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n° 85
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AVIS DE RECHERCHE FORESTIÈRE
JANVIER 2017
Origine des vers de terre du nord-est
de l’Amérique du Nord
En raison de leur éradication provoquée par la dernière période
glaciaire, les vers de terre indigènes sont rares dans les forêts du
nord-est de l’Amérique du Nord. Au Québec, sur les 19espèces
inventoriées à ce jour, seulement 2 sont indigènes, les autres
étant toutes d’origine européenne, à la suite de l’immigration des
colons venus d’Europe. Par ailleurs, la colonisation du Nord-Est
américain par des vers asiatiques du genre Amynthas (Figure 1)
n’est un phénomène documenté que depuis très récemment. Ces
vers auraient été introduits aux États-Unis lors de l’importation
de végétaux ornementaux provenant du Japon et de la Corée.
Répartition au Québec et dans les États
américains limitrophes
Au Québec, on retrouve les vers de terre principalement dans
un corridor d’environ 150km au sud et au nord du fleuve Saint-
Laurent, bien que la présence d’un certain type d’humus (Mull)
laisse croire qu’ils se retrouveraient également en Abitibi. De
plus, on a découvert récemment des vers de terre dans des
écosystèmes forestiers boréaux du Québec, parmi les rares
mentions en forêt boréale nord-américaine1.
Aucun ver de terre d’origine asiatique n’a été observé au Québec
à ce jour. Toutefois, leur présence a été observée dans plusieurs
écosystèmes des États limitrophes du Maine, de New-York et
du Vermont (Figure 2). De plus, on a récemment découvert une
population de vers de terre asiatiques en Ontario, une première
au Canada2.
Par Jean-David Moore, ing.f., M.Sc.
Bien qu’historiquement les vers de terre aient été considérés comme bénéfiques pour les écosystèmes dans lesquels
ils vivaient, on s’inquiète de plus en plus des effets de la colonisation par les vers de terre exotiques sur les écosys-
tèmes forestiers. Actuellement, les vers de terre au Québec sont, pour la plupart, d’origine européenne. Toutefois,
des espèces d’origine asiatique du genre Amynthas, beaucoup plus actives et perturbatrices que celles d’origine
européenne, ont colonisé certains sols forestiers des États limitrophes du Vermont, de New York et du Maine. Selon
toute vraisemblance, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne colonisent les forêts du sud du Québec.
Effets négatifs potentiels
sur les écosystèmes forestiers
La colonisation des sols par les vers de terre peut compromettre
l’intégrité des écosystèmes forestiers en modifiant directement ou
indirectement leurs composantes. Les effets sont principalement
liés à la disparition de la couche de litière forestière et aux
modifications de la structure et de la chimie du sol provoquées
par l’activité des vers de terre. Ainsi, ces modifications peuvent
favoriser certaines espèces forestières au détriment d’autres.
Par exemple, avec la modification du lit de germination et ainsi
du taux de germination de certaines espèces, la composition
du futur peuplement pourrait être différente du peuplement
d’origine. Dans certains États du Nord-Est américain, l’invasion
des vers de terre a été liée à une baisse de la diversité végétale,
à la disparition de certaines espèces rares d’herbacées et même
à une diminution importante de la régénération forestière.
La colonisation des vers ne nuit pas seulement aux végétaux.
Dans l’État de New York, par exemple, on a observé une baisse
de l’abondance de certaines espèces de salamandres à la suite
de l’invasion de vers de terre exotiques, attribuable en partie à
une diminution de leur source de nourriture provoquée par la
disparition de la litière.
Étant donné leur forte densité et leur activité intense, les vers de
terre asiatiques ont un potentiel de colonisation et de perturbation
beaucoup plus important que ceux d’origine européenne. C’est
pourquoi on appréhende autant leur arrivée dans de nouveaux
écosystèmes.
Territoires où les résultats s’appliquent.
Les vers de terre exotiques au Québec:
état de la situation
Figure 1. Vers de terre d’origine asiatique du genre Amynthas. Photo : Josef Görres, University of Vermont.
ISSN : 1715-0795
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Pour plus de renseignements, veuillez communiquer avec :
Direction de la recherche forestière
Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
2700, rue Einstein, Québec ( Québec ) G1P 3W8
Téléphone : 418 643-7994 Courriel : recherche.forestiere@mffp.gouv.qc.ca
Télécopieur : 418 643-2165 Internet : www.mffp.gouv.qc.ca/forets/connaissances/recherche
Facteurs limitatifs à leur distribution
La densité, la diversité et le taux de survie des vers de terre sont
généralement faibles dans les sols acides. Bien que certaines
espèces puissent survivre dans de tels sols, la plupart des
vers de terre colonisateurs qui ont causé des changements à
l’écosystème étaient l’œuvre de vers intolérants à l’acidité du
sol. La forte acidité du sol a donc pu empêcher la colonisation
par les vers de terre européens des écosystèmes forestiers
aux sols acides, comme ceux que l’on trouve sur le Bouclier
canadien, au Québec. Toutefois, une étude récente réalisée dans
une érablière de la région de Portneuf a démontré que les vers
de terre asiatiques étaient plus tolérants à l’acidité du sol que
ceux d’origine européenne3, ce qui pourrait laisser croire en leur
capacité à coloniser les sols acides plus nordiques. Cependant,
les vers asiatiques ne peuvent survivre dans les climats froids,
contrairement aux vers européens, étant donné leur cycle annuel
de reproduction4.
Une fois que les vers sont établis dans leur environnement, il
est économiquement impossible de les en extirper. De plus,
limiter leur propagation est complexe, car cela exigerait des lois
règlementant leur utilisation pour la pêche et le compostage,
ainsi que l’utilisation de véhicules et de machinerie en milieu
forestier, tous des vecteurs qui facilitent leur propagation.
Facteurs pouvant faciliter leur propagation
Le chaulage, un traitement qui permet d’augmenter le pH et le
contenu en cations basiques (principalement le calcium) des sols,
est de plus en plus utilisé dans les érablières aux sols acides et
peu fertiles du nord-est de l’Amérique du Nord, particulièrement
au Québec. En corrigeant les carences nutritionnelles de l’érable
à sucre ( Acer saccharum), ce traitement permet d’améliorer la
vigueur et, ultimement, la croissance des arbres. Au Québec, les
vers de terre sont habituellement absents de ce type d’érablières,
en raison des conditions acides des sols. De nombreuses études
ont toutefois rapporté une augmentation de l’abondance et de
l’activité des vers de terre à la suite du chaulage (voir Moore et
al. 20133 pour une synthèse de la littérature), ce qui laisse croire
que les érablières ainsi chaulées pourraient éventuellement être
colonisées par les vers de terre.
Par ailleurs, dans un contexte de réchauffement climatique, les
espèces asiatiques pourraient coloniser des sites autrefois non
propices à leur survie.
Conclusion
Des études récentes ont montré que la colonisation des forêts
par les vers de terre est l’un des phénomènes émergents les
plus préoccupants pour la conservation de la biodiversité
forestière en Amérique du Nord. Une fois ceux-ci établis, il est
impossible de s’en débarrasser. Au Québec, les vers de terre
exotiques européens sont déjà bien implantés, particulièrement
le long du fleuve Saint-Laurent. En ce qui concerne les vers
de terre asiatiques, leurs caractéristiques et leur présence
dans les milieux forestiers et urbains des États du Nord-Est
américain laissent présager que la colonisation de certaines
forêts du sud du Québec par ces vers est inévitable. Les vers
de terre asiatiques ne se rencontrent habituellement pas aussi
loin au nord que les espèces européennes, et on pourrait croire
que des considérations climatiques pourraient limiter leur
propagation plus au nord. Cependant, la colonisation des forêts
plus nordiques par ces vers est très probable dans un contexte
de réchauffement climatique. Des études plus approfondies
pourraient nous renseigner davantage sur la sensibilité réelle des
vers asiatiques à l’acidité du sol, la principale contrainte à long
terme à leur colonisation.
Pour en savoir plus…
1 Moore,J.-D., R.Ouimet et J.W.Reynolds, 2009. Premières mentions de vers de terre dans trois écosystèmes forestiers du Bouclier canadien.
Nat. can. 133: 31–37.
2 Reynolds,J.W., 2014. A checklist by counties of earthworms (Oligochaeta: Lumbricidae, Megascolecidae and Sparganophilidae) in Ontario,
Canada. Megadrilogica 16: 112–135.
3 Moore,J.-D., R.Ouimet et P.J.Bohlen, 2013. Effects of liming on survival and reproduction of two potentially invasive earthworms species in a
northern forest Podzol. Soil Biol. Biochem. 64: 174–180.
4 Moore, J.-D., R. Ouimet et P.J. Bohlen, 2015. Effet du chaulage sur la survie et la reproduction de 3 espèces de vers de terre exotiques
potentiellement envahissantes dans les érablières du Québec. Nat. can. 139: 14–19.
Figure 2. Répartition des vers de terre d’origine asiatique dans le Nord-Est américain.
Ontario
Illinois Ohio
Minnesota
Wisconsin
Maine
New York
Québec
Michigan
Pennsylvanie
Michigan
Nouveau-
Brunswick
New Hampshire
100
km
Présence de
vers asiatiques
Vermont
Massachusetts