Vivre et mourir sur le site La Tène de Bâle-Gasfabrik (Suisse) – l’étude interdisciplinaire de structures d’habitat choisies et de deux nécropoles donne un aperçu de la société à la fin de l’âge du Fer

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DAVID BRÖNN IMANN – HANNELE R ISSANEN : VIVR E ET MOURIR SUR LE SITE DE LA TÈNE DE BÂLE-GASFABRIK (SUISSE) -
L’ÉTUDE INTER DISCIPLINAIR E DE STRUCTURES D’HABITAT CHOISIES ET DE DEUX
NÉCROPOLES DONNE UN APERÇU DE LA SOCI ÉTÉ À LA FIN DE L’ÂGE DU FER
VIVRE ET MOURIR SUR LE SITE DE LA TÈNE DE BÂLE-
-GASFABRIK (SUISSE) - L’ÉTUDE INTERDISCIPLINAIRE
DE STRUCTURES D’HABITAT CHOISIES ET DE DEUX
NÉCROPOLES DONNE UN APERÇU DE LA SOCIÉTÉ
À LA FIN DE L’ÂGE DU FER
David Brönnimann1 – Hannele Rissanen2
Résumé :
Le projet d’etude interdisciplinaire intitulé « Approaching the li-
ving via the dead : human remains from the Late La Tène site Basel-
Gasfabrik and their cultural-historical interpretations », a permis
de démontrer la grande diversité du traitement des défunts à Bâle-
Gasfabrik. La démarche d’une étude intégrant toutes les disciplines
impliquées livre des résultats de qualité, fondés et ayant fait l’objet de
vastes réexions.
Mots-clés :
La Tène nale, habitat, nécropole, rite s funéraires, interdiscipli-
naire, méthodologie
Abstract:
Life and death at the La Tène site Basel-Gasfabrik (Switzerland) -
- Interdisciplinary examination of selected settlement features and
two cemeteries provide insights into the Late Iron Age world
The interdisciplinary project “Approaching the living via the dead:
human remains from the Late La Tène site Basel-Gasfabrik and their
cultural-historical interpretations” revealed a great diversity in the
treatment of the dead at the site. The integrative approach implement-
ed over the course of the whole project and involving 8 disciplines
lead to more profound and more reected results of a higher quality.
Keywords:
Late La Tène, settlement, burial ground, burial customs, interdisci-
plinary, methodology
1.1. Bâle-Gasfabrik, un habitat de La Tène nale
Le site de Bâle-Gasfabrik, datant de La Tène nale, se
trouve au nord de la ville de Bâle (Suisse), sur la rive gauche
du Rhin. Depuis 1911, année de la découverte, les 15 hectares
que couvre l’habitat n’ont cessé d’être l’objet d’investigations
archéologiques, de même que les deux nécropoles qui s’y rat-
tachent (nécropoles A et B), partiellement dégagées dans les
années 1915, 1917 et 2005-2007 (ill. 1 ; Hecht, Niederhäuser
2011, p. 6-20). Le site de Bâle-Gasfabrik correspond à un ha-
bitat central dont les liens s’étendaient des environs proches
jusqu’au monde méditerranéen (Blöck et al. 2014, Fig. 16.2). Au
sein de la zone d’habitat fouillée, on a pu attester la présence de
plus de 500 fosses de natures diverses (caves, silos, fosses ar-
tisanales, etc.), de fossés, de trous de poteau, de successions de
niveaux archéologiques, ainsi que de plusieurs fours de potiers
et de vestiges d’autres activités artisanales, comme la métallur-
gie du fer et des métaux non ferreux.
Outre dans les deux nécropoles (essentiellement à inhu-
mations), des vestiges humains ont été découverts au sein de
l’habitat : squelettes complets d’individus adultes dans des
fosses et dans des puits, et squelettes d’enfants en bas âge dans
d’autres structures en creux comme des cuvettes, des fossés
ou des trous de poteau (Hüglin, Spichtig 2010 ; Pichler 2011 ;
Pichler et al. 2012a ; 2012b ; 2013 ; Pichler, Rissanen 2015).
Par ailleurs, dans le remplissage de fossés ou de fosses et dans
des remblais, on a retrouvé de nombreux ossements humains
isolés, allant du crâne complet aux petits fragments (Jud 2008 ;
Pichler 2011 ; Pichler et al. 2012b ; 2013). Des conditions de gi-
sement similaires, avec des restes humains provenant de struc-
tures d’habitat, sont connues également aux autres sites, par
exemple à Acy-Romance (F), Danebury (GB), Manching (D)
et à Bad Nauheim (D ; Lange 1983 ; Lange 1989/90 ; Cunliffe
1995 ; Lambot 2007 ; Delattre 2013 ; Hahn 2013 ; Sharples
2014).
1.2. Quand les morts mènent aux vivants – le projet de
recherche
Dans le cadre du projet de recherche nancé conjointement
par le Fonds national suisse (FNS), la Freiwillige Akademische
Avec la collaboration de Kurt W. Alt11, Corina Knipper3, Marlu Kühn1, Sandra Pichler1, Philippe Rentzel1, Brigitte Röder4, Jörg
Schibler1, Barbara Stopp1, Norbert Spichtig2, Werner Vach5, Ole Warnberg6 et Guido Lassau2
1 Institute for Prehistory and Archaeological Science IPAS, Université de Bâle, Suisse
2 Archäologische Bodenforschung des Kantons Basel-Stadt, Suisse
3 Curt-Engelhorn-Zentrum Archäometrie, Mannheim, Allemagne
4 Ur- und Frühgeschichtliche und Provinzialrömische Archäologie, Université de Bâle, Suisse
5 Center for Medical Biometry and Medical Informatics, Université de Fribourg-en-Brisgau, Allemagne
6 Institute of Anthropology, Johannes Gutenberg-Universität Mainz, Allemagne
https://doi.org/10.5817/CZ.MUNI.P210-8822-2017-14

INTERDISCIPLINARITÉ ET NOUVELLES APPROCHES DANS LES RECHERCHES SUR L’ÂGE DU FER
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Gesellschaft Basel et le service archéologique du canton de
Bâle-Ville, intitulé « Quand les morts mènent aux vivants.
Restes humains sur le site La Tène nale de Bâle-Gasfabrik et
leur interprétation historico-culturelle », les vestiges humains
découverts au sein de l’habitat et dans les deux nécropoles ont
fait l’objet d’analyses poussées, de même que les structures qui
leur sont associées. Le projet regroupe des chercheurs issus de
huit disciplines distinctes – archéologie, archéoanthropologie,
biochimie (analyses isotopiques), ADN fossile, archéozoolo-
gie, archéobotanique, géoarchéologie et statistique. Au total,
14 spécialistes, rattachés à trois universités différentes ou au
service archéologique du canton de Bâle-Ville, ont relevé le
dé.
L’objectif du projet était de restituer la multiplicité du trai-
tement des défunts sur le site de Bâle-Gasfabrik, an de mieux
cerner les conditions de vie, les structures sociales et les rap-
ports (géographiques) entre les « vivants ». Dans ce but, on
a adopté une approche intégrant tous les domaines concernés :
les résultats de chaque discipline ont fait l’objet de plusieurs
discussions en plénière, et ont été replacés dans des hypothèses
communes. Ces dernières ont été réévaluées lors des recherches
propres à chaque domaine, permettant de procéder à une véri-
cation en continu par les diverses disciplines, au cours d’un
processus récurrent. Ce choix d’approche est exigeant, tant en
personnel qu’en temps, mais se justie au vu des résultats ob-
tenus : les intenses discussions interdisciplinaires aboutissent
à des conclusions raisonnées et bien étayées, grâce au ux d’in-
formation circulant entre les disciplines et à un entrelacs de
données issues de tous les horizons ; chaque domaine bénécie
ainsi d’une meilleure autoréexion.
Passons à la présentation de deux sous-projets, dont les ré-
sultats illustrent parfaitement l’aboutissement d’une démarche
intégrant diverses disciplines. Ils correspondent à des thèses de
doctorat réalisées dans le cadre du projet de recherche (Hannele
Rissanen, archéologie), respectivement à un projet subséquent
venant de démarrer (David Brönnimann, géoarchéologie, voir
chap. 3). Dans le cadre de sa thèse portant sur les vestiges hu-
mains découverts à Bâle-Gasfabrik et sur leur interprétation
historico-culturelle, Hannele Rissanen étudie les sépultures
des nécropoles, sans oublier les structures découvertes au sein
de l’habitat caractérisées par la présence de squelettes com-
plets. Cette thèse a pour objectif de proposer une synthèse des
gestes réalisés autour des cadavres, et de dégager une interpré-
tation historico-culturelle des phénomènes observés.
2. Résumé des résultats de deux sous-projets
2.1. Les sépultures dans les nécropoles A et B
Les deux nécropoles ont à ce jour livré près de 200 inhuma-
tions, avec des individus appartenant aux deux sexes et à toutes
les classes d’âge. Les squelettes découverts lors des fouilles de
2005-2007 constituent un échantillon représentatif de la popu-
lation vivant à l’époque, caractérisée par une forte mortalité
infantile, en particulier parmi la classe d’âge la plus jeune. La
pauvreté du mobilier funéraire mis au jour dans les sépultures
fouillées en 1917 est à mettre sur le compte des méthodes de
documentation de l’époque. En effet, les travaux récents ont li-
vré un abondant mobilier funéraire, en particulier pour le fer :
seule une partie des objets découverts en 1917 aura été récoltée
(Pichler et al. 2013 ; Rissanen et al. 2013).
Les tombes d’enfants recèlent davantage de mobilier que
les sépultures d’adultes mises au jour dans les deux nécropoles.
On dénombre essentiellement des perles (formant des colliers),
des pendentifs en forme de rouelles et des bules. Parmi les
sépultures d’enfants, celle d’un individu âgé de cinq ans (né-
cropole A, tombe 15) sort du lot : l’enfant inhumé portait des
parures à sa taille, mais aussi des bijoux ou des éléments du
costume conçus pour une femme adulte. On avait placé auprès
de lui une chaîne de ceinture mesurant plus d’un mètre de lon-
gueur, un grand bracelet en verre et une bague, le tout disposé
à la hauteur des hanches, imitant ainsi le port correct de ces
objets. Deux bules maintenaient le mobilier sur des textiles
et sur une peau de mouton. Les analyses isotopiques et l’étude
anthropologique révèlent que, comme de nombreux enfants in-
humés dans les nécropoles de Bâle-Gasfabrik, le petit défunt
avait été allaité longtemps et souffrait de carences alimentaires
et de diverses maladies (Rissanen, Alder 2011 ; Rissanen et al.
2013).
2.2. La fos se n° 321 : sépulture ou évacuation de déchets ?
Un autre sous-projet se consacre à la fosse n° 321 (ill. 2).
Il s’agit d’une fosse de forme polygonale, mesurant environ
3 × 3 m pour une profondeur de 2,7 m et dont on ignore la fonc-
tion première (Pichler et al. 2014, p. 57-58). Les squelettes de
deux hommes jeunes se trouvaient dans le remplissage de la
fosse, qui a en outre livré des milliers de tessons de céramique
et d’ossements d’animaux, de même qu’un abondant mobi-
lier archéologique en général. Dans ce contexte, on a cherché
Illustration 1 : Plan de l’habitat avec les nécropoles A et B ainsi que la
fosse 321.

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L’ÉTUDE INTER DISCIPLINAIR E DE STRUCTURES D’HABITAT CHOISIES ET DE DEUX
NÉCROPOLES DONNE UN APERÇU DE LA SOCI ÉTÉ À LA FIN DE L’ÂGE DU FER
à savoir quelles étaient les circonstances ayant conduit à la pré-
sence des défunts dans la fosse : « évacuation » de deux morts
dans une structure utilisée ultérieurement comme fosse à détri-
tus, ou inhumations éventuellement accompagnées de mobilier
funéraire ?
2.2.1. Restitution du processus de remplissage
Grâce à l’application de méthodes géoarchéologiques, on
est parvenu à restituer le processus de remplissage et à attri-
buer les diverses strates à des complexes de couches précis
(complexe stratigraphique A-I, ill. 2). On a ainsi pu démon-
trer que la fosse, après son utilisation première, a rapidement
été comblée aux deux tiers (complexe stratigraphique A-D).
Ensuite, les deux morts ont été déposés dans la fosse avant
d’être recouverts de sédiments identiques (complexe stratigra-
phique E). Enn, l’égalisation récurrente de niveaux sédimen-
taires riches en mobilier (complexe stratigraphique F-H) a dé-
bouché sur d’autres processus de remplissage encore. On peut
donc interpréter le remplissage initial, le dépôt des corps et leur
recouvrement comme un processus cohérent.
2.2.2. Repérer les particularités
À l’aide de méthodes bioarchéologiques, géoarchéologiques
et statistiques, on a tenté de caractériser les « déchets d’habitat
normaux » retrouvés dans la fosse. Grâce à des critères tapho-
nomiques, on est parvenu à démontrer que la majeure partie
du mobilier archéo(bio)logique présentait une « biographie »
semblable. Des calculs statistiques ont en outre permis d’éta-
blir que, au sein du remplissage de la fosse, on ne discerne que
peu de différences importantes sur le plan statistique, dans les
domaines de la fréquence et de la conservation des artefacts.
Trois fœtus de porcs font gure d’exception, de même que
plusieurs trouvailles isolées particulières, comme une bourse
recelant neuf potins, un coin monétaire ou une écuelle et une
bouteille en céramique parfaitement conservées. Ces objets in-
habituels se trouvaient au bas des complexes stratigraphiques
A-E, que l’on estime correspondre à des processus de remplis-
sage formant un tout.
2.2.3. Qui sont les défunts ?
Sur la base des analyses archéoanthropologiques et biogéo-
chimiques, on a pu attester que les deux individus d’âge jeune
et de sexe masculin présentaient une biographie identique, tant
sur le plan des caractéristiques individuelles (blessures, etc.)
que de leur alimentation, phénomène valable bien sûr aussi
pour le dernier traitement qui leur a été réservé : ils ont été
déposés ensemble dans une fosse.
2.2.4. Interprétation
Les résultats de l’étude pluridisciplinaire de la fosse d’ha-
bitat n° 321 révèlent que les deux individus déposés dans la
fosse n’y avaient pas simplement été évacués, mais bel et bien
inhumés. C’est en effet ce qu’indiquent le remplissage rapide
de la fosse, le fait que les défunts y aient été placés avec soin
et qu’ils aient été recouverts de sédiments d’origine catégori-
quement anthropique (« déchets d’occupation ») avec, au cours
de ce processus, le dépôt de plusieurs objets singuliers et peut-
être d’offrandes alimentaires. L’ensevelissement de ces deux
Illustration 2 : Relevé de la coupe traversant la fosse 321, avec la position des squelettes et les complexes stratigraphiques A-I, dénis par la géoarchéologie.

INTERDISCIPLINARITÉ ET NOUVELLES APPROCHES DANS LES RECHERCHES SUR L’ÂGE DU FER
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hommes dans la fosse illustre bien la variété des gestes dont les
habitants de Bâle-Gasfabrik entouraient les défunts.
Résumé et perspectives
Le projet d’élaboration interdisciplinaire intitulé « Approa-
ching the living via the dead : human remains from the Late
La Tène site Basel-Gasfabrik and their cultural-historical in-
terpretations », a permis de démontrer la grande diversité du
traitement des défunts à Bâle-Gasfabrik. La démarche d’une
étude intégrant toutes les disciplines impliquées livre des résul-
tats de qualité, fondés et ayant fait l’objet de vastes réexions.
Cette optique interdisciplinaire a débouché sur l’émergence de
nombreux questionnements et de problématiques nouvelles,
comme par exemple celles des activités ayant mené à la for-
mation des niveaux archéologiques, interprétés dans les fosses
comme remplissages et « déchets d’occupation ». Quels sont
les phénomènes à l’origine de la présence du mobilier ? Quel
traitement les objets et les divers matériaux ont-ils subi avant
de parvenir dans la fosse ? Pour être en mesure de répondre
à ces questions, il est indispensable de cerner les activités
récurrentes pratiquées au sein de l’habitat. Dans ce but, on
a lancé il y a peu un nouveau projet de recherche, qui s’inté-
ressera à une zone bien conservée à l’intérieur de l’habitat de
Bâle-Gasfabrik, dans la même optique interdisciplinaire et in-
tégrative que celle pour laquelle on avait opté précédemment.
Ici, la géoarchéologie joue un rôle central, avec la thèse de
doctorat de David Brönnimann intitulée « Geoarchäologische
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der spätlatènezeitlichen Siedlung Basel Gasfabrik ».
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David BRÖNNIMANN - Doctorant
Directeur de thèse : Philippe RENTZEL
Afliation : Université de Bâle, Institute for Prehistory
and Archaeological Science IPAS (Suisse)
Email : david.broennimann@unibas.ch
Hannele RISSANEN - Doctorante
Directeur de thèse : Brigitte RÖDER
Afliation : Université de Bâle, Archäologische Bodenforschung
des Kantons Basel-Stadt/Ur- und Frühgeschichtliche
und Provinzialrömische Archäologie (Suisse)
Email : hannele.rissanen@bs.ch