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Anthropocène. Technique. Deux points de contact entre science et
pensée partisane
Dominique Raynaud1
Ce texte court est une exploration des manifestations de la «pensée partisane» aux marges de
la science. La science répondant à une norme d’objectivité et l’objectivité étant incompatible
avec l’esprit partisan, repérer la présence d’une pensée partisane en science revient à pointer
une contradictio in adjecto. Par suite, les éléments partisans qui auront été identifiés devront
être placés à la limite ou au-delà du domaine de la science. L’expression « pensée partisane »
se trouvant dans le voisinage immédiat de l’idéologie, je rappellerai le sens de ces mots en
indiquant sur quelle base on peut les distinguer. J’introduirai ensuite deux exemples –
anthropocène et technique – qui me paraissent illustrer la pensée partisane dans le domaine
des sciences et techniques. Par des voies très différentes, ces deux idées sont débitrices du
contexte de la Guerre froide, ce qui n’est évidemment pas indifférent pour comprendre les
mécanismes de leur formation et de leur diffusion.
Idéologie et pensée partisane
L’idéologie a longtemps été un objet de prédilection de la sociologie de la connaissance – un
peu moins aujourd’hui en raison de la présumée «fin des idéologies», une thèse inaugurée
dans les années 1950 – en pleine Guerre froide – qui n’a pas à être examinée dans cet article2.
L’idéologie n’est pas un concept mais une notion3, dont le sens varie selon les auteurs et
les perspectives dans lesquelles ils sont engagés. Les sociologues classiques ont donné de
l’idéologie des définitions plus ou moins précises – Karl Mannheim n’en donne aucune alors
qu’Edward Shils fournit plusieurs traits de définition. La comparaison des approches
1 Université Grenoble Alpes. Adresse électronique : dominique.raynaud@univ-grenoble-alpes.fr
2Raymond Aron, L’opium des intellectuels, Paris, Calmann-Lévy, 1955; Daniel Bell, The End of Ideology. On
the Exhaustion of Political Ideas in the Fifties, Glencoe, The Free Press, 1960 (trad. fr. La fin de l’idéologie,
Paris, Presses universitaires de France, 1997). L’idée d’une fin des idéologies a été diversement accueillie. Les
marxistes ont souvent déclaré que cette idée, marquée au coin de la pensée néo-conservatrice, constituait elle-
même une idéologie, Henri Lefebvre, La fin de l’histoire, Paris, Éditions de Minuit, 1970. Depuis, la critique a
été développée sur le plan empirique. Certains ont montré que, si les idéologies historiques comme le marxisme
ne font plus recette aujourd’hui, d’autres, comme le féminisme ou l’écologisme, ont pris le relais. La fin des
idéologies a fait l’objet d’études expérimentales en psychologie: John T. Jost, « The End of the End of
Ideology», American Psychologist, vol. 61, n° 7, 2006, p. 651-670; John T. Jost, Alison Ledgerwood, Curtis D.
Hardin, «Shared Reality, System Justification, and the Relational Basis of Ideological Beliefs », Social and
Personality Psychology Compass, vol. 1, 2007, p. 171-186. Les auteurs d’une enquête de terrain déclarent par
exemple: «Ce pronostic de la mort des idéologies n’aura été, comme il nous est permis de voir avec un demi-
siècle de recul, qu’une simple illusion», Danic Parenteau et Ian Parenteau, Les idéologies politiques, Québec,
Presses de l’Université du Québec, 2008, p. 3.
3Sur la différence entre concept et notion, et les moyens de clarifier les notions floues, voir par exemple
Dominique Raynaud, «Inside the Ghetto. Using a Table of Contingency and Cladistic Methods for Definitional
Purposes», Bulletin de Méthodologie Sociologique n° 133, 2017, p. 5-28.
Zilsel 3 (2018): 263–277
classiques de l’idéologie (Marx et Engels4, Mannheim5, Gramsci6, Shils7, Rocher8, Baechler9,
Bourdieu et Boltanski10, Boudon11) permet de dégager les conditions qui font d’un agrégat
d’idées données une idéologie:
c1. L’idéologie est un système d’idées organisé: «Système interdépendant de significations»
(Mannheim); «système d’idées», «toute idéologie cherche à se présenter comme une science»
(Gramsci); «caractère explicite de la formulation; système intégré d’une morale ou de croyances
données» (Shils); «l’idéologie est un système d’idées et de jugements, explicite et généralement
organisé» (Rocher); «doctrine reposant sur une argumentation scientifique» (Boudon).
c2. L’idéologie a un caractère normatif-prescriptif: «Ensemble d’axiomes moraux fondé sur
l’erreur» (Mannheim); «manifestation impérative d’une conduite» (Shils); «l’idéologie s’inspire
largement de valeurs» (Rocher); «les idéologies combinent à dose variable des propositions
prescriptives et des propositions descriptives» (Boudon).
c3. L’idéologie appelle le consentement : « Libérons-les des chimères, des idées, des dogmes, des
êtres imaginaires sous le joug desquels ils s’étiolent. Révoltons-nous contre la domination de ces
idées», «mystification» (Marx et Engels); «consensus demandé à ceux qui acceptent [une
idéologie]» (Shils); «maintenir… la croyance du groupe dans la nécessité et la légitimité de son
action (Bourdieu et Boltanski); «doctrine dotée d’une crédibilité excessive ou non fondée»
(Boudon).
c4. L’idéologie vise sa propre réalisation: «Elles sont réellement incarnées dans la pratique»
(Mannheim); «l’idéologie… instrument pratique d’organisation et d’action: d’organisatio d’un
parti, voir d’une internationale, et d’une ligne d’action pratique» (Gramsci); «association avec
une personne morale destinée à réaliser un modèle de croyances» (Shils); «l’idéologie propose
une orientation précise à l’action historique» (Rocher); «elle cherche à réaliser une valeur par
l’exercice du pouvoir dans une société» (Baechler); «elle a pour fonction première d’orienter une
action», «prophétie qui contribue à sa propre réalisation» (Bourdieu et Boltanski).
c5. L’idéologie légitime un rapport de domination : « Les pensées de la classe dominante sont aussi à
toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle
dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle» (Marx et Engels);
«l’idéologie… instrument pratique de domination et d’hégémonie sociale» (Gramsci); «sa
fonction générique d’auto-légitimation, i.e. de légitimation d’un mode de domination» (Bourdieu
4Karl Marx et Friedrich Engels, Die deutsche Ideologie (1846), Werke, Berlin, Dietz Verlag, 1969, vol. 3, p.
5-530, trad. fr. L’Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1952.
5Karl Mannheim, Ideologie und Utopie, Bonn, F. Cohen, 1929; trad. am. Ideology and Utopia, An Introduction
to the Sociology of Knowledge,New York, Harcourt, Brace and Co., 1954; trad. fr. Idéologie et utopie, Paris,
Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006.
6Antonio Gramsci, Quaderni del carcere, Torino, Einaudi, 1975, trad. fr. Cahiers de prison, Paris, Gallimard,
1978. Voir aussi Lettere dal carcere. 1926-1937, Torino, Einaudi, 1947, spécialement lettre 264 du 9 mai 1932.
7Edward Shils, «The Concept and Function of Ideology», International Encyclopedia of the Social Sciences,
New York, Macmillan/The Free Press, 1968, vol. 7, p. 66-75.
8Guy Rocher, «Culture, civilisation, idéologie», Introduction à la sociologie générale: 1. L’Action sociale,
Paris, Seuil, 1970.
9 Jean Baechler, Qu’est-ce que l’idéologie? Paris, Gallimard, 1976.
10 Pierre Bourdieu et Luc Boltanski, «La production de l’idéologie dominante», Actes de la recherche en
sciences sociales, vol. 2, n° 2-3, 1976, p. 3-73.
11 Raymond Boudon, L’Idéologie ou l’origine des idées reçues, Paris, Fayard, 1986.
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 2
et Boltanski).
c6. Une fois démasquée, l’idéologie apparaît fausse: « Jusqu’à présent les hommes se sont toujours
fait des idées fausses sur eux-mêmes», «charlatanerie philosophique», «presque toute l’idéologie
se réduit ou bien à une conception fausse de l’histoire, ou bien à en faire totalement abstraction»,
«conscience fausse» (Marx et Engels); «s’écarte de la réalité», «états d’esprit idéologiques qui
ne correspondent pas à la réalité» (Mannheim); «idées fausses», «théories douteuses» (Boudon).
Ces conditions de définition n’ont pas la même importance. La condition c1 (système
organisé) propulse l’idéologie dans l’environnement immédiat de la science. À cause de cela,
il est plus difficile de démasquer une idéologie scientifique qu’une idéologie politique. La
condition c3 (consentement) suggère d’expliquer comment naît et se diffuse le consentement
social. La condition c6 (fausseté) est centrale pour le sujet, car elle identifie une idéologie par
son écart au réel, et pose en retour la question de l’objectivité des descriptions et explications
en science.
Ainsi définie, l’idéologie entretient des rapports avec des formes de pensée apparentées,
dont certaines ont déjà été distinguées.
La religion remplit toutes les conditions de définition de l’idéologie sauf la condition c4.
On a souvent dit que Marx considérait la religion comme une forme d’idéologie, ce qui n’est
vrai que sous le point de vue de l’idéologie en général, c’est-à-dire des productions mentales
qui intègrent la superstructure. La traduction force parfois l’inclusion, en rendant le membre
«Die Moral, Religion, Metaphysik und sonstige Ideologie […]» par «La morale, la religion,
la métaphysique et le reste de l’idéologie […]»12. Ailleurs, la religion et l’idéologie sont vues
comme des formes distinctes, par exemple lorsqu’il est question des accusations portées
contre le communisme «d’un point de vue, religieux, philosophique et idéologique». La
différence entre ces deux termes tient surtout au fait que la religion vise la transcendance et
non l’organisation concrète de la société. En résumé, religion = (idéologie –c4).
L’utopie a été distinguée par Mannheim. Dans le cas de l’idéologie, les individus restent
«en deçà du temps présent»; dans le cas de l’utopie, «ils ont dépassé ce temps». Si l’on
ramène cette différence à la définition conditionnelle précédente, on voit que l’utopie satisfait
toutes les conditions sauf deux. Étant en dehors de l’espace et du temps, elle ne vise pas de
réalisation concrète (c4); elle ne légitime pas de rapports de domination (c5). Par contraste,
les idéologies comme le capitalisme ou le fordisme débouchent toujours sur les actions dans
le monde concret. En résumé, utopie = (idéologie –c4 –c5).
La théorie, que les auteurs anciens (de Gramsci à Althusser) assimilent à la science tout
court, se rapproche de l’idéologie par son caractère de système organisé d’idées et l’adhésion
qu’elle suscite. Mais on pourrait immédiatement ajouter que le type d’adhésion qu’elle
suscite n’a que peu de rapport avec le consentement émotionnel que déclenchent certaines
idéologies et certaines religions. La théorie se distingue fondamentalement de l’idéologie par
son absence de caractère normatif-prescriptif, par le fait qu’elle ne vise pas son auto-
réalisation (cela n’est vrai que de la science appliquée), et surtout par son caractère vrai. En
12 Karl Marx et Friedrich Engels, Die deutsche Ideologie, op. cit., p. 26, trad. fr. L’Idéologie allemande, p. 36.
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 3
résumé, théorie = (idéologie – c2 –c4 –c6).
La question se pose de savoir si le lexique courant qui vient d’être présenté est suffisant
pour décrire la réalité, ou si de nouvelles formes para-idéologiques peuvent être identifiées.
Je propose de nommer pensée partisane une pensée qui rencontre une forte adhésion au
sein d’un groupe social déterminé, par laquelle ce groupe s’oppose à un groupe antagoniste,
réel ou supposé, et dont le contenu-même est biaisé par cette opposition.
La pensée partisane est voisine mais distincte de l’idéologie. Disons tout d’abord qu’il
existe des exemples d’idéologie scientifique. La théorie des caractères acquis de Trofim D.
Lyssenko ou la théorie cellulaire de Olga B. Lepeshinskaja ont été des idéologies pseudo-
scientifiques, inspirées par les thèses soviétiques années 1930. La pensée partisane partage
avec de telles idéologies le fait d’être un système d’idées organisé (c1); le caractère normatif-
prescriptif (c2); l’adhésion (c3); et la fausseté (c6). Mais, à la différence de l’idéologie, la
pensée partisane ne sert pas un plan d’action – ses détenteurs ne cherchent pas à la faire
advenir par l’action politique (c4); et de ce fait, elle ne légitime pas un rapport de
domination, sinon marginalement (c5). En résumé, pensée partisane = (idéologie –c4 –c5).
La définition conditionnelle de la pensée partisane et de l’utopie étant les mêmes, il faut
les distinguer. De façon lapidaire, cette différence tient au sens de la condition c4 : l’absence
de dimension concrète de l’utopie résulte du fait qu’elle est tournée vers un futur indéfini;
celle de la pensée partisane, du fait qu’elle n’a pas de prise sur le monde réel qui constitue
cependant sa référence. Elle peut, par exemple, être le résidu historique d’une opposition
disparue.
Ces définitions étant posées, je présenterai deux exemples de points de contact entre la
science, normée par l’objectivité, et la pensée partisane, biaisée par définition.
Anthropocène13
Le concept hypothétique d’Anthropocène désigne une nouvelle ère géologique dans laquelle
l’homme serait devenu l’acteur principal des changements géologiques. Son début
coïnciderait avec le début de l’ère industrielle. En raison de son rapport direct à la thématique
du changement climatique (et indirect à l’économie verte), la notion a été abondamment
médiatisée14. Le néologisme Anthropocène a été officiellement introduit par Paul Crutzen et
13 La méthode d’enquête utilisée dans cet article consiste à identifier la période d’emploi d’un terme sur Ngram,
puis à déterminer les premières occurrences en basculant la recherche de Ngram sur GoogleBooks et d’autres
bases de textes numérisés. La méthode, ses biais et ses correctifs sont discutés dans Dominique Raynaud,
Qu’est-ce que la technologie? Paris, Éditions matériologiques, 2016, p. 276. La recherche sur l’histoire du mot
anthropocène que je présente ici aété réalisée à la demande de Lionel Scotto d’Apollonia, qui fait une étude
parallèle de la notion centrée sur les acteurs. Mes premiers résultats ont été présentés dans Scotto d’Apollonia,
«L’épistémologie “molle” de l’Anthropocène », Sixième journée Épistémologie de l’Université de Montpellier,
Montpellier, 30-31 mai 2017.
14 La notion est utilisée dans les sciences de la terre: Paul J. Crutzen, Eugene F. Stoermer, «The Anthropocene»,
IGBP Newsletter, vol. 41, 2000, p. 17-18; Paul J. Crutzen, «Geology of mankind», Nature, vol. 415, 2002, p.
23; William Steffen, Jacques Grinevald, Paul J. Crutzen, John McNeill, « The Anthropocene: conceptual and
historical perspectives», Philosophical Transactions of The Royal Society A, vol. 369, 2011, p. 842-867; en
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 4
Eugene Stoermer en 2000, même si Stoermer déclare avoir «commencé à employer le terme
dans les années 1980»15.
En retenant que le terme Anthropocène a été créé dans les années 1980 et popularisé en
2000, les promoteurs de la notion oublient un épisode important de sa formation.
Le mot антропоген (Anthropogène, avec un g) a été utilisé en URSS à partir des années
1920 pour désigner ce que les Occidentaux nomment l’ère Quaternaire. Les géologues
soviétiques décrivent eux-mêmes l’origine du concept. Rendant compte des travaux de la 2e
Conférence internationale d’étude du Quaternaire qui s’est tenue à Leningrad en septembre
1932, Ivan M. Gubkin écrit:
Certains auteurs (A. Pavlov, A. Zhirmunskij) suggèrent de changer le nom de cette époque et de
donner au Quaternaire le nom d’Anthropogène [Pavlov] ou d’Anthropozoïque [Zhirmunskij],
soulignant ainsi le rôle joué par l’homme comme facteur géologique modifiant16.
Le terme Anthropogène a été introduit par le géologue, stratigraphiste et paléontologue
Aleksej P. Pavlov (1854-1929) dans une conférence prononcée devant l’Académie des
Sciences le 29 décembre 1921 et intitulée: «Époques glaciaires et interglaciaires de l’Europe
et leur rapport à l’histoire de l’homme fossile»17. Les expressions антропоген
(Anthropogène) et антропогеновый период (période anthropogénique) ont été largement
reprises par les géologues russes des décennies suivantes.
Durant la Guerre froide, la littérature scientifique russe a été traduite en anglais à des fins
de contrôle stratégique de l’information. Les articles de biologie et de géologie furent traduits
par l’American Institute of Biological Sciences de Washington. La première occurrence du
mot Anthropocene apparaît dans la traduction d’un article du biologiste Nikolaj N. Vorontsov
(1934-2000) tiré des Doklady Akademii Nauk SSSR/Comptes-Rendus de l’Académie des
Sciences d’URSS en 1960. Voici le passage original et sa traduction:
philosophie et histoire des sciences: Jacques Grinevald, «Le concept d’Anthropocène et son contexte historique
et scientifique», Entropia, vol. 12, 2012, p. 22-38; Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement
Anthropocène, Paris, Le Seuil, 2013; en sociologie: Bruno Latour, Face à Gaïa, Paris, La Découverte, 2015 ; en
géographie: Simon L. Lewis et Mark A. Maslin, « Defining the Anthropocene », Nature, vol. 519, 2015, p.
171-180; en littérature: Jeremy Davies, The Birth of Anthropocene, Berkeley, University of California Press,
2016, etc.
15 «The concept of Anthropocene, proposed by one of us [Crutzen] about a decade ago […]», « I [Stoermer]
began using the term anthropocene in the 1980s […]», Steffen, Grinevald, Crutzen et McNeill, The
Anthropocene, op. cit., p. 843.
16 «В связи с этим некоторые авторы (А.Павлов,А.Жирмунский)предлагают даже изменить название
этой эры и дать четвертичному периоду наименование антропогена или антропозоя,подчеркивая этим ту
роль,которую играл в ней человек в качестве геологического фактора », И.M. Губкин,Основные задачи
изучения четвертичных отложений,Социалистическая реконструкция и наука,Вып. 7, 1932, стр. 9-41,
стр. 38.
17 А.П.Павлов,Ледниковые и межледниковые эпохи Европы в связи с историей ископаемого человека/
«Époques glaciaires et interglaciaires d’Europe et leur rapport à l’histoire de l’homme fossile», Бюллетень
Московского общества испытателей природы.Отдел геологический,Bulletin de la Société des Naturalistes
de Moscou. Section géologique, vol. 31, 1922, p. 23-81; repris dans А.П.Павлов,Геологическая история
европейских земель и морей в связи с историей ископаемого человека.Москва-Ленинград,Изд-во АН
СССР, 1936, стр. 317.
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 5
Темпы эволюции иожно-американских хомяков очень высоки—в течение плиоцена и
антропогена здесь сформировались более 40 родов, причем ряд из них достиг уровня триб
и подтриб.
The tempo of evolution in South American hamsters was very rapid – in the course of the
Pliocene and Anthropocene 40 genera were formed here, at which time a series of them attained
the level of tribe and subtribe18.
Anthropogène a été traduit Anthropocene à cause de la proximité des mots Pliocene et
Holocene dans le texte, qui suggérait d’homogénéiser les suffixes -gène et -cène. C’est par
cette voie qu’Anthropocene a fait sa première apparition dans une langue occidentale,
l’anglais, en 1960.
Le mot Anthropocene a ensuite été repris, entre 1960 et 1975, dans les publications
suivantes: Bibliography of Agriculture, vol. 25, 1961, p. 4; International Geological
Congress. Report of the Twenty-First Session, Norden, 1963, p. 309; Geochemistry
International, vol. 3, 1966, p. 950; Doklady: Biological Sciences Sections, vol. 172, 1967, p.
62; Quarterly Review of Biology, vol. 43, 1968, p. 337; Radiocarbon, vol. 10, 1968, p. 464;
Great Soviet Encyclopedia, vol. 6, 1975, p. 41419. Le terme a probablement tiré un surcroît de
popularité de l’existence de courants parallèles apparus à la même période, tels que
l’anthropocentrisme écologique20.
On notera enfin que la série américaine des Doklady est conservée par l’Université du
Michigan où professait Eugene Stoermer (cote QH301.A293).
Résultat. Le mot Anthropocène n’a pas été inventé par Stoermer dans les années 1980 et
popularisé par Stoermer et Crutzen en 2000. Ces auteurs ont promu une «notion nouvelle»,
en oubliant qu’elle avait été créée par Pavlov en 1921, avant d’être traduite dans plusieurs
langues occidentales: l’anglais en 1960, le français en 1963.
Entretenant une forme d’amnésie sur sa propre histoire, la notion partisane est apparentée
au processus d’«oblitération par incorporation» (OBI) dans l’histoire de la diffusion des
connaissances, étudiée par Robert K. Merton puis Eugene Garfield. Les mécanismes de
18 Н.Н.Воронцов,Темпы эволюции хомяков (Cricetinae) и некоторые факторы,определяющие ее
скорость,Доклады Академии наук СССР,Т.133, №8, 1960, стр. 980-983; transl. Nikolaj N. Vorontsov,
«Tempo of evolution in Hamsters (Cricetinae) and some factors determining its rate », Doklady : Biological
Sciences Sections, vol. 133, n° 8, 1960, p. 641.
19 Nous laissons de côté l’occurrence Field Trip Resumes. English Translations. Translated and Published by the
American Geological Institute Cooperating with the Comite Ejecutivo, XX Congreso Geológico Internacional,
Mexico et Washington, American Geological Institute, 1956, p. 34, qui pourrait être un faux positif.
20 Héritage du finalisme mystique de Teilhard de Chardin, l’anthropocentrisme a été défendu par William
Murdy, «Anthropocentrism: A Modern Version », Science, vol. 187, 1975, p. 1168-1172, comme solution aux
problèmes environnementaux: «Anthropocentrism is proposed as a valid and necessary point of view for
mankind to adopt for consideration of his place in nature». Les problèmes que posent cette conception, qui
partage un axiome commun avec la notion d’anthropocène, sont les suivants: 1/ Entretenant un rapport avec le
finalisme, quel est le statut épistémologique de cette théorie? 2/ Sachant que le progrès des connaissances a
souvent procédé d’un rejet des conceptions anthropocentriques, comment cette théorie répond-elle à la notion de
progrès scientifique?
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 6
formation sont toutefois distincts. Le mécanisme OBI désigne l’oblitération de la source
d’une notion tombée dans l’usage courant:
The transmitters may be so familiar with its origins that they mistakenly assume these to be well-
known. Preferring not to insult their readers’ knowledgeability, they do not cite the original source
or even refer to it. And so it turns out that the altogether innocent transmitter becomes identified
as the originator of the idea21,
L’oubli partisan de la notion d’Anthropocène résulte, quant à lui, plutôt de la réduction
des échanges scientifiques entre les deux blocs durant la Guerre froide, et de l’opportunité qui
s’offrait alors à l’Ouest de récupérer une notion créée par l’autre bloc.
Technique22
Le mot technologie a deux sens principaux: la science des techniques, c’est-à-dire la
description systématique des procédés industriels (sens 1: Beckmann); l’application des
connaissances scientifiques aux arts et métiers (sens 2: Bigelow)23. La seconde acception est
à l’origine du sens dominant aujourd’hui: «the practical application of knowledge»
(Merriam-Webster’s Dictionary).
Il est frappant de constater la forte réticence des historiens et philosophes français des
années 1970-1980 à employer le mot «technologie», et leur préférence unanime du mot
«techniques»:
Cellard: «Cet abus prétentieux et révélateur est aujourd’hui systématique […] quatre-ving-quinze
fois sur cent l’emploi de technologie, -gique n’est qu’un faux sens emphatique et lourd».
Guillerme: «Au regard de qui tient la polysémie pour une figure du Mal, technologie est à ranger
entre les termes les plus exposés à une casuistique de la langue […] le destin sémantique de
technologie peut être compris et expliqué comme l’effet d’un mode pervers de composition qui se
résout dans la synonymie».
Sigaut: «Mais qu’est-ce que la technologie? […] De plus en plus, technologie est devenu une
espèce de superlatif savant, ou pédant, de technique […] L’origine de cet abus est connue: c’est
l’habitude prise, après la dernière guerre, de transposer en français le terme anglo-américain
technology, dans l’ignorance du sens qu’il avait déjà dans notre langue».
Séris: «Cellard, et bien d’autres, ont bien raison de dénoncer, dans quatre-vingt-quinze pour cent
de ces emplois, “un faux sens emphatique et lourd”, une transposition indue du terme anglo-
21 Robert K. Merton, On the Shoulders of Giants : A Shandean Postscript, Chicago, The University of Chicago
Press, 1965, p. 218; voir aussi Eugene Garfield, «The Obliteration Phenomenon», Current Contents, vol. 51/52,
1975, p. 5-7.
22 Cette section sur les techniques est un complément à Qu’est-ce que la technologie? op. cit.
23 Johann Beckmann, Anleitung zur Technologie, Göttingen, Vandenhoeck, 1777; Jacob Bigelow, Elements of
Technology, Taken Chiefly from a Course of Lectures… on the Application of the Sciences to the Useful Arts,
Boston, Hilliard, Gray, Little, and Wilkins, 1829. Le livre de Bigelow est tiré de cours donnés entre 1816 et
1827.
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 7
américain technology, oublieuse du sens que le mot avait antérieurement dans notre langue »24.
Cette réticence fut si forte, qu’à la création de l’ICOHTEC (International Cooperation in
History of Technology Committee), le 27 août 1968, son premier secrétaire général, Maurice
Daumas, traduisit le titre en changeant technology en technique (Comité pour la coopération
internationale en histoire des techniques)25. Est-il vrai que le mot technologie est illégitime en
français du fait: 1/ qu’il viendrait des États-Unis; 2/ que cet anglicisme aurait contaminé le
sens primitif du mot technologie en français: description systématique des techniques (sens
1) plutôt qu’application pratique des sciences (sens 2)?
L’enquête réserve des surprises. En effet, le sens 2, généralement attribué à Bigelow, est
déjà en usage en France, au siècle des Lumières. Alors que le Dictionnaire Royal françois et
anglois de 1702 d’Abel Boyer traduit encore Technology en précisant : « Technologies,
Description des Arts Mechaniques», la version de 1768 se contente de l’équivalence:
«Technology, f. technologie, f.»26. C’est un premier obstacle pour ceux qui maintiennent
l’existence de deux sens distincts en français et en anglais, et un anglicisme contracté après la
Seconde Guerre mondiale.
Mais c’est surtout les doctrines révolutionnaires qui ont promu le sens 2. Inutile de
s’appuyer sur le Dictionnaire technologique de Francoeur (1822), où la technologie est un
synonyme d’«application des Sciences aux Arts»27. Ce sens est suffisamment clair en l’an X
de la République (1802), pour que la définition de Beckmann soit attaquée dans le compte-
rendu même de l’Anleitung zur Technologie : « La Technologie, d’ailleurs, n’étant point une
science proprement dite, mais l’application des sciences, en général, aux besoins de la vie,
nécessite une connoissance plus qu’élémentaire de ces sciences»28.
Quelques années plus tôt, le 8 vendémiaire de l’An III (1794), l’abbé Grégoire avait
transmis un Rapport sur l’établissement d’un Conservatoire des Arts et Métiers dans lequel il
insistait, entre autres choses, sur le fait qu’«il est essentiel de fixer et d’uniform[is]er la
technologie»29. Cette mesure ne se comprend que rapportée à la situation d’Ancien Régime
où proliféraient les savoirs corporatifs, souvent obscurs et variables d’une région à l’autre.
Les corporations ayant été supprimées par la loi Le Chapelier de 1791, il restait à traduire en
24 Jacques Cellard, «Langage», Le Monde, 23 mars 1980, p. xviii; Jacques Guillerme, «Les liens du sens dans
l’histoire de la technologie», Cahiers STS, vol. 2, «De la technique à la technologie», 1984, p. 23-29, cit. p. 23;
François Sigaut, «Haudricourt et la technologie», André-Georges Haudricourt, La technologie, science
humaine. Recherches d’histoire et d’ethnologie des techniques, Paris, Éditions de la MSH, 1988, p. 9-32, cit. p.
9; Jean-Pierre Séris, La Technique, Paris, PUF, 1994, p. 3.
25 Mirko D. Grmek, «XIIeCongrès international d’Histoire des sciences, Paris, 26-31 août 1968», Revue
d’histoire des sciences et de leurs applications, vol. 21, n° 4, 1968, p. 351-355, cit. p. 354. C’est le titre retenu
dans les actes du premier colloque de l’ICOHTEC : René Taton, Maurice Daumas, Comité pour la coopération
internationale en histoire des techniques,L’acquisition des techniques par les pays non-initiateurs (Pont-à-
Mousson, 28 juin-7 juillet 1970), Paris, Editions du CNRS, 1973.
26 Abel Boyer, Dictionnaire Royal, françois et anglois,La Haye, Meyndert Uytwerf, 1702, TA U-TEC; Lyon, J.M.
Bruyset, 1768, TAS -TEE.
27 Louis-Benjamin Francoeur et al., Dictionnaire technologique, Paris, Thomine et Fortic, 1822, vol. 1, p. xxvij.
28 «Annonces», Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale 9, 1802, p. 79-80, cit. p. 80.
29 Henri Grégoire, Rapport sur l’établissement d’un Conservatoire des Arts et Métiers par Grégoire, séance du 8
vendémiaire, l’an 3 de la République une et indivisible. Paris, Imprimerie Nationale, an III (1794), p. 11.
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 8
clair le vocabulaire technique, émancipé de la tutelle des corporations.
Le Paris révolutionnaire fut aussi le lieu d’une transformation des structures
d’enseignement. Les 20 et 21 avril 1792, Condorcet présente son Rapport sur l’organisation
générale de l’instruction publique à l’Assemblée législative. Il prévoit la création d’une
Société nationale divisée en quatre classes, dont la troisième s’appelle «Application des
sciences aux arts». Cet intérêt pour la technologie et les sciences appliquées se retrouve à
petite échelle. Le Lycée des arts, créé par Desaudray en 1792, installé au cirque du Palais
Égalité en avril 1793, demande à Jean-Henri Hassenfratz de faire le cours de technologie. On
lit dans le Programme de l’An I: «Technologie. Description générale des Arts et Métiers.
Examen des élémens des machines et leur application aux machines construites.
Connaissances des détails et des procédés des manufactures. Par le citoyen Hassenfratz»30.
Hassenfratz semble avoir doublé son cours, puisque on retrouve le même descriptif dans le
programme d’une autre institution, le Lycée Républicain, émanation de l’ancien Musée de
Pilâtre de Rozier31. Le cours de technologie de Hassenfratz ayant duré une dizaine d’année, il
est possible de suivre l’évolution du cours à travers les programmes. L’An I de la République
(1793), le syllabus associe sens 1 et sens 2: «Technologie. Description générale des arts et
métiers. Examen des élémens des machines & leur application aux machines construites.
Connoissances des détails & des procédés des manufactures. Par Hassenfratz». L’An IX
(1800), le syllabus ne retient plus que le sens 2: «Le C[itoyen] Hassenfratz enseignera la
Technologie, ou application des sciences aux arts et métiers » (mes italiques). Cette
définition sera conservée après la refonte du Lycée en Athénée de Paris: on trouve dans le
programme de l’An XIII (1804): «Technologie, ou application des Sciences aux Arts et
Métiers. M. Hassenfratz, Ingénieur des Mines»32.
Contrairement à l’opinion dominante dans les années 1970, le mot technologie n’a jamais
eu en français le sens primitif exclusif de science ou description des techniques. Les
documents attestent que, dès la fin du 18e siècle, la technologie fut comprise comme une
application des sciences aux arts et métiers et, par extension, les arts et métiers tirant parti de
la science. Le sens 2 de technologie n’est donc pas un emprunt: ce sens est attesté en français
10 ans avant la publication du livre allemand de Beckmann, 60 ans avant la publication du
livre américain de Bigelow.
Résultat. Le rejet français du mot technologie, à cause de ses connotations américaines
30 «Lycée des Arts», Magasin encyclopédique, vol. 52, 1793, p. 409-415, cit. p. 414.
31 L’histoire de ces institutions est assez compliquée. L’établissement de la rue Valois a porté tour à tour le nom
de Musée ou Musée de Monsieur (1781-1785), Lycée (1785-1793), Lycée républicain (1793-1802), Athénée
républicain, ou Athénée de Paris (1802-1814) enfin Athénée Royal après la Restauration (1814-1848). Le Lycée
des Arts (1792-1802), transformé en Athénée des arts de Paris (1802-1866), était un établissement distinct.
Après l’incendie de 1799, il quittera le le cirque du Palais Égalité pour l’Oratoire. La remarquable biographie
d’Hassenfratz ne distingue suffisamment les deux établissements, Emmanuel Grison, L’étonnant parcours du
républicain J.H. Hassenfratz (1755-1827), Paris, Presse de l’École des Mines, 1996, p. 178-182.
32 «Lycée », Journal encyclopédique ou universel, vol. 3, 10 Avril 1793, p. 251-264, cit. p. 264; « Lycée
républicain», Magasin encyclopédique, vol. 4, 1800, p. 97-104, cit. p. 100; «Athénée de Paris», La Décade
philosophique, littéraire et politique, vol. 12, 1804, p. 185-187, cit. p. 186.
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 9
présumées, résulte d’une politique de non-alignement des chercheurs durant la Guerre froide,
et en particulier des fondateurs de l’ICOHTEC (le Polonais Eugeniusz Olszewski, le Russe
Semyon V. Shukhardin, l’Américain Melvin Kranzberg et le Français Maurice Daumas) au
moment où l’organisation fut créée entre 1965 et 196833. L’historien des techniques
Emmanuel Grison indique que, pour Maurice Daumas,
Le terme de “technique” […] était délibérément choisi et revêtu d’une signification personnelle.
Sur le plan philosophique, Daumas préférait parler de l’évolution historique des techniques, plutôt
que de la technologie, parce que c’est en se servant des techniques que les hommes fabriquent,
manipulent et cultivent, alors que le terme technologie est un néologisme qui, au sens propre,
désigne la connaissance des techniques et non les techniques elles-mêmes34.
La technique et la technologie relevant respectivement des infrastructures et des
superstructures35, le choix du mot technique traduit le souci de Daumas d’éviter que l’histoire
des techniques ne s’écrive par le haut, du point de vue des dominants, incarnés alors par les
États-Unis. Évidemment, le fait que le mot technologie ait été employé en France bien avant
qu’il ne soit introduit aux États-Unis ruine cette argumentation, produit de la pensée partisane
tributaire du contexte de la Guerre froide.
Conclusion
Les deux cas que nous venons de passer en revue montrent l’intérêt qu’il y a à distinguer,
parmi les formes para-idéologiques, le cas de la pensée partisane.
Si l’on ne pose pas ce concept, Anthropocène et Technique n’étant ni des idéologies, ni
des religions, ni des utopies, ni des théories, ces idées peuvent tout au plus susciter un
malaise, mais ce malaise reste indéfini: appelons un chat, un chat.
Le concept de pensée partisane permet de débusquer, au sein même de la science qui vise
l’objectivité, des notions auxquelles il revient d’attribuer leur place exacte, c’est-à-dire à la
limite ou au-delà de la science. Il va sans dire que la simple imprécision d’une notion ne
33 Kranzberg évoque le contexte de cette création: «For 1968, the year of ICOHTEC’s “official birth”, – and
that of the Prague Spring – was atime when the Cold War was at its height – or, the “thermometer-minded”, at
its lowest point if measured in terms of the deepening chilliness of the atmosphere between the Western nations
and the Eastern European bloc, then dominated by the Soviet Union […] Hence, conflicting economic goals,
political rivalries and antagonistic social ideologies might narrow technology’s potential benefits to mankind»,
Melvin Kranzberg, «ICOHTEC: Some Informal Personal Reminiscences», G. Hollister-Short and F. James,
eds., History of Technology, Bloomsbury, Mansell Publishing, 1994, p. 139.
34 Emmanuel Grison, Postface à Maurice Daumas, Arago, 1786-1853. La jeunesse de la science, Paris, Belin,
1987, p. 282.
35 Les textes de Daumas contiennent d’autres marques de l’héritage marxiste. «Cent hommes étudiant un même
problème en même temps obtiennent des résultats de beaucoup plus importants qu’un homme seul se consacrant
au même travail pendant un temps cent fois plus long» (Maurice Daumas, Histoire générale des techniques,
Paris, PUF, 1962, tome 1, p. x) est un décalque de « Douze maçons […] simultanément occupés aux différents
côtés d’une bâtisse, avancent l’œuvre beaucoup plus rapidement que ne le ferait un seul maçon en douze jours»
(Karl Marx, Le Capital, Paris, Lachatre, 1875, vol. 1, p. 142).
ANTHROPOCÈNE, TECHNIQUE… 10
permet pas de porter un tel diagnostic.
Cet examen mériterait d’être prolongé sur des notions qui peuvent, à première vue,
relever de la même catégorie, par exemple la «science post-normale» de Ravetz et
Funtowicz36 ou le «mode 2» de Nowotny37. Toutefois, sans examen approfondi, rien ne
permet de dire si ces idées relèvent de l’idéologie ou de la pensée partisane38.
36 Silvio O. Funtowicz, Jerome Ravetz, « Science for the Post-normal Age», Futures, vol. 31, 1993, p. 735-755;
PNS 3 Symposium Post-Truth and a Crisis of Truth? Perspectives from Post-Normal Science and Extended
Citizen Participation (Tübingen, 25-26 September 2017).
37 Helga Nowotny et al., Re-Thinking Science: Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty, Cambridge,
Polity Press, 2001; trad. fr. Repenser la science: savoir et société à l’ère de l’incertitude, Paris, Belin, 2003.
38 La science post-normale ne répond pas à la condition c4 lorsqu’elle déclare «fournir une réponse aux
tendances actuelles de la post-modernité» mais remplit cette condition quand elle propose de prendre des
«décisions urgentes à partir de faits incertains», ce qui l’inscrit, de fait, dans un plan l’action.
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