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Processus de preuve et situations de validation
Nicolas Balache
To cite this version:
Nicolas Balache. Processus de preuve et situations de validation. Educational Studies in Mathemat-
ics, Springer Verlag, 1987. <hal-01619264>
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage1/33
PROCESSUSDEPREUVEET
SITUATIONSDEVALIDATION
Provingprocessesandsituationsforvalidation.
NicolasBalacheff
InstitutIMAG
UniversitéGrenoble1,CNRS,INPG
Laboratoire LSD2, Équipe de recherche en didactique des mathématiques et de
l’informatique.
Tapuscritauteur de :BalacheffN. (1987)Processusdepreuves etsituationsdevalidation.
EducationalStudiesinMathematics18(2)147‐176.
Résumé:Nousétudionslesrelationsentrepreuvesetcontradictionsdanslarésolutiond'unproblème
demathématiques.Cetteétudemontrelanécessitéd'uneapprocheàlafoissituationnelleetcognitive,
notamment en référence au fonctionnement des connaissances dansl’apprentissagedes
mathématiques. Ceci nous conduit à distinguer différents stades dans l'évolution des preuves
pragmatiques aux preuves intellectuelles. Enfin nous montrons que le dépassement d'une
contradiction ne constitue pas nécessairement un progrès cognitif, en particulier nous examinons le
traitementd'uncontre‐exemplepardesélèvesdequatrième.
Abstract: A study is made of the relationship between Proofs and Contradictions in mathematics
problem‐solving.Withrespecttomathematicslearning,weshowthenecessityforanapproachbeing
bothsituationaland cognitive. This study leads to the demarcation ofseveralstagesfrom Pragmatic
Proofs to Intellectual Proofs. We then go on to show that overcoming a contradiction does not
necessarily constitute cognitive progress. In particular we examinehowpupils(13‐14yearold)cope
withcounterexamples.
INTRODUCTION
La notion de démonstration occupe une place importante dans l'enseignement
des mathématiques en France où elle apparait lors de la troisième année de
l'enseignement secondaire, en classe de quatrième. Son apprentissage présente
des difficultés importantes. Il est classique de signaler que cesdifficultéssont
d'abord liées au passage d'une mathématique«pratique», caractérisée par
l'action et l'observation dans le cours des deux premières années de
l'enseignement secondaire, à une mathématique plus théorique justement
caractériséepar l’introduction de ladémonstration. Ce passage apparaitcomme
unevéritableruptureducontrat didactique qui, avant cette introduction, réglait
lesrelationsdesélèvesetdumaitreàproposdel'activitémathématique.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage2/33
Nousnousproposonsd'aborderceproblèmeenleformulantcommecelui de la
détermination des conditions didactiques d'une genèse cognitivedela
démonstration.
Maisavantd'allerplusloinilestnécessairequenousclarifionsquelquespointsde
vocabulaire; les expressions raisonner, prouver, démontrer, sont souvent
considéréescommesynonymesparlesmathématiciens,particulièrementlorsqu'il
s'agitd'enseignement.Celaconstitueànotresensunobstacleauxrecherchessur
cesquestions.
Nousappelonsexplication un discours visant àrendreintelligiblelecaractèrede
vérité, acquis pour le locuteur, d'une proposition ou d'un résultat. Les raisons
avancéespeuventêtrediscutées,refuséesouacceptées.
Nousappelonspreuve une explication acceptée par unecommunautédonnéeà
unmomentdonné.Cettedécisionpeutêtrel'objetd'undébatdontlasignification
estl'exigencededéterminerunsystèmedevalidationcommunauxinterlocuteurs.
Auseindelacommunautémathématiquenepeuventêtreacceptéespourpreuve
que des explications adoptant une forme particulière. Elles sont une suite
d'énoncésorganiséesuivantdesrèglesdéterminées:unénoncéestconnucomme
étant vrai, ou bien est déduit de ceux qui le précèdent à l'aide d'une règle de
déduction prise dans un ensemble de règles bien défini. Nous appelons
démonstrationscespreuves.
Nous réservons le mot raisonnement pour désigner l'activité intellectuelle, la
plupart du temps non explicite, de manipulation d'informations pour, partir de
données,produiredenouvellesinformations.
Ces distinctions de vocabulaire mettent en relief les dimensions sociales de la
démonstrationentantquerésultatd'unprocessusparticulierdepreuve.
Nousnousproposonsdemontrerquel'étudedesprocessusdepreuve doit être
conduite en référence à la foisàceluiquilesmetenœuvreentantquesujet
connaissant et à la situation dans laquelle il les met en œuvre. Nous mettrons
alorsenévidencelavariétédeleurnatureetquelquesé1émentsdelacomplexité
deleur fonctionnement.Cetteétudenousconduiraàdifférencier desniveauxde
preuvepouvantprendreplacedanslagenèsedeladémonstration dans une
perspectived'apprentissage.
Aborder la démonstration sous l'angle de l'interaction sociale nous conduit
naturellement à envisager la dialectique des preuves et des réfutations, ou plus
généralementleproblèmedutraitementdescontradictions.C'estparlàquenous
commencerons.
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LEPROBLEMEDELACONTRADICTION
L'une des finalités d'un processus de preuve peut être expriméecommeétant
d'assurer l'absence de contradictions formelles ou sémantiques dans la solution
d'unproblème.Maisle«fait»delacontradiction,alorsportéaucentredudébat
devalidation,présenteunecomplexitéquineselaissepasréduireàlacomplexité
logique.
UNECONTRADICTIONESTRELATIVEÀUNTÉMOIN
Nous retenons l'hypothèse qu'une contradiction n'existe « que si un témoin‐
locuteur la construit » (Grize et al. 1983). Ceci signifie qu'une contradiction
n'existepasen soi mais relativementàunsystèmecognitif.Enconséquenceune
contradictionavérée pouruntémoin peutêtreniéeou inexistantepourunautre
individu.Parexemple,tellecontradictionserareconnueparl'enseignant, ou par
l'observateurdanslasituationexpérimentale,maisneleserapasparl'élève:
Ayantmontréquelasuite(un)admetunelimiteLvérifiantL<1,desétudiants
traiterontdansl'expression:
Unn+1+unn+un2+un+1
d'unefaçonindépendantenenexposantetnenindice:
lim(unn+1+unn+un2+un+1)=lim(un2+un+1)
=L2+L+1
(Robert1982)
Inversement une contradiction peut être attestée par les élèvesalorsquepour
l'enseignantelleestinexistante:
Pour des élèves de cinquième la somme des angles d'un triangle ne peut être
égale à 180° pour tout triangle, parce qu'un petit triangle ne peutavoirmême
sommed'anglesqu'untriangleplusgrand.
(Balacheff1987)
Encinquième,pourl'évaluationduvolumed'unparallélépipèdeàl'aidedepetits
cubes, certains élèves, ayant décompté le nombre de cubes dans l'une des
dimensions, considèrent qu'il faut en compter un de moins dans chacune des
deuxautres,parcequ'onnepeutpascompterdeuxfoislecubeducoin.1
(Bodin1980)
Dans ces exemples les raisons de l'identification ou de l'absence d'identification
d'une contradiction, sont à chercher dans la nature même des connaissances
1Cetobstacleàl'acquisitiondelanotiondevolumeaétérelevépar Bodinetconfirmépar
lestravauxdeVergnaud,Rouchieretal.(1983).
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mobilisées par les élèves. Les deux derniers cas correspondent d'ailleurs à des
situations de conflit cognitif sur lesquels s'appuient souvent les situations
didactiquesquenousconcevons;l'hypothèseétantquelaprisedeconsciencede
telles contradictions rend nécessaire l'évolution des conceptions de l'élève. On
reconnaitlà laproblématiqueconstructivisteselonlaquellelacontradictionestla
source d'un déséquilibre dont la compensation est le moteur du progrès de la
connaissance(dansle double processus de l'accommodation etdel'assimilation,
on peut à ce sujet se reporter aux ouvrages classiques de Piaget). C'est encore
dans cette perspective que s'inscrit l'épistémologie scientifique héritière de
Popper. Cependant la reprise de cette problématique par Lakatos, pour ce qui
concerne les mathématiques, fait apparaitre que le dépassement des
contradictionsneseraitenfaitquepotentiellementsourcedeprogrès.
CONDITIONSDELAPRISEDECONSCIENCED'UNECONTRADICTION
Dans le fonctionnement didactique, l'existence d'un savoir mathématique de
référence (savoir scientifique ou savoir scolaire) donne à l'enseignant une
responsabilité particulière quant à une décision sur le caractère effectivement
contradictoire d'une situation. Il s'agit, pour lui, de rallierl'élèveàcette
reconnaissance,deluiouvrir l'accèsàuneprisedeconsciencedelacontradiction
éventuelleentresesconceptionsetlesavoiràenseigner.
PourPiagetcetteprisedeconscience«ne se produit qu'au niveau où le sujet
devientcapablededépassement»(1974p.161).Maiscedépassementpouvanten
faitconsisterenunevéritableréorganisationdesconnaissances,laconditionpeut
paraitreun peuforte.Nousn'exigeronspascedépassementpotentiel,maisnous
retiendronsquesonproblèmeestposé:
prendreconscience d'une contradiction c'estposer le problème du choix
entredeuxpropositions:uneaffirmation et sanégation.Quellequesoit
l’issuedecechoix,ellesupposequel'affirmationsoitdisponibleetqu'elle
soitsusceptibled'êtreniée.
Lacontradictionestainsi dépendanted'unedoubleconstruction.Noussoutenons
l'idéequelaprisedeconsciencene se produira qu'au niveau où le sujet devient
capabledecettedoubleconstruction.
Unefoislacontradictionidentifiéeparl'élève,sondépassementpeut,quantàlui,
n'êtreobtenuqu'après unlongtravail.Ainsi, dans lecasdela mesuredesangles
d'untriangle,ledépassementdelacontradictionévoquéeplushaut passera par
une reprise des conceptions qu'a l'élève de la mesure d'un angleetparson
appropriation du postulat d'Euclide et de ses conséquences. La mise en relation
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des propositions « plus un triangle est grand plus la somme de ses angles est
grande»et«lasommedesanglesd'untriangleest180°»,sielleouvrel'accèsàla
contradiction,nesuffitpaspourautantàsondépassement.
Parailleurs,dans le contexte qui nousintéresseici,lacontradiction n'existe que
parrapportàuneattentedéçue,àuneconjectureinfirmée.L'existencepotentielle
del'affirmationnesuffitpas.IIfautqu'ellesetrouve,commele diraitHadamard,
au‐devantdelascène.Piagetmentionnelui‐mêmeque«laprisedeconsciencede
lacontradictionest bienplusaiséelorsqu'elleapparaitentreuneprévisionetune
donnée extérieure qui lui inflige un démenti» (ibid.). On peut constater ici que
Piaget ne s'en tient pas aux seules conditions cognitives mais qu'il ouvre son
analyseàdesconditionsliéesàla situation.IInevacependantpasplusloindans
cettedirection,dumoinspourcequenousavonspulire.
Ainsi la prise de conscience d'une contradiction suppose une prédiction,c'est‐à‐
dire l'engagement effectif de l'élève sur une affirmation. Cela signifie son
dégagement de l'action, un pas de côté grâce auquel l'action est considérée
comme susceptible d'une réflexion, voire d'un discours. L'action n'est alors plus
seulementagie. Produitd'unchoix, elleestrapportéeàsesconditionsdevalidité
etàseseffets.Elleestsoumiseàunefinalité.Lacontradiction surgit de la non
réalisationdecettefinalité.Elleposedonclaquestiondu choix etdesconditions
del'action.
Nous retiendrons les conditions suivantes comme nécessaires à la prise de
conscienced'unecontradiction:
(i)existenced'unattendu;
(ii) possibilité de construire l'affirmation associée à cet attendu et sa
négation.
Il en découle que la contradiction est associée à un processus d'évaluation,
expliciteounon,délibéréounon,etdedécision.
Pour que l'élève soit capable de ces anticipations il est nécessaire que ses
connaissances constituent un modèle de la réalité afin de lui permettre un
contrôleaprioridelasituation‐problèmedanslaquelleilsetrouve.
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SITUATIONETPROCESSUSDEVALIDATION
ÉVIDENCEDURÔLEDELASITUATION
Ilexisteplusieursformesetplusieursniveauxdevalidationdontlamobilisationet
lamiseenœuvre sontprovoquéesparlesexigencesdelasituationdanslaquelle
onpeutsetrouver.CefaitestbienillustréparunemétaphoredePopper:
Lorsque j'achète un livre et que le libraire me rend vingt pence de monnaie, je
suis«toutàfaitcertain»,quelesdeuxpiècesnesontpasdescontrefaçons[...]Si
quelqu'unmedemandait«êtes‐vouscertainquelapiècedansvotremainestune
piècededixpence?»,jeluijetteraispeut‐êtreànouveauuncoupd'œiletdirais
«oui». Mais si quelque chose d'important dépendait de la vérité de mon
jugement,jepensequejeprendraislapeinedemerendredanslabanquelaplus
procheet de demanderaucaissier d'examinerlapièce ;etsila vied'unhomme
endépendait,j'essaieraismêmedevoirlechiefcashierdelabanqued'Angleterre,
etluidemanderaisdecertifierl'authenticitédelapièce.
(Popper1972pp.89‐90)
etPopper poursuit soutenant que «la ‘’certitude’’ d'une croyance n'estpastant
fonction de l'intensité de cette dernière que de la situation : de ce que nous
anticiponscommesesconséquencespossibles.»(ibid.)
L'absence de tout processus de validation ou, au contraire, la mise en œuvre
d'argumentations éventuellement solidement fondées théoriquement,
apparaissent directement liés à l'analyse que l'individu fait de la situation dans
laquelle il se trouve. Un rôle central, éventuellement moteur, estjouéparson
évaluationdurisqueliéàunedécisionqu'ildoitprendre.
Le processus de validation, l'élaboration de preuves de tous ordres, est ainsi
d'abordliéàdesfinspratiques.IIs'agitdes'assurerlesgarantiesnécessairesàun
engagement dans l'action ; ici l’action de décider de la vérité d'une assertion.
Quantàl'engagementàdifférentsniveauxdevalidationilrépondàuneéconomie
delogique«quiveutque l'onnemobilisepasplusdelogiquequ'iln'enfautpour
lesbesoinsdelapratique»(Bourdieu1980p.145).
Ainsi,lasituation dans laquellealieul'actiondel'élève peut tolérerl'absencede
travailsurlavalidation.
C'estle cas,danscertainessituationsdidactiques,desphasesd'appropriationdes
règlesd'unjeu,oudufonctionnementd'unmatériel.Parexempledanslasituation
dite de «la course à 20» étudiée par Brousseau (1975), après l'exposition des
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règles2lesélèvessontinvitésàjouer,chaquepartieterminéeétantsuivie d'une
nouvelle partie sans autre exigence. Dans une telle situation, l'élève peut, pour
jouer une partie, ignorer les précédentes, ne pas travailler ses décisions : la
situation tolère l’absence de validation. Cependant pour des raisons qui leur
appartiennentdesélèvesvoulantgagnerchercherontdesraisons,despreuvesde
la validité de leur stratégie. Dans ces situations des succès réitérés peuvent
instituerdesrèglesd'actioncommeautantdesourcespossiblesdethéorèmes‐en‐
acte(Vergnaud1981).
C'est aussi le cas des situations dans lesquelles l'élève a à exécuter des
algorithmes,dessuitesd'ordre,ouàmettreenœuvredespratiquesrégléespar
deshabitudespourlesquelleslesquestionsdelavaliditéetdelaconsistancenese
posent pas. Ces situations constituent des sphères de pratique3. Elles n'exigent
pasdecontrôledesproductions,touteerreurcontingented'exécutionmiseàpart,
parcequelasituationporteapriorisurde«bonsobjets»,de «bonnes
relations»,selonuncontratquipermetl'économiedel'examendesconditionsde
validitédel'action.
Dans ces cas, l'absence observée de mise en œuvre de processus de preuve, le
niveau des preuves éventuellement développées, ne sont décisifs ni pour le
chercheur,nipourl'enseignant,parcequesusceptiblesd'êtrelaconséquenced'un
principed'économie.
Nous allons, dans la suite, nous intéresser aux situations qui appellent de tels
processus.
SITUATIONDEVALIDATIONETSITUATIONDEDÉCISION
Voicid'aborddeuxexemples:
‐reprenons le cas de «lacourse à 20». Dans la dernièrephasedu jeu,
appelée«jeudeladécouverte»,laconsignedemandeàdeséquipesqui
2«Danscejeul'undesjoueurscommenceetdit(ouécrit)1ou2.Sonadversairepeutalors
ajouter1ou2...celuiquiarriveàdire20agagné»(ibid.p.3)
3Nousreprenonsicilanotiond'universdepratiqueforgéeparBourdieu(1980):«ilyatrès
peu de chances que deux applications contradictoires des mêmes schèmes se trouvent
confrontéesdanscequ'ilfautappelerununiversdepratique[...]Lamêmechosepeut,dans
desuniversdepratiquedifférents,avoirpourcomplémentairedeschosesdifférentesetelle
peutdoncselonl'univers,recevoirdespropriétésdifférentes,voireopposées(ibid.p.145).
Le substantif d'univers nous a cependant paru peu approprié au regard des pratiques
scolairesauxquellesnousnousintéressons.
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jouent, d'élaborer des propositions qui permettent de «gagner à coup
sûr»(Brousseau1975).Unsystèmedemarquessanctionnelaproduction
d'énoncésvrais («acceptés» (ibid.)) et d'énoncésfaux («prouvés faux»
(ibid.)).Lesélèvessetrouventalorsdansunesituationdevalidationau
sensdeBrousseau(1977).L'objectifestlaproductiond'unepreuve(dela
vérité ou de la fausseté) d'un énoncé. Cette situation contient
organiquementlacontraintedemiseenœuvredeprocessusdepreuve.
‐danslecasdeséquencesdidactiquesdécritesparGras(1983)àpropos
del’apprentissagedelasymétrieorthogonale,aprèsdessituations
consacréesàlafamiliarisationaveclesymétriseur4,lesélèvessontinvités
à anticiper, à prédire, ce que sera l'image d'une figure donnée. On se
trouvealorsdanscequenousappelleronsunesituationdedécision;elle
demandela mobilisation demoyensde décision et donc de moyensde
validation, sans que pour autant soit exigée la production explicite de
preuves.C'estunepropositionvraieetnonlapreuvedecetteproposition
quidoitêtreproduite.
Dans la situation de décision, les opérations intellectuelles du raisonnement
hypothético‐déductif (en tant que système légitime et fiable deproduction
d'informations) peuvent être misesenœuvresansquepourautant une preuve
soitproduite.Lescontrôleslogiquesetsémantiquesfonctionnentlocalementdans
le cours de l'élaboration de la solution. Éventuellement, en tant que
mathématiciens, nous reconnaitrons dans ce processus une organisationquiest
del'ordre deladémonstration; maisicielleest danslefonctionnementdu sujet
unoutiletnonunobjet(cf.pourcettedistinction,Douady1985).
4Ils'agit d'unappareillagemécaniquepermettant deréaliserune
symétrie orthogonale. L'appareil, suivant le schéma ci‐dessus, est constitué d'un losange
déformable glissant le long d'un axe placé suivant I’une de sesdiagonales.Lesdeux
sommetslaisséslibrespeuventporterunepointesècheouuncrayon.
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L'INTERACTIONSOCIALECOMMEMOTEURDESPROCESSUSDEPREUVE
La mise en débat des décisions, l'injonction de garantir leur validité ou de la
dénoncer, permet de transformer la situation de décision en une situation de
validation.
Unedescaractéristiquesquiapparaitainsidéterminantepourlaproductiond'une
preuve, est la dimension sociale de la situation. C'est d'ailleurs cette dimension
socialequemetenrelieflamétaphoredePopperquenouscitionsci‐dessus.
Maisonnepeutcependantpasaffirmerquelecontexted'unesituation sociale
soituneconditionnécessaire,nimêmesuffisanteàlaproductiondepreuves:
‐laconditionn'estpasnécessaireparcequelerisquedûàuneincertitude
peut conduire à un effort de synthèse des raisons, des conditions
nécessairesàlavalidité,quiréalisel'explicitationd'unepreuve.
‐ cette condition n'est pas non plus suffisante ; elle n'écartepasla
possibilité d'élèves qui refuseraient d'entrer dans ce jeu du débat.
L'augmentation des enjeux, la force des injonctions peuvent ne pas
suffirent...nous savonsbienqu'il peutexisterdes martyrs.Parailleurs la
notionderisque n'a pas de sens en soimaisrelativement à un individu
quilereconnaitounonetl'évalueplusoumoinsimportant.Le risque
reconnu, l'élève peut encore se montrer téméraire, c'est‐à‐direnepas
aller jusqu'au bout de ce qu'il reconnaîtrait nécessaire pour garantir sa
décision.
Onnepeutdoncattendredelasituationqu'elledéterminecomplétement et
exclusivement le comportement de l'élève. Nous distinguerons seulement les
situations qui tolèrent l'absence de travail sur la validation, des situations qui
appellent un tel processus. Parmi ces dernières nous nous attacherons à deux
typesdesituations:lessituationsdedécisionetlessituationsdevalidation.
Parailleurs l'interactionsocialeprésenteunecomplexitéparticulière,notamment
parcequ'elleestlelieudelaconfrontationd'universlangagiersaprioridifférents,
desystèmes deconnaissancenonunifiés:parnaturelacommunicationimplique
l'interprétation mutuelle des systèmes cognitifs en présence. En particulier, la
production d'une preuve oblige à la prise en compte des interlocuteurs pour
finalementconstruireunsystèmedevalidationcommun,aumoinslocalement,en
référenceauxpropositionsdébattues.
Mais le désir de convaincre peut entrainer les partenaires à recourir à des
argumentsadhoc,étrangersaucadremathématiqueounonpertinents.Làréside
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l'une des principales difficultés de l'utilisation des situations d'interaction, tant
dans la classe qu'à des fins expérimentales (Balacheff et Laborde 1985). Quelles
sont, par exemple, les conditions que doit satisfaire la situation pour que les
interlocuteursaient intérêtàaccepter desénoncesvraiset ànepassoutenirdes
énoncésfaux(cequipeutarriverlorsqueledésirededomineresttropfort)?
LEDÉSIREDECERTITUDECOMMEMOTEURDESDÉMARCHESDE
PREUVE
Dans les exemples qui précèdent nous avons souligné le rôle joué par
l'identificationd'unrisquedûàl’incertitudedanslamotivationd'unindividupour
produire des preuves ou mettre en œuvre des processus de preuve. Une autre
motivationestledésir decertitude,pourelle‐même,sanslapressiond'unrisque
quiseraitàprendre.Lesenjeuxpeuventêtreceuxd'unesatisfactionintellectuelle,
d'unecuriositépourlavéritéquipeutanimerlesélèves.C'est par exemple la
problématique des innovations qui cherchent à s'appuyer sur des problèmes
motivants : problèmes qui susciteraient assez d'intérêt pour que les élèves
acceptentouveuillentd'eux‐mêmesenchercherlasolution.
C'estsurce désirdecertitude,ques'appuie Brousseau(1983)dansune situation
engéométrieoù il demande aux élèves detracerles médiatricesdescôtésd'un
trianglesansseplacerdansuncasparticulier.Biensûr,lesélèvesvontchercherà
se placer dans le cas d'un trianglequelconque, mais « l'obstination mystérieuse
des faits» (ibid. p.189)feracraindrelecasparticulier.Quoiqu'ilensoit,
l'incertitudeentretenue par des tracésinévitablement défectueux conduit àune
conjecture:lesmédiatricesd'un triangle sont concourantes. Vouloir en faire un
théorème,enavoir la certitude, repose sur un désirdesavoirquinedoitrienà
unesituationderisque,nimêmedanscecasàunquelconqueintérêtpratique;les
élèvesnesaventpassiunetellepropriétépourraêtreutileàquoiquecesoit.
DEUXPROBLÉMATIQUES:L’EFFICACITÉETLARIGUEUR
Nous distinguerons trois types de situations qui appellent des processus de
validation,voirelaproductionde preuves. Ces situations peuvent être
caractériséesparlafonctiondespreuvesdanschacuned'elles:
‐ preuvespourdécider
‐ preuvespourconvaincre
‐ preuvespoursavoir
II est clair qu'il ne s'agit pas là d'une partition. «Savoir», peut être compris
commedéciderdelavaleurdevéritéd'unepropositionet«décider»peutêtrela
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source d'un savoir nouveau. Ce qui, pour nous, sépare effectivementcesdeux
fonctions(«décider»,«savoir»)c'estquelapremières'insèredansl'action,dans
le fonctionnement du praticien, alors que la seconde est un fonctionnement de
théoricien.Du pointderuedes situationsdidactiques,ilcorrespondraàcesdeux
fonctions,deuxtypesdecontratdidactique.
Danslepremiercasladévolutionduproblèmepasseparl'entréedesélèvesdans
unefictionou dansunjeudont ils acceptentd'êtrelesprotagonistes.Ce typede
situationparaitparticulièrementbienadaptéàl'ÉcoleÉlémentaire,carlejeuestà
partentièreunepratiquedesenfantsàl'extérieurmêmedel'école.
Danslesecondcasladévolutionduproblèmepasseparl'adhésiondes élèves à
unepositionthéorique.Onpeutchercherà noueruntelcontratàl'Université,et
appeler sur le désir de certitude la mise en œuvre de processus de validation
(l'étudiant reconnaissant l'Université comme le lieu où est pris en charge la
constructiondesesconnaissances).Toutefoiscetypedecontratpeutencoreêtre
difficile à nouer au nom des raisons de la pratique, particulièrement lorsque les
étudessontfinaliséesprofessionnellementetquelesétudiantssontplusattachés
à l'acquisition de savoir‐faire qu'à celle de savoirs qui leur apparaissent bien
«théoriques».
En France, la classe de quatrième offre actuellement, en géométrie, un bon
exemple de ce passage du pratique au théorique. La marque en est justement
l’exigence de la production de preuves (démonstrations). La rupture entre
géométriepratique(celledelarègleetducompas, delaproductiondefigure)et
lagéométrie (déductive) n'est en effet passeulementcelled'un changement de
statutépistémologique,maissurtoutcelled'un changementdecontratcommele
montrebienletravaildeChevallardetTonnellesur«évidenceetdémonstration»
(Tonnelle 1982). L'enquête qu'ils ont conduite sur la géométrie en fin de
cinquièmeetenfindequatrième,montrequedelieudutracéprécisdesfigures
la géométrie devient le lieu de l'étude des figures. Cetteruptureesttrès
clairementidentifiabledanslesprogrammesscolaires.
Cechangementdecontratsemanifesteparlechangement destatutde l'activité
mathématique,sonchangement de fonction. D'élève‐praticien,toutorientévers
lamaitrise d'unsavoir‐faire,onpasseàl'élève‐théoriciendont lajustificationde
l'activitéestcelledeconnaître.C'estaunomdelaconnaissancequel'évidenceest
àrejeterpourfonder unevéritéetnonaunomdelapratique.IIfautpasserd'un
lieuoùle critère est celui de l'efficacité,àunautre où le critère est celui dela
rigueur:larigueurcommefinensoiestétrangèreàlapratique,c'est une
préoccupationdesavant.
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PREUVEPRAGMATIQUEETPREUVEINTELLECTUELLE
Laprised'unedécisionestlégitiméeparl'affirmationdesoncaractèrenécessaire,
elle se distingue d'autres décisions possibles par son adéquation et sa validité.
Aussi le processus de validation, qu'il s'accomplisse ou non dans l'explicitation
d'une preuve, est fondé sur une analyse du pour etdu contre, sur la prise en
charge de contradictions potentielles. Par là ce processus est essentiellement
dialectique.Cefaitestencoreplusévidentdansuncontextededébatdanslejeu
despreuvesetdesréfutations.Horsducontextesociall'élaborationd'unepreuve
passeparuneanalysecritiqueetdoncrelèvedelamêmedialectique:unepreuve
rigoureuse et définitive est une preuve qui ne sera pas réfutée. Voire, pour
certains,unepreuvequineseraitpasréfutable.
L'accèspossibleounonàl'expérienceconstitueunecaractéristiquedelasituation
qui va jouer un rôle central dans le fonctionnement de cette dialectiquede la
validation.Lamiseàexécutiond'unedécision,ou laréalisationducontenud'une
affirmation, permet ce que nous appellerons des validations pragmatiques de la
décision,oudespreuvespragmatiqueslorsqu'ellessonteffectuéesparl'élèvelui‐
mêmepour établirlavaliditéd'uneproposition.Lorsquecetaccèsàlaréalisation
n'est pas possible alors les validations sont nécessairement intellectuelles. La
production de ces preuves intellectuelles requiert notamment l'expression
langagièredesobjetssurlesquellesellesportentetdeleursrelations.
Lanaturemêmedeladialectiqueassociéeàcesdeuxtypesdepreuves est
fondamentalementdifférente.Enparticulierlacontradictionapportéeparlesfaits
n'a pas le même statut que celle apportée par le discours, même si celui‐ci
consiste à invoquer les faits. Quant aux preuves elles‐mêmes, elles n'établissent
pasdelamêmefaçonlespropositionsqu'ellessoutiennent:
‐ lapreuvepragmatiqueesthypothéquéeparlasingularitédel'événement
qui la constitue, il faut en accepter le caractère générique. Elle est de
plus, tributaire d'un contingent matériel : outils imprécis, défaut de
fonctionnement;
‐ la preuve intellectuelle mobilise une signification contre une autre, une
pertinencecontreuneautre,unerationalitécontreuneautre.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage13/33
LAPLACEDU«SUJET‐CONNAISSANT»
INTRODUCTION
Une fois réunies les conditions les plus favorables à la mise en œuvre d'une
démarche de validation, ou à la production de preuves, nous pouvons observer
chezlesélèves(maisaussidansledéveloppementhistorique),quecesprocessus,
oulespreuvesproduites,sontdenaturestrèsdiverses.
À l’évidence les élèves ne produisent pas d'emblée des démonstrations. En
revanche d'autres types de preuves sont identifiables que l'on peut notamment
distinguer par leurs caractéristiques langagières, en fait directement liées à la
façondontsontrepéréslesopérationsetlesconceptsàl’œuvredanslarésolution
duproblème.
CARACTÉRISTIQUESLANGAGIÈRESDESPREUVES.
Lespreuvesdupraticiensontd'abordpragmatiques.Elless'ancrentdanslesfaits,
dansl'action.Ellessefondentsurdesthéorèmes‐en‐actequin'ontpasétéprouvés
maiséprouvésparlapratique.
La communication de ces preuves se fait par ostension. Les opérations et les
conceptsqu'ellesmobilisentsontagis:«lapreuve?..,çamarche!».Celanesignifie
paspourautantl'absencedetoutlangage,maisiln'estpasicil'outilfondamental
d'expression de la connaissance. Celle‐ci est attestée par l’action et non par le
discours.
Cetétatcaractériselespremiersmomentsdelagenèsed'uneconnaissance
(notamment au sens de Piaget) dans lesquels les conceptions desélèves
fonctionnent comme des modèles implicites, modèles pour l’action, dans la
résolutiondeproblèmes.
Onpeutchercheràempêchercerecoursàlapratiquepardescontraintesdiverses
:lesfigurestropgrandesdanslecasdusymétriseurdeGras(1983),ouenmettant
les individus dans une situation de débat où les éléments constitutifs de la
validation doivent être formulés (phase finale de « la course à 20 », Brousseau
1975).Maiscedétachementdupragmatiquenevapasdesoi:la pratique
interditepeutêtre évoquée et le discourspeutrestertrèsprèsdeceque l'élève
(oulepraticien)avécu.Ils'exprimeradanslelangagedelafamiliarité:
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage14/33
langagequineconnaît:«quelescasparticuliersetlesdétailsdel'intérêtpratique
oudelacuriositéanecdotique,parlanttoujoursparnomspropresdepersonnesou
delieux,etignorant,saufpourcomblerlestempsmorts,lesgénéralitésvagueset
lesexplicationsadhocquisont de mise avec les étrangers, ce langage, que l'on
n'adressepasau premier venu passe sous silence tout ce qui vasansdireparce
celavadesoi»
(Bourdieu1980p.153)
L'actionexplicitéeparcelangageportelamarquedutempsetde la durée, la
marquedeceluiquiagitetducontextedeson action. Mais ce langage exige un
relatif pas de côté pour que l'action puisse être décrite et expliquée, et donc
prennentplaceicilespremiersmomentsd'uneconstructioncognitive.
On se trouve à la frontière des preuves pragmatiques et des preuves
intellectuelles,lepassagepouvantsefaireparlaprisedeconscienceducaractère
génériquedela situationenvisagée.Envoici unexemple(tiréde Balacheff1978)
oùlecaractèregénériquedel'exempleestattesté,plaçantlapreuveàunniveau
supérieuràceluiquicorrespondraitàl'usaged'unsimplecasparticulier(Fig.1).
Fig.1.Transcriptiondutexteenannexe.
Ledéveloppementsurleterraindespreuvesintellectuellesexigeunchangement
de position; le locuteur doit prendre une position de théoricien dans laquelle la
connaissance (jusque‐là agie) devient l'objet de réflexions, de discours, voire de
débats.
Pourparveniràcequenousreconnaîtrionspourunedémonstration,lelangagede
lafamiliaritéestinsuffisant.Ilfautquel'élèveaccèdeàunlangagefonctionnelqui
ne soit plus seulement un moyen de description des actions ou des opérations,
maisunvéritableoutildecalculintellectuel.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage15/33
Le passage du langage de la familiarité au langage fonctionnel requiert en
particulier:
‐ une décontextualisation, abandon de l'objet actuel, lieu effectif de la
réalisation des actions, pour accéder à la classe des objets
indépendamment des circonstances annexes ou anecdotiques de leur
apparition;
‐ une dépersonnalisation, en détachant l'action de celui qui en a été
l'acteuretdontellesedoitd'êtreindépendante;
‐ unedétemporalisation,dégageantlesopérationsdeleurdateetdeleur
durée anecdotique ; ce processus est celui fondamental du passage de
l'universdesactionsàceluidesrelationsetdesopérations.
Les langages fonctionnels se caractérisent par l'introduction du symbolisme de
façonplusoumoinsimportante.Auniveauleplusélevéontrouveraitunelangue
strictement symbolique. En fait la pratique mathématique, pour des raisons
d'économie, recourt à une association de la langue naturelle etdelalangue
symbolique, c'est le cas du formalisme naïf de Bourbaki. Cette association
correspond en fait à une construction et à un fonctionnement linguistique
spécifiques(Laborde1982).
NATUREETSTATUTDELACONNAISSANCE
L'évolution des preuves pragmatiques vers les preuves intellectuelles et la
démonstration, n'est pas seulement marquée par une évolution des
caractéristiques langagières, mais aussi par celle du statut etdelanaturedela
connaissance. Les preuves pragmatiques s'appuient sur des savoirs pratiques
essentiellementengagésdans l'action,lespreuvesintellectuellesdemandentque
cesconnaissancespuissentêtreprisescommeobjetderéflexionoudedébat.Cela
correspond à une évolution classiquement décrite par la psychologie cognitive
genevoise.
L'élaboration de démonstrations requiert de plus un statut particulier de ces
connaissances. Elles doivent être constituées en une véritable théorie et être
reconnues comme telle, c'est‐à‐dire acceptée par une communauté qui ne
s'autorise plus à aller chercher où elle veut les arguments qu'elle utilise. La
démonstration en mathématique s'appuie sur un corps de connaissances
fortementinstitutionnalisé,ensemble de définitions, de théorèmes, derèglesde
déduction, dont la validité est socialement partagée. Ce principe est un des
fondements de la rigueur mathématique, son appropriation par les élèves va
requérirune constructioncognitiveparticulièrequi neconsistepasseulementen
un«marquage»desconnaissancesenquestion.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage16/33
Lepassagedespreuvespragmatiques aux preuves intellectuelles, notamment la
démonstration,reposeainsisurtroispôlesquiinteragissentfortement:
‐ lepôledesconnaissances:nature desconnaissancesdesélèves(ausens
deVergnaud1984),
‐ lepôleslangagier,oudelaformulation,
‐ lepôles delavalidation, oudestypes derationalitéqui sous‐tendentles
preuvesproduites.
Le tableau suivant résume la correspondance entre ces différents pôles en
référenceauxhiérarchiesqu'ilsrecouvrent5:
naturedes
conceptions
formulation validation
Pratiques
(savoir‐faire)
Ostension
preuve
pragmatique
(théorème‐en‐acte)
langagedela
familiarité
Connaissance
commeobjet
(savoir) langage
fonctionnel
preuves
intellectuelles
Connaissance
théoriqueet
reconnue(savoir
scientifique)
formalismenaïf démonstration
REMARQUESSURLECONCEPTDETHÉORÈME‐EN‐ACTE
Leconceptdethéorème‐en‐actea étéintroduitpourdésigner«lespropriétésdes
relations saisies et utilisées par le sujet en situation de résolution de problèmes,
étantentenduquecelanesignifiepaspourautantqu'ilestcapabledelesexpliciter
ou de les justifier» (Vergnaud 1981). L'utilisation du terme de théorème fait
référenceà uncalculsur desreprésentations,à descompositionsdéductivesetà
desinférences;ouencoreelleévoquelefonctionnementchezl'élève,dethéories
implicites. L'argument avancé par Vergnaud pour justifier la dénomination de
théorème‐en‐acteestque«laplupartdesopérationsdepenséeimpliquéesdans
lesproblèmes[...]peuventêtredécritespardesthéorèmes»(Vergnaud1983).On
voitbien tout le partique l'on peut tirerd'un tel concept pourune étude de la
5Nos premières tentatives pour présenter ainsi ces dépendances, partent d'une
présentationfaiteparBrousseau(1981p.114)pourorganiserlescomportementsobservés
selonletypedesituationetletypedeconnaissance.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage17/33
genèsedesconnaissancesmathématiques,cependantsonutilisationrisqued'être
parfoisunpeurapideetdecéderàl'attractiondelamétaphore.
Si ce qui est observé chez l'élève est de l'ordre du théorème‐en‐acte;alorsla
réfutationdecethéorèmequeconstitueunecontradictiondevraitprovoquerune
remiseenquestion.Cen'estpastoujourslecas,
‐ d'une part les actions du sujet ne sont pas nécessairement sousun
contrôledevalidation,commeparexempledanslecasdelaséquence
suivantedecalculsconduitedefaçonautomatiqueparunélèvede15ans
manifestant de grandes difficultés en calcul algébrique (il s'agit d'une
observationréaliséelorsd'unentretienclinique):
(Z+5)2‐7<0 (Z‐5)(Z+5)‐7<0 (Z‐5)(Z‐2)<0
(Mathieu19‐12‐83)
C'estencorelecas,parexemple,pour«leproblèmedesdeuxcercleset
durectangle»(ils'agitdetrouver une configuration de ces trois figures
réalisant le maximum de points d'intersection) étudié par Audibert
(1982), lorsque des élèves recherchent le placement d'un cercle par
tâtonnement perceptif (il n'y a là que des corrections de perturbations
relevéessurlerésultatdutracé).
‐ d'autrepartcesactionspeuventnepasêtreassociéesàuneanticipation,
ellessontprésentesparcequesubstantiellementattachéesàlasituation.
Parexempledans le cas de la détermination du périmètred'untriangle
tronqué(voirlafigureci‐dessous)certainsélèvestracentsuccessivement
desdroitesremarquablesdutriangle,d'autresfontdesmesuresdiverses
puisdesopérationssurlesnombresobtenus...«pourvoir».
Fig.2
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage18/33
Il nous semble qu'il faut donc, pour attribuer à un observable de l'action des
élèves le label de théorème‐en‐acte, ajouter une exigence: celle d'identifier les
conditionsdefonctionnementdesopérationsdepenséeenquestion.
Considéronsleschémasuivant:
Nousproposonsdedistinguer:
(1)lefonctionnementqui,centrésurlecouplesituation‐action,occultela
priseen charge de l'effetattendu et celle des conditionsde l'action. Le
sujetnes'assurepasdecequesonactionestlégitimenidece que son
résultatseraceluiqu'ilsouhaite;
(2) le fonctionnement prenant en compte les conditions de validité de
l'actionetdesonadéquationauxeffetsattendus.Danscecasseulement
ilnousparaitpertinentdeparlerdethéorème‐en‐acte.
Dans le premier cas nous parlerons de règles d'action dont le fonctionnement
relèveessentiellementdumodestimulus‐réponse.L'échecdeleurmiseenœuvre
n'estpas repéréparl'élèvequinedisposepas,ounemobilise pas,d'instruments
de validation. En particulier, la confrontation effet‐obtenu / effet‐recherché n'a
paslieuparcequel'anticipationelle‐mêmen'apaslieu.
Mais lorsque la prise de conscience de cet échec survient, par exemple sous la
pression des faits, le premier progrès décisif sera de poser le problème des
conditionsdevaliditédel'actionoudesonadéquation.C'estcetévénementqui
initieralagenèse du théorème‐en‐acte en engageant la construction du prédicat
associéàl'action.
Parailleurslarègled'actionqui seconstitueordinairementdanslapratique,peut
en fait être la forme dégénérée d'un théorème(‐en‐acte). En effet la pratique
routinièred'exercicesconduitàinstituerenhabitudel'accomplissement de
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage19/33
certaines opérations mathématiques et par économie entraine l'occultation des
conditions de validité et celle de la prise en charge de la validation du résultat
obtenu. Cette dégénérescence est le plus souvent associée à laconstitution des
sphèresdepratique.
PREUVESETREFUTATIONS
TYPESDEPREUVES
Des preuves pragmatiques aux preuves intellectuelles on peut reconnaître
plusieurs types qui se différencient à la fois par le statut des connaissances
engagéesetparlanaturedelarationalitésous‐jacente.
L'empirisme naïfestdanscettehiérarchielepremiertypedepreuvequenous
rencontrons. Il consiste à tirer de l'observation d'un petit nombre de cas la
certitudedelavéritéd'uneassertion,envoiciunexempletirédel'étudequenous
avonsconduitesurleproblèmedudénombrementdesdiagonalesd'unpolygone6:
Lionel et Laurent ont dénombré cinq diagonales dans un pentagone.Aprèsune
vérificationdecedénombrementsurunenouvellereprésentationdupentagone,
ilsrelisentl'énoncéduproblèmepuisconcluent:
Laurent: « [...] calculer le nombre des ... ben, oui, c'est ...y'a5sommetset5
diagonales.»Lionel:«ouaisetonl'aprouvé.»
Ilsremettentàl'observateurunmessagedécrivantleurdénombrement et son
résultat. Celui‐ci leur propose un hexagone. Lionel affirme alors, avec
l'assentimentdeLaurent:«Ben,yaura6diagonales.»
L'expérience cruciale est un procédé de validation d'une assertion dans lequel
l'individu pose explicitement le problème de la généralisation etlerésouten
pariantsurla réalisationd'uncasqu'il reconnaisse pouraussipeuparticulierque
possible.Ainsidanslecasdudénombrementdesdiagonalesd'unpolygonec'estle
casdecetteélèvequiproposeàproposdeleurconjecture:«on va faire une
immensefigurepourvérifier»(Lauraref.198);oulecasdecetteélèvequiàla
6CeproblèmeestactuellementétudiéencollaborationavecuneéquipedeI'IREMdeLyon
(Arsacetal.)danslecadred'unerecherchesurlesconditions didactiques d'un
enseignementde la démonstration.Letriangle esttracésurune feuille de papier,comme
celaestindiquésurlafigure.Lesélèvesdoiventdécrireuneprocédurepermettantlecalcul
dupérimètred'untriangledansunetellesituationsans recourir au prolongement de ses
côtés.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage20/33
suited'undifférendavecsonpartenairepropose:«essaieunefoisavec15etpuis
si ça marche, ben ça veut dire qu'ça marche avec les autres» (Nadine ref. 91).
Ainsil'expérience crucialeconsisteà provoquerunévénementsurlequel«onne
sefaitpasdecadeau»enaffirmantque«sicelamarche,alors cela marchera
toujours ». Cette démarche qui reste fondamentalement empirique se distingue
del'empirismenaïfence que le problèmedelagénéralisationesteffectivement
posé et que l'élève se donne un moyen de décider autrement que
péremptoirement.
L'exemple générique consiste en l'explicitation des raisons de la validité d'une
assertion par la réalisation d'opérations ou de transformations sur un objet
présentnonpour lui‐même, maisentantquereprésentant caractéristiqued'une
classe d'individus. La formulation dégage les propriétés caractéristiques et les
structuresd'unefamilleenrestantattachéeaunompropreetàl’exhibitiondel'un
deses représentants.Dansl'exemplesuivant(Fig.3),LioneletLaurentexpriment
d'abordleurconjectureenutilisant l'hexagone qui a dans leurprojetunevaleur
d'exemple générique que souligne le «de même», puis ils évoluent vers une
formulationquisedégagedesmarquesduparticulier:
Fig.3.Transcriptiondutexteenannexe.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage21/33
L'expérience mentaleinvoquel'action en l'intériorisant et en ladétachantdesa
réalisationsurun représentant particulier. Elle reste marquéeparlatemporalité
anecdotique, mais les opérations et les relations fondatrices de la preuve sont
désignéesautrementqueparlerésultatdeleurmiseenœuvre;cequiétaitlecas
pourl'exemplegénérique.LecasdeChristopheetBertrandenestuneillustration
(Fig.4).
Fig.4.Transcriptiondutexteenannexe.
C'est là, quelque part entre l'exemple générique et l'expérience mentale que
s'opère le passage des preuves pragmatiques aux preuves intellectuelles. Une
marquedecepassageestuneévolutiondesmoyenslangagiersmisenœuvre.
Pour ce qui concerne les mathématiques, de la preuve‐expériencementaleàla
démonstrationonpeutpenserqu'ilexistedifférentstypesdepreuve (commepar
exemplelapreuve‐analytiqueausensdeLakatos),ilsdevraientsedifférencierpar
leurs niveaux de décontextualisation, de détemporalisation et de
dépersonnalisation évoqués plus haut, ainsi que par leur niveau de formalisme
(c'est‐à‐dire par la part respectivedelalanguenaturelleetdu langage
symbolique).Cettetypologieresteàfaire.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage22/33
STATUTETCONSÉQUENCESDESRÉFUTATIONS
Ladialectiquede lavalidationestune dialectiquedespreuvesetdesréfutations.
La perception la plus répandue du contre‐exemple, dans la classe de
mathématique,estcelled'unecatastrophedontlaconséquenceestl'abandonpur
etsimpledespositionsconquiseslorsdelarésolutionduproblème.L'universdela
classedemathématiqueserévèledecepointdevueplusmanichéen que
dialectique. L'analyse de l'activité du mathématicien, ou de la communauté des
mathématiciens,commenouslaprésenteparexempleLakatos,faitapparaitreun
fonctionnementbiendifférentetsûrementmoinsradical.
Prenant pour base l'analyse que propose Imre Lakatos, on peut différencier les
conséquences d'un contre‐exemple suivant qu'il rejaillit sur laconjecture,sursa
preuve,oubienencoresurlesconnaissancesouleursfondementsrationnels.Ilse
peutmêmequeledépassementdelacontradictionrévéléeparlecontre‐exemple
passeparlacritiqueetlerejetducontre‐exemplelui‐même.Leschémaci‐dessous
explicitantlaconjectureetsapreuvecommeleproduitconjointdesconnaissances
et de la rationalité d'un individu (traits pleins), résume les principales
conséquences envisageables d'un contre‐exemple (traits tirés); telles que
l'amendement de la conjecture, la reprise d'une définition, le rejet du contre‐
exemple,etc.:
Ceschémaal'avantagedelasimplicité,iln'estcependantqu'uneévocationdela
multiplicité des retombées possibles d'un contre‐exemple, entrer dans plus de
détails dépasserait le cadre du présent texte. Nous y reviendrons ailleurs. Ce
schéma nous suffira pour mettre en évidence un problème à notresens
fondamental et jusqu'ici occulté par les analyses didactiques (aussi bien que
psychologiques).
Le caractère dialectique du développement des connaissances mathématiques,
que Lakatos met en évidence pour ce qui concerne la phylogenèse etque nous
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage23/33
connaissions déjà pour l'ontogenèse, a pour conséquence un problème qu'il ne
soulignepasetquinepouvaitéchapperaudidacticien:qu'est cequidéterminela
légitimitéduchoixd'uneréponseàuncontre‐exemple?
Les mathématiciens auxquels s'intéresseLakatossemblentbientous adhérer au
mêmefondderationalité.S'agissantd'élèvesiln'enestplusdemême:empirisme
naïfou expérience cruciale peuvent fonder des preuveset constituer les racines
légitimes d'une conviction. Si donc nous voulons nous appuyer sur une
contradiction révélée à l'élève pour obtenir que soient reconsidérés les
fondements rationnels de sa conjecture et de sa preuve prétendue, comment
éviterqueledébatportefinalementsurlalégitimitéducontre‐exempleousurun
amendementàlaconjecture;cequipeutapparaitretoutàfaitlégitimeàl'élève,
puisqu'aprèstoutcettemêmerationalitéluisuffitpourfairefaceàdenombreuses
situationspratiquesqu'ilrencontreparailleurs.
Commentéviterquefaceàuncontre‐exemplequeluiproduitl'enseignant,l'élève
nedéclarequ'ils'agitlàd'uncasparticulieralorsquesaconjectureestfondéesur
unempirismenaïf ?Ceproblèmegarde toutesonimportanceà desniveauxplus
avancés de la scolarité où l'étudiant discutera la légitimité d'un contre‐exemple
alors que, pour nous, ce qui est en question est la conception qu'il a de la
connaissanceenjeu.
Fonderl'apprentissage,c'est‐à‐direlaconceptiondessituationsdidactiques,surla
prise de conscience de contradictions par les élèves, sur une dialectique de la
validation, nécessite que soit prise en charge cette incertitude sur la nature du
dépassement d'une contradiction. S'il est assez clair qu'il n'yapasde
déterminismestrictementcognitif,quelestalorslerôledescaractéristiquesdela
situation? Les interventions de l'enseignant et sa gestion du contrat didactique
serontsûrement desélémentsdéterminantspourquesoitjugé pertinentefaceà
uncontre‐exemplelaremiseenquestiondesconnaissances plutôt que celle des
fondements rationnels de la conjecture, ou encore la remise en question du
contre‐exemplelui‐mêmeplutôtquecelledelapreuve.
Lagammedesréactionspossiblesdesélèvesfaceàuncontre‐exemple est
effectivement très étendue. Nous avons retrouvé à l'occasion d'une recherche
expérimentale sur cette question7 (à propos du dénombrement des diagonales
d'unpolygone)l'essentieldescomportementsrapportésparLakatosdanslecadre
desonanalysehistorique.Nousendonnonsci‐dessousquelquesexemples.
7Les exemples produits ici sont issus des observations menées dans le cadre d'une
recherchesur les processusdepreuveset les contre‐exemples.Le compte rendudecette
rechercheestencoursdepublication.
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Naïma et Valérieavancent, sur la base de deux exemples, la conjecture que le
nombre de diagonales est le nombre de sommets du polygone divisé par deux;
confrontéesàunpremiercontre‐exemple,ellesexplicitent unedéfinitionqu'elles
fontévolueraufuretàmesuredelarencontredenouveauxcas:
Fig.5.Transcriptiondutexteenannexe.
À chaque contre‐exemple une condition ad hoc est ajoutée à la définition, qui
permetdel'écarterde laclassedesobjetsconcernés parlaconjecture.Ilestclair
autermedecetteobservationquelesdeuxélèvesjouentaujeu:chaquefoisqu'il
mecontredit,j'ajouteunecondition.Qu'ellessontlesissuesd'unetellesituation?
MartineetLauraproposentlasolutionsuivante:
Fig.6.Transcriptiondutexteenannexe.
Le premier contre‐exemple, un polygone dont le dessin présente trois sommets
alignés,est écartéparles élèvesquiavertissentleursinterlocuteursdecequ'une
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage25/33
telle configuration peut se présenter (voir leur texte ci‐dessous). Le contre‐
exemple suivant est considéré comme le représentant d'un sous‐ensemble
particulier de polygones qui est retiré du domaine de validité de la conjecture
initiale.Puiscelle‐ciestaménagéeenproposantuncalculspécifique:
Fig.7.Transcriptiondutexteenannexe.
Blandine et Isabelle:leurconjectureinitialeprésentedéjàlaparticularitéde
proposer un traitement différent pour deux classes de polygones. Cela provient
descontradictionsrencontréesdanslecoursdelarésolutiondu problème.Pour
faire face au premier contre‐exemple qui leur est opposé, elles aménagent leur
conjecture en lui incorporant une condition qui écarte la classe des objets
correspondants:«silepolygoneestconvexe...»,lecasdutriangleestenrevanche
traitécommeuncasparticulieràécarter:
Fig.8.Transcriptiondutexteenannexe.
Assez souvent nous avons observé que le fait que le triangle n'ait pas de
diagonalesconduitànepasleconsidérercommeunpolygone.Cepointdevue,
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage26/33
tout à fait concevable, a par ailleurs pu être rencontré dans certains manuels
scolaires.
CONCLUSION:DEUXPROBLEMESDIDACTIQUES
STATUTSCOLAIREDELAPREUVE
Lapratiquedeladémonstrationexigeàlafoisunerationalitéetunétatspécifique
desconnaissances.De plus cela signifiel'adhésionàuneproblématiquequin'est
pluscelledel'efficacité(exigencedelapratique)maiscelledelarigueur(exigence
théorique).
Cetteanalysemet en lumière une origineprobabledel'échecdel’enseignement
deladémonstrationdanslesclassesfrançaisesdequatrième.Ondénoncesouvent
lerôlejouéparuneruptureducontratdidactiquelorsdupassagedelaclassede
cinquième à celle de quatrième, on peut alors penser qu'une «bonne»
négociationdececontratpermettraitderésoudreceproblème.Maislesrelations
quenousavonsmontrées entre connaissance, formulationetvalidation(Tableau
p.16) mettent en évidence que le problème ne peut être posé uniquement en
terme de contrat ou d'analyse de la situation. La nature et le statut des
connaissancesengagéesjouentunrôleessentiel.
En quatrième, où il apparait comme objectif explicite, l'enseignement de la
démonstrationapourterrainprivilégiélagéométrie.Maisparcequelagéométrie
ensixièmeetencinquièmeestd'abordunegéométriedel'observation,lanature
des connaissances ainsi construites ne permettra pas de satisfaire d'emblée les
exigencespropresàladémonstration.Quellequesoit laqualitédelanégociation
d'un nouveau contrat didactique, il ne pourra y avoir un simplepassagedes
preuvespragmatiquesetfondamentalementempiriques,valides jusqu'alors, à la
démonstration. Ce passage relève d'une construction sur le terrain à la fois des
connaissancesetdelarationalité. Commetouteconstructioncognitiveilrequiert
uneduréepeucompatibleaveclesambitionsactuellesdesprogrammes.
Très tôt, disons dès la sixième, doit être posé le problème de l'évolution des
fondementsrationnels del'activitémathématique desélèvesenmême temps,et
avec le même statut, que celui de la construction des savoirs. L'exigence de
preuvesdoitdoncpouvoirtrouversaplacedèslespratiquesmathématiques des
premièresclasses, enacceptantquesoit reconnuepourpreuvesautre choseque
desdémonstrationsausensstrict.Ilfaudrapourcelaprendreenconsidération la
naturedela rationalité des élèves et lesconditionsdesonévolution,mais aussi
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage27/33
prendreenchargel'analysedidactiquedescritèresacceptésdepreuvequidoivent
pouvoirévoluerdanslecoursdelascolarité.
CONTRAINTESDIDACTIQUES
Toute suppression, tout dépassement d'une contradiction n'est pas
nécessairement un progrès de la connaissance. L'accord sur ce qui pourra
constituer un dépassement acceptable revient en fait à un consensus sur les
critères de validation, et donc sur les règles du débat de validation. Avant de
considérer ce problème sur le terrain de la didactique, rappelons l’exemple
historiquesuivantdudébatentreDarbouxetHouël8surlavaliditéd'unénoncéde
lathéoriedesfonctions:
«Votrelettren'estqu'unaveuetcelamesuffit.Vousn'avezrienàobjecter,c'estévident.Du
reste,je vous ferairemarquerquevous meparleztoujoursde cesfonctionsdrôlatiques.Je
ne les considère pas plus que vous. Mais il faut séparer le bon grain de l'ivraie par des
caractèresprécis,etpourcelailnefautadmettrequecequiestcontenuclairementdansla
définitiond'unechose.Etbieniln'estpasévident qu'unefonctioncontinue ait une valeur
maxima qu'elle atteigne effectivement et voyez les conséquences qu'a votre manière de
procéder»(30Avril187(2))
«Touteslesfonctionsquimettentendéfautvosthéorèmessontdesfonctionsdontvousne
voulez pas vous occuper. Cela ne me parait pas une raison car si votre raisonneme nt est
exact,il doit reposersurtelles hypothèsesquiécartentd'elles‐mêmes unefoisadmises ces
fonctionsbizarresauxquellesvousnevoulezpasavoiràfaire»(24Septembre1872)
«Remarquez que votre point de vue revient à dire: j'exclus toutes les fonctions pour
lesquellesmadémonstrationestinexacte.Alorsà quoi bon faire une démonstration.»(23
Décembre1873)
«[...]pourmettrevosraisonnementendéfautj'ailedroitdeprendretoutefonctionpourvu
qu'ellesatisfasse, non pas aux conditions que vous énoncezsans vous en servir, mais aux
seulesconditionsemployéesdansvosraisonnements.
[...] j'ai le droit de prendre tous les exemples possibles pourvu qu'ils satisfassent aux
conditions de vos raisonnements et je soupçonne fort que votre définition d'exemples
bizarres, saugrenus, coïncide avec la suivante, gênants, contraires au théorème.» (19
Février1874)
«[...]Jevousrattraperaissurces fonctions saugrenues et vous prouverais que ce ne n'est
pasd'ellesqu'ilestquestionmaisdeceprincipedelogique.
8Lacorrespondance1872‐1882 de DarbouxetHouëlest publiée enannexedeGispert H.
(1983)«Sur lesfondementsdel'analyseen France»,Archivefor HistoryofExact Sciences
28‐1,37‐106.
BalacheffN.–1987‐ProcessusdepreuvesetsituationsdevalidationPage28/33
Touteslesfoisqu'unraisonnementAconduitàuneconclusionBsansécarterexpressément
unehypothèseH(voilàlehic)et que B'fondéesur HestcontraireàBleraisonnementest
fauxouincomplet»(probablement1875)
Etenfin:
«Vousmedemandezsivotredémonstrationdonnéep.245‐246devotrepremiervolume[...]
estrigoureuse.[...]Votre démonstrations'applique certainementàtouteslesfonctionsque
vousavezconsidéréesdansvotreouvrage.»(11Février1882)
Cetexempled'undébatentredeuxmathématiciens,quisedéroulesurprèsde10
ans,soulignelacomplexitéduproblèmequinousoccupe.Siuncontre‐exemplene
signifie pas le rejet pur et simple d'une conjecture, la légitimitédesvoies
empruntéespourdépasserlacontradictionqu'ilattesteneva pasdesoi.Ellese
trouve en fait au centre du débat de validation et de la remise en question
éventuelledescritèresdevalidationeux‐mêmes.
Mais au fond, ce qui sépare Darboux et Houël ne nous paraît pasêtreduseul
ressortde lalogique.Mêmepourcessavants,leproblèmeposéest unproblème
de pratique qu'a‐t‐on intérêt à décider du point de vue de la pratique du
théoricien?Va‐t‐onbouleverseruncorpsdeconnaissancespour quelques
difficultésrencontrées?Ilpeuts'avérerplusintéressant(pluséconomique)deles
absorber sous la forme de quelques hypothèses supplémentaires àajouterau
théorème. Pourtant Houël est sûrement autant que Darboux, soucieux d'être
rigoureux.
Lecontextescolaireestbiendifférent.Lesélèvesn'yontpaslalibertéduchoix
d'uneissueà une contradiction. Les connaissances mathématiquespréexistentà
tout événement qui pourrait avoir lieu dans la classe. II en est de même des
critèresdevaliditéd'unénoncé.
L'épistémologie scolaire, fondamentalement platonicienne, marque ainsi des
limites qui ne peuvent être franchies entre les conditions de l'activité du
mathématicienetcellesdel'activitédel'élève.Ilrevientàl'enseignantdegarantir
uneévolutiondesconnaissancesdel'élèveetnotammentdesarationalité en
conformité avec ces références. Le fait qu'une explication constitue une preuve
peut faire l'objet d'un consensus dans la classe mais cela est insuffisant,
l'enseignantdoit s'assurerquececonsensus seréalisesurdesbasesacceptables.
Éventuellementildoittrouverlesmoyensd'agirpourfaireévoluerleschoses.IIse
heurtealorsàlacontradictiondegérerdessituationsassezisoléespour que les
élèves aient la responsabilité des décisions qu'ils prennent, mais assez
dépendantespourqu'ilpuisseintervenirsurlescritèresdecettedécision.
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Notreproblèmeestactuellementceluideladéterminationdesvariables
didactiques dont la manipulation permette un tel contrôle, et par ailleurs
d'analyser la nature et les voies d'un contrat didactique qui permettrait les
ingérencesdel'enseignantdansunprocessusde décisioninitialementdévoluaux
élèves.
Enfinseposeleproblèmedel'institutionnalisationquiestlemoyendefermerun
débat de validation. En effet si on peut concevoir que dans la pratique
professionnelle de la recherche en mathématiques une preuve soit une preuve
jusqu'àpreuveducontraire,ilnousparaitdifficiledetenirunetellepositiondans
lasituationscolaire.Àunmomentouàunautrelesélèves,parcequ'«ils sontlà
pourapprendre»,ontbesoind'unegarantiesurlavaliditédeleursproductions,et
si des positions contradictoires existent dans la classe elles ne peuvent très
longtemps subsister ensemble. L'enseignant est amené à trancher, à donner un
statut à certains énoncés, certaines preuves, certaines interprétations, pour les
confirmeroulesrejeter.Leprocessusparlequelcelabelestdonnén'estpassans
conséquencesauplancognitif.
De plus, une fois la preuve acceptée, la validité d'un énoncé ne peut plus être
remise en question, il faudra pour s'intéresser à de nouvelles preuves trouver
d'autresraisons.L'acceptation parl'enseignantd'unepreuve qui nepourraitêtre
reconnue comme une démonstration pose alors le problème didactique des
conditionsd'unerepriseultérieurequiseraitacceptablepourlesélèves.
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ANNEXE
Transcriptionsdesmanuscritsd'élèvesdonnésenillustration.
Texte de la Figure 1, nous ne transcrivons ici que la partie du texte rédigée en
languenaturelle:
Ilyauratoujours10+10//
J'ai choisi 2 et il s'annule/donc si je choisi un autre/nombre entre 1 et 10
il/s'annuleratoujoursetse/seratoujourségalà20//
TextedelaFigure3:
Dansunpolygoneà6sommets,il part3/diagonales parsommetsdoncilpart/18
diagonales; mais comme une/diagonale joint deux points: il/n'y a que 9
diagonales: 18 ÷ 2 = 9/et de même avec 7 sommets 8, 9, 10/11, ... etc//
alors à 7 sommets il partira 4 diagonales/par sommets//
àchaquefoisquel'onajoute/unsommet>auprécédentpolygone<onajouteune
diagonale/parsommets>auprécédentesdiagonales<ondivisepar/2lenombre
de toutes les diagonales/et on trouve le nombre de diagonale/du polygone et
pourtrouverlenombrede/diagonalespartantdechaquesommets/onsoustréau
nombre de/sommet, trois// mais pour les concaves on enleve encore/1
diagonale/
TextedelaFigure4:
En sachant le nombre de sommets d'un/polygone, il partira de chaque point,
le/nombredesommets‐(sesdeuxvoisins+lui‐même)//
il faudrait multiplier ce qu'on a trouvé par le nombre de sommets/(par chaque
sommet,partentlemêmenombredediagonales)//
MAIS,oncomptechaquediagonaledeuxfois//
Lenombredediagonalestrouvéestdoncàdiviserpardeuxeton/obtientunefois
chaquediagonale//
TextedelaFigure5:
Lespolygonessontdesfiguresayantun/nombrepairdesommets//
*ayanttoussescôtés/demêmelongueur//
*sescôtés/devantêtredisposés/encercle//
*d'unsommetne/partqu'unedroite//
TextedelaFigure6:
1ersommet:nbsdediagonnalles=nbsdesommet‐3//
2emesommet:nbsdediagonnalles=pareil//
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à partir du 3eme sommet: nbs de diagonnalles obtenu précédement/‐ 1
diagonnalle//
4eme sommet: nbs de diagonnalles obtenu précédement/‐ 1 diagonnale// ainsi
desuite//
‐àlafinonadditionnetouslesnbs de diagonnalle/obtenues à chaque sommet
pourtrouverlenbs/dediagonnaledupolygone//
TextedelaFigure7:
‐Ilsepeutqueparaccidentundiagonnal/passeen+de2sommets‐//
‐ lorsque la figure représente les diagonnalles/d'un parallélogramme/ou un
trapèzeonnetrouvequedeux/diagonales(voirschéma)//lesdiagonalessonten
pointillé//
TextedelaFigure8:
>silepolygoneestconvexe</‐ondiviselenombredesommetspar2//
‐sicenombreestimpaironretranche1aunombredessommetseton
divise/alorscenombrepar2//
casparticuliers:letriangle/quin'apasdediagonales//
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