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Les formats-manif de l’industrie de la mode : stéréotypes et trivialité

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Facing several controversial situations, fashion industry is often obliged to develop communication strategies in order to dissolve negative representations related to its management. Advertising can be a positive partner as long as it proposes uncommon tactics. Representations of manifestos and protest marches is a part of the way the fashion industry seize upon fixed and symbolic discourses related to political or artistic positions while introducing them into communicational and consumerist goals. This sort of distortion reveals manifesto’s trivial dimension and contributes to the construction of standard discourses qualified as manifesto-patterns.
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Itinéraires
Littérature, textes, cultures
2018-1 | 2018
Le manifeste à travers les arts : devenirs d’un genre
indiscipliné
Les formats-manif de l’industrie de la mode :
stéréotypes et trivialité
Manifesto-Patterns of the Fashion Industry: Stereotypes and Triviality
Eleni Mouratidou
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/itineraires/4273
ISSN : 2427-920X
Éditeur
Pléiade
Référence électronique
Eleni Mouratidou, « Les formats-manif de l’industrie de la mode : stéréotypes et trivialité », Itinéraires
[En ligne], 2018-1 | 2018, mis en ligne le 15 septembre 2018, consulté le 02 octobre 2018. URL : http://
journals.openedition.org/itineraires/4273
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Les formats-manif de l’industrie de la
mode : stéréotypes et trivialité
Manifesto-Patterns of the Fashion Industry: Stereotypes and Triviality
Eleni Mouratidou
1 Loin des manifestes portant sur la mode en tant qu’acte de création et pratique
vestimentaire, les formats-manif que je me propose ici d’analyser ne désignent pas la mode
en tant que processus créatif mais en tant que « créativi managériale1 » (Barrère et
Santaga 2005). Ils relèvent de stratégies communicationnelles visant la promotion d’une
ou plusieurs entités commerciales de cette industrie et n’émanent pas de réflexions
collectives ou individuelles qui seraient dépourvues d’enjeux et d’intérêts économiques
directs. Bien que la mode ait déjà fait l’objet de déclarations-manifestes à visée esthétique
et sociétale2, et bien qu’encore aujourd’hui certains collectifs réunissant des acteurs de
cette industrie produisent des manifestes qui remettent en cause les processus de
production de la mode – délocalisation, industrialisation, fast fashion de nouvelles
pratiques surgissent et mobilisent ce que j’appelle le format-manif comme un prétexte
communicationnel. Il m’a semblé intéressant de centrer l’étude sur ces formats-manif afin
d’observer les pratiques de récupération du manifeste, les espaces dans lesquels il circule
et se voit détourné et éventuellement les finalités de cette démarche.
2 Si en tant que production discursive en lien avec l’art ou la littérature le manifeste
suscite, pour la recherche, des interrogations concernant son cadre générique et même,
pour faire écho à la thématique de ce numéro, son caractère indiscipliné, dans ce qui suit,
j’émettrai l’hypothèse que lorsqu’il est mobilisé à des fins marketing par l’industrie de la
mode, le manifeste se comporte de façon très disciplinée. À partir de cette hypothèse
j’emploie le terme de format-manif afin de souligner deux caractéristiques du corpus
étudié. La première porte sur la nature standardisée et figée des formes
communicationnelles proposées par l’industrie de la mode lorsque cette dernière
s’empare des codes propres aux manifestes mais aussi aux manifestations. Le terme de
format désigne donc cette standardisation. La deuxième caractéristique porte sur le
paradigme étendu dans lequel l’industrie de la mode puise ses stratégies
communicationnelles à positionnement revendicatif, voire subversif3. Des manifestes, mais
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aussi des manifestations, voire des messages à dimension contestataire et qui pourraient
avoir leur place dans un manifeste ou dans une manifestation. Le terme de manif est alors
employé dans la perspective rhétorique de la « litote », cette figure qui permet de dire
« moins pour dire plus » (Groupe µ 1982 : 133), désignant ainsi différentes pratiques
présentant un point en commun : un discours pamphlétaire4.
3 Le corpus est composé de données hétérogènes pour ce qui est de leurs « contrats de
communication » (Charaudeau 2005) et de leurs supports médiatiques, à savoir
publicitaires, éditoriaux et marchands. Sont soumis à l’analyse :
La campagne publicitaire de la marque de cosmétiques Lancôme pour le rouge à lèvres matte
shaker, optant pour une mise en scène rappelant les codes gestuels que l’on trouve lors d’une
manif (fig. 1).
L’éditorial de mode intitulé Le Printemps. C’est la lutte des sacs !, paru dans le numéro 82 du
titre Citizen K – printemps 2017, imitant une manifestation en plein air (fig. 2)5.
Le défilé Chanel prêt-à-porter de la saison printemps-été 2015, présenté à Paris, au Grand
Palais mettant en scène une manifestation6.
La campagne publicitaire de la marque Yves Saint Laurent (dorénavant YSL) pour la
collection automne 2008-hiver 20097 proposée sous forme de tract-manifeste, diffusé à Paris,
New York, Londres, Milan, Tokyo et Hong Kong et accompagné d’un bonus-cadeau, soit un
tote bag (fig. 4 et 5).
La campagne publicitaire consacrée au parfum Manifesto de la même marque, datant de 2012
(fig. 6).
Le manifeste publié sur la plateforme numérique de la marque italienne Fendi intitulée F is
for…8.
4 Le point de vue dévelop tout au long de cette recherche est à la fois discursif,
sémiotique et communicationnel. Discursif, dès lors que des notions ancrées dans
l’analyse du discours sont mobilisées afin de démontrer la dimension figée du format-
manif. Sémiotique, dans la mesure où une analyse étayée de l’image permet de démontrer
la mobilisation de signes propres au paradigme manif. Enfin communicationnelle, car la
circulation et la récupération du manifeste permettent de saisir sa trivialité, cette
dernière, définie par Yves Jeanneret comme « une catégorie descriptive » (2008 : 14)
observant la culture à travers « le fait que les objets et les représentations ne restent pas
fermés sur eux-mêmes mais circulent et passent entre les mains et les esprits des
hommes » (Ibid.).
La manif comme spectacle médiatique :
réinvestissements et détournements
5 Relevant de l’espace public, la manifestation est ce rassemblement statique ou en
mouvement réunissant un nombre relativement important de personnes en vue d’une
protestation et d’une revendication à caractère social, politique, géopolitique, pacifique,
etc. Cet événement peut être qualifié de spectacle dans la mesure où il est observé comme
un élément discontinu et extraordinaire, invitant les spectateurs à focaliser leur regard
dans ce qui se produit pendant ladite manifestation. Des codes informels mais qui ont
tendance à se répéter constituent le langage d’une manifestation : pancartes et panneaux
à messages, microphones, hauts parleurs accompagnent les manifestants dont la gestuelle
peut également contribuer à la formation de ce langage, poings levés, postures
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dynamiques, visages expressifs. Si la rue est le médium d’une manif, la médiatisation de
cette dernière au travers d’autres supports médiatiques tels que la photographie ou la
vidéo contribue à la création du méta-spectacle, dans la mesure où ce dernier dépend du
point de vue d’un observateur (photographe, journaliste, cameraman, etc.) permettant de
saisir cet événement et éventuellement de le médiatiser.
6 Trois éléments du corpus proposent une mise en scène imitant les codes formels d’une
manif : la publicité Lancôme, le défilé Chanel, et l’éditorial Le printemps. C’est la lutte des
sacs ! Dans ce qui suit, il s’agira de relever les signifiants transversaux à ces trois éléments,
produits selon des procédés d’intertextualité et qui spectacularisent9 une manif.
Fig. 1. Publicité Lancôme, Matte Shaker
Publicité parue dans le numéro 446 du titre Biba en avril 2017, p. 6-7. L’image présentée ci-dessus est
une photographie de la publicité prise par l’auteur le 1er novembre 2017.
7 Proposée en double page, la publicité Lancôme présente sur la page de droite un
mannequin debout tenant un haut-parleur ; son expression faciale est dynamique et
renvoie un état de colère, sa posture corporelle revendicative. Cette mise en scène
construit l’image d’un personnage de manif, accompag d’un message, un acte de
langage directif10 : « Be mad. Be matte11. »
8 L’éditorial Le printemps. C’est la lutte des sacs ! met en scène une situation conflictuelle se
déroulant à l’extérieur et rappelant un certain désordre que l’on peut rencontrer lors
d’une manif. Deux doubles pages et huit simples composent cet éditorial, construit comme
un continuum intertextuel iconique et verbal. Pour des raisons d’économie, j’analyserai
uniquement la première double page (fig. 2). Elle annonce le thème de l’éditorial dès son
titre, formé à partir d’une commutation opérée au préalable sur la locution12 lutte des
classes et ayant donné lieu à l’énoncé la lutte des sacs. Quant à la mention temporelle
fournie par cet éditorial, soit Le printemps, elle donne lieu à deux lectures possibles. La
première renvoie à la segmentation des collections de la mode selon deux saisons
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principales13 ; la seconde renvoie aux qualifications de différentes révolutions politiques
et sociétales et donc à d’autres locutions, telles que Printemps arabe ou Printemps de Prague.
Fig. 2. Éditorial paru dans Citizen K
Éditorial paru dans le numéro 82 – printemps 2017 du titre Citizen K International, p. 134-135. L’image
présentée ci-dessus est une photographie de la première double page de l’éditorial prise par l’auteur le
1er novembre 2017.
9 La double page met en scène des actants animés et non animés dans une ambiance manif :
des barricades en fer, des pneus dispersés, un véhicule carbonisé, de la fumée et de
nombreux mannequins14. Les mannequins sont présentés de face, poing levé, hissant des
pancartes à messages revendicatifs. Une grande écharpe aux motifs du logotype de la
marque Louis Vuitton est également hissée et agitée, à l’instar d’un drapeau. Une
pancarte rose présente l’énonsous les pavés la mode inscrit à côté du dessin d’un poing
levé et d’une usine. encore, nous assistons à un détournement de l’énoncé sous les
pavés, la plage, slogan ayant accompagné les luttes durant mai 1968, et dont la circulation
pendant cette période a contribué à la formation de sa valeur symbolique ainsi qu’à son
figement sémantique. Comme pour la locution lutte des classes, celle de sous les pavés la
plage subit un défigement par son introduction dans l’espace communicationnel de
l’éditorial de mode et du titre de presse spécialisée. La même opération de défigement
peut également être observée pour les dessins proposés sur la pancarte. Le symbole du
poing levé renvoyant, historiquement, à la lutte contre le fascisme et plus tard contre le
racisme15 tandis que le dessin de l’usine symbolisant la lutte des classes ouvrières, leur
introduction dans ce contexte communicationnel précis les prive de leur signification
symbolique et les soumet à un nouveau processus de sémantisation.
10 Autant la campagne publicitaire proposée par Lancôme, que l’éditorial de mode publié
dans Citizen K International peuvent être lus et interprétés comme un intertexte
hyberbolique, soit un ensemble d’« échos libres d’un (ou de plusieurs) texte(s) dans un
autre texte » (Adam 1999 : 85) dont les signes sont exacerbés. D’une part, les signes
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constitutifs des deux discours – publicitaire et éditorial – sont là pour rappeler leur
dimension fictionnelle dans la mesure où « aucun lecteur-consommateur ne croit
vraiment au paradis-langage proposé par la publicité moderne16 » (Adam et Bonhomme
1997 : 54). D’autre part, les signes rappelant les manifs accordent à ces deux stratégies
communicationnelles une dualité qui brouille les frontières entre fiction et réalité et tend
à adopter une posture allant au-delà du publicitaire car optant pour un positionnement
ancré dans le socle des luttes sociales. Le dernier exemple de ce procédé d’intertexte
hyperbolique est le défilé manif proposé par la marque Chanel.
Fig. 3. Défilé Chanel, 2015, Grand Palais, Paris.
Copie d’écran effectuée à partir de la vidéo diffusée sur le site web : http://www.dailymotion.com/
video/x26yehx, consultée le 30 décembre 2017.
11 Sous la coupole du Grand Palais à Paris la collection printemps-été 2015 de Chanel a été
présentée par des mannequins parcourant un boulevard nommé Chanel, entouré
d’immeubles bourgeois haussmanniens. La fin de ce défilé se transforme en manif
l’ensemble des mannequins défilent, pancartes et haut-parleurs à la main, accompagnés
de Karl Lagerfeld, directeur artistique de la marque. La gestuelle des mannequins est la
même que celle observée pour les exemples précédents, à la différence que l’ambiance y
est assez festive et joyeuse. Quant aux messages proposés sur les nombreuses pancartes
du défilé manif, ils thématisent davantage la féminité, la liberté féminine, le rapport à la
mode : be your own stylist, boys should get pregnant too, divorce pour tous, history is her story,
ladies first. La spectacularisation de cet événement est particulièrement intéressante car
elle relève du direct et se produit devant un public invité qui, comme l’image ci-dessus en
témoigne, applaudit autant la collection de prêt-à-porter proposée par la marque que le
spectacle ayant permis sa démonstration.
12 Tous les éléments présentés ci-dessus s’inspirent d’un socle de codes culturels, dotés
d’expressions sémiotiques plus ou moins figées, autrement dit, soumises à une
représentation standardisée de la manif dans sa dimension organisationnelle que l’on peut
rapprocher du stéréotype, défini comme « une représentation sociale, un schème collectif
figé qui correspond à un modèle culturel daté » (Amossy et Herschberg Pierrot 1997 : 64).
Formées à partir du principe de l’intertexte17, les trois manifs analysées détournent la
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manifestation dans son sens originel et la réinvestissent du point de vue de son inscription
énonciative dans un espace médiatique dont la finalité est, du moins partiellement,
commerciale. Observons comment ceinvestissement s’opère et quelles en sont les
conséquences.
13 Suivant Dominique Maingueneau, le processus de réinvestissement consiste, dans une
perspective intertextuelle18, « moins à modifier qu’à exploiter dans un sens destructif ou
légitimant le capital d’autorité attaché à certains textes [et] peut correspondre à deux
stratégies opposées, la captation et la subversion » (1991 : 155). La stratégie de la
captation consiste en l’effacement du sujet parlant visant à « bénéficier de l’autorité
attachée à ce type d’énonciation » (1991 : 155), en l’occurrence celui du réinvestissement.
Quant à la stratégie de la subversion, on est face à une tentative de « disqualification de
cette structure dans le mouvement même de son imitation » (1991 : 155). Les formats-
manif observés présentent, à mon sens, la particularité de mobiliser autant le processus de
captation et par celui de la récupération d’une légitimité propre à la manif que le
processus de subversion aboutissant à la disqualification de ses codes formels et de ses
slogans symboliques. Comme si, dès lors que la manif a quitté la rue pour entrer dans un
espace médiatique et pour servir des intérêts marchands – en l’occurrence issus de
l’industrie du luxeelle se privait de ses significations originelles et subissait un
réinvestissement sémantique qui relève de ce que Maingueneau nomme la « parodie
dévalorisante » (2002 : 94).
14 Prenons comme exemple l’éditorial C’est la lutte des sacs ! Comme énoncé en amont, les
informations en marge de cette mise en scène indiquent que cette double page est
entièrement consacrée à la marque Louis Vuitton. Par ailleurs, l’image même dévoile de
façon ostensible des produits commercialisés par cette marque et dont l’utilité, dans ce
contexte communicationnel précis, relève d’une double fonction : celle d’objet marchand
mais aussi celle d’agent actif de la manif, comme c’est le cas de l’écharpe hissée tel un
drapeau ou du sac à main brandi à l’instar d’une pancarte (cf. fig. 2).
15 Rappelons que la marque Louis Vuitton fait partie du groupe LVMH. Rappelons également
que dans une optique contestataire, mettant implicitement en scène une certaine lutte
des classes, elle-même issue des intérêts économiques en lien avec la commercialisation
entre autres de sacs de luxe, le documentaire Merci Patron19 déploie la façon dont le
groupe LVMH a contribué à la disparition de l’industrie du textile dans le nord de la
France et par conséquent à des licenciements massifs des ouvrières et ouvriers du
secteur. Il apparaît dès lors intéressant d’observer que l’énoncé lutte des sacs se construit à
partir d’une locution, celle de lutte des classes dont la valeur symbolique est occultée et
même remplacée par la répétition d’un signe marchand ostentatoire, le logotype de la
marque Louis Vuitton. On assiste à un procédé de disqualification et de banalisation du
langage (verbal, iconique et gestuel) à travers une mise en scène de détournement qui
tend à réduire à un signifiant – dépourvu de signifié – toute forme langagière en lien avec
la locution lutte des classes. Si nous acceptons, en suivant les travaux d’Alice Krieg-
Planque, que cette locution fonctionne comme une formule (200920), c’est tout son référent
social qui est ici mis en cause.
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Le manifeste comme formule marketing :
communication de marque et communication produit
16 Le réinvestissement des codes propres aux manifestations permet de considérer les
éléments ci-dessus observés comme des éléments triviaux soumis à un traitement
« polychrésique », qui selon Jeanneret consiste à « rendre compte du fait qu’une telle
constellation d’objets […] est exposée à faire l’objet de constantes réappropriations et à
être ainsi prise sans cesse dans un large spectre de logiques sociales différentes » (2008 :
83). Le deuxième exemple qui fait partie des formats-manif est celui du terme manifeste
mobilisé en tant que titre de campagne publicitaire, en tant que nom de produit ou bien
comme discours de marque.
17 Entre 2006 et 2011, la marque YSL21 a présenté les campagnes publicitaires de ses
collections prêt-à-porter sous forme de manifeste, du moins pour ce qui est de son contrat
de lecture et de son énonciation éditoriale (Souchier 2007). Pour cette étude, je me suis
intéressée à la campagne 2008-2009 car elle introduit une nouveaudans les modalités
de distribution dudit manifeste. Proposé en exemplaires relativement limités, le
manifeste était accompagné d’un tote bag YSL22. Il est dès lors important de souligner que
ce manifeste se présente comme un produit organisé autour de son texte (le contenu du
manifeste) et son paratexte (son emballage, en l’occurrence le tote bag et les modalités de
sa diffusion). À l’instar de Gérard Genette pour qui le paratexte est « ce par quoi un texte
se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs » (Genette 1987 : 7-8), la collection se
donne à être lue à la fois comme un acte revendicatif, par son titre manifesto, et gratifiant,
du fait de sa rareté (exemplaires limités, bonus cadeau inclus).
18 Pour ce qui est de la mise en scène scripto-iconique de ce document, l’on remarque, dès sa
première page, sa dimension plastique23 (fig. 4 et 5) et plus précisément la façon dont
l’image délimite et annonce son espace d’inscription. Le récit photographique n’attire pas
particulièrement notre attention, dans la mesure nous sommes face à une photo de
mode assez canonique, thématisant la présence d’un mannequin qui prend la pose dans
un espace intérieur. En revanche le contour de cette photo présente un double intérêt
d’un point de vue sémiotique. Le premier est d’ordre plastique, le second d’ordre
énonciatif.
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Fig. 4. Campagne publicitaire Manifesto YSL automne 2008 – hiver 2009
Copie d’écran effectuée à partir du site : http://www.hellocoton.fr/ysl-manifesto-feat-naomi-campbell-
distribue-a-paris-le-6-sept-195695 (consulté le 30 décembre 2017).
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Fig. 5. Campagne publicitaire Manifesto YSL automne 2008 – hiver 2009 (tote bag)
Copie d’écran effectuée à partir du site : http://www.vogue.fr/mode/news-mode/articles/troisime-
manifesto-de-stefano-pilati-pour-ysl/17864 (consulté le 30 décembre 2017).
19 D’un point de vue plastique, les lignes délimitant la scène photographique rappellent, par
leur organisation formelle (des traits hâtivement tracés), par leur qualité chromatique
(un noir à la teinte irrégulière) et par leur texture (d’une certaine épaisseur), les
inscriptions graffitis que l’on trouve dans l’espace public, inscriptions souvent liées à des
revendications anarchistes. Elles peuvent également renvoyer à des tags et notamment à
des inscriptions-détournements que l’on trouve sur des affiches publicitaires. Ce même
effet plastique est obser pour l’inscription du Manifesto, titre de cette campagne
publicitaire. Posée en haut de la photographie en guise de titre, ses lettres débordent le
cadre et s’introduisent dans la scène photographique, comme si elles visaient à l’abîmer
et la salir, tandis que, en suivant la même organisation plastique, la mention AW0809 est
introduite en bas et à l’extérieur de l’image. Ce tracé contourne et encadre la mention de
la marque productrice de cet événement photographique, posée en bas et à droite de
l’image, mention inscrite, quant à elle, dans la police typographique habituelle du
logotype de la marque.
20 L’organisation énonciative de cette image introduit des oppositions formelles produites
par la corporéiexplicite provoquée par l’effet graffiti ou tag et par l’exposition
manuscrite des mentions Manifesto et AW0809. Ceci marque la présence d’un énonciateur
autre que la marque ou les photographes ayant réalisé cette campagne publicitaire, soit
une instance externe qui s’approprie la publicité de manière revendicative, autant sur le
plan de la forme, par l’effet graffiti, que sur le plan du contenu, par les significations
découlant du titre Manifesto. Bien que ce document génère des horizons d’attente précis,
liés au statut de son émetteur explicite, une instance commerciale, et à son énoncé, une
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collection de prêt-à-porter, son intitulé et son effet plastique contribuent à transgresser
et modifier ces attentes et partant, tout le contrat de lecture déterminé par cette
campagne publicitaire.
21 Liée à la culture du graffiti, cette affiche publicitaire se dote d’une épaisseur discursive
qui déploie la trivialité du manifeste, les traductions et même les détournements qu’il
peut subir. Ici, le manifeste est intimement lié à l’acte du détournement, à la contestation
du publicitaire même et dévoile un positionnement réflexif de la part de la marque.
Comme si YSL visait non seulement la promotion de sa collection, mais aussi le
développement d’un argument vis-à-vis des pratiques communicationnelles de l’industrie
de la mode – ce qui demeure toutefois antinomique, car nous sommes face à un procédé
qui ne fait qu’annuler la dimension axiologique du manifeste en tant que discours
contestataire. Ce, du fait que la campagne publicitaire YSL mobilise la contestation
comme un prétexte communicationnel, et que la dimension manifeste n’apparaît qu’au
niveau de la forme et occulte toute démarche permettant de justifier ce choix énonciatif.
Bien au contraire, la distribution en plein air de ce manifeste accompagné du sac en guise
de cadeau consiste même à transformer le manifeste et toute la collection qu’il est censé
représenter en prétexte permettant la distribution de ce bien YSL.
22 Une démarche relativement similaire pour ce qui est de la dimension plastique est
observée dans la publicité proposée par YSL pour le parfum féminin nommé Manifesto.
Fig. 6. Publicité YSL pour le parfum Manifesto
Photographie de l’auteur à partir d’un publi-communiqué réalisé par Vogue Paris pour Yves Saint
Laurent beauté.
23 L’égérie de la marque pose sur un fond blanc investi par quelques traces de peinture
d’une couleur violette très vive qui recouvre également ses mains. D’un point de vue
sémiotique nous sommes face à une relation indicielle, construite sur le principe de cause
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à effet, entre la couleur violette et épaisse posée sur les mains de l’égérie et les traces de
la même couleur et de la même matière visibles sur le fond blanc. On en déduit que ces
traces sont produites par l’égérie de la publicité, jouant le rôle d’une artiste. Ce
positionnement artistique est par ailleurs étayé par l’accroche inscrite en-dessous du
nom Manifesto, soit : « Oser est un art ». Comme pour la publicité précédente, le
positionnement artistique semble accorder une certaine légitimité à l’emploi du terme
manifesto, qui en l’occurrence est mobilisé pour qualifier un produit marchand. Nous
assistons dès lors à une circulation du terme et par là à son détournement dès lors qu’il
est mobilisé soit en tant que prétexte communicationnel, accompagnant une stratégie de
publicité-produit soit en tant qu’appellation marchande.
24 Si l’on fait à nouveau appel à la notion de formule et si l’on considère, avec Alice Krieg-
Planque (2009 : 84), qu’elle est une forme discursive construite comme telle à travers ses
usages sociaux, on peut constater que l’industrie de la mode procède à une traduction
conséquente de la formule manifeste et par là à un tout nouvel usage social et plus
précisément marketing. Il devient dès lors intéressant de saisir la non-étanchéité du
terme manifeste, ce que je me propose de faire à travers le dernier élément du corpus. Il
relève d’un format éditorial très proche du manifeste puisqu’il témoigne de sa forme
déclarative en tant que texte écrit. Ce dernier cas permet d’interroger la circulation du
terme lorsqu’il fait partie des stratégies discursives d’une entité commerciale notamment
dans une optique de communication de marque.
25 Il s’agit d’un manifeste proposé par la plateforme numérique F is for…, de la marque
italienne Fendi24. Créée en 1925, la marque est initialement spécialisée dans le cuir et la
fourrure et bénéficie pendant des décennies d’une clientèle particulièrement privilégiée
mais aussi relativement âgée. Dans une optique d’extension de cible et de modernisation
de la marque, Fendi crée en 2016 la plateforme F is for… Si cet énoncé elliptique ouvre vers
une multiplicité des choix permettant de commuter les points de suspension par un
terme dont l’initiale serait la lettre f, soulignons que l’intertextualité de ce titre rappelle
un autre euphémisme en anglais aussi revendicatif que trivial, à savoir f is for fuck.
26 La plateforme F is for… fait partie du site web commercial de la marque Fendi et est conçue
à l’instar d’un blog de marque, soit un journal numérique qui consiste à présenter des
articles illustrés en lien avec un positionnement précis mais sans pour autant évoquer
explicitement les activités commerciales de la marque éditrice. Visant une cible
relativement jeune, F is for… développe des contenus en lien avec la culture urbaine, la
musique, le sport, le voyage, etc. Écrit en anglais et intitulé Manifesto, ce texte est
construit à partir d’une modalité discursive « élocutive » (Charaudeau 1992 : 574-575)
– un on collectif – et adressé à une instance « délocutive » (574-575) construite à partir de
l’adresse initiale – « dear world25 » – même si le texte laisse sous-entendre un profil de
destinataire déduit. De manière générale, ce Manifesto construit un discours dialogique
(Bakhtine et Volochinov 1977) durant lequel nous repérons des sous-entendus, des clichés
ou des stéréotypes vis-à-vis de l’instance productrice : « please stop calling us millenials26
». Titré freaks27 ce texte présente un discours réflexif qui est censé être écrit par un
collectif de jeunes eux-mêmes représentés à travers les différentes images publiées sur
cet espace numérique. Cette instance, bien que marquée par le pronom personnel du
pluriel we, demeure in fine une parole déléguée : celle de la marque Fendi. En témoignent
les nombreuses références faites à cette dernière à travers les différents contenus publiés,
comme celui intitu« f is for front row freaks28 » où il s’agit de la publication
d’instantanés du défilé Fendi printemps-été 201829.
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Fig. 7. Header de la plateforme F is for….
Copie d’écran effectuée à partir du site web de la marque Fendi : https://www.fendi.com/fr/sfor/
categories/freaks/manifesto (consulté le 30 décembre 2017).
Fig. 8. Manifeste de la plateforme F is for….
Copie d’écran effectuée à partir du site web de la marque Fendi : https://www.fendi.com/fr/sfor/
categories/freaks/manifesto (consulté le 30 décembre 2017).
Conclusion
27 Au moment de conclure cette étude qualitative et non exhaustive des formats-manif de
l’industrie de la mode, il paraît important de souligner deux points. Le premier porte sur
l’attitude de récupération d’un discours revendicatif opérée par l’industrie de la mode et
sur les enjeux qui déterminent cette attitude. Le second porte sur la dimension maniable
du manifeste et par là sur son potentiel trivial.
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28 Les formats-manif observés et analysés relèvent de façon explicite ou relativement
implicite des processus de communication marchande et peuvent donc être pensés, à
l’instar de la notion de pub*30 proposée par Karine Berthelot-Guiet, Caroline Marti de
Montety et Valérie Patrin-Leclère, comme un concept destiné :
[…] à saisir les évolutions de la publicité contemporaine. La publicité est […]
considérée dans une perspective large : l’acte de mettre en scène sur la place
publique [et] reste l’expression prégnante des marques, y compris quand elles
tiennent compte des représentations socioculturelles susceptibles de les fragiliser
pour élaborer des formes de communication qui donnent l’impression de s’en
distinguer. (Berthelot-Guiet, Marti de Montety et Patrin-Leclère 2013 : 55)
29 Il semble possible de considérer que le manifeste et ses dérivés sont mobilisés par
l’industrie de la mode notamment pour leurs qualités socioculturelles : discours
revendicatifs voire éthiques, postures militantes, prises de parole engagées. De là, tout en
accompagnant ou en faisant l’objet de discours essentiellement publicitaires, ils peuvent,
éventuellement, contribuer à masquer leur intention promotionnelle et consumériste.
30 Particulièrement controversée pour ses pratiques de production (délocalisation,
exploitation de mains d’œuvres très bon marché), pour ses stratégies managériales
(conditions de recrutement des mannequins défilant particulièrement sélectives et
alarmantes), et pour les imaginaires qu’elle véhicule notamment autour des normes de
beauté féminine (maigreur et éternelle jeunesse), l’industrie de la mode est contrainte à
inventer des formes communicationnelles susceptibles de maquiller toutes ces visions
dysphoriques. Le manifeste et de façon élargie les formats-manif étudiés ci-dessus
témoignent donc de cette volonté de construire une face – au sens goffmanien du terme
soit :
[…] la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la
ligne d’action que les autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact
particulier. La face est une image de moi déclinée selon certains attributs sociaux
approuvés, et néanmoins partageable, puisque, par exemple, on peut donner une
bonne image de sa profession ou de sa confession en donnant une bonne image de
soi. (Goffman 1974 : 9)
31 Quant au manifeste lui-même et aux manifestations, il apparaît que leur maniabilité
repose sur leur dimension stéréotypée construite à partir de discours médiatiques et de
processus de médiatisation. Paradoxalement, plus une représentation sociale a tendance
à se standardiser plus elle peut donner lieu à des détournements, des discours
caricaturaux et des glissements sémantiques. Ayant transformé les manifs en événements
particulièrement spectaculaires, les médias ont contribué à « surdéterminer [leurs]
formes signifiantes » (Jeanneret 2008 : 87) et en fin de compte à transformer leurs
représentations médiatiques en une sorte de ready-made mobilisable pour tout genre
discursif et toute forme éditoriale. Ce constat n’annule pas évidemment l’imposture de
l’industrie de la mode lorsqu’elle se positionne comme instance collective soucieuse d’une
écologie sociétale ou professionnelle.
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consulté le 1er novembre 2017.
NOTES
1. Pour Barrère et Santaga, la mode dépend autant de la créativité d’un couturier ou d’un
designer que d’une entité plus globale, collective qui gère une marque. On parle donc de
créativité managériale ou de management créatif permettant à l’industrie de la mode une gestion
créative de ses stratégies médiatiques et transmédiatiques (cf. Barrère et Santaga 2005).
2. Notamment Le vêtement masculin futuriste de Filippo Tommaso Marinetti publié en 1909. Pour
les manifestes contemporains, voir par exemple celui du collectif Front de Mode ( http://
www.adriennebornstein.com/#/front-de-mode/, consulté le 30 décembre 2017), collectif initié
par la marque Sakina M’Sa (http://www.sakinamsa.com, consulté le 30 décembre 2017) et
composé d’autres marques du secteur ou le manifeste de Maison Standards ( http://
www.maisonstandards.com, consulté le 30 décembre 2017). Dans cette contribution, je
n’interroge pas ces manifestes qui ne relèvent pas, de façon explicite et contextuelle, d’une
stratégie marketing, bien qu’ils permettent aux différentes instances commerciales les ayant
conçus de développer un positionnement certainement réflexif, mais aussi distinctif, vis-à-vis de la
concurrence.
3. En italiques car il s’agit bien d’un positionnement d’ordre marketing. Dans ce cas de figure, le
positionnement est un choix stratégique de mise en scène et ne reflète pas forcément la réalité
axiologique de l’entreprise qu’il représente.
4. Voir Angenot (1995). La notion de discours est ici abordée dans son acception sémiotique et ne
désigne pas exclusivement le langage verbal.
5. L’éditorial peut être consulté à partir du lien : http://www.lebook.com/creative/citizen-k-
lutte-des-sacs-editorial-2017 (consulté le 30 décembre 2017). Bien que le titre Citizen K ne relève
pas de l’industrie de la mode mais de celle de la presse magazine, il est pertinent de souligner les
interdépendances qui existent entre ces deux industries : la presse magazine est un espace de
représentations et d’ imaginaires liés à l’industrie de la mode tandis que cette dernière est la
principale source de financement de la presse magazine.
6. Un extrait du défilé peut être visionné en suivant le lien : http://www.dailymotion.com/video/
x26yehx (consulté le 30 décembre 2017).
7. La marque se prénommait encore Yves Saint Laurent. Dans cet article il sera par conséquent
question d’Yves Saint Laurent (YSL) et pas de Saint Laurent Paris.
8. https://www.fendi.com/fr/fisfor/categories/freaks/manifesto (consulté le 30 décembre 2017).
9. Je suis ici les travaux de Gian Maria Toré (2011) selon qui la spectacularisation « est un procès
qui rend spectaculaire non seulement n’importe quel art, mais aussi n’importe quel autre
domaine sociosémiotique ». Dans le cas du corpus étudié, la spectacularisation est double car elle
met en scène un spectacle lui-même issu d’une convention, la manif dépendant de certaines
règles de mise en scène. Ainsi, au-delà du constat que la spectacularisation est un processus
inhérent au spectacle ordinaire, elle est ici saisie comme une exacerbation voire un commentaire
d’un spectacle existant. Les images publicitaires ou le défilé de mode dépendent en effet de cette
double spectacularisation car ils doivent introduire dans leurs mises en scène respectives autant
leurs codes génériques originels que ceux issus du spectacle-manif.
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10. Conformément à la théorie de John Searle, l’acte de langage directif fait partie des cinq
catégories d’actes illocutoires et consiste à essayer « de faire faire des choses à autrui » ([1979]
1982 : 32).
11. Soit Soyez en colère. Soyez matte et contrairement à la traduction proposée par l’énonciation
éditoriale de la publicité elle-même, traduction très nuancée : osez l’audace ; osez le mat.
12. Selon Gaston Gross, une locution est un groupe dont « les éléments ne sont pas actualisés
individuellement » (1996 : 14) et dans le cadre de laquelle « il ne peut pas avoir de relation
prédicative entre les différents éléments qui sont dans la portée du figement » (1996 : 15). Selon
André Martinet et la syntaxe fonctionnelle, une expression figée fonctionne comme un synthème
dont les éléments ne sont ni interchangeables ni en mesure de contracter « de relations
particulières avec quelque autre monème extérieur […] ; un chemin creux de fer ou un chemin de fer
forgé ne serait plus un chemin de fer » (Martinet 1985 : 37). Qualifier l’énoncé la lutte des classes de
locution ou de synthème permet de saisir et d’asseoir sa dimension figée et par conséquent non
commutable et non modifiable, sans tenir compte bien évidemment de l’intervention de la
créativité publicitaire. Comme l’indiquent Amossy et Herschberg Pierrot, ces énoncés figés
peuvent être défigés « avec les jeux de mots, dans les titres de presse et les slogans publicitaires »
(1997 : 88).
13. Soit automne-hiver et printemps-été.
14. Pour cette double page, tous les mannequins sont vêtus, comme l’éditorial le mentionne en
marge de la mise en scène photographique, exclusivement des articles commercialisés par la
marque Louis Vuitton.
15. Voir par exemple Burin (1986).
16. L’expression de paradis-langage est empruntée à Leo Spitzer ([1949] 1978).
17. Intertexte autant verbal que non verbal, la notion de texte étant ici saisie dans son acception
sémiotique.
18. Bien que Maingueneau parle dans ce cas de « procédé hypertextuel », je préfère maintenir le
terme d’intertexte conformément à la définition proposée par Adam.
19. Réalisé par François Ruffin, sorti en février 2016. Référence faite au président-directeur
général et propriétaire du groupe LVMH Bernard Arnault.
20. Je postule ici l’idée que les signes gestuels et corporels observés dans ces mises en scène ainsi
que les dessins – usine, poing levé – fonctionnent également comme des énoncés figés et par
comme des formules. Cette notion est définie par Alice Krieg-Planque comme « l’ensemble de
formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné,
cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même
temps à construire » (2008 : 7).
21. Marque appartenant au groupe Kering, particulièrement concurrentiel de LVMH.
22. Un tote bag est un sac rectangulaire en tissu. Celui proposé par YSL présentait la signalétique
de la marque.
23. Au sens sémiotique du terme, à savoir un discours doté de formes iconiques, chromatiques et
texturales (Groupe µ 1992 : 186-252).
24. Fendi appartient également au groupe LVMH.
25. Cher monde.
26. « Merci de ne pas nous appeler millenials ».
27. Monstres.
28. La lettre f est pour les monstres du premier rang (d’un défilé).
29. https://www.fendi.com/fr/fisfor/categories/fulgore/F-is-For-Front-row-freaks (consulté le
30 décembre 2017).
30. L’astérisque est proposé par les auteures.
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RÉSUMÉS
Contrainte de développer des discours susceptibles de maquiller certaines valeurs dysphoriques
associées à ses pratiques et son image, l’industrie de la mode opte souvent pour des tactiques
communicationnelles relativement atypiques. La mobilisation du manifeste et de certains de ses
dérivés comme des manifestations relève de cette stratégie qui consiste à récupérer des discours
figés voire symboliques issus du politique ou de l’artistique et à les réinvestir à des fins
communicationnelles et surtout marchandes. Cette récupération témoigne également de la
dimension triviale du manifeste et par là de la construction des discours standardisés qualifiés de
formats-manifs.
Facing several controversial situations, fashion industry is often obliged to develop
communication strategies in order to dissolve negative representations related to its
management. Advertising can be a positive partner as long as it proposes uncommon tactics.
Representations of manifestos and protest marches is a part of the way the fashion industry seize
upon fixed and symbolic discourses related to political or artistic positions while introducing
them into communicational and consumerist goals. This sort of distortion reveals manifesto’s
trivial dimension and contributes to the construction of standard discourses qualified as
manifesto-patterns.
INDEX
Mots-clés : stéréotype, figement, formule, réinvestissement, trivialité, publicité
Keywords : stereotype, fixed discourse, distortion, triviality, advertising
AUTEUR
ELENI MOURATIDOU
Université Paris 13, Labsic
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Article
Full-text available
Note de synthèse du rapport rédigé pour le Département des études et de la prospective du Ministère de la Culture et de la Communication Février 2003 2 Présentation Lorsque nous avons relevé le défi d'analyser le monde de la mode, ce n'était pas pour mettre l'accent sur la gestion interne de la mode par ses entreprises, ses organisations collectives ou ses autorités de tutelle. Des études d'excellente qualité existent déjà, en France et en Italie, et sont l'oeuvre de ceux qui connaissent bien la mode, de l'intérieur. Nous ne voulions pas non plus réaliser une étude d'économie industrielle relative à la branche textile-habillement ou à sa composante mode ; il en existe également d'excellentes. Nous ne prétendions pas, enfin, proposer un essai de sociologie de la mode. Nous avons choisi de porter un regard d'économiste sur les mutations du monde de la mode à l'heure où elle bruisse tout autant du tohu-bohu des défilés spectacles que des annonces solennelles de désengagement et des rumeurs de l'agonie de la Haute Couture. A l'heure aussi des concurrences étrangères plus rudes, qui menacent l'hégémonie de la mode parisienne. A l'heure enfin de l'irruption dans le monde de la mode de celui de la finance et des groupes du luxe. Nous avons choisi d'approcher la mode à partir de deux séries de concepts, les premiers relatifs à la théorie économique de la créativité, les seconds à l'analyse économique du patrimoine. Nous avons, donc, considéré le monde de la mode, dans sa dimension économique, comme une économie de la créativité et du patrimoine.
Article
Les marques choisissent de développer des stratégies de communication qui se démarquent de la publicité. Cet article présente les principaux concepts développés par ses trois auteurs pour saisir cette dynamique : publicitarisation, dépublicitarisation, hyperpublicitarisation, publicitarité (convoqués ensemble, ces concepts sont désignés par leur radical suivi d’un astérisque : pub*). Ces réflexions sont menées en sciences de l’information et de la communication et s'inscrivent dans une approche socio-sémiotique qui procède par va-et-vient entre plusieurs focales d’analyse : les formes et les contenus relevant de stratégies de communication de marques, les métadiscours qui les accompagnent, le contexte dont ces productions et discours d’accompagnement procèdent, les discours des professionnels et des usagers.
Book
Proust, J. , The following values have no corresponding Zotero field: ID - 72