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1
Colloque Agir en Situation d’Incertitude
Formes de sécurisation des ménages agro-pastoraux dans le
Gourma malien et trajectoires des exploitations dans un cadre de
risques en évolution.
Magnani S., Socio-Anthropologue et Consultant indépendant semagnani@gmail.com
Mots clés :
Systèmes de production, Régimes de sécurisation, Agro-élevage, Mobilité, Trajectoires
des exploitations.
RESUME
Bien qu’il y ait de plus en plus d’attention au sujet de la sécurisation des productions agricoles et
pastorales en milieu aride, les politiques en matière de développement de l’élevage demeurent en
Afrique de l’Ouest peu compréhensive des réalités locales. Dans le cadre d’un projet de recherche sur
le rôle de l’élevage dans la réduction de la vulnérabilité des ménages ruraux sahéliens deux études
ont réalisés sur le terrain d’Hombori dans le Gourma malien. La première mission de terrain visait
l’analyse des systèmes de production et des régimes de sécurisation adoptés par une vingtaine
d’exploitations agro-pastorales. La deuxième mission se proposait de déceler les principaux
changements dans les circuits de mobilité pratiqués par les agro-pasteurs et d’analyser les trajectoires
d’une dizaine d’exploitations à travers un ensemble d’événements perçus par les interviewés comme
étant susceptibles de remettre en cause le mode de vie et de production jusqu’à là pratiqué. D’une
instantanée des exploitations visitées, quatre différents « styles » de sécurisation ont été mis en
évidence par rapport aux stocks, aux stratégies productives, à l’accès aux ressources naturelles et
aux recours mobilisables par les familles élargies visitées. Ces régimes de sécurisation dépendent
des trajectoires à la fois individuelles et collectives des agro-éleveurs mais aussi de leur appartenance
socioculturelle. L’analyse des trajectoires des exploitations à travers les années plus critiques et de
plus forte incertitude, les années de sécheresse, montre la centralité de l’élevage pour la résilience
des exploitations, l’importance de la diversification des activités économiques, de la disponibilité de
recours hors milieu rural ainsi que le rôle incontournable d’une mobilité qui demande des savoirs, de
l’expérience et des réseaux sociaux développés. Par ailleurs, plusieurs circuits de mobilité de longue
ampleur et durée vers le Nord du Gourma résultent avoir été abandonnés suite aux grandes
sécheresses des années ’70 et ’80. Les éleveurs sont devenus moins mobiles et s’impliquent de plus
en plus dans l’agriculture et dans le commerce de bétail. Cela n’est pas sans poser de problèmes de
main d’œuvre dans un contexte de fort exode rural. Les règles d’accès aux ressources naturelles sont
aussi devenues de plus en plus aléatoires et inefficaces. Ces facteurs accentuent la vulnérabilité des
ménages ruraux homboriens en exaspérant la concurrence sur les pâturages de la commune. De
plus, le passage des transhumants agrandit l’incertitude à laquelle les agro-éleveurs homboriens sont
confrontés lorsqu’il s’agit d’évaluer l’état des pâturages suite à la saison des pluies et, sur cette base,
prévoir les déplacements à pratiquer au cours de l’année et calculer la quantité d’aliment de bétail
nécessaire aux animaux.
2
INTRODUCTION
La problématique de la sécurisation des productions agricoles et pastorales en milieu aride est
devenue centrale ces dernières décennies. Sécuriser le pastoralisme au Sahél signifie veiller à que
les éleveurs aient un maximum de recours pour mieux se confronter avec l’incertitude climatique
structurelle qui caractérise leurs milieux. L’analyse critique des interventions de développement, et
des visions qui les ont légitimées, a été le point de départ pour la mise en discussion de certains
paradigmes impulsés et imposés en milieu rural, dans la deuxième moitié du XXème siècle, par des
Institutions Nationales et Internationales soucieuses de susciter un changement « révolutionnaire ».
Ces projets de changement socio-économique reposaient sur des visions symboliques, lourdement
chargées de croyances concernant la relation homme/nature, la gestion des ressources naturelles et
les modes de vie et de production appropriés à la modernité. Epreuve du triomphe de la technique sur
la nature et la diversité des écosystèmes, les interventions du développement prônaient l’abandon de
la mobilité pastorale et de l’usage des parcours naturels en faveur de la sédentarisation des
populations pastorales et de l’adoption de cultures fourragères. L’amélioration génétique des races
autochtones en vue d’en accroître la productivité et les projets d’hydraulique pastorale étaient les
principales solutions techniques avancées pour vaincre la pénurie « chronique
1
» de ressources
naturelles qui était censée caractériser les milieux arides. Parallèlement, la réorganisation des zones
à « haut potentiel » et l’implémentation de projets de développement de l’agriculture irriguée
2
privaient les populations pastorales d’importants recours en cas de sécheresse et, si faisant,
contribuaient à réduire les « marges de manœuvre » grâce auxquels ces populations arrivaient à
gérer la forte variabilité climatique caractérisant leurs milieux. La sédentarisation des populations
pastorales autour de nouveaux points d’eau, projet politique à l’échelle mondiale, accentuait la
pression du bétail sur les pâturages, bouleversait les règles d’usage des ressources naturelles et
facilitait la disparition des savoirs et des relations qui garantissaient la mobilité d’hommes et animaux
dans un cadre de nécessaire flexibilité.
La gravité des crises climatiques qui ont intéressé les milieux ruraux Sahéliens en Afrique de l’Ouest à
partir des années ’70 du XXème siècle, ainsi que les résultats décevants des politiques mises en
œuvre, ont facilité la prise de conscience de la nécessité de dépasser ces approches et ces
paradigmes. A partir d’un rapprochement entre sciences naturelles (écologie, zootechnie..) et sociales
(socio-anthropologie, géographie..), des nouvelles approches, plus pragmatiques et attentives aux
réalités de terrain, ont été développées à partir des années ’90. Dans ce nouveau cadre théorique, on
reconnait la rationalité et la centralité de la mobilité pastorale, le degré d’adaptation des races
autochtones, l’importance de la flexibilité et de la négociation dans l’accès aux ressources naturelles,
le rôle positif de l’élevage pastoral pour l’entretien et la gestion des milieux arides (Scoones, 1995). Au
niveau général, on prône la sécurisation des productions agro-pastorales plutôt que le changement
planifié sur grande échelle.
A partir des années ’80, le démantèlement des services étatiques, impulsé par les programmes
d’ajustement structurel, a miné la capacité de ceux-ci d’offrir de services aux populations rurales et de
développer de politiques nationales en matière de sécurité alimentaire et de soutien à la petite
paysannerie. Malgré les importants revirements théoriques dont on a parlé, les politiques publiques en
matière d’élevage demeurent, dans le Sahél ouest-africain, déficitaires et peu articulées. Bien qu’il soit
1
L’usage provocateur de cet adjectif veut souligner que la rareté de ressources en milieu aride est un
phénomène cyclique et saisonnier.
2
On se contente de citer deux exemples qui nous paraissent pertinents : le développement de l’agriculture
irriguée dans Vallée du Fleuve Sénégal, bien documentée par Santoir (1983), et les dynamiques historiques
d’usage des terres adjacentes au Fleuve Niger dans la région de Gao au Mali septentrional, décrites par Grémont
et al. (2007).
3
de plus en plus évidente la nécessité de la mise en œuvre de politiques flexibles, pensées sur la base
d’une vision de longue période et adaptées à la diversité des écosystèmes et des systèmes de
production, les interventions en milieu rural sahélien se réduisent, le plus souvent, à la distribution
d’aide alimentaire d’urgence et non.
Comment expliquer ce manque d’initiative dans des pays où l’élevage pastoral est un pilier du secteur
primaire et, par là, de la sécurité alimentaire?
D’un coté, les milieux arides continuent à être perçus, par certains acteurs, comme des contextes
marginaux, périphériques, en tout cas non prioritaires. De l’autre, les outils de monitorage et de
lecture des réalités rurales semblent incapables d’apporter une réelle compréhension de ce qui se
passe sur le terrain. Le manque d’efficacité des SAP (Systèmes d’Alerte Précoce) dans la prévision et
la prise en charge de situations critiques en est un bon exemple (Sommer, 1998 ; Ancey, 2006).
A partir de ce constat, et dans le cadre du Projet ECLIS
3
sur la contribution de l’élevage à la réduction
de la vulnérabilité des populations rurales dans le Sahél ouest-africain, deux études ont été réalisées
au cours de l’année 2009, à Hombori, dans le Gourma malien. La première
4
visait la mise en forme
d’une « grammaire » des formes de sécurisation pratiquées en milieu rural et le dégagement d’une
« typologie », qualitative et non exhaustive, des exploitations visitées sur la base des systèmes de
productions et des régimes de sécurisation. Un modèle de vulnérabilité proposé par une équipe de
chercheurs du PPZS a servi comme grille pour l’analyse des données de terrain (Ancey et al. 2009).
La deuxième étude
5
avait pour objectif de comprendre, dans une perspective diachronique et
historique, les modèles de mobilité pratiqués par les agro-éleveurs rencontrés, en relation aux
dynamiques d’usage des ressources naturelles, et de mettre en évidence les trajectoires d’une dizaine
de familles à travers un ensemble d’événements perçus comme particulièrement critiques.
Tenant compte de la complémentarité et de la cohérence des problématiques de recherche, cet article
expose les principaux résultats issus de ces deux études.
1) MATHERIELS ET METHODE
Les données analysées proviennent des entretiens et des observations réalisées au cours de deux
différentes missions sur le terrain d’Hombori. La première a eu lieu entre Avril et Juin 2009, en pleine
saison sèche chaude. La deuxième s’est déroulée en Décembre 2009, dans le scénario plus
confortable et paisible de la saison sèche froide. Le décalage temporel a permis d’observer l’évolution
des exploitations visitées à travers une année rendue critique par l’installation tardive des pluies.
Pendant la première mission de terrain, dix-neuf exploitations ont été visitées en y séjournant pendant
un ou deux jours et en y effectuant plusieurs passages au fin d’interviewer non seulement les chefs
des familles élargies (dix-neuf entretiens), mais aussi de femmes (seize entretiens) et de jeunes, fils
aînés ou cadets, frères cadets (dix entretiens). L’hétérogénéité des acteurs interrogés a permis de
produire une analyse dynamique, compréhensive de plusieurs visions, compétences, intérêts et idées
de changement.
3
Programme « Contribution de l’élevage à la réduction de la vulnérabilité des ruraux et à leur adaptabilité aux
changements climatiques et sociétaux en Afrique de l’Ouest au Sud du Sahara ». Financement ANR-ECLIS
2009-2012.
4
Magnani S. 2009, « Formes de sécurisation des ménages d’éleveurs et validation d’un modèle de vulnérabilité
pastorale dans le Gourma malien ». Mémoire M2 EMTS, AgroParisTech, Paris.
5
Magnani S. 2010, « Etudes de cas sur la vulnérabilité et l’adaptabilité des éleveurs face aux événements dans
la Commune d’Hombori au Mali ». IRAM, Montpellier.
4
Pour construire une « typologie » qualitative des exploitations sur la base des systèmes de production
et des régimes de sécurisation adoptés, il a été utilisée comme grille de lecture un modèle de
vulnérabilité conçu à partir des apports théoriques de Sen (1981) et Swift (1993, 2000, 2006). Le
modèle identifie quatre piliers de sécurisation : les stocks, les stratégies productives, l’accès aux
ressources naturelles et les recours possibles en cas de crise (Ancey et al. 2009). En perspective, il
s’agit d’inclure des indicateurs, non pris en compte dans la plupart des SAP (Systèmes d’Alerte
Précoce), qui rendent compte des ressources, stratégies, droits et relations sur lesquelles les agro-
éleveurs ont une emprunte directe et qui peuvent être mobilisées en cas de crise. Les stocks incluent
ainsi les biens et les ressources possédées : le bétail, les céréales, la main d’œuvre, l’équipement et
les biens familiaux. Les stratégies productives définissent l’ensemble des choix qui régissent la
production agro-pastorale : la mobilité, la gestion du bétail, l’agro-élevage, la diversification des
activités économiques, l’émigration. L’accès aux ressources naturelles prend en compte les droits
fonciers et les coûts d’abreuvement. Les recours sont, en fin, les réseaux sociaux qui peuvent
apporter de l’aide en milieu rural en cas de crise : les réseaux d’entraide, les parents/amis résidents
hors milieu rural, l’aide d’Institutions Nationales et Internationales.
La deuxième mission de terrain a été calée sur la base de l’échantillon précédemment identifié. Sept
exploitations, parmi les dix-neuf, ont été retenues sur la base de la diversité des systèmes productifs
et des régimes de sécurisation mais aussi de l’appartenance socioculturelle des familles élargies.
Deux autres pasteurs transhumants du Delta Intérieur du Niger ont été interviewés dans l’effort de
décrypter les enjeux liés à la transhumance annuelle dans le Gourma. L’enquête visait la réalisation
d’études de cas spécifiques dans l’effort de saisir d’un côté les changements dans les circuits de
mobilité pratiqués et les relatives motivations
6
, et de l’autre de tracer les trajectoires et l’histoire des
exploitations dans le passage à travers un ensemble d’événements subjectivement perçus par les
interlocuteurs comme des étapes ayant marqué en profondeur soit les activités productives que le
mode de vie familial.
Dans les deux missions les entretiens réalisés étaient ouverts, bien que menés à l’aide de canevas
pour centrer les éléments-cadres de l’enquête, pour saisir au maximum les histoires vécues et les
points de vue exprimés. L’observation des pratiques et de la vie familiale, à deux différents moments
de l’année, a permis de préciser et vérifier les données, de saisir certains détournements et de
compléter certaines informations partielles.
2) CARACTERISATION DU TERRAIN D’ENQUETE : HOMBORI et LE
GOURMA MALIEN
Pour mieux introduire les résultats des études, il semble indispensable d’esquisser certains éléments
caractérisant la commune d’Hombori, située dans le Gourma malien. Le terme Gourma définit, en
général, la rive droite du fleuve Niger et donne le nom à une vaste région qui s’étend à cheval de trois
Pays : le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Le Gourma malien est la portion de terre délimitée, au
Nord, par la boucle du fleuve Niger, dès la région des lacs jusqu’à la frontière avec le Niger
(Labbezanga), au Sud par la frontière Burkinabé et au Sud-ouest par la limite administrative du Cercle
de Douentza. Exception faite pour les rives du Niger et la région de lacs inondée par la crue du fleuve,
les points d’eau pérennes sont rares dans le Gourma. Par contre, en saison des pluies, les eaux de
ruissellement canalisées par des réseaux d’oueds inondent les plaines argileuses formant une
multitude de mares temporaires de dimensions très variables. Jusqu’à l’assèchement des mares, le
6
Les parcours habituels et inhabituels ont été répertoriés et retracés, en relation à la présence et aux conditions
d’accès aux ressources naturelles ainsi qu’aux différents réseaux mobilisés pour faciliter les déplacements en
temps de crise.
5
Gourma est une zone de pâture attractive qui voit le passage de nombreux troupeaux transhumants
en provenance de la région inondée du Delta intérieur du Niger et de l’Hawsa
7
. La commune
d’Hombori est situé dans la partie méridional du Gourma malien, ses limites Sud n’étant pas très loin
de la frontière du Burkina Faso. Vingt milles personnes y habitent, répartis en vingt villages et quatre
fractions. Le Mont Hombori (1180m) et le chef lieu homonyme constituent le centre de la commune,
un cœur montagneux entouré par des plaines qui, à partir de la saison des pluies, abritent les trois
grandes mares temporaires : Fossa, Wami et Arkari. Suivant la limite Nord de la commune, les eaux
de ruissellement alimentent deux mares pérennes (Dimamou, Agoufou) et une temporaire
(Sambangu). La commune d’Hombori est située entre les isohyètes 300mm, au Nord, et 400mm, au
Sud, et le climat est caractérisé par une forte variabilité, dans l’espace et dans le temps, même à
petite échelle, de la pluviosité.
Tab. 1 : Analyse de la variabilité pluviométrique interannuelle à Hombori ville entre 1920 et 2007 (IRD,
2007).
Un regard à l’histoire d’Hombori et, plus en général, du Gourma méridional permet de comprendre la
complexité et la diversité socioculturelle des populations qui y cohabitent. Sans trop rentrer dans les
détails, il faut souligner que cette portion du Gourma était située au carrefour entre les différentes
zones d’influence Tamasheq, Songhay et Fulbé. La commune d’Hombori avec la présence d’une
chefferie songhay puissante représentait une exception face à la domination presque généralisée des
Tamasheq sur le Gourma malien. Zone d’influence peule au temps de l’Empire de Macina et, en
moindre mesure, au temps de l’Empire toucouleur fondé par El Hadj Umar Tall, Hombori a toujours
été un territoire de contact caractérisé par la forte insécurité des plaines, d’où les fascinants villages
bâtis sur les pentes des montagnes. Au cours des siècles, des institutions étatiques structurées et
centralisées ont alterné prenant des formes d’expression du pouvoir plus flexibles et décentralisées,
fruit de relations de soumission, alliance, paiement d’impôt, règles de partage des ressources
naturelles constamment renégociées. La prééminence militaire des populations pastorales (Peuls,
Tamasheq) se reflétait dans l’importance symbolique, autre qu’économique, attribué à l’élevage et à la
possession du bétail. Régulée par les fréquentes razziah, la possession du bétail était, dans ce
contexte, strictement liée à l’organisation sociopolitique et aux rapports hiérarchiques structurant
l’ordre social (noblesse, clergé, hommes libres et à l’échelon plus bas les esclaves). L’agriculture était
considérée par les Peuls et les Tamasheq comme un travail dégradant dont l’exécution revenait aux
esclaves. Pourtant pour d’autres groupes socioculturels, Songhay, Bellah, Riimaybé
8
et Dogon,
7
Rive gauche du fleuve Niger.
8
Les Bellah et les Riimaybé sont les anciens esclaves respectivement des Tamasheq, des Peuls et des Songhay.
Cette terminologie fait donc référence à une condition sociale plutôt qu’à une origine socioculturelle. Si du point
6
l’agriculture demeure, de nos jours encore, l’activité productive la plus importante (bien qu’intégrée par
d’autres travaux salariés ou non) non seulement en termes de valeur économique, mais aussi et
surtout au niveau symbolique, social et identitaire.
Bien que dans un cadre complètement différent de celui du passé, les éléments culturels et
identitaires jouent encore aujourd’hui un rôle prééminent dans les systèmes productifs et dans les
relations entre groupes sociaux et culturels. Si l’agro-pastoralisme est de plus en plus fréquent,
indépendamment de l’appartenance socioculturelle, cette dernière continue à orienter les pratiques et
les techniques de production. Les activités agricoles et d’élevage sont différemment pratiquées selon
les caractéristiques des exploitations (identité professionnelle, appartenance socioculturelle, savoirs,
connaissances et relations) et la valeur économique et socioculturelle qui leur est attribuée.
3) RESULTATS
3.1) Une instantanée des exploitations homboriennes sur la base des
systèmes de production et des régimes de sécurisation
Sur la base du modèle de vulnérabilité précedemment décrit, les dix-neuf exploitations visitées ont été
réparties en quatre groupes selon leurs systèmes de production et leurs régimes de sécurisation.
Connaître les formes d’organisation des exploitations homboriennes est un préalable essentiel pour
comprendre leur aptitudes à l’action en situation d’incertitude.
Un premier groupe est composé par cinq exploitations familiales pour qui l’élevage est de loin l’activité
la plus importante et la première source de sécurisation en cas de crise. L’exploitation du taux de
croissance du troupeau assure la prise en charge de tous les besoins familiaux et le déstockage est la
stratégie plus importante en cas de crise. La diverisfication des activités économiques est plutôt faible,
limitée à la pratique d’une agriculture pluviale, sans trop de moyens (en main d’œuvre et
investissements), dont l’objectif est uniquement la prise en charge de la consommation de céréales
pendant quelques mois en vue d’épargner au maximum les animaux de la vente au marché. La main
d’œuvre n’est pas engagée dans les circuits migratoires et se concentre sur les activités pastorales.
En particulier, la mobilité du bétail joue un rôle central car l’usage des parcours naturels est la
première stratégie pratiquée pour améliorer les performances et les chances de survie des animaux.
De plus, la mobilité engage une large partie de la famille, voir la famille entière en cas d’année
critique. Il n’est pas rare que le bétail soit partagé en pleusiuers sous-troupeaux, selon les
caractéristiques des animaux, conduits à des différents endroits. En fin, les exploitations qui
composent ce premier groupe entretiennent des relations de complémentarité avec les agriculteurs.
Ces relations vont de l’échange fumure contre résidus des cultures, à la location de bassins de
retention des eaux pluviales, au confiage des champs en cas de départ imprévu.
Le deuxième groupe est composé par quatre exploitations qui disposent d’importants stocks en bétail
mais qui ont considérablement diversifié les activités économiques grâce à l’intégration de l’agriculture
et du commerce de bétail. L’agriculture est une activité sur laquelle ces familles ont investi,
notamment en termes d’innovation technique (l’adoption de la charrue) et d’extension des superficies
cultivées (achat, location de terres). Le commerce du bétail est une activité de plus en plus importante
pour la stabilité des revenus qu’il garanti tout au cours de l’année. Cette profession est le domaine des
de vue linguistique, les Bellah et les Riimaybé ont été assimilés à leurs anciens patrons, du point de vue politique
et identitaire, ces groupes ont réussi à gagner une autonomie croissante (revendication de villages autonomes) et
à revendiquer des traits identitaires qui leurs sont propres.
7
fils cadets qu’y trouvent une source de réalisation personnelle et d’autonomisation face au stricte
contrôle exercé par la famille, et par l’aîné, sur le troupeau familial, en particulier le troupeau bovin. La
mobilité est mise en œuvre seulement en cas de crise aigüe et le recours à l’aliment de bétail est une
option privilégiée.
Le troisième groupe est composé par six exploitations qui ont adopté des régimes de sécurisation
complexes, basés sur la diversification des activités économiques et la pluralité des recours en cas de
crise. L’agriculture est une activité centrale pour quatre familles Bellah, Songhay et Riimaybé dont la
survie dépend prévalemment de la réussite des récoltes. Les variétés cultivées ne sont pas seulement
le mil et le sorgho mais aussi l’arachide, le niébé et l’ibiscus ; ces trois dernières étant principalement
destinées à la commercialisation. L’élevage des petits ruminants est un choix préférentiel car ceux-ci
demandent moins de mobilité et de main d’œuvre, notamment en ce qui concerne l’abreuvement. La
diversification des activités économiques et les migrations temporaires sont de véritables piliers de
sécurisation. La culture irriguée du tabac, la cueillette et la vente de bois mort, la fabrication et la
commercialisation du charbon, le commerce de céréales, le commerce en boutique et le petit
commerce du bétail sont des activités essentielles à la survie des familles élargies. Des migrations
temporaires qui engagent les membres plus jeunes sont systématiquement mises en place en cas de
crises aigües et réitérées.
Le quatrième groupe est composé par quatre exploitations qui vivent en milieu rural dans un état de
précarité chronique. Les petits stocks en bétail, le manque de main d’œuvre en âge de travail, la
diversification limitée à un agro-élevage de petite échelle sont autant de facteurs qui soulignent
l’extrême vulnérabilité de ces familles. A cause du manque de marges de manœuvre pour faire face
aux crises, la sécurisation de ces ruraux repose sur le travail salarié en ville, la migration saisonnière,
le gardiennage du bétail d’autrui et l’exploitation de tout le capital reproductif du troupeau.
3.2) Les exploitations face aux crises, des trajectoires en changement
Les sécheresses sont les événements plus critiques vécus par les agro-éleveurs et les pasteurs
homboriens. La sécheresse est un moment majeur d’incertitude notamment en ce qui concerne
l’arrivée des précipitations et leur distribution dans l’espace et dans le temps. Les éleveurs doivent
être en mesure de lire la situation, collecter un maximum d’informations concernant les destinations
possibles et négocier au préalable l’accès aux ressources nécessaires à la survie du bétail. Il faut
éviter les grandes concentrations de bétail, réperer les « bons endroits » de patûre, partir avant que
les animaux soient trop épuisés pour de longues marches. Les éleveurs sont donc obligés de prendre
de décisions risqueuses se fiant des informations collectées mais aussi et surtout sur la base des
connaissances acquises dans le temps. En analysant les trajectoires familiales, une série d’années
particulièrement marquantes ont été répertoriées : 1973, 1984, 1989, 1997, 2004, 2009. Les
décennies ’70 et ’80 sont perçues comme les moments plus critiques car la pluviosité a presque
toujours été très mauvaise et les années ’73 et ’84 ne sont que les pics d’une série réitérée d’années
catastrophiques qui ont poussé au collapse la grande majorité des exploitations. Etant les années qui
ont plus profondement marqué les esprits, ’73 et ’84 portent plusieurs noms qui les caractérisent. Ainsi
’73 est appelée hitande bonguel arandere (la première mauvaise année) en Fulfuldé et djiri lala
(mauvaise année) en Songhay. ’84 est définie hitande bonguel sakitande (la deuxième mauvaise
année) et hitande Mossi (l’année des Mossi, en souvenir de la migration au Burkina) en Fulfuldé, ainsi
que bu sun gu kogo djiro (l’année des semences sèches) en Songhay. Les autres années critiques
semblent avoir eu moins d’impact mais ont néanmoins causé de pertes importantes (bétail et
récoltes), vanifiant les efforts de reconstitution et fragilisant la résiliance des exploitations . Il s’agit
d’années difficiles qui, si répetées sur une courte période, érodent les capacités de reaction des
populations rurales jusqu’à devenir catastrophiques. Cela explique d’ailleurs la difficulté des SAP
(Systèmes d’Alerte Précoce) à les cerner. Pour les exploitations en état precaire (quatrième groupe)
8
une seule année difficile peut comporter une réduction de la consommation alimentaire et l’exode
forcé. Il est intéressant souligner que la presque totalité des exploitations visitées n’a, à l’heure
actuelle, pas pu retrouver les effectifs d’avant ’84.
Les récits des agro-éleveurs et des pasteurs homboriens soulignent comment les années critiques
exasperent l’incidence des maladies épidemiques, un facteur de risque déjà important en cas de
bonne pluviosité, sur les effectifs des troupeaux. Cela ne concerne pas seulement les animaux mais
aussi les hommes qui, à cause d’une alimentation insuffisante, deviennent plus vulnérables face aux
maladies. La maladie humaine, et dans ses conséquences plus graves la mort, contribue
ultérieurement à fragiliser les familles déjà épreuvées qui doivent payer les frais médicales et se
voient privées d’un apport en main d’œuvre d’autant plus nécessaire à la mobilité du bétail et à la
reconstitution des stocks suite à la crise.
En analysant les histoires des familles, émerge la centralité de l’élevage pour la résiliance des
exploitations face aux mauvaises années. Les familles dont le système productif repose
principalement sur l’agriculture ont été les premières à se désagreger en expulsant la main d’œuvre
disponible vers les contextes urbains, au Mali et à l’étranger, en quête de revenus monétaires. Un
ample éventail de travaux salariés ont été pratiqués par les interviewés : pêche, orpaillage, transport
marchandises, ménuiserie, maçonnerie, puisage d’eau, fabrication de briques. D’ailleurs, les apports
extérieurs aux activités pratiquées en milieu rural semblent être devenus un élément structurel de la
vie paysanne dans la commune. Au-delà, les événements critiques ont également appris aux
ménages paysans l’importance de diversifier au maximum les activités menées en milieu rural ; c’est
le parcours suivi par les exploitations du troisième groupe dont on a parlé dans le précédent
paragraphe.
En ce qui concerne les ménages dont le système productif repose essentiellement sur l’élevage, la
première reaction en cas de crise est le recours à la mobilité. Lors des grandes sécheresses de ’73 et
’84 les troupeaux se sont massivement déplacés vers le Burkina Faso. En ce qui concerne ces
migrations, deux constats peuvent être avancés : en premier, les déplacements vers le sud, en cas de
crise et sur des circuits longs, sont particulièrement coûteux. L’absence d’eau et de pâturages sur les
routes de transhumance est un énorme problème pour des animaux épuisés. Dans les points d’eau
pérennes, les éleveurs sont obligés de payer l’eau et l’abreuvement se paie cher, en particulier en cas
de pénurie généralisée. Deuxièmement, malgré les coûts élevés, la migration vers le sud, quand elle a
été engagée à temps, a permis à certains éleveurs de sauvegarder un noyau d’animaux au sortir des
grandes sécheresses. Ceci a été essentiel dans la résilience des familles et la reconstitution de
stocks.
Dans l’effort de reconstituer des stocks suite aux sécheresses, les ménages pastoraux ont intégré de
façon plus importante et généralisée les activités agricoles et se sont tournés vers de travaux salariés
tant sur place qu’ailleurs. La quête de revenus moins aléatoires les a poussés à investir dans le
commerce et notamment dans le commerce du bétail, dont les volumes ont fortement augmenté ces
derniers décennies grâce à l’amélioration des infrastructures routières et les marchés. C’est le
parcours suivi par les exploitations faisant partie du deuxième groupe dont les caractéristiques ont été
exposées dans le paragraphe précedant.
9
3.3) Cultiver et élever aujourd’hui dans le Gourma malien
3.3.1) Les techniques de production face à l’incertitude et à la
variabilité climatique
Cultiver et élever dans le Gourma malien est une affaire délicate car la variabilité des précipitations
rend le futur difficilement prévisible. Il faut donc identifier les scénarios plausibles, savoir s’y projeter,
suivre la succession des saisons pas à pas. Les paysans et les agro-éleveurs plantent des variétés
hâtives de mil et sorgho dont le cycle de croissance varie entre deux et trois mois. Utiliser les
semences venant du Sud, la plupart des grains consommés, donnerait sûrement un échec. Pour cela,
la conservation et la gestion des semences locales est un enjeu de taille. Ce sont en effet les
populations dont l’identité est enracinée aux activités agricoles et à la terre (Songhay, Dogon,
Riimaybé) à contrôler la circulation des semences grâce à une gestion rigoreuse des gréniers. Les
grains sont vendus, échangés ou simplement donnés en petite quantité. Pour certains paysans faire
circuler ses propres semences signifie augmenter la possibilité d’en trouver encore en cas de perte
totale de la récolte (faire un autre grénier ailleurs). Les cultures sont semées à sec, exception faite
pour l’agriculture dans le bas-fonds et dans le lit des mares, en essayant de suivre à fur et à mesure
les événements pluvieux. Les paysans sont toutefois obligés de semer plusieurs fois, trois en
moyenne, à cause de l’assèchement des plantes et des attaques des parasites. L’emplacement des
cultures est une variable détérminant et pouvoir le différencier sur différents types de sol (argileux,
sableux, mixte) augmente les chances de réussite. Cela depend de l’emplacement des villages et de
la repartition du foncier, mais aussi des stratégies des producteurs. Ce sont le plus souvent les
paysans sédentaires à cultiver les sols argileux, plus fertiles en cas de bonnes pluies mais plus
demandeur de main d’œuvre et d’outils de labour. Les agro-pasteurs, souvent les Peuls, cultivent
plutôt sur les terrains sableux qui entourent leurs campements de saison sèche et qui sont donc bien,
parfois trop, fumés. Suite aux sémis, un ensemble de parasites et predateurs menacent les récoltes :
crickets, insectes, verres, oiseaux granivores. Pour en réduire les conséquences les paysans
continuent à cultiver en terrassant les pentes des montagnes, traitent les grains avec de produits
phytosanitaires (option rare qui dépend du pouvoir d’achat et de la distribution de la part des services
de l’état) ou placent les enfants dans les champs pour les surveiller.
En ce qui concerne les activités pastorales, la diversification des espèces élevées (bovins, ovins,
caprins, camelins) est une stratégie très diffusée parmi les éleveurs. La pâture de nuit est fort
pratiquée, en particulier par les Peuls, tout au cours de l’année pour stimuler l’appetit des animaux et
les faire engraisser au maximum. Autrement, le stockage des residus des cultures et la constitution de
stocks d’aliment de bétail en saison froide sont des stratégies aujourd’hui communes. Pour acheter
les compléments alimentaires, les éleveurs ont augmenté les ventes d’animaux en saison froide
lorsque l’embonpoint est meilleur et les prix plus favorables.
3.3.2) L’agro-élevage : avantages et contraintes
Les activités agricoles et pastorales sont intégrées, à des différents degrés, par la plupart des familles
élargies homboriennes. D’un côté les paysans investissent tout petit surplus et revenu monétaire pour
constituer de stocks en bétail à vendre en cas de nécessité. Les bovins des villageois sédentaires
sont confiés à des pasteurs ou des agro-éleveurs mobiles. De l’autre les familles de provenance
pastorale ont de plus en plus misé sur l’agriculture pour reconstituer leurs troupeaux suite aux
grandes sécheresses et mitiger les effets de la variabilité accrue du climat sur le bétail. En parallèle au
raccourcissement des circuits de mobilité et aux dynamiques de sédentarisation, dont on parlera dans
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le prochain paragraphe, nous pouvons lire le plus forte intégration de l’agriculture par les éleveurs
comme un choix visant à contraindre la hausse tendancielle des prix des céréales qui a eu lieu ces
dernières années. Cultiver la terre est aussi un moyen de se voir reconnus un accès au foncier et à
l’usage d’un ensemble de ressources présentes sur le territoir.
La pratique de l’agro-élevage est une stratégie de sécurisation qui impose toutefois de lourdes
contraintes car le saison de culture démarre à la fin de la saison sèche, la période où l’état des
animaux est plus critique. Un bon entretien du bétail demande à cette époque un investissement
remarquable en main d’œuvre (conduite, mobilité, abreuvement, complémentation). Voici un des
principaux avantages de la spécialisation productive pastorale et de la complémentarité entre éleveurs
et paysans. La disponibilité de main d’œuvre devient donc un facteur stratégique car, en cas de
manque, les éleveurs sont obligés de limiter les circuits de mobilité pratiqués, avec des repercussions
sur le bétail, ou d’abandonner les champs. Par conséquence, les femmes sont de plus en plus
engagées dans les travaux agricoles et cela malgré, dans la société peule, le travail féminin dans les
champs soit générallement perçu comme le signe d’une dégradante condition de pauvreté.
3.3.3) La mobilité et l’usage des ressources naturelles
La réduction des circuits de mobilité émerge comme une tendance lourde de ces derniers décennies.
Les éleveurs parlent de la perte de circuits de mobilité habituelle de longue ampleur et durée vers le
Nord du Gourma. L’accès à des patûrages plus nourrissants et la reduction de la période de
permanence du bétail sur les sites d’attache étaient les objectifs de ces déplacements. Depuis les
grandes sécheresses, les circuits de mobilité se sont tournés vers le Sud et la plupart des
déplacements sont limités à la seule saison pluvieuse. Si l’accès à l’eau au Nord n’est pas payant,
cela n’est pas le cas en allant vers le Burkina Faso. De surcroît, la mobilité dans les zones au sud de
la commune est compliquée par les conflits liés à la divagation des animaux dans de zones à
prévalent usage agricole. La réduction de la mobilité a aussi l’effet de prolonger le séjour des animaux
autour des points d’eau pérennes, où se situent générallement les sites d’attache, en accélerant la
consommation des patûrages. Autrefois le calandrier pastoral y autorisait la présence du bétail
seulement en saison sèche, la plus difficiles et risquée pour faire bouger les animaux. Un élevage
moins mobile est plus exposé à la concurrence dans l’exploitation des patûrages et cela accroît
l’incertitude concernant la disponibilité de pâturages en saison sèche. Sur le territoir de la commune
deux mares (Agoufou et Dimamou) sont, depuis les années ’90, devenues pérennes. Cela a facilité
l’arrivée, le passage et le séjour des troupeaux provenant de l’extérieur de la commune, notamment le
nord du Gourma et l’Haoussa, les régions plus fréquemment touchées par les épisodes de
sécheresse. Bien que justifiée en vertu du principe de réciprocité, l’arrivée de ces transhumants
représente un facteur majeur d’incertitude pour les agro-éleveurs locaux qui, même en cas de bonne
pluviosité dans la commune et ses alentours, ne peuvent pas faire des prévisions fiables sur la
mobilité à pratiquer en saison sèche et sur la quantité d’aliment de bétail nécessaire aux besoins des
animaux car l’affluence de bétail provenant de l’extérieur est la première variable influençant l’état des
pâturages.
Une autre vague de transhumants qui désertent les terres inondées du Delta intérieur du Niger en
saison des pluies exaspère la concurrence. Il s’agit de grands troupeaux dont la propriété est variée
(notables, citoyens, propriétaires absentéistes) et qui sont très souvent conduits par des bergers à
gage. La conflictualité avec les résidents résulte, dans ce cas, accentuée par le manque de tout
principe de réciprocité car l’entrée dans les pâturages du Delta est payante.
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4) ELEMENTS DE DISCUSSION
Les résultats exposés montrent la capacité des agro-éleveurs homboriens à adapter leurs systèmes
de production à l’évolution des contraintes et des facteurs de risque. Les stratégies mises en place
par les familles élargies dans l’effort de se sécuriser sont complèxes, opportunistes, diversifiées et
socio-culturellement déterminées. Bien sûr, les contraintes demeurent fortes et l’événtail des choix
limité mais la réorganisation des régimes de sécurisation montre bien l’adaptation de paysans et
éleveurs à un environnement structurellement incertain. Essayons, en guise d’exercice, d’analyser les
quatre « styles » de sécurisation exposés dans le paragraphe 3.1 en relation à de facteurs de
vulnérabilité. Les exploitations du premier groupe ont plus de chances, grâce à leur savoir-faire en
matière de mobilité, d’échapper à une crise climatique de grande ampleur. Le reproduction de ces
exploitations demeure toutefois fort liée au maintien d’effectifs nombreux et aux termes d’échange
bétail/céréales, par ailleurs très défavorables ces dernières années. Les exploitations du deuxième
groupe paraissent les mieux loties grâce à l’autonomie conquise et à la diversification des activités
(élevage, agriculture, commerce du bétail). Leur succès est toutefois dépendant de la réussite des
activités commerciales et du maintien de la capacité de mobiliser le bétail en temps, en cas de crise
aigüe. En ce qui concerne le troisième groupe, la bonne connaissance des circuits de migration
nationaux et internationaux ainsi que la remarquable diversification des activités économiques
semblent pouvoir garantir la permanence, au moins d’une partie de la famille, en milieu rural et la
pursuite des activités familiales. Les exploitations classées dans le quatrième groupe risquent, à la
moindre difficulté, de perdre tout moyen de production et de se retrouver manœuvres, bergers à gage
ou d’enfler les rangs de l’exode rural ou international.
L’élevage pastoral émerge de cette analyse comme un pilier économique des familles rurales et un
élément central des leurs régimes de sécurisation. Les facteurs de risque ne manquent toutefois pas,
in primis, la reduction de la mobilité des éleveurs résidants qui accentue la concurrence sur les
pâturages de la commune, notamment en fonction de l’arrivée de transhumants des régions du Nord
et du Délta intérieur du Niger. L’obligation de bouger suite au passage des transhumants, phénomène
récurrent, montre que la sédentarisation est une phénomène fort idéalisé, irréalistique et inadapté à ce
milieu. En ce qui concerne l’agriculture, les bas rendements des champs sont un problème majeur
dans un scénario de forte concurrence entre usages pastoraux et agricoles et de saturation de
l’espace. Améliorer les rendements des cultures, en réduisant les pertes dûes à parasites et
prédateurs, serait une avancée remarquable pour les paysans dans un contexte où la première
déterminante est la tombée de pluies plus ou moins régulières et abondantes. En fin, la disponibilité
de main d’œuvre apparaît comme un facteur essentiel à la pratique de l’agro-élevage. Dans un
contexte de fort exode rural, et compte tenu de l’attraction que les milieux urbains exercent sur les
jeunes, cela risque d’être un facteur critique pour bon nombre de familles homboriennes. Cela
explique l’implication croissante du travail féminin dans les travaux agricoles. Les agricultrices sont
des acteurs clé de la sécurisation des familles élargies dont l’importance demeure substantiellement
inaperçue ou ignorée par les Institutions du développement.
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SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
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