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Etude géomorphologique et géophysique du glacier rocheux du Col du Lou (Lanslevillard, Savoie) suite à la lave torrentielle du 14 août 2015

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Commune de Lanslevillard (73)
Etude géomorphologique et géophysique du glacier rocheux du Col du Lou
suite à la lave torrentielle du 14 août 2015
Janvier 2017
Philippe Schoeneich, Charles Ribeyre, Marco Marcer – Laboratoire PACTE, Institut de Géographie
Alpine, Université Grenoble Alpes
Xavier Bodin – Laboratoire EDYTEM, CNRS, Université Savoie Mont-Blanc
Ombeline Brenguier – ADRGT, Gières
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Table des matières
I) Introduction
I.1) Contexte
I.2) Objectifs
I.3) Travail effectué
I.4) Résumé des résultats principaux
II) Rappels théoriques
II.1) Le pergélisol
II.2) Les glaciers-rocheux
II.3) Impact du réchauffement climatique sur le pergélisol et les glaciers rocheux
III ) Caractérisation du site du Col du Lou
III.1) Contexte général du site
III.2) Topographie détaillée
III.2.1) Méthodes
III.2.2) Résultats
III.3) Description géomorphologique du glacier rocheux
IV) Caractérisation du pergélisol sur le site du Col du Lou
IV.1) Observations de terrain
IV.2) Mesures de température du sol
IV.2.1) Objectifs et méthodes
IV.2.2) Résultats (Figure 9)
IV.3) Prospection géophysique
IV.3.1 Description des méthodes utilisées
IV.3.2 Résultats de la géophysique
Rive droite - PE1 et PS1 :
Rive gauche amont - PE2 et PS2:
Rive gauche aval - PE3, PE4 et PS3
Conclusions
IV.4) La remontée en altitude des limites du pergélisol (secteur Col du Lou)
3
IV.4.1) Objectif
IV.4.2) Méthode
IV.4.3) Résultats de la modélisation de probabilité de présence du permafrost sur le versant
du col du Lou.
V) Vitesses de déplacement du glacier rocheux
V.1) Evolution des vitesses de déplacement du glacier rocheux depuis les années 1970
V.1.1) Objectif
V.1.2) Méthode
V.1.3) Principaux résultats
V.2) Vitesse de déplacement actuelle du glacier rocheux
V.2.1) Objectifs
V.2.2) Méthode
V.2.3) Résultats
VI) Evolution géomorphologique
VI.1) Evolution du front principal depuis 1970 (influence sur le torrent)
VI.1.1) Objectifs
VI.1.2) Méthode
VI.1.3) Résultats
VI.2) Evolution de la niche d’arrachement depuis 2015
VII) Conclusion et recommandations
VI.1) Diagnostic de l’événement de 2015
VII.2) Estimation de l’aléa
VIII.3) Recommandations
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I) Introduction
I.1) Contexte
Le 14 août 2015, un orage sur le signal du Grand Mont Cenis (3377 m) génère deux importants
glissements de terrain. Les niches d’arrachement de ces deux glissements se situent au niveau du
front d’un glacier rocheux, en aval du Col du Lou vers 2800 m d’altitude. Ces glissements sont à
l’origine de deux laves torrentielles successives qui se sont propagées jusqu’au village de Lanslevillard,
causant d’importants dégâts matériels pour la commune.
La particularité de cet évènement est que la lave torrentielle fait suite à un évènement orageux
d’intensité plutôt modérée pour ce type de phénomène, laissant envisager que la dégradation du
pergélisol riche en glace dans le secteur du Col du Lou a joué un rôle majeur dans cet évènement.
Suite à ces évènements, la commune a souhaité disposer d’une étude afin de mieux comprendre
l’événement d’août 2015, d’évaluer les risques résiduels liés au glacier rocheux et enfin proposer des
mesures de protection. Pour cela, le service RTM Savoie a été mandaté afin de réaliser une étude
technique sur l’hydraulique du torrent, les aménagements de protection et les mesures éventuelles à
prendre.
Létude géomorphologique du glacier rocheux du col du Lou, incluant la caractérisation de sa
dynamique passée et actuelle et de ses conditions de stabilité, et dont ce document constitue le
rapport, a été confiée aux laboratoires PACTE (UMR 5194 CNRS/UGA) et EDYTEM (UMR 5204,
CNRS/USMB) et à l’ADRGT (Association pour le développement des recherches sur les glissements de
terrain).
I.2) Objectifs
Les objectifs de la présente étude sont les suivants :
Caractériser au mieux le glacier rocheux du Col du Lou : contexte topographique,
géomorphologique, structure interne (prospection géophysique) et état thermique du sol.
Etudier l’évolution historique du glacier rocheux afin de déterminer les causes possibles de
l’événement de 2015, et notamment le rôle de la dégradation du permafrost actuel (étude de
l’évolution des vitesses de déplacement du glacier rocheux).
Etudier l’activité récente du glacier rocheux (vitesses de déplacement actuelles) et mettre en
place un suivi de sa dynamique (répétition de mesures de positionnement).
Estimer les conditions de stabilités actuelles, post-événement de 2015, afin notamment de
déterminer si d’autres événements similaires peuvent avoir lieu dans les années à venir.
5
I.3) Travail effectué
Les actions suivantes ont été entreprises en vue de l'étude du site :
Une première visite de terrain, effectuée le 25 août 2015 en compagnie du RTM de Savoie a
permis de prendre connaissance du site, de fixer les objectifs de l'étude et d’implanter 4
points GPS sur des blocs marqués situés sur la partie la plus active du glacier rocheux.
L'arrivée précoce de la neige dès début octobre 2015 a empêché la poursuite de l'étude de
terrain, en particulier de la campagne de mesures géophysiques. Quatre capteurs de
température ont toutefois pu être placés le 18 novembre 2015, en vue d'enregistrer les
températures de surface.
Pendant l'hiver et le printemps 2016, une analyse géomorphologique détaillée du site a été
entreprise, couplée à la réalisation de modèles numériques d'altitude (MNA) et d’ortho-
images historiques partir des photos aériennes IGN), afin de déterminer l’évolution du
glacier rocheux au cours des dernières décennies.
Une campagne de terrain de deux jours, effectuée les 19 et 20 juillet 2016 a permis de
relever les premiers points GPS, de placer une vingtaine de points GPS supplémentaires, de
relever les capteurs de température et d'effectuer des relevés topographiques détaillés par
LiDAR terrestre et par photogrammétrie terrestre.
La campagne de mesures géophysiques a été réalisée les 14 et 15 septembre 2016, de même
qu’un nouveau relevé GPS et un levé de photo aériennes par drone, dans le but de réaliser un
MNA à très haute résolution .
I.4) Résumé des résultats principaux
Caractérisation du glacier rocheux :
L'étude de terrain confirme qu’il s’agit bien d'un glacier rocheux actif, voire localement
déstabilisé, formé de plusieurs lobes. La particularité de ce glacier rocheux (et des formes
adjacentes) est d’être en grande partie constitué de débris fins (schistes lustrés), à l’origine
d’une morphologie peu marquée. Les marques morphologiques les plus visibles sont les
fractures et les crevasses orientées, qui indiquent une instabilité forte du lobe Ouest.
Les relevés géophysiques, ainsi que les mesures de mouvements de surface et de
température du sol, confirment la présence probable de glace et/ou de terrain gelé (“béton
de glace”) dans le corps du glacier rocheux. La quantité de glace est moins importante dans le
lobe Ouest, le plus actif, et plus importante dans la partie supérieure du glacier rocheux,
moins active. Le niveau riche en glace se situe sous une couche de débris rocheux libre de
glace, plus ou moins riche en matériaux fins, d’une épaisseur probable de 2 à 5 m.
Le glissement Ouest correspond à un détachement de couche active, au toit d'un terrain gelé,
au front d’une zone très active du glacier rocheux. Le terrain gelé était visible sur la surface
de glissement en août 2015.
6
Le glissement Est se situe à l'aval d'un zone déprimée très riche en glace, témoin possible
d'un ancien glacier. Un apport important d'eau de fonte provenant de cette glace a
probablement joué un rôle dans ce détachement, comme l'atteste la présence d'un
écoulement d'eau soutenu après le glissement de 2015.
Activité du glacier rocheux :
La reconstitution des mouvements passés à partir des photos aériennes montre que les
vitesses ont fortement augmenté depuis les années 1970, surtout sur le lobe Ouest, le plus
actif, passant de 0,3 m/a sur la période 1970-1995 à 1,4 m/a sur la période 2005-2012. Tout
comme de nombreux autres glaciers rocheux étudiés dans les Alpes, celui du Col du Lou est
donc en phase d'accélération.
Les valeurs de déplacement reconstituées à partir des photos aériennes, ainsi que leur
répartition spatiale, sont confirmées par les mesures GPS sur le terrain.
Les mesures GPS indiquent des mouvements relativement rapides, de 1-2 m/an, sur le lobe
ouest, le plus actif.
Sur la partie supérieure du glacier rocheux (lobe est), les mouvements indiquent une activité
plus modérée, de l’ordre de 0.4-0.5 m/an).
Evaluation de l'aléa :
La présence de très nombreuses crevasses de traction à la surface du lobe Ouest indique que
cette partie du glacier rocheux est en phase de déstabilisation avancée. Ces crevasses sont
déjà visibles sur les orthophotographies IGN de la période 2000-2005. L'absence
d'observations antérieures ne permet pas de déterminer leur date d’apparition, ni depuis
quand elles se sont éventuellement accentuées.
L'étude diachronique des photos aériennes montre que le front du lobe Ouest a connu une
mobilité très importante, alternant plusieurs épisodes de progression remarquable (25-30 m
au maximum sur la période 1996-2012) et d’autres phases de recul apparent localement fort
(10-15 m). Ces phénomènes ne se sont toutefois pas produits dans l'axe du chenal torrentiel
et ne semblent pas avoir généré de laves torrentielles. Des mouvements du même ordre sont
probables dans le futur.
La niche d'arrachement du glissement Ouest a légèrement reculé, de l'ordre de 1-2 m, entre
2015 et 2016. La présence de nombreuses crevasses de traction en arrière de la niche laisse
prévoir une poursuite du recul de la niche, avec des glissements potentiels de quelques
centaines de mètres cubes (estimation réalisée sur la base d’observation faites sur le terrain),
susceptibles d'alimenter le chenal de laves torrentielles.
Le glissement Est est très linéaire et semble plutôt dû aux écoulements d’eau souterrains, en
provenance de masses de glace enfouies sous les débris à l’amont. Il n'y a pas de signes
manifestes de déstabilisation en bordure ou en amont de la niche.
Au vu de la lithologie schisteuse du matériel et de la présence de très nombreuses crevasses
de traction sur l'ensemble du lobe Ouest, un glissement de grande ampleur ne peut être
exclu en cas de fonte accélérée de la glace du sol.
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Mesures préconisées pour la surveillance de l’activité du glacier rocheux :
Aucune mesure de prévention active ne peut être sérieusement envisagée au niveau du
glacier rocheux, étant donné le contexte topographique (pentes fortes) et géologique
(matériaux peu cohésifs, peu d’assises massives).
Nous proposons de poursuivre la mesure annuelle des vitesses de surface par levés drone et
GPS et l’enregistrement horaire des températures de surface du sol. Un levé en début d'été et
un second à la fin de l’été permettrait de différencier les vitesses hivernales et estivales et de
mieux caractériser la réponse du glacier rocheux aux températures atmosphériques estivales.
Une surveillance visuelle par les agents des remontées mécaniques ou de la commune, en
particulier lors de canicules ou après des orages violents pourrait permettre de repérer des
modifications anormales et dans le meilleur des cas d'anticiper de nouveaux événements.
En complément, il est envisageable d’installer sur le site un dispositif de suivi photographique
autonome, bien que la configuration topographique du site n’est pas idéale.
Nous proposons de compléter les mesures géophysiques par une campagne hivernale de
georadar, qui permettrait de préciser l’épaisseur du corps gelé et la géométrie du fond
rocheux.
Lensemble des données pourrait à terme être utilisé dans une modélisation géomécanique
de la stabilité du glacier rocheux.
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II) Rappels théoriques
Afin de mieux comprendre certains aspects abordés dans l’étude, nous présentons quelques
généralités sur le pergélisol en montagne et plus particulièrement les glaciers rocheux.
II.1) Le pergélisol
Le pergélisol, ou permafrost en anglais, est défini comme un sol ou de la roche dont la température
n’est jamais positive pendant au moins deux années consécutives. Le pergélisol est un sous-sol en
permanence gelé, que l’on retrouve dans les zones de haute altitude et de haute latitude.
Le pergélisol est composé la plupart du temps de trois couches (cf. figure 1) :
- La couche active qui est la portion du pergélisol qui dégèle en saison chaude et qui regèle en saison
froide. Son épaisseur peut aller de quelques décimètres à quelques mètres et peut varier en fonction
du type de substrat et de la température extérieure. Elle constitue donc une couche instable qui peut
connaître des mouvements de fluage. L’épaisseur de la couche active a tendance à augmenter en
relation avec le changement climatique actuel.
- Le pergélisol qui est la couche du sol qui est gelée en permanence quelle que soit la saison, situé
sous la couche active.
- Terrain non gelé : sous le pergélisol se trouve une couche de sol non gelé, influencé par les flux de
chaleur interne de la terre. L'épaisseur totale du pergélisol et donc la profondeur des terrains non
gelés sous-jacents dépend de la température moyenne du lieu. Elle peut être de quelques mètres à
plus de cent mètres dans les Alpes.
Figure 1 – Structure verticale du pergélisol. A gauche : représentation tridimensionnelle des
différentes couches de terrain saisonnièrement gelé (couche active), gelé en permanence (pergélisol)
et non-gelé (talik, terrain sous-jacent). A droite : profils de température moyenne, minimale et
maximale et délimitation de la couche active et du pergélisol selon la température. Source : Fiches
“Géomorphologie de la montagne”, SSGm,
http://www.unifr.ch/geoscience/geographie/ssgmfiches/accueil/index.php
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II.2) Les glaciers-rocheux
Les glaciers rocheux sont des formes particulières des paysages de montagne, témoin de la présence
de pergélisol. Ils constituent une des rares formes directement visible de celui-ci. Ils s’agit
d’accumulations de débris et de glace, fluant vers l'aval sous l'effet de la déformation de la glace.
Atteignant généralement des tailles de plusieurs hectares, ils sont repérables par leurs
caractéristiques morphologiques : présences de rides et de sillons perpendiculaires à la direction
d’écoulement, un front raide en partie terminale aval, et la racine en partie amont souvent difficile à
délimiter, qui constitue la zone d’alimentation en débris du glacier rocheux (cf. figure 2). Il existe trois
grand types de glaciers rocheux :
-Les glaciers rocheux actifs : le glacier rocheux présente des mouvements.
Morphologiquement, cela se traduit par un front raide, des indices de déplacement comme
des crevasses ouvertes ou des blocs instables et l’absence ou très peu de végétation.
-Les glaciers rocheux inactifs : le glacier rocheux contient encore de la glace mais ne montre
plus de signe de déplacement. Morphologiquement il présente un front moins raide que le
glacier rocheux actif, une présence limitée de végétation et une surface ne montrant pas de
signe particulier de mouvement.
-Les glaciers rocheux fossiles : le glacier rocheux ne contient plus de glace et ne se déplace
plus. Son front est alors encore moins raide que les deux précédents, la végétation a souvent
repris le dessus et les matériaux sont stables. Ce type de glacier rocheux ne présente en
général pas ou très peu de menace dans l’étude des risques du fait de l’absence de pergélisol
dans celui-ci.
A ces trois catégories classiques, s’est récemment ajoutée une nouvelle (Delaloye et al., 2008), dont
les observations ne remontent qu’à quelques années : celle des glaciers rocheux déstabilisés. Ces
derniers ont des vitesses élevées (plusieurs m/a) à très élevées (plusieurs dizaines de m/a),
présentent des signes morphologiques d’instabilité : crevasses, glissements localisés, topographie
chaotique.
Le glacier rocheux du Col du Lou est un glacier rocheux actif. Il présente plusieurs caractéristiques
d’un glacier rocheux partiellement déstabilisé (crevasse ouvertes, glissement localisé), bien que ses
vitesses de déplacement soient encore dans la fourchette de valeur habituelles pour un glacier
rocheux.
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Figure 2 a) Schéma des principales caractéristiques dun glacier rocheux; b) glacier rocheux de
Muragl, en Engadine (Suisse, photo R. Frauenfelder); c) glacier rocheux à Nordenskiöldkysten,
archipel du Svalbard (photo A. Kääb). Source : thèse de doctorat de R. Frauenfelder, 2005
II.3) Impact du réchauffement climatique sur le pergélisol et les glaciers rocheux
A terme, le réchauffement progressif de la température du sol aura pour conséquence une remontée
en altitude des limites inférieures du pergélisol, entraînant des modifications des processus
géomorphologiques sur les terrains affectés par la fonte de la glace du sol.
Toutefois, la relation entre le climat et les dynamiques de versant liées au permafrost est plus
complexe:
- d’une part le réchauffement de surface est fortement influencé par le couvert neigeux, du fait
de son pouvoir isolant. La présence ou l’absence de neige en début d’hiver est
particulièrement déterminante pour le refroidissement du sol;
- d’autre part, la propagation de la chaleur vers la profondeur dépend de la teneur en glace.
Lorsque la glace est abondante, la conductivité thermique du sol est très faible, et le
réchauffement très lent, du fait de l’absorption de chaleur latente par la fusion de la glace;
- enfin, l’infiltration d’eau de fonte peut conduire à un transfert de chaleur rapide.
D’une manière générale, les conséquences du réchauffement sur le pergélisol sont :
-un approfondissement de la couche active, du fait d’un dégel estival plus profond;
-un réchauffement de la température du pergélisol, qui peut le mener jusqu’à la température
de fusion de la glace;
-si la température de fusion est atteinte, la fusion de la glace conduit à une perte de volume
et à un affaissement des terrains;
11
-la fusion totale de la glace conduit à une perte de cohésion des matériaux, qui deviennent
plus facilement mobilisables par les processus d’érosion.
Pour ce qui est des glaciers rocheux, les évolutions constatées dans les Alpes sont les suivantes
(Schoeneich et al. 2014):
-une accélération de certains glaciers rocheux, jusqu’à des vitesses pouvant atteindre
plusieurs mètres/an;
-une déstabilisation partielle de la partie aval, avec apparition de crevasses associées à des
mouvements rapides;
-de très rares cas pour l’instant d’accélération extrême ou de déstabilisation totale d’une
partie du glacier rocheux.
Les causes évoquées pour ces évolutions affectant les glaciers rocheux sont d’une part les
modifications des propriétés rhéologiques de la glace au voisinage du point de fusion, et d’autre part
le rôle accru de l’eau liquide sur les mécanismes de déformation (voir par exemple Kenner et al.,
2016).
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III ) Caractérisation du site du Col du Lou
III.1) Contexte général du site
Figure 3 - Situation du glacier rocheux du Col du Lou, et délimitation du bassin versant amont du
torrent de l'Arcelle Neuve.
Le glacier rocheux prend racine au pied des parois rocheuses des zones sommitales situées autour du
Col du Lou (3042 m) en versant Nord. Ces parois sont composées de marbres phyliteux selon la carte
géologique (776 LANSLEBOURG - MONT D'AMBIN carte géologique brgm 1:50000) ou de schistes
lustrés marbreux selon M. Gidon (www.geol-alp.com). A ces altitudes, les parois sont soumises à des
processus de gélifraction (cycle de gel dégel qui fragmente la roche) et contribuent fortement en aval,
à l’alimentation du bassin versant en matériaux. Nous avons aussi remarqué la présence
d’éboulements relativement récents dans ces parois (photo figure 4). Le glacier rocheux s’écoule
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ensuite sur une zone la pente se réduit fortement, de sorte à former un léger replat autour de
2800 m. On remarque que sur ce replat la neige s’accumule (dépôt d’avalanche ?) et reste tard dans
la saison. Après ce replat, le glacier rocheux flue jusqu’au niveau d’une ravine où la pente se raidit.
Nous retrouvons les fronts principaux du glacier rocheux à l’entrée des ravines à environ 2700 m.
Figure 4 - Photo d’un éboulement depuis
les parois surplombant les racines du
glacier rocheux, et dont le dépôt s’est
arrêté sur ce dernier.
Le glacier rocheux a la particularité d’être formé dans des matériaux à granulométrie fine à moyenne.
Ces débris rocheux sont pris dans une matrice fine argileuse. De manière générale, les glaciers
rocheux à matériaux fins sont de forme discrète, leurs contours sont difficiles à dresser et leur front
peu marqué. On remarque cependant assez bien la présence de complexes de lobes sur ce genre de
forme. La partie aval du glacier rocheux a la particularité d’être située sur une zone la pente se
raidit fortement en direction de la ravine alimentant directement le torrent de l’Arcelle Neuve, ce qui
en fait un site potentiellement à risque. Lévénement d’août 2015 s’est donc produit dans un contexte
de prédisposition favorable.
III.2) Imagerie 3D de surface à haute résolution
Résumé des résultats: deux modèles 3D (incluant chacun un modèle numérique d’altitude, ou MNA
et une orthophoto) à très haute résolution de la surface du glacier rocheux ont été établis, l’un par
photogrammétrie à partir des photos aériennes prises par drone, l’autre par relevé LiDAR terrestre
(la configuration topographique du terrain rend toutefois cette dernière donnée très incomplète,
raison pour laquelle elle n’a pas été exploitée). Ces modèles 3D permettent une analyse
topographique et géomorphologique détaillée. Un MNA à basse résolution de la topographie de
1970 permet d’estimer les changements de volume du glacier rocheux.
14
Les modèles numériques d’altitude (MNA) ou de terrain (MNT, s’agissant de modèles numérique de
variables dérivées du MNA, pente, ombrage par exemple) sont des grilles régulières de valeurs
d’altitude, qui permettent de décrire et d’analyser la topographie. La finesse de description dépend
de la résolution (taille de la maille) et de la méthode d’acquisition ou d’établissement du MNA.
III.2.1) Méthodes
Trois types de modèles 3D (MNA + orthophoto) ont été réalisés, avec deux méthodes différentes :
par stéréo-photogrammétrie numérique sur la base des photos aériennes IGN de 1970 et de
1996. Il ont été établis avec le logiciel PCI Geomatica, avec une résolution de 2,5 mètres
(c’est-à-dire une taille de pixel de 2,5 m de côté). Le calage topographique, ou
géoréférencement, a été réalisé sur la base de points de contrôle au sol mesurés au GPS
différentiel en octobre 2015. Seul le MNA de 1970 présente une qualité suffisante pour être
utilisé. Il donne la topographie en 1970, et permet la comparaison avec la topographie
actuelle.
par multi-corrélation d’images, sur la base d’images aériennes acquises par drone le 14
septembre 2016. Il a été établi avec le logiciel Agisoft Photoscan Professionnal, avec une
résolution de 0.1 mètres. Le calage topographique a été réalisé à l’aide de cibles (croix de 40
et 80 cm de coté), mesurées au GPS différentiel le jour du relevé par drone.
Un MNA à haute résolution a été acquis par LiDAR terrestre le 19 juillet 2016, à partir de
plusieurs stations autour du glacier rocheux. Le traitement du nuage de points a été réalisé
avec le logiciel 3D Reshaper et a permis de générer un MNA avec une résolution de 20 cm. Le
calage topographique a été réalisé à l’aide de cibles mesurées au GPS différentiel. Le seul
point de levé possible du glacier rocheux (près du Gazex, un peu au-dessus du sentier) était
toutefois trop tangent au terrain, et les données produites avec le LiDAR sont pour le
moment peu exploitables.
III.2.2) Résultats
Les MNA permettent une analyse détaillée de la topographie du glacier rocheux. Les résultats de
cette analyse sont présentés dans les paragraphes suivants.
III.3) Description géomorphologique du glacier rocheux
Résumé des résultats : l'analyse géomorphologique du site révèle la présence d'un glacier rocheux
complexe, formé de plusieurs lobes inégalement actifs. Le lobe duquel est parti le glissement
principal présente des signes d'activité très élevée, et même de déstabilisation, avec de
nombreuses fissures, voire des crevasses ouvertes. Le glissement/ravinement Est se situe à l'aval
d'une cuvette qui pourrait correspondre à l'emplacement d'un ancien glacier.
15
La carte géomorphologique (Figure 5) a été établie par photointerprétation et complétée par des
relevés sur le terrain. Elle indique la délimitation et les principales formes composant le glacier
rocheux, ainsi que son contexte géomorphologique. Pour la commodité de l'exposé, le glacier
rocheux a été subdivisé en zones numérotées (Figure 6).
Figure 5 – Carte géomorphologique détaillée du glacier rocheux du Col du Lou.
Figure 6
Délimitation du
glacier rocheux en
zone numérotées,
pour la
compréhension du
commentaire
suivant.
16
Le secteur Ouest du glacier rocheux du Col du Lou est caractérisé par la présence de deux fronts (
1 et 2 figure 6), sur des pentes fortes (> 30°). Ces fronts paraissent relativement instables avec la
présence de petits paquets de matériaux glissés qui s’étalent en direction de la ravine située juste en
aval. Même s’ils apparaissent plutôt bien dans le paysage, ces fronts restent relativement discrets, ce
qui est typique des glaciers-rocheux à granulométrie fine. En amont de ces fronts on retrouve les
corps ( 3 et 4 figure 6) encore situés dans des pentes élevées. La présence de nombreuses
rides/crevasses concordant au sens de fluage sur le corps de ces glaciers rocheux, témoigne de leur
activité. Cest sur le bord droit du front numero 2 que se situe la niche d’arrachement du glissement
principal, qui a fourni une grande partie des matériaux aux laves torrentielles du 14 août 2015.
D’après la forte pente et les indices géomorphologiques relevés dans ce secteur, on peut penser qu’il
constitue le secteur le plus actif de l’ensemble du Col du Lou.
En amont, vers 2800 m, nous arrivons sur une zone de replat (5 sur la figure 6)). Cette zone est
caractérisée par la présence au pied des racines du glacier rocheux, de bourrelets relativement
bombés qui attestent de la présence de glace dans le sol. Au pied de ces bourrelets, on retrouve, sur
de nombreuses campagnes de photos aériennes, la présence assez conséquente de neige en fin
d’été, et dont la fonte peut jouer un rôle sur la dynamique du glacier rocheux.
En partie Est du secteur ( 6 sur la figure 6) nous nous trouvons sur une partie relativement
complexe. Cette partie forme une zone plate entourée de deux talus de matériaux s’apparentant à
deux cordons morainiques. Lors de la sortie de terrain d’août 2015, à la suite de l’évènement de 2015,
une hypothèse avait été faite : celle d’un possible retrait d’une langue glaciaire, après le Petit Age
Glaciaire. En se retirant, la glace aurait laissé cette dépression en forme de langue entourée de deux
moraines latérales, qui aurait été reprise par la suite par des processus périglaciaires (fluage). On
remarque par ailleurs que cette zone joue un rôle de combe à neige, favorisant probablement un bon
maintien du pergélisol. On note aussi la présence de résurgences en aval de ce secteur, au niveau
d’une forte rupture de pente à l’amont de la ravine.
17
IV) Caractérisation du pergélisol sur le site du Col du Lou
IV.1) Observations de terrain
Lors de la visite de terrain du 25 août 2015, soit dix jours après l’événement, du pergélisol a pu être
observé sur le plancher de la niche d’arrachement du glissement principal (photo figure 7).
Figure 7 - Affleurement du pergélisol dans la niche d’arrachement, le 25 août 2015. Photo de gauche:
la tranche de terrain, d’environ 2 m de hauteur, représente la couche active, emportée par le
glissement, la surface au premier plan correspond au toit du pergélisol. Photo de droite: détail de la
surface de glissement. La surface boueuse au premier plan indique le toit de la couche de sédiments
gelés.
Le terrain se présentait sous la forme d’un matériaux fin, noirâtre (de la couleur de la roche), très dur.
Lattaque au piolet montrait qu’il s’agissait de débris rocheux fins cimentés par de la glace finement
dispersée. Ce type de terrain est souvent désigné par l’appellation “béton de glace”.
Ce terrain gelé représentait le toit du pergélisol, et a constitué, au moins dans la partie supérieure de
la niche d’arrachement, la surface du glissement. Au-dessus, les flancs de la niche d’arrachement se
composaient de débris rocheux grossiers non gelés sur 2 à 3 m d’épaisseur. Cette couche est
assimilable à la couche active.
Le glissement du 14 août 2015 peut donc être décrit comme un détachement de la couche active. Ce
type de glissement, très souvent décrit en Arctique il constitue un des processus principaux de
dégradation du pergélisol, n’est que rarement observé en montagne.
IV.2) Mesures de température du sol
Résumé des résultats: la mesure température de surface du sol permet de caractériser le régime
thermique du sol et notamment l’influence de l’enneigement sur ce dernier. Les résultats de 3 des
7 capteurs de température installés sur le glacier rocheux du Col du Lou montrent des températures
d’équilibre hivernales froides, indicatrices de la présence de pergélisol.
18
IV.2.1) Objectifs et méthodes
La mesure de la température de subsurface du sol est utilisée pour caractériser le régime thermique
du sol. Le paramètre pertinent est la température d’équilibre hivernale, à savoir la valeur à laquelle la
température du sol se stabilise en hiver, lorsque la couverture neigeuse est suffisamment épaisse
pour isoler le sol des variations de température atmosphériques. En présence de pergélisol sous-
jacent, la température d’équilibre hivernale s’établit typiquement autour de valeurs inférieures à -2
ou -3°C.
Quatre capteurs de température autonomes ont été placés le 18 novembre 2015. Ces capteurs de
type UTL-3 enregistrent la température avec une précision de 0.1 °C. L’intervalle de mesure a été
réglé à 1 h. Trois capteurs (P1, L3 et L4 ; cf figure 8) ont été relevés le 19 juillet 2016, le quatrième
(L2), encore sous la neige en juillet n’a pas été relevé. Tous ont été replacés pour continuer la
mesure. Trois capteurs supplémentaires ont été placés le 19 Juillet 2016 (L5, L6, L7)pour compléter le
dispositif. Les résultats de ces capteurs ne sont pas encore disponibles.
Figure 8 Emplacement des enregistreurs autonomes de températures déployés sur le glacier
rocheux du col du Lou. Le capteur P1 est situé en dehors du glacier rocheux, afin de connaître le
régime thermique non influencé par la présence de permafrost en profondeur.
19
Figure 9 – Températures relevées sur les capteurs L3, L4 et P1 entre novembre 2015 et juillet 2016.
IV.2.2) Résultats (Figure 9)
Pour le capteur L3, on remarque qu’entre les mois de décembre jusqu'à fin mars la température
connaît de nombreuses fluctuations mais tout en restant dans une fourchette stable entre -4 et -6°C.
Ces fluctuations peuvent être expliquées par l’emplacement, probablement exposé au vent, et faisant
ainsi varier fortement l’épaisseur du manteau neigeux au cours de l’hiver, qui n’assure donc pas une
isolation constante. La température d’équilibre hivernale est difficile à définir pour cette zone mais les
ordres de grandeur relevés attestent bien de la présence de pergélisol. Ensuite la température du sol
remonte progressivement pour atteindre 0°C début mai, ce qui correspond à la période de fonte de la
neige. Les mesures sont alors influencées par l’eau de fonte (« zéro curtain »), puis début juin lorsque
que le manteau neigeux disparaît les mesures sont influencées par la température atmosphérique et
le rayonnement solaire.
Pour le capteur L4 on remarque que la température du sol atteint rapidement un état d’équilibre qui
est remarquablement constant durant toute la période hivernale, autour des -4°C. Cela sexplique
également par la configuration topographique du site, ici favorable à l’accumulation de neige (du
reste, déjà présente lors de l’installation). Lors du relevé mi-juillet, l’épaisseur de neige était encore
conséquente à proximité du capteur. Ces résultats sont bien représentatifs de la température
d’équilibre hivernale et attestent bien de la présence du pergélisol, probablement relativement froid,
dans ce secteur. On remarque aussi que la fonte de la neige percole plus tardivement au niveau du
capteur L4 (début juin) qu’aux deux autres capteurs (début mai), là aussi du fait, principalement, d’un
manteau neigeux plus épais.
20
Pour le capteur P1 situé en dehors du glacier rocheux, on remarque que la température est
nettement plus élevée comparé aux autres capteurs. Cependant on peut voir durant l’hiver que les
températures mesurées fluctuent similairement à L3 mais autour des -2°C.
IV.3) Prospection géophysique
Résumé des résultats : la méthode géoélectrique permet de mettre en évidence la présence de
terrains gelés, tandis que la sismique réfraction permet de déterminer l'épaisseur de la couche
active et parfois la profondeur du substratum rocheux. Les résultats révèlent la présence probable
d'un pergélisol froid et riche en glace dans la partie supérieure du glacier rocheux, avec une couche
active de 2 à 3 m d'épaisseur. La présence de glace massive est confirmée par les résistivités très
élevées dans la cuvette de la partie Est. Sur le lobe le plus actif, les résistivités moins élevées
indiquent soit une teneur en glace plus faible, soit une teneur en eau liquide plus importante, avec
une couche active de 4 m d'épaisseur, et correspondant à un pergélisol partiellement dégradé. Les
résultats sont cohérents avec l'analyse géomorphologique.
Les méthodes géophysiques permettent une exploration indirecte du sous-sol, par la mesure de
caractéristiques physiques du sol ou de la roche. Leur utilisation est courante pour détecter la
présence de permafrost dans les formations superficielles, et pour en définir la profondeur et
l’épaisseur.
Deux méthodes ont été utilisées sur le glacier rocheux du Col du Lou:
- la tomographie de résistivité électrique, qui permet de détecter la présence d’un corps gelé,
habituellement très résistif, et d’en déterminer approximativement l’épaisseur;
- la sismique réfraction, qui permet de déterminer l’épaisseur de la couche active et, dans le
meilleur des cas, le profil du fond rocheux.
IV.3.1 Description des méthodes utilisées
Tomographie électrique
Les méthodes électriques consistent à mesurer la résistivité du sol. La plupart des sols et des roches
conduisent l’électricité principalement par les mouvements des ions dans l’eau des pores. C’est
pourquoi la porosité et la composition de l’eau dans les pores sont les facteurs majeurs qui contrôlent
la résistivité d’un sol. La résistivité électrique est plus faible en présence d’eau, d’argile, de minéraux.
Elle augmente drastiquement en présence d’air et de glace. Cependant, il est important de noter
l’existence du principe d’équivalence. Ce dernier est décrit par : une couche résistive, comprise entre
deux couches plus conductrices, n’est définie que par le produit de sa résistivité et de son épaisseur.
D’expérience, lorsqu’il y a de la glace, l’épaisseur de celle-ci est souvent surestimée.
21
En tenant compte des connaissances géomorphologiques du site, de la configuration du terrain, de la
facilité pour y cheminer et y réaliser les protocoles de relevés, quatre profils électriques de 64
électrodes ont été réalisés (emplacement sur figure 10):
- deux profils en prolongement l’un de l’autre (PE1 et PE2), transversalement à la partie amont
du glacier rocheux (zones 5 et 6 figure 6);
- un profil transversal (PE3) aux lobes 1 et 2 (n° 3 et 4 figure 6);
- un profil longitudinal sur le lobe 2 du glacier rocheux, le plus actif (zones n°2 et 4 figure 6).
Figure 10 - Emplacement des lignes de mesure géophysiques sur le glacier rocheux du Col du Lou (PE =
profil électrique, PS = profil sismique).
Sismique réfraction
Cette méthode mesure la vitesse des ondes de volume de compression (Vp) ou plus rarement de
cisaillement (Vs, dans le cas d’étude dynamique). La vitesse Vp dépend de la dureté du milieu, de sa
saturation, sa porosité, son altération, sa fissuration et sa fracturation. Sur le terrain, différentes
sources (marteau, explosif…) sont utilisées et enregistrées par des géophones verticaux pour les
ondes P, avec une fréquence de coupure classiquement entre 4.5 et 10 Hz. Les géophones
enregistrent le temps d'arrivée des ondes. Il existe différentes méthodes pour interpréter ces temps.
La méthode t+t- permet d’obtenir une coupe représentant une couche reposant sur un substratum.
Cette méthode nécessite des contrastes suffisants entre cette couche et le substratum. On fait
souvent l’hypothèse d’une seule couche sur un substratum.
22
Trois profils sismiques ont été réalisés (emplacement sur figure 10):
- un profil longitudinal dans la dépression amont (PS1), perpendiculaire au profil électrique
PE1 (zone 6 figure 6);
- un profil transversal sur les racines du lobe 2 (PS2), parallèle au profil électrique PE2 (zone 4
figure 6);
- un profil longitudinal sur le lobe 2 (PS3), parallèle au profil électrique PE4 (zone n° 4 figure 6).
IV.3.2 Résultats de la géophysique
Rive droite - PE1 et PS1 (figure 11, partie gauche) :
Le profil PE1 a été réalisé en travers d’une dépression remplie d’amas rocheux dans la partie Est de la
zone étudiée. Dans ce secteur le glacier rocheux est plus difficilement identifiable par des
observations de surface. De la glace massive a été observée dans la partie amont du profil PS1.
Le profil PE1 image des résistivités très élevées (rho > 1 Mohm.m) attestant de la présence de glace
massive à faible profondeur (moins de 4 m).
Le profil sismique PS1 réalisé perpendiculairement à PE1 montre des vitesses sismiques très élevées
(> 3700 m/s) à 2 m de profondeur.
Il est clair que dans ce secteur de la glace massive est présente sous une couverture de blocs rocheux
aérés d’une épaisseur de 2 m environ (couche active). Cette glace massive est principalement
localisée dans la dépression et semble affecter les deux talus sur 20 m à l’est et 10 m à l’ouest.
Ce résultat confirmerait l’hypothèse de la présence, dans la dépression, d’un corps de glace massive
d’origine glaciaire, et dont la fonte, tout en expliquant, à long terme, la formation de la dépression,
alimenterait la résurgence visible au pied du front du lobe est.
Rive gauche amont - PE2 et PS2 (figure 11, partie droite):
A l’est, le profil PE2 image de fortes résistivités (rho > 650 kOhm.m) sur 60 m de large, à partir de 4 m
de profondeur. Une deuxième zone de fortes résistivités (rho >300 kOhm.m) est imagée au milieu du
profil sur environ 30 m de largeur à partir de 4 m de profondeur. Ces fortes résistivités attestent de la
présence de glace massive dans ces secteurs. Celle-ci semble toutefois moins massive qu’en rive
droite ou alors moins épaisse selon le principe d’équivalence.
Le reste du profil a des résistivités élevées (> 3 kOhm.m) ce qui peut être la signature d’une présence
de glace plus discontinue, voire mélangée à des matériaux argileux.
La sismique réfraction montre trois couches :
- Une couche avec des vitesses de 500 m/s sur 3 m d’épaisseur qui correspond à l’éboulis sec
(couche active).
- Une couche avec des vitesses de 2000 m/s jusqu’à 8 m de profondeur qui pourrait
correspondre à une zone la glace est discontinue. Dans cette couche, la résistivité est
comprise entre 20 kOhm.m et 300 kOhm.m, ce qui atteste de la présence de glace à
concentration variable.
23
Figure 11 - Résultats des profils longitudinaux à l’amont du glacier rocheux (PE1 et PE2/PS2).
Attention : le profil est orienté à l’opposé de son tracé sur la Figure 10 (ci-dessus l’ouest est à droite).
24
- Une couche avec des vitesses de 3200 m/s à partir de 8 m de profondeur qui pourrait
correspondre :
osoit à de la glace massive, en supposant que le modèle de résistivité tel que présenté
sur la figure (voir en annexe) est proche de la réalité
osoit au substratum rocheux, dans ce cas on aurait une surestimation de l’épaisseur de
glace (principe d’équivalence)
osoit au substratum rocheux gelé, en effet à cette profondeur la résistivité est
supérieure à 300 kOhm.m en début de profil puis descend en dessous de 8 kOhm.m
dans la partie ouest.
Le profil PS2 correspond aux racines du lobe 2, le plus actif. Les résultats confirment la présence de
glace dans cette zone, qui constitue la “zone d’alimentation” du lobe.
Figure 12 - Résultats des mesures géophysiques le long des profils transversaux (PE3) et longitudinaux
(PE4/PS3) sur le lobe ouest.
25
Rive gauche aval - PE3, PE4 et PS3 (figure 12)
Le profil PE3 débute au-dessus de la niche d’arrachement du glissement rive gauche. Dans ce secteur
les résistivités sont caractérisées par des valeurs comprises entre 0.6 kOhm.m et 20 kOhm.m. Du sol
gelé a été observé dans la niche d’arrachement, ce qui confirme que des résistivités de 20 kOhm.m
attestent de la présence de glace mélangée à du sol.
Les résistivités sont globalement supérieures à 3 kOhm.m dans la moitié est du profil. Dans ce secteur
la glace est probablement discontinue.
Dans la moitié ouest du profil et notamment dans le secteur où le glacier rocheux est le plus
dynamique, les résistivités chutent jusqu’à moins de 0.6 kOhm.m. Ce phénomène est probablement
lié à la fonte du permafrost, favorisant une importante présence d’eau, expliquant les faibles
résistivités.
Le profil PE4 est perpendiculaire à PE3. Il image très bien la fin du lobe du glacier rocheux. En effet les
résistivités sont comprises entre 3 kOhm.m et 20 kOhm.m dans la partie amont tandis que dans la
partie aval les résistivités sont inférieures à 1.5 kOhm.m. La chute de résistivité correspond à la
rupture de pente.
Le profil PS3 montre un modèle à deux couches :
- une couche à environ 500 m/s sur 4 m d’épaisseur qui correspond à l’éboulis sec (couche
active);
- une couche à 3000 m/s qui correspond probablement au toit du sol gelé. On notera que la
vitesse est inférieure à celles mesurées à PS1 (3700 m/s) et PS2 (3200 m/s) ce qui peut être
expliqué par une augmentation de la discontinuité de la glace.
Ces résultats montrent que le lobe 2, le plus actif, contient un mélange de sol et glace discontinue
sous une couche active de 4 m d’épaisseur, et qu’il n’y a ni glace ni sol gelé en aval du front du lobe.
La teneur en glace est moins grande que sur la partie amont, et la partie la plus active du lobe
correspondrait à un pergélisol dégradé.
Conclusions
Les profils géophysiques ont montré que la composition des terrains est très hétérogène et que
notamment :
- En rive droite il reste à 2m de profondeur de la glace massive contenue dans la dépression.
- Que la quantité de glace froide diminue avec l’altitude
- Que la profondeur du toit du pergélisol augmente vers l’aval.
- Que la partie la plus dynamique est probablement composée d’un mélange de sol, de glace
et d'eau liquide.
26
IV.4) La remontée en altitude des limites du pergélisol (secteur Col du Lou)
Résumé des résultats : la cartographie du pergélisol par modélisation statistique montre que le
glacier rocheux du Col du Lou se situe dans une tranche altitudinale qui, depuis les années 1980,
est passée d'une situation favorable au développement du pergélisol, à une situation limite. Il se
situe donc dans une zone de dégradation probable du pergélisol.
IV.4.1) Objectif
Laltitude, l’exposition au nord, les parois gélifractées et les dépôts d’avalanches font du secteur du
Col du Lou un endroit où les conditions sont favorables à la présence de pergélisol, qui se manifeste
ici par la présence d’un glacier rocheux. En se basant sur les conditions (altitude et rayonnement
solaire) des glaciers rocheux régionaux (plusieurs centaines), une modélisation statistique permet de
vérifier si le glacier rocheux du Col du Lou se situe dans une zone de forte ou de faible probabilité de
présence de pergélisol, et d'estimer à partir de là sa sensibilité plus ou moins grande au changement
climatique.
Figure 13 Les cartes présentent la probabilité de présence de permafrost calculée à partir d’un
modèle statistique. A gauche la carte représente la répartition du permafrost en prenant en compte
les données climatiques qui ont prévalu entre la fin du Petit Age de Glace (env. 1850) et les années
1980. A droite la carte représente la répartition du permafrost en prenant en compte les données
climatiques de 1980 à aujourd’hui. Ces cartes montrent bien la remontée en altitude des limites
inférieures du permafrost qui est l’une des conséquences du changement climatique.
27
IV.4.2) Méthode
Les cartes de la figure 13 sont les résultats d’une modélisation statistique. La répartition du pergélisol
est calculée en mettant en relation plusieurs facteurs dont la topographie, le rayonnement solaire,
l’exposition et les données climatiques. La surface du sol est dans ce modèle représentée par une
maille formée de carrés de 25 m de côté. Pour chaque carré la probabilité de présence de permafrost
est calculée, la carte donne alors une répartition probable du permafrost pour une résolution de 25
m. Le modèle a été exécuté deux fois en prenant en compte des données climatiques différentes.
Une première fois en prenant en compte les données climatiques de 1900 à 1980 et une seconde fois
en prenant les données climatiques de 1980 à aujourd’hui. Les études sur le changement climatique
ont démontré qu’à partir des années 1980 la terre a connu une hausse significative des températures.
La comparaison des résultats des deux modèles nous permet donc de mettre en évidence l’évolution
des limites du permafrost dans le contexte du réchauffement climatique et notamment de quantifier
et de visualiser la remontée en altitude des limites inférieures de celui-ci.
IV.4.3) Résultats de la modélisation de probabilité de présence du permafrost sur le versant
du col du Lou.
En comparant les deux cartes, nous remarquons que pour le secteur du Col du Lou, le réchauffement
climatique a eu un fort impact sur la dégradation du pergélisol.
Jusque dans les années 1980, et à plus forte raison pendant les siècles précédents, plus frais, le
secteur du Col du Lou se situait dans une zone favorable à la présence de pergélisol. Celui-ci a donc
pu se développer et a permis la formation de l'important complexe de glaciers rocheux.
Depuis les années 1980, les limites inférieures du pergélisol sont remontées en altitude d'environ 250
m. On remarque qu’actuellement cette limite se situe aux environs des parties aval du glacier rocheux
du Col du Lou. Celui-ci se situe donc actuellement dans un tranche altitudinale sensible,
probablement soumise à une dégradation du permafrost.
Comme on le sait dans les formations superficielles (zone d’accumulation de matériaux) le pergélisol
joue le rôle de ciment et permet la cohésion des matériaux. Le réchauffement climatique entraîne
une dégradation du permafrost, qui se traduit notamment par une diminution de la teneur en glace
et donc de la cohésion, ainsi que par une augmentation de la teneur en eau liquide. D’une façon
générale, on peut supposer que ces évolutions favorisent une augmentation de l’intensité et de
l’occurrence de certains phénomènes naturels, tels que les glissements ou le ravinement.
Ces premiers éléments d’étude nous permettent de dire qu’il est probable que l’événement daoût
2015 est une conséquence de la dégradation du pergélisol et de la remontée en altitude des limites
de celui-ci. Au vu des tendances climatiques actuelles (hausse de températures) et des
caractéristiques topographiques et géomorphologiques du terrain, le site du Col du Lou constitue un
site sensible et il est probable que de nouveaux évènements similaires à celui de 2015 aient lieu dans
le futur.
28
V) Vitesses de déplacement du glacier rocheux
V.1) Evolution des vitesses de déplacement du glacier rocheux depuis les années 1970
Résumé des résultats : les vitesses de déplacement de surface du glacier rocheux ont pu être
reconstituées à partir des photos aériennes de 1970, 1996, 2006 et 2012. On note sur l'ensemble du
glacier rocheux une augmentation des vitesses de déplacement, qui s'accélère depuis 2006. Le lobe
ouest (n°4 sur la Figure 6), le plus actif, enregistre une accélération deux fois plus importante que le
reste du glacier rocheux. Par comparaison avec le comportement connu pour d'autres glaciers
rocheux des Alpes, cette accélération peut être interprétée comme une conséquence du
réchauffement de la température du sol.
V.1.1) Objectif
Etudier l’évolution des vitesses de déplacements du glacier rocheux du Col du Lou permet d’une part
d’apprécier dans quelle mesure les changements sont contrôlés par le climat, et d’autre part de
mieux comprendre le processus de déstabilisation qui affecte le glacier rocheux, notamment par
l’interprétation de phénomènes géomorphologiques observables en surface. Ces mouvements
localement très forts sont en mesure de fournir beaucoup de matériaux aux chenaux torrentiels en
aval : leur étude permet donc également d’évaluer, de façon qualitative, l’évolution possible du
risque sur le secteur dans le futur.
V.1.2) Méthode
Les orthophotos sont des photographies aériennes géométriquement rectifiées en projection plane
(élimination des déformations optiques dues à l’angle de vue et au relief), de façon à pouvoir être
superposées directement à la carte et comparées entre elles. Le processus d’orthorectification
permet aussi de générer un modèle numérique d’altitude (MNA).
Comme décrit dans la section III.2, des orthophotos ont été produites à partir des photographies
aériennes IGN de 1970, 1986, 1988, 1990, 1996 et 2001. Lensemble du processus de restitution
photogrammétrique s’est faite avec le logiciel PCI Geomatica, à partir des photographies aériennes
fournies par l’IGN (cf date et numéros des missions utilisées dans le tableau 1). Le géoréférencement
des données produites (MNA et orthophoto) s’est fait à partir de 17 points de contrôle au sol, relevés
au GPS différentiel (précision centimétrique) le 17 novembre 2016, sur des points remarquables. Les
orthophotos produites ont une résolution de 40 cm. L’erreur planimétrique, calculée sur des zones
supposées stables, est de l’ordre de 0,8 à 1,3 m. Seules les orthophotos de 1970 et de 1996
présentent une qualité suffisante pour être exploitées.
Nous avons également utilisé dans l’analyse les orthophotos IGN de 2006, 2009 et 2012, d’une
résolution de 50 cm, et dont l’erreur moyenne est de 0,45 cm. Après retrait des données de qualité
insuffisante (flou des photos, neige sur le terrain…), les orthophotos à disposition sont : 1970, 1996,
2006 et 2012.
29
Lapproche utilisée pour quantifier, à partir de SIG, les déplacements du glacier rocheux consiste à
mesurer le déplacement de blocs remarquables (à l’aide d’un outil de mesure de distance sur SIG),
visibles sur toutes les images (Figure 14).
Tableau 1 - Dates des missions aériennes de l’IGN (geoportail.gouv.fr) choisies dans l’étude et
numéros des photos concernées par le secteur du col du Lou.
Figure 14 - Localisation des blocs remarquables dont les déplacements ont été mesurés à partir des
orthophoto 1970, 1996, 2006 et 2012.
V.1.3) Principaux résultats
Au niveau de l’évolution générale, les vitesses de déplacements de surface du glacier rocheux tendent
à augmenter depuis les années 1970 (figure 15). Entre les périodes 1970-1996 et 1996-2006 cette
augmentation est minime : ceci doit cependant être pris avec précaution puisque les valeurs de
déplacement se situent autour des valeurs d’incertitudes liées à la méthode. Entre ces deux périodes,
le secteur du front principal connaît tout de même une hausse plus significative d’environ + 0.5 m/an.
En revanche, entre les périodes 1996-2006 et 2006-2012, l’augmentation des vitesses de
déplacement est plus significative puisque, pour quasiment chaque secteur, la moyenne des vitesses
de déplacement a doublé. Elle se situe aux environs de 0.5 m/an pour les secteurs amont, et 1.4m/an
pour le secteur du front principal.
30
Figure 15 - Evolution des vitesses moyennes sur les différents secteurs du glacier rocheux entre 1970
et 2012.
Nous observons que, pour chaque période, le secteur les vitesses de déplacement sont les plus
importantes, est le secteur 4 dont les points sont situés au niveau du front principal du glacier
rocheux. Pour les autres secteurs (5 et 6) situés plus en amont, les vitesses de déplacements sont
sensiblement identiques. Plus on avance dans les périodes, plus les écarts de vitesse de
déplacements entre le secteur 4 situé au niveau du front principal et les autres groupes, augmentent.
Sur la dernière période (2006-2012), cela représente des écarts de vitesse proches de 1 m/an entre
ces secteurs. On peut supposer que si cette tendance continue, il n’est pas improbable qu’on arrive à
terme, à une rupture du glacier rocheux entre sa partie aval, où les pentes sont prononcées avec des
vitesses de déplacement élevées, et la partie amont, où les pentes sont plus douces avec des vitesses
de déplacement moins élevées.
Pour conclure cette partie nous pouvons dire que de manière générale, les vitesses de surface du
glacier rocheux du Col du Lou sont en augmentation depuis les années 1970 avec une hausse
significative autour des années 2000. Cependant cette hausse n’est pas homogène sur l’ensemble du
glacier rocheux. En effet, on remarque que le secteur du front principal connaît des vitesses de
déplacement de surface en moyenne plus élevées, qui de plus, augmentent plus rapidement depuis
les années 1970 par rapport à celles des parties amont du glacier rocheux. Précisons également qu’il
faut prendre ces résultats avec précautions car certains groupes ne comportent que très peu de blocs
qui, en plus, pour certaines périodes n’ont pas de données (blocs non visibles sur l’orthophoto).
Les données de vitesses relevées sur le glacier rocheux du col du Lou corroborent celles recueillies sur
la majorité des glaciers rocheux alpins pour lesquels un tel suivi est disponible (voir par exemple
Delaloye et al., 2008).
31
V.2) Vitesses de déplacement actuelles du glacier rocheux
Résumé des résultats : des repères GPS ont été implantés à la surface du glacier rocheux pour
mesurer le déplacement de surface par GPS différentiel. Pour 4 points implantés en août 2015, les
mesures faites en juillet et en septembre 2016 permettent de constater que les vitesses estivales
sont plus élevées que les vitesses hivernales, probablement du fait de la présence d'eau de fonte
qui favorise le mouvement. Pour les autres points, seules les vitesses estivales sont connues à ce
jour. Dans l'ensemble, les vitesses mesurées sont cohérentes avec les vitesses moyennes
reconstituées d'après les photos aériennes.
V.2.1) Objectifs
Les vitesses actuelles de déplacement du glacier rocheux permettent d’évaluer le degré de stabilité,
respectivement de déstabilisation, des différentes parties du glacier rocheux. Le suivi des vitesses et
de leur variation permettra à terme de voir comment celles-ci fluctuent et évoluent en fonction des
paramètres climatiques (variations saisonnières et interannuelles).
V.2.2) Méthode
Les déplacements de surface ont été mesurés au GPS différentiel (DGPS). Une base fixe a été
implanté sur des terrains supposés stables, juste en dessus du réservoir de Gazex, en bordure de la
zone.
Les points de mesure sont matérialisés par des marques de peinture sur des blocs. Lors de la visite de
terrain du 25 août 2015, 4 points ont été marqués sur le lobe principal ouest, le plus actif. Lors de la
mission des 15-16 juillet 2016, trois de ces points ont été mesurés (le quatrième se trouvant encore
sous une bonne épaisseur de neige), et une douzaine de points supplémentaires ont été implantés.
Lensemble des points a été remesuré le 14 septembre 2016.
Pour les 3 points de 2015, les mesures permettent de calculer le mouvement sur 10 1/2 mois, pour
l’ensemble des autres points on a les déplacements pendant les 3 mois de l’été 2016.
V.2.3) Résultats
Les résultats sont représentés sur la figure 16. D’une façon générale, les zones les plus rapides
correspondent bien aux zones repérées comme les plus actives à partir de la géomorphologie, et où
avaient été relevées les vitesses les plus rapides sur les comparaisons de photos aériennes.
Les vitesses sur 3 mois culminent à 0,75 m (soit 3 m/an) au point le plus rapide, mais se situent en
moyenne entre 0,20 et 0,60 m (soit 0.80 à 2.40 m/an) sur le corps du lobe le plus actif. L’image
donnée par les mouvements estivaux est très cohérente avec les signes géomorphologiques
d’activité: les vecteurs sont globalement perpendiculaires aux crevasses et indiquent bien le sens de
traction. On note une augmentation des vitesses d’amont à l’aval du lobe principal. Contrairement
aux attentes, seuls des mouvements très faibles sont enregistrés sur les points situés juste en amont
de la niche d’arrachement de 2015, dans la zone potentiellement affectée par le recul de la niche.
32
Figure 16 : Carte des déplacements (en mètres) des blocs remarquables mesurés au DGPS entre le 25
août 2015 et le 16 Juillet 2016, et entre le 16 juillet 2016 et le 14 septembre 2016.
L’image obtenue est très cohérente avec les vecteurs de déplacement calculés à partir des
orthophotos 2006 et 2012 (figure 17). Les valeurs extrapolées à l’année sont légèrement supérieures
aux valeurs annuelles moyennes de la période 2006-2012. Cela peut traduire soit une augmentation
des vitesses, soit le fait que les vitesses estivales sont supérieures aux vitesses annuelles moyennes.
Les valeurs enregistrées sur un des points de 2015 (0.39 pour 3 mois, 1.74 sur 11 mois) semblent
plutôt indiquer une vitesse constante sur l’année.
Les valeurs moyennes mesurées dans les zones supérieures et en bordure du glacier rocheux,
inférieures à 1 m/an, sont des vitesses normales pour un glacier rocheux actif, même si elles se
situent plutôt dans le haut de la fourchette habituelle. Les valeurs mesurées sur le lobe le plus actif,
dépassant 1 m/an, voire 2 m/an, correspondent à un glacier rocheux rapide, et s’approchent des
vitesses constatées sur des glaciers rocheux déstabilisés.
33
Figure 17: Carte des vitesses de déplacements (en mètres par ans) des blocs remarquables repérés
par photogrammétrie entre 2006 et 2012.
34
VI) Evolution géomorphologique
VI.1) Evolution du front principal depuis 1970 (influence sur le torrent)
Résumé des résultats : l'évolution du front du glacier rocheux a été reconstituée à partir des photos
aériennes de 1970, 1996, 2006 et 2012 et du MNT Drone de 2016. Si le front progresse dans
l'ensemble vers l'aval, il présente localement des reculs apparents entre 1970 et 1996 et entre 1996
et 2006. Ces reculs du front semblent être dus à des glissements localisés du front, très raide et
dominant une longue pente de débris. Ces glissements sont toutefois moins importants que celui
de 2015 et ne se situaient pas dans l'axe du chenal. Ils n'ont donc pas alimenté en débris les
chenaux démarrent et transitent de possibles laves torrentielles. Des signes précurseurs de
l'arrachement de 2015 sont décelables sur l'orthophoto de 2012. Le glissement de 2015 ne serait
donc pas le premier, et ces glissements du front connaîtraient une phase préparatoire décelable par
l'apparition de fissures et de crevasses.
VI.1.1) Objectifs
Lévolution du front du glacier rocheux depuis 1970 a été analysée à partir des photos aériennes IGN.
Lanalyse vise trois objectifs:
- sur un glacier rocheux actif, le front progresse vers l’aval, et cette progression donne donc des
indices de mouvement et d’activité complémentaires aux mesures de déplacement de
surface;
- le front du glacier rocheux du Col du Lou apparaît assez instable sur le terrain, et il était
intéressant de vérifier si des traces d’événements de glissements similaires à celui d’août
2015 étaient repérables;
- selon la qualité des photos aériennes, les crevasses de traction sont visibles, et il s’agissait de
vérifier depuis quand les crevasses visibles actuellement sont présentes, et dans quelle
mesure elles peuvent constituer des signes précurseurs d’événements.
VI.1.2) Méthode
Lanalyse a été menée sur les orthophotos constituées à partir des missions de photos aériennes IGN
de 1970, 1996, des orthophotos IGN de 2006 et de 2012, ainsi que du MNT Drone de 2016.
Létude s’est concentrée sur le lobe Ouest (n° 4, fig. 6). Le sommet du talus frontal a été digitalisé sur
SIG pour chacune des années, les résultats superposés, et les écarts moyens calculés sur le SIG.
Une analyse visuelle des orthophotos a été faite pour identifier les signes d’activité
géomorphologique, telles que des crevasses ou des signes de glissement.
VI.1.3) Résultats
La cartographie de l’évolution de la position du front est représentée sur la fig. 18. On observe que:
35
- le front du glacier rocheux a progressé vers l’aval de 5 à 20 m entre 1970 et 2016;
- l’évolution du front présente toutefois des irrégularités, avec des phases de recul apparent, et
présente des différences entre la partie droite et la partie gauche;
- sur la partie droite, le front régresse entre 1970 et 2006, et connaît une avancée marquée de
l’ordre de 10 m entre 2006 et 2016;
- sur la partie gauche, le front a progressé de plus de 10 m entre 1970 et 1996, régressé
d’environ 5 m entre 1996 et 2006, avant une nouvelle progression de 15 m entre 2006 et
2012.
La progression plus rapide du front sur la partie gauche est cohérente avec les déplacements de
surface actuels et reconstitués à partir des orthophotos, et correspondent bien avec la zone de
mouvements les plus rapides. Des crevasses de traction obliques au sens de mouvement sont bien
repérables sur l’image MNT de 2016 (fig. 18 en bas à droite) en amont de la partie droite, et
correspondent aux crevasses ouvertes visibles sur le terrain. Le sens de traction, perpendiculaire aux
crevasses, indique bien un mouvement plus rapide de la partie gauche.
La partie gauche du lobe apparaît donc comme la partie la plus mobile du glacier rocheux.
Les phases de recul apparent du front peuvent s’expliquer par des glissements du front. L’observation
actuelle du front montre que celui-ci évolue par glissement de paquets de sédiments sur la pente
forte à l’aval du front. Certains de ces paquets apparaissent sur le MNT LiDAR (fig. 18).
La digitalisation des fronts successifs montre que les phases de recul du front dessinent parfois des
“creux” en hémicycle (partie droite en 1996 ou 2006), qui pourraient correspondre à des glissements
plus importants. Aucun de ces glissements n’atteint toutefois les dimensions de celui d’août 2015.
D’autre part, les orthophotos ne montrent pas de traces d’arrachements nettes ni d’écoulements ou
de ravinements. Les phases de recul du front seraient donc dues plutôt à des glissements lents, qui se
sont étalés sur la pente du front, et dont aucun n’a alimenté de lave torrentielle. Les volumes sont
toutefois significatifs.
Au niveau du glissement d’août 2015, il semblerait que des amorces de niche d’arrachement soient
perceptibles sur l’orthophoto de 2012. Sur la figure 19, sur le fond orthophoto de 2012 nous avons
délimité la niche d’arrachement de 2015 à partir de points DGPS pris sur le terrain. On devine en
amont, des rides ou crevasses ayant relativement une forme identique à celle-ci. On peut supposer
que cette zone du glacier rocheux, était déjà une partie sensible et instable avant 2015. La canicule de
l’été 2015 aurait donc joué de le rôle de facteur aggravant et déclenchant sur une zone déjà instable.
Des glissements du type de celui d’août 2015 seraient donc précédés d’une phase préparatoire avec
apparition de crevasses ouvertes. Une surveillance de l’évolution des crevasses pourrait donc
permettre d’anticiper, dans le meilleur des cas, des événements futurs.
Au vu des nombreuses crevasses apparentes en amont de la niche de 2015, mais aussi sur le corps du
lobe, un nouvel évènement similaire à 2015 n’est pas improbable dans les années à venir.
36
Figure 18 - Evolution du front du lobe Ouest du glacier rocheux entre 1970 et 2016. Digitalisation des
fronts de 1970, 1996, 2006 et 2012 à partir des orthophotos, front en 2016 à partir du MNT Drone.
Fond topographique: MNT Drone ombré, résolution 0.1 m.
37
Figure 19 - Orthophoto 2012 de la zone d’arrachement de 2015. Des crevasses sont visibles dans la
zone du futur arrachement, et pourraient constituer un signe précurseur de la déstabilisation.
Orthophoto IGN.
VI.2) Evolution de la niche d’arrachement depuis 2015
Résumé des résultats principaux: l’observation de la niche d’arrachement à un an d’intervalle
montre un léger phénomène de recul et d’atténuation de la niche. Des crevasses de traction en
amont de la niche laissent prévoir que le mouvement va continuer. Les volumes potentiellement
instables sont toutefois nettement inférieures à ceux de l’événement de 2015 et peuvent être
estimés à quelques centaines de mètres cubes.
La niche d’arrachement du glissement Ouest a été observée visuellement à trois reprises, le 25 août
2015, les 19-20 juillet 2016 et les 14-15 septembre 2016. Des photos ont été prises à chaque date. Le
tracé de la niche a été relevé au GPS différentiel en juillet et en septembre 2016.
La comparaison des données permet de suivre l’évolution de la niche d’arrachement. On constate
que:
38
- entre août 2015 et juillet 2016, on observe un recul net de la niche, qui peut être estimé par
la comparaison des photos à environ 2 m. Les parois sommitale et latérales de la niche sont
devenues moins verticales. Les matériaux glissés se sont accumulés dans le sommet de la
niche, sans générer de glissement important ni de lave torrentielle.
- entre juillet et septembre 2016, la niche a reculé en moyenne de quelques dizaines de
centimètres selon le relevé GPS. Il n’y a pas d’évolution géomorphologique particulière.
Cette évolution est normale et était attendue au vu de la configuration de la niche d’arrachement au
lendemain de l’événement d’août 2015. Les mesures GPS de l’été 2016 montrent des mouvements
faibles juste en amont de la niche, de l’ordre de 15 cm en trois mois (voir figure 16), ce qui indiquerait
que l’évolution se fait par remontée de la niche plus que du fait du mouvement d’ensemble. La
présence de crevasses en amont et sur les côtés de la niche laisse présager que ces mouvements de
recul et de régularisation de la niche vont continuer les années suivantes.
Le risque de déstabilisation provient essentiellement du flanc latéral gauche de la niche et du
sommet de la niche. Des volumes de quelques centaines de m3 sont à prévoir.,Une déstabilisation
plus importante ne peut toutefois être exclue en cas de mouvements plus élevés du glacier rocheux
et/ou de précipitations importantes.
39
VII) Conclusion et recommandations
VI.1) Diagnostic de l’événement de 2015
Les résultats de l’étude montrent que le glacier rocheux du Col du Lou se situe dans une zone où le
pergélisol riche en glace est en cours de dégradation. Le glacier rocheux est très actif, localement
déstabilisé, et a enregistré une augmentation significative de ses vitesses de déplacement depuis les
années 1970, et surtout depuis 2006. Laccélération affecte surtout le lobe Ouest, duquel est parti le
glissement principal. L’événement du 14 août 2015 est donc le résultat d’une évolution amorcée
depuis plusieurs décennies.
Les causes de l’événement du 14 août 2015 peuvent être résumées comme suit:
- le glacier rocheux du Col du Lou, du fait de sa lithologie schisteuse et de sa position au
sommet d’une très forte pente, présente des prédispositions favorables à une déstabilisation;
- le réchauffement atmosphérique enregistré depuis les années 1970-80 et les canicules
estivales répétées depuis 2003 ont agi comme facteurs préparatoires, en provoquant un
réchauffement de la température du sol et un début de dégradation du pergélisol, se
traduisant notamment par des vitesses de déplacement plus importantes ces dernières
années;
- la canicule du début de l’été 2015 a agi probablement comme facteur aggravant, amenant le
site à sa limite de stabilité, notamment par l’approfondissement de la couche active et
l’apport rapide d’eau de fonte saturant la couche active;
- les orages du 14 août 2015 ont agi comme facteur déclenchant, mais dans une situation qui
devait déjà être très proche de la rupture.
Lévénement du 14 août 2015 peut donc être considéré comme un exemple représentatif des effets
de la dégradation du pergélisol sur les glaciers rocheux.
VII.2) Estimation de l’aléa
Le glacier rocheux contient encore beaucoup de glace, surtout dans la partie amont, comme le
montre l’alimentation permanente du torrent. L’ensemble du lobe Ouest présente des signes
nombreux de déstabilisation avancée (crevasses ouvertes).
Les évolutions les plus probables peuvent être décrites comme suit:
Au niveau de la niche d’arrachement du glissement Ouest de 2015:
- à court terme, la niche d’arrachement du glissement va continuer à reculer et se
régulariser, en générant des glissements localisés de quelques centaines de m3;
- un glissement plus important pourrait toutefois se produire à partir de la paroi Ouest
de la niche ou du sommet, en cas de nouvel épisode de canicule.
Au niveau l’ensemble du lobe le plus actif (n° 4 fig. 6):
- l’accélération du mouvement va probablement continuer, sauf si un hiver froid
permet le refroidissement du sol, qui ne serait toutefois qu’une pause dans
l’évolution générale, si l’on s’en tient aux scenarii climatiques probables ;
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- la très forte progression du front pourrait conduire à terme à des glissements du
front. Si ceux-ci se produisent sur la partie gauche la plus active, ils ne devraient
toutefois pas atteindre le ravin du torrent;
- au vu de la très forte fracturation de la surface du lobe, une déstabilisation
généralisée du lobe n’est pas à exclure. Un tel événement mobiliserait
potentiellement des volumes de matériaux très importants. Une partie des matériaux
se propagerait probablement au-delà de la barre rocheuse jusque sur le replat en
contrebas.
Au niveau de la partie amont et de l’arrachement Est de 2015:
- l’important volume de glace présent dans la cuvette amont va continuer à fondre et à
alimenter le torrent. En cas d’apport important, des ravinements pourraient se
produire à nouveau le long du chenal;
- une déstabilisation importante ne semble pas à craindre dans ce secteur en l’état
actuel (absence de crevasses en amont).
VIII.3) Recommandations
Il n’existe aucune solution technique raisonnable pour empêcher la dégradation du pergélisol, ni pour
éviter les phénomènes de déstabilisation qui en découlent.
Il semble possible en revanche d’anticiper des événements futurs éventuels par une surveillance du
site. Dans la poursuite de cette étude, nous préconisons les mesures d’observation suivantes:
contrôler l’évolution par des mesures en continu ou épisodiques:
- mesure annuelle des vitesses de déplacement au DGPS (réseau de points en place)
- mesure continue des températures de surface (réseau de capteurs en place)
- relevés annuels de MNA par drone
Ces mesures pourraient être assurées par l’IGA et par EDYTEM.
surveillance visuelle de l’état du glacier rocheux:
- contrôler l’évolution des crevasses ou l’apparition de nouvelles
- photos régulières depuis les mêmes points de vue.
Cette surveillance pourrait être exercée par le personnel des remontées mécaniques, et en
particulier par les personnels s’occupant du Gazex.
Quelques études complémentaires permettraient de préciser l’épaisseur du corps gelé, et partant les
volumes potentiellement mobilisables en cas de déstabilisation généralisée. Il s’agit en particulier:
une étude géophysique au géoradar, à réaliser en hiver. Cette méthode devrait permettre de
reconnaître le profil du fond rocheux. Elle pourrait être réalisée par l’ADRGT.
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Toutes les conclusions et recommandations sont données sur la base des résultats disponibles au
moment de la rédaction du présent rapport (novembre 2016-janvier 2017). Les estimations de l’aléa
en particulier sont émises sous toutes réserves. On dispose en effet de très peu d’expérience et de
recul quant aux phénomènes liés à la dégradation du pergélisol en montagne, et à la déstabilisation
de glaciers rocheux en particulier. Ce type de phénomène se multiplie depuis quelques années dans
les Alpes, mais chaque cas présente des particularités qui lui sont propres. La compréhension du
comportement d’un glacier rocheux ne peut être vraiment appréhendée que par un suivi à moyen ou
à long terme.
Grenoble, le 25 janvier 2017
Philippe Schoeneich
Professeur, responsable de l’étude
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... Dans le Briançonnais et le Queyras, ils couvrent souvent plus de 30-40 % de la surface des hauts cirques entre 1 800 m et 3 000 m d'altitude. Pour ces plus de 3 200 glaciers rocheux inventoriés dans toutes les Alpes françaises, une analyse des données a souligné les principales caractéristiques suivantes (Marcer et al., 2017) : ...
... C'est pour approfondir cette question des variations saisonnières de vitesse qu'a été mis en place le dispositif de suivi par photogrammétrie automatique. Le traitement des données, actuellement en cours, devrait permettre prochainement de produire et analyser des cartes de déplacement espacées de seulement quelques jours ou quelques semaines (Bodin et al., 2017). Extrait de Bodin, 2007. ...
Book
Full-text available
This book is a synthesis of 40-years surveys in the Combe de Laurichard (Hautes Alpes, French Alps). The study focuses on the present dynamics of talus slope deposits (a new model), snow avalanche deposits and rockglaciers). This rockglacier is one of the most surveyed in the world (velocities, ice content, microclimatology, etc).
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