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Institut Louis Favoreu
Groupe d'Études et de Recherches
comparées sur la Justice Constitutionnelle
Équipe associée au CNRS (UMR7318)
Aix-en-Provence
Annuaire
International
de Justice
Constitutionnelle
XXXI
2015
(extraits)
ECONOMICA PRESSES UNIVERSITAIRES
49, rue Héricart D'AIX-MARSEILLE
75015 Paris 3, Avenue R. Schuman
13628 Aix-en-Provence cedex 01
2016
Annuaire international de justice constitutionnelle, XXXI-2015
CHRONIQUES
ROUMANIE
par Ramona Delia POPESCU
et Elena Simina TANASESCU*
I.- La vie de l’institution. Statistiques ; II.- La jurisprudence constitutionnelle ;
A.- Droit constitutionnel institutionnel ; 1.- Répression pénale et immunité
parlementaire ; 2.- Procédure législative ; B.- Protection des droits fondamentaux ;
1.- Principe d’égalité ; 2.- Droit à un procès équitable en matière pénale ; 3.- Libre accès à la
justice en matière civile ; 4.- Droit du travail et protection sociale du travail ; 5.- Droit à la
vie privée et sécurité cybernétique ; 6.- Liberté d’association et création des partis politiques ;
7.- Droit de vote, vote par correspondance.
*
La présente chronique opère une sélection drastique parmi les décisions
rendues par la Cour constitutionnelle de la Roumanie (CCR) et publiées dans le
Journal officiel pendant l’année 2015. Elle retient quasi exclusivement les principales
décisions d’inconstitutionnalité (partielle ou totale). Quelques décisions qui ont
confirmé la constitutionnalité des actes normatifs déférés à la Cour seront tout de
même mentionnées dans la mesure où elles permettent de comprendre certaines
évolutions jurisprudentielles.
I.- LA VIE DE L’INSTITUTION. STATISTIQUES
Les 904 décisions rendues en 2015 marquent une légère augmentation par
rapport aux 847 rendues en 2014, et le nombre des décisions d’inconstitutionnalité a
presque doublé : 56 en 2015 par rapport à 29 en 2014. La plupart de ces décisions
concernaient le nouveau Code pénal et le nouveau code de procédure pénale (tous les
deux entrés en vigueur le 1er février 2014) dans des domaines aussi variés que le
principe de la légalité des infractions et des peines ou les droits de la défense dans le
cadre du procès pénal (oralité et publicité des débats, citation de toutes les parties à
un procès pénal, délai pour certaines mesures de sûreté), ainsi que le rapport entre la
répression pénale et l’immunité parlementaire. Un nombre plus restreint de
* Respectivement Enseignant-chercheur et Professeur à l’université de Bucarest.
878 CHRONIQUES
décisions d’inconstitutionnalité a concerné la protection des données personnelles ou
d’autres droits et libertés fondamentaux, notamment en matière sociale.
Analysée du point de vue des actes contrôlés, la jurisprudence rendue en
2015 fait preuve de chiffres assez modestes s’agissant des autres actes normatifs que
les lois. Ainsi, en 2015, la Cour a vérifié (arrêté n° 1/2015) une initiative législative
citoyenne1 relative à la modification du Code du travail, laquelle, toutefois, est restée
au stade de proposition. Elle a rejeté les 3 saisines qui concernaient les règlements
des chambres parlementaires en les déclarant soit irrecevables (car les dispositions
critiquées avaient été modifiées avant que la Cour se prononce), soit mal fondées.
Aussi, elle a rendu deux décisions sur des conflits juridiques de nature
constitutionnelle entre les autorités publiques, dont une seule a été admise. En outre,
sur les 3 saisines adressées sur la base des attributions qui lui sont conférées par la loi
organique (le contrôle des arrêtés parlementaires2) la Cour n’en a accueilli qu’une.
Deux de ces trois décisions concernaient des arrêtés parlementaires visant l’immunité
d’un même sénateur et une visait l’immunité d’un député qui cumulait sa fonction
avec celle de Premier ministre.
Toujours à la recherche d’une expansion de sa compétence d’attribution, la
Cour constitutionnelle a poursuivi son activisme en 2015 aussi et s’est prononcée sur
la constitutionnalité des interprétations rendues par la Haute cour de cassation et de
justice (HCCJ) dans le cadre des recours dans l’intérêt de la loi et des questions
préalables pour le dénouement des novum juridiques. Ainsi, dans la décision
n° 393/2015 la Cour constitutionnelle a décidé que l’interprétation fournie par la
HCCJ dans le cadre d’un recours dans l’intérêt de la loi ne peut pas constituer en soi
une fin de non-recevoir pour un contrôle effectué sur la même norme juridique par la
juridiction constitutionnelle, y compris dans l’interprétation fournie par la HCCJ.
Toute interprétation d’une norme juridique doit tenir compte des principes de
légalité et de la suprématie de la Constitution inscrits à l’article 1 alinéa 5 de la
Constitution, ce qui justifie pleinement la compétence de la Cour constitutionnelle
pour vérifier la constitutionnalité des lois applicables, incluant leur interprétation,
dans le cadre des recours dans l’intérêt de la loi.
Le taux de réussite du contrôle a priori est resté supérieur (5 décisions
d’inconstitutionnalité totale ou partielle sur un total de 8, soit 62,5 %) à celui du
contrôle a posteriori (47 décisions d’inconstitutionnalité totale ou partielle sur 887 au
total, soit 5,29 %).
L’impact du contrôle direct exercé par l’Avocat du Peuple dans le cadre du
contrôle a posteriori est resté relativement restreint (7 saisines en 2015), marquant
néanmoins un « pic » dans son interaction avec la Cour constitutionnelle. L’Avocat
du Peuple n’a jamais saisi la Cour en 2015 dans le cadre d’un contrôle a priori.
1 L’initiative législative citoyenne doit respecter des conditions de forme (100.000 signatures
recueillies dans au moins un quart des départements avec au moins 5.000 signatures dans chaque
département), et de fond (elle ne peut pas concerner des aspects de droit fiscal, de droit pénal, de
droit international, l’amnistie et la grâce).
2 La loi n° 177/2010 a rajouté à la compétence de la Cour constitutionnelle le contrôle des arrêtés
parlementaires adoptés sur la base des règlements parlementaires. Invalidée par le législateur
dérivée (id est par une ordonnance d’urgence), cette attribution a été confirmée par la jurisprudence
même de la Cour pendant l’été 2012 (décisions n°s 727/2012, 307/2012, 783/2012). En l’absence
de réaction de la part du législateur, la Cour constitutionnelle dispose désormais de la compétence
de vérifier les arrêtés parlementaires, sans distinction selon leur caractère normatif ou individuel, ou
selon leur nature politique ou juridique, ou encore selon la matière dans laquelle ils interviennent,
pourvu que ces arrêtés « affectent des valeurs, règles et principes constitutionnels », situation dans
laquelle la norme de référence doit être constitutionnelle, ou bien qu’ils visent « l’organisation et le
fonctionnement des autorités et institutions de rang constitutionnel », situation dans laquelle la
norme de référence peut être aussi bien constitutionnelle qu’infraconstitutionnelle.
ROUMANIE 879
Attributions
2011
2012
2013
2014
2015
Contrôle préalable des lois art. 146 lettre a) et
des initiatives de révision
16
+ 1
14
16
15
+ 1
8
Contrôle des traités internationaux art. 146
lettre b)
0
0
0
0
0
Contrôle des règlements des chambres
parlementaires art. 146 lettre c)
0
1
0
0
3
Contrôle postérieur des lois art. 146 lettre d)
1610
1065
538
755
887
Contrôle des conflits juridiques de nature
constitutionnelle entre les autorités de l’État art.
146 lettre e)
0
3
2
5
2
Contentieux électoral présidentiel art. 146 lettre
f)
0
0
0
63
0
Constat des circonstances qui justifient l’intérim
dans la fonction de Président de la Roumanie
art. 146 lettre g)
0
1
0
0
0
Avis consultatif sur la proposition de suspension
du Président de la Roumanie art. 146 lettre h)
0
1
0
0
0
Procédure référendaire art. 146 lettre i)
0
3
0
0
0
Initiative législative populaire art. 146 lettre j)
0
0
0
0
1
Contestation sur la constitutionnalité d’un parti
politique art. 146 lettre k)
0
0
0
1
0
Autres attributions fixées par la loi organique
art. 146 lettre l)
0
10
2
7
3
Total des décisions
1632
1098
558
847
904
II.- LA JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE
A.- Droit constitutionnel institutionnel
1.- Répression pénale et immunité parlementaire
À quelques exceptions près, le contrôle de l’organisation interne du
Parlement réalisé en 2015 peut être interprété comme l’expression de l’engagement
de la Cour constitutionnelle en faveur d’un meilleur encadrement juridique de
l’immunité parlementaire. En effet, plusieurs demandes formulées par la Justice de
procéder soit à la levée de l’immunité parlementaire, soit à la détention provisoire de
certains membres du Parlement soupçonnés – dans la plupart des cas – de faits de
corruption ont été traitées de manière très variable par les chambres parlementaires
respectives. Alors que dans certains cas la levée de l’immunité a été votée sans
difficulté, dans d’autres la demande a été rejetée. Dans d’autres cas, enfin, le résultat
du vote n’a pas été concluant (ni pour, ni contre la levée de l’immunité). La source de
ce manque de prévisibilité se trouvait aussi bien dans les règlements des chambres
parlementaires que dans des pratiques institutionnelles peu lisibles pour le grand
public.
Ainsi, pour l’arrestation d’un seul sénateur il a fallu 2 décisions de la Cour
constitutionnelle concernant des arrêtés parlementaires, deux décisions sur des
conflits juridiques de nature constitutionnelle, et une décision concernant le
règlement du Sénat, alors que pour la levée de l’immunité d’un député (également
Premier ministre) il a fallu une décision complexe, qui a visé aussi bien le règlement
de la Chambre des députés qu’un arrêté.
Le 25 mars 2015, une demande du ministre de la Justice d’arrêter un
sénateur a réuni 79 voix « pour », 67 voix « contre » et 5 voix nulles, c’est-à-dire
plus que la majorité simple nécessaire pour adopter des arrêtés parlementaires en
880 CHRONIQUES
général, mais moins que la majorité absolue réclamée dans ce cas précis par les
dispositions expresses du règlement du Sénat et de la loi sur le statut des députés et
des sénateurs. Aucun acte juridique n’a été rédigé par le Sénat. La demande du
ministre de la justice a été considérée rejetée.
Dans la décision n° 259/2015, la Cour constitutionnelle a estimé que
l’omission du Sénat et du Parlement dans son ensemble de mettre en conformité la
loi sur le statut des parlementaires et le règlement du Sénat avec les décisions
d’inconstitutionnalité susmentionnées de ladite Cour constitutionnelle n’est pas de
nature à créer un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Ministère
public, d’un côté, et le Parlement, de l’autre. Plus clairement, même si la Cour
constitutionnelle avait constaté auparavant et dans d’autres situations3 que le
règlement du Sénat exige une majorité absolue pour l’adoption des arrêtés pour
lesquels la Constitution exige seulement une majorité simple, elle a estimé qu’il n’y
avait pas d’obligation pour le Sénat de réviser des dispositions réglementaires qui
n’avaient pas été explicitement déclarées inconstitutionnelles. Vu que les décisions
précédentes de la Cour constitutionnelle visaient uniquement la responsabilité
pénale des membres du Gouvernement et non pas celle des sénateurs, le Sénat ne
pouvait pas être tenu responsable de ne pas avoir mis en conformité d’autres articles
de son règlement avec la Constitution. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a
également écarté toute possibilité qu’une application directe de la Constitution soit
faite dans ce cas précis, de manière à obliger le Sénat à constater qu’un arrêté avait
été adopté en l’occurrence avec la majorité simple qui avait été atteinte.
En revanche, dans la décision n° 261/2015, la Cour constitutionnelle a trouvé
qu’il y avait un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Sénat et le
Ministère public, par rapport à la même situation de fait que celle dont elle avait été
saisie dans la décision n° 259/2015, mais qui, cette fois-ci, concernait l’omission du
Sénat d’adopter l’arrêté parlementaire en question. En l’espèce, le quorum des
sénateurs ayant voté favorablement n’avait pas atteint le seuil de la majorité absolue,
mais avait réuni les voix de la majorité simple. La Cour constitutionnelle a considéré
que le refus du Sénat de rédiger et publier l’arrêté adopté (par la majorité simple
requise par la Constitution) constituait un manquement à une obligation
constitutionnelle, ce qui caractérise un conflit juridique de nature constitutionnelle
avec l’autorité de l’État qui avait demandé l’approbation de l’arrestation du sénateur.
Pour que la « saga » soit complète, il faut mentionner que, 5 jours après le
vote qui n’a pas abouti à un arrêté, le Sénat a décidé de modifier son règlement afin
de prévoir que la majorité simple est exigée pour l’adoption de tous les arrêtés
parlementaires. Dans sa décision n° 260/2015, la Cour constitutionnelle a été donc
obligée de rejeter, puisque devenue irrecevable, une saisine concernant la disposition
du règlement du Sénat qui exigeait une majorité absolue pour la levée de l’immunité
des sénateurs car, entre le moment où elle avait été saisie de l’affaire et le moment où
elle a prononcé sa décision, le Sénat avait mis en conformité l’article respectif avec la
Constitution.
3 À titre d’exemple, la décision n°392/2007 a constaté que l’approbation de l’organisation du
référendum est prévue par le règlement du Sénat avec une majorité absolue, bien que la
Constitution n’impose pas une telle exception à la règle générale (de la majorité simple) alors que,
lorsque la Constitution a voulu instituer une exception à la règle de la majorité simple pour
l’adoption de certains arrêtés parlementaires, elle l’a fait expressément (tel est le cas du vote
d’investissement du Gouvernement ou encore celui sur la suspension du Président). De la même
manière, la décision n°990/2008 a constaté que la poursuite pénale des membres du Gouvernement
doit être approuvée par les sénateurs avec la majorité simple prévue par la Constitution et non pas
avec la majorité absolue, telle qu’elle était exigée par le règlement du Sénat. Par ailleurs, la même
solution avait été retenue aussi pour le règlement de la Chambre des députés dans la décision
n°989/2008.
ROUMANIE 881
Conséquence logique de la décision n° 261/2015, un mois et demi plus tard,
le Sénat a rédigé un arrêté dans lequel il a constaté que, à la date où le vote avait été
rendu, les voix nécessaires (majorité absolue) pour l’adoption d’un arrêté
parlementaire concernant l’arrestation d’un sénateur n’avaient pas été réunies.
En outre, toujours un mois et demi après ce « fameux » vote, le Parlement a
décidé de réviser aussi la loi sur le statut des parlementaires, et d’y faire figurer la
majorité simple pour l’adoption des arrêtés concernant la levée de l’immunité
parlementaire ou l’arrestation et la détention provisoire des députés et sénateurs.
Dans la décision n° 341/2015, la Cour constitutionnelle a estimé que l’arrêté
rédigé par le Sénat attribue au vote une autre signification que celle prévue par la
Constitution ; puisque la majorité simple est exigée par la Constitution et que ce
seuil avait été atteint, l’arrêté en question aurait dû approuver l’arrestation du
sénateur si la Constitution avait été directement appliquée. Faisant fi de sa décision
précédente dans laquelle elle avait refusé l’application directe de la Constitution, la
Cour constitutionnelle invalide l’arrêté car adopté sur la base de dispositions
réglementaires et légales inconstitutionnelles.
Nouveau rebondissement dans la même affaire, le Sénat reprend le processus
décisionnel sur la demande initiale du ministre de la Justice et arrive à la conclusion
qu’elle doit être rejetée. Dans la décision n° 499/2015, la Cour constitutionnelle a
rejeté pour irrecevabilité la demande faite par l’opposition parlementaire d’invalider
ce nouvel arrêté parlementaire. Sans tenir compte du fait qu’il s’agissait d’un vote
répétitif sur une même demande d’arrestation et détention provisoire d’un sénateur,
la Cour se contente de relever que la majorité simple n’a pas été atteinte dans ce
dernier cas, et donc que le rejet est conforme aux exigences formelles de la
Constitution et du nouveau règlement du Sénat. Considérant que le nouveau vote est
une modalité de mise en œuvre de sa précédente décision n° 341/2015, la Cour se
déclare « satisfaite » qu’aucune partie ne nie son caractère généralement obligatoire
pour le futur.
À la fin, l’immunité du sénateur en question a pu être levée, et il a été déféré
à la Justice, mais dans le cadre d’une procédure judiciaire distincte.
Une autre affaire, plus brève, a concerné la levée de l’immunité parlementaire
du Premier ministre, qui était aussi député. Dans sa décision n° 548/2015, la Cour
constitutionnelle a constaté que la décision sur la levée de l’immunité parlementaire
revient au plénum de la chambre concernée, peu importe le contenu de l’avis rendu
par la commission parlementaire qui examine la question en amont. Le projet
d’arrêté parlementaire rédigé par la commission permanente de la Chambre des
députés ne lie pas le plénum de ladite chambre, lequel doit prendre sa décision par
un vote secret. En outre, le règlement de la Chambre des députés confirme cette
interprétation, ce qui a justifié le rejet de la saisine par la Cour constitutionnelle.
2.- Procédure législative
En revanche, en 2015, le contrôle de l’activité législative du Parlement s’est
concentré sur le respect formel de la procédure parlementaire.
Dans la décision n° 442/2015, la Cour constitutionnelle a constaté que la
majorité simple, nécessaire pour l’adoption des lois ordinaires, avait été utilisée pour
une modification législative qui visait des dispositions relatives à l’autonomie locale,
lesquelles – selon la Constitution – relèvent de la loi organique.
Également, elle a invalidé une loi pour manquement à la procédure de
réexamen des lois (décision n° 1/2015). En effet, suite à une demande de réexamen
d’une loi formulée par le Président de la Roumanie, selon une jurisprudence
constante de la Cour constitutionnelle (décision n° 991/2008), le Parlement doit
882 CHRONIQUES
réévaluer uniquement les dispositions qui lui ont été déférées, et non pas l’ensemble
de l’acte normatif. La Cour constitutionnelle a donc sanctionné le Parlement pour
avoir tranché à nouveau sur d’autres dispositions que celles dont il a été saisi par le
chef de l’État.
Dans ce contexte méritent aussi d’être mentionnées deux décisions dans
lesquelles des aspects de procédure législative se sont mêlés au non-respect du
principe de la légalité des infractions et des peines. Ainsi, selon la Constitution
roumaine, la définition juridique des infractions et des peines relève de la loi
organique. Lorsque le législateur emploie une terminologie imprécise lorsqu’il
définit des infractions il méconnaît ce principe. Cela est valable d’autant plus lorsque
des normes juridiques infralégales précisent des éléments constitutifs de ces
infractions. Dans la décision n° 363/2015, la Cour constitutionnelle a trouvé que la
conduite incriminée par la loi sur la prévention et la lutte contre l’évasion fiscale
n’était pas définie par cette même loi, mais par les normes d’application de ladite loi,
ce qui revient à méconnaître l’exigence de clarté et de prévisibilité de la loi, telle
qu’elle est prévue à l’article 1er de la Constitution. Dans la même veine, lorsque le
nouveau code de procédure pénale institue l’incrimination du trafic d’armes et des
drogues il doit préciser clairement les drogues ainsi visées, car dans la législation
roumaine comprise globalement il n’y a pas une définition générique de ce concept.
Avec cette incertitude, la pratique des tribunaux est devenue variable. Par
conséquent, la décision n° 553/2015 a invalidé l’article du code de procédure pénale
qui imposait la détention provisoire de la personne déclarée suspecte de trafic de
drogues pour méconnaissance du principe de clarté et de prévisibilité de la loi.
B.- Protection des droits fondamentaux
Au cours de l’année 2015, la protection des droits fondamentaux a concerné
plutôt la matière pénale, notamment en rapport avec les garanties juridictionnelles
offertes aux suspects, inculpés et condamnés, ainsi que la protection de la vie privée.
Relativement peu de décisions ont concerné le droit du travail ou le droit civil.
1.- Principe d’égalité
Le fait que la législation pénale prévoit le droit à des visites intimes
seulement pour les personnes condamnées à des peines privatives de liberté et non
pas pour celles qui se trouvent en détention provisoire a été jugé contraire au
principe d’égalité (décision n° 222/2015). Par une pirouette juridique, le juge
constitutionnel a estimé que la loi sur l’exécution des peines et des mesures
privatives de liberté, entrée en vigueur en 2013 (c’est-à-dire une année seulement
avant l’entrée en vigueur des nouveaux codes pénaux), qui excluait expressément du
droit des visites intimes les personnes condamnées qui étaient aussi des prévenus
dans d’autres affaires juridiques, était contraire à la Constitution car tous les
prévenus doivent jouir de ce droit et non pas seulement les condamnés. Les effets
juridiques de cette invalidation n’ont pas été limités uniquement aux personnes
concernées par les mesures privatives de liberté qui auraient pu avoir aussi la qualité
de prévenu, mais ont visé tous les prévenus, qu’ils soient dans l’exécution d’une
peine privative de liberté ou pas, ce qui excède largement le champ de la loi
invalidée. En conséquence, les autorités ont dû non seulement aménager des espaces
dans les prisons ainsi que le régime carcéral afin d’accommoder le droit à des visites
intimes, mais aussi les sections de police et autres espaces où sont placés les détenus
provisoires.
ROUMANIE 883
2.- Droit à un procès équitable en matière pénale
La nouvelle législation en matière pénale est le fruit d’une politique pénale
novatrice, qui se propose d’accélérer le rythme du procès pénal, y compris à travers
un renforcement de la position du procureur ou de l’option qui lui est offerte de
négocier la reconnaissance de la culpabilité du suspect ou de l’inculpé, tout en
offrant un maximum des garanties processuelles aux victimes ou autres participants
au procès pénal. Toutefois, tout au long de l’année 2015, nombreuses ont été les
dispositions du nouveau code de procédure pénale qui ont été jugées contraires aux
normes de la Constitution, notamment au libre accès à la justice et aux exigences
relatives au procès équitable. Ainsi, il est intéressant de présenter brièvement les
principales lignes de cette jurisprudence.
L’accord sur la culpabilité du suspect ou de l’inculpé ne permettait pas aux
autres parties impliquées dans le procès pénal, excepté le procureur et le concerné, ni
d’être citées lorsque le juge entérine cet accord, ni de faire appel de ce jugement. La
Cour constitutionnelle a trouvé qu’une telle solution législative méconnaît non
seulement le libre accès à la justice, mais aussi le droit à la défense et le principe
même de la légalité (décision n° 235/2015). De même, lorsqu’une contestation
concernant la durée du procès pénal est introduite, elle ne peut pas être tranchée en
chambre de conseil, sans que les parties concernées soient citées, sauf à méconnaître
le libre accès à la justice et le droit à la défense (décision n° 423/2015). La même
solution a été offerte pour l’admissibilité en principe de la voie de recours de la
révision (décision n° 506/2015), et l’admissibilité en principe de la voie de recours
de la contestation en annulation (décision n° 542/2015), ainsi que pour
l’admissibilité en principe du recours en cassation (décision n° 591/2015). En
d’autres termes, pendant toutes les phases du procès pénal, tous les participants à ce
procès pénal doivent bénéficier de toutes les garanties d’un procès équitable.
L’objectif de célérité de certaines phases du procès, assumé par le législateur, se
trouve donc amoindri.
Concernant la procédure devant la chambre préliminaire, au cours de laquelle
sont validés les actes accomplis par le procureur pendant la poursuite pénale et les
preuves qui seront administrées lors du procès, le juge constitutionnel l’a
pratiquement reconfigurée : d’une procédure d’expédient il l’a transformée en
véritable mini-procès avant le procès pénal proprement dit, ce qui a pour effet de
prolonger de nouveau la durée totale du procès et d’amoindrir l’un des buts
principaux de la réforme en la matière, à savoir l’accélération de la procédure. Dans
la décision n° 166/2015, le juge constitutionnel a obligé le juge de la chambre
préliminaire à organiser une procédure orale et contradictoire, sans laquelle le droit à
un procès équitable serait méconnu. Dans la décision n° 631/2015, il a contraint le
même juge à établir la légalité des preuves administrées pendant la phase de la
poursuite pénale avec la participation du procureur et des parties concernées. Dans la
décision n° 496/2015, il a rendu obligatoire la citation et la participation du
procureur et du suspect ou de l’inculpé en cas de réouverture des poursuites pénales.
Et, dans la décision n° 552/2015, il a affirmé avec force que le juge de la chambre
préliminaire ne peut exercer aucune fonction de juge dans la même affaire (pour
laquelle il valide les preuves et les actes accomplis par le procureur).
Même si les preuves administrées pendant la poursuite pénale n’ont été
contestées par aucune des parties, le fait que le procureur ne participe pas au débat
contradictoire, à l’issue duquel le juge utilise ces preuves, méconnaît aussi le
caractère contradictoire du procès en tant que garantie d’un procès équitable
(décision n° 76/2015). La demande de prolongation de la détention provisoire doit
884 CHRONIQUES
être faite par le procureur au moins 5 jours avant l’expiration du délai précédant,
sous peine de ne plus pouvoir introduire une telle demande (décision n° 336/2015).
L’assignation à domicile, une mesure privative de liberté introduite par la
nouvelle législation pénale, a été considérée inconstitutionnelle car une durée
maximale n’était pas prévue, contrairement à la détention provisoire (décision
n° 361/2015), et parce que sa durée ne pouvait pas être calculée par rapport à la
durée totale de la privation de liberté qui doit être prise en compte par le juge
lorsqu’il veille au respect des limites imposées à la privation de liberté de la personne
présumée innocente en vertu de l’article 23 de la Constitution (décision
n° 740/2015).
Enfin, des manques de corrélation entre différents actes normatifs ou entre
leur contenu et le moment de leur entrée en vigueur ont également donné l’occasion
à des invalidations de dispositions du nouveau Code pénal. Dans la décision
n° 11/2015, le juge constitutionnel a précisé que la confiscation étendue ne peut pas
concerner des biens qui ont été acquis avant l’entrée en vigueur de la loi pénale qui
incrimine les infractions visées par cette sanction, même si l’infraction respective a
été commise après l’entrée en vigueur de ladite loi, sans méconnaître le principe de la
non-rétroactivité de lois. Aussi, puisque le nouveau Code pénal est entré en vigueur
après le nouveau Code civil, le législateur aurait dû mettre en cohérence ces deux
codes et ne pas incriminer le conflit d’intérêts par rapport à des critères qui
n’existent plus dans le nouveau Code civil, tels que les relations commerciales (la
distinction civil/commercial a été abolie par le nouveau Code civil). En plus, par la
combinaison de plusieurs dispositions du nouveau Code pénal, le conflit d’intérêts
aurait pu aussi concerner des personnes privées en tant que sujet actif de l’infraction,
ce qui n’est nullement justifié du point de vue criminologique selon la Cour
constitutionnelle roumaine (décision n° 603/2015).
3.- Libre accès à la justice en matière civile
Les actes réglementaires émis par une autorité administrative indépendante
ne peuvent pas être exemptés du contrôle judiciaire de légalité (exercé par la voie du
contentieux administratif) sans enfreindre le principe constitutionnel du libre accès à
la justice. Une loi qui offrirait une présomption absolue de légalité à des actes
administratifs à caractère normatif après un délai de 30 jours serait donc
inconstitutionnelle (décision n° 136/2015).
De même, lorsque le législateur prévoit qu’une garantie de bonne conduite
soit retenue ope legis par l’autorité contractante à toute personne qui conteste une
procédure d’acquisition publique au cas où sa demande serait rejetée par le Conseil
national des recours ou par le tribunal dûment saisi, il méconnaît la présomption de
bonne foi dans le cadre des procédures juridictionnelles et le libre accès à la justice,
tels que prévus par la Constitution (décision n° 5/2015).
D’autre part, lorsque l’assistance juridique professionnelle d’un avocat
devient une condition d’admissibilité en principe d’une voie de recours imposée par
la loi, une telle exigence législative est inconstitutionnelle (décision n° 485/2015).
4.- Droit du travail et protection sociale du travail
L’insolvabilité d’une société commerciale entraîne des conséquences pour ses
employés. En cas de licenciement collectif, l’information et la consultation des
employés constituent des obligations minimales, lesquelles, bien qu’elles ne soient
pas expressément prévues par la Constitution, font néanmoins partie intégrante de la
protection sociale garantie par la loi fondamentale. En conséquence, le fait que la loi
ROUMANIE 885
prévoit le simple transfert des employés d’une société commerciale en situation
d’insolvabilité vers une autre ou leur licenciement collectif, sans aucune information
ni consultation des employés, méconnaît la protection sociale du travail en tant que
norme garantie par la Constitution (décision n° 64/2015).
Aussi, la disposition du Code du travail qui permet à un employeur de
mettre en sursis le contrat individuel de travail de son employé qu’il soupçonne
d’une conduite illicite ne peut pas être considérée comme conforme à la Constitution
dans la mesure où elle incite à l’abus de la part de l’employeur. En l’absence de
garanties offertes par une décision objective et motivée de la part de l’employeur qui
entame une procédure pénale contre son employé, ce dernier est potentiellement
exposé à une conduite arbitraire. Reconsidérant sa jurisprudence antérieure (selon
laquelle une telle disposition du Code du travail protège l’employeur contre les abus
des employés) par rapport à cette disposition du Code du travail qui a néanmoins
subi des modifications au fil du temps, le juge constitutionnel est arrivé à la
conclusion que le droit au travail est un droit complexe, qui suppose aussi bien la
liberté de choix de la profession et de l’emploi tout comme des garanties minimales
pour la stabilité de l’employé dans le poste de son choix. Sur la base d’un test de
proportionnalité qu’il a déjà utilisé dans d’autres affaires, le juge constitutionnel est
arrivé à la conclusion que la disposition du Code du travail ne remplit pas les
exigences minimales de constitutionnalité (décision n° 279/2015).
Dans le même ordre d’idées, s’agissant de la protection de la stabilité des
emplois, et notamment de la stabilité des fonctionnaires publics, le juge
constitutionnel a conclu dans une autre décision (n° 351/2015) que, dans le contexte
des successives réorganisations des institutions publiques par des actes de délégation
législative, une des garanties importantes du régime juridique des fonctionnaires
publics a été oubliée, à savoir la possibilité de lui offrir une fonction publique
vacante qui corresponde à son niveau de formation professionnelle en cas de
licenciement qui n’est pas dû à sa faute.
En revanche, le licenciement des employés qui détiennent des fonctions
éligibles dans des organisations syndicales uniquement pour des infractions
disciplinaires répétées ou graves risque de perturber les rapports de travail au sein
d’une entreprise et la liberté économique de l’employeur. Dans la décision
n° 814/2015, la Cour constitutionnelle a considéré que l’imprécision de la loi en ce
qui concerne le syntagme « fonctions éligibles dans des organisations syndicales »,
cumulée avec l’absence de règles juridiques concernant la durée de tels mandats
électifs, risque de provoquer une limitation excessive de la liberté économique de
l’employeur, qui ne peut plus décider sur l’organisation de son activité économique.
5.- Droit à la vie privée et sécurité cybernétique
Dans le contexte d’insécurité globale, une loi a été adoptée afin de
réglementer des critères et des processus pour garantir la sécurité des infrastructures
« critiques » roumaines dans le domaine cybernétique. Avant son entrée en vigueur
elle a été déférée à la Cour constitutionnelle, laquelle, dans sa décision n° 17/2015,
l’a invalidée dans sa globalité principalement pour méconnaissance du droit à la vie
privée. Ainsi, parmi d’autres dispositions, la loi en question établissait un Centre
national de sécurité cybernétique, structure subordonnée à un service de
renseignements, chargé de collecter toutes les données relatives à l’état de sécurité
des infrastructures cybernétiques, sans distinction selon leur nature ou propriétaire
(public ou privé). Également, les propriétaires ou administrateurs de ces
infrastructures étaient obligés de fournir à ce Centre national toutes les informations
en leur possession concernant tout incident de sécurité qui aurait apparu en relation
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avec l’infrastructure respective. La Cour constitutionnelle a constaté qu’aucune
institution concernée et aucune action prévue par la loi étaient soumises au contrôle
d’un juge, alors que certaines activités auraient pu avoir un impact direct sur la vie
privée des individus sans que l’impact réel sur la sécurité cybernétique de la
Roumanie en soit réellement affecté. Notamment, l’accès des autorités
administratives aux données stockées par les fournisseurs privés des services
informatiques sans aucun contrôle judiciaire a été considéré comme constitutif d’un
potentiel arbitraire contraire à l’État de droit et au droit constitutionnellement
garanti à une vie intime et privée.
6.- Liberté d’association et création des partis politiques
La décision n° 75/2015 constitue un revirement de jurisprudence en matière
des conditions requises pour la création légale d’un parti politique. Depuis le début
de la transition démocratique roumaine, le nombre minimum de personnes
nécessaires pour la création légale d’un parti politique a considérablement varié : si
en 1990 un décret-loi l’avait fixé à 251, en 1996 il avait été augmenté à 10 000 et
encore à 25 000 en 2003 avec l’obligation d’une certaine dispersion territoriale. Une
jurisprudence constante de la juridiction constitutionnelle avait confirmé le choix du
législateur par des exigences relativement hautes en la matière, à la différence des
exigences correspondantes pour la création des associations sans but lucratif (3
personnes) ou encore des syndicats. Les arguments constamment avancés par la Cour
constitutionnelle prenaient appui sur les articles 8 et 40 de la Constitution, qui
protègent la liberté d’association, mais – également – prescrivent un but de
« définition et d’expression de la volonté politique des citoyens » aux partis
politiques. En 2015, pour la première fois, la Cour constitutionnelle a estimé que les
exigences relatives au nombre minimum de membres fondateurs d’un parti politique
représentent une ingérence des autorités publiques dans l’exercice de la liberté
d’association, et a obligé le législateur à modifier la disposition légale concernée,
dans le cadre de ses limites d’appréciation et dans le sens du rabais de l’exigence
quantitative. Dans le contexte d’une refonte générale du système électoral roumain
et des essais de restructuration de la classe politique dans son ensemble, le Parlement
a adopté une modification ponctuelle et a permis la création de partis politiques avec
seulement 3 membres, sans autres exigences relatives à la dispersion territoriale.
7.- Droit de vote, vote par correspondance
La même démarche relative à la refonte de la classe politique et du système
électoral a déterminé l’adoption en 2015 d’une loi spécifique pour le vote par
correspondance uniquement pour les élections parlementaires prévues pour
l’automne 2016 et uniquement pour les Roumains résidant à l’étranger. Dans le
cadre d’un contrôle a priori, cette loi a été déférée à la Cour constitutionnelle sous
prétexte que le vote par correspondance méconnaissait les caractéristiques
constitutionnelles du droit de vote, et notamment le secret et l’égalité du vote. Pour
ce qui est de l’égalité du vote, la Cour constitutionnelle a fait valoir la nécessaire
adaptation du régime juridique aux situations concrètes en présence ; vu que les
Roumains qui résident à l’étranger se trouvent dans une situation objectivement
différente de celle dans laquelle se trouvent les Roumains résidant en Roumanie, la
Cour constitutionnelle a fait une application de l’égalité relative et a validé le choix
du législateur. S’agissant du secret du vote, la Cour a rappelé le fait qu’il s’agit d’un
droit et, également, d’une obligation faite à l’électeur de ne pas dévoiler lui-même
son propre vote, ni d’essayer de dévoiler ou faire dévoiler le vote d’autrui. Par
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conséquent, le phénomène connu sous le nom de « vote familial », qui pourrait
mettre en danger le secret du vote, relève en grande partie de la responsabilité de
tout électeur. Des garanties formelles pour assurer le secret du vote par
correspondance ont été prévues par la loi, notamment l’envoie du bulletin de vote
dans deux enveloppes dont une anonyme, la collecte des voix dans des conditions de
sécurité, le décomptage des voix reçues par correspondance en même temps que le
décomptage des voix exprimées en Roumanie, etc. Dans ces conditions, et vu que la
loi doit se fonder sur la bonne foi des sujets concernés, le juge constitutionnel a
estimé que les exigences constitutionnelles avaient été respectées en l’occurrence.