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INSTITUT DE RECHERCHE EN
PROPRIETE INTELLECTUELLE
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES
N° 67 AVRIL 2018
26, rue des Fossés Saint Jacques – 75005 Paris
Tél. + 33 (0) 1 44 41 56 16
irpi@u-paris2.fr – www.irpi.fr
INSTITUT DE RECHERCHE EN
PROPRIETE INTELLECTUELLE
DOCTRINE
Perspectives d’avenir du
statut social de l’auteur
Stéphanie Le Cam
L’avenir de la propriété
intellectuelle sur la blockchain
Amélie Favreau
Les chartes de propriété
intellectuelle, un instrument
d’avenir ?
Nicolas Bronzo
L’exception pour le data
mining dans le projet de
directive sur le droit d’auteur
Nicolas Jondet
CHRONIQUES
Droit d’auteur et droits
voisins
André Lucas
Jean-Michel Bruguière
Carine Bernault
Droit des marques et autres
signes distinctifs
Julien Canlorbe
Yann Basire
Caroline Le Goc
Droit des créations
techniques
Jean-Christophe Galloux
Bertrand Warusfel
Christian Derambure
Droit des dessins et modèles
Patrice de Candé
Pierre Massot
ACTUALITÉS
Agenda de l’IRPI
Évènements extérieurs
Publications récentes
AVRIL 2018
n° 67
25
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
Doctrine
Le text and data mining (TDM), en français « l’ex-
ploration » ou « la fouille de données », est un
processus d’exploration et d’analyse de don-
nées par les algorithmes numériques. Le TDM
ouvre de nouvelles perspectives dans la découverte des
connaissances. Toutefois, ce processus requiert la repro-
duction d’immenses corpus d’œuvres protégées par le
droit de la propriété intellectuelle. Se pose alors la ques-
tion de l’articulation entre ce processus et le droit d’au-
teur. Dans un contexte où la compétition internationale
se focalise de plus en plus sur l’économie du savoir, les
législateurs nationaux et européens se posent la question
du meilleur équilibre entre la nécessité de faciliter l’ex-
ploration et l’analyse des contenus et celle de protéger
ceux qui les produisent. En Europe, cette discussion a
commencé au début de la décennie et est rentrée dans
une étape cruciale en septembre 2016 avec la publica-
tion de la proposition de directive sur le droit d’auteur
dans le marché unique numérique1. Mais, avant même
l’établissement d’un cadre européen sur le data mining,
de nombreux États membres ont adopté leurs propres
exceptions au droit d’auteur. Comme nous le verrons,
ces positionnements répondent et inuencent le débat à
l’échelle européenne.
Après avoir expliqué les problématiques de droit
d’auteur liées au TDM ainsi que les paramètres du débat
sur les solutions à leur apporter (I) nous nous attarderons
sur les expériences britannique et française. En eet, la
prise de position britannique a été déterminante à bien
des égards. Avec la création d’une exception TDM en
2014, le Royaume-Uni est précurseur en la matière, cet
assouplissement du droit d’auteur témoignant d’une
volonté de favoriser l’économie du savoir, mais aussi de
repousser les limites du cadre européen (II). La France a
suivi cette voie de la réforme du droit d’auteur en 2016,
initialement à reculons puis à marche forcée, poussée par
la pression des acteurs de la recherche et de l’économie
numérique. Les exceptions françaises, plus étroites que
leur équivalent britannique, orent un point de compa-
raison intéressant dans le débat (III). Si bien que lorsque
la Commission européenne propose sa directive, deux
exceptions aux contours diérents sont déjà en place au
sein de l’Union européenne (UE). D’autres pays vont
adopter leurs propres exceptions TDM sans attendre
l’issue du débat européen et ce faisant l’inuençant
d’ores et déjà. La lecture du débat est rendue plus com-
pliquée encore par d’importants changements politiques
dans certains états au premier rang desquels se trouve le
Brexit, la sortie de l’UE décidée par le Royaume-Uni,
champion d’une exception TDM large (IV). Face à
la multiplicité des choix, nous pensons que l’UE doit
adopter l’exception TDM la plus large possible an de
renforcer la compétitivité internationale de son écono-
mie du savoir notamment vis-à-vis du Royaume-Uni
de l’après Brexit (V).
L’exception pour le data mining dans le projet
dedirective sur le droit d’auteur*
Pourquoi l’Union européenne doit aller plus loin que
les législations des États membres
NICOLAS JONDET
ENSEIGNANT EN DROIT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE, FACULTÉ DE DROIT D’EDIMBOURG (ROYAUME-UNI)
CHERCHEUR ASSOCIÉ AU CENTRE SCRIPT
* Cet article est l’adaptation de la présentation donnée lors du premier
colloque de l’association JUSPI organisé le 3 octobre 2017 à l’Uni-
versité Paris Descartes. L’auteur souhaite remercier les participants du
colloque pour leurs commentaires qui ont enrichi l’article ainsi que
l’équipe de la revue Propriétés intellectuelles pour leur aide précieuse dans
sa mise en forme.
1. Commission européenne, Proposition de directive du Parlement eu-
ropéen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numé-
rique, 14 sept. 2016 [COM(2016) 593].
26 PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
I. Le data mining à l’épreuve du droit
d’auteur de l’Union européenne
En Europe, la question de l’articulation entre TDM
et droit d’auteur est abordée au début de la décen-
nie. Parmi les diérents travaux qui éclairent la dis-
cussion nous retiendrons, le rapport Hargreaves pour
le Royaume-Uni2, le rapport du cabinet De Wolf &
Partners, dirigé par Jean-Paul Triaille3, ainsi que celui
du Groupe d’experts européens présidé par le professeur
Hargreaves4, tous deux remis à la Commission euro-
péenne et enn, pour la France, le rapport de la mission
du CSPLA présidée par Jean Martin5. Tous ces travaux
font état des nombreuses promesses du data mining pour
la société et l’économie du savoir, mais constatent aussi
le conit entre TDM et droit d’auteur (A). La question
de la résolution de ce conit fait débat et nous présente-
rons les paramètres de ce débat (B).
A. Les promesses du data mining et
l’obstacle du droit d’auteur
Le TDM peut se dénir comme « le traitement automatisé
de contenus numériques, qui peuvent inclure des textes,
des données, des sons, des images ou d’autres éléments,
ou une combinaison de ceux-ci, an de découvrir de
nouvelles connaissances ou des idées »6. Cettedénition
large peut donc recouvrir une multitude de pratiques.
Toute personne, munie d’un ordinateur et d’un logiciel
d’analyse approprié peut alors analyser les données stoc-
kées sur cet ordinateur. Bien sûr, plus l’ordinateur est
puissant, plus l’algorithme est performant, plus la quan-
tité et la qualité des données et des contenus disponibles
sont importantes et plus l’analyse opérée sera fructueuse
en nouvelles connaissances et idées. C’est pourquoi
cette technique nouvelle trouve à s’appliquer en pre-
mier lieu dans les secteurs de la recherche universitaire,
des entreprises, voire des services publics, où d’impor-
tants moyens nanciers, humains et techniques peuvent
être mis à disposition de projets utilisant le TDM. Ainsi,
le projet britannique Text2genome a permis, grâce à
l’analyse de millions de publications, de cartographier le
génome humain7. L’analyse de larges quantités de vidéo
peut aussi enrichir les connaissances en météorologie8.
Un chercheur en sciences sociales peut également ana-
lyser les évolutions des utilisations du terme numérique
dans le cadre des politiques de l’Union européenne9.
Mais le TDM peut aussi être appliqué en nance, mar-
keting ou dans l’industrie10. Dans l’absolu, il peut être
mis en œuvre par toute personne, sur tout contenu et
pour toute nalité.
Comme l’explique le CSPLA, en amont de l’analyse
des données, il y a un processus de collecte qui implique
d’eectuer une copie plus au moins temporaire de tout
ou partie des contenus numériques11. Il est par ailleurs
parfois aussi nécessaire de transformer les données pour
les rendre exploitables par les outils informatiques,
comme par exemple un document PDF en chier XML.
Ces deux étapes peuvent engager les droits de propriété
intellectuelle reconnus dans l’Union. Ainsi, la directive
de 2001 sur le droit d’auteur12 reconnait à l’auteur d’une
œuvre originale, que cela soit un livre, une composi-
tion musicale ou encore une base de données, des droits
exclusifs de reproduction et de diusion de cette œuvre.
Par ailleurs, le droit européen consacre, par une directive
de 1996, un droit spécique pour les producteurs de
bases de données non originales13. Ce droit sui generis
leur donne notamment des prérogatives exclusives d’ex-
traction et de réutilisation du contenu de leur base.
Le droit d’auteur donne aux créateurs d’œuvres
originales de nombreuses prérogatives comme le droit
d’en autoriser la reproduction et la communication au
public14. Dès lors, toute personne souhaitant reproduire
ou diuser une œuvre doit, par principe, obtenir l’au-
torisation préalable du titulaire du droit d’auteur, lequel
peut soumettre son autorisation à la contrepartie d’une
rémunération. Ces prérogatives reçoivent une interpré-
tation large et s’appliquent pleinement dans le contexte
numérique. Ainsi, la reproduction de toute image trou-
vée sur un site internet, de tout lm, article de presse,
clip de Youtubeur, ou article scientique doit avoir été
préalablement autorisée par le titulaire du droit. Fautede
quoi, la personne qui eectue cette reproduction com-
met une infraction au droit d’auteur et peut être pour-
suivie. Il en va de même pour la diusion de ces œuvres,
notamment sur internet. En outre, il convient ici de
2. I. Hargreaves, Digital Opportunity: A Review of Intellectual Property and
Growth, 2011, UK Intellectual property oce [Rapport Hargreaves].
3. J.-P. Triaille, J. de Meeûs d’Argenteuil et A. de Francquen, Study on the
legal framework of text and data mining, 2014, De Wolf & Partners for the
European Commission [Rapport De Wolf].
4. I. Hargreaves, L. Guibault, C. Handke, P. Valcke, B. Martens, R. Lynch
et S. Filippov, Report from the Expert Group on the standardisation in the
area of innovation and technological development, notably in the eld of text and
data mining, 2014, Expert Group for the European Commission [Rapport
Expert Group].
5. J. Martin et L. de Carvalho, Rapport de la mission sur l’exploration de
données (« Text and Data mining »), 2014, Conseil supérieur de la propriété
littéraire et artistique [Rapport CSPLA].
6. Rapport De Wolf, préc., note 3, p.17; traduit en français par le Rapport
CSPLA, préc., note 5, p.8.
7. Rapport CSPLA, préc., note 5, p.11.
8. Rapport Expert Group, préc., note 4, p.10.
9. Idem.
10. Idem.
11. Rapport CSPLA, préc., note 5, p.20.
12. Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du
22mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et
des droits voisins dans la société de l’information [Dir. 2001/29].
13. Dir. 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996,
concernant la protection juridique des bases de données.
14. Dir. 2001/29, préc., note 12, art. 2 et 3.
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PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
Doctrine
rappeler que le droit européen ore une protection
additionnelle aux titulaires de droit dans le contexte
numérique. Il consacre la protection des mesures tech-
niques de protection, comme les logiciels anti-copies
qui sont placés sur les produits culturels, et qui sont col-
lectivement connus par leur acronyme anglais DRMs
pour Digital rights management systems15.
Cette protection large n’est pourtant pas absolue.
Tous les systèmes de droit d’auteur comprennent un cer-
tain nombre d’exceptions qui autorisent aux tiers l’uti-
lisation d’une œuvre sans l’accord du titulaire, comme
par exemple les exceptions de parodie ou de courte
citation. La question sera donc de savoir s’il existe en
droit européen une exception pour le TDM. La réponse
aurait pu être simple, la directive de 2001 fournissant
une liste exhaustive des exceptions permises au sein de
l’UE. Et donc soit l’exception TDM est dans la liste et
elle est alors permise dans les États membres soit elle
ne l’est pas. Toutefois, deux problèmes liés au proces-
sus d’harmonisation, soucieux du respect des traditions
juridiques des pays membres16, rendent la question plus
complexe. Tout d’abord, parmi la vingtaine d’exceptions
autorisées, seule l’une d’elles, l’exception de copie transi-
toire, est obligatoire. Les autres sont facultatives, les États
membres ayant le choix de les introduire ou pas dans
leur droit national. Ensuite, et surtout, la rédaction des
exceptions est susamment vague pour recouvrir des
réalités diérentes dans les pays membres. Combinés aux
dicultés de traduction inhérente au projet européen,
ces deux problèmes rendent l’analyse du périmètre des
exceptions souvent dicile. Ainsi la directive prévoit, à
l’article5, 3 a), une exception « lorsqu’il s’agit d’une uti-
lisation à des ns exclusives d’illustration dans le cadre
de l’enseignement ou de la recherche scientique ».
Comme l’explique Séverine Dusollier, non seulement
tous les États membres n’ont pas choisi d’adopter cette
exception, mais parmi ceux qui l’ont adoptée existent
d’importantes diérences d’interprétation en fonction
de la langue du pays concerné17. Ainsi, dans certaines
langues elle peut se lire comme une exception « lorsqu’il
s’agit d’une utilisation à des ns exclusives d’illustration
dans le cadre de l’enseignement ou d’une utilisation
pour la recherche scientique », le terme « d’illustration »
s’appliquant uniquement à l’enseignement. En dépit des
dicultés d’analyse du contour exact des exceptions, il
parait néanmoins évident qu’au début de la décennie, ni
le droit de l’Union ni celui des États membres ne pré-
voit explicitement d’exception TDM.
B. Les paramètres du débat sur une
exception au droit d’auteur
Le nombre croissant de chercheurs faisant état de di-
culté à mettre en œuvre les techniques de TDM sur les
articles des revues scientiques auxquelles ils souscrivent
force les pouvoirs publics européens et nationaux à se
saisir de la question. Pour résoudre ce problème deux
options sont envisagées: une solution contractuelle par
laquelle les ayants droit facilitent la pratique du TDM
sur leurs contenus et une solution législative par laquelle
est introduite une exception TDM au droit d’au-
teur. Les éditeurs scientiques, rejoints par l’ensemble
des ayants droit, soutiennent la solution contractuelle.
Lemonde de la recherche, rejoint par d’autres utilisa-
teurs, dont les acteurs de l’économie numérique, militent
pour une exception au droit d’auteur. Ils pointent vers
d’autres juridictions dont le droit d’auteur est plus
favorable à la recherche. C’est le cas, par exemple, du
Japon qui a introduit en 2009 une exception qui s’ap-
plique à toutes les activités d’« analyse d’information »
sans distinction18. Mais c’est surtout le droit d’auteur des
États-Unis qui est présenté en modèle d’adaptabilité et
de bienveillance pour la recherche, les startups et l’inno-
vation. Cette souplesse tient à la méthode de création
des exceptions. Là où le droit européen dresse une liste
limitative d’exceptions qui ne peut être changée que
par le processus législatif, le droit américain reconnait
un principe général de fair use qui laisse aux juges une
grande latitude pour autoriser de nouvelles pratiques
par les tiers sur les œuvres protégées. En application du
fair use les tribunaux américains ont, par exemple dans
l’aaire Authors Guild c/ Google, validé la numérisation
par Google des fonds des bibliothèques universitaires
américaines sans autorisation des titulaires des droits19.
L’hypothèse d’une nouvelle exception soulève
la question de ses caractéristiques. Les réexions font
apparaitre certains éléments de consensus. Il semble
acquis qu’une exception TDM ne puisse être engagée
que si l’utilisateur a un accès licite à la source. C’est une
garantie essentielle pour les ayants droit en général et
pour les éditeurs scientiques en particulier, car elle leur
assure que les personnes désirant fouiller leurs corpus de
textes devront s’acquitter des frais d’abonnement à leurs
services. En contrepartie, il semble aussi acquis qu’une
exception doive être d’ordre public, c’est-à-dire qu’il ne
serait pas possible d’y déroger par contrat. D’autres élé-
ments, en revanche, tels les contoursde l’exception font
débat : qui en seront les bénéciaires (les chercheurs,
les entreprises, l’ensemble des utilisateurs), pour quels
types d’utilisation et quelle nalité (commerciale ou
non) et sur quels types de contenus ? À ces questions, les
15. Idem, art. 6.
16. Idem, consid. 32.
17. Rapport De Wolf, préc., note 3, p.61.
18. M. Nagatsuka, L’exception de data mining en droit d’auteur japonais,
2016, Revue franc. propr. intell. 68, 7.
19. Authors Guild v. Google, 804 F. 3d 202 - Court of Appeals, 2nd Cir-
cuit 2015, v. aussi à propos de la décision de première instance en 2013:
rapport CSPLA, préc., note 5, p.42. M. Nagatsuka, L’exception de data
mining en droit d’auteur japonais, 2016, Revue franc. propr. intell. 68, 7.
28 PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
législateurs nationaux et européens vont apporter des
réponses contrastées.
II. Le Royaume-Uni en précurseur
avec son exception pour le text and
data analysis
Le Royaume-Uni est le premier pays de l’UE à s’être
interrogé sur la relation entre le droit d’auteur et le
TDM. Cette réexion sur l’adaptation du droit au
TDM s’inscrit dans le cadre d’une large réexion sur
l’architecture globale du régime britannique des excep-
tions au droit d’auteur menée par le rapport Hargreaves.
Leschangements législatifs introduits en réponse au rap-
port témoignent d’un volontarisme de la part du gou-
vernement britannique et d’une prise de risque vis-à-vis
du cadre européen (A). L’exception TDM, introduite en
2014, par son principe et son étendue teste les limites du
cadre européen (B).
A. Réflexion globale, volontarisme
et prise de risque sur la question
desexceptions
Le rapport du Professeur Hargreaves, remis au gouver-
nement britannique en 201120, a joué un rôle clé dans
l’avènement et la structuration du débat sur l’exception
TDM. Ian Hargreaves avait pour mission de passer en
revue les principaux droits de la propriété intellectuelle
et d’identier les aspects de ses droits qui présentent des
contraintes pour l’innovation et la croissance écono-
mique. On notera ici que les termes mêmes de la mis-
sion ainsi que la nature du commanditaire du rapport,
le ministère des Aaires commerciales, inscrivaient les
travaux dans la tradition anglo-saxonne d’une approche
utilitariste du droit de la propriété intellectuelle. Parmi
tous les droits de propriété intellectuelle, le rapport
identie le droit d’auteur, en particulier son régime des
exceptions, comme étant le plus propice aux réformes.
Le rapport s’interroge d’abord sur l’architecture géné-
rale du régime avant de s’intéresser à certaines excep-
tions en particulier.
L’analyse globale contemple l’eldorado américain,
mais se satisfait de l’ancrage européen du régime britan-
nique des exceptions. Le gouvernement voulait notam-
ment savoir s’il était souhaitable et possible d’adopter
un système de fair use à l’américaine. La question était
de savoir si la gree de ce principe du droit d’au-
teur américain pouvait créer un environnement plus
favorable à l’innovation dans l’économie numérique.
DavidCameron, le Premier ministre de l’époque, avait,
à l’occasion du lancement de la mission Hargreaves, fait
référence aux commentaires des fondateurs de Google
pour qui leur entreprise n’aurait jamais pu voir le jour
au Royaume-Uni, faute de fair use21. Sur l’opportunité
d’une telle gree, le rapport conclut que le fair use pour-
rait apporter certains avantages en terme de exibilité
du droit d’auteur, mais que le fair use n’est qu’un des
facteurs expliquant le succès des entreprises américaines
dans le numérique, la culture du risque et le montant
des capitaux-risque disponibles étant d’autres facteurs
explicatifs de ce succès. Quant à la possibilité d’une telle
gree, le rapport conclut qu’elle n’est pas possible en
l’état actuel du droit européen22. Faute d’introduire le
fair use au Royaume-Uni, le rapport propose néanmoins
de nombreuses réformes des exceptions.
Celles-ci seront reprises pour l’essentiel par le gou-
vernement qui fera adopter les réformes législatives de
2014 modiant le régime des exceptions du Copyright,
designs and patents act (CDPA)23. Ces réformes amé-
nagent certaines exceptions et en ajoutent de nouvelles.
Ainsi, dans la catégorie des modications, nous retien-
drons l’élargissement de l’exception de recherche qui
n’était jusqu’alors applicable qu’aux œuvres « littéraires,
dramatiques, musicales et artistiques », mais qui désormais
s’applique à tout type d’œuvre comme, par exemple, aux
œuvres audiovisuelles24. Dans la catégorie des nouvelles
exceptions, l’introduction d’une exception de parodie
n’a pas soulevé de problème particulier, le Royaume-
Uni ne faisant que saisir l’opportunité présentée par la
directive de 2001. L’introduction d’une exception de
copie privée aurait pu être aussi aisée. La directive ore
le cadre général suivant: elle autorise cette exception,
mais conditionne son existence à la mise en place d’un
système de compensation pour les ayants droit. Le gou-
vernement britannique décida toutefois de faire adopter
une exception de copie privée sans système de compen-
sation. Cette exception était censée être compatible avec
le droit européen dans la mesure où elle était conçue de
manière si limitative qu’elle ne causerait pas de préju-
dice aux ayants droit25. Mais avant même que les auto-
rités européennes n’aient le temps de se prononcer, les
ayants droit britanniques ont immédiatement intenté un
recours juridictionnel contre cette disposition. LaHigh
Court de Londres leur donne raison en 2015 en
20. Rapport Hargreaves, préc., note 2.
21. Idem, p.44.
22. Idem, p.46.
23. The Copyright and Rights in Performances (Research, Education,
Libraries and Archives) Regulations (SI 2014/1372) [SI 2014/1372];
The Copyright and Rights in Performances (Disability) Regulations
(SI 2014/1384); The Copyright (Public Administration) Regulations (SI
2014/1385); The Copyright and Rights in Performances (Quotation and
Parody) Regulations (SI 2014/2356).
24. SI 2014/1372, préc., note 23 s. 3.
25. The Copyright and Rights in Performances (Personal Copies for Pri-
vate Use) Regulations (SI 2014/2361) [Repealed].
29
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
Doctrine
ordonnant l’abrogation de cette disposition, le gouver-
nement n’ayant pas rapporté la preuve que l’absence de
système de rémunération ne causerait pas de préjudice
aux ayants droit26. L’introduction d’une exception TDM
témoigne d’une même volonté de tester les limites du
cadre européen.
B. L’exception introduite en 2014,
uneexception large
Le Royaume-Uni estime qu’il peut introduire une
exception qui n’est pourtant pas listée dans la direc-
tive, mais qui est, selon son analyse, le simple prolonge-
ment de l’exception de recherche prévue à l’article5,
3°, a) de cette même directive. Cette analyse n’a pas
été remise en cause ni par les ayants droit ni par les
institutions européennes. Et le nouvel article 29A du
CDPA prévoit donc une exception au droit d’auteur27
de text and data analysis pour la recherche non commer-
ciale. C’est une exception large. Elle concerne tous les
types d’œuvres et bénécie aux activités de recherche.
Le terme « recherche », en l’absence de jurisprudence
contraire, s’entend de manière extensive notamment car
il s’applique à toute personne eectuant des recherches
quelque soit son statut ou celui de l’organisme auquel
elle appartient28. Toutefois, le bénéce de l’exception
est limité aux recherches non commerciales. Ici, il
convient d’expliquer que la distinction entre recherche
commerciale et non-commerciale n’a été introduite en
droit britannique qu’à la faveur de la transposition de la
directive de 2001 et que la doctrine souligne la diculté
à mettre en œuvre cette distinction29. Et c’est notam-
ment pour dépasser cette diculté que Hargreaves avait
recommandé au gouvernement britannique de faire
pression sur les institutions européennes pour qu’une
future exception TDM couvre aussi la recherche com-
merciale30. L’exception est d’ordre public. En contre-
parties, l’article 29A ore de nombreuses garanties
aux titulaires de droit. Tout d’abord, il y a la condition
d’acces licite aux œuvres. Ensuite, l’utilisateur doit,
dans la mesure du possible, créditer les œuvres copiées.
Surtout, l’utilisation des copies pour toute activité autre
que le TDM ou la communication des copies sont inter-
dites et consitutent, en l’absence d’autorisation des titu-
laires, des contrefaçons.
On le voit, l’expérience britannique est originale.
Elle entend modier le droit d’auteur pour l’adap-
ter au TDM en créant une nouvelle exception spéci-
que et ce faisant repousser ainsi les limites du droit
européen. Les férus de politique britannique ne pour-
ront s’empêcher de voir des parallèles entre l’attitude
du gouvernement sur le dossier du droit d’auteur et la
tension grandissante entre le Royaume-Uni et les ins-
titutions européennes. En eet, nous sommes en 2014
et David Cameron, acculé par la montée de l’euroscep-
ticisme, notamment dans son parti, entreprend avec les
institutions européennes un processus de renégociation
des règles de l’UE dont l’échec précipitera la tenue d’un
referendum sur le Brexit31.
III. La France et ses exceptions
pour l’exploration et la fouille
desdonnées
La France se saisit de la question du TDM au moment
où se clôt le débat au Royaume-Uni. La discussion
est en France beaucoup plus houleuse, les débats plus
tranchants, les contraintes liées au cadre européen ainsi
que les incertitudes quant à sa possible évolution, plus
pressantes. L’opposition entre le gouvernement et le
parlement rend la reconnaissance du principe d’une
exception très longtemps incertaine (A). Le compromis
nalement adopté produit deux exceptions à la portée
limitée dont la mise en œuvre est en suspens et l’exis-
tence en sursis (B).
A. Marche à reculons puis marche
forcée vers la reconnaissance
d’uneexception
En juillet 2014, le Conseil supérieur de la propriété
littéraire et artistique (CSPLA), instance consulta-
tive chargée de conseiller le ministre de la Culture en
matière de droit d’auteur, rend son rapport sur le TDM32.
L’approche, l’analyse et les conclusions du rapport
français sont presque diamétralement opposées à celles
du rapport Hargreaves. Quand le rapport britannique
cherche à savoir comment adapter le droit d’auteur aux
besoins de l’économie et au TDM, le rapport français
cherche à protéger le droit d’auteur d’un TDM qu’il
compare à un parasite33. Quant à l’analyse juridique, le
CSPLA produit une réexion plus poussée et, à notre
avis, plus juste de l’état du droit. Le rapport rappelle que
26. British Academy of Songwriters, Composers And Authors & Ors, R
(On the Application Of) v Secretary of State for Business, Innovation And
Skills, 2015 EWHC (Admin) 1723.
27. Le CDPA ne prévoit pas d’exception spécique pour le droit sui ge-
neris.
28. C. Waelde, A. Brown, S. Kheria et J. Cornwell, Contemporary Intellectual
Property, 4e éd., OUP, 2016, p.183.
29. Idem, p.184.
30. Rapport Hargreaves, préc., note 2, par5.26.
31. M. Vaudano, « Brexit » : comment Cameron s’est laissé prendre à son
propre piège, Le Monde, 24 juin 2016.
32. Rapport CSPLA, préc., note 5.
33. Idem, p.2.
30 PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
le droit d’auteur est d’interprétation large et les excep-
tions d’interprétation stricte. Il conclut qu’aucune des
exceptions en droit français n’ore de garantie su-
sante pour le TDM, en particulier l’exception « à des
ns exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseigne-
ment et de la recherche »34, qui transpose l’art5.3 a)
de la directive, en raison de son caractère très limité35.
Pour le rapport, il n’est pas possible de modier le droit
national sans modication préalable du droit européen36.
Implicitement, il rejette l’analyse britannique. Pour le
CSPLA, la création d’une exception n’est pas non plus
nécessaire. Il lui préfère des solutions d’ordre contrac-
tuel37. LeCSPLA propose alors de « privilégier l’autoré-
gulation à une intervention législative » et xe « un délai
de deux années au terme duquel un bilan sectoriel sera
dressé et l’éventuelle nécessité d’une intervention légis-
lative évaluée »38. Le rapport recommande aussi au gou-
vernement de faire partager cette approcheet de pré-
venir toute initiative contraire au niveau européen ou
international39. Là encore, le contraste est saisissant avec
le rapport Hargreaves qui enjoignait au gouvernement
britannique de changer le cadre européen. Le gouver-
nement français suit les recommandations du CSPLA
et la question d’une éventuelle exception TDM n’ap-
parait pas dans la loi création40. Elle n’est pas non plus
dans le projet de loi porté par le secrétariat d’État en
charge du numérique, qui aboutira à la loi République
numérique.
Toutefois, lors des débats sur la loi république numé-
rique, les députés de l’Assemblée nationale vont relayer
les demandes du monde de la recherche, faites notam-
ment lors du processus de consultation en ligne sur
l’avant-projet de loi, ainsi que celles du Conseil national
du numérique (CNNum), qui, reprenant à son compte
l’analyse britannique, dont il note qu’elle n’a fait l’objet
d’aucun recours par les instances européennes, recom-
mande d’instaurer une véritable exception TDM41.
Le gouvernement et les commissions de l’Assemblée
nationale s’opposent à un changement du droit d’au-
teur. Si les commissions s’accordent sur la nécessite de
faciliter le TDM en France, elles rappellent l’absence
d’exception spécique dans la directive de 2001 et l’im-
minence d’une proposition des instances européennes
sur le sujet42. En commission des lois, le rapporteur Luc
Belot et la secrétaire d’État, Axelle Lemaire, rejettent
l’analyse britannique qu’ils jugent en contravention avec
le droit européen et concluent qu’il serait prématuré
d’introduire une exception en droit français43. Lacom-
mission des aaires culturelles, quant à elle, évoque les
espoirs nés de nouvelles solutions contractuelles favo-
risant le TDM44. Toutefois, le choix de l’exception est
porté par un large consensus chez les députés. Ainsi, de
nombreux députés emmenés, à gauche, par Christian
Paul, Isabelle Attard et André Chassaigne, et à droite,
par Nathalie Kosciusko-Morizet, déposent une série
d’amendements en faveur d’une exception pour assu-
rer la compétitivité de la recherche française vis-à-vis
des États-Unis ou du Royaume-Uni. Ils veulent aussi
forcer le gouvernement à clarier sa position dans les
discussions européennes an qu’il s’engage plus ferme-
ment à défendre cette exception45. Les députés adoptent
l’amendement Kosciusko-Morizet et le texte de l’As-
semblée nationale inclut donc une exception au droit
d’auteur et au droit sui generis. Il prévoit la modication
du Code de la propriété intellectuelle, notamment avec
l’introduction d’une exception « en vue de l’exploration
de textes et de données pour les besoins de la recherche
publique, à l’exclusion de toute nalité commerciale »46.
Au sénat, l’exception au droit d’auteur est retirée.
La commission des lois retient l’impossibilité de créer
une exception et veut croire à l’approche contractuelle,
cette option pouvant d’ailleurs être celle que les auto-
rités européennes niraient par choisir47. Mais si elle
considère qu’il n’est ni possible ni souhaitable, à ce stade,
de changer le droit d’auteur comme l’a fait l’Assem-
blée nationale, la commission de la culture recommande
néanmoins de légiférer pour faciliter le TDM en France.
Après de longues discussions, dans lesquelles certains
sénateurs marquent leur préférence pour la position de
l’Assemblée, le Sénat adopte nalement le texte proposé
par la sénatrice Colette Mélot48, dont le but est « d’in-
terdire, dans les contrats conclus entre éditeurs et orga-
nismes de recherche ou bibliothèques, toute clause limi-
tant l’accès aux publications scientiques appartenant
à l’éditeur, à des ns de fouille électronique exclusive-
ment pour la recherche publique et à l’exclusion de tout
usage commercial »49. Cette disposition ne modie pas
le Code de la propriété intellectuelle, mais vise à orir
34. CPI, art. L.122-5 3° e.
35. Rapport CSPLA, préc., note 5, p.30.
36. Idem, p.45.
37. Idem, p.38.
38. Idem, p.4, recommandations 5, 6 et 7 respectivement.
39. Idem, p.5, recommandations 11 et 12.
40. Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à
l’architecture et au patrimoine.
41. Avis n°2015-3 du Conseil national du numérique relatif au projet de
loi pour une République numérique, 2015, p.15.
42. V. notam. M. Karamanli, Rapport d’information n° 3366 déposé par la
commission des aaires européennes, portant observations sur le projet de
loi pour une République numérique (n° 3318), AN, 16 déc. 2015, p.42.
43. Rapport n° 3399 fait au nom de la commission des lois sur le projet
de loi (n° 3318) pour une République numérique par L. Belot et déposé
le 15 janv. 2016, AN, p.277.
44. E. Bréhier, Avis n° 3389 présenté au nom de la commission des aaires
culturelles et de l’éducation sur le projet de loi pour une république nu-
mérique, AN, 13 janv. 2016, p.60.
45. L. Belot, préc., note 43, p.277.
46. Projet de loi pour une république numérique, adopté en 1re lecture par
l’AN le 26 janv. 2016, TA n° 663.
47. C. Mélot, Avis n° 525, 2015-2016, fait au nom de la commission de la
culture, de l’éducation et de la communication, Sénat, 5 avr. 2016, p.47.
48. Amendement n° COM-408 présenté en commission des lois par
C. Mélot au nom de la commission de la culture le 5 avr. 2016.
49. Texte n° 131, 2015-2016, Projet de loi pour une république numé-
rique modié par le Sénat le 3 mai 2016, art. 18 bis.
31
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
Doctrine
certaines garanties aux chercheurs. Mais si les éditeurs
saluent ce texte et promettent d’améliorer rapidement le
régime contractuel et les outils TDM qu’ils proposent50,
la réaction des utilisateurs est unanimement négative.
On retiendra notamment la prise de position du collectif
comprenant des entrepreneurs du numérique ainsi que
des représentants de centres de recherche qui se pro-
nonce contre la solution contractuelle51. Parmi les signa-
taires on relèvera de nombreux membres du CNNum
dont ses ancien et nouveau présidents, Benoît Thieulin
et Mounir Mahjoubi. Cette opposition sera relayée lors
des discussions de la Commission mixte paritaire qui
aboutira à un texte de compromis retenant le principe
d’une exception, mais d’une exception strictement cir-
conscrite au contexte de la recherche scientique.
B. Des exceptions de compromis
à la portée limitée dont la mise
enœuvre est en suspens et l’existence
en sursis
La loi numérique modie donc le Code de la propriété
intellectuelle en ajoutant une exception au droit d’au-
teur pour « l’exploration de textes » et une exception au
droit sui generis pour « la fouille de textes »52. L’excep-
tion au droit d’auteur autorise « Les copies ou repro-
ductions numériques réalisées à partir d’une source
licite, en vue de l’exploration de textes et de données
incluses ou associées aux écrits scientiques pour les
besoins de la recherche publique, à l’exclusion de toute
nalité commerciale »53. On le voit, l’exception française
est plus limitée que son équivalent britannique54, prin-
cipalement car elle ne s’applique qu’aux utilisations de
la recherche publique et qu’a certains types d’œuvres.
Elle s’applique aux « textes » et aux « données incluses ou
associées aux écrits scientiques ». Elle s’applique donc
bien à tous les textes, y compris aux textes non scien-
tiques. Sur ce point précis, on peut faire référence à la
clarication faite en commission mixte paritaire55 où un
amendement visant à circonscrire le bénéce aux seuls
textes scientiques avait été rejeté56. En revanche, elle ne
s’applique qu’aux textes et pas autres œuvres comme les
images, les œuvres musicales ou audiovisuelles. C’étaitle
souhait de nombreux parlementaires d’exclure le plus
grand nombre d’œuvres an de protéger de nombreuses
industries culturelles, dont l’audiovisuel et la presse57.
Le Code de la propriété intellectuelle précise ensuite
qu’« un décret xe les conditions dans lesquelles l’explo-
ration des textes et des données est mise en œuvre, ainsi
que les modalités de conservation et de communication
des chiers produits au terme des activités de recherche
pour lesquelles elles ont été produites »58. L’exception
TDM du droit sui generis est structurée de la même
manière59 et laisse aussi au décret le soin de xer nombre
de ses modalités d’application.
Or, ces décrets d’application n’ont toujours pas
été publiés par le gouvernement. Le gouvernement
avait pourtant soumis un projet de décret pour avis
au Conseil d’État en mai 201760. Toutefois, le Conseil
avait rejeté le décret61. L’avis du Conseil n’ayant pas été
publié, il est hasardeux de spéculer sur les raisons de ce
rejet. Mais on peut penser que le Conseil d’État, comme
toutes les institutions juridiques françaises avant lui,
préfère attendre la n du processus législatif européen
avant de se prononcer sur les dispositions déjà existantes.
L’exception française reste donc largement inapplicable
et inappliquée. Comme nous le verrons, il semble aussi
que l’exception qui se prépare au niveau européen
doive être plus ouverte que l’exception francaise dans
sa rédaction actuelle. La France doit donc sans doute se
préparer à une réforme des dispositions du Code de la
propriété intellectuelle pour se mettre en conformité
avec la future directive.
Il n’en reste pas moins que l’adoption par la France
d’une exception TDM signale un tournant dans le débat
européen. Elle marque la n de l’option contractuelle
et témoigne de la détermination des utilisateurs d’ob-
tenir cette exception et de combien la représentation
nationale a été réceptive à cette demande. Toutefois, la
France présente aussi une exception TDM beaucoup
plus étroite que celle du Royaume-Uni. À l’été 2016,
alors que la Commission européenne va publier sa pro-
position de directive, le Royaume-Uni et la France
ont tous deux introduit une exception TDM, l’un en
pensant qu’il était dans son bon droit, l’autre en sachant
qu’il ne l’était pas.
50. Communiqué - Fouille de textes et de données (FTD) / Text & data
mining : la position des éditeurs scientiques du Syndicat national de l’édi-
tion (SNE) et de la fédération nationale de la presse d’information spécia-
lisée (FNPS), 15 juin 2016, p.2.
51. Data mining : la loi ne doit pas enterrer la recherche française, Les
Échos, 25 avr. 2016.
52. Loi n° 2016-1321 du 7 oct. 2016 pour une république numérique,
art. 38.
53. CPI, art. L. 122-5, 10°.
54. L. Maurel, L’exception TDM dans la loi numérique, S.I.Lex, 11 n ov.
2016.
55. V. notam. la précision apportée par L. Belot en CMP, Rapport n° 743
de MM. Frassa Et Belot, fait au nom de la commission mixte paritaire, 30
juin 2016, p.16.
56. Idem, p.15.
57. Idem, p.16, Propos de M. Bréhier et de Mme Morin-Desailly.
58. CPI, art. L. 122-5, 10°.
59. CPI, art. L. 342-3, 5°.
60. Projet de décret sur l’exploration de textes et de données pour les
besoins de la recherche publique, Sciences communes, mai 2017.
61. P.-C. Langlais,L’exception TDM sans décret d’application…, Sciences
communes, mai 2017. M. Battisti et J. Schöpfel, Quel paysage juridique
pour l’exploration de données ?, Paralipomènes, 27 juill. 2017.
32 PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
IV. Positionnements au niveau
européen et dialogue
avec les États membres
La publication de la proposition de directive, aboutis-
sement d’un processus que la Commission européenne
a entamé en 2013 par une consultation publique sur la
réforme du droit d’auteur, marque une étape impor-
tante dans le débat. Elle semble devoir consacrer le prin-
cipe d’une exception dont les modalités sont mainte-
nant en discussion dans les institutions européennes (A).
Enparallèle, de nouveaux États membres adoptent leurs
propres exceptions TDM et d’autres connaissent d’im-
portants changements politiques, comme le Brexit, qui
peuvent eux aussi impacter les discussions sur l’excep-
tion TDM (B).
A. Exceptions TDM dans la proposition
de directive et débat institutionnel
La commission propose de consacrer, dans l’article3 de
la directive, une exception obligatoire « pour les repro-
ductions et extractions eectuées par des organismes de
recherche, en vue de procéder à une fouille de textes et
de données sur des œuvres ou autres objets protégés aux-
quels ils ont légitimement accès à des ns de recherche
scientique »62. Sur la reconnaissance d’une telle excep-
tion et la question de savoir si le droit européen autorise
déjà le TDM, la Commission reste diplomatique. Si elle
considère que certaines exceptions « pourraient s’appli-
quer », elle reconnait qu’elles « sont facultatives » et « pas
entièrement adaptées » au TDM63. On notera que l’ex-
ception est obligatoire, la Commission souhaitant éviter
les problèmes d’harmonisation liés au caractère facultatif
des exceptions de la directive de 2001.
L’exception ne bénécie qu’aux organismes de
recherche agissant dans l’intérêt général comme les uni-
versités ou instituts de recherche64. En revanche, elle
s’applique à tout type d’activités de recherche, y com-
pris la recherche commerciale, la proposition précisant
que « les organismes de recherche devraient également
bénécier de cette exception lorsqu’ils s’engagent dans
des partenariats public-privé »65. Ce faisant, la Commis-
sion retient l’applicabilité sans distinction, comme l’avait
souhaité le rapport de l’Expert Group présidé par le
professeur Hargreaves66. L’exception s’applique aussi à
tout type d’œuvres et objets protégés et il n’est pas pos-
sible d’y déroger par contrat67. Les intérêts des titulaires
de droit sont garantis par la condition d’accès légitime
aux œuvres qui doit garantir la pérennité du marché
des abonnements. Aussi, la proposition précise « qu’il
n’est pas nécessaire de prévoir une compensation pour
les titulaires de droits », car « vu la nature et la portée
de cette exception, le préjudice devrait être minime »68.
Les titulaires de droits sont autorisés à appliquer des
mesures proportionnées an d’assurer la sécurité et l’in-
tégrité des réseaux et bases de données69. Dernier point,
cette exception a vocation à s’appliquer à trois types de
droit70: deux déjà très familiers, le droit d’auteur et celui
des producteurs de bases de données, mais aussi un nou-
veau droit, le droit voisin des éditeurs de presse, que la
commission a inclus dans sa proposition de directive, à
l’article11, et qui fait l’objet de vifs débats.
La discussion sur cette proposition se poursuit main-
tenant dans les institutions européennes où le débat se
porte essentiellement sur son éventuelle extension à
d’autres bénéciaires. Ainsi, au Parlement européen, la
députée Comodini Cachia remet un projet de rapport
pour la Commission des aaires juridiques dans lequel
elle propose d’élargir le bénéce de l’exception, en
l’ouvrant à toute personne et non plus seulement aux
organismes de recherche et en l’ouvrant à l’ensemble
des utilisations plutôt qu’à celles aux seules ns de
recherche scientique71. On se rappellera que la députée
Julia Reda avait déjà appelé de ses vœux, dans son projet
de rapport remis début2015, une exception TDM très
large ouverte à tous, mais que ce souhait avait été for-
tement recalibré durant les discussions en commission
des aaires juridiques, la résolution nalement adoptée
par le Parlement ne prévoyant que l’étude de solutions
(dont les solutions contractuelles) les plus a même de
favoriser le TDM pour la seule recherche72. Il sera inté-
ressant de voir si le Parlement sera cette fois-ci plus
réceptif à une exception large. Au Conseil de l’Union
européenne, la présidence estonienne soumet, n sep-
tembre 2017, un projet de compromis sur le TDM73.
Ilcontient des amendements qui, bien que beaucoup
plus modestes que ceux discutés au Parlement, dénotent
tout de même une volonté d’élargir le bénéce de l’ex-
ception, en l’ouvrant aussi aux institutions de gestion
62. COM(2016) 593, préc., note 1, art. 3(1).
63. Idem, consid. 9.
64. Idem, consid. 11.
65. Idem, consid. 10.
66. Rapport Expert Group, préc., note 4, p.7.
67. COM(2016) 593, préc., note 1, art. 3(2).
68. Idem, consid. 13.
69. Idem, art. 3(3).
70. Idem, art. 3(1).
71. T. C. Cachia, Projet de rapport sur la proposition de directive sur le
droit d’auteur dans le marché unique numérique, Commission des aaires
juridiques du Parlement européen, 2017, p.29, amendement 32.
72. Comparer J. Reda, Projet de rapport sur la mise en œuvre de la di-
rective 2001/29/CE, Commission des aaires juridiques du Parlement
européen, 15 janv. 2015, § 18 et Résolution du Parlement européen du
9juill. 2015 sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE, § 48.
73. Présidence estonienne, Revised presidency compromise proposal re-
garding Articles 2 to 9 of the Directive on Copyright in the Digital Single
Market, Conseil de l’Union européenne, 2017.
33
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
Doctrine
du patrimoine culturel74. Ce débat doit se poursuivre au
niveau européen au moins jusqu’en 2018.
B.Actualisation de la position des États
membres
Depuis la publication de la proposition de directive, l’Ir-
lande, l’Estonie et l’Allemagne ont changé leur législa-
tion ou ont proposé de le faire prenant ainsi position
dans le débat (1). Pour la France (2) et le Royaume-
Uni (3), d’importants changements politiques pour-
raient avoir un impact sur leur positionnement respectif
sur la question du TDM.
1. Irlande, Estonie, Allemagne
En Irlande, le rapport de 2013 de la commission sur le
droit d’auteur préconisait la création d’une exception
TDM pour la recherche75. À l’été2016, le gouverne-
ment avait préparé un projet de loi réformant le droit
d’auteur en ce sens76, mais celui-ci ne fut pas soumis à la
discussion en raison du débat sur la directive.
En Estonie, une exception TDM est entrée en
vigueur en janvier 201777. C’est sans doute l’exception
la plus large au sein de l’Union. En eet, elle bénécie
à toute personne pour les utilisations non commerciales
à des ns scientique, éducative, d’information ou judi-
ciaire. Elle s’applique à tout type d’œuvre protégée et
ne peut entrainer de rémunération pour les ayants droit.
Elle ne requiert que la mention du nom de l’auteur, du
titre et de la source de l’œuvre.
Enn, la loi allemande sur le droit d’auteur a été
modiée en 2017 pour inclure une exception TDM78.
Cette exception ne s’applique que pour la recherche
scientique non commerciale. Elle ne peut bénécier
qu’« à un cercle limité de personnes impliquées dans un
projet de recherche scientique » ou « aux personnes
tierces chargées de vérier la qualité de la recherche »79.
Elle s’applique à tout type d’œuvres. La loi prévoit, par
ailleurs, qu’une fois le travail de recherche accompli, les
reproductions doivent être eacées. Toutefois, il est pos-
sible de transmettre le corpus et les reproductions à des
institutions agréées pour leur archivage80. L’exception
allemande est sans doute la plus conforme à celle du
projet de directive.
2. France: nouveau gouvernement, nouveau
positionnement ?
Comme nous l’avons vu, lors des débats parlementaires,
la position du gouvernement français était initialement
hostile à l’idée même d’une exception. Cette hos-
tilité avait été relayée au niveau européen. Ainsi, dans
sa réponse à la consultation publique de 2014, le gou-
vernement français s’interrogeait sur la nécessité d’une
exception au niveau européen et estimait qu’une telle
exception devait rester facultative, strictement limitée à
la recherche scientique à des ns non commerciales
et sur une base volontaire81. Contre l’avis du gouver-
nement, le parlement français a néanmoins adopté une
exception limitée pour la recherche. Ce même parle-
ment s’est déjà prononcé sur la proposition de directive
par le biais de ses commissions des aaires européennes.
Celles-ci se félicitaient du caractère limité de l’excep-
tion, mais souhaitaient qu’il soit garanti, voire renforcé,
de peur que le TDM ne devienne « une exception totale
du droit de reproduction »82. La commission du Sénat
proposait même « de restreindre cette exception aux seuls
textes et données à des ns de recherche et d’en exclure
les usages commerciaux »83 et invitait le gouvernement
à soutenir ces orientations84. Il sera intéressant de voir si
le changement d’exécutif ainsi que le bouleversement
de la composition du parlement à la suite des élections
présidentielles et législatives de l’été2017 vont inéchir
la position française non seulement dans les négocia-
tions européennes, mais aussi dans les futurs débats sur la
transposition en droit national de la directive. On notera
notamment la présence au gouvernement de Mounir
Mahjoubi qui avait été un fervent soutien de l’exception
TDM lorsqu’il était président du CNNum.
3. Brexit et l’hypothèse d’une américanisation du régime
des exceptions britanniques
L’inuence du Royaume-Uni a été déterminante sur
le sujet du TDM. La réexion menée par le professeur
Hargreaves ainsi que sa mise en œuvre par le gouver-
nement et le parlement britannique ont posé les jalons
du débat au sein des pays membres et au niveau euro-
péen. Le Royaume-Uni ambitionnait non seulement
de changer son droit national, mais aussi de changer
74. Presidency compromise proposal (consolidated version) and state of play on
the copyright directive, Council of the European Union, 2017, p.17, art. 3.
75. Irish Copyright Review Committee, Modernising Copyright, Ireland,
Department of Jobs, Enterprise and Innovation, 2013, p.85-88 et p.157.
76. General Scheme of a Copyright Bill approved by Government, De-
partment of Business, Entreprise and Innovation, 4 août 2016.
77. Estonian Copyright Act (consolidated text of January 1, 2017), WIPO
Lex, art. 19(3).
78. Act on Copyright and Related Rights (Urheberrechtsgesetz, UrhG)
as last amended by Article 1 of the Act of 1 September 2017 (Federal
Law Gazette I p. 3346), The Federal Ministry of Justice and Consumer
Protection [German Copyright Act], traduction par Ute Reusch, art. 60d.
79. Idem, art. 60d (1).
80. Idem, art. 60(3).
81. M. Karamanli, préc., note 42, p.42.
82. M. Karamanli et H. Gaymard, Rapport d’information déposé par la
commission des aaires européennes sur les propositions législatives rela-
tives à la protection du droit d’auteur dans le marché unique du numé-
rique n° 4136, AN, 2016, p.11.
83. C. Mélot et R. Yung, Projet d’avis politique sur le paquet «droit d’au-
teur» transmis au Parlement européen, Commission des aaires euro-
péennes du Sénat, 19 janv. 2017, §20.
84. Idem, §24.
34 PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
le cadre européen pour autoriser une exception plus
large encore, notamment en la rendant applicable aux
utilisations commerciales. La Commission semble avoir
entendu ce souhait. Toutefois, l’exception britannique
reste ouverte à un plus grand nombre de bénéciaires.
Mais, depuis le vote du Brexit, le Royaume-Uni n’a plus
accès aux leviers institutionnels européens pour inuen-
cer les discussions sur le projet de directive. Par ailleurs,
les discussions entre le gouvernement et les institutions
européennes se focalisent sur des questions plus urgentes
que celles sur du droit d’auteur. Néanmoins, il est pro-
bable que le Royaume-Uni conserve une inuence sur
la question du TDM. Paradoxalement, plus le Royaume-
Uni s’éloignera de l’UE plus sa capacité à inuencer le
droit des exceptions de l’UE sera grande. En eet, si le
Royaume-Uni devait quitter l’UE, mais rester dans le
marché unique il serait à terme obligé de mettre son
droit en conformité avec les dispositions de la future
directive. Si en revanche il devait aussi quitter le marché
unique, il retrouverait une très grande autonomie dans
l’élaboration de son droit d’auteur. Il pourrait, comme
le Japon, étendre son exception TDM aux activités de
recherche commerciales. Il pourrait aussi décider de
faire disparaitre la condition de non-commercialité de
l’ensemble de ses exceptions pour la recherche, retour-
nant ainsi à la situation d’avant la transposition de la
directive de 2001. Enn, comme le souligne la doc-
trine, dans l’hypothèse d’un hard Brexit, la Grande-Bre-
tagne pourrait adopter un système de fair use à l’améri-
caine85. Il convient donc aux institutions européennes
de prendre en compte l’hypothèse d’un Royaume-Uni
sorti de l’UE et muni d’une exception TDM renforcée,
ouverte à un grand nombre de bénéciaires, proche de
la conception américaine et créant donc un avant-poste
du fair use en Europe.
V. Pour une exception TDM
la plus large possible
La proposition de directive ore déjà des avancées
considérables sur la question du TDM. Elle reconnait
le principe d’une exception, l’ouvre à toutes les activi-
tés de recherche, y compris commerciale, et l’applique
à toutes les œuvres. Ce faisant, la proposition aranchit
déjà l’exception européenne de restrictions imposées
dans certains états membres. Mais l’UE devrait étendre
le bénéce de l’exception au-delà des seules activités
de recherche pour l’ouvrir à tout type d’utilisation ou,
à tout le moins, en étendre le bénéce bien au-delà des
seuls organismes de recherche.
Si l’on doit entendre les inquiétudes des ayants droit,
elles peuvent être relativisées et contrastées avec les pro-
messes des discussions en cours. Le droit européen garan-
tit déjà les intérêts des titulaires de droit, particulièrement
dans le contexte numérique. EnEurope, les ayants droit
peuvent combattre la reproduction et surtout la diu-
sion des leurs œuvres notamment par la mise en œuvres
de poursuites civiles ou pénales, la mise en cause de la
responsabilité des plateformes de contenus, le blocage
des sites de streaming, ou bien, dans certains pays, les dis-
positifs de réponse graduée. Dans la poursuite de l’ob-
jectif légitime d’une protection accrue des titulaires,
l’UE n’a pas hésité à innover notamment en créant le
droit sui generis des bases de données ou en garantissant
la protection des DRMs. Elle propose de le faire à nou-
veau, avec cette directive, en reconnaissant un droit voi-
sin des éditeurs de presse (article11) ou en renforçant
les prérogatives des titulaires vis-à-vis des plateformes de
contenus (article13 sur le transfert de valeur ou value gap
en anglais). Ces deux propositions remettent en cause
certains des équilibres entre les diérents acteurs du
monde du numérique et de la culture. Par contraste, une
exception TDM, même la plus large possible, ne remet
en cause ni l’architecture du système du droit d’auteur
ni l’arsenal juridique à la disposition des ayants droit.
En exigeant l’accès légitime à l’œuvre, elle garantit la
rémunération des titulaires. En ne visant que le droit de
reproduction, elle laisse intact le droit de communica-
tion au public et donc, la possibilité de poursuivre ceux
qui diusent les œuvres sans autorisation. Par exemple,
les éditeurs pourront toujours, comme ils l’ont déjà fait
aux États-Unis, poursuivre Sci-Hub, la plateforme de
piratage des articles de revues scientiques86.
En optant, pour une exception TDM aussi large que
possible, l’UE donnera aux chercheurs et aux acteurs
économiques européens les moyens de concurrencer
les États-Unis dans ce secteur prometteur. On l’a vu,
particulièrement dans l’avènement de l’exception fran-
çaise, cette demande est très forte et dicile à ignorer
par les législateurs. De nombreux commentateurs et
groupes de pression demandent une large exception au
niveau européen87. L’UE, si elle peut tenir compte des
arbitrages déjà eectués par certains pays, peut aussi s’en
aranchir et choisir d’aller plus loin que ces législateurs
nationaux. Il n’y a pas à proprement parler de tradition
85. R. Arnold, L. A. F. Bently, E. Derclaye et G. B. Dinwoodie, IP Law
Post-Brexit, 2017, 101-2 Judicature 65, 69.
86. D. Desbordes,Le procès des pirates condamne Sci-hub : 15 millions
de dollars, Sciences & Avenir, 30 juin 2017.
87. V.notam.T. Margoni et G. Dore, Why we need a Text and Data Mining
Exception (But it is Not Enough) (2016) Zenodo; C. Geib, From infrin-
gement to exception: why the rules on data mining in Europe need to
change, CREATe Working Paper 2016/07; E. Rosati, An EU text and data
mining exception: will it deliver what the Digital Single Market Strategy
promised?, IPKAT, 22 mai 2017; C.Geiger, G. Frosio et O. Bulayenko,
Opinion of the CEIPI on the European Commission’s proposal to reform
copyright limitations and exceptions in the European Union, Centre for
International Intellectual Property Studi es Research Paper No. 2017-
09; European Alliance for Research Excellence, Open letter: Securing
Europe’s leadership in the data economy by revising the Text and Data
Mining (TDM) exception, 26 sept. 2017.
35
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, AVRIL 2018 / N°67
Doctrine
de l’exception TDM dans aucun des États membres.
Ceci est d’autant plus vrai que l’analyse juridique par
laquelle les États se sont arrogé le droit de créer une
nouvelle exception est discutable. Il y a tout au plus des
exceptions TDM que certains États ont tenté de faire
rentrer dans un cadre européen alors trop étroit. L’UE
peut s’aranchir de ces contraintes en redénissant son
propre cadre de référence pour son exception TDM.
Enn, en consacrant une exception large, capable
de rivaliser avec les réalités du fair use américain, l’UE
légitimerait la méthode européenne de fabrique des
exceptions. En eet, elle démontrerait alors la réactivité
de son approche législative, plutôt que jurisprudentielle,
dans la création de nouvelles exceptions. Pour toutes
ces raisons, l’Union européenne doit donc saisir cette
chance de mettre à jour son droit d’auteur en adoptant
une exception TDM ouverte au plus grand nombre de
bénéciaires et d’utilisations.