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L'ethnométhodologie et l'École de Montréal

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Ce texte présente l’ethnométhodologie, approche développée par le socio-logue américain Harold Garfinkel au courant des années 60, telle qu’elle a été reprise par un courant de la communication organisationnelle appelé École de Montréal. Celle-ci a été initiée par James R. Taylor à l’Université de Montréal et compte parmi ses figures de proue un groupe de cher-cheurs du département de communication de cette université (F. Cooren, D. Robichaud, B. Brummans, C. Benoit-Barné...) ou liés à celui-ci (N. Bencherki, E. Van Every, C. Vasquez...). L’originalité de la reprise de l’ethnométhodologie par l’École de Montréal réside dans l’incorporation de nombreuses idées empruntées à la théorie de l’acteur-réseau, laquelle permet de reconnaître la contribution du monde matériel dans l’action et son rôle dans la stabilisation du social.
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Chapitre 5
L’ethnométhodologie
et l’École de Montréal
Nicolas Bencherki
Professeur adjoint
Département de communication
University at Albany – State University of New York
Résumé
Ce texte présente l’ethnométhodologie, approche développée par le socio-
logue américain Harold Garfinkel au courant des années 60, telle qu’elle a
été reprise par un courant de la communication organisationnelle appelé
École de Montréal. Celle-ci a été initiée par James R. Taylor à l’Université
de Montréal et compte parmi ses figures de proue un groupe de cher-
cheurs du département de communication de cette université (F. Cooren,
D. Robichaud, B. Brummans, C. Benoit-Barné…) ou liés à celui-ci (N.
Bencherki, E. Van Every, C. Vasquez…). L’originalité de la reprise de
l’ethnométhodologie par l’École de Montréal réside dans l’incorporation
de nombreuses idées empruntées à la théorie de l’acteur-réseau, laquelle
permet de reconnaître la contribution du monde matériel dans l’action et
son rôle dans la stabilisation du social.
La recherche sur la communication au sein des organisations ne s’est
que rarement intéressée, paradoxalement, à la communication en tant que
telle. Comme l’explique François Cooren (sous presse), les méthodes de
recherche habituellement employées pour enquêter sur la communication
dans les organisations – le questionnaire ou l’entrevue – se fondent sur les
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Bencherki, Nicolas (2014). L’ethnométhodologie et l’École
de Montréal [Ethomethodology and the Montreal School]. In
Hélène Bourdeloie et David Douyère (Eds.), Méthodes de
recherche sur l'information et la communication
[Information and communication research methods] (pp.
141-166). Paris: Éditions Mare & Martin.
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descriptions que les répondants font de leurs pratiques de communication.
De plus, nombre de ces enquêtes, dans le contexte américain en particulier
– plutôt que de considérer la communication comme le phénomène à
étudier –, la conçoivent comme une variable en vue de la compréhension
de problématiques différentes, comme par exemple la performance de
l’organisation ou la réalisation d’un projet particulier. Ruth Smith (1993)
a montré que le rapport entre communication et organisation peut être
compris à travers différentes lentilles : la communication peut avoir lieu
dans l’organisation ; elle peut être la communication de l’organisation ou
encore la communication peut être vue comme coextensive à l’organisa-
tion. Dans ce dernier cas si l’organisation repose sur des phénomènes
communicationnels plutôt que d’en être le contenant ou le contenu
on comprendra alors que l’inadéquation des méthodes à l’étude de la
communication en tant que telle pose problème. L’École de Montréal,
telle qu’initiée par James R. Taylor et ses collègues (en particulier Taylor
et al., 1996), propose une approche fondée sur l’analyse des interactions,
empruntée et adaptée de l’ethnométhodologie, pour rendre compte de la
manière dont la communication participe à la constitution et à la stabili-
sation des organisations. L’approche montréalaise se distingue cependant
de l’ethnométhodologie classique en s’inspirant également des travaux de
Bruno Latour et de la théorie de l’acteur-réseau (Callon, 1986 ; Latour,
1991, 1994), étendant l’analyse des interactions pour tenir compte des
documents, fichiers informatiques, brochures et autres aspects matériels
qui sédimentent et stabilisent la conversation.
L’adéquation entre communication
et organisation
L’École de Montréal est associée au mouvement de la « constitution
communicationnelle de l’organisation » ou communicative constitution
of organization (cco ; voir aussi McPhee, Zaug, 2000 ; Putnam, Nico-
tera, 2009). Celle-ci s’intéresse à la manière dont l’organisation peut être
produite ou performée à travers des pratiques communicationnelles.
Les premiers textes de l’École de Montréal (Taylor et al., 1996 ; Cooren,
Taylor, 1997 ; Cooren, 2000 ; Taylor, Van Every, 2000) proposent que
cette constitution se fasse par une sédimentation et une stabilisation. La
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conversation devient texte, terme qui est utilisé assez largement pour
désigner les différentes cristallisations qui font perdurer la conversation
et lui donnent une réalité. La notion de texte évoque aussi le désengage-
ment de la conversation de son contexte de production, qui lui permet
une autonomie et assure ainsi sa capacité d’agir ailleurs ou à un autre
moment (Cooren, 2004).
Cette notion de texte renvoie à la théorie de l’acteur-réseau (Latour,
1994) selon laquelle la matérialité permet la stabilisation du social. Ainsi,
par exemple, une affiche indiquant les règlements de mon club de sport
n’est pas uniquement la représentation de ces règlements (qui existeraient
par ailleurs autrement) : c’est bien grâce à cette affiche mais aussi, peut-on
supposer, grâce à une page du site web ou au feuillet remis lors de l’ins-
cription, que ce règlement peut perdurer d’une manière plus ou moins
stable, sans devoir être continuellement renégocié dans la conversation
(Bencherki, 2011).
L’organisation correspond à ce tissu de textes et de conversations, liés
ensemble dans des métaconversations (Robichaud et al., 2004). Ce tissu
n’est ni tout à fait préexistant à la conversation, ni tout à fait une simple
« fiction » de la conversation. L’organisation ne préexiste pas à la conver-
sation d’une manière absolue. Cependant, des documents, des affiches,
des logos, des sites web, etc., qui sont autant de stabilisations de l’orga-
nisation, peuvent préexister à la conversation et la contraindre en partie.
D’autre part, l’organisation peut être encore racontée, négociée, décriée…
pour la changer, la faire évoluer ou la remettre en cause.
Le caractère performatif du langage
Le langage n’est pas uniquement là pour décrire une organisation qui
existerait antérieurement, ni pour inventer une organisation qui ne serait
que fictive. « Les faits sont faits », c’est-à-dire que ce n’est pas parce que
l’organisation est fabriquée dans le langage qu’elle ne peut pas être à son
tour contraignante et bien réelle. La vérité de l’organisation est pragma-
tique : elle est l’association d’affiches, de documents et de conversations
bref, elle correspond à un monde « pluriel » et hétérogène (Latour,
Ewald, 2005)qui fait quelque chose.
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Si le langage n’est pas qu’une description de ce monde, on comprend
alors l’insuffisance d’une approche méthodologique fondée, par exemple,
sur l’entretien. Le langage est aussi un des moyens privilégiés par lequel
les relations entre des entités hétérogènes sont performées, constituant
ainsi l’organisation. Que les mots fassent des choses n’est pas, à propre-
ment parler, une idée nouvelle – que l’on pense à Austin (1962) ou Searle
(1969) –, mais l’École de Montréal propose deux idées particulièrement
novatrices à ce chapitre. Premièrement, si selon la théorie de l’acteur-
réseau, les humains ne sont pas les seuls à agir (notamment pour offrir
une stabilité au social), alors il faut aussi admettre que les choses font des
choses avec les mots (Cooren, Bencherki, 2011). Cela a particulièrement
été exploré avec l’idée d’« agentivité » textuelle (Cooren, 2004 ; Brum-
mans, 2007), c’est-à-dire l’étude de la manière dont les textes (au sens
conventionnel) peuvent faire des choses, par exemple indiquer, guider,
suggérer, impliquer, permettre, demander, etc. Le texte dépasse l’inten-
tion ou la volonté de l’auteur, idée que l’École de Montréal développe, du
reste, à partir de Jacques Derrida (1990). Toutefois, cette « agentivité » ne
se limite pas aux seuls textes : différents objets peuvent également agir.
Cooren et Matte (2010) montrent par exemple comment un simple bâton
gradué « décide » quels enfants, selon leur taille, recevront l’aide d’un
centre de nutrition de Médecins sans frontières (msf). Bien évidemment,
on pourrait répondre que le bâton ne fait rien : c’est l’humain qui décide,
en se servant du bâton. Toutefois, cela dépend de la conception de l’action
que l’on adopte. Pour l’École de Montréal – c’est sa deuxième contribu-
tion –, l’action n’a pas d’auteur a priori. L’auteur de chaque action est
choisi dans le débat et dans la conversation (Castor, Cooren, 2006). Penser
que ce sont plutôt les médecins de msf qui décident, c’est imposer, lors de
l’analyse, une division entre sujet actif et objet passif. Or, dans l’observa-
tion, il apparaît bien que le bâton est présenté par les participants comme
actif, ce qui permet peut-être, justement, aux médecins de se dégager de
la responsabilité d’agir et donc de décider qui recevra les soins.
L’ethnométhodologie
Quelle méthode d’enquête utiliser lorsque l’on a une telle conception
du rapport entre communication et organisation et une telle conception
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de la performativité du langage ? La réponse vient de l’ethnométhodo-
logie1 qui, en dépit de ce que son nom laisse à penser, n’est pas une
méthodologie. En réalité, le nom de l’ethnométhodologie vient du fait
qu’elle s’intéresse aux méthodes, c’est-à-dire aux pratiques mises en œuvre
par les participants. Ces pratiques sont intéressantes car c’est là, propose la
théorie, que les acteurs déploient le monde social. Pour Harold Garfinkel
(1967), ces pratiques permettent de constituer des attentes et des normes
plus fortes que celles qui pourraient être écrites.
L’ethnométhodologie repose sur un certain nombre d’idées, dont la
documentary method : que ce soit « vrai » ou non, Garfinkel explique que
chacun s’attend – et il s’agit, pour lui, d’une attente morale (Garfinkel,
1967 : 35) – à ce que l’action de l’autre soit un cas d’un type reconnaissable
de comportement, ce qu’il appelle un « document ». Ainsi, si quelqu’un
me dit « Bonjour », je considérerai cela comme « une salutation », ce indé-
pendamment de ce que la personne a bien pu vouloir dire. Cela signifie
que si je ne reconnais pas l’action, je la considérerai comme une violation
(breaching). Ces violations sont importantes car elles permettent de rendre
de nouveau problématique « les propriétés d’arrière-plan des scènes quoti-
diennes en tant qu’elles sont attendues, standardisées et standardisantes,
“vues sans qu’on y prête attention” »2 (Garfinkel, 1967 : 36). C’est d’ailleurs
sur cette base que la théorie de l’acteur-réseau recommande également
d’étudier les controverses, qui permettent de redéployer ce qui, autrement,
serait plié (Callon et al., 2001). D’ailleurs, ce qui est le plus souvent retenu
de H. Garfinkel (1967), ce sont les expérimentations de rupture3 qu’il
décrit. Ainsi avait-il demandé à ses étudiants de trouver des situations où
ils pouvaient se comporter d’une manière non conforme au comportement
généralement admis. Par exemple4 :
1. Pour une lecture française, voir Quéré (1990) et Quettier et al. (2010). Pour
la place de l’ethnométhodologie en étude des organisations, voir Amiel (2010),
Castor (2005) et spécifiquement Llewellyn et Hindmarsh (2010). Enfin il faut
bien évidemment se reporter à Harold Garfinkel (1967; 1996) et Heritage (1984).
2. La traduction est celle de Louis Quéré (Garfinkel, 2007). En anglais dans l’ori-
ginal : « socially standardized and standardizing, “seen but unnoticed”, expected,
background features of everyday scenes ».
3. Il s’agit des « breaching experiments », de Garfinkel (1967).
4. Encore une fois, la traduction est celle de Louis Quéré, dans Garfinkel (2007 :
108). En anglais : « The victim waved his hand cheerily. / (S) How are you? / (E)
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«La victime lui serre la main chaleureusement :
(S) Comment vas-tu ?
(E) Comment je vais, de quel point de vue ? Ma santé ? Mes affaires ?
Mon travail à la fac ? Ma tranquillité d’esprit ?
(S) (soudain rouge et perdant tout contrôle) Dis donc ! J’essayais
juste d’être poli ! Franchement je me fiche pas mal de la manière
dont tu te portes !» (Garfinkel, 1967: 44)
La forte réaction de la victime (S) au fait que l’étudiant (E) fasse mine
de ne pas comprendre ce qu’elle veut dire par son « Comment vas-tu ? »
du premier tour de parole montre, selon Harold Garfinkel, que l’attente
d’une certaine réponse (par exemple « Bien, merci ! ») possède, effecti-
vement, une dimension morale. Lorsqu’il existe une infraction – ou du
moins une incompréhension – une demande de réparation est formu-
lée. On demande à la personne d’expliquer son comportement, donc
d’expliciter à quel échange-type (ou document, dans la terminologie de
Garfinkel) reconnaissable il correspond. Cela fait dire à Garfinkel que le
comportement est constitué de telle sorte à être accountable, mot anglais
qui désigne à la fois l’idée de « racontabilité » (la capacité à être raconté)
et de responsabilité (Louis Quéré traduit accountable par « descriptible »,
dans Garfinkel, 2007). Autrement dit, l’action doit être conduite de telle
sorte à ce qu’elle puisse être décrite – et la fourniture d’une telle descrip-
tion, sur demande, constitue une responsabilité morale pour l’auteur de
l’action. Cette accountability est une possibilité (ce que désigne le suffixe
able, qui désigne la capacité), puisque le comportement est en fait rare-
ment expliqué, mais toujours structuré de telle sorte à être reconnaissable
ou, à défaut, explicable. Cette caractéristique de l’action, dite accountable,
est essentielle puisqu’elle garantit la conformité du comportement à la
norme. En même temps, elle rappelle que cette conformité ne vient pas
d’une règle transcendante, mais bien de pratiques interactionnelles : c’est
le fait (ou du moins la possibilité) de devoir expliquer le comportement
qui rend celui-ci conforme à une norme quelconque. Ainsi la règle est-
How am I in regard to what? My health, my finances, my school work, my peace
of mind, my…? / (S) (Red in the face and suddenly out of control.). Look! I was
just trying to be polite. Frankly, I don’t give a damn how you are ».
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elle d’abord et avant tout une justification possible du comportement,
plutôt qu’une transcendance à laquelle le comportement serait « magique-
ment » conforme5. Le fait que les participants construisent leurs actions
de manière à ce qu’elles soient reconnaissables leur confère un caractère
public, lequel permet aux autres participants de reconnaître l’action, mais
qui permet la même chose au chercheur, qui partage la compétence des
participants (d’où l’importance accordée par l’ethnométhodologie aux
observations de longue durée).
Nous pouvons donc maintenant comprendre en quoi l’ethnomé-
thodologie s’accorde avec l’École de Montréal : comme cette dernière,
l’ethnométhodologie considère le social ou l’organisation, non pas comme
un « contenant » dans lequel les comportements auraient lieu, mais plutôt
comme quelque chose qui est performé dans l’interaction et la commu-
nication.
L’analyse de conversation
C’est que nous en arrivons à la méthode privilégiée de l’École de
Montréal : l’analyse de conversation. Cette approche méthodologique
est née de l’ethnométhodologie et a été particulièrement développée par
Harvey Sacks (Sacks et al., 1974 ; Schegloff et al., 1977 ; Sacks, Jefferson,
1992). Aujourd’hui, Anita Pomerantz (Pomerantz, Fehr, 1997) et Bob
Sanders (2005) sont particulièrement représentatifs de cette approche de
recherche.
L’analyse de conversation traduit l’ethnométhodologie en termes de
tours de parole. À un tour de parole donné, correspond un prochain
tour de parole (next pair part), qui est attendu et dont l’absence peut
être comprise soit comme infraction, soit comme incompréhension de la
part de l’interlocuteur. D’où une attention particulière aux mécanismes
de réparations, qui deviennent non seulement justifications de compor-
tements mais aussi corrections d’incompréhensions. Ces opérations ont
particulièrement lieu au troisième tour, qui peut correspondre à une
réparation ou à une confirmation de la bonne compréhension (third turn
5. Sur la magie, se reporter à Butler (1999).
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repair ou acknowledgement). Prenons ces deux exemples, inventés en
nous inspirant du précédent :
Exemple 1
(A) Comment vas-tu ?
(B) Mon rapport avance bien. Tu devrais l’avoir cet après-midi.
(A) Ah, non, je parlais de ta santé. Tu te sens mieux aujourd’hui ?
Exemple 2
(A) Comment vas-tu ?
(B) Mon rhume va mieux, merci !
(A) Parfait, je suis content que tu ailles mieux !
L’exemple 1 montre comment le troisième tour peut servir de répa-
ration dans le cas d’une incompréhension. Ce n’est donc qu’à ce tour de
parole – ne serait-ce que par absence de réparation qui indiquerait une
bonne compréhension au deuxième que l’on peut comprendre ce que
(A) a voulu dire au premier. Dans l’exemple 2, A énonce ce qui s’ap-
parente à une confirmation Parfait »), toutefois une simple poursuite
de la conversation pourrait aussi montrer une bonne compréhension au
deuxième tour. Par exemple si (A) avait posé une autre question sur l’état
de santé de (B), cela aurait impliqué qu’en effet la réponse de (B) était
conforme aux attentes de (A).
L’analyse de conversation reconnaît ainsi un parallèle entre l’organisa-
tion du monde social et l’organisation des interactions elles-mêmes (c’est
notamment l’argument de Cooren, 2000). C’est particulièrement à travers
la répartition des tours de parole, c’est-à-dire des interventions des inter-
locuteurs dans la conversion, mais aussi à travers les chevauchements, les
reprises, les interruptions, que se construisent et se négocient les règles
et autres éléments qui composent la réalité sociale. La conformité à une
norme donnée ou la performance d’une identité, par exemple, sont non
seulement assurées par des mécanismes sociaux complexes, mais surtout
dans l’interaction elle-même (Goodwin, Heritage, 1990). Ce mécanisme
de contrôle est d’autant plus redoutable qu’il implique que nous sommes
constamment évalués et sanctionnés : l’évaluation et la sanction ne sont
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pas des pratiques occasionnelles et exceptionnelles, mais elles participent
au cœur même de ce qui fait l’interaction.
École de Montréal et analyse de conversation
L’École de Montréal ne met toutefois pas en œuvre une analyse de
conversation « orthodoxe », propre à celle de Anita Pomerantz et Barbara
J. Fehr (1997) par exemple. Si l’analyse de conversation permet de rendre
compte de la production du social dans l’interaction, elle ne permet toute-
fois pas d’en expliquer la stabilisation. Elle ne peut pas non plus, de manière
liée, expliquer le passage d’une situation locale à ce que l’on pourrait appe-
ler le « macro », passage que François Cooren et Gail T. Fairhurst (2009)
appellent, en anglais, scaling up, c’est-à-dire le changement d’échelle.
Prenons l’exemple d’Agnès, présenté par Garfinkel (1967 : 116-185). Pour
l’auteur, Agnès, une jeune transsexuelle suivie à l’hôpital où il travaillait,
performe le caractère « naturel » de sa féminité. L’analyse de conversation
ne peut toutefois pas dire : (1) si Agnès devra continuellement recom-
mencer ce travail ou si sa féminité sera plus ou moins stabilisée, à tout le
moins sur certains de ses aspects ; (2) comment, de la performance d’Agnès
tout comme de celle de chaque femme individuellement peut naître
« la féminité », que reconnaît pourtant Garfinkel chez Agnès.
En effet, les chercheurs de l’École de Montréal ne se contentent pas
uniquement de l’analyse de la conversation mais complètent celle-ci par
l’analyse de la manière dont les artefacts et diverses figures sont mobilisés
par les participants. Les artefacts matériels permettent la stabilisation des
pratiques. La mobilisation de ces artefacts consiste donc à faire intervenir,
dans le hic et nunc de la conversation, ce qui a été dit ou fait ailleurs et
à un autre moment. Les participants ne font pas intervenir « la société »
mais bien les nombreux objets et documents qui, ensemble, constituent la
stabilisation du collectif et établissent le texte, au sens large, de l’organisa-
tion. C’est pour pouvoir observer le caractère matériel de toute interaction
que l’École de Montréal privilégie l’enregistrement vidéo des interactions
alors que l’analyse de conversation se fonde, traditionnellement, sur des
enregistrements audio, ne prenant donc pas acte des objets au prin-
cipe des échanges. Certaines objections sont couramment mentionnées
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concernant l’usage de la vidéo : la caméra n’offre qu’une vue partielle et le
choix d’un objet à enregistrer relève d’une conception préalable du terrain
(Heath, Hindmarsh, 2002). De plus, la présence même de la caméra peut
incommoder les participants ou modifier leur comportement (Meunier,
Vasquez, 2008). Néanmoins, l’enregistrement vidéo permet d’analy-
ser collectivement les données : c’est ainsi que s’est installée, au sein du
Groupe « Langage, organisation et gouvernance » (Log) du Département
de communication de l’Université de Montréal la tradition des « séances
d’analyse de données », au cours desquelles chaque chercheur et étudiant
est invité à montrer un extrait pour bénéficier d’autant d’interprétations
possibles qu’il y a de personnes autour de la table.
Si l’enregistrement vidéo permet de voir comment les objets sont mani-
pulés et la manière dont ils interviennent dans la conversation, c’est aussi,
en un sens, le « social » qui est en train d’intervenir, puisque celui-ci est
le réseau de l’ensemble des différents foyers de stabilisation des pratiques.
Ainsi, dans la figure1, nous voyons un ingénieur en ventilation pointer
à un endroit à l’intérieur du faux plafond et annoncer « je me suis trompé,
cette salle est alimentée par là ». La résolution du débat sur l’alimentation
de la salle se fait donc grâce à l’interaction des participants humains avec
le monde matériel. La distinction entre le langage et ce qui serait à l’ex-
térieur de celui-ci est nuancée par les chercheurs de l’École de Montréal,
qui s’intéressent à la manière dont les objets – par exemple un conduit
de ventilation – peuvent, d’un point de vue pragmatique, participer à
une interaction (Bencherki, 2013 ; Cooren, Bencherki, 2011). C’est bien
le conduit et sa disposition physique qui « informe » l’ingénieur de la
manière dont la salle est alimentée. Reconnaître cela permet de dissiper,
partiellement du moins, le mystère entourant le passage du micro au macro
et vice versa : ici, le contexte où les participants discutent (un immeuble,
l’industrie de la ventilation, des pratiques instituées dans ce domaine, etc.)
n’intervient pas « magiquement », comme nous l’avons évoqué plus haut,
mais aussi parce que les conduits sont placés d’une certaine manière ou
parce qu’ils tournent à un endroit particulier. En accord avec l’ethnomé-
thodologie, l’École de Montréal affirme que le social existe en tant qu’il est
rendu présent ou présentifié (Cooren et al., 2008 ; Benoit-Barné, Cooren,
2009). Toutefois, l’action du social « lui-même » est rendue possible en
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reconnaissant que les normes, règles, coutumes et autres conventions sont
inscrites dans la matérialité, qui agit sur les personnes en situation d’in-
teraction. C’est pour cette raison que Cooren (2010 ; 2010) utilise l’idée
de ventriloquie pour parler de ce rapport double l’humain peut faire
parler les documents et textes – mais aussi les principes, normes, règles
et figures qui y sont inscrits – tout en étant lui-même mis en mouvement
par ces différents éléments alors même qu’il leur donne une voix.
Pour analyser l’action des collectifs, l’École de Montréal a complété
l’analyse de conversation en s’appuyant sur l’analyse narrative d’Algirdas
Julien Greimas (1970, 1983 ; Greimas, Fontanille, 1991). La théorie du
sémioticien est toutefois reprise non pas simplement comme une théorie
de l’analyse de textes narratifs, mais comme une théorie de l’action. A. J.
Greimas propose de comprendre l’action comme une série de conjonctions
et de disjonctions, lesquelles transforment les sujets et font progresser le
narratif dans une dynamique de circulation d’objets de valeur (Cooren,
2000 ; Taylor, Cooren, 2006). Le schéma actantiel d’A. J. Greimas permet
de ne pas limiter l’action à un seul acteur, ouvrant la possibilité d’un
partage de l’action. L’approche de Greimas permet également de parler
dans les mêmes termes de l’action des humains et de celle des autres
« actants », ce qui, du reste, explique la reprise de ce dernier terme par B.
Latour (1994). L’action du collectif est décrite par les chercheurs de l’École
de Montréal comme l’imbrication de « programmes d’action » les uns
dans les autres, chacun justifiant ou permettant le suivant, tout en étant
la concrétisation du précédent. Ainsi, le roi qui mandate le chevalier pour
tuer le dragon peut tout autant dire qu’il a tué le dragon que le chevalier
– et l’on pourrait ajouter l’épée magique ou encore le peuple au nom
duquel le roi gouverne, à la liste de ceux qui peuvent se partager le mérite.
Un exemple : le cas dune association de locataires
Pour illustrer la théorie de l’École de Montréal, mais aussi celle de
l’ethnométhodologie, je voudrais proposer un extrait d’enregistrement
que j’ai réalisé pendant une réunion d’une association de locataires dans
un quartier défavorisé de Montréal. J’ai commencé à travailler au sein de
cette association en 2000 et j’en ai fait, plus tard, mon terrain de thèse.
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L’association ne bénéficie pas d’un important financement, si bien qu’elle
ne compte que trois employés permanents. La réunion du conseil d’ad-
ministration présentée porte justement sur la diversification des sources
de financement. La conversation, entre Charles, Nathan, Jasmine, Luc,
Diane, Pierre et Ernest, se déroule au Québec, ce qui peut expliquer les
termes ou constructions de phrase qu’un public français pourrait trou-
ver exotiques. Ici, Charles, qui est le directeur de l’association, présente
un nouveau programme de financement concernant le logement mais
qui, paradoxalement, exclut explicitement les associations de locataires
et la plupart des associations existantes dans le domaine du logement. La
notation de transcription est en partie inspirée de celle développée par
Gail Jefferson (2004), dont je synthétise certains éléments dans le tableau
ci-dessous. Puisque l’analyse de conversation se préoccupe autant du
contenu de la discussion que de la forme que celle-ci prend, la transcrip-
tion est aussi fidèle que possible à ce que les participants ont dit (et fait) :
par conséquent, les hésitations, les fautes et les répétitions ne sont pas
corrigées, même au prix d’une lisibilité moindre. Le fait qu’elles soient
compréhensibles ou non est, justement, empiriquement important.
Symbole Nom Indication
= Égal La phrase continue dans un autre tour
de parole.
( ) Parenthèses Mot(s) incompréhensibles, incertains
ou omis.
(( )) Double parenthèses Description d’actions non verbales.
(nombre) Pause
Le chiffre entre parenthèses indique la
durée de la pause en secondes. Une très
brève pause est indiquée par un point
entre parenthèses.
[ ] Crochets
Chevauchement des interventions
des locuteurs. Le crochet est placé à
l’endroit où se fait le chevauchement.
mot- Tiret à la fin d’un mot
(ou d’un mot incomplet)
Le locuteur n’a pas terminé le mot en
question.
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mot Soulignement (ou
italique)
Le locuteur a prononcé le ou les mots
avec une emphase.
::: Deux-points
Le son précédent est prolongé. Le
nombre de deux-points est ajusté selon
le prolongement.
<mot>
ou
>mot<
Chevrons ouverts ou
fermés
Le ou les mots ont été prononcés plus
<lentement> ou >rapidement< que ce
qui est ordinaire pour le locuteur.
Tableau 1 : Exemples de symboles conventionnels de transcription
selon Jefferson (2004).
Segment
155
156
157
158
159
Cha. : = (l’adjoint du député) nous avait suggéré entre autres,
(nom d’un organisme gouvernemental), et c’était ça ((passe
une feuille)), c’est la partie décourageante, mais ça fait rien,
on peut en rire un peu quand même. Alors, je fais circuler
la feuille.
160 Nat. : C’est vraiment con, « hors coopératives d’habitations ».
161 Jas. : C’est quoi ça ?
162
163
164
Nat. : « Programme d’aide aux organismes communautaires »
et ça exclut « comités logement », « coopératives d’habita-
tion », ((inaudible)).
165
166
Cha. : Mais regardez, le programme, regardez, ça nous définit tout
à fait, mais ça nous exclut en même temps.
167
168
Jas. : ((Regarde avec Nathan la feuille)) Hmmm… C’est donc
attardé !
169 Cha. : ((Rires)) À sa face même c’est débile !
170 (3)
171 Jas. : C’est comme inconstitutionnel
172 Cha. : ((En se levant)) C’est incroyable. Fais-le fais…
173
174
Dia. : Ben c’est un peu ça, hein, il y a plein d’argent pour le loge-
ment, mais c’est =
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154
175 Cha. : Fais-le circuler ((Marche vers la gauche de la salle)).
176 Dia. : = donné à tout le monde, sauf aux comités logement.
177 Jas. : (Inaudible)
178
179
Dia. : Parce qu’ils n’aiment pas les pressions des comités loge-
ment.
180 Luc : Mais là c’est…
181 Jas. : Ils n’aiment pas nos revendications ?
182 Dia. : Non.
183 Luc : C’est cela.
184 Jas. : Mais qui va représenter [les locataires ?
185 Luc : [« Vous êtes bien, [continuez ! »
186 Dia. : [Voilà
187 Nat. : Mais c’est même pas ça la question, c’est
188
189
((Ernest se lève et prend la feuille de Jasmine, Pierre regarde
la feuille)).
190
191
192
193
Cha. : ((Revenu de l’arrière-salle avec une nouvelle feuille)) Ben,
j’ai l’intention, pour cultiver l’humour, de soumettre ceci
à (le député) ((Remet la feuille à Nathan et J et retourne
s’asseoir)).
194 Nat. : Quoi donc ?
195
196
Jas. : ((En voyant la nouvelle feuille que Charles distribue, en
parlant de Charles)) Ben là…
197 Nat. : C’est une blague qu’il a fait(e).
198 Jas. : C’est, c’est Charles.
199
200
Cha. : C’est du copier-coller. C’est le même programme qui est
là, je l’ai mis là.
201 Pie. : ((Vient de lire feuille originale)) Ben voyons donc !
202 Cha. : J’ai mis du blanc sur le « non admissible » [ou juste le « non »
203
204
205
Pie. : [« des projets
favorisant l’amélioration de l’habitation des Québécois
et Québécoises ».
206
207
Jas. : ((Changeant de sujet)) Mais le (service local de santé) est-ce
qu’ils donnent la subvention à la petite enfance ?
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208 Dia. : ((En réponse à J)) Treize mille.
209 Jas. : Hein ?
210 Dia. : Treize mille.
211 Pie. : ((Continue au sujet de la subvention, fort)) C’est ridicule !
212
213
214
Nat. : Mais pas juste le premier, tous les autres, c’est toutes les
cat… tout ce qui est exclu c’est toutes les catégories d’or-
ganismes qui ont pour but (?)
215 Pie. : C’est-tu niaiseux
216
217
Cha. : C’est-tu assez fort à ton goût ? ((Baissant la feuille qu’il
lisait))
218 ((Diane et Jasmine discutent, inaudible))
219
220
Pie. : ((Continuant de lire)) Franchement ! ((Jette la feuille sur
la table))
221 ((Cha. saisit la feuille, se lève et la passe à d’autres))
222 Nat. : C’est une manière de dire, de =
223
224
Cha. : Regarde, regardez ((debout, pointant sur la feuille que tient
Luc))
225
226
Nat. : = C’est une manière de dire, finalement, « On va subven-
tionner une petite initiative (?) =
Ici, nous pouvons dire que Charles fait circuler la feuille du programme
pour que tous constatent et donc rendent objective la « débilité » de
l’exclusion qu’elle opère. Après que Nathan et Jasmine eurent constaté cet
état de fait (Nathan dit : « C’est vraiment con. » à la ligne 160), Charles
confirme que c’est en effet ce qu’il attendait d’eux, en pointant vers la feuille
que les deux collègues lisent, en disant, « Mais regardez, regardez, ça nous
définit tout à fait, mais ça nous exclut en même temps » (voir figure 2).
Dans les quelques tours de parole suivants, Jasmine et Charles peuvent être
décrits comme co-construisant le caractère « débile » de cette exclusion.
Ces tours de paroles constituent des paires (167-169 ; 171-172) où Jasmine
émet un jugement, que Charles confirme (voir aussi le trio 181-182-185). La
pause à la ligne 170, suivie de l’évaluation de Jasmine, peut laisser à penser
que le document est étudié avant qu’un jugement ne soit rendu. Charles
confirme la lecture à la ligne 172 en disant « C’est incroyable », puis invite
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à ce que la feuille circule, pour que le document puisse témoigner lui-même
de sa « débilité », au lieu que les autres ne se fient uniquement au jugement
de leurs collègues. Entre les lignes 178 et 186, Diane, Jasmine et Luc s’inter-
rogent sur les raisons de cette exclusion dans une série rapide de tours de
parole, et en arrivent à la conclusion que l’organisme bailleur n’aime pas les
revendications des associations de locataires. À la ligne 184, Jasmine pose
une question à mon sens déterminante : « Mais qui va représenter les loca-
taires ? » Cette question est importante car elle montre que le document,
en excluant l’organisme d’un financement concernant le logement, rend
visible le fait que la légitimité de l’organisme est désavouée. Ce désaveu
en insinuant que l’organisme ne représente pas les locataires – est rendu
présent dans l’interaction et devient la préoccupation des participants.
L’indignation qui s’ensuit, si on exclut la blague de Charles concernant le
liquide correcteur, peut être essentiellement lue sous cette lumière, notam-
ment à travers l’intervention de Nathan, à la ligne 224, où il fait dire au
document « On va subventionner une petite initiative ».
La deuxième feuille que Charles fait circuler et sur laquelle il a mis du
liquide correcteur pour masquer le « non » de « non admissible », montre
bien que c’est aussi la feuille elle-même qui performe le refus, dans sa textua-
lité même. Bien évidemment, la feuille est la stabilisation de conversations
qui ont eu lieu précédemment et que Diane, Jasmine et Luc reconstituent
aux lignes 178 et 186, ainsi que Nathan qui, à la ligne 224, montre que « c’est
une manière de dire, finalement… ». Toutefois, la feuille est également ici
agissante car non seulement elle opère le processus d’exclusion mais elle
prive aussi l’association de sa légitimité comme représentante des locataires.
L’une des questions importante de l’ethnométhodologie, traitée explici-
tement par l’École de Montréal, est la possibilité de la présence du contexte
dans l’interaction. Il faut résister à la tentation de faire intervenir hâti-
vement le contexte, contrairement à ce que font certains auteurs, même
lorsqu’ils pensent ne faire que décrire le cas. Le contexte doit justement
être rendu présent par et dans l’interaction. L’ethnométhodologie insiste
notamment sur la question de l’indexicalité (des termes se rapportant au
contexte de la locution, tels que «ici», «maintenant», «ceci», ou encore
des pronoms comme «je» ou «tu»), qui est une manière de réaliser un
embrayage (shifting) entre les échelles ainsi qu’entre le langage et le monde.
Cette idée d’embrayage, commune en linguistique, concerne la manière
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157
dont le langage peut « rejoindre » le monde, et inversement. Autrement
dit, les indexicaux et les mouvements du corps sont une manière d’établir le
lien entre le langage et les objets qui constituent la situation d’énonciation.
Ainsi, Charles ne cesse de pointer les feuilles, de dire « regardez », ce qui
établit un lien référentiel direct entre ce qu’il dit et la feuille.
En tout état de cause, on ne peut pas limiter le contexte à ses seules
apparitions explicites. Par exemple, pour comprendre la langue utilisée
par les participants, nous sommes « déjà » dans le contexte de la langue
française – et dans sa variante québécoise. Le langage n’est pas propre à
chaque individu, mais revêt déjà une dimension partagée, que nous pour-
rions appeler sociale ou intersubjective. Comme le dit Jacques Derrida
(1996), « ma » langue est déjà celle de plusieurs autres, car c’est à cette
condition seulement que je peux la parler. Alors que certains auteurs
comme Anita Pomerantz ou Bob Sanders (2005) souhaitent s’en tenir
à une analyse de conversation orthodoxe et mettent de côté l’idée que
l’interaction est « toujours déjà » – pour reprendre une formulation derri-
dienne – contaminée par le contexte, les auteurs de l’École de Montréal
souhaitent réfléchir davantage au rapport entre contexte et interaction.
Pour comprendre ce lien entre l’interaction et la situation où elle a lieu, il
faut tout d’abord faire appel à Greimas (1970, 1983) et particulièrement à
son schéma actantiel, qui permet de considérer une action comme appar-
tenant non seulement à un auteur particulier, mais aussi à l’ensemble de
ceux et de ce qui contribuent à l’action, particulièrement dans une logique
mandant/mandataire. Ainsi, alors que l’on peut être tenté de poser la ques-
tion : est-ce Charles ou bien la langue française qui dit « regardez » ?, on
pourrait aussi demander : comment Charles fait-il agir la langue française,
alors même que celle-ci le fait agir ? Cooren (2010) souligne que la dicho-
tomie passivité/activité doit être dépassée, puisque la passion implique
l’action et vice versa. Ainsi, lorsque Charles dit « regardez » en pointant la
feuille, il est tout autant possible de considérer que Charles donne vie à la
langue française en s’en servant, que de considérer que la langue française
contraint la parole de Charles (il doit parler ainsi pour être compris).
Toutefois, oublier l’une des deux descriptions revient soit à supposer que
les contextes agissent magiquement, soit que des acteurs reconstruisent
leur monde à partir de zéro à chaque interaction.
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158
Conclusion
L’ethnométhodologie et l’analyse de conversation, en particulier tels
que repris par l’École de Montréal, ont contribué de manière impor-
tante à la compréhension de la constitution des organisations et de
leur action (Brummans, 2006 ; Latour, 2013). La perspective gagne une
reconnaissance dans l’étude d’autres phénomènes, dont la planification
stratégique (Spee, Jarzabrowski, 2011), la créativité (Bartels, Bencherki,
2013), l’étude des chiffres en organisation (Fauré, Grammacia, 2006) ou
l’éthique (Bencherki, 2012). Elizabeth Stokoe (2011), pour sa part, propose
une approche à la formation en communication fondée sur l’analyse de
conversation, en jetant un regard réflexif sur les interventions qu’elle a
menées auprès de répondants téléphoniques devant gérer des conflits.
L’approche de l’École de Montréal, tout en accordant une grande
importance à l’étude du langage, reconnaît aussi le rôle joué par la maté-
rialité dans l’interaction. Paradoxalement, alors que certains critiquent
les approches communicationnelles aux organisations en leur reprochant
de réduire l’organisation au langage, l’approche de l’École de Montréal se
distingue de l’ethnométhodologie conventionnelle en présentant le rôle
joué par les objets, les documents et autres artéfacts dans la stabilisation
de l’organisation (e.g. Bencherki, 2010 ; Benoit-Barné, 2009).
Une contribution importante de l’École de Montréal est certainement
d’offrir une approche concrète à l’étude de la constitution et l’action de
l’organisation, ancrée dans l’observation d’interactions. Autrement dit, à
travers l’étude des interactions, l’École de Montréal offre un cadre analy-
tique à partir duquel il est possible de voir à l’œuvre différents phénomènes
organisationnels. L’École de Montréal donne un nouveau sens à l’idée
de réification de l’organisation : plutôt que de la considérer comme une
« erreur », il s’agit plutôt d’un processus par lequel l’organisation se fait,
se stabilise et gagne une capacité d’agir bien réelle (sur la réification, voir
Cooren, 2013 ; Hémont, 2010). Cette capacité à passer de l’action située,
concrètement observable, et d’y montrer l’organisation (en tant qu’entité)
et l’organizing (le processus d’organisation) à l’œuvre, est l’innovation
principale de cette école originale, située à l’intersection des traditions de
recherche françaises et américaines.
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159
Figure 1. L’utilisation de la vidéo permet l’analyse
du rôle du matériel dans l’interaction.
Figure 2. « Et c’était ça. »
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160
Figure 3. « Mais regardez, regardez… »
Figure 4. « Regarde, regardez »
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161
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Associates, 2000.
m&mmethode_recherche-mqt03_VERIF CA OK indd 166 25/04/2014 15:20:44
... Toutefois, en plus de l'analyse conversationnelle, l'École de Montréal s'inspire de la théorie de l'acteur-réseau (Callon, 1986;Latour, 1991Latour, , 1994 (Bencherki, 2014). Par conséquent, selon l'École de Montréal, analyser une interaction, c'est aussi s'intéresser à « la manière dont les interactants mettent en acte ou en scène ces êtres durant l'interaction lorsqu'ils les invoquent, les évoquent, ou les expriment » (Cooren, 2013, p. 88). ...
Thesis
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Denault, V. (2020). Comment les juges détectent-ils les mensonges ? Étude des mécanismes communicationnels sous-jacents aux déclarations de culpabilité pour parjure [How do judges detect lies? A study of the communication mechanisms underlying perjury convictions] [Doctoral Thesis, Université de Montréal]. Papyrus UdeM. http://hdl.handle.net/1866/24285
... Indeed, a constitutive vision of communication is a "communicational ontology of the organization, an ontology that embraces the constitutive principle that should be based on communication phenomena to understand and explain the world in which we live, especially here organizations" (Cooren, 2012, p.13). Ventriloquism, then, is something that members do; researchers are located outside of it, and observe the interactions and conversations of members in search for the way they stage organizational figures, mostly relying on conversation analysis (Bencherki, 2014;Cooren, 2007). This apparent disconnect between ventriloquism's powerful ontological stance and its use of mostly language-based methods to study the materializations of organizational presence has led some authors to question the scope of the approach (Wilhoit, 2016). ...
Chapter
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This chapters proposes to reverse the conventional assumption regarding research methods, according to which researchers follow their object of study. When studying an organization, researchers must let themselves be followed – we voluntarily use the passive voice – and make their body available as a surface where different principles, artefacts, sensations, feelings and other figures are articulated and therefore get organized. We use the case of the first author’s experience in a Doctor’s Without Borders field hospital at a refugee camp in South Sudan to describe and analyze the ways in which the organization and its extreme environment affected him. The organization, rather than an external object available for his observation, took shape and became available for study as he experienced it in an embodied way.
Book
With the parallel expansion of both leadership research and the use of ventriloquism within communication studies, this book addresses the lack of connection between the two, arguing that ventriloquial analyses can add significant insights to leadership research and that leadership research can be a fruitful avenue of inquiry. Focusing on the ventriloquial approach to organising originating from the Montreal School, which emphasizes the analyses of “actions through which someone or something makes someone or something else say or do things”, the book offers a new and exciting way of looking at the materiality of leadership. Drawing on ventriloquial analyses of naturally-occurring workplace interaction; interviews with key organisational players; and training sessions about leadership, the author posits that other-than-human actants affect many areas of leadership and organisational communication. Offering fresh insight into leadership practice, this book will be an essential read for scholars and students of organisational communication, leadership, and management.
Chapter
In this chapter, we showcase the use of the Montreal School’s notion of ventriloquism to demonstrate how not only human but also other-than-human entities can be agentive and consequential to the communicative constitution of organisation. More specifically, using transcripts of naturally occurring talk, we demonstrate how other-than-human entities (i.e. “things that matter”) such as organisational protocols, insurance policies, and events become relevant to the interaction, are attributed agency, and so cause organisational players to do things. Moreover, through ventriloquising organisational protocols and insurance policies, the speaker who invokes them becomes authorised to carry out certain actions and so he/she enacts authority. Authority, obliging others to surrender their private judgement, from this perspective is therefore seen to be enacted through presenting oneself as being animated by other agencies and, reflectively, through being able to animate these agencies.KeywordsAuthorityMontreal SchoolVentriloquismActor network theorySociomateriality
Chapter
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Why are visual methods, and in particular video methods, so naturally associated with the study of space in organizational studies? This chapter suggests that this relationship has to do with both video and space having been shown to be relational phenomena. Combining work in relational studies of space with French philosopher Gilles Deleuze’s writings on moving images allows formulating a communicative approach to the analysis of space using video data, in terms of three sets of relationalities that reflexively fold into one another: (1) the spatial relations more or less faithfully represented in the data; (2) the relations that are outside the data but that made it possible; and (3) the relations defining the observation context.
Chapter
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‘Role-play’ is a ubiquitous method for training people in workplace settings of all kinds to better interact with other colleagues and members of the public. Van Hasselt, Romano and Vecchi define role-play as ‘simulations of real-world interpersonal encounters, communications, or events’ (2008, p. 251). Typically, role-play methods involve the people being trained or assessed interacting with actors or other simulated interlocutors, using ‘narrative adaptations’ of hypothetical or actual scenarios as the basis for the simulated encounter (Van Hasselt, Romano and Vecchi, 2008, p. 254, see also Rosenbaum and Ferguson, 2006). In addition to its training function, role-play is used to assess ‘communication skills’ across numerous workplace settings. It is also used more generally as a pedagogical tool in educational contexts (e.g., Andresen, 2005; Rogers and Evans, 2007), and to assess other sorts of psychological competences (e.g., Leising, Rehbein and Sporberg, 2007; Palmieri et al., 2007).
Article
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Research on organizational discourse typically reduces it to what members do when producing and using texts in organizational contexts, but fails to recognize that texts, on their own, also seem to make a difference. This essay shows that one way to approach discourse is to analyze the active contribution of texts (especially, but not only, documents) to organizational processes, that is, to what extent texts such as reports, contracts, memos, signs, or work orders can be said to beperforming something. After reviewing what other scholars have been saying on the question of textual agency, I show how it is possible to ascribe to texts the capacity of doing something without falling into some modern form of animism. Having done that, I explore systematically the different types of action that texts can be said to be performing by taking up Searle’s well-known classification of speech acts. This review then leads me to address questions related to the constitution of organizations, that is, to what extent this reflection on textual agency enables us to redefine the mode of being of organizational forms.
Book
Ethnomethodology has an elusive relationship with organisation studies. The ethnomethodological work of Harold Garfinkel, and the allied conversation analytic work of Harvey Sacks, is often cited and yet empirical contributions informed by ethnomethodology and conversation analysis remain rare. Organisation studies clearly has a lot to say about work but this is normally related to some broader set of social, economic and political issues. Rarely, if ever, does this research involve an analysis of the mundane and practical details of what actual work consists of. This book acts as an evidence-based corrective by showing how research based on ethnomethodology and conversation analysis can contribute to key issues and debates in organisation studies. Drawing on audio/video recordings from a diverse range of work settings, a team of leading scholars present a series of empirical studies that illustrate the importance of paying attention to the real-time achievement of organisational processes and practices.
Article
This nonanthropological poetry was brought to life by tracing the agency of my father's euthanasia declaration through a reconstruction of its confessions. I follow the poetry with reflections on the role of this textual agent in the unfolding of my father's last days.
Book
What is an organization? What are the building blocks that ultimately constitute this social form, so pervasive in our daily life? Like Augustine facing the problem of time, we all know what an organization is, but we seem unable to explain it. This book brings an original answer by mobilizing concepts traditionally reserved to linguistics, analytical philosophy, and semiotics. Based on Algirdas Julien Greimas’ semio-narrative model of action and Jacques Derrida’s concept of écriture, a reconceptualization of speech act theory is proposed in which communication is treated as an act of delegation where human and nonhuman agents are mobilized (texts, machines, employees, architectural elements, managers, etc.). Perfectly congruent with the last development of the sociology of translation developed by Michel Callon and Bruno Latour, this perspective illustrates the organizing property of communication through a process called ‘interactoriality’. Jacques Lacan used to say that the unconscious is structured like a language. This book shows that a social organization is structured like a narrative.