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Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 85
Un spectre hante l’Europe – le
spectre d’un mouvement des livreurs
de repas. La première grève menée par
des coursiers Deliveroo au sujet de leur
rémunération a eu lieu à Londres durant
l’été 2016. Depuis, souvent avec le sou-
tien de syndicats relativement petits et
militants, des actions directes ont visé
d’autres plateformes de livraison de repas
au Royaume-Uni et dans plusieurs villes
européennes (Cant, 2017). La Belgique ne
fait pas exception : ici aussi, les livreurs
luttent contre le salariat déguisé, le travail
précaire et les modèles de rémunération à
la tâche. En s’appuyant essentiellement sur
des sources secondaires, cet article étudie
la manière dont ces plateformes obligent
les syndicats belges, présents depuis long-
temps sur un marché du travail fortement
institutionnalisé, à repenser leurs modes
d’action. Quels syndicats ou collectifs
s’efforcent d’organiser les livreurs de
repas ? Quelles techniques ont-ils adopté
jusqu’à présent ? Et pour quels résultats ?
An de mieux comprendre l’ap-
proche des syndicats à l’égard des li-
vreurs, cette problématique sera abordée
sous deux angles : la nouvelle réglemen-
tation belge applicable au « capitalisme
de plateforme » et les stratégies actuelles
des syndicats à l’égard de l’évolution des
structures de pouvoir (McAlevey, 2016).
Historiquement, la notion d’organizing
a contribué à forger l’identité des syn-
dicats belges, mais, au moins depuis les
années 1990, la plupart d’entre eux ont
essentiellement combiné advocacy et
mobilisation 1. Nous nous efforcerons de
montrer que les syndicats, par ailleurs,
recourent davantage à ce second mode
d’action depuis la crise économique
de 2008, sans renoncer totalement au
* Chercheur auprès de l’Institut syndical européen (European Trade Union Institute, ETUI), à Bruxelles.
E-mail : kvandaele@etui.org. Cet article a été traduit de l’anglais par la société Architexte.
1. Les syndicats disposent de trois stratégies pour impulser des changements : l’advocacy, qui
pourrait se traduire par l’intervention des syndicats en tant que porte-parole des travailleurs
pour la défense de leurs intérêts, la mobilisation et l’organizing. Contrairement aux stratégies de
mobilisation et d’organizing, la participation des travailleurs est presque absente de la stratégie
d’advocacy. Toutefois, tandis que la stratégie de mobilisation, qui est impulsée par le haut (top-
down), requiert la participation de militants et travailleurs déjà impliqués, ce sont les travailleurs
de base eux-mêmes qui mènent et ont la maîtrise du process de changement dans le cas du
« deep organizing ». Cette dernière stratégie requiert d’ailleurs du personnel qualié et experi-
menté.
Belgique
Les syndicats sur le qui-vive
pour soutenir les travailleurs des plateformes :
l’exemple des livreurs de repas
Kurt VANDAELE *
BELGIQUE
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017
86
premier. Dans le même temps, le mou-
vement des livreurs de repas peut offrir
aux syndicats des opportunités de consti-
tuer des expériences d’organizing à petite
échelle, voire de revenir à une stratégie
d’organizing plus systématique. Ces li-
vreurs, de fait, présentent généralement
un prol intéressant, car ils sont souvent
jeunes : en entrant en contact avec eux et
en prenant part à leur lutte, les syndicats
peuvent démontrer qu’ils jouent un rôle
important dans le processus de transition
de l’école au monde du travail 2.
La première partie de cet article fait
état des tendances récentes de la syndica-
lisation. La deuxième montre comment,
après l’arrivée du gouvernement Michel
en 2014, les possibilités de défense des
intérêts des travailleurs ont été réduites,
en l’absence notamment des partis socia-
listes francophone et néerlandophone au
sein du gouvernement, ainsi que du parti
chrétien-démocrate francophone. D’où le
recours accru des syndicats à une stratégie
de mobilisation, comme on le verra dans la
troisième partie. La partie suivante étudie
le cas des livreurs de repas, qui font l’objet,
comme on le verra dans la dernière par-
tie, de stratégies spéciques de la part des
syndicats. Leur cas est emblématique de la
manière dont le gouvernement actuel fra-
gilise indirectement le pouvoir des syndi-
cats en favorisant l’économie « à la tâche ».
Coup d’arrêt à la longue croissance
du nombre d’adhérents syndicaux
Par le passé, l’association de mobi-
lisations ouvrières d’un côté, et d’une
action politique de l’autre, a débouché sur
la mise en place d’arrangements corpora-
tistes qui ont ancré le rôle des syndicats
dans la société belge (Faniel, 2010). Si les
liens privilégiés entre les syndicats et les
partis politiques chrétiens-démocrates
et socialistes ont toujours eu pour enjeu
la stabilité de ces arrangements, on ob-
serve actuellement une dégradation des
structures sur lesquelles se fondait cette
coalition. D’abord parce que ces liens
se sont distendus au l des ans, notam-
ment du fait que tous ces partis ont mis
en œuvre des politiques néolibérales à
des degrés divers lorsqu’ils étaient au
pouvoir (ou ont échoué à les empêcher)
et, ensuite, parce qu’ils ont perdu de nom-
breux électeurs. Le système de Gand,
en référence à la ville du même nom où
un fonds d’assurance chômage géré par
des organisations syndicales a vu le jour
pour la première fois, est décisif pour
l’ancrage institutionnel des syndicats
dans le marché du travail et le modèle
bismarckien d’État-providence. Ce sys-
tème incite en effet largement les salariés
à adhérer à un syndicat sur la durée, en
particulier pour les catégories fortement
exposées au chômage ou peu qualiées
(Van Rie et al., 2011). Par conséquent, les
trois confédérations syndicales belges,
à savoir la Confédération des syndicats
chrétiens (CSC), la Fédération générale
du travail de Belgique (FGTB), d’inspira-
tion socialiste, et la Centrale générale des
syndicats libéraux de Belgique (CGSLB)
– organisées selon les trois « piliers »
idéologiques traditionnels –, sont actives
dans de nombreux domaines 3. Outre le
2. S’agissant des coursiers Deliveroo, la majorité d’entre eux sont des hommes (89 %), des étu-
diants (84 %), ont entre 18 et 24 ans (84 %) et travaillent moins de 10 heures par semaine (65 %).
SMart, Communiqués de presse, « Dossier sur l’expérience sociale menée par SMart dans les
secteurs des livraisons à vélo en Belgique », Communiqué de presse, 25 octobre 2017, http://
smartbe.be/media/uploads/2014/01/251017-Deliveroo.pdf.
3. Si nous ne mentionnons pas le nom néerlandais de ces organisations et institutions, c’est uni-
quement pour des raisons de place.
LE SOUTIEN DES SYNDICATS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 87
système de Gand, les délégués syndicaux
et l’implantation des syndicats dans les
conseils d’entreprise contribuent à faire
de l’adhésion à une organisation syndi-
cale sur le lieu de travail, en particulier
dans les grandes entreprises, une norme
sociale. À quoi s’ajoute la forte centra-
lisation des processus de négociation
collective.
La Belgique a enregistré une aug-
mentation quasi continue de son taux
de syndicalisation depuis la seconde
guerre mondiale, la dernière diminution
remontant à 1988. La CSC est devenue
la première confédération syndicale à la
n des années 1950. On assiste certes
à une érosion depuis les années 2000,
mais les confédérations sont malgré tout
parvenues à conserver un taux d’aflia-
tion proportionnel à l’augmentation du
nombre de travailleurs (Faniel, Vandaele,
2012). Depuis la n des années 1990, le
taux net 4 de syndicalisation avoisine les
55 %, ce qui fait de la Belgique l’une des
exceptions au processus de « désyndica-
lisation » que l’on observe dans presque
tous les pays européens. Toutefois, les
adhésions à la CSC ont cessé de progres-
ser en 2011 et à la FGTB en 2014 (gra-
phique 1 5). La perte de représentativité
de la CSC est particulièrement marquée
dans les provinces amandes et dans les
secteurs du bâtiment, de l’industrie et des
transports. S’agissant de la FGTB, les
adhésions ont reculé dans l’industrie et
les services, mais ont augmenté dans les
4. Hors chômeurs, retraités, étudiants…
5. Il n’est pas possible de savoir si la CGSLB peut accroître ses effectifs, car les étudiants, qui
sont inclus dans le nombre total de membres du syndicat, n’ont pas à payer de cotisation pour
devenir membres. On ignore quelle est leur proportion.
Graphique1.L’afliationàunsyndicat(horsétudiants)(2007-2016)
* La CGSLB inclut les étudiants.
** Les chiffres de la FGTB sont surévalués mais n’ont pas été corrigés.
Sources : CGSLB, CSC et FGTB.
BELGIQUE
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017
88
secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de
la restauration, ainsi que des transports.
Il faut également noter que, sur la même
période, la FGTB a continué à accueillir
de nouveaux membres en Flandre, tandis
qu’elle en perdait en Wallonie depuis 2013.
Pour le moment, on peut seulement
émettre des hypothèses quant aux causes
Encadré 1
Pas d’attaque frontale contre le système de Gand, mais…
La version belge du système de Gand est un système hybride qui comprend, en
théorie, un mécanisme d’assurance chômage obligatoire. En pratique, il est domi-
né par les syndicats, chargés de la gestion des prestations par le biais de leurs
organismes de paiement (Vandaele, 2006). La Caisse auxiliaire de paiement des
allocations de chômage (Capac), l’entité publique de versement des prestations,
administrée quant à elle par les « partenaires sociaux », ne joue qu’une fonction
mineure dans la mise en œuvre des dispositifs de chômage et de départ en retraite
anticipée. La part des organismes de paiement des syndicats ayant légèrement
augmenté ces dernières années – elle est désormais de 88,5 % en 2016, contre
87,6 % en 2007 –, le rôle de la Capac a encore été réduit (d’après les chiffres des
dépenses consacrées aux allocations chômage 1). En d’autres termes, la diminu-
tion récente du taux de syndicalisation ne peut pas s’expliquer par le développe-
ment de la Capac 2. Pour autant, les mesures d’austérité ont indirectement affaibli
le système de Gand, en augmentant sans doute la probabilité que de nombreux
afliés ne renouvellent pas leur adhésion, de crainte de ne plus pouvoir toucher
les allocations chômage ou de préretraite.
Les mesures d’austérité instaurées par le gouvernement Di Rupo ont ainsi entravé
le fonctionnement quotidien des organismes de paiement, en gelant d’abord le
budget alloué au versement des prestations, puis en le réduisant en 2013. Mais
surtout, ce gouvernement a restreint les conditions d’attribution des prestations
chômage pour les diplômés, en ramenant leur période d’allocation à trois ans de-
puis 2013. S’ils sont toujours sans emploi au terme de cette période, ils ne peuvent
plus prétendre à une indemnisation (sauf dans certains cas). D’où une augmen-
tation signicative du nombre de personnes vivant avec les allocations de revenu
minimum versées par le Centre public d’aide sociale, en particulier depuis 2015, et
notamment à Bruxelles et en Wallonie, où le taux de chômage structurel est plus
élevé qu’en Flandre. De plus, le gouvernement Di Rupo, comme d’autres avant lui,
a continué à affaiblir le principe de non-limitation de la durée de l’indemnisation
chômage en adoptant une grille dégressive pour le versement des prestations, ce
qui, là aussi, a eu pour effet d’accroître le nombre d’allocataires du revenu mini-
mum. Enn, le dispositif de retraite anticipée a été encore restreint, ce qui peut
expliquer la hausse du nombre de travailleurs entrés dans le dispositif prévu pour
ceux atteints d’une affection de longue durée.
1. Ce calcul s’appuie sur les rapports annuels de l’Ofce national de l’emploi : http://www.onem.be/fr/
documentation/publications/rapports-annuels.
2. Les organismes de versement relevant de la CSC perdent du terrain au prot des deux autres confé-
dérations syndicales. Cette tendance n’est pas nouvelle et s’est amorcée avant la baisse du nombre
d’adhérents de la confédération.
LE SOUTIEN DES SYNDICATS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 89
6. La concurrence entre syndicats ne semble pas avoir beaucoup d’impact : si la CGSLB a pu
attirer de nouveaux membres (du moins jusqu’en 2014), cela ne compense pas les pertes enre-
gistrées par les syndicats qui relèvent des deux autres confédérations.
de cette baisse des effectifs, résultat
d’un rapport négatif entre le nombre
de nouveaux syndiqués et de ceux qui
ne renouvellent pas leur adhésion 6.
Mais, compte tenu du système de Gand,
les réformes du système d’assurance
chômage décidées par le gouvernement
Di Rupo (2011-2014) – lequel réunissait
des membres des partis socialistes, des
partis chrétien-démocrates et des partis
libéraux – expliquent probablement la
baisse du nombre d’adhérents syndicaux
(enc a d r é 1).
En outre, à la suite de la crise écono-
mique de 2008, le chômage a augmenté
dans l’industrie et la banque, ainsi que
dans l’assurance, secteurs où l’essor du
numérique a également eu des répercus-
sions sur l’emploi. Rien d’étonnant, dès
lors, à ce que la baisse du taux de syn-
dicalisation soit particulièrement forte
dans ces secteurs. La crise a d’abord tou-
ché l’industrie amande, dont l’économie
est orientée vers l’exportation. La CSC
étant aussi la principale confédération de
la région, cela pourrait expliquer pour-
quoi elle est la plus affectée par l’érosion
de ses effectifs dans la lière métallur-
gique. De fait, en général, le nombre de
salariés a régressé en 2009, 2013 et 2015,
ce qui laisse à penser que la densité syn-
dicale est restée relativement stable de-
puis la crise de 2008. En même temps,
la progression plus ou moins continue
enregistrée actuellement par les syndi-
cats afliés à la FGTB dans l’administra-
tion et les services publics peut indiquer
que le personnel recherche la protection
d’un syndicat contre les mesures d’aus-
térité ampliées depuis la nomination de
Charles Michel comme Premier ministre
en 2014.
La sape des structures
de défense des intérêts
destravailleursdepuis2014
Depuis les dernières élections fédé-
rales, l’équilibre politique en Belgique a
été considérablement modié. Le parti
indépendantiste et nationaliste amand,
la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA,
Alliance néo-amande), est devenu le
premier parti de la communauté amande
à compter de 2010. Il a formé en octobre
2014 un gouvernement fédéral avec
le Christen-Democratisch en Vlaams
(CD&V, Parti chrétien-démocrate a-
mand) et les partis libéraux amand,
l’Open Vlaamse Liberalen en Democra-
ten (Open VLD) et francophone, le Mou-
vement réformateur (MR). Le système de
Gand est manifestement une épine dans
le pied des partis libéraux et des natio-
nalistes amands membres du gouver-
nement Michel, qui critiquent régulière-
ment le rôle prépondérant des syndicats.
Il a du reste été la cible de nouvelles me-
sures d’affaiblissement dans la continuité
du gouvernement précédent : réduction
de la durée de versement des prestations
pour les diplômés, renforcement de la dé-
gressivité de l’indemnisation, durcisse-
ment des conditions de départ en retraite
anticipée (encadré 1). Cependant, il n’a
jusqu’à présent pas été possible d’abo-
lir le système de Gand : la présence au
sein du gouvernement du Parti chrétien-
démocrate amand, historiquement
proche de la CSC, garantit que cela ne se
produira pas… au cours de la législature
actuelle tout du moins. Dans l’ensemble,
l’ancrage institutionnel des syndicats n’a,
pour le moment, presque pas été touché.
La Belgique étant dotée d’un système
BELGIQUE
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017
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électoral à la proportionnelle qui favorise
les coalitions, l’évolution des politiques
publiques sociales et économiques se fait
davantage par petites touches que par
transformations radicales. Néanmoins,
les politiques mises en œuvre par la N-VA
et les partis libéraux se heurtent à la ré-
sistance des syndicats, dont elles sapent
le rôle en restreignant la négociation col-
lective, en encourageant la exibilisation
du marché du travail et en promouvant le
capitalisme de plateforme (voir infra).
La suspension du mécanisme d’in-
dexation automatique des salaires sur
l’ination, le gel quasi complet des rému-
nérations en 2015 et 2016 et un nouveau
durcissement de la loi sur la norme sala-
riale en 2017 ont abouti à une contraction
des salaires, qui a également continué
d’entraver la négociation collective. L’âge
de départ en retraite a été porté de 65 à
67 ans (à compter de 2030) et le gouver-
nement s’efforce de exibiliser le marché
du travail, par l’introduction des « exi-
jobs » en décembre 2015 (encadré 2),
mais aussi en assouplissant la réglemen-
tation sur le travail des étudiants et les
heures supplémentaires, en annualisant
le temps de travail, en instaurant un sys-
tème de bonus individuel (qui ne requiert
pas l’aval des syndicats) et en dérégle-
mentant le travail de nuit et le travail le
dimanche dans le commerce en ligne.
Ce faisant, le gouvernement a souvent
négligé, voire contourné, les institutions
de dialogue social, provoquant ainsi des
manifestations et des grèves de grande
ampleur. La NV-A, quant à elle, prote
de ces mouvements sociaux pour mener
une campagne, particulièrement active
sur les réseaux sociaux, de dénigrement
des syndicats. Cette tactique n’est certes
pas nouvelle, mais elle a pris une ampleur
inédite depuis la nomination de Charles
Michel (Zienkowski, De Cleen, 2017) 7.
Encadré 2
Favoriser un second emploi avec les exi-jobs
Les exi-jobs sont des emplois faiblement rémunérés, mais pour lesquels les
cotisations patronales sont réduites et les cotisations salariales nulles. Tous les
travailleurs qui ont déjà un emploi auprès d’un employeur sur une base de quatre
jours par semaine (4/5e) peuvent travailler par ailleurs en exi-job. À l’origine, cette
mesure ne concernait que le secteur de la restauration et avait pour but de lutter
contre le travail non déclaré (en contournant l’accord collectif de branche), mais,
pour le Open VLD, elle a fonction de test pour ce que certains appellent la « nou-
velle économie ». Le gouvernement, par un accord conclu à l’été 2017, a auto-
risé les exi-jobs dans d’autres activités (supermarchés, boulangeries, bouche-
ries, salons de coiffure, hôtels, etc.) dès 2018, et pour les retraités. Les syndicats
craignent que ces exi-jobs ne deviennent la norme dans ces secteurs, en plus
de fragiliser le système de sécurité sociale fondé sur les cotisations salariales et
patronales.
7. Par ailleurs, le gouvernement a adopté en novembre 2017 une loi de « service minimum » en
cas de grève des cheminots. C’est d’autant plus surprenant que, jusqu’à présent, le droit de
grève en Belgique suivait la jurisprudence.
LE SOUTIEN DES SYNDICATS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 91
Les syndicats se tournent
vers une stratégie de mobilisation,
en lien avec les mouvements sociaux
Devant l’affaiblissement des struc-
tures favorisant la défense des intérêts
des travailleurs depuis la formation du
gouvernement Michel, les syndicats se
sont en grande partie tournés vers une
stratégie de mobilisation. Si, au sein des
confédérations et de leurs syndicats res-
pectifs, tous ne sont pas d’accord sur l’ap-
proche à privilégier, il ne fait aucun doute
que la stratégie de mobilisation n’est pas
un concept nouveau en Belgique (enca-
dré 3). Il s’agit, entre autres, de nouer
des alliances avec d’autres organisations,
ce que les syndicats ont récemment fait
en collaborant avec un mouvement de
citoyens baptisé « Tout autre chose ». Un
mouvement néerlandophone similaire
s’est constitué peu après l’élection du
gouvernement fédéral et des gouverne-
ments régionaux actuels, en réaction aux
mesures d’austérité annoncées, alors que
« Tout autre chose » a été fondé au prin-
temps 2015 (Govaert, 2015). Ces deux
organisations ont renforcé la stratégie de
mobilisation des syndicats en apportant
un répertoire d’actions axé sur les droits
des citoyens, ainsi qu’un contre-discours
structuré autour de thématiques comme
la solidarité, la diversité et l’équité. Le
poids de ce mouvement reste toutefois li-
mité, par comparaison avec d’autres pays
du sud de l’Europe plus durement frappés
par les mesures d’austérité, tandis que,
du côté amand, on observe des tensions
internes quant à la direction à prendre
(Oosterlynck et al., 2017 ).
Depuis 2010, en particulier dans les
services publics, durement touchés par
les coupes budgétaires, les mouvements
sociaux et les grèves se sont ampliés
pour protester contre les politiques d’aus-
térité, mais aussi contre la exibilisation
du marché du travail (Vandaele, 2017).
Le gouvernement Michel est devenu le
deuxième gouvernement le plus contes-
té en nombre de jours de mobilisation
Encadré 3
Campagnes et réseaux de la société civile : l’expérience de syndicats
Le vaste champ d’action des syndicats belges s’illustre par leur capacité à s’allier
avec la société civile, à l’instar du mouvement pour la paix des années 1980, anti-
raciste des années 1990 ou altermondialiste plus récemment. Par exemple, les prin-
cipales confédérations et les syndicats qui les composent coopèrent à des cam-
pagnes, comme les Actions Consommateurs Travailleurs pour améliorer les condi-
tions de travail dans l’industrie textile, ou avec des mouvements sociaux, notamment
contre l’exploitation des « sans-papiers ». De plus, à divers niveaux, les syndicats
mènent régulièrement des campagnes publiques ciblant des catégories spéciques
de travailleurs, pour mettre en évidence des aspects qui devraient être mieux enca-
drés. Mentionnons par exemple les actions de sensibilisation comme la « journée
du personnel d’entretien » ou la « semaine des intérimaires », ou contre le dumping
social à l’échelle européenne dans les secteurs du bâtiment et des transports. Les
écarts de salaire entre les femmes et les hommes sont également un sujet récurrent.
Enn, ces dix dernières années, les syndicats se sont efforcés d’axer leur communi-
cation sur la jeunesse (Pulignano, Doeringer, 2014).
BELGIQUE
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017
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depuis 1991, date à laquelle on a com-
mencé à enregistrer ces données. Pour-
tant, à la suite de la grève générale de
24 heures en 2014 contre le recul de l’âge
de départ en retraite, le gel des salaires et
les coupes dans les services publics, l’uti-
lisation de cet instrument d’action qu’est
la grève est loin de faire l’unanimité, tant
au sein des confédérations qu’entre les
organisations. Depuis la crise, d’autres
formes d’expression sont venues complé-
ter le répertoire d’actions des travailleurs.
Outre l’alliance avec « Tout autre chose »,
les syndicats ont pris part à des recours en
justice pour lutter contre la exibilisation
du marché du travail et ont organisé di-
verses actions – rassemblements ciblés,
campagnes ou pétitions en ligne contre
l’austérité, etc. – pour inuencer l’opinion
publique.
Les syndicats belges peuvent compter
sur un grand nombre de militants (mais re-
lativement âgés), dont le rôle est essentiel
pour « huiler » les rouages et lancer les
mobilisations (Andretta, Bosi, della Porta,
2016). Mais, trop souvent, ces personnes
sont vues comme des militants tradition-
nels, ce qui accentue la perception stéréo-
typée que l’opinion publique peut avoir
des syndicats. D’où l’intérêt porté aux
tactiques d’organizing : pour certaines
organisations, il apparaît de plus en plus
important de parvenir à recruter des tra-
vailleurs de base sur les lieux de travail à
présence syndicale, an de mener des ac-
tions à ce niveau (Faniel, 2012). Or, jusqu’à
présent, ce processus d’organizing interne
s’est cantonné aux campagnes pour les
élections sociales permettant de sélection-
ner les candidats syndicaux aux comités
pour la prévention et la protection au tra-
vail ainsi qu’aux conseils d’entreprise. À
certains égards, les méthodes employées
lors de ces élections semblent relever
d’une démarche d’organizing, comme on
a pu l’observer en Espagne, par exemple
(Martínez Lucio, 2017). De fait, la période
qui précède les élections offre aux syn-
dicats la possibilité de s’adresser aux tra-
vailleurs et de dresser la liste des enjeux
sur le lieu de travail, ainsi que d’identier
les militants, à savoir ceux qui sont prêts
à se porter candidats. Mais ces efforts
sont de courte durée et d’ampleur limitée :
les élections sociales se tiennent tous les
quatre ans, et uniquement dans les entre-
prises de plus de 50 salariés pour les co-
mités pour la prévention et la protection
au travail et de plus de 100 salariés pour
les conseils d’entreprise. Par ailleurs, une
fois qu’ils sont choisis ou élus, les délé-
gués syndicaux doivent le plus souvent
s’occuper de « questions pragmatiques ou
du quotidien, voire de conits » (Faniel,
2012:23), et n’ont pas le temps de mettre en
œuvre une véritable stratégie d’organizing,
incluant le recrutement et l’empowerment
des nouvelles recrues sur le lieu de travail.
Au cours des dernières décennies, les ten-
tatives d’organizing à grande échelle, qui
supposent, pour les syndicats, de s’adres-
ser à des travailleurs difciles à atteindre,
et d’intervenir sur des lieux de travail ou
dans des entreprises où ils étaient peu
implantés, ont été quasi inexistantes 8.
Notre position d’observateur externe nous
invite à penser, avec toute la prudence qui
s’impose, que les directions syndicales ad-
mettent de plus en plus la nécessité d’une
démarche d’organizing plus systématique.
Le récent déclin du nombre de leurs adhé-
rents n’est pas étranger à ce changement.
Et l’essor du capitalisme de plateforme,
à l’instar des entreprises de livraison de
8. Avec une exception probable : depuis la n des années 1980, les syndicats de cadres chrétiens-
démocrates sont parvenus à organiser les travailleurs dans le secteur social, en particulier les
travailleurs sociaux et le personnel inrmier.
LE SOUTIEN DES SYNDICATS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 93
repas, peut être l’occasion de tester cette
stratégie.
Les plateformes de livraison de repas
et les nouvelles organisations
de défense des travailleurs
An de mieux comprendre les stra-
tégies syndicales à l’égard des livreurs
de repas, cette partie décrit brièvement
le marché du travail dans le contexte des
plateformes de livraison de repas, le cad re
réglementaire en vigueur (encadré 4) et
les nouvelles organisations destinées à
représenter les intérêts des livreurs. Trois
plateformes de livraison de plats cuisinés
sont actuellement présentes en Belgique.
L’entreprise néerlandaise Takeaway.com
cible principalement le segment de la res-
tauration rapide. Lancée en 2000 et ap-
pelée « pizza.be » jusqu’en février 2017,
l’entreprise a racheté « Just Eat » en
août 2016 9. La société londonienne
Deliveroo s’est implantée sur le mar-
ché belge en commençant par Bruxelles
en septembre 2015 et en évinçant Take
Eat Easy, qui, faute de fonds sufsants,
n’a pas pu proter à temps d’effets de
réseaux 10. Lancée à Bruxelles en 2013,
Take Eat Easy, la première plateforme de
livraison de repas à utiliser une applica-
tion mobile a ainsi mis la clé sous la porte
en juillet 2016. Le Collectif des coursier-
e-s Belgique, un groupe de livreurs auto-
organisés pour défendre leurs intérêts,
est né de cette faillite 11. Enn, la der-
nière venue est la plateforme américaine
UberEats, arrivée sur le marché belge en
octobre 2016 12.
Les plateformes de livraison de repas
utilisant une application mobile s’ins-
crivent dans le modèle de plateformes
locales employant des travailleurs peu ou
moyennement qualiés (De Groen et al.,
2016). Les trois entreprises de livraison
de repas susmentionnées recourent à des
livreurs qui font la liaison entre les res-
taurants locaux et les clients des villes de
grande taille. Mais elles n’emploient pas
leurs livreurs selon les mêmes modali-
tés. Takeaway.com déclare n’employer
que des indépendants. UberEats utilise
un mélange de « sous-traitants indépen-
dants » (soumis au régime scal corres-
pondant) et de livreurs qui relèvent de
la loi De Croo sur le travail occasionnel
(et qui sont donc exemptés d’impôts sur
le revenu, voir encadré 4). C’était, éton-
namment, déjà le cas avant même que la
plateforme soit ofciellement autorisée,
et UberEats a ensuite réglé cette question
avec ses coursiers 13. Enn, la majorité
des livreurs de Deliveroo ne sont pas des
prestataires indépendants, ce qui pour-
rait changer à partir de janvier 2018. Pour
l’instant, ils sont salariés de la Société
mutuelle pour artistes (SMart) – une si-
tuation unique, qui remonte à mai 2016.
D’après Deliveroo, en octobre 2017, 95 %
de ses coursiers avaient signé un contrat
de travail avec la SMart. Établie en 1998,
en Wallonie dans un premier temps,
la SMart avait initialement pour voca-
tion de fournir des services aux indépen-
dants, principalement dans le domaine
9. J. Cardinaels, « Pizza.be slokt Just Eat België », De Tijd, 3 augustus 2016, https://goo.gl/
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10. L. Vanacker, « Failliete Take Eat Easy. “Hadden ego moeten opzijzetten” », De Tijd, 23 novem-
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BELGIQUE
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017
94
Encadré 4
La loi De Croo sur le travail occasionnel,
en faveur du capitalisme de plateforme
En 2016, la loi De Croo, du nom du ministre de la Coopérati on au développement,
de l’Agenda numérique, des Télécommunications et de la Poste, a élaboré une
réglementation sur l’économie collaborative entrée en vigueur en mars 2017.
La version initiale du texte prévoyait la possibilité de réaliser un chiffre d’af-
faires de 5 000 euros maximum par personne et par an, peu taxé, pour toutes
les activités réalisées pour le compte de l’une des plateformes approuvées par
les autorités. La scalité est légère : l’impôt sur le revenu s’élève à 10 % par an
seulement. Il est collecté par les plateformes elles-mêmes. Il n’existe aucune
taxe sur la valeur ajoutée ni cotisations sociales. D’après les informations dis-
ponibles, les recettes générées par ce dispositif avaient atteint 100 000 euros
en novembre 2017, loin des 20 millions d’euros sur lesquels tablait l’État 1. Les
entreprises qui relèvent de l’économie du partage doivent être autorisées par
le ministère des Finances. Actuellement, elles sont 27 à avoir obtenu ce statut.
Si l’accord conclu à l’été 2017 a maintenu, pour l’heure, cette obligation, la
réglementation devrait être signicativement allégée à compter de 2018. Les
salariés à temps partiel travaillant quatre jours par semaine (ou moins) dans
le secteur public ou privé, ainsi que les indépendants et les retraités, pourront
gagner 500 euros par mois, ou 6 000 euros par an, en travaillant occasionnel-
lement (sans protection sociale) 2. Enn, d’autres activités viendront s’ajouter à
celles déjà prises en compte, telles que le travail bénévole dans le secteur socio-
culturel, certains emplois dans des entreprises à but non lucratif, de même
que les services entre particuliers. Les « partenaires sociaux », des organisa-
tions de la société civile et le Conseil d’État ont critiqué ces nouvelles règles,
pour diverses raisons. Les organisations patronales et syndicales dénoncent
le risque qu’elles faussent la concurrence, et pointent leur complexité. Les syn-
dicats en particulier craignent également que les exi-jobs remplacent les em-
plois standards, critiquent le fait que ce statut n’ouvre pas de droits à protection
sociale, affaiblisse encore davantage le système de sécurité sociale, et génère
un manque à gagner au plan scal. Mais les « partenaires sociaux » ont été
tenus à l’écart, puisque leurs conseils et recommandations n’ont pour la plupart
pas été écoutés. Les organisations de la société civile sont préoccupées par
l’aspect disruptif de la loi De Croo, en particulier dans le secteur médico-social.
Le Conseil d’État condamne son caractère discriminatoire, puisque, pour le
même travail, différentes réglementations en matière de cotisations sociales
et d’impôts pourront s’appliquer, et puisque le travail occasionnel ne sera pas
ouvert à tous. Ces changements n’ont pas encore été adoptés par la Chambre
des représentants de Belgique.
1. DDS, « Deeleconomie kost schatkist 150 miljoen euro », De Standaard, 22 november 2017, http://
www.standaard.be/cnt/dmf20171121_03200630.
2. De plus, à condition d’obtenir l’aval de l’Ofce national de l’emploi, les chômeurs peuvent travail-
ler occasionnellement pour les plateformes ofciellement approuvées (mais leurs allocations chômage
seront diminuées en fonction des revenus qu’ils auront obtenus dans ce cadre).
LE SOUTIEN DES SYNDICATS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 95
du spectacle – acteurs et musiciens pro-
fessionnels, par exemple –, de les aider à
effectuer leurs contrats et de leur appor-
ter une protection sociale entre deux pro-
jets (Demoustier, 2009 ; Xhauair et al.,
2017). Puis la SMart a étendu ses activi-
tés à d’autres travailleurs, en s’adressant
à tous les métiers de la création en géné-
ral, dans plusieurs pays européens, dont
la France.
Jusqu’au mois de janvier 2018, la SMart
jouera un rôle d’intermédiaire pour le
versement de salaires : elle procure aux
livreurs Deliveroo un contrat de travail,
et représente leurs intérêts. Elle a en effet
signé un accord avec Deliveroo (comme
auparavant avec Take Eat Easy) 14. Faisant
peu ou prou ofce de syndicat, la SMart
a négocié avec la plateforme pour que les
livreurs obtiennent une rémunération ho-
raire brute garantie 15. Ils doivent également
être payés pour une durée de travail de trois
heures minimum, même s’ils ne réalisent
aucune livraison, faute de commandes. De
plus, les livreurs bénécient d’une assu-
rance responsabilité civile, sont couverts
contre les accidents du travail, reçoivent
une formation sur la sécurité, et l’entreprise
contribue aux frais pour l’entretien de leur
bicyclette et leur consommation de données
mobiles. Or, n octobre 2017, Deliveroo
a unilatéralement décidé de mettre un
terme à son partenariat avec la SMart. À
partir de février 2018, la plateforme consi-
dérera ses livreurs comme des prestataires
indépendants, et les rémunérera 7,25 euros
par livraison, et 5 euros pour les étudiants.
Deliveroo afrme qu’un nouvel algorithme
de gestion permettra d’augmenter le
nombre de livraisons et, partant, la rémuné-
ration (globale) des coursiers. L’entreprise
prévoit une période de transition jusqu’à
n janvier 2018, an que les livreurs dé-
cident s’ils souhaitent changer de statut.
Le cas échéant, ils devraient néanmoins
conserver leur assurance responsabilité
civile, même en tant qu’indépendants, et
Deliveroo devrait également prendre en
charge une forme d’assurance accidents.
En revanche, ils n’auront plus droit à l’en-
semble des autres avantages fournis par
la SMart. Deliveroo a pris cette décision
tout de suite après que le gouvernement
fédéral a annoncé un assouplissement de la
loi De Croo sur le travail occasionnel. Mais
l’entreprise nie tout lien entre cette annonce
et sa décision, soulignant qu’elle n’est pas
concernée par cette loi – contrairement à
UberEats, Deliveroo n’a pas encore déposé
de demande an d’être ofciellement enre-
gistrée comme plateforme dans le cadre de
cette loi. La SMart a réagi en jugeant que
Deliveroo, par cette décision unilatérale,
encourageait les « mini-jobs », et en repro-
chant au gouvernement fédéral de céder au
« lobbying soutenu d’entreprises vouées à
s’aligner par le bas, le très bas 16 ».
Stratégies syndicales
à l’égard des livreurs de repas
et de leur statut d’emploi
Bien entendu, les confédérations syn-
dicales belges et leurs syndicats membres
ne s’opposent pas à la digitalisation de
14. « SMart, Deliveroo en Take Eat Easy gaan voor duurzame werkomstandigheden », 9 mei 2016,
http://smartbe.be/nl/news/smart-deliveroo-en-take-eat-easy-gaan-voor-duurzame-werkom-
standigheden/.
15. Le tarif horaire était xé à 9,49 euros bruts pour un étudiant et à 11 euros pour un travailleur
indépendant. SMart, « Dossier sur l’expérience sociale menée par SMart dans les secteurs des
livraisons à vélo en Belgique », précité.
16. SMart, « Le Gouvernement dérégule, Deliveroo renonce aux coursiers salariés ! », Communi-
qué de presse, 25 octobre 2017, https://goo.gl/8PuMR2.
BELGIQUE
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017
96
l’économie en tant que telle, mais elles
sont sur le qui-vive et suivent attentive-
ment les évolutions dans d’autres pays
(Ulens, 2017). De plus, bien qu’encore
peu nombreux, plusieurs « prestataires
indépendants », dont des coursiers, se
sont syndiqués, alors même que le règle-
ment interne des organisations syndicales
n’autorise pas (encore), ofciellement,
l’adhésion de travailleurs indépendants.
Pour les syndicats, le taux de rotation
très élevé des livreurs et l’atomisation de
leur activité constituent de réelles dif-
cultés. Habituellement, ces organisations
ne considèrent le recours à des « sous-
traitants » que comme du salariat dégui-
sé qui favorise le dumping social sur le
marché du travail belge. Pour défendre
les intérêts de ces indépendants, qui ne
sont pas forcément apparus avec l’essor
du capitalisme de plateforme, les syndi-
cats ont adopté un processus inclusif. En
s’appuyant sur le dialogue social, ils ont
répondu au problème soulevé par les pres-
tataires de plateformes en élaborant une
« stratégie de réduction » (Kahancová,
Martišková, 2011), qui consiste à limi-
ter les disparités entre les travailleurs
réguliers et les travailleurs précaires en
améliorant les conditions de ces derniers.
Comme le suggère le Conseil supérieur
de l’emploi (2016) dans son rapport annuel,
les « partenaires sociaux » au niveau fé-
déral sont convenus, par un accord inter-
professionnel signé en 2016, de réé-
chir à la digitalisation et à « l’économie
du partage » en Belgique. Un premier
rapport a vu le jour en octobre 2017, et
doit servir de base pour des propositions
concrètes (CCE/CNT, 2017). S’agissant
des plateformes numériques commer-
ciales, les partenaires sociaux sont favo-
rables à l’application des règles existantes
et pensent qu’il n’est pas nécessaire de
créer une nouvelle catégorie de travail-
leurs indépendants ou de prestataires
sans personnel. Il convient plutôt, d’après
eux, d’adapter la réglementation exis-
tante aux plateformes numériques, en
envisageant des statuts différents selon
les plateformes 17.
S’agissant de Deliveroo, le ministère
du Travail a indiqué au Parlement fédéral
que l’Ofce national de sécurité sociale et
le Contrôle des lois sociales étudieraient
le problème, tandis que l’inspection du
travail et l’inspection sociale de la ville
de Gand ont annoncé l’ouverture d’une
enquête formelle. Le cas de Deliveroo a
entraîné un débat politique sur le statut
des travailleurs liés à des plateformes
utilisant une application mobile 18. Mais
Deliveroo est parvenu à affaiblir la « stra-
tégie de réduction » des syndicats, qui
avaient commencé à négocier un accord
collectif destiné à améliorer les condi-
tions de travail des livreurs employés par
la SMart à partir du 17 octobre 2017. Les
livreurs étaient représentés par trois syn-
dicats lors de ces négociations : la Centrale
nationale des employés (CNE), d’orien-
tation chrétienne-démocrate 19 , l’Union
17. L’organisation patronale amande, qui n’est pas reconnue comme un partenaire social au
niveau fédéral, souhaite la création d’une catégorie spéciale pour les travailleurs des plate-
formes.
18. Il semble que le service juridique de l’Ofce national de la sécurité sociale s’apprête à changer
d’avis sur le statut des chauffeurs Uber, qui ne seront plus considérés comme des indépen-
dants, mais comme des salariés.
19. La CNE collabore étroitement avec le syndicat des transports chrétien-démocrate, le CSC-
Transcom, car cette organisation est jugée la mieux à même d’organiser les livreurs de repas.
La CNE prend part aux négociations, dans la mesure où les coursiers ont avec la Smart un
contrat de « cadre ».
LE SOUTIEN DES SYNDICATS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 97
belge du transport (UBT), d’inspiration
socialiste, ainsi que Horeca-Voeding-
Alimentation (Horval). Le Collectif des
coursier-e-s Belgique a apporté sa contri-
bution, mais s’est reposé sur l’expérience
des syndicats lors du processus de négo-
ciation proprement dit. Dans la perspec-
tive d’une réglementation du statut des
livreurs, les syndicats voyaient la SMart
comme la deuxième meilleure option,
c’est-à-dire comme un moindre mal. De
manière générale, pourtant, les organisa-
tions syndicales (de même que les orga-
nisations patronales) étaient très critiques
à son égard. Ils lui reprochaient des pra-
tiques abusives, ainsi que d’encourager le
dumping social et de fausser la concur-
rence dans le secteur de la création
(Xhauair et al., 2017).
Avant l’arrêt brutal des négociations,
les syndicats avaient commencé à adop-
ter une stratégie de mobilisation des
livreurs et à appuyer leurs efforts d’auto-
organisation par le biais du Collectif des
coursier-e-s Belgique. En juillet 2017,
la CSC-Transcom et la CNE ont ainsi
apporté leur aide logistique au collec-
tif, qui était entré en contact avec elles.
Une trentaine de personnes ont mené
une « action symbolique » pour dénon-
cer les conditions de travail des livreurs,
la délocalisation à Madagascar du centre
d’appel chargé du service client et les
licenciements qui en résultent 20. Cer-
tains emplois ont nalement été préser-
vés, et Deliveroo s’est engagé à contrôler
davantage les conditions de travail de ses
coursiers. De plus, en septembre 2017,
dans le cadre du mouvement internatio-
nal « Fight for 15$ » dans le secteur de
la restauration rapide, quelque 200 mili-
tants syndicaux ont manifesté contre
McDonald’s à Bruxelles. Cette entre-
prise travaille en effet avec UberEats,
qui est également connue pour recourir
au salariat déguisé. L’UBT, quant à elle,
a mis en œuvre une stratégie relativement
nouvelle en Belgique, en faisant des re-
cherches actives sur les droits des cour-
siers et en les en informant.
Après la décision unilatérale de
Deliveroo de modier les termes de ses
contrats avec les livreurs, le Collectif des
coursier-e-s Belgique a organisé un « al-
tershift » : 40 livreurs environ se sont ras-
semblés le 25 novembre à Bruxelles pour
réclamer un dialogue social avec l’en-
treprise, et ont reçu le soutien, modéré,
des syndicats chrétiens-démocrates. Le
Collectif, toutefois, n’exclut pas de col-
laborer avec d’autres organisations syn-
dicales. Du reste, des militants des syn-
dicats socialistes sont venus encourager
les livreurs, que l’UBT et le Syndicat des
employés, techniciens et cadres, d’inspi-
ration socialiste, ont invité à se rassem-
bler lors d’un meeting commun. Enn,
les livreurs ont reçu l’appui de « Critical
Mass Brussels », une initiative citoyenne
qui demande que les rues soient réservées
aux cyclistes et organise pour cela des dé-
lés à vélo le dernier vendredi de chaque
mois. Ses membres afrment en effet que
les rues bruxelloises sont dangereuses
pour les cyclistes (Dufresne, Custers,
2017). En combinant les méthodes de
mobilisation des livreurs et les délés/
blocages des associations de cyclistes,
ils se sont rendus à vélo jusqu’au siège de
Deliveroo à Bruxelles, qui n’a pas réagi
(la direction serait en réalité à Anvers).
Pour l’heure, ce mouvement ne s’est pas
étendu à d’autres villes belges. Après une
réunion infructueuse avec la direction de
20. T. Van Berlaer, « Werken bij Deliveroo: extreem exibel of grootschalige sociale dumping? »,
Knack, 31 juli 2017, https://goo.gl/fMXBom ; C. Richards, « Les livreurs de Deliveroo reçoivent
un soutien syndical », Le Soir, 27 juillet 2017, https://goo.gl/LZaGVb.
BELGIQUE
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017
98
Deliveroo, les coursiers ont organisé une
nouvelle grève à Bruxelles le 8 janvier
2018. 30 d’entre eux y ont pris part, cette
fois en lien avec les restaurants et les
clients. Les coursiers ont menacé de nou-
velles grèves si la direction de Deliveroo
restait sur sa décision d’octobre dernier.
Conclusion
La Belgique afche depuis les années
1990 un taux de syndicalisation élevé et
stable, malgré l’absence quasi totale de
stratégie d’organizing de la part des syn-
dicats. Les syndicats belges fournissent
de nombreux services, le principal étant
le versement d’indemnités chômage.
Pourtant, l’affaiblissement indirect du
système de Gand par les gouvernements
d’Elio Di Rupo et de Charles Michel a
des conséquences pour les syndiqués : les
mesures prises ont concerné en particu-
lier les non-actifs, comme les chômeurs
de longue durée et les préretraités, qui
paient une cotisation réduite. En d’autres
termes, les mesures d’austérité concer-
nant le système d’assurance chômage
semblent être une cause importante de la
baisse du taux de syndicalisation, à quoi
s’ajoutent les répercussions de la crise
économique sur le secteur manufacturier.
Le nombre d’adhésions est sans doute
resté stable, mais n’a pas suf à compen-
ser la hausse des départs. À l’évidence,
les directions des principales confédéra-
tions syndicales et des syndicats afliés
s’inquiètent de cette tendance, qui ne
concerne pas la NV-A, ainsi que d’autres
organisations (les chiffres récents n’ayant
pas été rendus publics lors de la rédaction
du présent article). On peut s’attendre à
ce que ces dernières y voient un signe
supplémentaire de la perte de légitimité
des syndicats, bien que ce soient proba-
blement les modications du système
d’assurance chômage et la crise écono-
mique qui expliquent principalement leur
affaiblissement, alors que le soutien de
la population à leur égard reste très large
(le phénomène étant toutefois moins pro-
noncé en Flandre) (Swyngedouw et al.,
2016). Tout en maintenant des activités
de défense des intérêts des travailleurs,
les syndicats poursuivent leurs tentatives
de mobilisation à l’encontre du gouverne-
ment Michel.
De nombreux jeunes se syndiquent,
ce qui s’explique par le système de Gand
et le taux de chômage élevé dans cette ca-
tégorie de la population. Mais ce n’est pas
le cas des livreurs de repas. Dans l’en-
semble, la réaction initiale des syndicats
face au capitalisme de plateforme s’ins-
crit dans le système belge de relations
professionnelles et ses arrangements cor-
poratistes, via une stratégie d’advocacy.
S’agissant des coursiers, les syndicats
ont ainsi négocié une convention col-
lective avec la SMart, une organisation
concurrente dans d’autres secteurs. Bien
que la répartition des fonctions entre les
syndicats n’ait pas été dénie, le cas des
livreurs de plats cuisinés montre aussi
que les organisations syndicales belges
ne se reposent pas entièrement sur leurs
acquis institutionnels. Elles ont adopté
un rôle de soutien des activités de mo-
bilisation menées par le Collectif des
coursier-e-s Belgique, ouvrant ainsi
la voie à un échange mutuel d’expé-
rience entre les syndicats traditionnels
et des acteurs aux méthodes nouvelles,
plus orientées sur l’organizing, en par-
ticulier des travailleurs mal rémunérés
dans le secteur des services en général.
Quoi qu’il en soit, le défunt accord entre
Deliveroo et la SMart a contribué à po-
litiser la qualication juridique des li-
vreurs de repas et, plus globalement, des
travailleurs des plateformes. La forme
que prendront leurs actions collectives
LE SOUTIEN DES SYNDICATS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES
Chronique internationale de l’IRES - n° 160 - décembre 2017 99
à l’avenir dépendra principalement des
décisions des pouvoirs publics quant à
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