ResearchPDF Available

Understanding trajectories of radicalisation in Niger

Authors:
  • Busara Center

Abstract and Figures

In recent years, the border regions of Niger have seen an increase in activity by violent extremist groups. This research, carried out in October 2016, examined why people become radicalised in Agadez, the northern part of Niger. Most people see radicalisation as a linear process, whereby a set of individual factors make a person more vulnerable to adopting radical beliefs. We conceptualised radicalisation as a dynamic process, where individual and structural factors interact to produce the potential for radicalisation. Key findings - There was widespread support for the adoption of sharia but no evidence that those taking this position were more likely to join extremist groups. - People across a range of professions supported sharia, including teachers, livestock breeders, civil servants and traders. Individual factors such as economic status did not predict support. - Secular democracy was perceived by many as a system that is easily corrupted and too lenient on those who break the law. For many, sharia was understood as a system of ethics that would bring justice and order. - In explaining why people joined extremist groups, local people stressed the importance of structural factors such as poverty, inequality and rising materialism.
Content may be subject to copyright.
Comprendre les
trajectoires de la
radicalisation à
Agadez
Aoife McCullough, Mareike Schomerus et Abdoutan
Harouna avec Zakari Maikorema, Kabo Abdouramane,
Zahra Dingarey, Idi Mamadou Maman Noura, Hamissou
Rhissa et Rhaichita Rhissa
Rapport
Fevrier 2017
Cette publication a pu être réalisée grâce à l’appui d’USAID. Les opinions exprimées dans ce document représentent les points de vue des
auteurs et ne sont pas forcément ceux d’USAID ni du Gouvernement des États Unis.
Overseas Development Institute
203 Blackfriars Road
London SE1 8NJ
Tel. +44 (0) 20 7922 0300
Fax. +44 (0) 20 7922 0399
E-mail: info@odi.org.uk
www.odi.org
www.odi.org/facebook
www.odi.org/twitter
Les lecteurs sont invités à reproduire le contenu de ce rapport publié par ODI pour leurs propres publications, à condition que ce soit à des ns non
commerciales. En tant que détenteur des droits d’auteur, ODI exige qu’en pareil cas il soit fait mention de la source citée et qu’un exemplaire de l’ouvrage
lui soit communiqué. Pour un usage digital, nous demandons aux lecteurs d’inclure un lien vers la source originale sur le site ofciel d’ODI. Les opinions
exprimées dans le présent article sont celles de l’auteur ou des auteurs, et ne reètent pas nécessairement les opinions d’ODI.
Ce document a été initialement écrit en anglais par Aoife McCullough, Mareike Schomerus et Abdoutan Harouna et a été publié pour la première fois en
février 2017. En cas d’incohérence entre la version originale et cette version traduite, la version originale prévaut. ODI tient à remercier Elisa Desbordes-
Cisse pour la traduction de ce document.
© Overseas Development Institute 2017. Ce document est sujet à des droits d’auteur conformément à la Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation
Commerciale 3.0.
Photo de couverture: Centre-ville historique a Agadez, Niger © Aoife McCullough, 2016
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 3
Contents
Résumé 5
1. Introduction : Questionner l’idée de la radicalisation comme une trajectoire linéaire 9
2. Méthodes de recherche 11
3. Résultat 1 : il n’y a pas de consensus autour de la signication de la radicalisation et de l’extrémisme violent 14
4. Résultats 2 : La vision populaire d’une « société juste » inclut l’emploi, l’accès aux services de base et l’ordre 17
5. Résultat 3 : Il y a une large préférence de la
charia
par rapport au système occidental 19
6. Résultat 4 : Les facteurs individuels ne sont pas pertinents pour l’identication des groupes « à risque » 21
7. Les acteurs-clés qui façonnent les récits et les contre-récits 25
8. L’inuence de la communauté internationale 29
9. L’inuence des relations sociales 33
10. Comment les gens perçoivent-ils la manière par laquelle le change-ment se produira ? 36
11. Conclusion 38
Références 39
Figures
Figure 1: Un réseau d’inuence dans un village à Agadez, commençant par un ex-rebel 33
Figure 2: Un réseau d’inuence dans un quartier d’Agadez, commençant par un commerçant 34
Figure 3: Un réseau d’inuence dans un village à Agadez, commençant par un membre de mouvement
Tijania
35
Liste des gures et tableaux
Tables
Tableau 1: Nombre d’entretiens par réseau 11
Tableau 2: Nombre d’entretiens par localité 11
Tableau 3: Types d’entretiens conduits 12
Tableau 4: Les mots utilisés au cours des entretiens 13
Abréviations
AIN Association Islamique du Niger
AQIM Al-Qaïda au Maghreb Islamique
BIT Bureau des initiatives de transition
Daesh État islamique en Irak et au Levant (ou EI)
FDG discussions de groupes
MLF Front de libération du Macina
MRJN Mouvement pour la Réconciliation et la Justice du Niger
MUJAO Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’ouest
PCCN Programme de cohésion communautaire du Niger
PEV Prévention de l’extrémisme violent
USAID Agence des États-Unis pour le développement international
4 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 5
Résumé
Quand on pense à une « trajectoire de radicalisation
», l’image la plus fréquente est celle d’une progression
linéaire. Selon cette perspective, certains facteurs de
risque rendent les gens vulnérables à des croyances et des
idéologies toujours plus étroites, plus extrêmes qui mènent
au soutien ou à la participation à l’extrémisme violent.
Une érudition de la radicalisation indique que la
linéarité peut ne pas être un moyen utile pour comprendre
les trajectoires de la radicalisation. La littérature montre
que l’adhésion à des idéologies radicales ne se traduit pas
nécessairement par un soutien à la violence. Malgré le
manque de preuves appuyant l’idée que les personnes qui
adoptent des croyances et des idéologies extrêmes sont
plus susceptibles de participer à l’extrémisme violent, cela
continue d’être une croyance puissante.
Le Bureau des initiatives de transition (BIT) de l’Agence
des États-Unis pour le développement international
(USAID) est en train de mettre en œuvre un programme
de cohésion communautaire dans trois régions du Niger,
à savoir : Agadez, Tillabéry et Diffa. L’identication et la
collaboration avec les jeunes « à risque » de radicalisation
est l’une des composantes essentielles de ce programme de
cohésion communautaire.
Des recherches ont été menées à Agadez dans le
nord du Niger en octobre 2016 pour informer la
stratégie du BIT. Dans cette recherche, la radicalisation
a été imaginée comme un processus dynamique. Dans
ce processus dynamique, les facteurs individuels et
structurels interagissent pour produire le potentiel de
radicalisation et d’extrémisme violent. Les « facteurs
structurels » sont dénis comme des systèmes de
stratication socioéconomique (c.-à-d. la façon dont la
richesse et le pouvoir sont distribués) et d’autres modèles
des relations intergroupes, comme la manière dont les
citoyens s’identient à l’État. Les relations entre les grands
groupes sociaux changent constamment mais les discours
par rapport aux « autres » peuvent établir une forme
dynamique particulière. C’est pour cette raison que nous
n’avons pas examiné que les relations entre les différents
groupes sociaux dans la région d’Agadez mais aussi les
récits qui sont produits et consommés pour comprendre
l’évolution de ces dynamiques.
Pour tester la possibilité que des facteurs individuels
puissent prédisposer les gens à adopter des croyances
radicales et à soutenir l’extrémisme violent, nous avons
examiné les facteurs individuels couramment assumés par
les programmes de lutte contre l’extrémisme violent (PEV)
au Niger d’associer la vulnérabilité à la radicalisation et à
l’extrémisme violent. Ces facteurs ont inclus l’âge (jeunes),
l’origine ethnique, l’emploi, le niveau d’éducation, le degré
d’endettement et le degré d’exposition à d’autres sociétés.
Comme il ne s’agit pas d’une étude représentative, nous ne
pouvons parler que des liens ou de l’absence de liens dans
les réseaux que nous avons examinés.
Pour identier les personnes interviewées, les chercheurs
ont suivi des réseaux d’inuence dans des groupes dont
on pensait qu’ils incluraient des personnes qui seraient
favorables ou qui appuieraient des causes radicales.
L’utilisation d’une telle approche basée sur le réseau est
utile pour comprendre comment les membres des réseaux
dénis inuencent ce que chacun croit et comment ce type
de pensée est diffusé. Les réseaux ont été sélectionnés sur
la base d’une consultation avec des acteurs PEV et des
chercheurs au Niger, y compris des ex-rebelles touaregs, un
mouvement salaste (Izala), des traquants / transporteurs
de migrants, des commerçants (en particulier ceux qui
commercent avec la Libye), des groupes de jeunes (fadas)
comprenant des membres au chômage, des militants
de la société civile et des prisonniers. Un réseau sou a
également été suivi pour permettre des comparaisons avec
le réseau salaste. Nous avons également exploré comment
les concepts de « radicalisation » et d’« extrémisme violent
» sont compris par les populations locales.
Une connaissance est en cours de développement sur le
lien entre violence et croyances. Par exemple, la perception
que sa culture est menacée peut pousser une personne à
réduire ses croyances à des points de vue plus extrêmes.
Au Sahel, comme dans d’autres parties du monde, des
contrastes sont établis entre les systèmes de gouvernement
occidental / laïc / démocratique et islamique, et beaucoup
perçoivent le système occidental comme dominant. Dans
la région d’Agadez, nous avons cherché à comprendre
les différentes perceptions du concept de « société juste »
et du système de gouvernance occidentale par rapport à
un système de gouvernance islamique. Nous avons voulu
savoir si certaines croyances étaient associées à des points
de vue plus extrêmes.
Dans la région d’Agadez, comme dans toute société, il
y a des mouvements qui contestent le statuquo en offrant
une vision alternative de la société idéale. Ces mouvements
peuvent donc être qualiés de radicaux. Actuellement,
le mouvement radical le plus organisé et le plus proactif
dans la région d’Agadez est le mouvement Izala qui
demande d’éviter l’innovation dans la pratique de l’islam
et promeut une vision de la société basée sur la charia.
Izala est l’acronyme pour Jama’at Izalat al Bid’a Wa
Iqamat al Sunna (Groupe pour la suppression de l’hérésie
et l’application de la sunna1). Le mot « radical » est un
mot spécique au contexte. Dans de nombreux endroits du
monde, le soutien à la charia n’est pas une position radicale
car soit la loi de la charia est en vigueur, soit elle inuence
fortement les valeurs de gouvernance. Au Niger, la vision
d’Izala sur la manière dont la société doit être gouvernée
s’écarte actuellement de l’agenda général du pays. Dans
cette recherche, le soutien à l’adoption de la charia est
donc compris comme une position radicale. Même si nous
examinons les possibles liens entre le soutien à l’adoption
de la charia et le soutien à l’extrémisme violent, nous
partons du principe que la radicalisation sous forme de
soutien à la charia est distincte de l’extrémisme violent.
Les principaux résultats
Il n’y a pas de consensus entre les autorités et les
acteurs de la société civile sur la dénition de la
radicalisation et de l’extrémisme violent.
Les deux concepts étaient régulièrement utilisés de manière
interchangeable. L’extrémisme violent est très souvent
assimilé aux activités criminelles, en particulier les tracs
d’armes et de drogue et le blanchiment d’argent.
La vision dominante d’une « société juste » n’était
pas spéciquement liée aux idéaux islamiques.
Et la plupart des personnes interrogées la caractérisait
comme l’occasion de travailler, d’obtenir une source de
revenus et d’accéder aux services de base tels que l’eau et
l’électricité. La Libye d’avant la chute de Kadha était la
« société juste » la plus citée. Lorsqu’on leur a demandé
ce qui rendait la Libye de Kadha juste, les gens ont
décrit les possibilités d’emploi et les services qui étaient
disponibles là-bas. La majorité des interviewés, même ceux
qui n’étaient pas encore nés, ont cité le règne de Kountché
(1974-87) comme la période la plus juste de l’histoire
du Niger. Les gens associent les années Kountché avec la
méritocratie, l’absence de corruption, l’état de droit et
l’ordre.
Il y a une plus grande préférence de la
charia
par
rapport au système occidental comme système de
gouvernance.
Ceci rappelle l’enquête Afrobaromètre de 2013 selon
laquelle 67% des Nigériens aimeraient que la charia soit
adoptée dans la constitution. Les répondants ont dépeint la
démocratie comme étant un système facilement corruptible
et est très clément pour ceux qui enfreignent les lois. La
charia est, elle, décrite comme représentant la moralité, la
justice et l’ordre, mais aussi comme représentant la vérité
et la voix de Dieu, donc comme un système qui résiste
1. « Sunna » qualie les gens qui suivent le prophète Mohammed
à la corruption. Cela veut dire que la charia est perçue
comme facilitatrice de plus d’honnêteté chez les politiciens,
de moins de corruption, de discrimination et d’injustice,
d’une plus juste distribution des ressources, de moins
d’interférence de la part des forces occidentales, de plus
d’emploi et de plus de respect pour les droits des pauvres.
Il n’y a pas de liens clairs trouvés entre les facteurs
individuels et le soutien pour l’adoption de la
charia
.
Ce qui veut dire que les facteurs individuels comme l’âge,
la situation économique ne peuvent pas être utilisés
pour prédire le soutien pour l’adoption de la charia.
Les répondants dont l’âge est inférieur à 35 ans sont
probablement ceux qui soutiennent la charia le plus en
comparaison avec à ceux qui ont un âge supérieur à
35 ans. L’origine ethnique, l’histoire d’endettement ou
le temps passé en Libye ne prédisent pas le soutien à la
charia. Les populations locales ont rarement souligné les
facteurs individuels comme des causes de la radicalisation
et de l’extrémisme. Elles ont plutôt souligné que ce sont
les facteurs structurels comme la pauvreté basée sur
l’iniquité dans la distribution des ressources et la montée
de l’impérialisme qui amènent les jeunes à rejoindre les
groupes extrémistes.
Trajectoires potentielles de radicalisation
dans la région d’Agadez
Au niveau macro, nous pouvons identier plusieurs
facteurs structurels dynamiques qui inuencent la
trajectoire de la radicalisation dans la région d’Agadez.
L’un est un soutien grandissant de la mise en œuvre de la
charia. Bien que les Nigériens puissent accéder à la charia
pour résoudre des affaires familiales telles que régler leurs
différends par l’intermédiaire de l’Association islamique
du Niger (AIN) ou en faisant appel à un kadi, un juge
islamique, pour régler leur cas, l’Etat nigérien est un État
laïc.
Le groupe le plus actif dans la promotion de la charia
est le mouvement salaste Izala qui est en train de gagner
en popularité non seulement dans les grandes villes aux
alentours d’Agadez mais aussi dans les zones rurales. Le
mouvement Izala promeut une voie ascétique de la vie et
empêchent les superstitions et particulièrement le payement
des prières et les amulettes. Cette approche de la vie attire
beaucoup ceux qui peinent avec l’inuence grandissante
du matérialisme du monde moderne et les pressions de
faire des dépenses extravagantes pour les cérémonies de
mariage et de baptêmes. Une des idées fondamentales dans
le mouvement salaste est que les bidaâ (les innovations
dans les pratiques islamiques) sont dangereuses et ont
le pouvoir de dissoudre la sunna (ceux qui suivent le
prophète Mohammed). Cette croyance peut nourrir l’idée
6 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 7
que la bidaâ ne permettrait pas à la sunna de vivre comme
l’a prévu le prophète, et donc promouvoir l’intolérance à
ceux qui ne suivent pas le salasme.
Les membres du mouvement Izala sont souvent accusés
d’être extrémistes et d’autoriser les extrémistes violents de
prêcher et de recruter dans leurs mosquées. Nous n’avons
trouvé aucune preuve de lien entre le mouvement Izala et
les groupes d’extrémisme violent pendant cette recherche.
Il y avait des signes de tensions entre les mouvements sous
et salastes. Lorsque les Izala se déplacent dans une zone
et commencent à encourager les gens à prier dans leurs
mosquées et à suivre leur façon de prier, il y a souvent un
contrecoup de la part de la confrérie soue préexistante.
Ces affrontements se sont produits à travers le Niger
depuis les années 1990, au moment où les Izala sont
devenus actifs.
Il y a deux risques qui pourraient inuencer la
trajectoire que les Izala prennent actuellement. Le premier
vient du jeu qui se développe contre l’Izala au Niger pour
les empêcher d’inuencer la moralité de vie sociale et
politique au Niger. Cela pourrait les encourager à utiliser
des tactiques plus agressives pour atteindre leurs objectifs.
Le deuxième risque est que les groupes extrémistes
violents qui opèrent dans le nord du Mali, le sud de
l’Algérie et la Libye parviennent à s’aligner sur le
mouvement Izala pour parvenir à l’adoption de la charia.
Actuellement, cela semble peu probable car les Izala
croient que l’adoption de la charia ne peut être couronnée
de succès que si elle est faite par étapes. Les Izala sont
originaires du nord du Nigéria où ils ont travaillé pour
s’éloigner des groupes extrémistes violents tels que Boko
Haram. Il y a cependant une différence essentielle entre
les Izala au Nigéria et au Niger. Dans certains états du
nord du Nigeria, les Izala détiennent beaucoup de pouvoir
politique et ont réussi à appliquer la charia. En raison
de son pouvoir politique, l’Izala n’a aucune raison de
s’associer avec un groupe tel que Boko Haram. Au Niger,
on peut dire que les Izala gagnent de l’inuence politique,
mais qu’ils n’ont pas encore de représentants dans les
postes de décision-clés aux plus hauts niveaux. S’ils sont
bloqués du pouvoir politique, cela pourrait les pousser
à reconsidérer leur position de s’associer à un groupe
extrémiste violent.
Au niveau local, s’il n’y a pas d’amélioration
signicative des niveaux de corruption, des taux de
criminalité et des inégalités, il y a un risque que ceux qui
ont faim de changement se tournent vers des groupes qui
semblent offrir une solution immédiate à ces problèmes
sous forme d’adoption de la charia par la force.
Une autre dynamique structurelle qui peut affecter
les trajectoires de radicalisation est l’augmentation
signicative des tracs de drogues, d’armes et des migrants
dans le nord du Niger depuis la chute du régime de
Kadha. Les routes des tracs passent soit par la Libye
dans le cas des migrants soit par le Tchad et Libye pour les
armes et les drogues. Avec l’amenuisement des opportunités
pour la jeunesse d’Agadez, la possibilité de gagner une
source de revenu importante à travers des activités
criminelles représente un puissant pouvoir d’attraction.
Il y a beaucoup d’écrits sur les liens entre Al-Qaïda au
Maghreb islamique (AQMI) et les tracs de drogues et
d’armes dans le Sahel. Alors que nous avons remarqué que
les populations locales assimilent l’extrémisme violent aux
tracs de drogues et d’armes, il n’y a aucune preuve de
la propagation du recrutement par les groupes terroristes
dans la région d’Agadez. Et pourtant, les interviewés
parlent régulièrement de l’implication des jeunes dans
des activités criminelles. Il y a un risque que, si un plus
grand nombre de personnes s’engagent dans des activités
criminelles, des liens plus forts entre des extrémistes
violents et de telles personnes pourraient se développer.
Implication sur le format des programme
PEV au Niger
Le manque de consensus sur ce que constituent la
radicalisation et l’extrémisme violent rendra difcile
la mise en place d’un « système d’alerte précoce » qui
repose sur les personnes qui signalent des incidents de
radicalisation et d’extrémisme violent. En particulier,
l’assimilation de la radicalisation au banditisme et au
pillage signie que les programmes PEV qui s’appuient sur
des rapports locaux de « radicalisation » peuvent nir par
recueillir des informations sur les dés sécuritaires plutôt
que sur l’intolérance croissante ou le soutien croissant à
une vision plus stricte de la société basée sur la charia.
Le constat que la vision des gens d’une société juste n’est
pas nécessairement infusée de valeurs islamiques offre aux
programmes PEV au Niger un point d’entrée important.
Bien que les programmes PEV soient peu susceptibles
de s’attaquer à l’augmentation du chômage, de fournir
des services et d’améliorer l’état de droit, les acteurs
PEV pourraient aider à sensibiliser le gouvernement et la
communauté internationale à la nécessité d’aborder ces
problèmes dans la région d’Agadez.
Le soutien généralisé à l’adoption de la charia indique
une demande de changement dans la façon dont la société
est gouvernée. La contestation fait partie de toute société
qui fonctionne et chercher à la supprimer est susceptible
de produire des récits plus extrêmes. S’engager avec les
récits diffusés par des groupes inuents sera essentiel
pour inuencer les trajectoires de radicalisation dans la
région d’Agadez. Il s’agit de collaborer avec des groupes
actifs dans la promotion de la charia, comme l’Izala. Tout
travail devra être très sensible au potentiel risque qu’une
association entre des acteurs Izala et ceux de la PEV
soit perçue comme une signe de trahison de la part des
membres d’Izala qui verraient alors ces premiers comme
vendus. Les acteurs de la PEV doivent également trouver
des moyens de s’engager dans la perception répandue de
l’inuence négative de l’occident, et en particulier de la
présence nuisible d’armées étrangères. Les soupçons sur
le but de toute présence militaire étrangère nourriront les
récits extrémistes et soutiendront la résistance violente.
Plutôt que de chercher à identier les individus «
à risque », les acteurs internationaux pourraient se
concentrer sur des facteurs qui pourraient alimenter les
récits soutenant la mise en œuvre violente de la charia
dans la région d’Agadez. Les facteurs de risque identiés
sont la corruption croissante, la criminalité croissante,
l’absence de primauté du droit, l’inégalité croissante et la
perception d’un traitement injuste des locaux par les forces
militaires étrangères. Il est recommandé que les acteurs
internationaux travaillent avec les groupes qui subissent
les effets de ces facteurs de la manière la plus aiguë. Un
exemple serait les transporteurs, qui sont susceptibles
d’entrer en contact avec les forces armées étrangères, car
ceux-ci tentent de mettre un frein à la contrebande de
migrants.
Motocycliste Touareg © Aoife McCullough, 2016
8 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 9
1. Introduction :
Questionner l’idée de la
radicalisation comme une
trajectoire linéaire
2. McCauley et Moskalenko, 2011
3. USAID, 2011
L’image la plus commune de la radicalisation est celle
d’une progression linéaire. Selon cette perspective, certains
facteurs de risque rendent les individus vulnérables à des
croyances et idéologies extrêmes, toujours plus étroites.
Si un groupe de pairs ou des facteurs d’un milieu social
soutiennent l’adoption d’idéologies plus extrêmes, on croit
généralement que cela accélère l’intolérance, voire pousse
les gens vers une idéologie qui soutient et tolère la violence.
Le savoir a cependant remis en cause la notion de
radicalisation comme processus linéaire2. L’adhésion à
des idéologies radicales ne résulte pas nécessairement du
soutien à la violence (pour plus de détails, voir la revue
de littérature qui a été produite pour accompagnée cette
recherche). Malgré le manque de preuve soutenant l’idée
selon laquelle les individus qui adoptent des croyances et
des idéologies extrêmes sont plus susceptibles de participer
à l’extrémisme violent, cette notion continue d’être très
forte.
Cette recherche ne suit pas l’hypothèse que la
radicalisation est une trajectoire linéaire. Nous avons,
plutôt, imaginé la radicalisation comme un processus
dynamique, et non linéaire, avec des étapes distinctes.
Un des concepts-clés pour appréhender la radicalisation
comme un processus dynamique est celui de «
facteurs structurels ». Les facteurs structurels sont dénis
comme des systèmes de stratication socioéconomique
(c.-à-d. la façon dont la richesse et le pouvoir sont
distribués) et d’autres modèles des relations intergroupes,
comme la manière dont les citoyens s’identient à l’État.
Les relations entre les grands groupes sociaux changent
constamment mais les discours par rapport aux « autres
» peuvent établir une forme de dynamique particulière.
C’est pour cette raison que nous n’avons pas examiné
que les relations entre les différents groupes sociaux dans
la région d’Agadez mais aussi les récits qui sont produits
et consommés pour comprendre l’évolution de ces
dynamiques.
Selon une autre croyance communément associée à la
compréhension de la radicalisation comme un processus
linéaire, les facteurs individuels peuvent prédisposer les
individus à adopter des croyances radicales et supporter
l’extrémisme violent. Pour tester cette possibilité, nous
avons examiné le degré auquel les facteurs individuels
prédisent la radicalisation. Ces facteurs individuels
sélectionnés sont ceux que les programmes de PEV au
Niger associent à la vulnérabilité à la radicalisation et
l’extrémisme violent. Il s’agit de l’âge, de l’origine ethnique,
de l’emploi, du niveau d’éducation, du degré d’endettement
et du degré d’exposition aux autres sociétés. Comme cette
étude n’est pas représentative, nous ne pouvons parler que
des liens ou de l‘absence de liens dans les réseaux que nous
avons examinés.
Une érudition sur le lien entre la violence et les
croyances est en cours de développement. Par exemple,
la perception que le fait que sa culture soit menacée peut
réduire les croyances d’un individu à des points de vue les
plus extrêmes3.
Au Sahel, comme dans d’autres parties du monde, des
contrastes sont établis entre les systèmes de gouvernement
occidentaux / laïcs / démocratiques et islamiques, et
beaucoup pensent que le système occidental est celui qui
domine. Dans la région d’Agadez, nous avons cherché à
comprendre les différentes perceptions du concept de «
société juste », du système de gouvernance occidentale
par rapport à un système de gouvernance islamique. Nous
avons également voulu voir si certaines croyances étaient
associées à des points de vue plus extrêmes.
1.1. Comment dénir la
« radicalisation » ?
Bien que l’une de nos questions de recherche fût de savoir
« comment la radicalisation est dénie au niveau local
? », nous avons eu besoin d’une dénition fonctionnelle
de la radicalisation pour modeler notre analyse. L’un des
problèmes majeurs avec le concept de la radicalisation est
qu’il tend à fusionner un certain nombre de signications
variées comme la désaffection, l’aliénation des jeunes,
les contestations radicales, le fondamentalisme religieux,
l’inclinaison à la violence. Or, pour des raisons analytiques,
on devrait les garder distinctes4. De plus, l’étude de la
radicalisation se focalise souvent sur l’individu et son
groupe social, accordant peu d’attention aux circonstances
politiques, sociales et économiques. Cela traduit une image
de la radicalisation comme un processus individuel, voire
même apolitique5.
Dans ce rapport, nous avons choisi de nous baser sur
les dénitions suivantes pour éviter de tomber dans le
même piège conceptuel. Le mot « radical » fait référence
à un corps de pensées ou d’actions qui diverge et dée
le courant dominant. Un mouvement radical représente
le changement. Le changement radical n’a pas toujours
été considéré comme quelque chose de négatif. Comme
l’afrme Jackson, un « radical » était tout simplement « un
révolutionnaire qui cherchait à changer fondamentalement
la société. Ce changement pouvait être réalisé à travers
l’utilisation de moyens non-violents et démocratiques,
ou de moyens violents et non-démocratiques »6. Le mot
« radical » est ainsi spécique au contexte. D’autres
éruditions soutiennent une vision de la radicalisation
comme un résultat des périodes de contentieux politiques7.
Dans la région d’Agadez, comme dans toute société, il y
a des mouvements qui contestent le statuquo et qui offrent
une vision alternative de la société idéale. Cette vision peut
être ainsi qualiée de radicale. Actuellement, le mouvement
radical le plus organisé et le plus proactif dans la région
d’Agadez est le mouvement Izala qui demande d’éviter
l’innovation dans la pratique de l’islam et promeut une
vision de la société basée sur la charia. Izala est l’acronyme
pour Jama’at Izalat al Bid’a Wa Iqamat al Sunna (Groupe
pour la suppression de l’hérésie et l’application de la
sunna8).
Le mouvement Izala est aussi actif dans le nord du
Nigéria. Mais, étant donné qu’il détient des pouvoirs
politiques dans certains états, il n’y représente pas un
mouvement radical bien que son inuence ait appuyé la
mise en œuvre de la charia, contrairement à ce qui se passe
au Niger, où, aujourd’hui, sa vision de la gouvernance
4. Kundnani 2015
5. Sedgwick 2010, p.480
6. Jackson 2016
7. Bosi, Demetriou et Malthaner 2014
8. La « sunna » représente l’ensemble des individus qui suivent le Prophète Mohammed
9. http://blogs.cfr.org/campbell/2017/01/27/salasm-in-northern-nigeria-beyond-boko-haram/
de la société diffère radicalement de l’agenda du courant
dominant. Dans la région d’Agadez, le fait que l’Izala
soutienne l’adoption de la charia au Niger est donc
considéré comme une position radicale.
Dans la revue de la littérature menée pour cette
recherche, la radicalisation est dénie comme un processus
qui précède, mais qui ne conduit pas forcément, au
terrorisme et à l’extrémisme violent. Même si nous pensons
que la plupart des membres du mouvement Izala n’est pas
en faveur de l’extrémisme violent, nous avons enquêté sur
la possibilité que le radicalisme promu par ce mouvement
puisse conduire à la participation ou au soutien de
l’extrémisme violent. Cela est basé sur des connexions
présumées entre le mouvement Izala et les groupes
extrémistes violents.
Cependant, nous avons fait très attention à ne pas
assimiler le radicalisme représenté par le mouvement
Izala au Niger à celui du mouvement Izala en général, ou
même à celui du salasme. Ce dernier est un mouvement
mondial mais possède une organisation libre. L’Arabie
Saoudite est certes la forteresse du salasme, ses dirigeants
et scientiques ne contrôlent pourtant pas tout ce que
les autres salastes font9. Une minorité (très visible) de
salastes compose les « salastes djihadistes », ceux qui
épousent le djihadisme et essaient d’imposer le salasme
par la force. Boko Haram dans le nord du Nigéria, Ansar
Dine, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique
de l’Ouest (MUJAO), le Front de libération du Macina
(MLF) au Mali, Daesh (ou l’État islamique) et Al-Qaïda en
sont des exemples.
1.2. Structure du rapport
La deuxième section décrit la méthodologie de la
recherche. Dans les sections trois à six, nous avons décrit
les résultats-clés de la recherche. Dans la section sept, nous
avons présenté les acteurs-clés qui façonnent les récits et
contre-récits sur la manière dont la société devrait être
gouvernée, pourquoi le changement se passe et ce qui est
bien pour le Niger. Nous avons en plus fait une brève
description de leur interprétation de la radicalisation et
de l’extrémisme violent. Dans la section huit, nous avons
décrit l’inuence de la communauté internationale. Nos
observations sur la manière dont les individus pensent que
le changement peut se produire à Agadez sont présentées
dans la section neuf. Pour terminer, nous avons fait une
brève description de quelques résultats de l’analyse des
réseaux d’inuence.
10 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 11
2. Méthodes de recherche
Ce rapport propose une analyse qualitative basée sur des
entretiens. La méthode d’échantillonnage repose sur le
suivi des réseaux d’inuence dans des groupes rassemblant,
à notre avis, des personnes qui pourraient être favorables
ou supporteurs des causes radicales. Ces groupes ont
compris des Touaregs ex-rebelles, un mouvement salaste,
une confrérie soue, des traquants/transporteurs, des
commerçants, des groupes de jeunes (fadas), des acteurs
de la société civile et des prisonniers. Les groupes ont été
identiés grâce à des consultations avec l’équipe lors d’un
atelier sur la conception de la recherche (voir le tableau n°1
pour le nombre d’entretiens par reseau).
Nous avons cherché à comprendre comment les
membres d’un réseau s’inuencent les uns les autres. Par
conséquent, nous avons demandé à chacun(e) de désigner
la personne la plus inuente pour lui(elle). Nous avons, par
la suite, voulu interroger cette personne. Cela a permis à
l’équipe de suivre les réseaux d’inuence dans des groupes
spéciques de personnes.
Pour renforcer les données que nous avons collectées
à travers cette approche dite « réseaux », les chercheurs
ont identié les autorités pertinentes (spirituelles,
traditionnelles et les représentants de l’Etat) dans chaque
localité que l’équipe a visitée. Nous avons interrogé ces
autorités pour avoir une large perspective de la manière
dont la radicalisation et l’extrémisme violent sont dénis.
Tableau 1: Nombre d’entretiens par réseau
Réseau Nombre d’entretiens individuels
Le réseau soufi 18
Le réseau salafiste 14
Ex-rebelles 19
Prisonniers 6
Fadas 6
Transporteurs 5
Commerçant 4
Acteurs de la société civile 3
Total 75
2.1. La collecte de donnée
Nous avons procédé à la collecte de données en deux
phases entre septembre et novembre 2016 dans la région
d’Agadez, comprenant la ville d’Agadez et cinq villages
environnants (Gougaram, Iférouane, Mayatt, Tadag et
Gofat). Au total huit chercheurs (six Nigériens et deux
Européens) ont été impliqués, à divers degrés, dans la
collecte de données.
Tableau 2: Nombre d’entretiens par localité
Lieu Nombre d’entretiens
Agadez 44
Goffat 3
Gougaram 6
Iferouane 5
Mayatt 9
Tadag 6
Niamey 2
Total 75
Les interviewés ont été choisis en fonction de l’un des
critères suivants : soit parce que nous les avons identiés
comme représentant un groupe particulier auquel nous
avons voulu accéder, soit parce qu’un interviewé l’avait
identié comme une personne inuente dans sa vie.
L’échantillon est par conséquent non représentatif.
Nous avons demandé à chaque membre de réseau
de donner le nom de deux personnes qui ont inuencé
sa vision de ce qu’est une société juste. Les personnes
interviewées ont eu tendance à donner le nom de leurs
ainés. Pour s’assurer que les interviewés comprennent à la
fois des jeunes et des personnes âgées, nous avons demandé
aux interviewés de donner également le nom d’une
personne inuente du même groupe d’âge qu’eux.
Beaucoup de chevauchements entre les réseaux ont été
observés. Par exemple, des membres des ex-rebelles étaient
aussi membres des réseaux sou ou salaste. Nous les
avons catégorisés en fonction de la manière dont ils ont été
présentés aux intervieweurs.
En plus des entretiens avec les membres des réseaux,
nous avons conduit des entretiens et des discussions
de groupes (FDG, en anglais) avec les autorités et les
informateurs-clés. Les entretiens avec les autorités se sont
focalisés sur leur compréhension de la radicalisation,
de l’extrémisme violent et de leurs causes. Nous avons
tenu des FGT dans les secteurs qui ont suscité une forte
méance durant la recherche mais aussi dans ceux
identiés comme vulnérables à la radicalisation par le BIT
tels que les quartiers Pays Bas et Tadress d’Agadez.
Au total, nous avons interviewé 75 membres des
réseaux, 15 représentants des autorités (des deux systèmes
traditionnel et étatique), effectué 5 FDG et conduit 4
discussions avec des informateurs-clés (voir le tableau n°3).
Tableau 3: Types d’entretiens conduits
Type d’entretiens conduits Membres
des réseaux
Autorités Total
Entretiens individuels
semi-structurés
75 15 90
Discussions de groupes 5 0 5
Discussions avec des 4 0 4
informateurs-clés 4 0 4
Sur les 75 entretiens individuels, 55 ont été menés avec
des hommes et 20 avec des femmes. 52 % de ces entretiens
ont été menés avec des jeunes de 15 à 35 ans. L’âge médian
de l’échantillon était de 35 ans. 66 % étaient des Touaregs.
Le reste de l’échantillon était composé d’un mélange
ethnique (10%). Les Haoussas (8%), les Toubous (4%), les
Béribéris (4%), les Zarma (3%) et les Arabes (1%).
Nous avons utilisé le guide d’entretien que l’équipe de
recherche avait développé de manière collaborative pour
les entretiens avec les membres des réseaux. Pendant que
nous développions le guide, nous avons discuté sur les
traductions de certains concepts dans les diverses langues.
Les intervieweurs ont été encouragés à approfondir
certaines thématiques lorsqu’ils le jugeaient pertinent.
En demandant aux interviewés de donner le nom de
deux personnes qui les ont inuencés dans la formation
de leur idée sur une société juste, il nous a été possible de
suivre l’inuence d’un réseau d’ex-rebelles à Iférouane
et à Gofatt, un réseau de commerçants à Agadez, un
réseau izala à Agadez et un autre réseau tijania à Agadez,
ainsi que des réseaux tijania et izala à Mayatt et Tadag.
Un réseau était identié comme « réseau d’inuence »
seulement si au moins quatre personnes interrogées étaient
connectées entre elles par différents degrés d’inuence.
Dans les quartiers Pays Bas et Tadress d’Agadez, les gens
se sont montrés très suspicieux par rapport aux chercheurs
ce qui a rendu impossible d’y suivre un réseau. Quand
nous avons essayé de suivre un réseau d’élèves lles tijjania
de l’un des très inuents cheicks d’Agadez, les femmes se
sont montrées très réticentes à nous parler. Nous n’avons
pas demandé aux prisonniers de nous dire qui pouvait les
inuencer. Nous leur avons plutôt expliqué l’objectif de
la recherche puis demander de nous donner le nom d’une
personne inuente dans leur vie et nous avons ensuite suivi
ce lien. Un prisonnier que nous avons interrogé a donné le
nom d’une personne se trouvant à Niamey.
2.2. L’analyse des données
Pendant tous les entretiens, les intervieweurs ont prit
des notes dans la langue de l’interviewé. Des rencontres
quotidiennes étaient tenues avec les membres de l’équipe
pour discuter des réponses des interviewés et partager les
expériences sur la manière de continuer les entretiens sur
des thèmes sensibles à approfondir. Les notes d’entretiens
ont, ensuite, été traduites en français en utilisant certains
verbatimes et un cadre analytique initial.
Tous les entretiens furent codés dans le logiciel d’analyse
qualitative MaxQDA. Nous avons appliqué 101 codes
différents à un total de 1 368 segments de texte. Les
segments codés nous ont permis de focaliser l’analyse
sur les thèmes les plus fréquemment soulevés durant les
entretiens. Les variables telles que la langue, l’âge, le sexe
mais aussi l’expérience de migration, nous ont permis de
chercher le bon modèle reliant les facteurs individuels aux
croyances exprimées.
Puis, nous avons examiné la propagation d’une
perception particulière des récits pour voir s’il y avait
un schéma particulier entre les réseaux ou les groupes
démographiques. Si une perception était répétée plus de
deux fois, elle était notée comme « quelques ». Si une
perception était exprimée plus de cinq fois, elle était notée
comme « plusieurs ». Si une perception était exprimée juste
une seule fois et qu’elle était intéressante ou clariait les
perceptions, nous l’avons également souligné dans notre
analyse.
Quant au soutien de la charia, nous avons utilisé
une analyse statistique de base pour comprendre si
les caractéristiques démographiques mesurées étaient
pertinentes dans la prévision de ce soutien.
2.3. Comment les mots les plus
importants ont été traduits ?
Pendant le développement du guide d’entretien, l’équipe
de recherche s’est entendue sur les termes français pour les
concepts les plus essentiels de cette recherche. Les locuteurs
des différentes langues les ont traduits dans les langues
locales pertinentes.
Le concept de « société juste » a été utilisé pour accéder
aux perceptions populaires de la société idéale. Cela fut
très utile, surtout pour démarrer les discussions sur les
caractéristiques d’une société que les individus préfèrent
et aller ainsi au-delà des récits souvent présentés aux
occidentaux et à ceux qui travaillent pour les organisations
occidentales. Le concept de « société juste » est aussi un
12 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 13
concept-clé en islam. Nous avons pensé que ses différentes
articulations pourraient nous aider à situer les individus
par rapport à leur soutien d’une vision plus stricte de la
société basée sur les lois islamiques.
Dans le premier pilotage de l’enquête, nous avons
utilisé le terme « état laïc » comme une antithèse à « état
islamique », mais la plupart des répondants ont eu du
mal à articuler leurs points de vue sur la laïcité. Nous
avons constaté que le « système occidental » portait
beaucoup plus de relief pour les gens et fonctionnait
comme une antithèse au « système islamique ». Pour
beaucoup de Nigériens, le « système occidental »
combine les concepts de laïcité et de démocratie, systèmes
perçus comme émanant des pays occidentaux tels que
les États-Unis et les pays européens, et soutenu par ces
pays. Comme le terme « occidental » a été utilisé dans les
entrevues, il est utilisé tout au long de ce rapport comme
les perceptions d’un système « occidental ». Les inuences
perçues des « occidentaux » sont également analysées.
Nous reconnaissons que ce terme est problématique car
il confond les différences entre les pays occidentaux et les
occidentaux. Cependant, comme l’indiquent les traductions
de « système occidental » en tamashek et haussa, des
langages courantes utilisées au Niger, on entend par «
système occidental » le système des « Blancs ». De même,
l’utilisation du terme « système islamique » confond les
différences et les nuances. Cependant, pour comprendre les
perceptions des systèmes de gouvernance et l’attrait pour la
charia, ces termes étaient utiles.
Tableau 4: Les mots utilisés au cours des entretiens
Langues Concept Mots utilisés Traduction littérale
Haussa Société juste rayuwa ta adalci La vie de la justice
Société occidentale Rayuwa nasara La vie des Blancs
Système islamique Sharia Charia
Laïcité kowa yayi addinin shi Tout le monde fait sa religion
Utilisation de la force Aiki da karfi Utilisation de la force
Tamashek Société juste Toumouksourt ta tizzilaghat/tagadala La vie qui est droite
Société occidentale Sari wan koufar L’affaire des mécréants
Système islamique Sari wan an neslam/ tarreyte tan niddin wa islim L’affaire de l’islam / la voie de la religion islam ique
Laïcité Tagharan n’ilghoukoum wour naha’idin L’affaire de l’autorité dans laquelle il n’y a pas de
religion
Utilisation de la force Igin nissaghat Mettre la force
3. Résultat 1 : il n’y a pas
de consensus autour
de la signication de
la radicalisation et de
l’extrémisme violent
10. Traduit du haussa. Interview avec un acteur de la société civile à Agadez.
11. Interview avec un représentant des autorités de Gougaram
12. Traduit du tamashek. Interview avec un un ex-rebelle et ex-maire d’Agadez
13. Interview d’une femme d’un quartier d’Agadez
Ceux qui travaillent dans le programme de lutte contre la
radicalisation dans la région d’Agadez reçoivent souvent
des notications des villages radicalisés et des jeunes à
risque de radicalisation. Pendant cette recherche, il était
donc important de savoir s’il y avait un large consensus
sur la signication de la radicalisation entre les autorités et
les acteurs de la société civile et de voir si ce qui est décrit
comme « radicalisé » est compris de la même façon par
ceux qui travaillent dans le programme PEV au Niger.
Nous avons directement demandé aux autorités
locales (les chefs traditionnels, les représentants de l’État
et les leaders de la société civile) de nous dire ce qu’ils
comprennent par « radicalisation » et « extrémisme
violent ». Au cours des entretiens avec les membres
des réseaux, nous n’avons pas abordé la radicalisation
directement pour éviter de polariser leurs réponses par
rapport à leur préférence pour la charia. Lorsque la
radicalisation et l’extrémisme violent ont été évoqués
par les interviewés, nous leur avons demandé leur
compréhension de ces deux concepts.
3.1. L’interprétation de la radicalisation à
Agadez
Plusieurs interviewés assimilent la radicalisation à la
violence, particulièrement au banditisme et au pillage.
Elle est aussi associée directement aux tracs de drogues
dans l’esprit de quelques répondants. La radicalisation
est aussi perçue par deux interviewés comme une force de
déstabilisation qui peut détruire la société. Un acteur de la
société civile l’a décrite comme « un complot contre
l’islam »10.
Les interviewés ont rarement dit que la radicalisation
était enracinée dans les caractéristiques personnelles mais
ont plus tenté de l’analyser sous l’angle de la politique
et de la pauvreté. Plusieurs personnes interrogées ont
décrit la radicalisation comme la conséquence du manque
d’opportunités de gagner un revenu. Pour elles, si les
groupes radicaux offrent aux pauvres ou aux sans-emploi
50 000 francs CFA (environ 76€), cela représente une
opportunité11 à saisir. D’autres ont décrit la radicalisation
comme le résultat de la mauvaise gouvernance ou de
l’incapacité de l’État à redistribuer les ressources au
niveau local : « le problème de la radicalisation est lié à
l’incapacité de l’État à transférer les ressources et permettre
aux municipalités de développer leur propre plan de
gouvernance locale »12. La radicalisation est aussi perçue
comme le résultat d’un traitement irrespectueux des
personnes, c’est ce qui amène les gens à vouloir se venger13.
14 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 15
Une autorité a afrmé fermement que la radicalisation est
« une manière de réagir »14, ce qui montre que le mot est
utilisé pour décrire la confrontation ou le désaccord. Un
autre répondant a expliqué que les gens qui ont vécu en
Libye, une fois de retour, incitent les autres à prendre les
armes pour déstabiliser un système qui ne protège pas leurs
droits15.
Certains ont connecté la radicalisation à l’islam
tout en étant clairs que l’islam n’était pas une source
de radicalisation. Ils ont expliqué que cela était plutôt
une interprétation restreinte ou une incompréhension
de l’islam. Un acteur de la société civile a estimé que la
question est mal placée dans le contexte nigérien : il pense
que le concept de la radicalisation, et son association
à l’islam par le monde occidental, est une construction
hostile16. Cela fut souligné dans une dénition de la
radicalisation qui se focalise sur l’idée que des opinions
et une vision fortes de la société (toutes deux considérées
comme radicales) sont aussi une chose positive pour une
société qui a besoin d’une telle vision17. Cela n’est pas
assimilé à un rétrécissement de l’option de la violence.
3.2. Les interprétations de l’extrémisme
violent à Agadez
Les notions de la radicalisation, de l’extrémisme ou de
l’extrémisme violent sont entrelacées. Cela veut dire
que l’extrémisme violent est appréhendé avec les mêmes
facteurs politiques et de pauvreté qui sont utilisés pour
expliquer la radicalisation. Le plus souvent, l’extrémisme
violent est juste perçu comme un acte de violence ou un
moyen de protéger les ressources précieuses par exemple
les armes et la drogue. Ainsi, un traquant afrme :
« […] l’extrémisme violent est l’action de prendre les
armes pour défendre ses marchandises et ses passagers.
On est obligé de prendre les armes pour se défendre
parce que la route est en mauvais état. Tout le monde
est armé. La route Libye - Agadez est très dangereuse,
c’est pourquoi nous sommes armés. Depuis la chute
du régime de Kadha, nous n’avons que très peu
d’opportunités de faire passer des armes à la frontière
[…] ».18
14. « Une façon de réagir », L’Observatoire religieux, Agadez
15. « Ils ont dit que nous, en Libye, nous avons pris les armes contre l’Etat ce qui nous permet d’avoir des véhicules », une autorité traditionnelle de
Gougaram. Traduit du tamashek.
16. Interview avec un acteur politique d’Agadez
17. Interview avec une femme du mouvement Qaddriya qui a participé a un camp de paix organisé par PCCN.
18. Traduit du tamashek. FGD avec une fada de fraudeurs de Toubou, à Agadez.
19. FGD avec un membre mâle d’une fada du quartier Pays Bas d’Agadez
20. Interview avec un activiste politique, à Agadez.
21. Interview avec L’Observatoire religieux, à Agadez
Pour reéter ce point de vue, un groupe de jeunes
d’Agadez a qualié d’extrémistes violents les criminels, en
particulier les traquants ou les escrocs19.
Peu de personnes interrogées ont lié l’extrémisme
violent aux groupes islamiques comme Boko Haram, l’État
islamique ou MUJAO.
Pour certains, l’extrémisme violent est le symptôme d’un
changement social profond. Pour un acteur de la société
civile, l’extrémisme violent représente une déclinaison de la
tolérance qui se manifeste par des actes de vandalisme et la
destruction des bâtiments publics. Il afrme que c’est parce
les jeunes ont perdu leur identité traditionnelle et leur
culture, qu’ils se situent « entre deux mondes différents
»20. Pour un autre acteur de la société civile, l’extrémisme
violent est un moyen de dépasser les limites, de faire les
choses qui sont interdites dans la société, d’adorer quelque
chose jusqu’à ignorer les limites sociales.
Certains chefs religieux pensent que l’extrémisme
violent est lié à certaines représentations de l’islam. Mais
il est aussi souligné que cela n’est pas une interprétation
toujours utile, ou même exacte, car il existe d’autres types
d’extrémismes politiques ou culturels21. D’autres encore
ont soutenu que l’islam était une façon d’empêcher les gens
de poursuivre une vie de crimes et de violences, leur offrant
ainsi un moyen de sortir de l’extrémisme violent.
Implications et réexions pour la
programmation de PEV à Agadez
Une approche actuellement envisagée par les acteurs PEV
au Niger consiste à mettre en place un « système d’alerte
rapide » permettant aux acteurs locaux et aux autorités
de surveiller les signes de radicalisation et d’extrémisme
violent et de les signaler aux organisations travaillant
sur les programmes de PEV. De telles variations dans
l’interprétation de la radicalisation et de l’extrémisme
violent rendent l’établissement d’un système d’alerte
précoce difcile. Notamment, l’assimilation de la
radicalisation au banditisme ou au pillage montre
que le programme de PEV peut aboutir à la collecte
d’informations sur les dés sécuritaires ou augmenter
l’intolérance et le soutien des perceptions strictes de la
société basées sur la charia. La compréhension de la
radicalisation et de l’extrémisme violent peut être plus
standardisée à travers les renforcements des capacités des
autorités locales. Le danger d’utiliser un système d’alerte
précoce basé sur les rapports des autorités est que ces
dernières pourraient être perçues comme des complices de
la communauté internationale. Cela risquerait de conduire
ceux qui soutiennent le changement ou l’extrémisme
violent à agir secrètement.
Le Palais de Sultan, Agadez © Aoife McCullough, 2016
16 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 17
4. Résultats 2 : La vision
populaire d’une « société
juste » inclut l’emploi,
l’accès aux services de
base et l’ordre
22. Alors que ce taux de chômage semble bas pour le Niger, le chiffre ofciel donné par l’OIT en 2014 est 5,1 %.
Avant de faire cette recherche, l’équipe pensait que
demander à des gens d’exprimer leur compréhension d’une
« société juste » permettrait de les classer en fonction de
leur adhésion aux idéaux islamiques. Cette proposition
faisait suite aux discussions entre l’équipe et le Professeur
Maikoréma, un spécialiste de l’histoire de l’islam à
l’université de Niamey. En fait, la vision la plus fréquente
d’une « société juste » n’est pas forcément liée aux
idéaux religieux mais plutôt aux opportunités d’emploi,
aux sources de revenus et à l’accès aux services sociaux
de base comme l’eau et l’électricité. La Libye d’avant la
chute du régime de Kadha a été le plus souvent citée
comme modèle d’une « société juste ». Quand nous avons
demandé de dire ce qui la rendait juste, les interviewés
ont décrit les opportunités et les services qui y étaient
disponibles. Le régime de Kountché (1974-1987) a maintes
fois été cité comme la période pendant laquelle la société
nigérienne était la plus juste, y compris par ceux qui ne
l’ont pas connu. Cela souligne la manière dont les gens se
souviennent de cette période d’autoritarisme avec nostalgie.
Les gens associent le règne de Kountché à la méritocratie, à
l’absence de corruption, à l’état de droits et à l’ordre.
La vision d’une société juste dénie par les personnes
interrogées correspond aussi aux maux sociaux les plus
couramment identiés : chômage, corruption, pauvreté,
criminalité et dégradation des valeurs sociales, comme
le manque de respect pour les aînés et une plus grande
acceptation de la promiscuité. Le chômage a été cité
comme le problème le plus important dont souffre la
société d’Agadez. Même si notre échantillon n’est pas
représentatif, il est important de noter que 9 % des
interviewés se décrivent comme « chômeurs »22. Cela
montre que la plupart des personnes travaillent mais que ce
travail n’est pas une source de revenu stable comme celui
d’un salarié. Cependant, cela souligne également qu’il y
a une différence entre le type de chômage pour lequel les
gens se lamentent dans la situation d’Agadez (ce qui signie
pour eux être fonctionnaire de l’État, d’une ONG ou d’une
industrie) et la réalité de l’emploi qui est un ensemble très
hétérogène d’entreprenariat, de travail exible basé sur un
projet ou bien probablement, d’activités illicites ou illégales
identiées comme un emploi.
Implications et réexions pour la
programmation de PEV à Agadez
Les répondants n’ont pas déni une société « juste » en
termes de système légal particulier qui serait régit par un
ensemble de valeurs morales, mais en termes plus larges, en
lien avec le développement.
Le résultat selon lequel la vision de la société juste n’est
pas forcément inspirée des valeurs islamiques constitue un
point d’entrée très important pour les programmes de PEV
au Niger. Bien qu’il y ait une généralisation de la préférence
du système islamique au système occidental (voir la section
suivante), cette préférence pourrait être largement basée
sur l’expérience que les gens font de la société dans laquelle
ils vivent actuellement et perçoivent comme injuste. Ils
perçoivent la société nigérienne comme une société à
faible opportunités d’emploi, aux services sociaux de base
insufsants et à l’absence d’état de droit.
Bien que les programmes de PEV ne puissent
vraisemblablement pas s’attaquer aux problèmes de
chômage, de prestation de services et d’amélioration de
l’état de droit, les acteurs PEV pourraient jouer un rôle
important de sensibilisation pour montrer le besoin de
mettre en place des programmes qui répondraient aux
problèmes dans la région d’Agadez. Il est important de
noter que le soutien de l’état de droits ne signie pas un
simple renforcement de la présence de l’État à travers
l’augmentation du nombre de policiers, de militaires et du
personnel judiciaire. Une large approche consisterait plutôt
à identier les raisons pour lesquelles le système actuel
est perçu comme injuste et à travailler pour faire face à
ces injustices de manière systématique. Les acteurs PEV
devraient renseigner l’élaboration et la mise en œuvre de
tels programmes pour s’assurer que toutes les différentes
religions en bénécient.
18 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 19
5. Résultat 3 : Il y a une
large préférence de la
charia
par rapport au
système occidental
23. Pour plus de détails sur l’analyse politique et économique des électeurs et sur le secteur de l’éducation, voir la série de brieng produite par ODI pour
l’USAID en 2015 https://www.odi.org/projects/2823-niger-political-economy-action-research
Dans les entretiens que nous avons conduits avec les
membres des réseaux, nous avons exploré les pensées et les
attitudes des gens par rapport au système occidental et au
système islamique (qui est traduit par la « charia »). Nous
leur avons demandé de nous donner les aspects positifs
et négatifs de chacun de ces systèmes et de nous dire s’ils
pensent que l’un ou l’autre pourrait résoudre les problèmes
de la région d’Agadez. Lorsque les individus ont différencié
l’état laïc du système occidental, nous avons aussi recueilli
leurs perceptions des aspects positifs et négatifs du premier.
Bien que la majorité des gens pensent qu’il serait mieux
de maintenir le système actuel, (qui est largement compris
comme un système occidental) 45 % préfèreraient la
charia. En fait, la majorité des interviewés pensent que la
charia est une force pour le bien. Relevons que certains de
ceux qui perçoivent la charia comme une chose positive
sont aussi conscients qu’il y aura des problèmes quand
il s’agira de l’appliquer. Dans ce cas, nous avons classé
ces interviewés comme « ne soutenant pas la charia »
même s’ils étaient plutôt positifs sur les idées portées par
la charia. Il convient de noter que les Nigériens ont déjà
accès à la charia pour les questions familiales. Les citoyens
peuvent porter leurs cas devant l’Association islamique
du Niger ou choisir un kadi ou un juge islamique pour les
représenter devant les tribunaux. Au cours des entretiens,
nous avons demandé aux personnes interrogées si la charia
pouvait traiter tous les problèmes auxquels est confrontée
la société à Agadez, et pas seulement en ce qui concerne les
questions familiales.
Le problème-clé qui est perçu dans le système occidental
(qui veut dire état laïc et démocratique) est la facilité avec
laquelle il peut être corrompu. Au Niger, l’achat des voix
est une pratique courante durant les élections pendant
que l’accès à la bureaucratie est contrôlé par un réseau de
personnes connectées23. Il y a une large perception selon
laquelle l’augmentation de la corruption dans le secteur
public est survenue avec l’avènement de la démocratie
en 1990. C’est pourquoi la démocratie est directement
associée à la corruption. Le régime de Kountché, quant à
lui, est vu comme la période durant laquelle il n’y avait
pas de corruption ni dans la fonction publique et ni dans
l’application des lois.
Les interviewés perçoivent la démocratie comme un
système qui permet la liberté mais ils afrment que cette
liberté peut avoir des conséquences négatives. Par exemple,
on abuse de la liberté d’expression. Les gens disent ce qu’ils
veulent et peuvent devenir ainsi irrespectueux en toute
impunité.
Pour beaucoup, le problème fondamental de la
démocratie et de l’état laïc est qu’ils n’offrent pas de
direction pour guider la morale des dirigeants, des
décideurs et des responsables politiques. Le résultat est
qu’ils prennent des décisions immorales qui contribuent à
la création d’une société qui n’est pas en concordance avec
les normes islamiques. Ainsi, un ex-rebelle qui a été sous la
menace de l’État développe une image de ce dernier comme
étant immoral.
Il y aussi une représentation selon laquelle les lois sont
faites dans les états laïcs pour protéger les riches et ceux
qui détiennent le pouvoir. Certains interviewés ont peur
que l’état laïc ne prenne possession de leurs terres. Il est
important de noter la différence entre les critiques faites
par la gauche à l’occident et la critique faite par l’islam.
Pendant que la gauche situe les problèmes dans le système
capitaliste, beaucoup de Nigériens interviewés pour cette
recherche les situent, eux, dans la démocratie et l’état laïc.
D’autre part, la charia représente la morale, la justice et
l’ordre. Fondamentalement, pour plusieurs personnes, la
charia représente la vérité et la voix de Dieu et elle semble
être peu corruptible. Beaucoup d’interviewés pensent que,
sous la charia, les dirigeants seraient plus responsables car
ils seraient redevables devant Dieu. Ce point de vue a des
implications profondes. Cela veut dire que la charia est
perçue comme gage d’honnêteté politique, avec moins de
discrimination et d’injustice mais avec aussi une meilleure
redistribution des ressources, moins d’interférence des
forces occidentales, et plus d’opportunités d’emploi et de
respect des droits des pauvres.
La charia est également perçue comme étant susceptible
d’augmenter l’ordre. Dans le système occidental, la
sanction contre les crimes (la prison) est vue comme
trop clémente. En revanche, celle sous la charia est très
sévère mais nécessaire pour créer l’ordre. Les personnes
interrogées pensent que des règles strictes de comportement
et d’habillement pourraient produire un changement social
positif qui comprendrait la disparition de la prostitution,
de l’adultère et des vêtements indécents. En résumé,
beaucoup de répondants imaginent que la charia est le
système qui va résoudre les problèmes qui sont vécus à
Agadez.
Pendant que certains pensent que la mise en œuvre de
la charia pourrait causer des problèmes (comme cela s’est
produit au Mali et au nord du Nigéria), pour d’autres,
elle représente un moyen d’unier le peuple. Beaucoup de
personnes pensent que leur religion est une force pour la
paix, la tolérance et la patience. Ainsi, ils font un portrait
de l’application de la charia comme un moyen de bénécier
de ces aspects de l’islam .
De plus, plusieurs personnes interrogées afrment que
les projets de développement peuvent améliorer certains
aspects de la vie à Agadez, en particulier dans le domaine
de l’éducation. Mais peu de personnes estiment que le
système occidental peut résoudre les problèmes qui sont
vécus dans la région d’Agadez parce que le système est
corrompu à tous les niveaux et que le gouvernement ne
peut pas être réformé. Une autre raison avancée est que le
Niger n’évoluera jamais tant que les Blancs contrôleront
les hautes sphères du pouvoir24. Ce manque de foi dans
le système actuel, modelé pour incorporer les principes
de laïcisme et le principe de gouvernance démocratique,
à améliorer leur sort est énorme. Il s’oppose à l’espoir
et l’idéalisme qui sont placés dans la vision d’un état
islamique. Comme l’a décrit une femme du mouvement
Izala, « si la charia était instaurée dans notre pays, nous
ne verrions pas tous ces problèmes, les pauvres ne seraient
plus lésés »25. En effet, à la question de savoir quels seraient
les problèmes qu’un état islamique pourrait amener,
plusieurs n’ont répondu aucun.
24. Interview avec un membre d’Izala à Mayatt. Traduit du tamashek.
25. Interview avec une étudiante d’Izala, à Agadez.
26. Pour une analyse des ces résultats, voir Tidjani Alou et Moumouni Adamou, 2015.
Implications et réexions pour la
programmation de PEV à Agadez
Cette forte propagation du soutien de la charia conrme
les résultats de l’enquête Afrobaromètre effectuée en
2013. Au cours de cette enquête, 67 % des Nigériens
afrmaient qu’ils soutenaient l’adoption de la charia dans
la constitution26. Beaucoup de commentateurs au Niger
rejettent le soutient à la charia découvert pendant l’enquête
comme réponse que les gens ont donnée parce que, en
tant que musulmans, ils croient que c’est la « bonne »
réponse. Dans notre recherche, ces réponses sont nuancées
: les réponses sur les avantages et les désavantages de
l’application de la charia indiquent que tous les soutiens
ne puissent pas être rejetés comme une simple réponse
acceptable socialement.
Ce niveau de soutien à la charia est-il quelque chose
avec lequel les programmes PEV doivent s’engager ? En
s’appuyant sur cette recherche et les enseignements tirés
d’autres contextes, le soutien croissant à la charia doit
être compris comme une contestation sur la façon de
gouverner la société face à la désillusion croissante du
système démocratique libéral occidental. La contestation
sur la gouvernance doit se faire dans toutes les sociétés qui
fonctionnent. Travailler à la supprimer produira des récits
plus extrêmes.
Dans le nord du Nigéria, la propagation du soutien
de l’adoption de la charia et les activités politiques du
mouvement Izala avait eu pour conséquence la mise en
œuvre de la charia dans plusieurs états. Certains états ont
complètement adopté la charia, y compris les lois contre
les criminels. D’autres, par contre, l’ont seulement adoptée
pour les questions liées au statut personnel. C’est dans ces
derniers états que Boko Haram a été le plus actif. Là, il y
a une idée populaire, répandue par Boko Haram, que la
instituée dans le nord du Nigéria ne représente pas le vrai
islam.
Le niveau de soutien de la charia parmi les gens qui
ont participé à l’enquête Afrobaromètre et celui reété par
notre recherche dans la région d’Agadez indiquent qu’il y a
une demande de changement dans la façon dont la société
est gouvernée. Ainsi, si rien ne se produit à court terme,
ceux qui ont soif de changement risquent de se tourner
vers des groupes qui offrent l’application immédiate de
la charia, à savoir : les groupes djihadistes tels que Daesh
ou Boko Haram. C’est une des raisons pour lesquelles
les populations locales sont parfois prêtes à accepter la
violence de ces groupes.
20 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 21
6. Résultat 4 : Les
facteurs individuels ne
sont pas pertinents pour
l’identication des groupes
« à risque »
L’un des objectifs principaux de cette recherche était
d’identier les facteurs individuels et structurels qui
risquent de radicaliser les gens. Par facteurs individuels,
nous faisons référence à l’âge, l’origine ethnique, le
chômage, le niveau d’éducation, l’endettement et le degré
d’exposition aux autres sociétés et cultures. Nous avons
identié ces facteurs individuels parce que le programme
PEV au Niger a été conçu avec l’hypothèse que ces facteurs
rendent les personnes vulnérables à la radicalisation et à
l’extrémisme violent. Par facteurs structurels, nous faisons
référence à la stratication du système socioéconomique
(comment la richesse et le pouvoir sont distribués) et les
autres exemples en lien avec les relations intergroupes
par exemple la relation entre l’État et les citoyens. Nous
nous sommes focalisés sur les facteurs structurels comme
une cause probable en nous basant sur notre revue de
littérature.
Dans la région d’Agadez, nous avons trouvé peu de
preuves de la propagation du recrutement des jeunes par
les groupes extrémistes. C’est pour cette raison qu’il a
été difcile d’avoir accès aux individus qui les avaient
rejoints ou ceux qui connaissaient des gens embrigadés.
Les personnes interrogées ont exprimé un large soutien à la
charia, ce qui représente une position radicale par rapport
à l’agenda et au courant politique actuel du Niger.
Dans cette recherche qualitative, les chiffres ne sont
indiqués qu’à titre indicatif et ne sont en aucun cas
représentatifs. Comme nous avons spéciquement visé
les groupes qui sont perçus comme rassemblant des gens
susceptibles de se radicaliser, l’ensemble de ces données
est fortement biaisé. Néanmoins, il est utile d’examiner
les données au niveau individuel pour voir si des modèles
émergent.
Il y a une compréhension générale selon laquelle
les jeunes sont les plus susceptibles de soutenir la mise
en œuvre de la charia. Nos données conrment cette
perception. En effet, 59 % de ceux qui soutiennent la
charia sont âgés de moins de 35 ans comparativement aux
46 % qui ne la soutiennent pas. Toutefois, nous devons être
prudents et ne pas associer le soutien de la charia comme
étant exclusivement lié à la jeunesse.
L’âge médian de ceux qui soutiennent la charia est
de 35 ans, contre 38 ans, l’âge médian de ceux qui ne
la soutiennent pas. Cela montre que la tranche d’âge
dans les deux groupes est assez semblable. Selon l’étude
Afrobaromètre menée en 2013, le groupe d’âge 18-35
est celui qui regroupe le plus grand nombre de gens qui
soutiennent la charia tout comme ceux qui ont 56 ans et
plus.
Nous avons également examiné la répartition ethnique
de ceux qui soutiennent la charia et ceux qui ne la
soutiennent pas. Les deux groupes sont dominés par les
Touaregs, ce qui contredit l’idée populaire selon laquelle
ils sont réticents à l’application de l’islam sous sa forme
stricte. Les Haoussas interrogés soutiennent aussi la charia.
Toutefois, comme nous n’avons interrogé que 5 Haoussas
au total, nous restons donc très prudents par rapport à
cette lecture. Parmi les Touaregs qui soutiennent la mise
en œuvre de la charia, le clan des Kel Tedele est fortement
représenté. Là encore, nous restons prudents dans notre
lecture parce que nous n’avons choisi que deux villages où
vivent les Kel Tedele mais également un groupe izala très
actif.
Dans la catégorie de ceux qui soutiennent la charia, les
membres des réseaux religieux prédominent. Toutefois,
c’est proportionnellement plus d’izalistes que de tijjanistes/
qaddriystes qui soutiennent la charia.
Parmi ceux qui se sont identiés comme étant sans-
emplois, il y a proportionnellement moins de gens qui
supportent la charia par rapport à ceux qui se décrivent
comme ayant un emploi. Toutefois, le total de ceux qui
sont au chômage est faible (n=7) donc il est difcile de tirer
des conclusions à partir de cette observation. Des données
supplémentaires d’autres localités pourront apporter plus
d’informations sur le lien entre le chômage et le soutien à
un changement radical.
Nous ne pouvons pas faire de déductions par rapport
au lien entre le niveau ou le type d’éducation et le
soutien de la charia en se basant sur les données que
nous avons collectées. Il n’y a pas assez de données pour
tirer des conclusions. Toutefois, nous pouvons faire des
observations qui pourront être renforcées par les données
d’autres régions. Conformément aux resultas de l’enquête
Afrobaromètre nous avons trouvé soutient plus fort pour
la charia parmi ceux qui ont assisté a l’école coranique que
parmi ceux qui ont assisté aux écoles formelles.
Les acteurs PEV considèrent généralement que
l’existence d’une dette peut rendre les individus vulnérables
à la radicalisation et à l’extrémisme violent, car les
dirigeants de groupes radicaux peuvent offrir de l’argent en
échange de l’adhésion à leur système de croyances. Nous
n’avons pas trouvé de preuves solides pouvant justier
qu’une histoire d’endettement puisse prédire le soutien à un
changement radical.
Finalement, le fait d’avoir passé du temps en Libye n’est
pas aussi un bon indicateur de soutien de la charia. Parmi
ceux qui soutiennent la mise en œuvre de la charia, 24 %
avaient été en Libye pour travailler ou étudier contre 34 %
qui ne soutiennent pas sa mise en œuvre.
6.1. Qui est identié comme étant à «
risque » par les personnes qui vivent dans
la région d’Agadez ?
En plus d’avoir mesuré le lien entre les facteurs individuels
et le soutien à la charia, nous avons également demandé
aux personnes interrogées de nous dire ce qui rend
la personne « à risque » face à la radicalisation et à
l’extrémisme violent. Une variété de facteurs possibles a été
donnée.
Quelques interlocuteurs ont lié la radicalisation avec
l’analphalétisme ou les interprétations d’islam qui avait été
inuencé par des périods a l’étranger. Dans la plupart des,
ces interlocuteurs décrivaient les gens qui avaient adopté le
salasme et ils ont égalisé ceci avec la radicalisation.
27. Interview avec un transporteur toubou, à Agadez.
28. Interview avec un activiste politique, à Agadez.
29. Interview avec une activiste politique, à Agadez.
30. Interview avec un ex-rebelle, à Iférouane.
31. Interview avec Izala Imam, à Agadez.
Comme discuté dans la section 3, les personnes
interrogées tendent à egaliser l’extrémisme violent aux
activités criminelles. C’est pourquoi, une grande partie de
leur analyse de la radicalisation et de l’extrémisme violent
correspond en fait à ce qui conduit les gens à mener des
activités criminelles.
Les personnes interrogées citent fréquemment la
pauvreté non seulement comme un dé majeur dans
la vie mais aussi comme une source de déception, de
désillusionnement. La possibilité de trouver une issue
de sortie est difcile dans un État qui en offre peu.
L’exposition aux opportunités criminelles (en regardant
comment les autres se font de l’argent en s’impliquant
soit dans des activités illicites ou à travers les frontières
libyennes) est plus souvent citée comme un facteur de
risque. Les répondants soutiennent que les jeunes sont
beaucoup attirés par les réseaux de tracs d’armes
grandissants27. Une personne interviewée afrme
qu’Agadez pourrait, en théorie, être une terre fertile pour
Boko Haram à cause du chômage28.
Respecter les pressions familiales et les attentes
culturelles est considéré comme un dé pour les garçons
qui sont censés, même à un jeune âge, soutenir leurs
parents en, par exemple, couvrant les frais médicaux de
la famille29. En période de vaches maigres, a expliqué un
répondant, les familles sont disposées à fermer les yeux
sur la façon exacte dont leurs ls parviennent à obtenir de
l’argent.
La paupérisation et l’augmentation du matérialisme (la
pression de posséder un smartphone, célébrer de grandes
cérémonies de mariage) semblent laisser deux choix :
soit s’engager dans des activités illicites soit suivre un
enseignement religieux qui exhorte la contention matérielle
et souligne que l’humilité matérielle est préférable. Le
mouvement Izala rejette ainsi les célébrations somptueuses
des mariages qui engendrent beaucoup de contraintes
nancières.
Aucun des interviewés n’a afrmé qu’il a subit une
pression de la part de son créditeur mais plusieurs
afrment que certains prennent des mesures extrêmes
allant jusqu’à s’engager dans des activités criminelles30,
quitter le pays ou bien donner leurs lles en mariage31.
Personne n’a donné l’exemple d’une personne qui a rejoint
un groupe extrémisme an de rembourser sa dette.
Le quartier Pays Bas, là où des jihadistes seraient restés
en 2013 avant de lancer une attaque contre une caserne
militaire, est décrit par un répondant non pas comme un
nid d’extrémisme mais comme un nid de pauvreté et des
crimes qui lui sont associés. Une des personnes interrogées
22 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 23
a dit que les femmes sont poussées dans la prostitution
pour gagner leur vie auprès des étrangers qui veulent
obtenir des informations sur le quartier. Ces informations
sont ensuite transmises à un chef de gang, on pense qu’il
est basé à l’étranger, pour lui permettre de mieux attirer ses
proies par exemple par le vol32. Au cours d’une discussion
de groupe avec les femmes du quartier Pays Bas, elles ont
vite souligné que le risque de radicalisation ne concernait
pas seulement les jeunes. Etre injustement incarcéré a été
présenté comme un facteur qui fait que les gens se tournent
contre l’État33.
Certains des facteurs structurels présentés comme des
facteurs qui conduisent les jeunes à l’extrémisme violent
par les personnes interviewées représentent l’opposé de ce
que les gens ont décrit dans leur vision d’une « société juste
». En d’autres termes, les caractéristiques d’une société
injuste ont également été citées comme des raisons pour
lesquelles les gens sont attirés par l’extrémisme violent.
6.2. Ceux qui soutiennent la
charia
sont- ils plus susceptibles de soutenir
l’extrémisme violent ?
Bien que les groupes d’extrémisme violent promeuvent
la mise en œuvre de la charia, il n’y a aucune preuve
que les répondants qui la soutiennent soient susceptibles
d’utiliser la force pour la mettre en œuvre. Au cours de la
deuxième phase de la collecte de données dans les villages
de Mayatt et Tadag et le quartier Pays Bas, à l’exception
d’un interviewé, tous les autres étaient contre l’utilisation
de la force pour inciter à l’adhésion à la charia. L’exception
était une femme de 80 ans qui suit la tradition tijjania : elle
recommande d’utiliser la force en cas de non-adhésion à la
charia.
Certaines personnes interrogées ont exprimé leur
méance envers les izalas. Ils estiment qu’ils ont des
liens avec des groupes extrémistes et qu’ils autorisent les
membres des groupes terroristes à venir prêcher dans leurs
mosquées. Il est difcile de contredire cette accusation. À
Mayatt et Tadag, les interviewés n’ont pas rapporté que
des étrangers venaient prêcher dans leurs mosquées. À
Mayatt, un interviewé a parlé d’un étranger qui prêchait
et il s’est avéré que c’était un imam de la confrérie tijjania
d’origine malienne qui était venu à Mayatt douze années
auparavant. À Tadag, le mouvement Izala a essayé de
recruter un imam de l’extérieur de la communauté avec peu
de succès jusqu’ici. Un imam ghanéen est venu à Tadagg
en 2015 mais est reparti trois mois plus tard. À Agadez,
une ville pleine d’étrangers, il est n’est pas surprenant de
32. Interview avec un représentant de l’autorité, à Agadez.
33. FDG avec une fada féminine, Pays Bas, à Agadez.
34. Membre masculin inuençant du groupe Izala, à Mayatt.
35. Masquelier, 2009
les voir se joindre à la prière dans différentes mosquées.
L’accusation de certains groupes acceptant la présence
d’étrangers est également bidirectionnelle. Le personnel
du programme PEV peut être aussi perçu comme des
étrangers qui viennent dans les villages et qui ne veulent
(actuellement) parler qu’aux représentants des réseaux de
Tijjania et Qaddriya.
Aucun des membres du réseau Izala que nous avons
interrogé ne soutient la mise en œuvre de la charia par la
force. En outre, plusieurs acteurs inuençants des réseaux
auxquels nous avons eu accès s’opposent catégoriquement
à l’usage de la force. Pour eux, la force contredit l’islam et
plusieurs ont critiqué l’usage de la violence par le groupe
extrémiste Boko Haram. Certains préfèrent utiliser les
moyens politiques tels que le référendum pour prendre une
décision sur la mise en œuvre de la charia, ils disent par
exemple :
« […] En islam, il est interdit d’utiliser la violence.
C’est à travers l’éducation que nous pouvons établir
un système mais pas par la force. Pour implanter ce
système, nous avons besoin de rassembler tout le monde
(les femmes, les hommes, les chefs, les associations
religieuses) et tenir un référendum. Si la majorité est
d’accord, on peut appliquer la charia. C’est dans le
domaine de l’éducation seulement qu’on peut utiliser
la force. Les gens doivent être éduqués pour mettre en
place un système. C’est le manque d’éducation qui a
engendré la rébellion. »34.
Cette citation d’un représentant du mouvement
Izala exprime d’autres sentiments similaires qu’a repris
un autre répondant. Ils doivent être remis dans leur
contexte. Les izalistes qui expriment ce point de vue
sont désireux de réfuter la vision de leur mouvement
en tant que mouvement islamiste. Ils sont donc prêts
à consacrer du temps à expliquer le mouvement à une
équipe de chercheurs liée à une agence américaine. Aucun
des membres du groupe Izala interrogé pour cette étude
n’a exprimé des points de vue radicaux, mais l’un des
membres éminents reconnait que certains izalistes sont
très provocateurs. C’est pourquoi le mouvement n’est
pas homogène et s’est, par conséquent, divisé plusieurs
fois depuis son émergence pendant les années 1990. Les
membres du groupe Izala sont reconnus pour être parfois
très agressifs lors des débats sur les mouvements religieux
et sont accusés d’utiliser la violence pour protéger leur
espace de prière dans leurs mosquées à Dogondoutchi,
dans la région de Dosso35.
Un membre éminent izaliste afrme qu’il y a une forte
possibilité que des associations voient le jour dans les
années à venir au sein du mouvement s’il n’y a pas de
progrès signicatif par rapport à la mise en œuvre de
la charia. L’idée que la bidâa (les innovations dans les
pratiques islamiques) est dangereuse et a le pouvoir de
dissoudre et détruire la sunna (ceux qui suivent le prophète
Mohammed) est un concept de base. Cette croyance
nourrit les récits par rapport au besoin de prévenir la bidâa
et assurer la survie de la sunna comme l’avait recommandé
le prophète Mohammed. Pour ce faire, il faut être
intolérant envers ceux qui ne suivent pas le salasme.
L’imam de la grande mosquée d’Agadez était très
clair par rapport au besoin d’une approche à long terme
de mise en œuvre de la charia. Il pense qu’elle peut être
effectivement mise en œuvre en dix ans.
Implications et réexions pour la
programmation de PEV à Agadez
Un des dés pressants pour le programme de contre-
radicalisation est de trouver un meilleur moyen d’identier
les communautés ou les individus à « risque » et de décider
des mesures pour endiguer ce risque. Alors, comment
peut-on dénir le risque et le degré auquel la personne est «
à risque » ?
Souvent, les indicateurs utilisés pour dénir les facteurs
de risque sont en corrélation avec une radicalisation
accrue. La pauvreté est souvent en corrélation avec
l’augmentation du soutien aux idéologies radicales. En
utilisant ce point de départ, une personne pauvre peut être
identiée comme étant plus à risque de développer des
croyances radicales. Toutefois, puisqu’il y a une multitude
de programmes de développement qui s’intéressent à la
pauvreté, le programme de contre-radicalisation ciblant les
groupes classés « à risque » sont généralement axés sur la
lutte contre les messages radicaux plutôt que sur le facteur
qui a rendu ce groupe vulnérable à la radicalisation. Le
second dé de cette approche est que, comme nous savons
que la pauvreté n’est pas une cause directe de l’extrémisme,
l’utiliser comme indicateur de risque peut entraver la
recherche de la cause réelle.
Les résultats de cette recherche montrent que les
facteurs individuels ne sont pas pertinents pour identier
les groupes « à risque ». L’analyse des facteurs individuels
et le soutien à la charia démontre une immense diversité
d’individus qui soutiennent la charia. Ce soutien est
plus observé parmi les jeunes et parmi les réseaux
religieux, particulièrement le réseau Izala. L’analyse
des représentations locales montre que les individus
tendent plus à identier les facteurs structurels plutôt
36. Aly, 2015
37. Aly, 2015
que les facteurs individuels comme facteurs de risque de
radicalisation et d’extrémisme violent.
Ce résultat est conrmé par des études récentes sur la
radicalisation. En utilisant la politique australienne de
lutte contre la radicalisation comme un cas d’étude, Aly
afrme que « la vulnérabilité à la radicalisation ne peut pas
être prédéterminée »36. Malgré cela, la réponse politique
continue d’être encadrée par une combinaison d’hypothèses
erronées sur la vulnérabilité individuelle et communautaire,
plutôt que de se concentrer sur les contextes et paramètres
dans lesquelles les gens se radicalisent. En outre, Aly
afrme que l’utilisation des indicateurs de risque a produit:
« […] une réponse politique qui permet d’identier
les individus et les groupes comme la base du
programme de développement élaborée pour faire face
à l’extrémisme violent. Ainsi, ce programme est resté
focalisé sur des groupes (les musulmans, les Somaliens,
les Afghans, les CALD, les ethnies, la diversité culturelle,
les réfugiés, etc.) au lieu de désamorcer les contextes, les
situations et les opportunités qui sont présentés comme
susceptibles de supporter les paramètres et mécanismes
desquels ces paramètres découlent […] »37.
Cela est une idée indispensable pour le programme PEV
qui travaille au niveau communautaire. Dans le contexte
nigérien, cela pourrait vouloir dire que l’élaboration
du programme doit reconnaître que la prévention de la
radicalisation ne peut pas se faire en visant des groupes,
elle doit se faire avec un effort de développement beaucoup
plus large qui prend en compte les facteurs structurels.
Il est aussi indispensable d’examiner les motivations qui
sous-tendent ceux qui sont étiquetés comme étant à risque.
Le terme est souvent utilisé pour qualier des groupes ou
des individus politiquement gênants.
Ainsi, dès que cette étiquette est utilisée, elle suscite
un ensemble de questionnement : dans quelle perspective
quelqu’un peut-il être déclaré comme étant « à risque »
? Dans quelle mesure le fait d’être identié comme étant
« à risque » est utilisé pour désigner les personnes qui
expriment des critiques envers le gouvernement ou l’ordre
socio-économique actuel ?
24 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 25
7. Les acteurs-clés qui
façonnent les récits et les
contre-récits
38. McCullough, Harouna et al., 2016.
39. Traduit du tamashek. Interview avec un représentant de l’autorité à Iférouane. La pratique de la prière de l’après-midi à 13 heures plutôt qu’à 14 heures
est promue par Izala et s’est avérée être un point de division pour certains. Des combats ont éclaté entre izalas et sous à travers le Niger sur cette
question.
40. Un représentant de l’autorité à Iférouane
41. Dans les communautés touboues et peules, le chef sera de ce groupe ethnique. Mais, étant donné que les Touaregs représentent la majorité dans la région
d’Agadez, la plupart des chefs sont touaregs.
42. McCullough, Harouna et al., 2016.
43. Younoussi, 2015; Issaley et Olivier de Sardan, 2015; McCullough, Harouna et al., 2016.
7.1. Les représentants de l’État
Les représentants de l’État incluent les fonctionnaires, les
membres des forces militaires et les représentants élus.
Ces derniers sont largement perçus comme corrompus,
particulièrement ceux qui ont accès aux ressources au
niveau communal, départemental et national. Toutefois,
le système de patronat est actuellement assez large pour
permettre à ceux qui ont de l’inuence d’en bénécier à
divers degrés. Les Nigériens perçoivent ce système comme
moralement corrompu mais dans la plupart des cas, les
circonstances économiques font qu’ils y participent38.
Les représentants de l’État décrivent les membres du
mouvement salaste comme une menace provenant de
l’extérieur du Niger. Les migrants de retour de Libye et
ceux qui ont étudié en Arabie Saoudite sont perçus comme
ceux qui apportent de nouvelles formes de pratiques de
l’islam. Un représentant de l’État à Iférouane a dit par
exemple que « nous ne pouvons pas accepter que les
migrants de retour nous inculquent leurs idées. Nous leur
avons même interdit la prière de 13h »3940.
Selon plusieurs représentants de l’État, la solution
serait de renforcer le régime de lois et d’accueillir
chaleureusement la forte présence militaire nigérienne et
étrangère.
7.2. Les autorités traditionnelles
Les autorités traditionnelles sont les chefs de village ou
de quartier, les ainés et le sultan. Les chefs font partie
de l’administration de façon formelle et sont payés par
le ministère de l’Intérieur mais ils sont perçus comme
formant une hiérarchie à part qui existent parallèlement
à la hiérarchie étatique. La chefferie reste un système
héréditaire. Etant donné que les Touaregs sont,
historiquement, le groupe ethnique le plus important
dans la région d’Agadez, ils continuent de dominer
l’autorité41. Le système héréditaire chevauche souvent
avec l’administration. Les membres de la famille royale
détiennent des postes à responsabilité au niveau local et
dans plusieurs domaines42. Plusieurs chefs sont rattachés à
un parti politique et travaillent pour inuencer les élections
locales et présidentielles43.
Plusieurs autorités traditionnelles décrivent la
radicalisation comme résultant d’une inuence externe qui
est en train d’avoir un effet sur les jeunes. Alors que toutes
les autorités traditionnelles que nous avons interrogées
pour cette recherche sont membres de la confrérie soue,
certains ont répondu à l’appel du salasme et admettent
qu’ils ont changé leur mode de vie en raison de l’inuence
des membres d’Izala.
7.3. Les imams sous
Les courants dominants dans la région d’Agadez sont
les confréries soues Tijjania et Qaddriya. Plusieurs
marabouts traditionnels (les imams sous ou les leaders
religieux) adhèrent à l’une de ces traditions44. La confrérie
Qaddriya a une forte histoire en lien avec l’État. Elle
contrôle l’Association islamique du Niger (AIN) qui fut
instituée par Kountché en 1970 pour promouvoir la
culture et l’idéologie islamiques. Toutefois, Kountché s’est
assuré que les marabouts inuents soutiennent l’État45.
La composition de l’Observatoire reète la prédominance
de la Qaddriya. Le secrétaire général et le président de
l’Observatoire religieux sont tous les deux de la Qaddriya.
Les marabouts traditionnels sont étroitement liés
aux autorités traditionnelles. Dans plusieurs réseaux
auxquels nous avons eu accès dans le cadre de cette
recherche, les marabouts locaux et les chefs de quartiers
sont décrits comme des personnes inuentes l’une par
rapport à l’autre. Le système de marabout traditionnel est
héréditaire avec des membres de ces familles qui voyagent
à travers les régions ou des pays pour assumer des postes
de responsabilités. Les marabouts sont fréquemment
alignés aux partis politiques et apportent leur soutien à un
candidat à travers la proclamation de fatihas46 pour ouvrir
ou clore les réunions politiques d’un candidat, par exemple.
La confrérie soue se positionne comme la forme
d’Islam traditionnel qui promeut la modération. Ils
décrivent le mouvement salaste comme étant « étranger
» au Niger. Comme nous l’avons vu dans la revue de
littérature, la prédominance de la confrérie Tijjania est
relativement récente au Niger. Les deux mouvements ont
émergé pendant le XIXème siècle mais a été largement
adopté au Niger dans les années 1950-1960. Depuis
le début des années 2000, il y a des tensions entre les
confréries Tijjania et Qaddriya à Agadez. Ainsi, leur
positionnement en tant que forme traditionnelle de l’Islam
pourrait être interprété comme un acte politique.
7.4. Les imams salastes
Le mouvement Izala est le mouvement religieux le plus
actif dans la région d’Agadez. Ses activités ont commencé
dans la région d’Agadez au milieu des années 1990
et ont progressivement marqué leur présence dans la
ville d’Agadez et un peu partout dans la région. Il y a
actuellement quatre associations izala qui sont présentes
dans la ville d’Agadez mais c’est Al Sunnite Wal Jama’ah
qui est la plus active. Elle dirige la grande mosquée et une
44. Le terme « marabout » est utilisé à travers l’Afrique de l’ouest. Il décrit généralement un imam sou mais peut également s’appliquer à un chef religieux
ou un érudit.
45. Sounaye, 2007.
46. Surah al-Fatihah est la première sourate du coran. Elle est souvent utilisée pour ouvrir des prières ou lors de fonctions spéciales de la vie islamique.
47. Cette afrmation est basée sur les travaux de Abdoulaye Sounaye (2016) Adeline Masquelier (2009) et les entretiens avec des informateurs clés conduit à
Agadez.
école coranique à Agadez qui compte à peu près 1 200
élèves. Al Sunnite wal Jama’ah fait de la sensibilisation
et apporte son soutien à la communauté izala dans la
région d’Agadez. Pendant que leur force et leur inuence
augmente, ces associations n’ont pas le même lien, la
même représentation, avec les structures traditionnelles et
étatiques que les mouvements tijjania et qaddriya.
Le mouvement Izala est peut-être le mouvement le plus
actif dans la promotion de la charia. En faisant cela, il
conteste le statuquo. Non seulement les idées promues par
Izala contestent les structures politiques et économiques
actuelles, mais aussi leurs activités constituent une menace
pour les défenseurs du statuquo de plusieurs manières.
Tout d’abord, les imams izala attaquent directement
la confrérie soue en accusant leurs pratiques d’être
non-islamiques mais plutôt basées sur des croyances
superstitieuses. Le mouvement taxe les malams (version
haoussa du mot arabe moalem qui veut dire « enseignant
») ou les marabouts traditionnels d’être ignorants de
l’arabe et d’utiliser l’islam pour exploiter les gens47. Le
mouvement rompt avec la tradition héréditaire de la
confrérie soue dans laquelle seuls les membres d’une
famille de marabout peuvent devenir des imams. Dans
le mouvement Izala, il y a des critères bien dénis pour
être imam comme les compétences académiques en études
islamiques avec une place privilégiée accordée à ceux qui
ont étudié en Arabie Saoudite.
Deuxièmement, le mouvement reproche à l’État
nigérien d’être très corrompu, non-islamique et contrôlé
par les forces occidentales. Dans le mouvement Izala, les
afliations politiques ne sont pas permises. Cela permet à
l’imam d’être critique envers les représentations politiques
au niveau local.
Troisièmement, le mouvement offre à ceux qui ont
étudié en Arabie Saoudite l’opportunité d’enseigner et non
à ceux qui ont étudié dans les universités d’État perçues
comme inuencées par le système éducatif occidental.
Il y a plusieurs histoires de conits entre le mouvement
Izala et la confrérie soue dans la région d’Agadez. Par
exemple, lors de l’une des activités de construction de la
paix organisée par l’Observatoire religieux, il y a eu un
sermon au cours duquel toutes les associations ont été
invitées à prier ensemble an de promouvoir l’unité. Les
membres du mouvement Izala ont préféré ne pas prier avec
les marabouts sous car ils pensaient qu’ils ne suivaient pas
les bonnes procédures d’ablution et se sont ainsi abstenu.
En réponse, l’Observatoire religieux a encouragé les
26 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 27
adhérents au sousme à aller dans les mosquées Izala et à
les coloniser.
Plusieurs autorités touaregs ont afrmé qu’elles ne
pouvaient pas accepter le mouvement Izala parce qu’elles
ont leurs propres traditions et voies de pratique de l’islam.
Cette recherche démontre le contraire. Alors que les
commerçants haoussa prédominaient le mouvement Izala
à ses débuts dans les années 1990 et 2000, le mouvement
est maintenant aussi populaire dans les quartiers et villages
touaregs de la ville d’Agadez. Dans les zones rurales, le
mouvement Izala a pris de l’ampleur dans certains clans
touaregs.
7.5. Les groupes ethno-nationalistes
Entre 2007 et 2008, les Touaregs du nord ont contesté la
manière dont les politiques publiques étaient dénies dans
la région d’Agadez et exigé une meilleure redistribution
des ressources. La révolte touareg a été particulièrement
signicative pour les jeunes au nord d’Agadez. Selon les
documents d’USAID, 75 % des combattants touregs étaient
des jeunes hommes de Gougaram et d’Iférouane48.
La rébellion a pris n avec un accord de paix par
lequel un petit groupe de combattants touaregs a
obtenu des hautes positions dans le gouvernement. Ces
positions comprenaient la position de premier ministre,
de responsable du ministère de l’extérieur et du haut-
commissariat à la consolidation de la paix. Bien que peu
de changements ait vu le jour dans la vie quotidienne de
plusieurs ex-rebelles, il y a une perception répandue selon
laquelle le premier ministre, qui est originaire d’Iférouane,
travaille pour protéger les intérêts des Touaregs au plus
haut niveau. Plusieurs ex-rebelles interrogés dans le cadre
de cette étude ont décrit la rébellion comme étant très
coûteuse avec peu de bénéces tangibles. Un des membres
du réseau Izala à Tadagg, également ex-rebelle, a expliqué
comment le salasme lui a montré que l’islam est la seule
voie pour parvenir à une société juste et que les révolutions
n’aboutissent à rien49.
Avec l’augmentation de l’accès des Touaregs aux
structures du pouvoir, il y a certaines agitations au sein
de la communauté touboue, particulièrement ceux qui
proviennent de Tibesti et qui vivent dans le nord-est du
Niger. La récente migration des Toubous à Agadez est
intimement liée au fait que leurs chefs et leurs leaders se
trouvent en Libye50. La communauté touboue prédomine
dans l’économie du transport. Leurs activités comprennent
la vente de voitures libyennes (présumées volées) et le
transport international des migrants vers les frontières
48. USAID, 2014
49. Interview avec un membre izala, à Tadag.
50. FDG avec un escroc à Agadez.
51. Interview avec un activiste politique à Agadez.
52. Lindekilde, 2014.
libyennes et les sites aurifères. Il y a eu des tensions entre
les Toubous et les Touaregs par rapport à l’accès aux routes
et au manque de respect envers les femmes par les membres
de la communauté touboue51.
La naissance du Mouvement pour la réconciliation
et la justice au Niger qui réclame la lutte pour la justice
dans l’économie pour le peuple toubou est une affaire très
sérieuse. Toutefois, plusieurs interviewés pensent que ce
mouvement ne peut pas inuencer les politiques de manière
importante car il y a peu de Toubous au Niger. Cela peut
changer en raison du problème sécuritaire croissant en
Libye entrainant la migration de plus de Toubous vers la
région d’Agadez.
Implications et réexions pour la
programmation de PEV à Agadez
Comme le mouvement Izala conteste le statuquo pas
seulement dans la région d’Agadez, mais à travers le Niger
tout entier, il est possible qu’il y ait des tensions dans un
futur proche. Les tensions sont avec plus d’acuité entre le
mouvement Izala et la confrérie soue. Mais il est aussi
possible d’observer des potentiels conits entre les autorités
traditionnelles, les représentants de l’État et le mouvement
Izala.
Les acteurs du programme PEV pourraient avoir des
difcultés à traverser ces tensions. Comme la plupart
des programmes de lutte contre l’extrémisme violent,
particulièrement ceux nancés par l’occident, qui, en
maintenant le système actuel de démocratie et de laïcité,
poursuivent généralement un intérêt politique, les acteurs
de mise en œuvre ne sont pas neutres. Etant donné qu’il
y a une nécessité de travailler avec le mouvement Izala,
l’équipe du programme PEV doit faire attention à ne pas,
même involontairement, augmenter son inuence.
Toutefois, le fait de chercher à limiter l’inuence
du mouvement Izala par le renforcement des acteurs
gouvernementaux pourrait être dangereusement
contreproductif. Les chercheurs ont longtemps afrmé
que la radicalisation émerge dans un climat de répression
étatique. Ainsi, un programme qui viserait à renforcer
l’État pourrait avoir un effet pervers52. La voie la plus
prometteuse dans la lutte contre la radicalisation et le
terrorisme serait de permettre à ceux qui détiennent des
points de vue radicaux de s’exprimer publiquement. Cette
approche réduirait également le recours à la violence pour
attirer l’attention. Par exemple, Edward afrme que le
meilleur moyen de faire face à l’extrémisme violent et la
radicalisation est de supporter l’activisme islamiste non-
violent en retirant ainsi à la violence tout attrait53.
L’approche actuelle du mouvement Izala vise à se
tenir à distance. Dans les régions où le PCCN a nancé
des activités mises en œuvre et où il y a des adhérents
reconnus du mouvement Izala (Arlit, Agadez, le village
d’Eroug…), il n’est pas clair que le mouvement Izala soit
considéré au moment du choix des bénéciaires. À Agadez,
l’Observatoire religieux qui est censé représenter toutes
les traditions religieuses, n’implique pas le mouvement
Izala dans ses activités de construction de la paix. Selon
lui, cela est dû au fait que les associations Izalas refusent
de participer. Toutefois, les représentants de l’association
Izala Al Sunnite Wal Jama’ah pensent que les activités de
l’Observatoire ne touchent pas les problèmes réels54. Cet
échec à intégrer le mouvement Izala dans les activités de
construction de la paix augmente potentiellement leur
marginalisation en tant que mouvement religieux.
En pratique, il est difcile de rassembler tous les
mouvements religieux car ces derniers se critiquent
ouvertement. Des activités qui apparaissent neutres
telles que le sport ou la musique ne pourront pas être
de bons moyens de rassembler les gens car elles sont
considérées comme des futilités. Des ponts pourraient être
construits plus facilement en faisant face aux questions
qui constituent un dénominateur commun comme la
53. Edwards, 2015.
54. Interview avec un membre Izala, à Agadez.
55. Trois personnes de différents réseaux ont décrit l’Observatoire religieux comme étant corrompu utilisant des termes comme « conglo’ d’escrocs » et « ils
sont trop attachés au matériel ».
toxicomanie ou les crimes. Alors que le mouvement Izala
voit la corruption comme un problème majeur, ce sujet ne
permettrait pas de rassembler les différents mouvements
religieux puisque certains marabouts (sous) sont perçus
comme faisant partie du système politique corrompu
qui a besoin d’être réformé. En effet, plusieurs personnes
interrogées ont décrit l’Observatoire religieux comme un
corps corrompu et ses membres seulement intéressés par les
nancements à obtenir55.
Dans certains contextes, il peut y avoir des relations
relativement ouvertes entre les membres du mouvement
Izala et la confrérie soue. Par exemple à Mayatt, l’imam
de la confrérie Qaddriya est inuencé par le directeur
de l’école Izala et vice versa (voir section 1). Dans ces
situations, le BIT pourrait avoir plus de liberté par rapport
aux types d’activités à nancer pour impliquer les deux
mouvements.
L’expérimentation est nécessaire. Même si ça marche
dans un village, il n’est sûr que le même résultat se
reproduise ailleurs. Le BIT est très bien placé pour
utiliser la méthode expérimentale et adaptative pour son
programme étant donné que son nancement n’est pas
lié à un plan détaillé à long terme. Cela offre au BIT une
immense exibilité sur la manière de faire face aux dés
tout en incluant le mouvement Izala.
28 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 29
8. L’inuence de
la communauté
internationale
56. Interview avec un membre izala et un éleveur, à Mayatt.
57. Interview avec un membre de fada, un Touareg et un chômeur, à Agadez.
58. Interview avec un membre de fada, quartier Tadress, à Agadez.
La recherche sur la radicalisation dans la région d’Agadez
signie traiter une contradiction : alors que l’hypothèse
implicite du gouvernement et des acteurs internationaux
qui travaillent avec lui est que la radicalisation est un
processus localement développé, le rôle des outsiders
joue un rôle très important dans la manière dont les gens
vivent leur société en mutation. À Agadez, il y a une large
croyance selon laquelle les forces extérieures sont à la base
de nombreux problèmes que la région rencontre. Bien qu’il
soit tentant de rejeter cela comme une tentative de blâmer
les étrangers, un examen plus approfondi de la façon dont
les inuences externes changent la dynamique interne est
justié. Les dénitions des interférences extérieures vont
de la menace de groupes extrémistes du Mali et du Nigéria
(et de la contre-menace qui en découle), à l’inuence des
rapatriés de Libye et des États du Golfe, en passant par
l’ingérence occidentale.
Cette section explore la manière dont les habitants de
la région d’Agadez subissent l’inuence des étrangers dans
leur vie et comment ils l’interprètent. Elle examine les récits
selon lesquels « les étrangers » viennent à Agadez pour
recruter pour les groupes terroristes, l’inuence du monde
occidental sur la culture et le mode de vie des Nigériens, la
façon dont la présence militaire occidentale est comprise et
la raison pour laquelle elle est particulièrement menaçante
pour ceux qui estiment que le gouvernement actuel ne veut
pas tenir compte de la diversité religieuse.
8.1. L’inuence du monde occidental
Dans le guide d’entretien qui est utilisé dans le cadre
de cette recherche, nous avons inclus une question sur les
aspects positifs et négatifs du système occidental. Cette
question a suscité divers opinions sur « les Blancs », un
terme utilisé pour désigner les Français mais également
ceux qui proviennent de l’occident en général. Certains
répondants pensent que le Niger a encore besoin des «
Blancs » pour leurs connaissances, leurs technologies et
leurs idées. Mais des opinions négatives se propagent,
particulièrement celles sur l’inuence des Blancs sur la
politique, la religion et la culture.
Il y a un nombre de thèmes récurrents qui ont été
abordés : l’exploitation et de l’ingérence politique et le fait
que les croyances occidentales soient en train de dégrader
la culture nigérienne. Le terme essighmar nakal (qui est
une expression tamasheke qui veut dire « avoir apporté
de la honte sur son pays ») a été utilisé : « le système
occidental est essighmar nakal, c’est un système de contrôle
des richesses d’un pays » a afrmé un répondant qui suit
le mouvement Izala56. D’autres afrment que les Blancs
avaient comme objectif de ralentir le Niger. « Le problème
avec le système occidental est que les Blancs veulent
toujours nous contrôler. Ils ne veulent pas nous voir nous
développer, ils préfèrent toujours que nous restions dans
la misère et dans la guerre pour qu’ils puissent mieux nous
contrôler »57.
Certaines frustrations sont exprimées par rapport
à la fermeture récente des mines d’uranium. Il y a une
représentation générale que les Français sont venus,
ont extrait l’uranium et ont pollué l’environnement et
que, de surcroît, les populations locales n’ont vu aucune
amélioration dans leurs conditions de vie. Pour d’autres,
les bases américaines et françaises se présentent comme
une menace et une preuve de néo-colonisation. « Prends
l’exemple des bases militaires installées dans la région
d’Agadez : c’est ça le système des Blancs. Ils veulent nous
coloniser encore. Ils sont là pour exploiter nos ressources »
a afrmé un membre d’une fada des jeunes58. Il afrme, de
plus, que ce sont les richesses du Niger qui ont permis à la
France et aux États-Unis de prospérer.
Une perception selon laquelle les Blancs contrôlent le
pouvoir au plus haut niveau est exprimée dans tous les
réseaux. « Ce sont eux (les Blancs) qui sont à la base des
décisions relatives à l’État et à nos dirigeants. Ce système
a créé une division entre nous. Ils décident de celui qui
sera le président. Si un candidat a le soutien des Blancs, il
sera élu » afrme un ex-rebelle d’Iférouane59. Un membre
éminent du mouvement Izala a soutenu que les politiciens
qui sont très critiques envers le système occidental sont
rapidement éliminés60. Une femme qui suit le mouvement
Qaddriya et qui a une fois participé aux camps de paix
organisés par le PCCN a conrmé la relation complexe
entre les points de vues politiques, l’inuence du monde
occidental et comment le gouvernement semble travailler
en collaboration avec les gouvernements occidentaux qui
oppriment la population : « Si au Niger, c’est la charia,
les Blancs qui nous utilisent ne vont avoir rien. Ils nous
exploitent avec la complicité de nos dirigeants. »61. Cette
perception de l’ingérence extérieure dans les processus
politiques permet de délégitimer les structures politiques
actuelles comme la démocratie.
Sans la remettre en cause, les répondants ont
une mauvaise perception de l’inuence de la culture
59. Interview avec un ex-rebelle, à Iférouane.
60. Interview avec Izala Imam, à Agadez.
61. Traduit du haoussa. Interview avec une femme Qadiriyya qui a participé à un camp de paix organisé par le PCCN.
62. Interview d’une élève Izala.
63. Interview avec un homme inuent membre d’Izala, à Agadez.
occidentale. Cette dernière est, sans surprise, considérée
comme très éloignée des enseignements du prophète : «
Tous ces problèmes sont du système occidental. Parce que
les Blancs nous apportent des choses nouvelles qu’on ne
connaît pas. Et nos frères et sœurs les copient. Le plus
grand problème des Blancs est qu’ils [ne] savent [pas] que
Dieu existe, que son prophète Mohamed a été envoyé sur
terre à toute l’humanité, ils choisissent d’ignorer cela. »
explique une élève appartenant au mouvement Izala62. Une
personne âgée membre du mouvement Izala afrme aussi
que le système éducatif est beaucoup trop orienté vers les
valeurs occidentales et n’est pas du tout efcace63.
Implications et réexions pour la programmation de
PEV à Agadez
Les soupçons qu’ont certains Nigériens au sujet de
l’inuence négative des Blancs indiquent que les acteurs
PEV doivent faire attention à leur image. On peut aussi
suggérer que certains acteurs perdent en crédibilité auprès
des communautés à cause de leur association connue avec
des bailleurs occidentaux. Dans certains cas, il est peut-être
Mosquée et école islamique construit par les Tijanias dans un quartier d’Agadez © Aoife McCullough, 2016
30 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 31
futile pour les occidentaux ou les programmes nancés par
l’occident d’entreprendre certaines activités, par exemple
des efforts pour changer les normes sociales.
8.2. La présence militaire occidentale:
une menace à la paix au Niger?
Pendant que nous conduisions la recherche à Agadez, les
États-Unis ont annoncé la construction d’une nouvelle
base militaire dédiée aux opérations de surveillance par
drones juste à l’extérieur d’Agadez. Le coût estimé fut
rapporté différemment. Newsweek l’estime à 50 millions
de dollars US pendant que le site d’investigations de
défense et de sécurité The Intercept estime le budget à 100
millions de dollars US64. Newsweek décrit la base comme
« un carrefour des opérations de lutte contre le terrorisme
contre la pléthore de groupes islamistes dans la région »65.
Bien avant cette afrmation, les habitants de la
région d’Agadez avaient senti la présence des forces
militaires occidentales notamment des armées française et
américaine. Il y aussi une rumeur répandue selon laquelle
l’Allemagne utilise Niamey comme base militaire pour
soutenir ses troupes qui sont au Mali. Ce sont surtout
ceux qui voyagent régulièrement à la frontière libyenne
qui ont raconté leurs rencontres avec les armées française
et américaine, étant, par moment, seulement témoins de
surveillances aériennes. Plusieurs répondants ont afrmé
qu’ils ne comprennent pas pourquoi les forces américaines
et françaises sont installées au Niger. Un acteur politique
afrme que cela a créé de la méance et de la peur :
« […] Ici à Agadez, ces bases ne rassurent pas la
population parce les gens ne savent pas pourquoi ces
bases sont construites. Il y a des Américains tout près
de l’aéroport. Personne à Agadez ne sait ce qu’ils font.
Personne ne les approche. Et il y a une base française à
Madama et eux aussi, nous ne savons pas ce qu’ils font.
C’est pourquoi la population a peur […] »66.
Cette mauvaise perception est apparue aussi dans un
article récent du site Niger Diaspora67.
Les autorités et ceux qui détiennent des positions de
pouvoir ont tendance à reconnaître les bénéces de la
présence militaire occidentale ainsi que le besoin de leurs
64. Turse 29 septembre 2016; Gaffey 30 septembre 2016.
65. Gaffey 30 septembre 2016.
66. Traduit du haoussa. Interview d’un activiste politique, à Agadez.
67. http://www.nigerdiaspora.net/les-infos-du-pays/politique-niger/politique-niger/item/76405-installation-d%E2%80%99une-base-de-drone-%C3%A0-
agadez-que-cherche-l%E2%80%99arm%C3%A9e-am%C3%A9ricaine-au-niger.html
68. Interview avec un avocat de Niamey.
69. Interview avec un chef de quartier de la banlieue d’Agadez.
70. Binnie, 12 octobre 2016.
71. Gaffey, 30 septembre 2016.
ressources et expertises, ce qui pourrait également reéter
qu’ils ont été beaucoup plus exposés à un discours de
sécurité. « Nous avons besoin de la présence des armées
française et américaine pour leurs technologies. La
sécurité est nécessaire pour assurer le développement.
Sans l’intervention de la France, il n’y aurait pas d’État
malien » a afrmé un avocat à Niamey qui avait été
désigné par une personne à Agadez comme la personne qui
l’inuence68. Selon le point de vue d’un chef de quartier
de la périphérie d’Agadez, la présence des Américains et
des Français inquiète. Mais de penser également que si
elle ne contribuait qu’à assurer la sécurité sans chercher à
inuencer la culture, le meilleur des forces américaine et
française serait utile69.
Actuellement, les forces américaines et françaises ont
pour mandat d’apporter un soutien à l’armée nigérienne
an de contrôler ses frontières. Cela devrait, en théorie, être
une force de stabilisation. Toutefois, avec la propagation
des perceptions négatives sur l’inuence occidentale, la
présence des militaires occidentaux peut être perçue comme
déstabilisante. Juste après l’annonce de l’installation de
la base américaine s’en est suivi la visite de la chancelière
allemande Merkel qui a annoncé qu’elle pourrait apporter
une aide militaire et des conseils à l’armée nigérienne70.
L’intervention militaire accrue comporte deux réserves.
Elle établit un environnement de plus en plus militarisé
pour les résidents d’Agadez, un processus qui est perçu
avec méance. La ferme collaboration entre les forces
occidentales et le gouvernement est vue par beaucoup
comme une forme d’application de l’agenda occidental et
constitue une aliénation de la population. Cela nourrit les
rejets du gouvernement par la population. Il est important
de noter que selon Newsweek, « Le Niger est le seul pays
de la région à accueillir les drones MQ-9 Reaper, ce qui
met en évidence la proximité du gouvernement nigérien
avec les Etats-Unis, mais aussi le risque de s’aliéner de ses
voisins »71.
Le soutien à l’armée nigérienne, que les participants
à la recherche à Agadez ont souvent décrit comme
un harcèlement ou une violence contre les civils, est
susceptible d’augmenter davantage l’opposition entre le
gouvernement et les groupes occidentaux. Déjà la relation
entre l’armée et la population touareg est tendue suite de la
rébellion. Dans la stratégie du PCCN d’Agadez développée
en 2014, il est noté que les Touaregs se sentent stigmatisés
par les militaires et ont de la difculté à accepter la
présence de l’armée72.
Tout mauvais traitement, réel ou perçu, de la part des
Nigériens par l’armée américaine, française ou allemande,
même s’il est perpétré par les forces nigériennes entraînées
par l’occident, nourrira les récits d’humiliation aux mains
des puissances occidentales. Il est probable qu’il y aura
une interaction minimale entre les militaires occidentaux
et les Nigériens. Mais le fait de voir des drones, ou dans
certains cas des hélicoptères de surveillance, qui volent
au-dessus des têtes a déjà soulevé des soupçons au sujet des
informations recueillies par les militaires américains. Si les
occidentaux sont vus comme le pouvoir de contrôle au plus
haut niveau au Niger, le fait qu’ils aient maintenant accès
à des informations détaillées sur les mouvements des gens
pourrait être vécu comme un développement effrayant.
Les personnes interrogées ont souvent cité le Niger
comme la société la plus juste parce qu’elle jouit de la
paix73. On peut supposer que, par rapport aux pays
voisins, la paix relative du Niger est attirante. Même les
interviewés, qui ont suggéré que la charia était une force
pour le bien, ont afrmé que sa mise en œuvre pourrait
engendrer des conits dans leur société pacique. Cette
perception actuelle du Niger comme une société pacique
est menacée par la coopération militaire au plus haut
niveau gouvernemental à travers l’utilisation de la force
militaire pour endiguer les ux migratoires, une des rares
options de subsistance, et à travers la surveillance. Si la
représentation du Niger en tant que société pacique
change, un autre type de société qui rend le Niger moins
pacique (par exemple la charia) peut alors être considéré
comme une option moins risquée.
72. USAID, 2014.
73. Onze personnes interrogées ont cité le Niger comme la société la plus juste, dont huit ont attribué la « jus-tesse » à la paix dont jouit le Niger.
74. Pargeter, 2009.
Dans ce rapport, les trajectoires de la radicalisation
sont examinées au niveau individuel et communautaire.
Au niveau communautaire, la radicalisation se fait dans
un réseau de réactions et de contre-réactions. Cela signie
que la présence de l’armée comme réaction aux problèmes
de migration pourrait produire une forte contre-réaction
involontaire parmi les Nigériens sous forme de peur et
de méance. Les producteurs des récits radicaux peuvent
utiliser cette peur et cette méance pour construire un
support aux visions radicales et une alternative à l’ordre
politique.
Implications et réexions pour la
programmation de PEV à Agadez
Les perceptions négatives de l’inuence occidentale
inquiètent dans un pays qui est en train de se placer comme
un allié-clé des occidentaux dans le cadre de la lutte contre
le terrorisme dans le Sahel. L’association des Blancs avec
l’essighmar nakal est particulièrement dangereuse car il
est démontré par ailleurs que l’humiliation est liée à la
radicalisation. La perception du contrôle par l’occident
est aussi un risque potentiel. Des études au Maroc, en
Tunisie, en Libye, au Nigéria et au Ghana montrent que les
espaces dans lesquelles il y a une propagation du manque
d’autorité légitime sont vulnérables à la radicalisation74.
Bien que le fait de changer les récits sur la présence de
l’armée américaine ne soit pas l’objectif du BIT, il est clair
que la présence de ces forces étrangères est un facteur-clé
du développement des récits contre les occidentaux. En
plus, il sera difcile pour l’équipe du PCCN de se dissocier
complètement de l’armée américaine parce que les gens
connaissent la source du nancement du PCCN.
32 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 33
9. L’inuence des relations
sociales
75. J. Cramer, 2015
Il y a plusieurs observations qui peuvent être faites par
rapport à la manière dont les inuences se font dans les
différents réseaux auxquels nous avons eu accès.
D’abord, le réseau Izala est beaucoup plus proactif sur
l’éducation et le débat sur des concepts tels que la « société
juste » et le système islamique contre le système occidental.
Plusieurs élèves (femmes) membres du courant Izala que
nous avons interviewées à Agadez ont donné de réponses
bien pensées par rapport à la critique des systèmes
occidentaux. Au contraire, certaines des femmes que nous
avons interrogées de la confrérie Tijjania ont des difcultés
à exprimer leurs pensées sur ces sujets. Il était également
clair que l’accent était mis sur le discours et le conseil
comme moyen de diffuser les idées de leur interprétation
de l’islam. En réponse à la question de savoir ce qu’on
doit faire si un membre de sa famille ou communauté est
en désaccord avec la charia, le mouvement Izala est clair
: les discussions et les conseils sont indispensables. Les
membres du courant Tijjania que nous avons interrogés
ont donné diverses réponses, certains ont même afrmé
que l’utilisation de la force pour soutenir des points de
vue positifs n’est pas un défaut. Les imams izalas que nous
avons interrogés sont aussi très actifs dans l’organisation
des prières du vendredi et les prêches par rapport aux
imams Tijjania avec qui nous avons parlé.
Deuxièmement, les liens entre les autorités
traditionnelles et les marabouts traditionnels ont été
conrmés par l’analyse des réseaux. Par exemple à
Iférouane, l’imam inuence le chef de quartier (voir la
gure 1).
Troisièmement, au sein des réseaux, il y a beaucoup
de désaccords sur le type de société (système occidental
vs système islamique) qui est le meilleur pour le Niger. À
travers tous les réseaux d’inuence que nous avons suivis,
il y a plusieurs catégories de personnes qui ont soutenu la
charia. Ceci est un point important. Dans une analyse d’un
réseau social effectuée par le BIT au Mali, on a supposé
que la présence de réseaux d’égo denses (c.-a-d. les réseaux
où toutes les personnes d’un même réseau sont connectées)
trouvés autour de Gao signiait qu’il y avait des
possibilités limitées pour inltrer le réseau75. Les réseaux
d’inuence suivis dans notre étude indiquent que les gens
occupent aussi les mêmes espaces sociaux qu’au Mali mais
n’ont pas les mêmes idées sur la manière donc le Niger
Figure 1: Un réseau d’inuence dans un village à Agadez, commençant par un ex-rebel
Présentateurs radio/ opérateur
35 ans
Touareg
Niveau d’instruction: Secondaire
Soutient l’état laïc
Transporteur
34 ans
Touareg
Niveau d’instruction: école coranique
Soutient la charia
Imam Qaddriya
66 ans
Touareg
Niveau d’instruction: école coranique
Soutient l’état laïc
Président d’un groupe d’ex-rebelles
50 ans
Touareg
Niveau d’instruction: école primaire
Soutient l’état laïc
Transporteur
27 ans
Touareg
Niveau d’instruction: Aucun
A pris un crédit une fois
Soutient l’état laïc
Chef de quartier/maçon/
développeur de biens
56 ans
ouareg
Niveau d’instruction: école coranique
Soutient l’état laïc
devrait être gouverné. Les différences d’opinions sur le fait
que la charia est une chose bonne ou non pour le Niger
montrent qu’il est difcile d’identier une communauté à
risque de radicalisation.
Cela identie un point d’entrée possible pour le
programme PEV. Avec de telles diversités de points de vue
au sein des réseaux, les débats promouvant une pensée
critique sur le système actuel et une alternative peuvent
être bienvenus. Encore plus surprenant que cela puisse
paraître, dans au moins un de nos réseaux d’inuence, un
membre inuent de Tijjania a nommé comme personne
qui l’inuence, le directeur de l’école d’Izala (voir gure 3).
Cela souligne le degré auxquels les adhérents du courant
Izala et les sous sont attachés à la même communauté.
La communauté d’Izala ne doit pas nécessairement être
comprise comme des fanatiques marginalisés dont les sous
se méent. Dans certaines situations, il y a des relations
amicales entre les membres du réseau Izala et ceux du
réseau sou. Il est aussi intéressant de noter que dans
les réseaux d’inuence entre les membres de la confrérie
Tijjania à Mayatt, l’imam est originaire du Mali, donc
dans ce cas c’est un étranger qui est en position d’inuence
(voir gure 3). L’analyse des réseaux sociaux montre donc
comment les réseaux d’inuence sont à plusieurs niveaux.
76. FDG avec une fada féminine, Pays Bas, à Agadez.
77. Traduit du tamashek. Interview avec un ex-rebelle à Iférouane.
Des tensions intergénérationnelles ?
On dit souvent, lors d’entretiens informels, que des
tensions existent entre les parents et leurs enfants et
c’est pourquoi la jeunesse nigérienne est en train de se
radicaliser. On ajoute que cela constitue un manque de
respect envers les ainés. Ce manque de respects assumé est
ensuite identié comme un facteur qui rend les jeunes à
risque vulnérables à des inuences plus dangereuses.
Cela est un point de vue simplié et les intérêts de
ceux qui se lamentent du manque de respect doit être
pris en compte. Que pourraient signier les différences
intergénérationnelles si elles étaient présentées comme un
dysfonctionnement plutôt qu’un développement ? Alors
que certains répondants (les autorités qui bénéciaient du
fait d’être considéré comme un aîné ou un leader respecté)
ont déploré une perte de respect pour la génération des
parents76, d’autres ont nuancé ce propos.
Alors que certains répondants ont soutenu très
fortement que les enfants étaient déconnectés de leurs
parents, la nature de cette déconnexion a été comprise
très différemment. Un d’entre eux, qui avait participé à la
rébellion touareg, décrit les jeunes comme « submergés par
la vie moderne »77. Un autre a mis en exergue une grande
Figure 2: Un réseau d’inuence dans un quartier d’Agadez, commençant par un commerçant
Sultan d’Agadez
Touareg mais considéré comme neutre
Soutient l’Etat laïc
Chef d’un quartier d’Agadez
52 ans
Eleveur
Niveau d’instruction: école professionnel
à Niamey
Soutient l’Etat laïc
D’autres personnes inuen-cées
directement par le chef
Ainés du quartier
3 villages dans le quartier
Constructeur des briques
41 ans
Touareg
Niveau d’instruction: secondaire
Soutient la charia
Agent de sécurité
44 ans
Touareg
Niveau d’instruction: Secondaire
Soutien l’Etat laïc
Commerçant
34 ans
Touareg
Niveau d’instruction: Pri-maire
A une fois voyagé en Libye et Algérie
Soutient la charia = familial relationship
34 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 35
différence intergénérationnelle, soutenant que puisque
l’Etat nigérien a si peu à offrir aux jeunes, les jeunes ont
perdu la notion d’une patrie appréciée ou même d’une
nation78.
Un haut dirigeant d’Izala, cependant, n’a vu rien
d’inhabituel dans le désaccord entre les générations. Il a
souligné que c’est une bonne chose que les pères parlent
maintenant beaucoup plus avec leurs enfants que par le
passé. Plus d’interactions pourraient naturellement créer
plus de désaccords. Il a lui-même été en désaccord avec ses
ainés et cela faisait simplement partie des interactions entre
générations79. Un homme d’affaire d’Agadez a aussi rejeté
l’idée de division entre les générations. Des expériences
partagées de menaces externes les ont connectées, en
particulier l’attaque du MUJAO en 2013. Cette attaque
a traumatisé toutes les générations et les a rapprochées
davantage80. Une femme peule afrme que le fait que la
génération des personnes âgées se focalise sur la tradition
78. Interview avec un prisonnier, à Agadez
79. Interview avec Izala Imam, à Agadez.
80. Interview avec un commerçant, à Agadez.
81. Traduit du haoussa. Interview avec une femme peule d’Ingall, à Agadez.
82. Interview avec un ex-rebelle à Goffatt.
83. Interview avec un activiste politique à Agadez.
et reste sur la même voie est contreproductif et n’aide pas
à développer la communauté : « les ainés nous disent de
suivre les coutumes, notre culture. Considérant que si nous
restons dèles aux coutumes nous n’avancerons pas. Donc
nos opinions diffèrent »81.
Finalement, certains répondants soutiennent qu’ils se
sentent trahis par la génération de leurs parents qui ne
pensent pas le futur de manière responsable. L’exemple de
la protection environnementale a été donné. Un jeune a
demandé à ses parents d’arrêter la coupe abusive de bois de
chauffe mais ses parents ne comprennent pas les questions
du changement climatique82. Un militant de la société civile,
qui avait manifesté contre le gouvernement, a noté qu’il a
reçu plus de soutien pour se défendre de la génération plus
âgée que des jeunes qui semblaient beaucoup plus résignés
à essayer de contourner un gouvernement décevant qu’à s’y
opposer83.
Figure 3: Un réseau d’inuence dans un village à Agadez, commençant par un membre de mouvement
Tijania
Imam Tijania/ éléveur
66 ans
Touareg
Ecole coranique
Avait une histoire de prise
de crédit
Soutien le système hybride
Eleveur
50 ans
Touareg
Ecole coranique
Soutient le système hybride
Ménagère
23 ans
Touareg
Ecole coranique
Soutient la charia
Imam Tijania (futur)
Vendeur de chameau
46 ans
Touareg du Mali
Ecole coranique
Avait une histoire de crédit
Soutient la charia
Brodeuse
80 ans
Touareg
Pas instruit
Soutient la charia
Directeur d’une école Izala/ enseignant
30 ans
Niveau secondaire et école coranique
Avait une fois pris du crédit
Soutient la charia
10. Comment les gens
perçoivent-ils la manière
par laquelle le change-
ment se produira ?
84. La zakkat est la donation obligatoire d’une proportion déterminée de sa richesse à la charité. C’est un élé-ment-clé de l’Islam en en formant le troisième
pilier.
Les personnes interrogées ont proposé une série de mesures
pour s’attaquer aux problèmes rencontrés par les résidents
d’Agadez. Bien que les répondants tendent à voir la charia
comme modèle plus efcace que le système actuel, ils
reconnaissent les difcultés relatives à la mise en œuvre
d’un autre système, en particulier en l’absence de consensus
sur ce que devrait être un système juste. Dans cette section,
nous présentons trois grandes catégories de mesures
recommandées :
Un débat politique sur le type d’État qui convient le
mieux pour le Niger
Ce débat est en cours depuis l’avènement de la démocratie
multipartite en 1992. Les mesures qui ne sont pas déjà
mises en place et que les interviewés ont identiées
comprennent un référendum sur la mise en œuvre de la
charia et un débat politique sur le type de changement que
les gens souhaiteraient voir. Tous les deux permettront à
l’État de reéter les valeurs sociétales. Les membres d’Izala
sont particulièrement bien informés sur l’importance de
parler aux gens pour les convaincre des avantages de la
charia.
Un système hybride combinant les éléments d’un
état laïc et d’un état islamique
Cette mesure est préconisée à travers tous les réseaux
même chez les membres du réseau Izala. Par exemple, un
interviewé suggère qu’une politique plus libérale envers
les petites entreprises pourrait être combinée à la charia
qui se focalise sur la charité (zakkat84). Cela permettrait
aux petites entreprises de se développer tout en veillant à
ce que certains des avantages de la croissance économique
résultant de la libéralisation protent aux pauvres.
Parce que le Niger est un état laïc depuis les années
1960 contrôlé en partie par la France (qui favorise la
laïcité), certains pensent qu’il serait difcile de mettre en
œuvre la charia. Cependant, étant donné que la grande
majorité de la population est musulmane, d’autres croient
que le système d’état devait reéter davantage les valeurs
islamiques.
Un changement progressif vers un état plus islami-
que avec comme objectif nal la mise en œuvre de la
charia
Cette proposition n’a pas été faite par beaucoup de
personnes interrogées mais a été articulée par deux imams
izalistes. Dans ses visions, le système islamique, incluant la
charia et l’éthique des affaires, est le seul système qui puisse
faire face aux problèmes de sous-développement et de
corruption. Comme ce système est complexe, il nécessite un
changement de comportement et ne peut être adopté que
progressivement. Ils estiment qu’il faudra dix ans pour le
mettre en œuvre au Niger.
L’imam d’Izala n’était pas le seul à penser que, pour
éviter une frustration grandissante de la population, le
changement vers une forme de gouvernance plus islamique
devait se produire. Ce point de vue est aussi exprimé par
les membres de fadas dans les quartiers périphériques
d’Agadez et par des prisonniers. Toutefois, ils n’ont pas
su expliquer leur point de vue comme l’a fait le dirigeant
izaliste.
Au cours de la seconde phase de la collecte de données
à Mayatt, Tadag et au quartier Pays Bas, nous avons
demandé aux personnes interrogées de nous dire comment
elles régiraient si quelqu’un contre la charia était un
membre de leur famille ou de leur communauté. Ils ont
proposé trois principales approches : parler au membre
36 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 37
de la famille / de la communauté pour le convaincre des
valeurs de l’islam, le laisser seul ou le chasser. Tous les
hommes membres du mouvement Izala que nous avons
interviewés ont suggérer de convaincre la personne qui
n’est pas d’accord. Quant à lui, un imam de la confrérie
Tijjania a noté que si toute sa communauté était contre
la charia, il la quitterait pour partir dans une autre
communauté.
L’utilisation de la force pour protéger le
système actuel
Quand nous avons posé les questions relatives à la
protection du système actuel au Niger, plusieurs personnes
ont dit que le Niger était un État démocratique et que donc
l’usage de la force était inacceptable. Plusieurs répondants
ont souligné le besoin de négocier avec les leaders ou bien
avec la population dans une démocratie. Mais certains ont
reconnu la valeur du monopole de la force dont jouit l’État
et qui, selon eux, a contribué à éviter les conits entre les
religions. D’autres ont afrmé que l’État abusait de son
pouvoir et utilisait la force de manière injuste. Ces opinions
contradictoires sont exprimées à la fois dans le réseau des
ex-rebelles et celui des salastes, mettant en évidence le
85.Interview avec un ex-rebelle à Agadez.
niveau de désaccord entre les personnes sur le droit ou
la capacité de l’État nigérien à utiliser la violence d’une
manière éthique.
Pendant que la plupart des répondants sont contre
l’idée d’utiliser la force pour maintenir le système actuel,
plusieurs ont critiqué le système et l’ont accusé d’être
très clément envers les criminels. Ainsi, la « force » était
comprise comme quelque chose utilisé par les militaires et
globalement négatif tandis que la punition physique pour
les crimes était souvent perçue comme positive.
Il y aussi des opinions divergentes par rapport à la question
de savoir si les conits sont nécessaires pour aboutir au
changement. Plusieurs personnes soutiennent la mise en
œuvre de la charia en théorie mais reconnaissent que le
changement est conictuel. Actuellement, la plupart de
ceux qui ont lié la mise en œuvre de la charia au conit
ne sont pas prêts à sacrier la paix pour ce changement.
Leur expérience de la force de l’État au cours des rébellions
touaregs les rend très conscients des conséquences de la
destruction de la paix. D’autres n’ont pas associé la mise en
œuvre de la charia au conit. Pour eux, tout le monde est
d’accord avec l’islam, donc il n’y aurait pas besoin d’usage
de la force pour l’adopter85.
Mosquée et école islamique construit par les Izalistes dans le village de Mayat à Gougeram
© Idi Mamadou Maman Noura, 2016
11. Conclusion
Dans ce rapport de recherche, nous avons examiné
la trajectoire de la radicalisation comme un concept
dynamique plutôt qu’un processus linéaire. C’était notre
approche dans la conception de la recherche, mais durant
la collecte et l’analyse des données, il a été avéré plus
pertinent de se départir de la notion de radicalisation
comme un processus largement personnel pour accorder
une plus grande attention aux facteurs structurels et aux
relations de groupe. Toutefois, nous avons compris que les
points de vue radicaux sont surtout ceux qui contestent
le statuquo. Donc, ce qui est et ce qui n’est pas considéré
comme radical dépend largement du contexte.
Dans la région d’Agadez, les récits qui émergent lorsque
le changement visible se mêle à l’expérience de la privation
structurelle, la présence internationale et la contestation
de la meilleure façon de gouverner le Niger sont très
cruciaux. Nous avons trouvé plusiers dynamiques qui sont
particulièrement importantes pour les programmes de
développement qui visent à prévenir l’extrémisme.
Premièrement, il y a une augmentation du soutien de
l’adoption de la charia surtout, mais pas exclusivement
parmi les membres des réseaux sous et salastes.
Pour plusieurs répondants, la charia est un moyen de
résoudre les problèmes chroniques de gouvernance dans
la région d’Agadez en particulier et au Niger en général.
Ils imaginent que la mise en œuvre de la charia pourrait
engendrer plus d’honnêteté politique, améliorer le régime
de lois, réduire la corruption et l’iniquité et entraîner le
respect des droits des pauvres. En revanche, les systèmes
occidentaux de démocratie et de laïcité sont considérés
comme indulgents, sujets à la corruption et non-alignés sur
la culture locale.
Le mouvement salaste Izala, qui gagne en popularité
dans la région d’Agadez, est le plus actif dans le soutien à
l’adoption de la charia au Niger. Ses membres associent le
soutien à la charia à la promotion d’un mode de vie qui
s’oppose à une avancée vers une société plus séculaire dans
laquelle le développement est assimilé au développement
matériel. Comme cela est contre le statuquo, l’étiquette
« extrémisme » est souvent collée à ce mouvement.
Cependant, dans la région d’Agadez, il n’y a pas de
preuve que le mouvement Izala soutienne les groupes
d’extrémisme violent ou encore font des prêches haineux.
Cela ne veut pas dire que dans d’autres localités, ou
bien à Agadez dans le futur, que les groupes extrémistes
ne pourraient pas chercher à s’associer au mouvement
Izala comme tous les deux semblent suivre les mêmes
objectifs : celui d’instituer la charia au Niger. Toutefois,
actuellement la position du mouvement Izala est qu’une
société musulmane, plus juste ne peut être obtenue que par
l’introduction progressive de la charia. Seul un processus
social graduel vers la charia est considéré comme capable
de la mettre en œuvre de manière signicative. Cette
approche va de pair avec les tentatives du mouvement
Izala au Nigeria de prendre de la distance par rapport
aux groupes extrémistes violents tels que Boko Haram.
Toutefois, il est nécessaire de noter que ce mouvement
détient du pouvoir politique au nord du Nigéria où il a
été incapable d’appliquer la charia sans avoir à chercher
des alliés, violents ou non. Au Niger, malgré l’inuence
croissante d’Izala, la dynamique politique est différente.
En particulier, le mouvement Izala au Niger a été
confronté à une réaction violente des confréries soues et
d’autres parties prenantes de l’establishment. A moins que
les différents groupes ne trouvent un moyen de contester
leurs visions de la société sans répression, il y a un risque
que des groupes comme l’Izala, qui ne voient pas leur
vision de la société entendue, cherchent des mesures plus
extrêmes.
Un autre aspect, c’est que la société d’Agadez se
démarque nettement des autres parties du Niger. Elle se
caractérise par une augmentation signicative des activités
criminelles telles que les tracs de drogues, d’armes et de
personnes. Dans une zone où il n’y a qu’une minorité de
personnes qui a une source de revenus régulières et stables
(les salariés), s’impliquer dans de telles activités pourrait
attirer les jeunes et les exposer aux réseaux criminels (et
violents).
En somme, c’est dans ces récits plus larges que les
programmes de développement social et économique et
ceux de lutte contre l’extrémisme doivent s’enraciner.
Plutôt que de se concentrer sur l’identication des
individus à risque en raison d’un prol démographique
supposé qui est le plus susceptible de soutenir des groupes
extrémistes, les programmes doivent s’intéresser aux
facteurs structurels, y compris le dé difcile et souvent
contradictoire d’être considéré comme des étrangers
dans un environnement où les étrangers sont traités avec
méance.
Un programme idéal PEV dans la région d’Agadez
pourrait donc faire face à deux types de dés. Le premier
consiste à inuencer une situation qui est vécue par les
habitants de la région comme injuste et avec peu d’espoir
d’amélioration. Le second demande aux programmes de
chercher à inuencer les récits émergents sur l’inuence
occidentale et la présence militaire occidentale. Compte
tenu de l’importance de ces récits, il appartient aux acteurs
de ce programme de les comprendre et de les façonner de
manière plus constructive.
38 ODI Rapport
Comprendre les trajectoir es de la radicalisation à Agadez 39
Références
Aly, Anne. 2015. ‘Countering violent extremism Social harmony, community resilience and the potential of counter-
narratives in the Australian context.’ in Christopher Baker-Beall, Charlotte Heath-Kelly and Lee Jarvis (eds.),
Counter-Radicalization: Critical Perspectives (Routledge: Abingdon).
Binnie, Jeremy. 12 October 2016. ‘Germany establishes military base in Niger’’, IHS Jane’s Defence Weekly.
Bosi, Lorenzo, Chares Demetriou, and Stefan Malthaner (ed.)^(eds.). 2014. Dynamics of Political Violence: A Process-
Oriented Perspective on Radicalization and the Escalation of Political Conict (Ashgate: Burlington, VT).
Cramer, J. 2015 “Mali Transition Initiative. Evaluation of the Impact of Social Networks in Gounzoureye Commune, Gao
Cercle, Mali. Prepared for USAID/OTI and AECOM International Development.” In.
Edwards, Phil 2015. ‘How (not) to create ex-terrorists: Prevent as ideological warfare.’ in Christopher Baker-Beall,
Charlotte Heath-Kelly and Lee Jarvis (eds.), Counter-Radicalization: Critical Perspectives (Routledge: Abingdon).
Gaffey, Connor. 30 September 2016. ‘U.S. building ‘$50 million dollar drone base’ in Niger’, Newsweek.
Issaley, N A. 2015. ‘Les elections locales a Namaro en 2004.’ in J P Olivier de Sardan (ed.), Elections au village : Une
ethnographie de la culture au Niger (Karthala: Paris).
Jackson, Richard. 2016. ‘Introduction.’ in Richard Jackson (ed.), Routledge Handbook of Critical Terrorism Studies
(Routledge: Abingdon).
Kundnani, Arun 2015. ‘Radicalization: The journey of a concept.’ in Christopher Baker-Beall, Charlotte Heath-Kelly and
Lee Jarvis (eds.), Counter-Radicalization: Critical Perspectives (Routledge: Abingdon).
Lindekilde, Lasse. 2014. ‘A typology of backre mechanisms.’ in Lorenzo Bosi, Chares Demetriou and Stefan
Malthaner (eds.), Dynamics of Political Violence: A Process-Oriented Perspective on Radicalization and the Escalation
of Political Conict (Ashgate: Burlington, VT).
Masqeulier, A. 2009. Fashioning Islam: Women and Islamic revival in a West African town (Indiana University Press
Bloomington).
McCauley, Clark, and Sophia Moskalenko. 2011. Friction: How radicalization happens to them and us (Oxford
University Press: Oxford).
McCullough, A, A Harouna, and H Oumarou. 2016. The political economy of voter engagement in Niger. Brieng for
USAID (Overseas Development Institute (ODI): London).
Pargeter, A. 2009. ‘Localism and radicalization in North Africa: local factors and the development of political Islam in
Morocco, Tunisia and Libya’, International Affairs, 85: 1031-44.
Sedgwick, Mark. 2010. ‘The concept of radicalization as a source of confusion’, Terrorism and Political Violence, 22:
479-94.
Sounaye, A 2015. ‘Irwo Sunnance yan-no! 1: Youth claiming, contesting and transforming Salasm’, Islamic Africa:
82-108.
Sounaye, Abdoulaye. 2007. ‘Instrumentalizing the Qur’an in Niger Public Life’, Journal for Islamic Studies, 27: 211-39.
Tidjani, A.M, and A Moumouni. 2014. Au Niger, le soutien est fort mais pas unanime pour l’adoption de la sharia dans
la Constitution. Note Informative No. 156 for Afrobarometer (Afrobarometer).
Turse, Nick. 29 September 2016. ‘U.S. military is building a $100 million drone base in Africa’, The Intercept.
USAID. 2014. “Agadez Local Strategy.”
Younoussi, I. 2015. ‘Les elections locales de 2009 a Guidan Roumdji.’ in J P Olivier de Sardan (ed.), Elections au village :
Une ethnographie de la culture au Niger (Karthala: Paris).
ODI est la première cellule de
réexion indépendante de Grande-
Bretagne sur le développement
international et les enjeux
humanitaires.
Les lecteurs sont invités à
reproduire le contenu de ce rapport
publié par ODI pour leurs propres
publications, à condition que ce
soit à des ns non commerciales.
En tant que détenteur des droits
d’auteur, ODI exige qu’en pareil
cas il soit fait mention de la source
citée et qu’un exemplaire de
l’ouvrage lui soit communiqué. Pour
un usage digital, nous demandons
aux lecteurs d’inclure un lien vers
la source originale sur le site ofciel
d’ODI. Les opinions exprimées
dans le présent article sont celles
de l’auteur ou des auteurs, et ne
reètent pas nécessairement les
opinions d’ODI.
© Overseas Development Institute
2017. Ce document est sujet à des
droits d’auteur conformément à la
Creative Commons Attribution – Pas
d’Utilisation Commerciale 3.0.
All ODI Reports are available
from www.odi.org
Photo de couverture: Centre-ville
historique a Agadez, Niger © Aoife
McCullough, 2016
Overseas Development Institute
203 Blackfriars Road
London SE1 8NJ
Tel +44 (0)20 7922 0300
Fax +44 (0)20 7922 0399
odi.org
... Niamey benefits from the presence of all main government offices, a massively growing aid industry and inflows of funding to support the Nigerien military and border police. Agadez, also with low mobility, experienced a boom during the survey period, mainly due to the migrant industry but also with the opening up of artisanal gold mines in Djado ( McCullough et al., 2017). Non-poor rates were lowest and chronic poverty rates were highest in Maradi, where 39% of households in the region were poor in both survey years. ...
Research
Full-text available
The focus of this report is on resilience and household poverty dynamics in Niger, specifically escapes and descents, with a focus on what explains why some households escape poverty and remain out of poverty (sustained poverty escape), while other households escape poverty only to fall back into poverty (transitory poverty escape). This report combines analysis from two rounds of the panel survey with qualitative research approaches, in particular, key informant interviews, life histories, and participatory wealth ranking in urban and rural areas of the Zinder region. The report investigates the resources (land, livestock, and assets), attributes (household composition and education level), and activities (including jobs and engagement in non-farm activities) that enable households to escape poverty sustainably and minimize the likelihood of returning to living in poverty again. The report situates these micro-factors in an analysis of the changing context for poverty eradication.
Research
Full-text available
This is a briefing to inform USAID Niger 5 year governance programme.
Article
Full-text available
This article discusses youth religiosities and how young Salafi (Sunnance) appropriate the discourse of the popularization of the Sunna and at the same time distance themselves from the well-known Izala movement. The Sunnance have become a social formation only recently, but have earnestly and regularly taken the stage to lay the ground for a new expression and understanding of the Izala reform agenda. They claim to be Izala though they have consistently taken theological positions and promoted practices that challenge and break away from the Izala “orthodoxy.” These developments, the article argues, are the manifestation of the Izala effect, an intra and inter-Muslim dynamic that is gradually reshaping both anti-Sufism dear to Salafism and Sufi practices. The article is based on ethnographic materials collected in Niger in the last four years among youth promoters of a religious life in line with the “Pious Ancestors.”
Article
Full-text available
Recent developments in Niger have shown a growing presence of Islamic symbols in the public space in civil society organizations, and within government and political circles. The case under consideration here is the reform in 2004 that required magistrates presiding over electoral commissions to take an oath according to their religious conviction. For most of these civil servants the law meant being sworn in on the Qur'an, but the initiative resulted in a controversy between different factions: civil society organizations seeking to preserve the secular nature of state institutions; and state officials and political parties who argued that the law would contribute to free and fair electoral processes. Putting this controversy in a broader context, I suggest looking at the genealogy of the instrumentalization of the Qur'an in Niger's sociopolitical history, and also the identity politics to which state officials are increasingly compelled to respond. I also argue that the provision for religious symbolism in a state system which, until now has claimed its secularity, is dictated by a political utilitarianism focusing on the need for new compulsory rituals, and translates into an accommodationism that plays with the religious identity of the administration. In emphasizing the new functionality, meanings and symbolic value of Islam in general, and the Qur'an in particular, the paper highlights the complexity of the management of the line of demarcation between the religious and the secular in the light of recent constitutional and legal changes in Niger. Journal for Islamic Studies Vol. 27 2007: pp.211-239
Article
Full-text available
The ubiquity of use of the term “radicalization” suggests a consensus about its meaning, but this article shows through a review of a variety of definitions that no such consensus exists. The article then argues that use of the term is problematic not just for these reasons, but because it is used in three different contexts: the security context, the integration context, and the foreign-policy context. It is argued that each of these contexts has a different agenda, impacted in the case of the integration agenda by the rise of European “neo-nationalism,” and so each uses the term “radical” to mean something different. The use of one term to denote at least three different concepts risks serious confusion. The proposed solution is to abandon the attempt to use “radicalization” as an absolute concept.
Book
Dynamics of Political Violence examines how violence emerges and develops from episodes of contentious politics. By considering a wide range of empirical cases, such as anarchist movements, ethno-nationalist and left-wing militancy in Europe, contemporary Islamist violence, and insurgencies in South Africa and Latin America, this pathbreaking volume of research identifies the forces that shape radicalization and violent escalation. It also contributes to the process-and-mechanism-based models of contentious politics that have been developing over the past decade in both sociology and political science. Chapters of original research emphasize how the processes of radicalization and violence are open-ended, interactive, and context dependent. They offer detailed empirical accounts as well as comprehensive and systematic analyses of the dynamics leading to violent episodes. Specifically, the chapters converge around four dynamic processes that are shown to be especially germane to radicalization and violence: dynamics of movement-state interaction; dynamics of intra-movement competition; dynamics of meaning formation and transformation; and dynamics of diffusion. © Lorenzo Bosi, Chares Demetriou, Stefan Malthaner and the contributors 2014. All rights reserved.
Article
In the small town of Dogondoutchi, Niger, Malam Awal, a charismatic Sufi preacher, was recruited by local Muslim leaders to denounce the practices of reformist Muslims. Malam Awal's message has been viewed as a mixed blessing by Muslim women who have seen new definitions of Islam and Muslim practice impact their place and role in society. This study follows the career of Malam Awal and documents the engagement of women in the religious debates that are refashioning their everyday lives. Adeline Masquelier reveals how these women have had to define Islam on their own terms, especially as a practice that governs education, participation in prayer, domestic activities, wedding customs, and who wears the veil and how. Masquelier's richly detailed narrative presents new understandings of what it means to be a Muslim woman in Africa today.
Article
Since 2004, the term ‘radicalisation’ has become central to terrorism studies and counter-terrorism policy-making. As US and European governments have focused on stemming ‘home-grown’ Islamist political violence, the concept of radicalisation has become the master signifier of the late ‘war on terror’ and provided a new lens through which to view Muslim minorities. The introduction of policies designed to ‘counter-radicalise’ has been accompanied by the emergence of a government-funded industry of advisers, analysts, scholars, entrepreneurs and self-appointed community representatives who claim that their knowledge of a theological or psychological radicalisation process enables them to propose interventions in Muslim communities to prevent extremism. An examination of the concept of radicalisation used by the industry’s scholars shows its limitations and biases. The concept of radicalisation has led to the construction of Muslim populations as ‘suspect communities’, civil rights abuses and a damaging failure to understand the nature of the political conflicts governments are involved in.
Article
Over the past three decades North Africa has experienced a wave of Islamic activism. From the emergence of groups such as Shabiba Islamiya in Morocco in the 1970s to the recent appearance of Al-Qaeda in the Islamic Maghreb, the region has been home to a plethora of different Islamist movements, each with its own national characteristics. As such the region has displayed a general propensity to Islamist activism. However, certain areas within each North African state have proven particularly receptive to the ideology of political Islam. Although this trend is by no means universal, given the strong appeal of the Islamist ideology that has been able to transcend geographical boundaries, these areas have nonetheless been a key source of recruitment not only for the more moderate strands of the Islamist opposition, but also to the militant movements and networks that espouse violence. As such there would appear to be a correlation between localism and Islamist activism in North Africa. Focusing on Morocco, Tunisia and Libya, this article will examine some of these local issues and will argue that in order to understand better the causes of radicalization in the region, the rise of Islamism in North Africa should be considered within the broader historical context of political and cultural resistance by certain peripheral regional elements to a dele-gitimized and stagnated central authority.