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311
(1) Centre National de Préhistoire, Sous-Direction de l'Archéologie, Ministère de la Culture et de la Communication, 38 rue du
26ème R.I., FR-24000 Périgueux - stephane.konik@culture.gouv.fr
(2) Univ. Bordeaux, PACEA, UMR 5199 CNRS, Bât. 18, Avenue des Facultés, FR-33405 Talence cedex
(3) École des Mines d'Alès, C2MA, Hélioparc, 2 avenue P. Angot, FR-64053 Pau cedex
(4) Univ. Bordeaux, UMR 5295, I2M GCE, PAC Talence, allée Geoffroy Saint-Hilaire, CS 50023, FR-33615 Talence cedex
(5) SARL Grotte de Rouffignac, FR-24580 Rouffignac-Saint-Cernin
(6) UPMC, Univ. Paris 06, UMR 8220, Laboratoire d'archéologie moléculaire et structurale, LAMS, FR-75005 Paris
Paillet P. (dir.)
Les arts de la Préhistoire : micro-analyses, mises en contextes et conservation
Actes du colloque « Micro-analyses et datations de l'art préhistorique dans son contexte archéologique »,
MADAPCA - Paris, 16-18 novembre 2011
PALEO, numéro spécial, 2014, p. 311 à 321
Chapitre 3 : CONSERVER
3a - Caractériser les altérations
Programme
ANR
MADAPCA
311
Étude des vermiculations par caractérisations
morphologique, chromatique et chimique.
L’exemple des grottes de Rouffignac
et de Font-de-Gaume (Dordogne, France)
Stéphane KONIK(1, 2), Dominique LAFON-PHAM(3), Joëlle RISS(4),
Norbert AUJOULAT (†), Catherine FERRIER(2), Bertrand KERVAZO(1,2),
Frédéric PLASSARD(5, 2), Ina REICHE(6)
Résumé : Communément observées sur les parois de grottes, les vermiculations sont de petits agrégats, millimétriques à
pluricentimétriques, parfois à l’aspect de vers comme le suggère leur nom. Bien qu’il s’agisse d’un phénomène important puisqu’il est
notamment susceptible de remobiliser les pigments, son origine reste mal connue, même si le rôle de l’eau apparaît établi. Notre étude
a porté sur l’entrée de la grotte de Rouffignac et sur la Galerie principale de Font-de-Gaume (Dordogne). Après la description et la
cartographie, nous avons analysé des microprélèvements selon différentes méthodes : microscopie électronique à balayage avec
système d’analyse X, microdiffraction de rayonsX, spectroscopie d’émission de rayons X et gamma induits par un faisceau de protons
(micro-PIXE/PIGE). Un protocole de mesure et d’enregistrement colorimétrique non invasif, sans contact, a aussi été développé. Il nous
a permis de caractériser les agrégats et les halos qui parfois les entourent, puis de les comparer au support et aux différentes sources
de matériaux mobilisables à proximité. À partir d’une approche colorimétriqueet morphologique par imagerie, une typologie des réseaux
de vermiculations est en cours de définition. Ce protocole jette les bases d’une méthode de suivi de l’évolution de l’aspect des parois
des grottes à des fins de conservation.
Mots-clés : grottes, art pariétal, Rouffignac, Font-de-Gaume, vermiculations, taphonomie des parois de grottes, colorimétrie, analyse
d’image, microanalyses.
Abstract: The study of cave vermiculations by morphological, colorimetric and chemical characterization. The case of Rouffignac and
Font-de-Gaume caves (Dordogne, France). Commonly observed on the walls of caves, the vermiculations are small aggregates of
millimeter to centimeter sized particules, having sometimes the appearance of worms as their name suggests. Although it is an important
phenomenon since it is particularly likely to remobilize pigments, its origin remains unclear, although the role of water seems established.
Our study focused on the entrance of the Rouffignac Cave and on the Main Gallery of the Font-de-Gaume Cave. After the description
and mapping, we analyzed micro-samples using different methods: SEM analysis sized particules with X-ray microdiffraction, X-ray
emission spectroscopy and gamma-induced proton beam (micro-PIXE/PIGE). A non-invasive, contactless, protocol for measuring and
recording color has also been developed. It allowed the characterization of the aggregates and halos that sometimes surround them.
Introduction
Communément trouvées sur les parois des grottes, les
vermiculations sont des agrégats irréguliers et discontinus de
matériaux fins, sans grande cohésion, allant de ponctuations
millimétriques à des formes pluricentimétriques variées,
parfois anastomosées ou à l’aspect de vers comme le
suggère leur nom (Hill et Forti 1997 - p. 221). Les processus
d’agrégation de matière pulvérulente dont elles sont la
manifestation restent mal connus, bien que le rôle de l’eau
apparaisse établi (Bini et al. 1978). Leur étude est importante
pour la conservation des grottes ornées car elles mobilisent,
sur les parois, des matériaux naturels (argiles, sables) mais
parfois aussi des pigments appliqués par l’homme
(charbons, oxydes minéraux).
Afin de mieux caractériser ces formations et leur impact sur
la conservation des œuvres pariétales, nous avons
entrepris une étude pluridisciplinaire dans les grottes
ornées de Rouffignac et de Font-de-Gaume (Dordogne). Si
plusieurs techniques classiques ont été employées
(descriptions, observations microscopiques, analyses
physico-chimiques), l’originalité de notre approche réside
dans le développement d’une méthodologie quantitative de
suivi de l’aspect des parois et des œuvres, sans contact,
non invasive et qu’il a fallu adapter au milieu souterrain.
Basée sur la mesure de la couleur, elle fait appel aux
techniques de la spectroradiométrie dans le domaine
visible et de la colorimétrie. L’utilisation couplée d’outils
d’analyse d’image permet une étude quantitative qui,
appliquée aux agrégats vermiculés, autorise la
caractérisation :
- de leur forme, leur taille, leur répartition ;
- de la distribution spatiale des couleurs sur eux-mêmes et
dans leur entourage.
Cette approche quantitative est notamment destinée à
fournir les données nécessaires à la compréhension des
phénomènes de mobilisation des matériaux dans une
perspective de conservation.
Soulignons que cette analyse permet un suivi des
manifestations des phénomènes de remobilisation de
matière dans le temps : la technique d’acquisition de
données couleur développée autorise la comparaison
métrologique d’images enregistrées à des moments
différents.
1 - Caractéristiques et implications
des vermiculations
1.1 - Caractéristiques morphologiques
De formes et de dimensions variables, les agrégats
vermiculés se caractérisent :
- par un contraste plus ou moins net de couleur avec le
support et, dans certains cas, par un halo décoloré qui les
entoure (Camassa et Febbroriello 2003) (fig. 5.6) ;
- par leur morphométrie et leur relation de voisinage qui
diffèrent d’un endroit à l’autre : depuis des éléments
punctiformes, isolés, millimétriques, jusqu’à des rubans
pluricentimétriques tortueux, connectés (décrits dans la
littérature sous les termes de « dendrites, peau de léopard
ou hiéroglyphes », par exemple – ibid. ; Bini et al. 1978),
aux densités très variables.
1.2 - Surfaces concernées
Les vermiculations ont été observées sur bien des parois
souterraines.
Dans le cadre des travaux de l’ANR MADAPCA, nous
avons retenu les grottes de Rouffignac et de Font-de-
Gaume, sites dans lesquels elles affectent des surfaces
différentes par leur nature (calcaire, calcite, silex…), leur
rugosité (lisses ou irrégulières), leur situation et inclinaison
(voûte, paroi subverticale, sol).
1.3 - Explication synthétique de l’origine
du phénomène
À partir des différentes hypothèses avancées dans la
littérature à l’occasion d’observations particulières, A. Bini,
M. Cavalli Gori et S. Gori (Bini et al. 1978) proposent une
explication synthétique de la formation des agrégats
vermiculés sur laquelle semblent actuellement s’accorder
les auteurs. Le processus à l’origine du phénomène serait
la floculation pendant le séchage de films liquides
contenant des matériaux fins en suspension, l’eau
provenant, suivant les cas, de condensation, de percolation
et, plus rarement, d’inondation. Les caractéristiques des
agrégats (forme, couleur, densité…) seraient notamment
contrôlées par les paramètres relatifs à la matière en
suspension, aux surfaces concernées, aux conditions
d’évaporation et de neutralisation des charges électriques
sur les particules colloïdales.
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Les arts de la Préhistoire : micro-analyses, mises en contextes et conservation.
Chapitre 3 : CONSERVER 3a - Caractériser les altérations
Then they were compared to the substrate and to the nearby sources of fine materials. A typology of networks vermiculations based on
a colorimetric and morphological imaging approach has been defined. This protocol represents the basis for a method of monitoring
changes in the appearance of the walls of caves for conservation purposes.
Key-words: Caves, Rock art, Rouffignac, Font-de-Gaume, Vermiculations, Caves walls alteration, Colorimetry, Image analysis,
Microanalysis.
1.4 - Implications sur la conservation
de l’art rupestre
Certains agrégats sont humides et mous, d’autres sont
secs, indurés, ou recouverts par un voile de calcite. Leur
impact visuel, préoccupation fondamentale en matière de
conservation, dépend de multiples paramètres : localisation,
couleur, présence de halos, taille, densité qui peuvent
affecter ponctuellement ou de manière ponctuelle ou
généralisée, les champs ornés. La méthode est destinée à
évaluer les risques qu’ils font courir aux œuvres pariétales et
à reconnaître les paramètres susceptibles de contrôler leur
développement.
2 - Méthode développée :
mesures et enregistrements
colorimétriques des surfaces
Afin de mener une étude métrologique de l’aspect des
vermiculations dans les deux grottes retenues, nous avons
adapté la méthode classique d’automatisation des
enregistrements colorimétriques de surfaces. Cette
dernière est par ailleurs déjà appliquée pour l’étude, la
conservation et la restauration du patrimoine (Concha-
Lozano et al. 2011, 2013). Transposée aux grottes ornées,
elle devrait permettre l’enregistrement et la quantification de
toute manifestation visible des modifications apparaissant
sur les parois. La signature couleur de chaque agrégat peut
informer à la fois sur la nature de ses constituants
(minéraux et/ou organiques) et sur leur distribution spatiale.
Dans cette perspective, nous avons complété l’étude
colorimétrique par l’analyse d’agrégats prélevés sur le
calcaire et la calcite : observations en microscopie
électronique à balayage (MEB) couplée à un système
d’analyse X (EDX) et microdiffraction des rayons X (voir
Plassard et al. ce volume). Ce travail sur les vermiculations
réalisé dans le cadre de l’ANR MADAPCA constitue une
première étape de caractérisation de différents processus
d’altération des parois des grottes ornées.
2.1 - Cahier des charges pour les grottes
La mise en œuvre de la méthode en grotte permet de
contrôler totalement l’éclairage de la surface étudiée. Ce
dernier doit répondre à plusieurs contraintes :
- ne pas produire de chaleur excessive ;
- émettre un spectre continu qui couvre toutes les
longueurs d’onde du domaine visible de façon équilibrée
(éclairage de type « lumière du jour ») ;
- produire un flux lumineux uniforme selon un angle solide
suffisamment ouvert pour éclairer de façon homogène les
surfaces étudiées ;
- être régulé, c’est-à-dire produire un signal lumineux
constant au cours du temps, afin de garantir la
reproductibilité des conditions d’éclairement lors de prises
de vue successives.
L’étude de la typologie morphologique des vermiculations
et de leur signature couleur répond à deux préoccupations :
- prendre en compte le fait que la distribution spatiale de la
couleur constitue une donnée importante sur la répartition
des particules dans l’agrégat et son entourage ;
- analyser leurs caractéristiques morphologiques ou
texturales à partir d’informations extraites de cartographies
construites sur la base de mesures colorimétriques
(segmentation pour extraire les agrégats). Les éventuels
filtrages de l’image avant segmentation doivent être
minimisés et limités à la correction de critères physiques
n’affectant pas la signature couleur.
En effet, il convient d’éviter toute perte d’information,
notamment dans les zones de recouvrement moins denses
telles que les bordures des agrégats.
L’appareil photographique numérique choisi pour la capture
des informations couleur doit répondre à plusieurs critères :
- fonctionner sous faible éclairement ;
- être calibré afin de produire une image couleur codée
dans un espace colorimétrique standard (X, Y, Z défini par
la Commission internationale de l’éclairage - CIE - en1931,
par exemple) ;
- fournir une précision suffisante pour permettre l’analyse
des variations observées sur les zones de vermiculations.
2.2 - Mise en forme de l’information couleur
contenue dans l’image
Les images acquises selon ce cahier des charges doivent
pouvoir être exploitées de façon simple. Il est donc
nécessaire de sélectionner des attributs couleur pertinents
afin de produire des cartographies qui permettent de
discerner des ensembles distincts ayant une signification au
sens physique ou au sens perceptif du terme (distinction
entre fond rocheux et zone pigmentée, distinction entre
matière pigmentaire employée par l’artiste et matière
colorée naturelle issue d’un processus d’altération/transport,
par exemple). L’objectif de la mise en forme de l’information
couleur est de générer des cartographies en niveaux de gris
codant un attribut sous forme d’une valeur mesurée
(scalaire).
Les éléments étudiés font classiquement l’objet d’un
examen visuel et d’une description basée sur des critères
perceptifs. C’est pourquoi nous avons choisi de représenter
les données sous forme de cartes d’attributs perceptifs,
comme la clarté, la teinte ou la saturation, en codant la
couleur dans l’espace CIE L*a*b* 1976 qui permet une
évaluation quantitative de ces attributs (Schanda 2007) :
- en coordonnées cartésiennes pour les plans L (clarté), a
(axe rouge-vert) et b (axe jaune-bleu) ;
- en coordonnées cylindriques pour les plans teinte et
saturation.
Étude des vermiculations par caractérisations morphologique, chromatique et chimique.
L’exemple des grottes de Rouffignac et de Font-de-Gaume (Dordogne, France)
313
3 - Premiers essais en grotte et résultats
Afin de tester les potentialités de la méthode, nous avons
réalisé une série d’essais dans les grottes de Rouffignac et
de Font-de-Gaume. Le matériel utilisé (fig. 1) a été :
- un éclairage halogène filtré UV de température de couleur
4700 Kelvin ;
- un appareil photographique numérique reflex (Nikon
D700), dont nous avons calibré le capteur CMOS à l’aide
d’un spectroradiomètre (Konica-Minolta CS2000).
Pour assurer la reproductibilité du positionnement des
éclairages, nous avons fixé les lampes directement sur le
pied de l’appareil photographique.
3.1 - Vermiculations du secteur d’entrée
de la grotte de Rouffignac
Des vermiculations, généralement de forme hiéroglyphique
irrégulière (Parenzan 1961 ; Bini et al. 1978), sont
présentes sur certaines parois à proximité du « mur des
Religions », près de l’entrée de la grotte. Un suivi
photographique, mené indépendamment du protocole
présenté ci-dessus par l’un d’entre nous (FP) pendant plus
d’un an et demi sur la paroi gauche de la galerie, une
quinzaine de mètres après le mur de l’entrée, n’a détecté
aucune évolution: ni nouveaux agrégats, ni changement de
forme.
3.1.1 - Apports de l’analyse colorimétrique
Différentes cartographies des enregistrements colorimétriques
(images couleur calibrées) ont été réalisées (fig. 2). Elles
correspondent à la décomposition des images selon des
attributs couleur:
- composante du système CIE L*a*b* : clarté « plan L »,
couleurs sur un axe vert-rouge « plan a » et bleu-jaune
« plan b » (fig. 2.2, 2.3 et 2.4) ;
- saturation (chroma) «plan c », en référence à l’aspect plus
ou moins délavé d’une couleur (Sève 1996) (fig. 2.5) ;
- angle de teinte (hue) « plan h », exprimé en degrés
(fig. 2.6).
Si les agrégats apparaissent un peu plus distinctement sur
le plan b que sur le plan a, c’est sur le plan c qu’ils
contrastent le plus avec leur environnement. C’est donc ce
plan que nous avons retenu pour caractériser leur
morphométrie. Ce contraste révèle que le support est
moins saturé et que le processus engendre des gradients
locaux de saturation dus à une concentration de la matière
colorée dans les agrégats. En revanche, l’angle de teinte
(planh), qui ne constitue pas un critère discriminant, montre
que les agrégats ne s’identifient pas à une teinte distincte.
Dans ces conditions, il apparaît vraisemblable que la
matière concentrée dans les vermiculations résulte d’une
remobilisation de résidus fins d’altération de la roche et de
poussières qui recouvrent la paroi (« crasse des siècles »
de H. Breuil ; Capitan,Breuil et Peyrony 1910) en lui
conférant une teinte similaire.
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Les arts de la Préhistoire : micro-analyses, mises en contextes et conservation.
Chapitre 3 : CONSERVER 3a - Caractériser les altérations
Figure 1 - Principe de l’acquisition des données couleur par prises de vues calibrées.
Figure1 - Example of acquisition of color data by calibrated views.
Figure 2 - Cartographies des enregistrements colorimétriques d’une portion de paroi avec des vermiculations de la grotte de Rouffignac.
Figure 2 - Mapping of color records of a wall portion with vermiculations in Rouffignac cave.
Étude des vermiculations par caractérisations morphologique, chromatique et chimique.
L’exemple des grottes de Rouffignac et de Font-de-Gaume (Dordogne, France)
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3.1.2 - Apports de l’analyse morphométrique
La segmentation d’image destinée à extraire les agrégats
vermiculés a été faite sans perte notable au niveau des
caractéristiques géométriques des vermiculations. En effet,
l’hétérogénéité du support rocheux (petites variations de
couleur essentiellement dues à la répartition des plages
d’humidité et à la présence d’efflorescences de calcite) qui
apparaît sur l’image couleur initiale peut être compensée
avant l’étape de segmentation. Ce filtrage préalable
n’affecte pas la distribution spatiale des gradients
chromatiques sur lesquels se base l’extraction des
agrégats.
Nous avons sélectionné des portions de paroi planes puis
extrait leurs agrégats par seuillage à partir des informations
de saturation contenues dans le plan c (chroma) (fig. 3).
Différentes mesures ont été réalisées dans chacun des
secteurs étudiés, comme par exemple le taux d’occupation
surfacique des agrégats qui a été estimé voisin de 33 %.
Cette estimation a vocation à être précisée en tenant
compte de la diversité des modes d’agrégation des
vermiculations. L’image seuillée a fait l’objet d’un
étiquetage : chaque groupement connexe de pixels a été
individualisé (l’analyse de l’image numérique a été
effectuée en huit connexes). Ce découpage en un
ensemble d’objets - les agrégats vermiculés connexes - a
ensuite permis une analyse de la morphologie de chaque
agrégat.
3.1.3 - Observations microscopiques et analyses
physico-chimiques
Des agrégats aux couleurs relativement variées: brun clair,
brun (V_Rouf1), noirâtre (V_Rouf2), ont été prélevés sur le
calcaire de la paroi gauche (V_Rouf1) et sur un rognon de
silex (V_Rouf2). L’échantillon d’un placage argileux brun
clair dépourvu de vermiculation est en cours d’analyse afin
de le comparer aux agrégats voisins.
Des observations des échantillons de vermiculations à la
loupe binoculaire et au MEB, ainsi que des analyses
ponctuelles grâce à l’analyseur X couplé au MEB et en
microdiffraction de rayons X, ont mis en évidence le
caractère très hétérogène des agrégats. L’échantillon
V_Rouf1 apparaît ici constitué principalement de calcite, de
quartz et de traces de fer. L’échantillon V_Rouf2 (fig. 4.1 et
4.2) est plus hétérogène, présentant différentes phases
d’éléments à la fois hétérométriques et de natures
diverses : grains de quartz, de calcite, fragments de fossiles
de l’encaissant, aluminosilicates riches en fer et des
microcristaux disséminés de monazite contenant des terres
rares (Cd, Th, U). Ces derniers sont probablement d’origine
détritique.
La similitude de composition des agrégats et des résidus
d’altération du calcaire présents sur la paroi est à
remarquer. Le fait de retrouver les mêmes constituants – y
compris la calcite – dans les agrégats formés sur rognon de
silex que sur la paroi calcaire démontre que le phénomène
de vermiculation mobilise tous ces éléments et peut les
entraîner sur des supports variés.
Les études colorimétriques et physico-chimiques initiées à
Rouffignac tendent à confirmer l’origine locale des
matériaux constituant les agrégats, mais attestent aussi de
déplacements suffisamment conséquents pour que, par
exemple, de la calcite ou des minéraux détritiques viennent
se déposer sur des rognons de silex. Elles montrent la
faisabilité et l’intérêt de l’analyse d’image à partir de
cartographies des mesures chromatiques, la
complémentarité des analyses physico-chimiques et le
potentiel de la méthode proposée pour mieux appréhender
la mobilisation des matériaux fins sur les parois.
3.2 - Vermiculations de la grotte
de Font-de-Gaume
Des vermiculations, généralement fines et allongées, de
forme dendritique, ont été observées sur certaines portions
de paroi dans la seconde partie de la Galerie principale et
dans le Diverticule terminal. Elles peuvent affecter aussi
bien les calcaires encaissants que leurs revêtements
calcitiques.
3.2.1 - Apports de l’analyse colorimétrique
3.2.1.1 - Exemple d’agrégats vermiculés
sur de la calcite
Les agrégats s’observent notamment au fond de la Galerie
principale. Ceux que nous avons étudiés se trouvent sur
une stalactite située près de l’entrée du Diverticule terminal
(fig. 5.1 à 5.5). Le support de calcite blanche présente
localement une plage rougeâtre, rapportable à des
oxydations ou à la présence d’argiles. L’étude
colorimétrique (plans a, b et, plus nettement, plans c et h)
permet de délimiter une zone d’ «influence » dans laquelle
les agrégats s’avèrent plus rougeâtres (fig.5.2 à 5.5). Ils ont
donc concentré de la matière remobilisée et/ou été imbibés
par de l’eau chargée en oxydes de fer et/ou argiles. Dans
l’hypothèse où ils n’auraient pas été imbibés a posteriori,
cette zone d’influence serait indicative de la distance de
migration des matériaux qui constituent les agrégats et
montrerait que le déplacement de matière ne s’est pas
effectué uniquement sous l’effet de la gravité.
3.2.1.2 - Agrégats avec halos sur pigment
(Diverticule terminal)
Les agrégats qui affectent quelques peintures sont parfois
entourés de halos plus clairs qui matérialisent un
appauvrissement local de la couche pigmentaire (vache
n° 29, sur la paroi gauche du Diverticule final ; Capitan,
Breuil et Peyrony 1910) (fig. 5.6 à 5.8). La caractérisation et
le suivi de l’impact du processus de vermiculation sur la
distribution spatiale des pigments appliqués par l’artiste
sont déterminants dans une démarche de conservation.
L’exemple retenu montre des halos formés au sein d’un
pigment brun et partiellement recouverts par des
moisissures grisâtres. Notre démarche a consisté à mettre
en évidence ces halos en produisant une image scalaire (à
316
Les arts de la Préhistoire : micro-analyses, mises en contextes et conservation.
Chapitre 3 : CONSERVER 3a - Caractériser les altérations
Étude des vermiculations par caractérisations morphologique, chromatique et chimique.
L’exemple des grottes de Rouffignac et de Font-de-Gaume (Dordogne, France)
317
Figure 3 - Analyse morphométrique des vermiculations sur une portion de paroi de la grotte de Rouffignac.
Figure 3 - morphometric analysis of vermiculations on a wall portion in Rouffignac cave.
318
Les arts de la Préhistoire : micro-analyses, mises en contextes et conservation.
Chapitre 3 : CONSERVER 3a - Caractériser les altérations
Figure 4 - Quelques observations microscopiques de
vermiculations des grottes de Rouffignac et de Font-de-
Gaume (V_Rouf1, V_Rouf2, FdG1, FdG2) et analyse par
microdiffraction de rayons X de l’échantillon FdG2.
Figure 4 - Some microscopic observations of vermiculations
from Rouffignac and Font-de-Gaume caves (V_Rouf1,
V_Rouf2, FdG1, FdG2) and analyzis by X-ray microdiffraction
of sample FdG2.
Figure 5 - Cartographies des enregistrements colorimétriques de portions de paroi avec des vermiculations de la grotte de Font-de-
Gaume.
Figure 5 - Mapping of color records of wall portions with vermiculations in Font-de-Gaume cave.
Étude des vermiculations par caractérisations morphologique, chromatique et chimique.
L’exemple des grottes de Rouffignac et de Font-de-Gaume (Dordogne, France)
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niveaux de gris) dans laquelle une correspondance
évidente pourrait être établie entre valeur de gris d’un pixel
et degré d’appartenance à la zone de halo. Dans le cas
présenté, c’est le rapport clarté/chroma qui a le mieux
permis d’individualiser les halos de l’image en « gommant »
l’impact des moisissures sur la définition des limites
halos/zone couverte de pigment. Les dimensions
respectives des amas et des halos peuvent ainsi être
mesurées après seuillage de l’image.
La cartographie des angles de teinte discrimine nettement
le support calcaire du pigment tandis que les agrégats ont
la même teinte que le pigment non remobilisé.
L’établissement de profils (fig. 6) renseigne sur le gradient
de teinte induit par la remobilisation de la matière
pigmentaire dans l’environnement des halos. Cette
caractérisation colorimétrique de la transition entre couche
pigmentaire non affectée, agrégats et halos matérialise
bien la redistribution de la matière colorante en zones tour
à tour concentrées et appauvries.
3.2.2 - Observations microscopiques
et analyses physico-chimiques
Nous avons prélevé des agrégats vermiculés présents sur
la stalactite en marge du secteur de l’étude colorimétrique
(FdG2) ainsi que de la « poussière » (FdG1) (« crasse des
siècles ») accumulée sur un replat en paroi gauche de la
Galerie latérale, au niveau du Carrefour, afin de voir si cette
« poussière » a été remobilisée par les vermiculations.
Les observations des agrégats FdG2 à la loupe binoculaire
et au MEB, complétées par des analyses EDX ponctuelles,
ont confirmé leur caractère hétérogène et le fait que,
comme à Rouffignac, ils sont constitués de phases
hétérométriques comportant de la calcite (ici des gros
grains), mais aussi du quartz et une phase argileuse, bien
qu’ils aient été prélevés sur une concrétion (fig. 4.3 et 4.4).
L’échantillon de « poussière » renferme ces mêmes
constituants mais de nombreuses fibres s’ajoutent (fig. 4.5).
Elles pourraient provenir, par exemple, des vêtements des
personnes fréquentant la grotte. Si les processus à l’origine
des vermiculations ont repris les matériaux fins de la
« poussière », ils n’ont donc, en revanche, pas été
capables, dans cet exemple, de mobiliser ces fibres (rôle
des forces électrostatiques ?).
Les études colorimétriques et physico-chimiques que nous
avons initiées à Font-de-Gaume constituent deux
approches complémentaires qui fournissent des
informations sur la mobilisation des matériaux fins en
fonction des différents supports qui caractérisent une grotte
ornée - surface rocheuse, spéléothèmes - avec ou sans
pigment.
Conclusion
Ces exemples illustrent les avantages de la méthode et son
potentiel pour l’étude et la conservation des grottes ornées.
Ils montrent qu’elle autorise un diagnostic susceptible d’être
320
Les arts de la Préhistoire : micro-analyses, mises en contextes et conservation.
Chapitre 3 : CONSERVER 3a - Caractériser les altérations
Figure 6 - Profil sur la cartographie de la teinte montrant les gradients induits par la remobilisation du pigment en agrégats vermiculés.
Figure 6 - Profile on the map of color showing gradients induced by remobilization of pigment in vermiculated aggregates.
étendu à l’ensemble des états de surface des parois et à
l’étude des témoignages pariétaux (Aujoulat 1989). Ils nous
ont permis de poser les bases d’une caractérisation
quantitative - colorimétrique, morphométrique et texturale -
de l’état des parois et de l’évolution de leur aspect dans le
temps par une technique optique, non invasive et adaptée
aux contraintes du milieu souterrain. En outre, l’acquisition
et l’analyse d’images calibrées apportent des informations
sur la couleur qui concernent à la fois des éléments sur le
contenu perceptif de la scène analysée et des
caractéristiques du signal physique non discernables à
l’œil, ce qui démultiplie le potentiel de surveillance. En effet,
notre mémoire des couleurs n’est pas absolue ; il nous est
difficile d’établir de visu des comparaisons entre zones
différentes, particulièrement en cas de variation des
gradients couleurs ou des textures.
Ces premières cartographies couleur et mesures
spectroradiométriques, complétées par des analyses
physico-chimiques et par des expériences en laboratoire,
devraient contribuer à une meilleure compréhension des
mécanismes de vermiculation. Nous avons pour objectif
d’établir des relations entre couleur, nature et état de la
matière pulvérulente et des supports rocheux, de manière
à mieux comprendre l’impact des processus physico-
chimiques impliqués notamment en termes d’altération du
contenu perceptif des œuvres pariétales.
Remerciements
Nous remercions l’équipe de l’ANR MADAPCA, les
membres du C2RMF, J.-J. Cleyet-Merle, G. Lévy, les
guides de la grotte de Font-de-Gaume, É. Chalmin,
S. Hoerlé, ainsi que M.-O. et J. Plassard pour leur aide
dans la réalisation de ce travail. Nous tenons également à
remercier le département Biomatériaux de l’institut Max-
Planck des Colloïdes et Interfaces (Potsdam-Golm,
Allemagne), pour l’accès au microscope électronique à
balayage en mode environnemental.
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