À partir du point d’observation privilégié que constituent les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) de Fontenelle, Isabelle Mullet propose une étude d’une ambition intellectuelle remarquable. D’une part, parce qu’elle renouvelle profondément les études fontenelliennes, en proposant une unification de l’œuvre trop longtemps diffractée entre l’œuvre sérieuse, savante, et l’œuvre
... [Show full abstract] littéraire, galante. D’autre part, parce qu’elle définit et situe le ‘perspectivisme’ de Fontenelle dans l’histoire longue de ‘la construction mutuelle et perspective d’un sujet, d’un objet et d’un discours’ (p. 204), entre la fascination baroque pour la dissimulation et le goût des Lumières pour la transparence supposée de la nature à elle-même. Fidèle à son objet, l’ouvrage ressaisit Fontenelle en perspective et observe ‘comment il s’inscrit dans l’histoire de la reconfiguration du visible qui découle du décentrement copernicien, des découvertes galiléennes et de la théorie cartésienne de la connaissance’ (p. 18). Mullet analyse les Entretiens comme synthèse philosophique du nouveau discours cosmologique et scientifique au moment où il devient dominant. L’ouvrage s’articule autour de la notion centrale de ‘perspectivisme’ comme vision en mouvement. C’est même ‘un paradigme général d’intelligibilité au xviie siècle’ (p. 198), selon Mullet: ‘non seulement le rapport au réel est globalement placé sous le signe de la vision, mais la géométrie, la notion et le lexique du point de vue et de l’espace s’appliquent encore métaphoriquement à la situation de l’homme dans le monde, aussi bien sur le plan ontologique et phénoménologique, que sur celui du sujet politique et moral’ (p. 198). Spectateur du theatrum mundi, l’homme doit apprendre à saisir, par l’intellect et par les sens, un monde en mouvement. Or, à la fin du dix-septième siècle, le rapport à la réalité laisse encore une large place à un invisible d’ordre métaphysique. Dans ce contexte, la stratégie de Fontenelle consiste à créer un lieu de pensée pour la réalité invisible qu’est l’univers infini, tout en empêchant sa récupération par un contenu métaphysique. Il construit alors non pas une vision figée du monde mais une pensée en mouvement, une philosophie pratique du point de vue dont le but est l’exercice d’une libre-pensée créative.