aux seuls piliers économique, social ou
environnemental du développement durable, et de pouvoir inclure les dimensions
culturelle et de gouvernance et (ii) souligner que le développement durable s’inscrit
dans le compromis ou le consensus (en d’autres termes, chacun peut s’approprier la
notion de développement durable et y entrer par la dimension qu’il tend à
privilégier, le tout, bien entendu, étant qu’un débat s’installe entre les différentes
approches).
- Inscrire le développement durable dans des échelles spatio-temporelles : le temps
long est à la fois synonyme de solidarité entre les générations et caractéristique d’une
certaine irréversibilité ; l’espace élargi permet de cerner les relations entre local et
global, mais également l’enchevêtrement des territoires.
- Enfin, considérer que le développement durable renvoie à un ensemble de valeurs,
une certaine éthique dont découlent plusieurs principes : le principe de
responsabilité, le principe de solidarité., le principe de précaution, le principe de
participation…
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Cette capacité « à répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre celle
des générations futures à satisfaire les leurs » fait aujourd’hui partie des nombreux sujets
de controverses qui traversent l’alimentation, la biodiversité, la santé…
Figure 1 : Le développement durable, un nouveau paradigme
Source : Diemer (2011, 2013)
L’énergie n’échappe à cet encastrement. Notamment parce qu’elle est à l’origine
des deux chocs pétroliers survenus dans les années 70 mais surtout parce qu’elle a
transformé le développement durable en lui assignant un nouveau triptyque (Syrota,
2007, Diemer, 2008). En effet, la politique énergétique peut être replacée au cœur des
trois problématiques suivantes : (i) assurer la sécurité énergétique en tenant compte
de l’état des ressources et des perspectives géostratégiques de dépendance ; (ii)
maintenir une
compétitivité économique induisant une croissance et de l’emploi
malgré une énergie
plus rare, donc plus chère ; (iii) tenir compte de la contrainte
environnementale (menace
du changement climatique) qui impose des choix
drastiques immédiats pour réduire les
risques encourus.
La satisfaction des besoins implique une
consommation d’énergie, économe et
solidaire. L’acceptabilité des solutions
préconisées est primordiale pour répondre,
dans la durée, aux nouveaux défis
énergétiques et environnementaux. La
recherche de l’implication de tous dans la mise
en œuvre des politiques
énergétiques est un facteur clé de réussite. Les nouveaux piliers
du développement
durable prendraient désormais la forme suivante.
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Figure 2 : L’énergie, un changement de paradigme au cœur du développement durable
Source : Syrota (2007), Diemer (2008)
Précisions que ces trois piliers ne sont pas d’égale importance, le fait de privilégier
la sécurité énergétique nous engage dans un modèle où les seules alternatives sont la
réduction de la facture énergétique et le respect des contraintes environnementales
(en l’occurrence limiter les rejets de CO2, causes du changement climatique). D’une
certaine manière, la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte reprend
à son compte ce triptyque tout en lui assignant différents objectifs.
La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, une
affaire de sémantique ?
Il est toujours difficile de se livrer au jeu des critiques et des commentaires,
notamment lorsque ces derniers sont sortis du contexte d’élaboration de la loi (loi
n°2015-992 du 17 août 2015). En effet, on ne serait oublié que la loi a été discutée et
votée dans un contexte très particulier, mêlant l’engagement présidentiel (réduire la
part du nucléaire de 75 à 50% en 2025), le débat autour de la fermeture de la Centrale
de Fessenheim, la fiscalité Diesel, la construction de l’aéroport de Notre Dame des
Landes, l’organisation de la COP21, la faillite programmée de l’EPR de Flamanville,
les discussions autour de l’enfouissement des déchets nucléaires et l’abandon de
l’éco taxe.
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Figure 3 : une loi contextualisée
Toutefois, une analyse s’appuyant sur quelques clés d’entrée, peut éclairer le
débat et nous amener à actionner certains leviers destinés à accompagner le
changement. Les termes employés ne doivent générer aucune confusion…
La transition énergétique soulève deux niveaux de réflexion. A un premier stade, elle
nous rappelle que l’énergie n’est pas une simple variable alimentant un système
technique, elle engage des institutions, des citoyens, des systèmes politiques, sociaux,
économiques… Ainsi, le choix d’une source d’énergie est avant tout un choix de
société. Il nous invite à nous questionner sur nos représentations, le cadre retenu et
les objectifs.
Figure 4 : De l’énergie à la transition énergétique
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A un second stade, elle nous rappelle qu’un système énergétique peut être présenté
sous la forme d’un modèle2Ce modèle peut nous conduire vers un certain idéal
(on peut imaginer un modèle d’énergies renouvelables ne rejetant aucun gaz à effet
de serre), une rupture de tendance est possible (un possible mix énergétique pourrait
ainsi émerger : 25% de nucléaire, 25% de solaire, 40% d’énergie fossile, 10% d’éolien)
ou un modèle alternatif, marginalisé, peut prendre forme (30% d’énergie
renouvelable venant se greffer sur 70% d’énergie fossile). La transition énergétique
peut ainsi déboucher sur de nombreux scénarios, tous possibles, certains plus
vraisemblables que d’autres (notamment un mix énergétique dans lequel les énergies
fossiles occuperaient encore une place de choix, 75%).
Figure 5 : Modèle et transition énergétique
La croissance verte est définie dans les textes de la loi comme « un mode de
développement économique respectueux de l’environnement, à la fois sobre et efficace en
énergie et en consommation de ressources et de carbone, socialement inclusif, soutenant le
potentiel d’innovation et garant de la compétitivité des entreprises » (article L 100 1 du
code de l’énergie). Elle s’apparente très souvent à un simple verdissement de
l’économie qui consisterait « à favoriser la croissance économique et le développement tout
en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services
environnementaux sur lesquels repose noter bien être. Pour ce faire, elle doit catalyser
l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance durable et créeront de nouvelles
opportunités économiques » (OCDE, 2012).
Dans les faits, la croissance verte doit favoriser l’émergence d’une économie
compétitive et riche en emplois (les nouveaux gisements du plein emploi !) tout en
mobilisant toutes les filières industrielles. La transition énergétique vers une
croissance verte peut être ainsi assimilée à une forme de découplage… La croissance
continue à progresser cependant elle a moins d’impact sur l’environnement. Les
notions de valeur marchande, coût d’extraction, stocks, modalités d’amortissement
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2 Il convient de rappeler ici que la Ministre de l’écologie (Ségolène Royal) avait proposé de débaptiser
le texte en discussion au Parlement pour l’intituler « Loi pour un nouveau modèle énergétique français ».!
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permettraient de cerner les différentes caractéristiques des actifs naturels tout en les
replaçant dans un écosystème (prise en compte des services écosystémiques).
L’innovation devient un vecteur d’énergie durable (l’hydrogène continue à fasciner
des générations de scientifiques et d’ingénieurs, qui y voient un facteur clé dans la
transition énergétique, Kalinowski, Pastor, 2013).
Figure 6 : La transition énergétique pour la croissance verte
Cela étant, il ne s’agit pas ici de faire le procès d’une initiative publique visant à
proposer un nouveau modèle énergétique pour la France. En effet, les nombreuses
rubriques de la politique énergétique française (efficacité énergétique des bâtiments,
transports propres, recyclage des produits, énergies renouvelables…) font partie
d’un plan ambitieux, louable et digne d’intérêt.
Figure 7 : Les grands chantiers de la politique énergétique
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Le renforcement de l’indépendance énergétique, la recherche de compétitivité
économique, la préservation de la santé humaine ou encore la lutte contre le
changement climatique sont des enjeux de société. Ces derniers suggèrent de veiller à
sécuriser les approvisionnements (voire même de réduire les importations), de
diminuer nos émanations de gaz à effet de serre (et les risques industriels majeurs),
de garantir un droit d’accès à tous les ménages et de lutter contre la précarité
énergétique tout en s’inscrivant dans une stratégie européenne concertée.
La politique énergétique proposée repose sur une dynamique macroéconomique
(prix, demande, croissance, importations), industrielle (filières, compétitivité), sociale
(précarité énergétique), environnementale (pollution, climat) et sanitaire (santé
humaine) qu’il est possible d’illustrer, via la dynamique des systèmes 3 (System
Dynamics) proposée par Forrester (1961, 1967, 1968, 1969).
Cette dernière implique de définir le système observé (il convient d’établir la
limite à l'intérieur de laquelle se produisent les interactions du système qui donnent
au système son comportement caractéristique 4) et la structure des boucles de
rétroaction (le comportement dynamique des systèmes est généré dans ces boucles
de rétroaction). Le but de la modélisation en dynamique des systèmes est d'expliquer
des comportements en fournissant une théorie causale, puis d'utiliser cette théorie
comme base pour concevoir des politiques d'intervention dans la structure du
système5. Tous les liens causals du système ont une polarité, caractérisée par la
direction de l'effet de la variable d'influence sur la variable d'influencée. La nature de
cette influence dépend du type de lien de causalité considéré. Dans un modèle de
dynamique des systèmes, la polarité de chaque boucle de rétroaction est un élément
crucial pour comprendre le comportement du modèle. La perturbation d'une boucle
peut entraîner le grossissement de l'effet original, cette réponse instable est connue
sous le nom de polarité positive de la boucle de rétroaction (une boucle de
renforcement). Alternativement, une perturbation peut être contrée ou combattue
par le fonctionnement de la boucle. Cette réponse d'équilibrage est connue sous le
nom de polarité négative de boucle de rétroaction (boucle d'équilibrage).
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
3!La dynamique des systèmes est avant tout une méthode "de traitement des questions sur les tendances
dynamiques des systèmes complexes, c'est-à-dire les schémas comportementaux qu'ils génèrent au fil du temps".
La dynamique des systèmes nous aide à "apprendre la complexité dynamique, à comprendre les sources de la
résistance politique et à concevoir des politiques plus efficaces" (Sterman, 2000, p. 4). En tant que méthode
ancrée dans l'interdisciplinarité, la dynamique des systèmes s'enracine dans la théorie de la
dynamique non linéaire et du contrôle de rétroaction développée en mathématiques, physique,
ingénierie et plus récemment en sciences économiques et sociales (Diemer, Mulnet, 2012). !
4 Forrester (1968) précise que pour identifier la structure d'un système spécifique, il faut comprendre
la nature fondamentale de la structure commune à tous les systèmes dynamiques.
5 De manière générale, la dynamique du système est centrée sur les tendances dynamiques générales,
"que le système dans son ensemble soit stable ou instable, oscillant, en croissance, en déclin ou en équilibre"
(Meadows, 1980, p. 31).
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Figure 8 : La dynamique énergétique
Au coeur de cette dynamique, figure plusieurs boucles qui renforcent le système
(R1, R2, R3) ou le régulent (B1, B2, B3). L’efficacité et la sobriété énergétique sont les
deux leviers du système, au service de la maîtrise de la demande d’énergie (R1). Le
fait de diversifier ses sources d’énergie, permet d’accroître la part des énergies
renouvelables, de développer un processus de décentralisation, de renforcer les
compétences territoriales, de créer des territoires à énergie positive, lesquels
dynamisent la croissance économique (R2). Cette même diversification des sources
d’énergie génère une structuration des filières industrielles susceptibles d’améliorer
la compétitivité des entreprises et d’insuffler de la croissance économique (R3).
Figure 9 : Arbre des causalités
La diversification des sources d’énergie doit permettre de réduire notre
consommation d’énergie fossile, ce qui sécurise les approvisionnements, réduit les
importations et améliore la croissance économique (B1). De son côté, la maîtrise de
l’énergie génère une baisse du prix de l’énergie, une diminution de l’inflation, une
hausse du pouvoir d’achat, et donc de la demande globale, qui vient relancer la
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croissance économique. (B2). Le développement des énergies renouvelables se
traduit par une baisse des gaz à effet de serre, moins de pollution et de
réchauffement climatique, et donc plus de croissance économique (B3).
Figure 10 : Arbre des conséquences
La présentation de ces 6 boucles (et leur analyse en termes d’arbres de causalités ou
en arbres des conséquences) ne constitue pas une analyse exhaustive, d’autres
boucles pourraient être décrites. L’approche CLD (Closed Loop Diagram) tirée de la
dynamique des systèmes permet de mieux visualiser les boucles de rétroaction et les
décalages temporels propres à la loi de transition énergétique.
Replacer l’énergie dans un cadre de durabilité forte
Aussi curieux qu’il puisse paraître, les avancées proposées par la loi sur la transition
énergétique (les deux secteurs les plus énergivores, le transport et l’habitat, font
l’objet de nombreuses mesures) soulèvent deux types d’interrogation. Le premier
concerne son ancrage dans la croissance verte et l’économie circulaire, véritable
eldorado de la création d’emplois. De ce fait, la loi s’inscrit toujours dans un cadre de
recherche de croissance et associe la sobriété à la simple maîtrise de la consommation
d’énergie. A aucun moment, l’énergie ne préfigure un schéma de durabilité forte
dans lequel la sobriété serait synonyme de baisse radicale de la demande d’énergie.
Le second est relatif aux perceptions de la précarité énergétique. La loi encense une
nouvelle fois l’idée que la maîtrise de la consommation énergétique via l’efficacité
et la sobriété peut réduire la précarité énergétique, via notamment une baisse du
prix de l’énergie, et donc une réduction des dépenses en énergie des consommateurs.
Cette vision ne tient pas compte de la boucle de rétroaction de la pollution et du
climat, qui risque de créer une trappe de pauvreté énergétique.
Croissance verte, sobriété et transition énergétique
Si la loi relative à la transition énergétique propose de nombreuses mesures concrètes
(isolation des bâtiments, création d’un fonds de garantie pour la rénovation
énergétique, développement des transports à faibles émissions de gaz à effet de
serre…), elle reste largement soumise au modèle de la croissance verte. L’article L
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100 – 1 du code de l’énergie est sans équivoque : « La politique énergétique : 1° Favorise
l'émergence d'une économie compétitive et riche en emplois grâce à la mobilisation de toutes
les filières industrielles, notamment celles de la croissance verte qui se définit comme un mode
de développement économique respectueux de l'environnement, à la fois sobre et efficace en
énergie et en consommation de ressources et de carbone, socialement inclusif, soutenant le
potentiel d'innovation et garant de la compétitivité des entreprises ». Ce verdissement de
l’économie n’est pas une rupture en soi, il s’inscrit davantage dans une logique de
découplage (économie – environnement), soutenu par un dispositif d’innovation
(traductible en gains de compétitivité) et l’existence d’actifs naturels évaluables.
Dès lors, on peut s’interroger sur les prétendues vertus de cette loi et sur son
caractère novateur, il semblerait que le législateur n’est pas tenu compte des
réflexions initiées par Peter Victor (2008), Tim Jackson (2009) ou les tenants de la
décroissance (Illich, Rabbi, Latouche) vis à vis d’un modèle qui continue à encenser
l’idée même de croissance. Or, ces réflexions apportent de sérieux éclaircissements
sur la manière de (repenser) notre rapport à l’énergie.
L’ouvrage de Peter Victor, Managing without growth, repose sur un argument phare :
« we in the rich countries can and should manage without economic growth so that people
living in poorer countries can enjoy the benefits of economic growth where it really makes a
difference to their well being » (2008, p. vi). Cet argument est lié à un constat que l’on
peut faire dans la plupart des pays riches, la croissance économique n’est pas
synonyme d’un accroissement du bonheur ou du bien-être des populations. L’auteur
s’attèle ainsi à proposer des modèles de simulation visant à explorer la possibilité
pour le Canada d’atteindre des objectifs économiques, sociaux et environnementaux
non reliés à la croissance économique. Les économies analysées par Peter Victor sont
des systèmes ouverts dans lesquels transitent et circulent des biens, des services, des
flux de capital et de travail mais également de matières, d’énergie et de chaleur. Cette
macroéconomie écologique le conduit à s’interroger sur les relations entre économie
et énergie, et plus précisément sur l’idée même de planification énergétique : « When
thinking about energy planning it is customary to consider the kind of economy and size of
population we expect to have at some time in the future and ask how much energy will be
required and where to get it from » (2008, p. 32). Energy planning consiste donc à
répondre à une double question : comment se procurer de l’énergie dans un contexte
de pénurie croissante de l’offre des énergies fossiles (et donc d’augmentation des
coûts et des prix) et de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Tout en
sachant que (1) les prévisions en matière d’énergie dépendent des prévisions en
matière de croissance économique ! La demande d’énergie est déduite de la demande
de services énergétiques, or ces services dépendent de la taille de l’économie (au sens
où croître signifie devenir plus grand), (2) que les prévisions en matière de croissance
économique dépendent de l’énergie disponible ! La taille et la structure de
l’économie sont tributaires de l’énergie qu’il est possible de mobiliser et de se
procurer. Sans vouloir réduire les nombreux apports de l’ouvrage, il semblerait donc
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qu’une manière de maîtriser notre consommation d’énergie résiderait dans notre
capacité à réduire la taille de l’économie, et donc à prospérer sans croissance.
Cet argument est au coeur de l’ouvrage de Tim Jackson, dont le titre évocateur
« Prospérité sans croissance : la transition vers une économie durable 6 » renvoie à des
questions centrales dans le débat économique et politique : Comment réduire
l’impact environnemental de l’activité économique ? Comment définir et améliorer le
bien-être humain ? Quels buts collectifs les sociétés contemporaines doivent-elles
désormais se donner au-delà de l’accumulation matérielle ? Comme le rappelle Luc
Semal (2011), la réflexion de Tim Jackson a pour point de départ une définition de la
prospérité, « c’est quand les choses vont bien pour nous, en conformité avec nos espoirs et
nos attentes. » (2010, p. 19). Mais dans nos sociétés, nos espoirs et nos attentes étant
d’abord matériels, l’idée de prospérité renvoie à un imaginaire de l’abondance et du
toujours-plus, indissociable de la croissance. Or, estime l’auteur, le dépassement des
limites écologiques de la planète nous oblige aujourd’hui à remettre en cause cette
conception de la prospérité fondée sur la croissance : « la remise en question de la
croissance est vue comme le fait de fous, d’idéalistes ou de révolutionnaires. Mais cette remise
en question est indispensable. » (2010, p. 31). La croissance n’est plus possible, ni même
souhaitable, puisque dans ces conditions elle n’offre plus qu’un semblant de
prospérité : « la prospérité aujourd’hui ne signifie rien si elle sape les conditions dont dépend
la prospérité de demain. Et le message le plus important de la crise financière de 2008, c’est
que demain est déjà là. » (2010, p. 47).
Si Tim Jackson éprouve le besoin de redéfinir la notion de prospérité, en l’associant
à l’opulence, à l’utilité ou aux capabilités d’épanouissement, c’est le dilemme de la
croissance, et plus précisément l’impossibilité d’un découplage absolu entre la
croissance économique (mesurée par celle du PIB) et son impact environnemental
(mesuré par les émissions de CO2 et la consommation des ressources naturelles) qui
occupe le cœur de sa démonstration (voir le chapitre 5 intitulé le mythe du
découplage). Si les économies contemporaines peuvent éventuellement parvenir à un
découplage relatif entre croissance et consommation/pollution, le rythme des
secondes devenant moins rapide au fil des innovations technologiques que celui de
la première ; le découplage absolu, qui verrait la croissance du PIB augmenter tandis
que son impact environnemental recule est, selon Jackson, hors d’atteinte et constitue
même une dangereuse illusion. L’argument clé utilisé par Jackson fait appel à
l’équation IPAT, formulée par Ehrlich et Holdren (1971, 1972) et Commoner lors
d’une controverse sur le rôle de la croissance démographique dans la dégradation du
milieu naturel. C’est cette équation qui prendra la forme, quelques années plus tard,
d’une identité comptable, intitulée identité de Kaya, et qui servira aux projections et
aux scénarios du GIEC (2007). Dans ce qui suit, nous nous proposons de revenir sur
ces deux outils, de manière à cerner les implications en matière de transition
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
6 D’abord publié sous la forme d’un rapport en 2009, puis sous la forme d’un livre la même année,
traduit en français en 2010.
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énergétique.
Ehrlich7 et Holdren (1971) ont utilisé le modèle initial IPAT pour tenter de
répondre à la question suivante : Est ce que les pays riches sont responsables de la
dégradation de l’environnement ? Ou est-ce que la croissance exponentielle de la
population des villes est responsable ?
Ce modèle peut être illustré par la formule suivante :
I = P x F
I est l’impact total
P est la population
F est une fonction qui mesure l’impact par habitant
Cette relation tendrait à montrer que la population est non seulement un facteur clé,
mais que la différence spatiale de l’impact de la production par habitant suggère que
l’impact environnemental n’est pas une fonction uniforme. En d’autres termes, les
économies les plus industrialisées sont susceptibles d’avoir une incidence plus
importante sur la dégradation de l’environnement, à population donnée8 (constante).
Toute la démonstration de Ehrlich et Holdren (1971, p. 1212) repose sur les 5
théorèmes suivants :
1. Population Growth causes a disproportionate negative impact on the environment
2. Problems of population size and growth, resource utilization and depletion, and
environmental deterioration must be considered jointly and on a global basis. In this
context, population control is obvious not a panacca it is necessary but not alone
sufficient to see us through the crisis
3. Population density is a poor measure of population pressure and redistributing
population would be a dangerous pseudo solution to the population problem.
4. Environment must be broadly construed to include such things as the physical
environment of urban ghettos, the human behavioral environment and the
epidemiological environment.
5. Theoretical solutions to our problems are often not operational and sometimes are not
solutions.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
7 Paul Ralph Ehrlich (Université de Stanford) est un biologiste américain connu en tant qu’écologue et
démographe pour notamment ses engagements néo-malthusiens. Il s'est fait connaître à la suite de son
ouvrage controversé intitulé « La Bombe P » (The population Bomb) en 1968 dans lequel il met en garde
des dangers de la surpopulation.
8 Cette équation en apparence simple, révèle cependant certaines complexités. F augmente avec la
consommation par habitant si la technologie est maintenue constante, toutefois, elle peut diminuer
dans certains cas si des innovations « bénines » sont introduites pour répondre à un niveau constant
de consommation.
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37
Selon Commoner (1972), cette formule serait incomplète. Il ne nie pas le fait que la
population joue un rôle important dans la dégradation de l'environnement.
Cependant, il a fait valoir que la consommation, la richesse et le développement
étaient les composants de l'impact anthropique sur l'environnement qui devaient être
abordés en premier. La population est bien entendu un problème, cependant il
prendra encore de nombreuses décennies pour contrôler la croissance de la
population. Commoner s’appuie sur les exemples de Chine (avec sa politique de
l'enfant unique) et l'Inde qui ont longtemps lutté pour contrôler la croissance de leur
population. Selon lui, ces politiques ont échoué à bien des égards.
Par la suite, l’affluence (richesse) et la technologie ont été ajoutées au modèle afin
de remédier à ces lacunes, conduisant à la formule de l'identité IPAT, largement
utilisée de nos jours, pour analyser les effets des activités humaines sur
l'environnement :
I = P x A x T
I : représente la quantité d’émissions d’un polluant considéré (GES)
P : la population
A : la richesse (affluence) formalisée par la production par habitant (PIB/hab)
T : les émissions du polluant par unité produite, dépendantes de la technologie.
Dans les années 90, l'équation IPAT représentait un outil utile pour évaluer l'impact
anthropique sur le changement climatique9. Les émissions totales de CO2 (I) étaient
le produit de la population (P), du PIB par habitant (A) et des émissions de CO2 par
unité de PIB (T).
L’identité de Kaya (1990, 1993) utilisée dans les travaux du GIEC (Rogner et al.,
2007) reprend l’équation IPAT en considérant l’impact environnemental des
émissions de CO2. Cependant, elle scinde la composante technologique en deux
facteurs, l’intensité énergétique (IE) et l’intensité carbonique (IC). L’intensité
énergétique est la consommation d’énergie primaire (EP) par unité de produit
intérieur brut (PIB), soit l’inverse de la productivité du facteur énergie. L’intensité
carbonique est le contenu énergie fossile d’une unité de consommation d’énergie
primaire.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
9 Il faudra attendre les années 2000 pour que ce modèle fasse l'objet de plusieurs critiques. Waggoner
et al. (2002) ont apporté une modification au modèle en séparant les choix des consommateurs (C) des
réalisations de production (T). L'équation fût ainsi transformée en I = PACT. Ils ont baptisé cette
nouvelle équation IMPACT et montré que le changement en matière d'impact environnemental
signifiait de modifier les quatre forces suivantes : le nombre de personnes, la force économique, la
fraction de l’activité économique consacrée au bien et l'impact de produire le bien. Avec l’équation
IMPACT, le modèle démontrait que les émissions totales de CO2 étaient le produit de la population
(P), du PIB par habitant (A), de la consommation d'énergie par unité de PIB (C) et des émissions de
CO2 par unité de consommation d'énergie (T).
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38
L’équation de Kaya prend la forme suivante : CO2 = IC x IE x PIB/P x P
L’intérêt de l’identité de Kaya réside dans le fait que les termes ainsi obtenus sont
concrets et statistiquement connus.
- le contenu en carbone de l’énergie est une grandeur physique connue pour toutes
les énergies utilisées.
- l’intensité énergétique du PIB correspond à l’efficacité énergétique de l’économie ;
c’est la réponse à la question « combien doit-on consommer de tonnes de pétrole
pour produire 1 point de produit intérieur brut ? »
- Le PIB (produit intérieur brut) par personne est mesuré dans la plupart des pays,
son augmentation est la cible prioritaire de la plupart des politiques économiques.
- La population mondiale : les perspectives démographiques sont, en ordre de
grandeur, assez bien connus ; on parle de 8 à 9 milliards d’habitants en 2050.
A partir de cette équation, les effets des différentes variables et leur évolution dans le
temps peuvent être étudiés quelle que soit l’échelle géographique choisie (ville,
région, pays, Monde). Depuis les années 1970, à l’échelle mondiale, les variations de
la population et du PIB par tête sont décrites par le GIEC comme deux puissants
facteurs d’augmentation des émissions de CO2. Le lien positif et de long terme entre
le produit par habitant et l’impact écologique contredit la courbe environnementale
de Kuznets (qui semble vérifiée pour certains polluants locaux mais pas pour les
émissions de CO2, voir Grossman et Krueger, 1995, Meuni., 2004). Les effets
démographiques et de richesses sont partiellement compensés par la baisse de
l’intensité énergétique consécutive au 1er choc pétrolier, et par celle de l’intensité
carbonique des années 1980 et 1990.
D’une certaine manière, la présentation proposée par Kaya pose clairement l’enjeu
suivant : quel doit être l’effort d’investissement supplémentaire dans la
transformation du système énergétique dans la mesure où les progrès enregistrés
dans l’efficacité énergétique et la décarbonisation de l’énergie n’ont pas suffi à
contrebalancer l’impact des autres variables ? La réduction absolue des émissions de
CO2 prônée par le GIEC à l’horizon 2050 pour éviter une augmentation de plus de
2°C de la température implique que les deux premiers facteurs de l’équation
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diminuent à un rythme supérieur à celui de la hausse des deux derniers10 . La
difficulté est d’autant plus ardue que des analyses (Raupach et al., 2007) mettent en
évidence une moindre diminution des facteurs technologiques pour la décennie 2000.
Autrement dit, le salut ne saurait venir de l’innovation technologique. Au même
titre que la croissance verte, elle symbolise à la fois l’idéologie dominante et un
mythe qu’il convient de briser.
Reste la sobriété énergétique. Dans l’esprit de la loi, elle s’inscrit dans un modèle
de croissance verte visant à maîtriser nos consommations d’énergie, sans toutefois
briser la dynamique de la demande d’énergie. Autrement dit, il ne s’agit pas de
remettre en cause une boucle importante du capitalisme la société de
consommation – mais bien d’inscrire les dépenses d’énergie des ménages au rang des
économies qu’il convient de réaliser dans un avenir proche. Nous sommes bien loin
de l’idée de sobriété défendue par les tenants de la décroissance, et qui de surcroît,
est un programme ambitieux mais insoutenable du point de vue de nos sociétés du
confort. Pierre Rabhi (2010) a précisé toute la portée symbolique que devait revêtir le
concept de sobriété : « Face au toujours plus indéfini qui ruine la planète au profit d’une
minorité, la sobriété est un choix conscient inspiré par la raison. Elle est un art et une éthique
de la vie, source de satisfaction et de bien être profond. Elle représente un positionnement
politique et un acte de résistance en faveur de la terre, du partage et de l’équité » (2010, p.
144). C’est à la fois, une posture délibérée pour protester contre la société de
surconsommation ; une volonté de contribuer à l’équité et à rendre le monde
meilleur, et surtout une quête visant à réhabiliter les principaux repères sociaux
(assistance mutuelle entre les générations, lien social, corps social, entraide,
solidarité, réciprocité…) oubliés par cette civilisation en perpétuelle quête de bien-
être. On retrouve ici une idée, largement développée par Samir Naïr et Edgar Morin
(1997) dans leur ouvrage Une politique de civilisation. Au sein de la civilisation
occidentale, l’élévation du niveau de vie s’est accompagnée d’un abaissement de la
qualité de vie. Edgar Morin (2008, p. 13) résume cette évolution par la formule
suivante « Un mal être parasite le bien être ». Les développement urbains, techniques,
bureaucratiques, industriels, capitalistes, individualistes, qui symbolisent la réussite
du monde occidental, seraient en train de ronger de l’intérieur la société. C’est en
quelque sort l’envers négatif des bienfaits. Tout ce que nous avons sacralisé, la liberté
individuelle, la technique, la monétisation, le développement industriel, le bien
être… a fini par nous asservir (c’est le cas de la technique), par dégrader notre
environnement (l’une des conséquences du développement industriel) et réduire nos
relations à de simples échanges de choses mortes (c’est la marchandisation).
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10 Les travaux s’appuyant sur l’équation de Kaya procèdent généralement à une décomposition par
période des effets des différents facteurs sur les émissions de CO2. On peut ainsi affecter à chaque
facteur la variation des émissions qui lui incombe, puis analyser les évolutions d’une période à l’autre
(Criqui et al., 2010).
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Cette sobriété heureuse doit être rapprochée de la convivialité d’Ivan Illich (1973),
elle devient ainsi un véritable projet politique et une alternative à la logique de
croissance illimitée. C’est également une source de rapprochement avec l’idée même
de décroissance incarnée par les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen11 (1995) et
de Serge Latouche (2005) Par le terme décroissance, NGR entendait procéder à une
réorientation structurelle du processus de production et du mode de consommation.
Il s’agissait avant tout d’une décroissance physique des activités humaines. Pour
Serge Latouche, il s’agit plus précisément de « renoncer à l’imaginaire économique, c'est-
à-dire à la croyance que plus égale mieux », de considérer que « le bien et le bonheur
peuvent s’accomplir à moindre frais », de « redécouvrir la vraie richesse dans
l’épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain » (2005, p. 26). Un
tel changement nécessite cependant un programme12 plus systématique, plus radical
et plus ambitieux (Latouche, 2006).
Ainsi, plus qu’une sobriété énergétique, la loi doit nous engager dans une sobriété
citoyenne, auto-renforcée par la disparition du gaspillage, une amélioration de la
durabilité des objets, un renoncement au dernier cri technologique et au tout jetable.
C’est à ce prix que la transition énergétique engagera nos sociétés dans une réduction
drastique de la demande d’énergie.
Précarité énergétique vs justice énergétique
Il paraît difficile de discuter de la loi sur la transition énergétique sans aborder la
question de la précarité énergétique. Près de 5 millions de personnes sont touchées
en France (ONPE, 2015). La loi du 12 juillet 2010 définit la précarité énergétique de la
manière suivante : « est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve
dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire
à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de
ses conditions d’habitat ». Il est ainsi d’usage de quantifier la précarité énergétique en
comptabilisant les ménages qui consacrent plus de 10% de leurs revenus aux
dépenses d’énergie dans le logement (soit 14% des ménages français, ONPE, 2015).
Cette définition a le mérite d’établir un lien entre les ressources des ménages et
certaines inégalités liées au logement (l’ADEME [2008] a montré que les ménages les
plus modestes consacraient près de 15% de leurs revenus aux dépenses
énergétiques13, contre seulement 6% pour les plus aisés), d’insister sur la mauvaise
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
11 « Parmi les alternatives, je crois beaucoup à l’idée de décroissance. C’est-à-dire à une résistance à la
mondialisation compétitive et négative, une résistance fondée sur l’autolimitation et la sobriété… Cette notion de
décroissance, inspirée de la pensée de Roumain Nicholas Georgescu-Roegen, s’est imposé à partir d’une évidence
très simple… nous sommes sur une planète limitée » (Rabhi, 2005, p. 169).
12 Les 8 R (réévaluer, re-conceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser,
recycler) constituent huit objectifs interdépendants « susceptibles d’enclencher un cercle vertueux de la
décroissance sereine, conviviale et soutenable » (2006, p. 153).
13 Les mesures de lutte de la précarité sont à la fois curatives (aides financières directes aux impayés
dans le cadre du Fonds de Solidarité pour le logement depuis 1984 ; tarifs sociaux de l’énergie pour
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qualité thermique du parc de logements français (les ¾ du parc se situent dans les
classes D, E, F et G) ou encore de mettre en avant la relation avec la santé. Toutefois,
elle est empreinte d’un certain nombre d’écueils. D’une part, elle est très restrictive,
elle ne traite que du logement, omettant d’intégrer le problème du transport (pour
lequel les dépenses énergétiques sont prépondérantes). D’autre part, elle suppose
que la précarité énergétique peut être appréhendée de façon analytique et sectorielle.
Or, la réalité semble contredire cet état de fait. L’approche systémique globale tend à
rappeler que tous les systèmes sont ouverts et en étroite connexion.
Ainsi, le système énergétique entre en interaction avec le système économique et le
système climatique, introduisant ainsi un certain nombre de boucles de rétroactions
(voir figure 8). De ce fait, la précarité ne constitue que la face apparente de l’iceberg
énergétique. Premièrement, toute augmentation de la croissance économique se
traduit par une demande plus importante en énergie et donc, une hausse des
émissions de gaz à effet de serre (l’idée de découplage relevant plus du mythe que de
la réalité). Ceci accroît la pollution et expose certaines populations à des problèmes
de santé (dégradation de la qualité de l’air, répétition des épisodes de canicule) ou de
mobilité (émergence du statut de réfugié climatique). Deuxièmement, la pression
démographique associée à une pénurie des énergies fossiles laisse présager une
montée des prix de l’énergie, qui tend à fragiliser les ménages les plus pauvres et à
poser des problèmes de sécurité énergétique à l’échelle nationale. Une telle évolution
peut remettre en cause toutes les mesures curatives et préventives mises en place par
les gouvernements pour aider les plus démunis. Elle peut également poser la
question de la sécurité énergétique à l’horizon 2050 ou 2100. Troisièmement, l’énergie
est loin d’apporter les bienfaits escomptés. D’une part, bon nombre pays qui ont des
rentes pétrolières, ne sont pas ceux qui redistribuent le plus vers leurs populations
(Gacem, 2007). D’autre part, si l’énergie s’inscrit bien dans un processus de transition
(energy transition) dans les pays du Nord (des énergies fossiles vers les énergies
renouvelables), elle se présente davantage sous la forme d’un problème
d’accessibilité (energy access) dans les pays du Sud (WRI, 2015). Ce problème d’accès
est d’autant plus important que ce sont les multinationales du Nord qui ont souvent
le monopole de diffusion de l’énergie dans les pays du Sud et que les différents
gouvernements sont complètement démunis en matière de planification énergétique
(energy planning).
Une approche systémique globale des sous-systèmes énergétique, économique et
climatique suppose ainsi de relier le triptyque (sécurité énergétique, pauvreté
énergétique et climat) aux différentes opérations (production, consommation, gestion
des déchets) génératrices de flux et de stocks (biens, services, matières, énergies). Ce
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
l’électricité et le gaz, depuis 2004 et 2008) et des mesures préventives (dispositifs d’amélioration de la
performance énergétique des logements, programme « Habiter Mieux » lancé en 2010 par l’Agence
nationale de l’habitat, ANAH, et nouvelles dispositions de la loi sur la transition énergétique pour la
croissance verte, 2015 ).
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nouveau paradigme et les inégalités qui lui sont désormais rattachées, peuvent être
regroupés dans un champ en pleine construction, celui de la justice énergétique ou
energy justice (Bickerstaff, Walker, Bulkeley, 2013). La sécurité énergétique traduit un
sentiment d’insécurité et de dépendance à l’égard des producteurs et des
exportateurs d’énergie. Elle modifie notre perception du développement durable (les
trois sphères : économique, environnement, social). La pauvreté pétrolière rappelle que
nos sources d’énergie fossile (pétrole et gaz) sont susceptibles de créer des inégalités
aussi bien au Nord (poids de la facture énergétique dans le budget des ménages,
pauvreté relative des salariés, manipulation des prix par les producteurs de pétrole,
phénomène de la rente pétrolière, conséquences en matière de croissance
économique et d’emploi, absence d’investissements publics et privés…) qu’au sud
(richesse occasionnée par une seule ressources naturelle, accaparation de la rente
pétrolière par les grandes compagnies ou les Etats, absence de redistribution vers les
populations locales…). Le changement climatique s’appuie sur l’idée que les ressources
fossiles contribuent à l’augmentation des émissions-carbone, et de ce fait, menacent
les générations présentes (croissance des catastrophes) et futures (la littérature sur
l’effondrement - « collapse » en anglais, constitue une parfaire illustration de ce
phénomène).
Figure 11 : La justice énergétique
!
!
Ce triptyque énergétique apparaît crucial lorsqu’il s’agit d’analyser les différents
scénarios proposés (Posner, Weisbach, 2010). La proposition qui ferait reposer un
modèle national ou global sur d’énormes investissements privés ou publics (ceci afin
de construire les futures centrales pourvoyeuses d’énergie bon marché), s’inscrit
ainsi dans une logique macroéconomique de croissance endogène (la politique
économique de l’Etat est destinée à faciliter l’activité des acteurs de la sphère
marchande) sans prendre en compte les exclus de la société (ceux qui ne peuvent pas
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avoir accès à l’énergie, qu’elles que soient ces formes : électricité, transport,
chauffage). Ce point nous paraît ici déterminant car il laisse entendre qu’il suffirait
de dépenser des sommes colossales pour régler les problèmes. Or ces dépenses ont
un coût, l’endettement des Etats et le recours au financement de la dette par les
marchés financiers. La proposition qui renvoie à un saut technologique (exemple de
l’EPR de Flamanville en France) risque de nous rendre toxicodépendant des
innovations et renforce nos croyances dans la solution miracle (IAE, 2015). Or ces
sauts ont également un coût, qui dans le cas de l’EPR de Flamanville, peut très vite
s’avérer catastrophique (mise en chantier en 2007, date prévisionnelle de
fonctionnement 2012, coût anticipé de 3.3 millions d’euros vs date de livraison en
2018 et coût réel de 10.5 millions d’euros). Ainsi, les solutions qui consistent à
optimiser l’outil de production ou à lui appliquer la méthode coûts – bénéfices
semblent, d’une part, de plus en plus inopérantes (problème de fiabilité) et d’autre
part, dépourvues de toute connotation sociale (prise en compte des inégalités). Ces
échecs répétés ne sont pas seulement des révélateurs de nos limites, ils indiquent
clairement notre incapacité à penser global.
Dans le cas du système énergétique, ceci revient à appréhender la circularité des flux
et des stocks (consommation, production, déchets) par l’intermédiaire des boucles de
rétroaction (augmenter la production n’a aucun sens si elle s’accompagne d’une
hausse de la consommation), à analyser la production, la consommation et les
déchets dans le cadre d’un système global intégré (consommer de l’énergie ne
signifie pas pour autant connaître ses différentes sources de production : les
utilisations de l’énergie, à savoir le chauffage, le transport, l’électricité… cachent une
autre réalité, celle des énergies primaires, l’énergie fossile, l’énergie nucléaire…) ou
encore à inscrire une politique énergétique dans un cadre de décroissance radicale
(fin des énergies fossiles, baisse responsable de la consommation, sobriété)… Ce
passage par une approche globale nous paraît crucial car elle permet de cerner trois
réalités :
(1) notre dépendance vis à vis de l’énergie fossile n’est pas prête de disparaître du
jour au lendemain, et ceci malgré les avancées nationales en matière d’énergies
renouvelables. Nous nous dirigeons ainsi vers un portefeuille mix dans lequel
l’énergie pétrolière continuera à se tailler la part du lion (75 à 80% en 2050).
Le risque est alors important que le triptyque « justice énergétique » se cantonne à la
sécurité énergétique et à la réduction des émissions de CO2, et place en arrière-plan
l’équité énergétique (la recherche d’une énergie bon marché est une solution quelque
réductrice). Cette trajectoire semble aujourd’hui confirmée par les scénarios proposés
par le Conseil Mondial de l’Energie (CME), à savoir le scénario JAZZ qui est focalisé
sur l’équité sociale et qui donne la priorité (en s’appuyant sur la croissance
économique) à l’accès individuel à l’énergie bon marché et le scénario SYMPHONIE
qui est centré sur les enjeux environnementaux grâce à de bonnes pratiques et des
politiques internationales coordonnées : « Le CME estime que l’offre totale d’énergie
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primaire (égale à la consommation) va passer de 546 ExaJoules (152 000 TWh) en 2010 à 879
ExaJoules (244 000 TWh) dans le scénario Jazz et à 696 ExaJoules (193 000 TWh) dans le
scénario Symphonie en 2050. Cela correspond à une augmentation de 61 % dans Jazz et 27 %
dans Symphonie. A titre de comparaison, de 1990 à 2010 (période qui représente plus de la
moitié du temps couvert par l’étude des scénarios), la consommation mondiale d’énergie
primaire a augmenté d’environ 45 % ; on prévoit que la hausse va se poursuivre mais à un
rythme plus faible que pendant les décennies passées. Répondre à la demande au niveau
mondial et régional sera un vrai défi. Il n’y a pas de solution globale à la question de l’offre
énergétique : c’est en traitant individuellement chaque élément du défi que l’on atteindra
l’objectif global d’une offre énergétique respectueuse de l’environnement, abordable et sûre
pour tous » (Conseil mondiale de l’énergie, 2013, p. 10).
(2) Le système énergétique va gagner en complexité dans les 40 prochaines années.
Certaines énergies renouvelables pourraient bien se révéler plus énergivores que
prévues (exemple de l’éolien si l’on applique l’analyse du cycle de vie ou la méthode
d’analyse des flux matières), certaines variables (hausse de la population,
consommation de voitures et de biens connectés, smart cities…) sont susceptibles de
provoquer des effets rebonds importants et d’engendrer une réduction de l’intensité
énergétique (50% dans le scénario JAZZ et 53% dans le scénario SYMPHONIE).
Enfin,
(3) Un scénario « bas carbone » ne peut reposer uniquement sur des projections en
matière d’énergie renouvelable, le comportement des consommateurs doit être prise
en compte et contribuer au changement : « Dans Jazz, en 2050, les émissions [CO2]
seront supérieures à 44 milliards de tonnes par an, ce qui correspond à une augmentation de
45 % par rapport à 2010 ; dans Symphonie, elles s’élèvent à 19 milliards de tonnes par an, ce
qui correspond à une diminution de presque 40 % par rapport à 2010 » (CME, 2013, p. 26).
Autrement dit, le problème de l’énergie semble nous mener à une solution
pragmatique mais qui hante de nombreux gouvernements, c’est la baisse radicale de
la demande d’énergie.
Conclusion
Malgré un contexte délicat, ponctué par de nombreux évènements (coût de l’EPR de
Flamanville, fermeture de la centrale de Fessenheim, organisation de la COP 21 en
France, abandon de la taxe carbone, mise en place de la taxe diesel...), le
gouvernement français s’est donné les moyens d’une nouvelle politique énergétique,
via sa loi sur la transition énergétique pour une croissance verte (2015). Quelques mois
après sa promulgation, cette loi a intégré bon nombre de problématiques et de
suggestions formulées par les experts et la société civile : mesures préventives pour
l’habitat et les transports, mesures sociales afin de tenir compte des usages, des
organisations, des acteurs, ainsi que des inégalités d’accès en matière énergétique
(ATHENA, 2013). Pourtant, il existe encore des zones d’ombre, étant donné que nos
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modèles économiques restent encore fortement attachés à une croissance salvatrice
(la croissance verte) et au mythe du progrès technique (c’est de lui que nous devrions
tirer notre salut). Il est difficile de demander au législateur d’être exhaustif et de
cerner les enjeux globaux liés à l’énergie, toutefois, il semblerait bien que le triptyque
sécurité énergétique, pauvreté pétrolière et changement climatique incarne un
nouveau paradigme et une nouvelle manière de scénariser notre avenir à l’horizon
2050 - 2100. L’idée même de justice énergétique semble confirmer l’idée que la
volonté des différents gouvernements de mettre en place des politiques visant à
atténuer les effets du changement climatique ou à sécuriser leurs
approvisionnements en énergie, rendent de plus en plus vulnérables les ménages et
les populations les plus démunies. Nous pensons de plus en plus que les systèmes
énergétiques bas carbone sont en train de modifier notre perception des inégalités et
qu’ils engendrent de nouvelles problématiques en matière d'accès à l'énergie, de
pouvoir social ou de transition énergétique.
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... Law n • 2015-992 of 17 August 2015 on the Energy Transition for Green Growth (LTECV in French) has set targets (Diemer, 2015) 1 for the recovery of the following materials: 60% of the use of road construction materials must be derived from reuse, re-utilization or recycling of waste ("inflows"); 20% of the use of road construction materials must come from reuse, re-utilization or recycling of waste materials in surface layers ("inflows"); 30% of the use of road construction materials must come from the reuse, recycling or recycling of waste materials in the sub-base layers ("inflows"); 70% must come from the reuse, recycling or material recovery of materials and wastes generated on road construction or maintenance sites, excluding "natural geological materials" (category 17 05 04) ("outflows") ( Figure 2). ...
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The impact that European and French legislation have on the circular economy implementation between market-driven incentives and state regulation emerges as the main challenge addressed in this chapter. Circular economy principles and the normative aspects of legislation constitute the best available frameworks to foresee how circular economy implementationwill evolve in the building and construction sector in France. The Eiffage case study can be explained by the evolution of the normative arena composed by the current codes, environmental laws, roadmaps, and directives that frame the dynamic behavior of individual actors submitted to market pressures. A literature review of the current scientific and gray literature on circular economy in the building and construction sector was carried out in order to identify the required conditions to improve circularity in a normative way in France. Seven circular economy principles have been identified in the state of the art of Building and construction sector in France with emphasis on four of them: (1) Building lighter structures, (2) Waste reduction in the production process, (3) Intensive use of floor space, and (4) Extension of product life or recycling. Finally, we claim that the advantage of the normative approach implementation and analysis is to set the social agreement of compulsory foundation over which the market-driven initiatives and innovation could make the difference for the outstanding stakeholders of the economic sector.
... Law n • 2015-992 of 17 August 2015 on the Energy Transition for Green Growth (LTECV in French) has set targets (Diemer, 2015) 1 for the recovery of the following materials: 60% of the use of road construction materials must be derived from reuse, re-utilization or recycling of waste ("inflows"); 20% of the use of road construction materials must come from reuse, re-utilization or recycling of waste materials in surface layers ("inflows"); 30% of the use of road construction materials must come from the reuse, recycling or recycling of waste materials in the sub-base layers ("inflows"); 70% must come from the reuse, recycling or material recovery of materials and wastes generated on road construction or maintenance sites, excluding "natural geological materials" (category 17 05 04) ("outflows") ( Figure 2). ...
Chapter
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The impact that European and French legislation have on the circular economy implementation between market-driven incentives and state regulation emerges as the main challenge addressed in this chapter. Circular economy principles and the normative aspects of legislation constitute the best available frameworks to foresee how circular economy implementation will evolve in the building and construction sector in France. The Eiffage case study can be explained by the evolution of the normative arena composed by the current codes, environmental laws, roadmaps, and directives that frame the dynamic behavior of individual actors submitted to market pressures. A literature review of the current scientific and gray literature on circular economy in the building and construction sector was carried out in order to identify the required conditions to improve circularity in a normative way in France. Seven circular economy principles have been identified in the state of the art of Building and construction sector in France with emphasis on four of them: (1) Building lighter structures, (2) Waste reduction in the production process, (3) Intensive use of floor space, and (4) Extension of product life or recycling. Finally, we claim that the advantage of the normative approach implementation and analysis is to set the social agreement of compulsory foundation over which the market-driven initiatives and innovation could make the difference for the outstanding stakeholders of the economic sector.
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La question énergétique est au cœur du triptyque du développement durable, d’un côté, il s’agit d’assurer la sécurité énergétique nationale en tenant compte de l’état des ressources et des perspectives géostratégiques de dépendance, de l’autre, il convient de maintenir une compétitivité induisant une croissance pourvoyeuse d’emplois, et ce malgré une énergie plus rare et donc plus chère. Enfin, il est nécessaire de tenir compte de la contrainte environnementale (émissions de gaz à effet de serre, changement climatique) qui impose des choix drastiques et immédiats pour réduire les risques encourus. La démarche prospective et la formulation de scénarios constituent à ce jour une réponse des institutions internationales, des gouvernements et des différents acteurs de la sphère privée aux incertitudes qui touchent le secteur énergétique mondial. Penser les transitions énergétiques revient ainsi à admettre que le système énergétique est complexe, que les changements technologiques doivent être compatibles avec les mutations économiques, sociales et géopolitiques. Le passage aux énergies renouvelables n’est pas un simple mécanisme de substitution, il constitue une transformation majeure du système énergétique mondial dans un contexte de hausse des prix de l’énergie.
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A la suite des deux chocs pétroliers (1973, 1979), la question énergétique s'est immiscée dans tous les débats économiques et politiques. Après des années de croissance ininterrompue – « les fameuses trente glorieuses » -, les économies occidentales faisaient face au renchérissement du pétrole, principale source d'énergie fossile. La croissance économique venait ainsi buter sur la pénurie de matières premières, évoquée par le Rapport Meadows dès 1972. Bon nombre d'économistes s'insurgeront contre cette vision fataliste. Face au spectre de la croissance limitée, Robert Solow (1973, 1974) brandira l'arme absolue du progrès technique et de la substitution des facteurs de production. Si le pétrole est cher, l'industriel sera amené à lui substituer un facteur de production moins coûteux. Et grâce à l'innovation, la combinaison technique des facteurs de production n'aura pas à souffrir de la rareté des matières premières. Malgré quelques voix dissidentes (Georgescu-Roegen, 1971, 1976 ; René Passet, 1979), cette foi dans l'émancipation de l'homme face aux forces et aux contraintes de la nature a perduré pendant de nombreuses années 2 . L'économie des ressources naturelles et l'économie de l'environnement constituent encore aujourd'hui les deux symboles de cette dictature de l'économie. L'économie des ressources naturelles traite de la question des énergies fossiles. A la suite des travaux d'Hotelling (1931), le débat s'est focalisé sur la relation entre le coût d'extraction et l'épuisement du gisement. La structure de marché (concurrence, monopole, oligopole) a ainsi des conséquences sur les prix des ressources naturelles et la durée de vie du gisement (Diemer, 1999). L'économie de l'environnement cherche quant à elle à internaliser les effets externes (pollution, déchets…) de l'activité industrielle des firmes via une taxe pigouvienne ou des marchés de droits à polluer. 1 Ce texte est une version modifiée d'un document présenté au colloque « Energie et développement durable », qui s'est tenu les 13 et 14 novembre 2007 à Clermont-Ferrand. Je tiens à remercier Didier Mulnet pour ses remarques fort judicieuses. 2 Sloterdjik (2000) précise que le rapport de l'homme au monde a été dominé depuis le néolithique par les « allotechniques », c'est-à-dire par le viol de la nature des choses considérées comme des matériaux, des matières premières à dominer, à réduire en esclavage, à utiliser à des fins qui sont fondamentalement étrangères auxdites choses.
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We bring the rapidly developing tools for analyzing society's metabolism to the attention of a scientific audience concerned with matters of population and, in a complementary fashion, we draw the attention of material and energy flow analysts to the role of population and population dynamics within their own paradigm. As an analytic framework, we use the classic IPAT-model that relates environmental impact (I), population (P), affluence (A), and technology (T). We relate the IPAT model to the tool commonly used in MFA, so-called environmental Kuznets curves, and re-analyze empirical data from various sources, for both affluent industrial and for developing countries, within these frameworks. We conclude that population and technology seem to dominate over affluence as far as environmental impact is concerned, but that both the IPAT and Kuznets models fail to take into account the intricate interdependencies among different socio-economic systems and the increases in their the economic, material and population exchanges. In effect, both models tend to underestimate the environmental impact and create too optimistic an image of dematerialization in affluent industrial countries.
Article
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Learning actors' leverage for change along the journey to sustainability requires quantifying the component forces of environmental impact and integrating them. Population, income, consumers' behavior, and producers' efficiency jointly force impact. Here, we renovate the "IPAT Identity" to identify actors with the forces. Forcing impact I are P for population, A for income as gross domestic product (GDP) per capita, C for intensity of use as a good per GDP, and T for efficiency ratios as impact per good. In the "ImPACT Identity," parents modify P, workers modify A, consumers modify C, and producers modify T. Because annual percentage changes in component forces add to a change in national impact, actors' leverage is reflected transparently in consistent units of annual percentage changes that can be compared from force to force. Examples from energy and food, farming and manufacturing, and steel and water show that declining C, called dematerialization, can temper the sustainability challenge of growth (P x A), and that innovation or efficient technology that lowers T can counter rising consumption (P x A x C). Income elasticity can accommodate connections between income and other forces. From rates of change of forces, the identity can forecast impacts. Alternatively, by identifying the necessary change in forces to cause a projected impact, ImPACT can assay the likelihood and practicability of environmental targets and timetables. An annual 2-3% progress in consumption and technology over many decades and sectors provides a benchmark for sustainability.
Book
'Peter Victor clearly presents the arguments as to why already relatively rich countries may have to manage low or no growth in their economies if they wish to address rather than continue contributing to global environmental problems. His modelling suggests that managing without growth need not be the economic disaster that is so often assumed. This is a lucid book that provides an excellent introduction to this important but neglected area.'
Article
Despite the scientific consensus that humans have dramatically altered the global environment, we have a limited knowledge of the specific forces driving those impacts. One key limitation to a precise understanding of anthropogenic impacts is the absence of a set of refined analytic tools. Here we assess the analytic utility of the well-known IPAT identity, the newly developed ImPACT identity, and their stochastic cousin, the STIRPAT model. We discuss the relationship between these three formulations, their similar conceptual underpinnings and their divergent uses. We then refine the STIRPAT model by developing the concept of ecological elasticity (EE). To illustrate the application of STIRPAT and EE, we compute the ecological elasticities of population, affluence and other factors for cross-national emissions of carbon dioxide (CO2) from fossil fuel combustion and for the energy footprint, a composite measure comprising impacts from fossil fuel combustion, fuel wood, hydropower and nuclear power. Our findings suggest that population has a proportional effect (unitary elasticity) on CO2 emissions and the energy footprint. Affluence monotonically increases both CO2 emissions and the energy footprint. However, for the energy footprint the relationship between affluence and impact changes from inelastic to elastic as affluence increases, while for CO2 emissions the relationship changes from elastic to inelastic. Climate appears to affect both measures of impact, with tropical nations having considerably lower impact than non-tropical nations, controlling for other factors. Finally, indicators of modernization (urbanization and industrialization) are associated with high impacts. We conclude that the STIRPAT model, augmented with measures of ecological elasticity, allows for a more precise specification of the sensitivity of environmental impacts to the forces driving them. Such specifications not only inform the basic science of environmental change, but also point to the factors that may be most responsive to policy.
Avis sur la transition énergétique
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  • Sciences
ACADEMIE DES SCIENCES (2015), Avis sur la transition énergétique, Assemblée plénière du 6 janvier.