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Miljkovitch, 978-2-294-75466-1
Traité de psychologie du développement
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c00 15
Introduction
On doit la théorie de l'attachement au psychiatre
anglais John Bowlby (1957), selon lequel le lien mère-
enfant revêt une importance capitale. Il a ainsi appré-
hendé ce lien selon une perspective évolutionniste.
Selon Darwin (1859), la survie constitue l'objectif
principal d'une espèce. Les caractéristiques de l'es-
pèce qui permettent l'adaptation à l'environnement
participent à sa préservation à travers le temps. Les
individus dotés de ces caractéristiques parviennent à
assurer leur descendance et à perpétuer leurs gènes,
tandis que ceux qui ne disposent pas de telles carac-
téristiques sont voués à disparaître. Ainsi, les espèces
qui résistent au temps sont celles qui disposent des
« programmes » les plus biologiquement avantageux.
Pour Bowlby, la tendance à s'attacher serait un
de ces programmes qui favorisent la survie de l'es-
pèce à travers les millénaires. Selon lui, l'homme,
comme de nombreuses espèces animales, est doté
d'un système comportemental d'attachement,
c'est-à-dire une tendance innée à déployer des
comportements qui favorisent l'établissement et le
maintien du lien avec la mère1. Parmi ces compor-
tements d'attachement, on peut citer les cris, les
pleurs, l'agrippement, le sourire, qui ont pour effet
d'interpeller et mobiliser le fournisseur de soins.
Tandis que Freud estimait que l'attachement à la
mère se formait secondairement, grâce à la relation
de nourrissage, Bowlby considérait l'attachement
comme un besoin primaire qui ne découle d'aucun
autre. Le fait qu'un bébé puisse pleurer alors qu'il
vient de manger et qu'il ne se calme qu'une fois
pris dans les bras illustre l'indépendance du besoin
d'attachement par rapport à celui du nourrissage.
Les observations de René Spitz (1945) d'enfants
élevés en institution témoignent de façon encore
plus criante du caractère essentiel de l'attache-
ment : alors que ces enfants (âgés de quelques
mois à 5ans) bénéficiaient d'une alimentation et
d'une hygiène satisfaisantes, leur développement
était entravé, parfois au point qu'ils se laissassent
dépérir. Les expériences de Harlow (1958) sur des
bébés singes ont également montré une tendance
chez le petit à rechercher le contact tactile, sans
que celui-ci ne soit associé au nourrissage. En pré-
sence de deux substituts maternels, l'un doux au
toucher et l'autre en fil de fer muni d'un biberon
de lait, les singes allaient rapidement se ravitailler
auprès du substitut à biberon pour ensuite se blot-
tir contre celui en tissu des heures durant.
Pour Bowlby, l'attachement constitue un besoin
vital. En cela, il a souligné la nécessité de s'atta-
cher pour la survie du jeune. Grâce au lien qu'il
établit au moyen de ses comportements innés,
l'enfant bénéficie de la protection d'un adulte
spécifique qui veille sur lui de façon durable et
qui l'accompagne dans sa découverte du monde.
Les comportements d'attachement
L'état de dépendance dans lequel naît un enfant
confère à la relation avec l'adulte un caractère
vital. Dès la naissance, le nourrisson dispose d'un
Chapitre
3
La théorie de
l'attachement: John
Bowlby et Mary Ainsworth
Raphaële Miljkovitch
1
Dans la lignée des travaux en éthologie et à l'image du
schéma familial classique de son époque, Bowlby s'est
focalisé sur la mère comme fig ure d'attachement princi-
pale. Bien qu'il ait introduit la notion de « monotropie »
qui suggère une hiérarchie dans les figures d'attache-
ment, Bowlby n'excluait pas l'existence de figures d'atta-
chement secondaires telles que le père. Dans certains
cas, ce peut être le père ou toute autre personne adulte
qui occupe la place de figure d'attachement principale.
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les comportements d'attachement
Les stratégies d'attachement
Les Modèles internes opérants
Conclusion
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Partie 1. Les modèles du développement
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système de peur-alarme qui l'alerte en cas de
menace et qui déclenche son système d'attache-
ment. Autrement dit, dès que le bébé perçoit un
danger (qu'il soit interne ou externe), il le signifie
à sa figure d'attachement par ses comportements
d'attachement (cris, pleurs, etc.). Ainsi obtient-il de
l'adulte une réponse qui lui permet de se sentir pro-
tégé et de retrouver un sentiment de sécurité. Plus la
personne est dépendante, plus la relation avec une
figure d'attachement s'avère indispensable. C'est
pourquoi les bébés et les jeunes enfants ont besoin
de soins très rapprochés. Les personnes âgées qui
ont perdu leur autonomie se retrouvent également
dans un état de dépendance qui mobilise leur sys-
tème d'attachement. Ainsi, la perception du danger
est-elle fonction de l'âge et de la vulnérabilité de
la personne (la maladie peut aussi abaisser le seuil
d'activation du système d'attachement). Elle résulte
également d'un héritage phylogénétique qui prédis-
pose l'être humain à repérer certains dangers spéci-
fiques. Par exemple, l'arrivée soudaine d'un objet ou
d'une personne sur soi ou un changement brutal de
stimulation déclenche instinctivement une réaction
de peur. Chez le bébé (et à un moindre degré chez
l'adulte), les situations non familières peuvent elles
aussi être source d'inquiétude. L'enfant veille donc
constamment à sa sécurité et sollicite l'adulte (son
« havre de sécurité ») lorsqu'il perçoit un danger.
Avec le temps, l'éducation et la culture vont façon-
ner ses réactions de peur innées.
Avec l'âge aussi, l'enfant va progressivement se
familiariser avec des choses qui pouvaient aupa-
ravant l'effrayer. Pour Bowlby, la relation d'atta-
chement sert de support à partir duquel un enfant
apprend à dépasser ses craintes initiales pour,
petit à petit, s'aventurer seul dans le monde qui
l'entoure. En d'autres termes, l'attachement n'est
pas une fin en soi, mais un moyen pour l'enfant
de devenir autonome et accéder au statut d'adulte.
Cette progression est rendue possible grâce au
système d'exploration qui amène l'enfant à s'inté-
resser à son environnement pour, à terme, le maî-
triser et en contourner les dangers. La curiosité,
l'intérêt pour l'extérieur, qu'il s'agisse du monde
physique ou social, supposent l'activation du sys-
tème d'exploration.
En s'inspirant de la cybernétique, Bowlby
a conçu le système d'exploration comme un
système antagoniste au système d'attache-
ment. Plus précisément, l'exploration serait
impossible tant que l'enfant ne se sentirait pas
en sécurité et que son système d'attachement
serait sollicité. En revanche, si l'enfant se sent
en confiance et n'est pas préoccupé par l'acces-
sibilité de l'adulte, il serait psychologiquement
disponible pour porter son attention sur son
environnement. Les systèmes d'attachement
et d'exploration s'activent donc en alternance,
mais jamais en même temps. Mary Ainsworth
(1967), la plus proche collaboratrice de Bowlby,
a affiné la conceptualisation de Bowlby en
introduisant la notion de base sécurisante. Au
départ, cette base correspond à la présence
physique de la figure d'attachement : grâce à
la proximité de sa mère, le bébé se sent à l'aise
pour s'intéresser aux objets ou aux personnes
qui l'entourent. Outre la présence physique,
l'enfant doit sentir la présence psychologique
de l'adulte qui ne se contente pas simplement
d'être là, mais qui veille sur lui. Petit à petit, ce
n'est pas tant la présence immédiate de l'adulte
qui compte, que son accessibilité. L'enfant peut
s'éloigner de plus en plus, à condition qu'il ait
confiance dans le fait que son parent intervien-
dra en cas de difficulté. Plus tard encore, la base
sécurisante devient une ressource interne, qui
permet à la personne de se sentir en confiance
dans ses différents périples. En cela, l'autono-
mie repose sur la mise en place d'un attache-
ment de bonne qualité, dans lequel l'enfant se
sent protégé et guidé. Des travaux plus récents,
montrant que le fœtus s'anime davantage quand
il est en présence de stimuli familiers (exemple:
la voix de la mère), donnent à penser que l'al-
ternance des systèmes d'exploration et d'atta-
chement s'observe avant même la naissance
(Miljkovitch, Gratier et Danet, 2012).
Les stratégies d'attachement
Bien que le bébé soit prédisposé dès la naissance à
déployer des comportements instinctifs pour atti-
rer sa mère, ceux-ci n'ont pas toujours les effets
escomptés. Ainsi, certains enfants n'obtiennent
pas de leur figure d'attachement une réponse
satisfaisante à leurs appels. Pour dissiper le
malaise à l'origine de ceux-ci, ils doivent élaborer
des stratégies plus efficaces pour obtenir les soins
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Chapitre 3. La théorie de l'attachement: John Bowlby et Mary Ainsworth
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dont ils ont besoin. Au fil du temps, ils intério-
risent les régularités dans les échanges et ajustent
leurs comportements aux réactions du parent.
Ils modifient donc le niveau d'activation de leur
système d'attachement en fonction de ce qui est
le plus favorable pour eux. Ce faisant, ils déve-
loppent des « stratégies secondaires d'attache-
ment » (par opposition aux « stratégies primaires »
qui correspondent aux comportements innés :
Main, 1990).
Mary Ainsworth (Ainsworth, Blehar, Waters
et Wall, 1978) a mis au point la Situation étrange,
un dispositif expérimental qui permet de révéler
les stratégies d'attachement de l'enfant de 1 an
(pour une présentation plus détaillée, voir le cha-
pitre42). Il s'agit d'une procédure en laboratoire en
plusieurs épisodes où l'enfant est alternativement
en présence puis en l'absence de sa mère, avec
des retrouvailles tantôt avec une étrangère, tan-
tôt avec elle. Le stress provoqué par la séparation
donne lieu à une activation du système d'attache-
ment. Selon la manière dont l'enfant se comporte
avec sa mère au moment des retrouvailles, on
arrive à inférer les stratégies d'attachement qu'il
a mises en place. Ainsworth a ainsi identifié trois
styles d'attachement.
Une première catégorie d'enfants semble recou-
rir à des stratégies primaires (c'est-à-dire innées):
ils n'activent leur système d'attachement qu'en cas
de stress (en l'occurrence pendant la séparation)
pour le désactiver aussitôt que la mère revient, et
être à nouveau disponibles pour l'exploration. Des
jouets mis à disposition dans la pièce permettent
d'observer la capacité de l'enfant à explorer.
Ces enfants sont considérés comme « sécures »
(confiants, sécurisés), car ils n'ont pas eu à éla-
borer des stratégies secondaires. Ceci est rendu
possible quand les stratégies primaires donnent
lieu aux réponses attendues de la part du parent
(Main, 1990), c'est-à-dire quand l'enfant arrive
efficacement à obtenir l'attention et les soins dont
il a besoin avec ses signaux innés.
D'autres enfants semblent par contre inhi-
ber leur système d'attachement en ce qu'ils ne
manifestent pas de détresse ou de recherche
de contact pendant la Situation étrange. Ils
peuvent ne pas montrer d'inquiétude lors du
départ de la mère, faisant mine de continuer
à jouer. Lorsqu'elle revient, ils l'évitent au lieu
de chercher à être réconfortés par elle. Il s'agit
des enfants insécures/évitants (ou anxieux/
évitants). Malgré leur apparente indifférence,
des mesures électrophysiologiques montrent
que ces enfants ressentent bien le stress de la
situation (Sroufe et Waters, 1977). Leur absence
de réaction au retour de la mère ne reflète donc
pas un état de quiétude, mais bien une inhibition
de leur système comportemental d'attachement
(voir Miljkovitch, 2011 pour une discussion sur
la signification des comportements lors de la
Situation étrange).
À l'extrême inverse, on retrouve des enfants qui
hyperactivent leur système d'attachement. Cela se
traduit par une protestation contre la séparation
(également observable chez les enfants sécures),
mais plus spécifiquement par une sollicitation
durable de la mère à son retour. Celle-ci prend la
forme d'un comportement résistant, où se mêlent
colère et recherche de proximité. Selon Bowlby
(1973), la colère est un comportement d'attache-
ment en ce qu'elle a effet dissuasif : en voyant la
colère de son enfant, un parent serait moins enclin
à lui infliger à nouveau une séparation. Ainsi, les
enfants « anx ieux-résistants » ou « anx ieux-ambi-
valents » signifient clairement et longuement à
leur mère leur détresse et la nécessité pour elle d'y
mettre un terme. Les signaux d'attachement sont
ainsi amplifiés. L'hyperactivation fait aussi que
l'enfant a du mal à retrouver un état de calme lui
permettant d'explorer à nouveau les jouets dans
la pièce.
Suite à l'étude princeps d 'Ainsworth, la Situation
étrange a été administrée à d'autres échantillons
d'enfants. C'est ainsi qu'on s'est aperçu que cer-
tains enfants ne correspondaient à aucune des
catégories identifiées par Ainsworth. À partir de
ces cas à part, Main et Solomon (1986) ont intro-
duit la catégorie d'attachement « désorganisé/
désorienté ». Contrairement aux trois cas de figure
présentés plus haut, les enfants de cette catégorie
ne semblent pas avoir réussi à mettre en place une
stratégie d'attachement cohérente. Ils adoptent des
attitudes étranges et contradictoires, où deux ten-
dances incompatibles se heurtent l'une à l'autre:
ils cherchent à la fois à s'approcher de la mère et à
s'en éloigner. Dans certains cas où le conflit entre
ces deux tendances atteint son paroxysme, l'enfant
reste immobile et figé, comme paralysé et impuis-
sant dans la gestion de sa détresse. Une expression
de peur s'observe chez eux.
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Partie 1. Les modèles du développement
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Parallèlement aux observations faites en labo-
ratoire, Ainsworth a effectué d'importantes
observations au domicile des familles, qui ont
permis d'établir des correspondances avec les
comportements en laboratoire et de déterminer
les possibilités de généralisation en dehors de ce
contexte expérimental (voir Ainsworth etal., 1978
ou Miljkovitch, 2011). Cette étude pionnière, ainsi
que d'autres par la suite, a aussi permis de com-
prendre les comportements maternels à l'origine
de ces stratégies (voir Miljkovitch, 2001).
À l'exception du dernier, ces différents styles
d'attachement correspondent à une activation plus
ou moins forte du système d'attachement. Main
(1990) parle de stratégies de « minimisation » pour
décrire l'attachement évitant et de stratégies de
« maximisation » pour l'attachement ambivalent.
Dans le cas de l'attachement sécure, l'activation
est à son niveau initial, intermédiaire. Dans le cas
de l'attachement désorganisé-désorienté, le niveau
d'activation est fluctuant et instable. Les straté-
gies secondaires des enfants insécures sont ainsi
conçues comme relevant d'une modification dans
le seuil d'activation du système d'attachement.
Il arrive toutefois que l'enfant recoure à d'autres
moyens que celui-ci pour obtenir la sécurité. En
s'apercevant que des comportements, dont l'objec-
tif n'était pas au départ d'interpeller le parent, ont
malgré tout cet effet, l'enfant peut apprendre à user
de ceux-ci pour obtenir l'attention de l'adulte: on
parle alors de stratégies d'attachement masquées
(Miljkovitch, 2009). Par exemple, il peut se rendre
compte que quand il se met dans certaines situa-
tions périlleuses (dont il ne perçoit pas forcément
le danger), le parent s'intéresse instantanément à
lui. Voyant cela, il se remet dans ce genre de situa-
tion pour attirer l'attention.
Les Modèles internes opérants
Avec l'expérience, l'enfant, dès le plus jeune âge,
intériorise les régularités dans les échanges et se
forment des modèles de relations à l'image de ce
qu'il vit. Autrement dit, il accommode les modèles
à ses expériences. Puis, en s'appuyant sur ces
modèles, il interprète les nouvelles informations à
la lumière des anciennes. Ce qu'il a appris du passé
l'oriente et l'aide à comprendre ce qui se passe
dans le présent. C'est ainsi qu'à un niveau impli-
cite, il va faire des parallèles entre ce qu'il observe
aujourd'hui et ce qu'il a pu observer de similaire
auparavant. L'analogie qui est faite va influencer
sa manière de comprendre les signaux actuels. En
cela, l'enfant assimile les nouvelles expériences à
ses modèles et les interprète conformément aux
représentations qu'il a construites. Les Modèles
internes opérants (MIO) correspondent donc à
des modèles de l'expérience qui a été intériori-
sée, qui opèrent dans la vie du sujet en l'influen-
çant dans sa manière de percevoir les choses, de
les anticiper et de ce fait, dans sa manière de se
comporter. Cette notion, introduite par le psy-
chologue Kenneth Craik (1943), a été reprise par
Bowlby (1980) pour décrire le fonctionnement de
l'individu dans ses relations interpersonnelles.
Dans ce cadre, Bowlby considérait que selon la
qualité des soins qu'il reçoit, l'enfant se forme à la
fois un modèle de lui-même comme plus ou moins
digne d'amour, et de l'autre comme plus ou moins
aimant, fiable, etc. L'estime de soi serait donc une
composante du MIO qui varie selon le traitement
parental (Goodvin, Meyer, Thompson, et Hayes,
2008). Des interactions intériorisées naîtrait aussi
une confiance dans autrui. Celle-ci correspond au
départ à la relation avec la principale figure d'atta-
chement, mais elle accompagnerait la personne tout
au long de sa vie dans la confiance qu'elle accorde
aux autres (Miljkovitch, 2009). Des travaux récents
(Fonagy, Luyten, Campbell, etAllison, 2014) sug-
gèrent aussi que les expériences d'attachement
seraient à la source d'une « confiance épistémique »,
c'est-à-dire une confiance dans la possibilité de s'ap-
puyer sur autrui pour apprendre et comprendre le
monde social par l'authenticité et la pertinence des
échanges avec lui. L'absence de cette confiance serait
un facteur prédisposant à la psychopathologie.
Ainsi, les MIO orientent le fonctionnement de
l'individu selon la trajectoire initiée dans les rela-
tions qu'il a connues. L'inf luence des MIO précoces
dans les nouvelles relations est corroborée par
des recherches montrant des similitudes entre les
relations avec les parents et les relations amicales
(Schneider, Atkinson, et Tardif, 2001), ou à l'âge
adulte, dans les relations amoureuses (Miljkovitch,
2009 ; Miljkovitch etal., 2015) et les relations à ses
propres enfants (voir Miljkov itch, 2001, 2011).
AQ : Merci de
nous indiquer
l'appel de
«
Footnote 2
»
qui manque.
2
Pour une présentation de l'étiologie de l'attachement
désorganisé/désorienté, voir le chapitre27.
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Chapitre 3. La théorie de l'attachement: John Bowlby et Mary Ainsworth
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Les MIO peuvent toutefois s'avérer trompeurs
lorsque la personne change d'environnement. Si
l'on prend l'exemple d'un orphelin carencé, élevé
plusieurs années en institution, qui se trouve adopté
par une famille désireuse de lui donner de l'amour,
il y aura une inadéquation entre ce qu'il aura appris
sur la manière de vivre (par exemple sans tuteur
fixe, sans affection) et ce qui est attendu de lui dans
son nouveau contexte. Au vu de son passé, il lui
sera difficile de concevoir une prise en compte de
ses besoins d'attachement (en l'occurrence par ses
parents adoptifs). Ses comportements à leur égard
risquent de s'inscrire davantage dans le prolonge-
ment de ce qu'il a vécu jusque-là que d'être ajustés
aux ressources que sa famille actuelle a à lui offrir.
Pour pouvoir fonctionner de manière adap-
tée, une mise à jour des MIO s'avère nécessaire.
Toutefois, celle-ci peut être contrecarrée par cer-
tains obstacles psychologiques. Bowlby a invoqué
le rôle de « l'exclusion défensive », un mécanisme
qui consiste à ne pas traiter certaines informations.
Ce phénomène peut être provoqué par des interdits
parentaux, transmis plus ou moins explicitement,
qui empêchent l'enfant d'exprimer, voire de penser
certaines choses. L'enfant est ainsi poussé à ne pas
voir ou à nier l'expérience bannie. L'exclusion défen-
sive peut aussi survenir quand le système d'attache-
ment de l'enfant est fortement sollicité, mais que ses
appels se soldent par un rejet, une humiliation ou
une punition de la part du parent. Ainsi, plutôt que
de s'exposer à ce type de traitement ou de frustra-
tion, l'enfant trouve un relatif bénéfice à exclure de
sa conscience son besoin de sécurité.
Cette étanchéité représentationnelle peut venir
expliquer pourquoi certaines personnes par-
viennent difficilement à s'adapter à un environne-
ment nouveau, quand par le passé, les expériences
qu'elles ont vécues les ont amenées à se construire
un modèle de relation d'un autre type. Elles
restent influencées par d'anciens modes d'inte-
ractions dans les nouveaux liens qu'elles tissent.
Parce que l'exclusion défensive survient dans un
contexte d'insécurité, les personnes insécures
courent un risque accru de s'enferrer dans des
scénarios relationnels répétitifs (Miljkovitch et
Cohin, 2007 ; Miljkovitch, 2009), au point parfois
de développer un trouble de la personnalité dans
lequel l'ensemble des relations sont envisagées à
travers le même prisme (Deborde et Miljkovitch,
2013 ; Miljkovitch etal., sous presse).
À l'inverse, les personnes sécures, moins mar-
quées par d'anciennes blessures, sont plus ouvertes
aux nouvelles expériences. Aussi ont-elles moins
tendance à attribuer des intentions malveillantes
à leurs pairs, ce qui les prédispose à de meilleures
compétences sociales (Cassidy, Kirsh, Scolton, et
Parke, 1996). De telles tendances vont bien sûr
engendrer des échanges plus favorables, venant cor-
roborer leurs représentations positives des relat ions.
Conclusion
Malgré tout, si les MIO, en déterminant les cogni-
tions sociales que l'enfant met en place, amènent
celui-ci à induire un certain nombre de choses
dans ses interactions avec son entourage, il n'en
reste pas moins qu'il continue d'intégrer de nou-
velles informations émanant de l'extérieur qui
peuvent aller à l'encontre des modèles initialement
établis et modifier sa manière d'être. Les résultats
d'études longitudinales montrent que si les pre-
mières expériences ne sont pas effacées, le devenir
de l'individu résulte néanmoins de l'ensemble
de son histoire d'attachement (Miljkovitch etal.,
2015 ; Roisman et Fraley, 2013 ; Sroufe, Egeland,
Carlson, et Collins, 2005).
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