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GENÈSE DE LA MAISON BRUXELLOISE
A l’inverse de nombreuses villes européennes, la densité urbaine bruxelloise s’est
développée autour de la maison mitoyenne individuelle. Malgré une
reconnaissance implicite, il n’en existe aucune étude monographique.
L’objectif de ce chapitre est de rendre compte de la genèse et de l’évolution de la
typologie résidentielle de référence du logement à Bruxelles à travers
l’enchaînement de mutations sociales ou matérielles qui en ont modifié les
propriétés physiques ou d’usage (Ledent, et Masson, 2014). Cet enchaînement
est étudié depuis les premières traces de sédentarisation jusqu’à la mise en place
d’un archétype à la fin du XXe siècle.
1 Évolution de l’habitat
1.1 Époque romaine
À l’époque romaine, le site qui accueillera la ville de Bruxelles n’est pas urbanisé
et seules des voies secondaires irriguent la vallée de la Senne.Peu de vestiges
subsistent de cette période, mais on trouve les traces de trois villas établies sur le
territoire bruxellois, à Anderlecht, Laeken et Jette (Matthys, 1972). Les restes de
ces villas ne permettent pas une analyse approfondie de leur plan. Toutefois, ils
permettent de supposer un plan traditionnel de villa gallo-romaine (Cloquet,
1900). Il s’agit d’un habitat rural, entourant une cour centrale. Les matériaux
relevés sur les différents sites indiquent une construction en briques et en tuiles.
1.2 Avant les enceintes
La chute de l’empire romain marque deux modifications dans l’habitat. En termes
de technique de construction, la maçonnerie est progressivement abandonnée
pour des constructions en bois issues de traditions antérieures. En termes
d’usages, les femmes ne sont plus isolées dans le gynécée romain et prennent part
à la vie familiale. On note en outre que la maison s’ouvre largement sur l’extérieur
(Cloquet, 1900).
Deux types d’habitat se côtoient, l’habitat paysan et les Steen des seigneurs.
L’habitat paysan est rudimentaire. Il s’organise sur un seul niveau autour d’un
espace central abritant le foyer familial. Ces édifices sont construits en bois tandis
que les toitures, en bâtière, sont en chaume. Nombres d’écrits attestent de la
présence de ces maisons même après la construction de la première enceinte.
Les Steen apparaissent à Bruxelles à partir du XIe siècle. Il s’agit de maisons
cossues fortifiées qui, en l’absence de remparts, assurent la défense de leurs
occupants. Aucun de ces Steen n’a survécu à Bruxelles. Les textes (Verniers,
1965) mentionnent un habitat en pierre comportant deux étages, doté d’une tour
centrale, de murs crénelés, reposant sur des caves voûtées. L’ensemble est
ceinturé de douves (Verniers, 1965, p. 77-78).
1.3 Maison urbaine
Une transformation sociétale majeure se produit au Moyen Âge : la protection
du groupe devient une préoccupation commune à laquelle la ville répond par
l’édification de remparts. La première enceinte de Bruxelles au XIIIe siècle et
l’espace confiné qu’elle génère en modifie durablement l’habitat. Pour se serrer à
l’intérieur des murs, il faut optimiser l’espace disponible. Cette optimisation passe
par une mise à profit maximale du linéaire viaire de l’espace intra-muros. Elle fixe
la largeur de l’habitat qui se développe désormais en hauteur et en profondeur, la
diephuis (Martiny, 1991).
MAISONS DE BOIS
La première forme de maison urbaine édifiée à Bruxelles est à pan-de-bois. Si la
dernière maison en pan-de-bois a été démolie en 1818 (Cloquet, 1907, p. 32), les
ressources iconographiques ainsi que des témoins subsistant dans le Brabant
permettent de s’en faire une image assez exacte.
A l’intérieur des enceintes, la division parcellaire est déterminée par différentes
contraintes. En premier lieu, il s’agit de multiplier les propriétés dans un territoire
limité. Ensuite, une division isotrope du sol n’est pas possible vu qu’il résulte de
découpes foncières antérieures. De plus, la prise de lumière se faisant
principalement sur la rue, l’habitabilité des espaces exige de maximiser le linéaire
viaire. Enfin, un critère d’ordre technique s’oppose directement à cette
préoccupation : la portée usuelle d’un plancher règle la distance entre deux limites
parcellaires successives à 6 mètres au maximum (Cabestan, 2004, p. 203).
Au-delà de l’optimisation parcellaire, une nouvelle contrainte apparaît, liée tant
au principe constructif qu’à l’accumulation du bâti dans un espace restreint. Des
ruelles coupe-feu étroites, les kattesteghe
1
, sont ménagées entre deux propriétés
successives pour lutter contre la propagation des incendies. La mise en place des
kattesteghe a plusieurs conséquences. D’une part, ces passages rendent les îlots
poreux. De nombreuses gravures suggèrent qu’un usage collectif y était courant.
D’autre part, les kattesteghe poussent à construire les murs gouttereaux le long de
ces ruelles d’isolement et les pignons sur les rues principales (Viollet-Le-Duc,
1863b, p. 225).
CONSTITUTION
Le développement en hauteur et en profondeur à partir d’une façade réduite sur
la rue influence de plusieurs manières le plan de la maison. Premièrement, le foyer
ne peut plus occuper le centre géométrique de l’édifice sous peine de rendre les
pièces inutilisables (Van De Walle, 1959). De plus, la construction en hauteur
nécessite un conduit vertical continu à travers les différents étages. Il sera
logiquement placé le long des murs mitoyens. Deuxièmement, les prises de
lumière, limitées sur les kattesteghe, doivent être ménagées dans les petits côtés des
bâtiments. Les façades s’ouvrent alors très généreusement.
1
Ces ruelles sont encore appelées ambitus ou endronne. Viollet-le-Duc, Eugène-
Emmanuel (1863a). Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe
siècle, Paris, Bance et Morel, vol. 6.
La maison en pan-de-bois comporte généralement deux à quatre niveaux
auxquels s’ajoutent deux niveaux sous combles. Les caves, semi-enterrées,
possèdent un accès direct sur la rue par un double vantail et un escalier. Tous les
étages offrent une hauteur similaire. L’organisation en plan de la maison en pan-
de-bois présente une grande diversité comme l’attestent les représentations de
façades : les entrées sont centrées ou sur le côté, surélevées ou non. La division
intérieure, pour sa part, est généralement sommaire, avec une ou deux pièces
disposées en enfilade. Cette subdivision se répète sur tous les niveaux pour
aboutir sous les combles. Les niveaux sont desservis par un escalier en colimaçon
aménagé à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment. Son étroitesse justifie la
présence en façade d’une poutre de levage avec poulie permettant de hisser les
biens encombrants. Le rez-de-chaussée est occupé soit par une fonction
commerciale, soit par la « salle », lieu de rassemblement de la famille. L’entrée
dans la pièce principale du logement se fait frontalement sur la rue ou par la
kattesteghe. Toutes les habitations qui ont des commodités disposent d’une fosse
d’aisance dans la cour extérieure. Celle-ci compte également une citerne d’eau de
pluie. Enfin, l’eau potable est disponible via les fontaines publiques.
CONSTRUCTION
La construction en pan-de-bois est exécutée principalement à partir de chêne,
tant pour la structure que pour les éléments de façade et les éléments de finition.
Si, à l’origine, la maison est entièrement constituée de bois, les murs gouttereaux,
les conduits de cheminée, les caves et les soubassements sont généralement
réalisés en brique et en pierre. Les toitures sont recouvertes de chaume jusqu’à
l’interdiction de ce matériau par divers règlements qui le remplaceront par la tuile
(Heymans, Cordeiro, et De Ghellinck, 2007, p. 33). Enfin, le verre occupe les
parties supérieures des baies, les parties inférieures étant fermées par d’épais
volets de bois. Chaque niveau propose des pans de bois distincts. Ces maisons
présentent fréquemment des encorbellements. Ces saillies successives de l’ordre
du demi-mètre à chaque étage ont divers avantages : allégement de la structure,
augmentation de la surface des étages, protection contre les intempéries, etc. La
charpente de toiture se développe selon deux systèmes « à chevrons formant
fermes » ou « à fermes et pannes » (Heymans, Cordeiro, et De Ghellinck, 2007,
p. 32). La toiture en bâtière se prolonge jusqu’à la rue. Ce système constructif a
deux conséquences : d’une part, des pignons triangulaires se présentent sur la
rue ; d’autre part, des chenaux en « bacs à neige » apparaissent entre deux maisons
mitoyennes lorsque celles-ci ne sont pas séparées par des kattesteghe.
MAISONS DE BRIQUE
Les interdictions successives relatives au bois
2
et les incendies sonneront le glas
de ce type de construction. Pourtant, la brique ne supplante pas immédiatement
le bois, qui reste courant pour les façades postérieures ou latérales des bâtiments
(Van De Castyne, 1934, p. 38).
Deux modifications techniques se produisent lors du passage à la brique.
Premièrement, les ruelles coupe-feu sont rendues obsolètes par les enveloppes
bâties en briques. Les kattesteghe sont progressivement phagocytées par la masse
du bâti. En conséquence, les îlots s’imperméabilisent par rapport au domaine
public. Néanmoins, la tradition du pignon, issue de la construction en bois et des
contingences relatives à la propagation du feu, subsistera jusqu’au XVIIe siècle.
Une seconde modification technique concerne le partage d’un chenal commun à
deux maisons successives sur la limite de mitoyenneté, source de conflits de
voisinage liés aux infiltrations de l’eau. À la fin du XVIIe siècle (Eloy, 1985), leur
suppression sera encouragée avec l’obligation de récolter les eaux de pluie en
façade et de les conduire jusqu’au sol. Cela aura pour conséquence un
retournement progressif des toitures. Cette décision modifie la physionomie
urbaine en supprimant le crénelage des rues et rend durablement étanche la
propriété parcellaire individuelle.
CONSTITUTION
Si les premières maisons de brique apparaissent dès le XIVe siècle, elles ne se
généralisent qu’au XVIe siècle, comme l’attestent les millésimes de nombreuses
façades. L’agencement de ces maisons évolue peu par rapport à celles en pan-de-
bois. Les caves en demi-sous-sol supportent un rez-de-chaussée légèrement
surélevé. La circulation verticale, au départ extraite du volume bâti, est
progressivement intégrée au corps du logis. Une cour privée est ménagée. Entre
le XVIe et le XVIIIe siècle, elle peut occuper deux positions : à l’arrière ou entre
deux corps de bâtiments distincts. La cour arrière sera la plus courante à l’aube
du XIXe siècle.
Au XVIe siècle, des théoriciens se penchent pour la première fois sur
l’architecture domestique. Si leurs traités classent les habitations de manière
abstraite, ils s’inspirent directement de cas existants (Moley, 1999). Les situations
2
1342 : interdiction des toitures en chaume ; 1465 : interdiction des façades en bois ;
1466 : interdiction de les entretenir, etc. Eloy, Marc, Commission française de la
culture de l’agglomération de Bruxelles et Centre d’animation et de recherche
architecturale (1985). Influence de la législation sur les façades bruxelloises:
C.A.R.A./C.F.C.
décrites sont donc intéressantes tant par leur représentation de la réalité que par
leurs effets sur les constructions postérieures. Cependant, leur influence est
limitée à Bruxelles, tant l’architecture y reste largement attachée à la logique
constructive
3
.
Les maisons mitoyennes du recueil de Le Muet (Le Muet, 1647) sont ordonnées
suivant une largeur de parcelle croissante. La position - intérieure ou
extérieure - de l’escalier est tributaire de cette largeur. L’escalier reste en effet
disposé dans la cour jusque la « place 3 », soit une façade de 15-18 pieds de
largeur (5-6 mètres). Pour cette « place », Le Muet propose deux positions pour
la circulation verticale, intérieure ou extérieure.
Deux organisations distinctes sont proposées aux étages selon la position de
l’escalier : un système d’enfilade s’il est extérieur, une desserte par le palier s’il est
intérieur. Dans un XVIe siècle marqué par la Contre-Réforme, ces différences ne
sont pas anodines. La position de l’escalier a une portée morale, puisque seul
l’escalier intérieur, lié à une largeur parcellaire minimale, propose des séparations
intimes dans le logement.
Parallèlement à la diephuis, trois autres formes d’habitat se développent sur le
territoire bruxellois. Les deux premières sont des maisons cossues. La première
propose un plan en « L » qui développe une large façade sur la rue et un corps de
bâtiment perpendiculaire à cette dernière. Une cour est ménagée en rapport avec
ce second corps de bâtiment. Cette typologie permet un grand développement
de façade sur un terrain relativement étroit. L’autre typologie à l’honneur pour
l’habitat aisé est celle de l’hôtel de maître entre cour et jardin. Cette typologie,
inspirée du modèle français, ne sera adoptée qu’au XVIIIe siècle. Elle propose un
corps de bâtiment entre une cour qui donne sur la rue et un jardin au plus loin
de celle-ci. Enfin, la dernière typologie présente sur le territoire bruxellois est la
breedehuis, qui se développe non plus perpendiculairement mais parallèlement à la
voirie. Ces maisons se retrouvent généralement en dehors de l’agglomération.
CONSTRUCTION
La brique est courante dans la construction bruxelloise depuis l’occupation
romaine. La pierre - de Gobertange et petit granit d’Écaussine - est fréquemment
3
« En Belgique, contrairement à l’Italie, la conception reste foncièrement
constructive », Van De Castyne, Oda (1934). L’architecture privée en Belgique dans
les centres urbains aux XVIe et XVIIe siècles, M. Hayez, Imprimeur de l’Académie
royale de Belgique. p. 80.
utilisée en complément pour les éléments ciselés ou les arêtes plus fragiles. Enfin
le bois est toujours utilisé pour les sols des étages, les charpentes et les escaliers.
La maçonnerie a des exigences constructives propres qui modifient l’habitat. En
effet, la brique ne fonctionne que suivant le mode de la compression. Elle est
moins flexible que le bois, notamment au niveau des ouvertures en façade qui
verront leur nombre et leur forme limités. Dorénavant, l’empilement des
ouvertures prime afin d’éviter les porte-à-faux et l’affaiblissement de la matière.
Malgré ces contingences constructives, la prédominance des vides sur les pleins
subsiste en façade. Cependant, la façade à pan-de-bois continue durablement à
influencer la composition des façades : encorbellements, pignons, bandeaux et
lésènes qui rappellent les alignements des étages de la construction en bois, etc.
Plusieurs variations peuvent être constatées par rapport aux maisons en bois.
L’escalier droit concurrence de plus en plus le colimaçon et les poutres de levage.
En outre, les manteaux de cheminées deviennent plus imposants dans les pièces
principales. Enfin, les cloisons intérieures sont construites en brique à partir du
XVIe siècle. Néanmoins, outre ces variations, l’agencement intérieur évolue peu
et conserve des espaces d’une grande polyvalence d’usage.
La reconstruction de la ville après le bombardement de 1695 marque un tournant
dans le passage à la construction en dur mais aussi en ce qui concerne les
ressources iconographiques. En effet, la plupart des archives périssent dans
l’incendie qui suit le bombardement. Limitées jusqu’au XVIIe siècle, les sources
le sont nettement moins par la suite. La reconstruction marque, en outre,
l’apparition de nouvelles réglementations (Eloy, 1985).
1.4 Début XIXe
Au XIXe siècle, la maison mitoyenne connaît plusieurs modifications radicales
pour aboutir à sa forme consacrée. L’influence des traités étrangers se fait plus
forte à l’entame du XIXe siècle. Les leçons de Jean Nicolas Louis Durand ont
une incidence considérable sur le classicisme. Sa maison à loyer est très proche
de la maison bourgeoise bruxelloise du début du siècle.
Durand, Précis des leçons d’architecture, maison à loyer (planche 25), 1809
À l’ère du classicisme, la singularisation de l’habitat bruxellois issue du Moyen
Âge est mise à mal. L’habitat ordinaire est dissimulé derrière l’apparence de palais
urbains. De plus, différentes ordonnances tentent d’unifier le paysage urbain par
un blanchissement et un enduisage des façades.
En 1827, pour le remodelage du béguinage, Henri Partoes produit un ensemble
néo-classique inspiré de Durand (Coekelberghs, Coenen, et Loze, 1983). Il crée
une composition de maisons qui s’organisent selon une double symétrie
présentant l’image urbaine d’un hôtel aristocratique de grande taille. Dans une
articulation secondaire, les maisons partagent des entrées jumelées donnant
l’impression de demeures plus vastes. Les façades sont sobres hormis quelques
éléments de modénature. Derrière ce coffre mural de théâtre, les logements
fonctionnent sur le mode de maisons individuelles mitoyennes. Elles reprennent
le plan de la maison à loyer de Durand qui s’organise selon deux travées
longitudinales. La première est occupée par des pièces de vie de taille équivalente
organisées en enfilade. Cette enfilade est doublée par la travée de circulation qui
comprend le vestibule, un escalier à volée tournante et l’accès au jardin.
Le rez-de-chaussée, surélevé de 60 centimètres environ par rapport au niveau de
la rue, est accessible par des marches ménagées dans le vestibule d’entrée. Les
caves sont ainsi éclairées naturellement par des fenêtres. Les latrines se trouvent
dans un édicule situé dans le jardin, dans lequel on ne distingue pas de puits. Son
absence s’explique sans doute par la présence d’une fontaine sur la placette qui
borde l’opération. On note aussi la façade régulière qui propose trois travées de
taille équivalente pour chaque maison. Enfin, l’espace situé au-dessus des halls
jumelés est récupéré par une des maisons. La mitoyenneté n’est pas, de ce fait,
comprise strictement dans un plan vertical.
Partoes, maison du Béguinage, 1827
Dans un registre classique différent, les maisons construites par Tilman-François
Suys dans le quartier Léopold affirment leur singularité tant par leur plan, leurs
façades que par la disparité des immeubles. Le plan de ces maisons comporte des
similitudes avec celles de Partoes. Ainsi, des rez-de-chaussée rehaussés
permettent d’éclairer directement les caves. De même, le nombre d’étages est
limité à deux, surmontés d’une toiture en bâtière. Enfin, la division longitudinale
en deux travées asymétriques règle la composition du plan.
Une série de différences peuvent cependant être mises en exergue. La première
concerne le nombre de pièces en enfilade, qui passe de deux à trois. La pièce
centrale est dépourvue de lumière directe et sa largeur réduite offre un usage
incertain. La deuxième différence touche à l’expression des façades, qui
proposent indistinctement deux ou trois travées. Ensuite, l’escalier s’élève en une
seule volée. Cette particularité ne génère pas d’entresols et permet de ce fait une
coordination horizontale de toutes les fenêtres en façade. Enfin, les limites
mitoyennes sont comprises dans deux plans absolument verticaux.
La maison « léopoldienne » (Martiny, 1991) marque la période 1830-1880. Son
plan indique plusieurs évolutions. Dans ces immeubles, le rez-de-chaussée n’est
plus rehaussé par rapport au trottoir. Les caves, sans lumière, ne peuvent
accueillir de fonctions de vie. La cuisine trouve sa place dans une annexe située
dans le prolongement de la circulation. Une deuxième différence concerne
l’escalier qui s’organise à présent en deux volées. Un troisième élément à noter
est la véranda qui constitue la troisième pièce, côté jardin, de l’enfilade du rez-de-
chaussée. Surmontée d’un lanterneau, elle éclaire plus efficacement la pièce
centrale. Enfin, la façade présente à nouveau une division en trois travées
identiques.
Suys, maison du quartier Léopold, 1837
Maison "léopoldienne", 1850
Progressivement, une décoration plus chargée apparaît en façade, faisant
disparaître toute unité stylistique. Ce style, éclectique, sera le reflet de la jeune
classe bourgeoise belge. A l’opposé des canons classiques, il individualise chaque
maison d’une manière ostensible.
On remarque dans les dessins d’Henri Beyaert les prémices de la maison des
années 1870-1914. En façade, la polychromie est de plus en plus affirmée. La
pierre bleue y apparaît de plus en plus fréquemment pour les soubassements et
les encadrements. A cette époque, le rez-de-chaussée connaît par ailleurs un
rehaussement progressif qui le fait passer de 50 centimètres à deux mètres.
2 1870-1914, constitution d’un type
Pour une catégorie donnée d’édifices, le type est entendu comme la combinaison
d’une collection abstraite de propriétés spatiales et de valeurs signifiantes qui leur
sont attachées. Il n’existe pas formellement mais il définit un ensemble de
principes à l’intérieur desquels le changement se produit.
MODIFICATIONS TECHNIQUES
Au niveau technique, plusieurs changements majeurs bouleversent les logiques
d’habitat dans la seconde moitié du XIXe siècle. Un premier élément est l’essor
industriel qui marque le pays. L’art de construire qui combine désormais artisanat
et industrie voit arriver de nouveaux matériaux : verre armé, béton, poutrelles
métalliques, etc.
Dès la moitié du XIXe siècle, l’éclairage au gaz supplante la bougie et la lampe à
pétrole avec l’installation de canalisations dans les maisons (Devos, 1997, p. 62).
Cela révolutionne l’éclairage domestique avant l’arrivée plus tardive de
l’électricité. Les premiers réseaux d’égout sont implantés à Bruxelles de 1840 à
1850 (Abeels, Banque, et St.-Lukasarchief, 1982, p. 29). C’est une révolution pour
les latrines, jusqu’alors situées dans les cours pour l’accessibilité des fosses à
vidanger. Pourtant, il faudra attendre de nouvelles innovations techniques - l’eau
courante et de nouveaux équipements sanitaires - pour voir les premières toilettes
installées à l’intérieur des logements. À partir de 1857, l’eau potable est acheminée
directement dans les bâtiments par un réseau d’adduction d’eau. Sa mise en place
tendra à individualiser d’une manière plus fonctionnelle les différentes pièces de
la maison. Le mobilier de bain mobile se fixe dans des pièces à vocation précise.
De même, l’évacuation - verticale - des eaux à partir de ces pièces devient une
contrainte technique qui affecte toute l’organisation de l’habitat.
Enfin, les règlements exercent une influence grandissante, d’une manière directe
ou indirecte, sur la constitution de l’habitat bruxellois. Ainsi, par exemple,
l’implantation systématique de trottoirs à partir de 1846 a pour effet immédiat de
protéger les pieds de murs. Cette mesure entraîne indirectement l’apparition des
cuisines-caves puisqu’à présent des fenêtres peuvent être envisagées à l’aplomb
des trottoirs. Ces règlements imposent en outre aux façades des alignements
précis et des hauteurs déterminées selon les largeurs des voiries. Dès le milieu du
XIXe siècle, les règlements s’intéressent à l’habitat domestique. Les techniques
de construction seront codifiées ainsi que les hauteurs minimales des pièces de
vie, les saillies, la disposition des chenaux, les citernes, les matériaux, etc.
MODIFICATIONS SOCIETALES
La modification des usages domestiques exerce également une grande influence
sur l’habitat. Pour le bourgeois de l’époque, la famille constitue la base de la
société. La maison familiale devient le moyen d’en garantir l’unité. Mais c’est
également un instrument pour maintenir les classes ouvrières chez elles tout en
les forçant à désinvestir l’espace public. Le nouveau rôle central de la famille
nécessite un lieu de rassemblement. Ce sera la salle à manger qui devient un
espace à part entière alors que les repas étaient pris sur un mobilier que l’on
déplaçait au gré des circonstances.
Au-delà de ce recentrage familial, le XIXe siècle marque une évolution importante
des mœurs de la classe bourgeoise qui s’impose comme modèle à l’ensemble de
la société. Le rapport entre hommes et femmes se modifie. Les époux partagent
une chambre conjugale unique. Le rapport entre parents et enfants évolue lui
aussi pour donner le jour à des chambres d’enfants distinctes. Le rapport entre
les personnes est de plus en plus codifié, ce qui se cristallise par une multiplication
des circulations.
Enfin, la maison devient un bien commercialisable et le maître d’ouvrage n’est
plus forcément la personne qui y habite. Des opérations de promotion
immobilière voient le jour sur tout le territoire.
2.1 Traits physiques constitutifs du type bruxellois
2.1.1 Enchaînement typo-morphologie
La population bruxelloise triple au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. En
1866, Victor Besme propose un plan d’extension de l’agglomération pour
accompagner cette explosion démographique. S’il propose une logique
morphologique fondée sur un ensemble d’infrastructures nouvelles et d’espaces
de prestige, c’est la maison mitoyenne bourgeoise qui en sera le relais typologique.
Près de 300 000 immeubles sont érigés au cours de la période 1800-1914 sur le
territoire de la région (Ledent, 2014, p. 97-98).
La mise en place du plan de Besme s’appuie sur un lien organique entre îlots,
voiries et parcellaire. Premièrement, le plan de Besme confirme la construction
de la ville par des îlots bâtis. Pour accroître le nombre de maisons, les îlots
rétrécissent, ce qui entraîne une augmentation du nombre de voiries et de
parcelles de coin. Les îlots sont plus réguliers dans la mesure où les voiries et le
parcellaire préexistant le permettent. Ils sont généralement quadrangulaires et
comptent de dix à vingt maisons sur chaque côté. Enfin, l’étanchéité des îlots est
préconisée et les terrains non bâtis doivent être clôturés. Deuxièmement, la
hauteur du bâti est définie selon la largeur des voiries. Celle-ci oscille entre 12 et
18 mètres pour les rues secondaires. Enfin, le parcellaire est restructuré d’une
manière plus rationnelle. Les contraintes économiques, constructives ainsi que la
définition progressive d’un plan type, stabilisent la largeur parcellaire moyenne
autour de 6 mètres. On constate néanmoins la coexistence de deux largeurs
parcellaires différentes en fonction des voiries qui les bordent. En effet, si les
rues proposent des lots de 5,8 à 7,2 mètres, les avenues, plus larges, présentent
un parcellaire plus généreux de 12 à 16 mètres. Elles seront alors bordées d’hôtels
particuliers plus larges et plus hauts.
Évolution des îlots bâtis bruxellois
2.1.2 Propriété individuelle
Depuis sa création, Bruxelles s’est développée dans un parcellaire foncièrement
individuel, phénomène qui durera jusqu’à la Première Guerre mondiale. Malgré
les opérations néo-classiques du début du siècle et les opérations de promotion
à grande échelle qui soutiennent le plan de Besme, le type de la maison
unifamiliale et le caractère individuel du petit parcellaire sont maintenus dans
toute la ville.
2.1.3 Organisation interne
La maison bruxelloise renferme tous les espaces nécessaires à la vie quotidienne
de la bourgeoisie du XIXe siècle. Celle-ci s’organise selon trois modes, la
réception, le colloque familial et les services (Cloquet, 1900, p. 40-44).
Louis Cloquet, Traité d’architecture. Éléments de l’architecture. T.4, p. 40, 1900
La maison bourgeoise offre deux familles de pièces, principales et secondaires.
La distinction entre ces espaces se fait selon une division longitudinale qui partage
la maison en deux travées distinctes selon un rapport 2/3-1/3. Les pièces
principales présentent une grande hauteur sous plafond, une largeur importante,
des baies amples ainsi que de nombreuses connections aux espaces de service.
Elles s’organisent selon une enfilade qui occupe la large tranche longitudinale de
la maison. Cette travée mesure de 3 à 4,5 mètres. Les pièces secondaires occupent
la seconde tranche, plus étroite, de 1,6 à 2,1 mètres.
La maison s’agence selon un principe hiérarchique précis, à savoir une
progression marquée du public vers le privé. Cette gradation est principalement
spatiale. Plus on progresse en profondeur, en hauteur et vers la petite travée du
bâtiment, plus l’espace est intime.
Au niveau de la hauteur, les édifices sont limités à 12-14 mètres
4
sous corniche
pour les voiries moyennes. Le rez-de-chaussée - le « bel étage » - est généralement
surélevé de 1,80 mètre par rapport au trottoir, ce qui permet une prise de distance
par rapport à la rue publique mais également un éclairage des espaces en demi-
sous-sol. Les hauteurs nettes intérieures des étages sont réglementées mais elles
sont en général généreusement dépassées pour des raisons d’hygiène
5
. Alors que
les règlements préconisent des hauteurs minimales de 3 mètres, les hauteurs
effectives atteignent fréquemment 4 à 5 mètres.
La distribution permet l’indépendance des pièces et des usages différenciés
suivant que les rapports entre les personnes se jouent au niveau du service, de la
réception ou du colloque familial. Ainsi, par exemple, la salle à manger est à la
fois accessible à partir du salon dans le cadre de la réception, du corridor dans
son usage quotidien par la famille et de l’office pour le service.
La circulation se situe dans la travée étroite de la maison. Elle débute par un
perron d’une ou deux marches extérieures avant le seuil de la porte d’entrée. Cette
dernière est donc obligatoirement aménagée sur le côté de la maison, ce qui rend
asymétrique la composition de la façade. La hauteur dégagée pour le hall d’entrée
par le rehaussement du bel étage est généralement supérieure à 5 mètres. Le
vestibule permet un premier tri dans le flux des circulations de la maison. Un
escalier de bois dérobé donne directement accès aux cuisines-caves. Un second
escalier, communément réalisé en marbre sur des vousseaux en brique, donne
accès au palier du bel étage. Pour des raisons thermiques, il est fréquemment
séparé du sas d’entrée par une porte vitrée. Ce filtre est doublé d’un second seuil,
un portique mouluré, qui marque le passage vers les espaces plus privés. La porte
4
Besme est également en charge du règlement des alignements et gabarits des
constructions.
5
Au XIXe siècle, l’hygiène est évaluée en fonction du volume d’air disponible.
Heymans, Vincent (1998). Les dimensions de l’ordinaire : la maison particulière
entre mitoyens à Bruxelles, L’Harmattan.
d’accès au salon se situe en avant de ce portique qu’il faut franchir pour
emprunter l’escalier d’accès aux étages ou le corridor qui le longe. Ce corridor
dessert les pièces privées telles que la salle à manger et la véranda mais également
les espaces fonctionnels que sont l’office, le monte-charge ou le second escalier
qui mène aux cuisines-caves.
Michiels, rue des Commerçants 6, 1911
L’escalier des étages est décomposé en deux volées, compte tenu de la grande
hauteur à franchir. Les deux premières volées sont asymétriques pour permettre
un passage sous le premier palier. À la différence des maisons du début du
XIXe siècle, l’escalier profite des paliers pour y installer des pièces intermédiaires,
les entresols. Ces pièces, plus basses de plafond, élargissent la travée étroite de la
maison mitoyenne. Leur position dans la travée de l’escalier leur confère valeur
d’espaces de service. Aux étages, le palier est centré, à cheval sur les deux travées
en enfilade de manière à desservir directement les différentes pièces.
Le principe hiérarchique de la maison bruxelloise définit la position logique de
l’escalier, à l’arrière de la travée étroite, côté jardin. Si cette solution est logique
hiérarchiquement, elle ne l’est pas nécessairement pour ce qui est des usages. En
effet, la largeur de la salle à manger, en parallèle de l’escalier, est déterminée par
la largeur utile de deux volées d’escalier. A l’inverse, l’escalier est rarement
disposé du côté de la rue alors que cela permettrait de créer des pièces qui
s’ouvriraient sur toute la largeur parcellaire côté jardin. Cette solution n’est guère
retenue tant pour des raisons de hiérarchie interne que pour l’expression des
façades. En effet, pour positionner l’escalier côté rue, il faut rompre l’alignement
horizontal des fenêtres en façade.
L’analyse des différents niveaux débute par les cuisines-caves qui sont à demi
enterrées par rapport au trottoir. Cette situation particulière permet la prise de
lumière directe sur la rue. Côté jardin, les cuisines-caves s’ouvrent de plain-pied
sur une cour basse, rendue obligatoire par le règlement des bâtisses de 1848
(Eloy, 1985, p. 6). Cette cour est généralement en contrebas du jardin dont les
terres sont retenues par une citerne d’eau de pluie. Les cuisines occupent ce
niveau, ce qui renforce la disposition hiérarchique de la maison. À l’origine, c’est
le domaine des domestiques. Techniquement parlant, l’espace des cuisines doit
être en contact direct avec la salle à manger du bel étage auquel il est relié par un
escalier de service et, souvent, par un monte-charge. En parallèle de la cuisine
positionnée dans la travée large, on retrouve successivement une cave à charbon,
une cave à vin ou à bière, une cave à provisions et une buanderie. La buanderie
apparaît comme une pièce distincte avec l’apparition de l’eau courante. Au début
du XIXe siècle, les latrines se trouvent toujours dans la cour basse. L’avènement
du tout-à-l’égout, combiné à de nouvelles installations à siphon, aura pour effet
de doubler les installations sanitaires à l’intérieur. Au-dessus des cours basses
prennent place de longs jardins étroits flanqués de hauts murs mitoyens en brique
condamnant toute vue d’un jardin à l’autre à partir du sol.
Le bel étage est rehaussé d’environ 1,80 mètre au-dessus du niveau de la rue. Cet
étage est occupé initialement par les espaces de réception et de vie commune de
la famille. Dans la prolongation de l’escalier, l’office joue un rôle de charnière
entre les cuisines-caves et le bel étage. Cette pièce intermédiaire est plus basse de
plafond car elle est située sous le premier entresol. La travée noble se compose
de l’enfilade salon/salle à manger/véranda. Le salon occupe, hiérarchiquement,
une position dominante dans la maison par sa position à front de rue, dans la
travée la plus large et sur l’étage le plus prestigieux. Sa riche décoration atteste de
cette prééminence. Le salon s’ouvre par de larges portes vitrées sur la salle à
manger, au cœur de la maison. Le salon, tout comme la salle à manger, est
organisé autour d’une cheminée située le long du mur mitoyen qui indique, dans
le sens transversal, le centre de la pièce. Enfin, la véranda constitue une invention
majeure de la fin du XIX siècle. A l’inverse de l’enfilade de Suys, la véranda est
la prolongation directe du jardin dans la maison et constitue, sous un climat
maussade, un espace particulièrement appréciable. Son plafond est fréquemment
surbaissé pour permettre un apport direct de lumière dans la salle à manger. Ce
type d’espace reste l’apanage d’une bourgeoisie privilégiée et, dans de
nombreuses maisons, l’enfilade se résume aux trois pièces proposées par Suys.
Les étages sont le domaine exclusif de l’intimité familiale. Toujours dans un souci
de hiérarchie domestique, la pièce principale - à l’origine, la chambre des
parents - donne sur la rue. Tout comme au bel étage, les hauteurs sous plafond
sont importantes pour des raisons tant d’hygiène que de lumière. Cette pièce
principale s’ouvre par une double porte sur une seconde chambre, côté jardin.
En parallèle, on retrouve une pièce plus étroite. À l’origine, il s’agit d’une pièce
utilisée pour la toilette quotidienne. Avec l’apparition de l’eau courante, cet usage
tombera progressivement en désuétude. Les entresols, qui prolongent les paliers
entre deux étages sont occupés par les pièces d’eau dès l’adduction de l’eau
courante dans les maisons. Dès 1850, grâce aux progrès techniques, elles seront
également dotées de toilettes.
Le dernier étage de la maison est occupé par les combles. Le principe
hiérarchique distingue à nouveau trois espaces : une pièce principale - la chambre
d’amis - dans la travée large et sur la rue, une pièce étroite en parallèle - la chambre
de bonne - et le grenier à proprement parler, disposé du côté jardin.
Cuisines-caves et bel étage, avenue de Trooz 12, 1914
Etage et combles, avenue de Trooz 12, 1914
2.1.4 Façades
Depuis le retournement des toitures et la disparition des ruelles coupe-feu, les
murs mitoyens bruxellois sont aveugles, tandis que les deux façades sont
largement ajourées. Un grand décalage règne toutefois entre la façade à rue et la
façade arrière, qui n’est pas considérée comme une façade à part entière et qui se
plie aux contingences de l’agencement interne sans faire l’objet de beaucoup de
soin.
A l’inverse, côté rue, son alter ego fait montre d’un foisonnement sans pareil. On
constate, dans la composition de la façade, une évolution majeure par rapport
aux ensembles classiques pour lesquels l’ordre urbain prévalait. Dès la seconde
moitié du XIXe siècle, l’expression de la façade se modifie pour répondre aux
hiérarchies internes. Désormais, les baies se distinguent en fonction de la travée
qu’elles éclairent. Des fenêtres plus larges marquent la travée noble en écho aux
ouvertures de l’enfilade longitudinale. On y retrouve également un ensemble
d’éléments distinctifs tels que des balcons, des oriels et des bow-windows. De
même, la travée principale connaît un ressaut de 5 à 10 centimètres. L’ensemble
de ces éléments singularise la façade. La rythmique des rues se scande désormais
suivant une alternance qui marque le caractère individuel de chaque maison.
Outre le défi d’associer horizontalement deux travées longitudinales, une autre
gageure s’impose à l’architecte dans le dessin de la façade. Les étages se marquent
à présent par des hauteurs différentes et la cuisine-cave qui présente des
ouvertures sur la rue doit, elle aussi, être intégrée à la composition générale. Un
jeu savant de bandeaux saillants, de soubassements, de couronnements, de
balcons et de bretèches, tente d’équilibrer ces contraintes dans un tout
harmonieux. L’apparition du bow-window caractérise la façade de la fin du
XIXe siècle. D’un usage plus intéressant que les balcons, leur seule présence
marque le statut social de l’édifice. Il permet également une prise de lumière et
des vues latérales sur la rue. Curieusement, il est rare que cet élément de façade
magistral s’accorde directement avec la fonction la plus noble de la maison, le
salon du bel étage, comme c’est le cas dans la maison anglaise. Deux motifs
expliquent cette anomalie. Le premier est d’ordre réglementaire. Les saillies de
plus 12 centimètres sont en effet interdites en dessous de 2,50 mètres afin de
libérer le passage sur les trottoirs (Eloy, 1985, p. 6). En outre, l’équilibre de la
façade s’accommoderait mal d’un bow-window limité au bel étage à moins sans
doute d’une bretèche sur plusieurs niveaux.
L’individualisation des façades est encore renforcée par une recherche effrénée
dans la décoration. Si le type est remarquablement homogène sur plan, il produit
une incroyable diversité de façades. Les matériaux sont issus tant de l’artisanat
que de l’industrie, avec des maçonneries polychromes composites et en relief, de
la pierre naturelle, des menuiseries richement sculptées, des ferronneries de plus
en plus ouvragées, des éléments en fonte préfabriqués, etc. Désormais, la façade
devient le lieu de toutes les extravagances, comme en témoignent les concours
organisés à la fin du XIXe siècle
6
.
Variations autour d’un plan immuable
Un ensemble d’éléments constitutifs du vocabulaire de base de la façade
contribue, par sa diversité, à singulariser les édifices : impostes vitrées, trous de
boulins, décrottoirs, tuyaux de descente, balcons, portes-fenêtres, oriels,
bretèches, bow-windows, espions, boîtes aux lettres, numéros de façade,
corniches, garde-corps, etc. Des catalogues d’éléments préfabriqués
industriellement apparaissent et seules les maisons les plus cossues se targuent
d’éléments dessinés spécifiquement par leurs concepteurs.
2.1.5 Traits physiques élémentaires
A la fin du XIXe siècle, la maison bruxelloise constitue bien un type qui associe
dispositions spatiales et conventions socioculturelles belges. Le dispositif de cette
maison se résume à quatre propriétés physiques. La première a trait à la
morphologie urbaine dont la maison est indissociable. Les unités individuelles
constituent la périphérie étanche des îlots urbains sur une profondeur de 10 à
15 mètres. La contiguïté de deux maisons successives est gérée par des murs
mitoyens aveugles distants, en moyenne, de 6 mètres. Leurs prolongations
extérieures entourent des jardins qui créent un espace intérieur partagé
visuellement par l’ensemble de l’îlot. La deuxième propriété physique du type de
la maison bruxelloise concerne son caractère individuel. A l’origine, elle abrite
une cellule familiale et ses domestiques. Ce caractère unifamilial ne varie pas si la
maison est modifiée pour accueillir plusieurs ménages vu que ce nombre est
toujours limité. Le caractère individuel se marque tant dans l’expression
stylistique que dans la pérennité du parcellaire individuel. La troisième
caractéristique concerne l’agencement du plan. Il se fonde sur une double
6
Les revues Émulation et Vers l’Art en illustreront les façades les plus exemplaires.
division. La première, longitudinale, divise le bâtiment en deux parts inégales
selon un rapport 1/3-2/3. La seconde se produit parallèlement à la rue et
enchaîne dans une enfilade deux ou trois segments équivalents. Ces divisions
créent deux catégories d’espaces sans fonction prédéfinie. Enfin, la dernière
caractéristique a trait à la hauteur des édifices qui oscille entre 10 et 15 mètres.
C’est une hauteur au-dessus de laquelle les relations sensorielles ne sont plus
possibles.
2.2 Variations autour du type
Le type de la maison bruxelloise connaît des variations en fonction de la largeur
du parcellaire, du statut des occupants et de la position dans l’îlot.
2.2.1 Largeur du parcellaire
Les différences de statut social se marquent dans la largeur du parcellaire. Si le
type correspond à la bourgeoisie moyenne, il connaît des déclinaisons pour les
autres classes de la population. Ainsi, pour les classes plus aisées, il se complexifie.
Les maisons de la grande bourgeoisie s’implantent sur un parcellaire plus large.
Le type traditionnel se dote alors d’une entrée cochère et d’un escalier de service,
généralement aménagé dans la travée la plus étroite, pour distinguer les flux
familiaux et ceux de la domesticité. Pour les classes ouvrières, le parcellaire est
plus étroit. En conséquence, le type est réduit à sa plus simple expression d’un
voire de deux espaces en enfilade et une relative équivalence des travées
longitudinales. Enfin, dans certains cas, des immeubles à appartements jumelés
conservent l’expression de façade propre au type de la maison mitoyenne
individuelle.
Picquet, avenue Molière 112, 1907
Demany, logement ouvrier à Ixelles, 1892
Van Roelen, rue Ernest Discailles 9, début 20ème siècle
2.2.2 Variation dans le parcellaire usuel
D’autres différences se marquent à l’intérieur du parcellaire usuel, en fonction de
la présence ou non d’un rez-de-chaussée commercial ou d’un bel étage, du
nombre de pièces en enfilade, etc. La maison à rez-de-chaussée commercial
propose une vitrine au rez-de-chaussée, et n’est donc pas surhaussée par rapport
au niveau de la rue. Les cuisines-caves sont donc difficilement habitables faute
de lumière naturelle. Deux entrées s’imposent, l’une pour le logement, l’autre
pour le commerce, ce qui permet de retrouver une symétrie de façade. Les
maisons les plus modestes ne possèdent généralement pas de bel étage, mais tout
au plus un ou deux degrés qui permettent un isolement relatif par rapport au
trottoir. Cela ne signifie pas pour autant l’abandon systématique des cuisines-
caves qui sont alors éclairées par des soupiraux dans le trottoir. Parmi ces maisons
modestes, situées sur un parcellaire plus étroit, certaines ne possèdent que deux
pièces en enfilade et pas de véranda.
Maison à rez commercial, 1905
Van Mol, maison à bel étage, trois pièces en enfilade, boulevard Lambermont 73, 1908
Maison sans bel étage, deux pièces en enfilade, rue des Perdrix 33, 1908
2.2.3 Parcelles d’angle
Les parcelles d’angle ont un statut particulier puisqu’elles ne permettent pas ou
peu de relation à l’intérieur de l’îlot. Dans cette position, trois attitudes sont
constatées. La première crée un avatar de la maison typologique. Dans certains
cas extrêmes, la maison fait fi de la position d’angle en privilégiant une rue sur
l’autre. Elle présente alors une façade aveugle, souvent agrémentée de fenêtres
murées. Dans d’autres cas, les ouvertures sur la rue secondaire sont plus libres.
Le plan combine alors l’enfilade typologique et une composition plus aléatoire.
Certains bâtiments d’angle se ménagent un jardin ou une cour qui ne donne pas
sur l’intérieur de l’îlot mais sur la rue. Dans ce cas de figure, la cour est protégée
de la voirie par un mur. Enfin, une autre approche prévoit un commerce au rez-
de-chaussée et des appartements ou des bureaux aux étages.
Veraart, boulevard Auguste Reyers 213 (premier étage), 1914
Taelemans, rue Philippe Le Bon 70, 1901
Diongre, rue Berkendael 203, 1908
3 Conclusion
A Bruxelles, un type particulier d’habitat se cristallise à la fin du XIXe siècle, la
maison bourgeoise mitoyenne. Elle est le fruit d’une longue sédimentation
d’usages domestiques et de techniques constructives. Le type bruxellois se
résume à un nombre limité de propriétés spatiales qui permettent un grand
nombre de variations. La maison bourgeoise mitoyenne a été la cheville ouvrière
d’une expansion sans précédent qui donne à la ville sa physionomie actuelle.
Compte tenu de la fécondité de cette association typo-morphologique, la maison
mitoyenne représente, aujourd’hui encore plus d’un tiers du logement bruxellois.
Outre cette représentativité quantitative, la maison mitoyenne individuelle jouit
d’une reconnaissance tacite dans l’imaginaire résidentiel local. À ces égards,
l’analyse des constituants du type de la maison mitoyenne est révélatrice des
modes d’habiter bruxellois. La prééminence quantitative et implicite du type
bruxellois est telle qu’il a une valeur d’étalon pour toute autre forme d’habitat
apparue sur le territoire. L’Art Nouveau bruxellois puise, par exemple, sa
véritable nature dans la remise en cause de certaines propriétés spatiales de la
maison mitoyenne bourgeoise. Au terme de cet exercice, nous pouvons supposer
que chaque contexte culturel propose des modes d’habiter soutenus par des
structures habitées particulières. Parmi celles-ci, il existe des formes d’habitat
référentielles à l’aune desquelles les autres peuvent être mesurées.
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