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Transcrire, écrire:
un système graphique pour les langues des signes.
Patrick Doan, Dominique Boutet, Claire Danet, Morgane Rébulard, Timothée Goguely, Claudia S. Bianchini
Introduction
Les langues des signes (LS) —au nombre de 120 dans le monde selon Ethnologue.org—sont des
langues de l’oral. Le terme “oral” a deux acceptions, l’une sémiotique et l’autre sensorielle. Du point de vue
sémiotique, les LS sont des langues “orales” s’opposant aux langues écrites. Actuellement il n’existe pas
d’écriture spécifique des LS. La forme écrite de la langue des signes française (LSF), par exemple, passe de
manière quasi exclusive par sa traduction en français. Cela pose la problématique d’une domination d’une
langue vocale (LV) majoritaire dans la population (en France le pourcentage de locuteurs de la LSF est de
l’ordre de 0,2% de la population). Outre les nombreuses questions de domination langagière somme toute
classiques que cela soulève, s’ajoute une différence essentielle : le changement de modalités de langue.
Si on considère l’oral non pas dans sa modalité sémiotique, mais dans sa modalité sensorielle de
production et de perception, alors l’oral des LS est gestuo-visuel : on fait sens par des signes gestuels et on
les comprend à travers la vision qu’on en a. Par contre, l’oral des LV, dont le français, est voco-acoustique :
on fait sens avec sa voix et on le comprend à travers l’audition.
Autre différence entre ces deux types de langues, à laquelle nous avons déjà fait allusion : aucune LS
ne possède encore de système d’écriture spécifique. Quelques-unes des raisons de cette absence d’écriture
seront exposées plus bas. Alors que l’écriture des LV nécessite une rupture de modalité entre voco-
acoustique à l’oral et gestuo-visuelle à l’écrit, une écriture des LS pourrait, quant à elle, partager les mêmes
modalités sensorielles à l’oral comme à l’écrit. Cette rencontre des modalités orales et écrites pourrait
favoriser l’émergence d’une écriture dont la raison graphique serait inédites.
Qu’a-t-on comme repère actuel dans les LV pour répondre à cette situation inédite de maintien de
modalité sensoriel (gestuo-visuelle) lors de cette traditionnelle rupture sémiotique entre l’oral et l’écrit ? Les
seuls cas similaires concernent la traduction ou bien l’interprétation. Dans les deux cas, on a un changement
sémiotique, du au passage d’une LV à une autre, qui conserve la modalité sensorielle. L’interprétation passe
de l’oral d’une LV-a vers l’oral d’une LV-b. La traduction fait la même chose mais à l’écrit, cette fois.
En somme l’interprétation/traduction des LV ressemblerait à la transcription pour les LS. Traduction
d’un côté, transcription de l’autre. Reprenons la définition de la transcription donnée par le consortium
IRCOM : “l’image écrite du continuum sonore (langues vocales) ou gestuel (langues des signes, gestualité).
Elle peut être orthographique, phonétique ou (morpho-)phonologique, et peut contenir des informations
périlinguistiques (rires, indications contextuelles…)”. Une écriture à venir de la LS emprunterait donc à la
transcription, de par une modalité sémiotique différente, et en même temps à la traduction, de par la modalité
sensorielle identique. L’écriture des LS instaurerait un entre-deux sémiotique. Comment réfléchir alors à un
système d’écriture qui consisterait en somme à une écriture à voix haute, c’est à dire une écriture dont les
gestes seraient à la fois une inscription et une prononciation du signe LS ?
Nous tentons de répondre à cette situation paradoxale, avec une approche graphique et graphématique,
c’est à dire la plus petite unité distinctive d’un système d’écriture, d’une écriture des LS fondée sur l’analogie.
Un défi majeur, que le statut sémiotique d’une écriture des LS pose, consiste à rapprocher la trace en tant que
signe, de la forme générale dessinée par le geste. Cela afin de prendre en compte de manière optimale les
dimensions orales, c’est-à-dire temporaires, dynamiques et co-articulées, et les dimensions écrites, celles
relevant d’une inscription dans un support spatial, d’un geste moteur déroulé dans un ordre particulier, formant
un schème. Nous verrons que l’analogie comme construction sémiotique émergeant du design typographique
permet de répondre de manière souple à la mise en abyme d’une écriture gestuelle de signes gestuels.
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Écrire/tracer une langue
Inscrire sur un support pérenne
Représenter graphiquement les LS, c’est vouloir rendre compte de phénomènes de sens qui ont lieu dans
plusieurs dimensions de l’espace en plus du temps et le faire sur un support 2D. Les langues des signes,
éminemment orales, sont loin d’avoir trouvé un système d’écriture, pour des raisons liées à leur spatialité et au
fait qu’elles ne sont pas monolinéaires, à la différence de l’ensemble des LV. Par exemple, on peut exprimer à
la fois quelque chose avec sa main droite, une autre chose avec sa main gauche, un positionnement par rapport
à ce qui est dit par une mimique, on anticipe déjà un lieu dont on va parler devant soi en le regardant, tout en
prenant le rôle de quelqu’un d’autre que soi par une orientation particulière du buste.
Changement/rupture de modalité entre l’oral et l’écrit
Aucune des cent vingt LS répertoriées dans le monde n’a développé de systèmes d’écriture propre,
comme on l’a vu. Une raison importante à cela réside dans le fait d’un oral gestuo-visuel et donc spatialisé
pour les LS, contrairement à l’ensemble des LV dans le monde que l’on peut potentiellement toutes écrire et
pour lesquelles leur oral est vocal et donc non spatialisé. Quelles que soient les langues, les référents des
éléments à représenter n’ont que rarement une signature sonore pour les LV. Un objet n’émet pas de bruit en
soi, seuls quelques animaux le font et sont d’ailleurs souvent rendus sous forme d’onomatopées comme
« Cocorico », « Kikeriki » ou « Coq à doodle do ». Vivant dans un monde où globalement les entités qui
nous entourent n’ont pas de signature sonore, il semble alors assez naturel que les LV dont la production est
sonore (vocale) ne soient que très peu marquées par des signatures sonores marginales. Il en va très
différemment des LS. Comme on l’a vu leur oral est gestuo-visuel. Or les référents qui nous entourent ont
très majoritairement une signature visuelle — une forme, une taille —, voire une origine manuelle qui
correspond à une signature gestuelle. Nous vivons dans un monde essentiellement fait de mains d’hommes,
entourés que nous sommes par un monde que nous avons largement fabriqué. Étant donné notre
environnement et ses qualités sonores et visuelles, il semble naturel que les LV aient été fondées sur une
certaine arbitrairité sonore entre le référent qu’elles représentent et les sons émis pour cela et, au contraire,
que les LS soient analogiques des signatures visuelles ou gestuelles des objets qu’elles représentent.
On voit par là que la rupture de modalité sensorielle de l’oral entre les LV et les LS a un impact fort
sur la nature de ces langues : fondé sur un arbitraire des formes pour les LV par rapport au monde
environnant, basé sur l’analogie des formes pour les LS.
Que se passe-t-il pour l’écrit ?
Non soumise à une quasi injonction analogique du côté des LV, l’écrit peut donc être peu ou prou
analogique : idéogrammes chinois, syllabaire, alphabet. Du côté des LS, l’écrit est pris en tenaille par
l’analogie soit par celle des signes de l’oral, soit directement par celle des référents. Les systèmes d’écriture
des LS existants ont envisagé la codification de manières différentes comme nous le verrons plus bas.
Partage des modalités entre écriture et oral des LS, horizon d’une oralité transcrite en actes
Contrairement à la rupture arbitraire engendrée par le changement de modalités des écritures des LV,
il est théoriquement possible pour le locuteur/scripteur de LS d’éprouver une analogie entre le geste de sa
langue et celui de l’écriture. Il peut s’agir même d’une double analogie : l’une, présente de fait, entre la
forme du référent et la forme du signe LS, le signe pour arbre fait directement référence à son apparence, et
l’autre, possible, entre la forme du signe LS oral et celle du signe LS écrit, analogie gestuelle et graphique
exploré dans le projet Photocalligraphie. Cette deuxième analogie prolongera jusque dans l’écriture une des
caractéristiques majeures de ce type de langue, l’iconicité.
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Figure 1. Le signe LS allemand et anglais pour arbre (extraits de Spread the sign [https://www.spreadthesign.com])
Nous distinguons ici l’iconicité et l’analogie en suivant ce qu’en dit Monneret (2003). L’iconicité est
vue comme une ressemblance essentiellement en termes d’images, mais pouvant également être
diagrammatique, définie comme “les relations des parties d’une chose par des relations analogues dans leurs
propres parties” (Peirce 1978, Écrits sur le signe, p. 149). L’analogie, quant à elle, va bien au-delà de l’image
et dépasse la seule ressemblance au profit de constructions.
Figure 2. Schéma du principe d’analogie
Celles-ci, rapportées à l’écriture, peuvent être motrices (en établissant une analogie entre les articulateurs
mis en mouvement dans le signe et ceux mobilisés pour l’écrire), elles peuvent être tracées (seule la similitude
de formes tracées dans l’espace ou sur une feuille compte), elles peuvent être dessinés (figeant en stylisant un
moment clef de l’effectuation d’un signe sur le papier) ou bien elles peuvent être captées (par des procédés
photographiques ou de captation de mouvement en 3D). Les modes par lesquels l’analogie peut être construite
sont variés, les limites résident moins dans l’imagination que dans l´acceptation que les utilisateurs en ont.
Changement : de la trace au tracé
Trace comme dépôt, tracé comme construction du sens
L’écriture / trace qui donne sens devient le stade ultime, voire unique de l’inscription écrite. Depuis la
généralisation de l’impression au plomb et particulièrement depuis celle des imprimantes on ne trace plus les
caractères. Le tracé - la calligraphie - est donc laissé de côté. Or l’inscription d’une forme graphématique —
la plus petite unité d’un système d’écriture, comme le caractère [A] par exemple —dans des formes
glyphiques —les différents dessins typographiques du caractère [A], comme «a, a, A ou A»—ne peut être
envisagée sans le mouvement du tracé qui confère au glyphe tout à la fois son unité et son unicité distinctive
dans un système graphématique (Bianchini, à paraître). La forme du glyphe prend aussi sens dans son tracé.
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Par-delà la place de chaque glyphe dans le système graphématique, le sens se niche également dans
l’acte même d’écrire la forme. Les études qui portent sur le lien entre écriture et lecture et sa perturbation
(Kress, 2003; Longcamp et al., 2008; Mangen & Velay, 2010) insistent sur l’implication neurophysiologique
de l’acte d’écrire dans ses dimensions visuelles, motrices et haptiques. L’apprentissage nécessite une
composante visuelle pour reconnaître la forme de la lettre et une composante grapho-motrice pour mettre en
place la trajectoire de chaque lettre tracée, selon Van Galen (1991). Luria (1973) compare le fait d’écrire en
traçant à une mélodie cinématique. Une autre raison réside dans la comparaison entre, d’une part, la production
écrite qui en moins de 5000 ans d’histoire a subi à peu près autant de mutations que d’outils d’inscription
(calame, burin, stylet, plume, caractère mobile, stylo bille, tapuscrit) réduisant le tracé, lors de ces dernières
décennies, à une touche enfoncée sur un clavier, et, d’autre part, la production vocale qui n’a subi, elle, que très
peu de modifications de mode de production dans une histoire autrement plus longue (entre 100 000 et
700 0000 ans - Dediu & Levinson, 2013). Ce lien structurant toujours entretenu entre la production vocale et le
sens de l’oral n’a plus vraiment cours pour l’écrit pour lequel le mode de production a considérablement
éloigné la forme qui en découlait de la manière dont elle s’écrivait. La trace écrite est désormais désolidarisée
du tracé qui l’inscrivait. Alors que ce lien perdure entre l’appareil phonatoire et acoustique et l’oral, charriant
du sens, il est largement écorné entre l’appareil grapho-moteur et l’écrit, abandonnant de fait une partie du sens
qui le structure. Envisager une écriture des langues signées qui ferait fi de ce constat consisterait à en arracher
la gestualité, au profit d’une simple touche à enfoncer sur un clavier.
Reflux de ce qui donne sens, remontée sur l’acte d’écrire
Remonter de la trace, simple dépôt pour la lecture, vers le tracé, c’est réinscrire l’acte d’écrire dans un réseau
de liens qui convoquent la vision de la forme écrite, qui communique avec la forme articulatoire par laquelle les
phonèmes sont produits (Nobile, 2015), qui relie le son au geste (Peterfalvi, 1965 ; Rizzolatti & Arbib, 1998 ;
Ramachandran & Hubard, 2001) ; qui, de fait, lie le tracé à l’acte d’énonciation vocal ou silencieux en lecture.
Ces liens entre modalités qui existent entre LV et écriture peuvent être (ré-)expérimentés à un niveau
phénoménologique. La mise en acte de l’écriture pour les langues signées rejoindrait très directement
l’oralité. Elles partagent les mêmes modalités sensorielles —gestuo-visuelle. Cette mise en acte peut
également reprendre au moins l’analogie. Le fait d’écrire peut reposer sur le bâti de plusieurs analogies pour
chaque signe. Au fond, tisser un réseau de correspondances à un niveau phénoménologique basé sur le
principe d’analogie à l’œuvre dans les LS, c’est remonter loin dans l’histoire de ce va-et-vient
traduction/transcription entre oralité et écriture : possiblement à un stade pictographique, premier dans le
développement de l’écriture. La question de savoir si une écriture de LS relève de la transcription ou de la
traduction reste ouverte. On a bien à faire à une transcription (écriture de formes proches du signal),
toutefois, la traduction ou l’interprétation opère toujours entre des modalités identiques. La transcription des
productions vocales impose toujours un changement de modalités. De ce point de vue une écriture formelle
des LS emprunte aux deux définitions : elle partage les mêmes modalités avec l’oral ainsi que le même
principe structurant —l’analogie—, elle est une image écrite du continuum gestuel. Examinons deux
systèmes de notation existants pour les LS (SignWriting - Sutton, 1995 - et HamNoSys - Prillwitz et al.,
1989) à l’aune des constats faits jusque-là.
Positionnement parmi les systèmes de notation des LS
Issu de DanceWriting (Sutton, 1999a), un système de notation de la danse, SignWriting (SW
désormais) est défini par son auteur comme un alphabet (Sutton, 1999b) pour écrire les LS. Sa plus grande
force est la richesse avec laquelle il peut décrire toutes les composantes (manuelles et non manuelles) des LS
: il se base en effet sur un ensemble de plus de 35 000 glyphes fortement iconiques agencés dans un espace
2D (appelé “vignette”) qui représente l’espace de signation et où les différents glyphes représentant les
composantes du signe sont disposés dans une sorte de calque de la réalité(voir schéma ci-dessous). L’effet de
calque, amplifié par une écriture du point de vue du producteur du signe, permet une très grande lisibilité de
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SW, puisqu’il suffit de “décalquer” avec son corps le signe inscrit pour le reproduire (pour une analyse
détaillée du système voir Bianchini, 2012).
L’inconvénient de cette forte lisibilité est une très faible scripturalité ou capacité à être écrite. Les
glyphes de SW sont hautement codifiés, riches de détails et leur représentation est déduite de la trace du signe
(sauf pour certains glyphes de mouvement). Il faut donc plusieurs minutes pour écrire une vignette en SW, ce
qui le rend difficile à utiliser pour la rédaction de textes longs. Cette attention à la lisibilité et à la précision
descriptive, associée à une écriture lente et très technique, s’explique par l’origine de SW comme notation des
chorégraphies, puisque le danseur-lecteur doit décrypter rapidement et globalement la notation afin de pouvoir
reproduire exactement ce que le chorégraphe-scripteur a lentement et précisément imaginé, puis inscrit.
a)
b)
c)
Figure 3. (a) Le signe en LS américaine [GOLDILOCKS] («Boucles d’or ») ; (b) en SignWriting et
(c) en HamNoSys (de gauche à droite : configuration, orientation, emplacement, mouvement) [Bentele, 1999]
Le système de transcription HamNoSys (Hamburg Notation System), développé par un groupe de
personnes sourdes et entendantes et publié pour la première fois en 1987 (Prillwitz et al., 1989), propose
quant à lui une approche linéaire proche de l’écriture alphabétique. Basé en grande partie sur un système de
notation, celui de Stokoe (Stokoe, 1960), il se compose d’environ 200 symboles permettant de décrire à un
niveau essentiellement phonétique les configurations, l’orientation, l’emplacement et, virtuellement, le
mouvement de l’ensemble des signes des LS dans le monde.
Si sa linéarité permet une décomposition du signe d’une granularité plus fine que SignWriting,
HamNoSys souffre doublement de manques de lisibilité et de scripturalité, à cause de l’absence d’analogie
avec le corps du signeur (à l’exception des configurations) et du fait qu’il n’a pas été pensé comme une
écriture destinée à usage quotidien, mais comme un outil de recherche scientifique.
Dans notre approche, nous retenons outre l’extrême sobriété avec laquelle la composition glyphique a
été conçue dans HamNoSys, l’idée de l’usage d’un clavier virtuel qui, une fois installé sur l’ordinateur de
l’utilisateur en plus d’une police de caractère dédiée, lui permet de comprendre la structure du système, de
composer lui-même les signes de son choix et de les utiliser au sein de n’importe quelles applications
permettant de saisir du texte.
Une revue des systèmes graphiques existants a permis d’apprécier les avantages de chacun de ces deux
systèmes et avant tout d’affirmer nos choix. En parallèle, à travers un dispositif que nous allons présenter,
nous avons exploré ce qui nous semble être une potentialité graphique nichée dans la LS. Potentialité qui
repose pour l’essentiel sur la modalité gestuo-visuelle de son oral dont l’inscription sur une surface réclame
une technologie de capture appropriée pour que des locuteurs de LS s’en saisissent.
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Ésotérisme du seul mouvement capté, exotérisme de la transcription
Écrire revient non seulement à transcrire la langue selon des conventions graphiques, mais également
à éprouver une nouvelle inscription corporelle du langage par la voie du graphisme. En effet, le geste de
tracer se substitue à la production vocale et se déploie au travers d’une sensorialité entièrement différente et
tournée vers la maîtrise des dimensions graphiques et communicantes du texte. L’écriture, en tant qu’outil
graphique couplé à nos fonctions cognitives, modifie radicalement notre rapport au langage en créant de fait
une rupture de modalité sémiologique, basée, comme on l’a vu, sur des différences de modalité sensorielle.
Pour les LS, le paradoxe du signeur/scripteur partageant, à l’oral comme à l’écrit, les mêmes modalités
gestuo-visuelles nous force à repenser l’écriture des LS comme une transcription de composantes corporelles
basée sur des rapports d’analogies révélateurs du sens (gestes graphiques ésotériques du scripteur). La
transcription des LS pose ainsi la question d’une inscription graphique du geste au travers d’un outil
structurant et stabilisateur qui obéit à certains principes inhérents à l’écriture : le tracé.
Qu’elle soit alphabétique ou idéogrammatique, l’écriture se caractérise, dans sa dimension formelle,
par un système graphique fondé sur les possibilités données par des outils d’inscription et des conventions de
codage formel d’une partie des composantes de la langue. De la fonction communicante, inhérente à son
usage, émerge un impératif initial de lisibilité qui détermine autant le graphisme que le geste graphique.
Parallèlement à cela, la commodité et l’accessibilité de l’écriture sont deux propriétés non intrinsèques qui
apparaissent progressivement au côté du principe central de la lisibilité. Afin de mieux cerner la
problématique de la notation des LS, il est ainsi nécessaire de comprendre comment l’écriture s’est
constituée au travers des contraintes de notre outillage naturel et technologique pour remplir ces fonctions.
Nous développons pour cela une réflexion, à plusieurs niveaux rendant compte de ce couplage entre la
technique et notre activité scripturale, portant sur la lisibilité, la modularité, la scripturalité et la requêtabilité
(automatisation). Ces critères constituent le cadre traduit d’une réflexion prenant racine dans les systèmes
d’écriture des LV appliquée aux modalités gestuelles et formelles des LS.
Le principe de la lisibilité peut se définir comme la capacité d’un signe à remplir une double fonction
de saillance formelle (identification, distinction) et de stabilité visuelle de l’assemblage des signes entre eux
dans l’espace scriptural (dimension sémantique) (Ziviani & Elkins, 1986). La question sémiologique
rencontrée dans l’élaboration des structures graphiques doit ainsi tenir compte de la logique éminemment
combinatoire de l’écriture. Alors que l’arrimage de l’écriture aux LV a profondément conditionné la linéarité
des graphies (Herrenschmidt, 2007) selon un principe lié au flux du langage, les LS, plurilinéaires, nous
imposent de concevoir un espace de représentation multi-synchrone capable d’articuler non seulement les
caractéristiques morphologiques des différentes parties du corps (mains, bouche, visage), mais aussi les
dimensions cinétiques (mouvement, orientation) et topologiques (emplacement) des signes réalisés (Paillard,
1974). Concevoir un instrument accordant autant de paramètres et de natures d’information différentes
requiert de fait une systématique graphique qui se manifeste par une approche modulaire et rationalisée.
En tant que code graphique conventionnel, l’écriture se caractérise par une généricité formelle basée
sur un bâti modulaire. L’histoire de l’invention de l’alphabet illustre ce processus de réduction et de
simplification qui émerge, d’une part, des transformations sémiographiques et phonographiques au sein
d’une culture et, d’autre part, des dynamiques assimilatrices résultantes des échanges culturels et
commerciaux (Calvet, 1998 ; Herrenschmidt, 2007).L’épure graphique qui en découle, associé à la contrainte
de la lisibilité, a permis à l’écriture d’évoluer vers des formes de plus en plus assimilables et donc diffusables
et échangeables (Jackson, 1981). Cette approche permet de conférer à l’écriture cette autre qualité qui est
l’accessibilité. Nous nous intéressons à la fonction symbolique inhérente à une telle démarche qui ne
chercherait pas à posséder l’ensemble des dimensions du réel, mais de le pointer au travers de formes
conceptualisées, rationalisées et forcément génériques. Cette approche schématique constitue une figuration
partielle, mais suffisante, voire nécessaire pour que les différentes composantes graphiques puissent résonner
et raisonner au sein d’un espace graphique modulaire et hiérarchisé(morphologie, position, proportions, voir
l’illustration ci-dessous pour les configurations de la main dans le système Typannot à venir).
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Figure 4. Tableau des composantes du paramètre configuration de la main de Typannot (voir la description
du projet plus loin dans l’article). 9 formes de doigts se déclinent en variations : la forme de doigt seul, la
forme de doigt partiellement répétée pour éviter une superposition des traits, la forme exprimée au niveau
du pouce en posture opposée, la forme exprimée au niveau du pouce en posture non opposée.
Figure 5. Exemple de combinatoire des composantes pour représenter des configurations manuelles.
L’histoire de l’écriture nous rappelle que l’émergence du symbole graphique n’a pu se concevoir sans
une innovation se situant au croisement des couples fonctionnels main/outil et face/langage. Selon Leroi-
Gourhan (1964 et 1965), de nouveaux rapports ont accompagné cette naissance qui débouche sur une
reconfiguration inédite de la main/écriture et de la face/lecture. Ils associent l’homme et la technique
graphique dans une relation de co-constitution d’un nouvel espace de communication et de pensée. Nous
pensons qu’une fondation de l’écriture des LS ne peut avoir lieu sans un processus d’évolution et de
spécialisation du geste au travers d’une activité scripturale enracinée aussi bien dans un rapport visuel que
corporelle à la langue.
Enfin, l’écriture, en tant qu’instrument de communication tournée vers l’efficacité du traitement des
informations, dirige notre regard sur la question de son automatisation via les technologies. L’évolution des
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formes et des techniques de l’écriture rend compte de cette volonté de faciliter toujours davantage son usage.
La révolution de l’imprimerie illustre bien ce mouvement d’automatisation au travers de l’emploi d’une
écriture préfabriquée (Noordzij, cité par Bilak, 2007) remplaçant le labeur du geste. Cette dynamique, qui ne
fait que s’accélérer avec les technologies numériques, redéfinit profondément le potentiel de transcription
donné par l’outil. D’un côté, l’indexation automatique des signes dans le registre universel d’Unicode
impose de penser la requêtabilité du système glyphique dès le départ, c’est à dire la désignation informatique
de chaque composante permettant leur recherche via un outil informatisé. De l’autre, des capteurs
performants nous permettent, non seulement, de contourner les limitations d’un clavier conçu à l’image
d’une machine à écrire (AZERTY), mais de capter et comprendre le geste dans toute sa variabilité et son
dynamisme (par exemple gant numérique, capture de mouvement, etc.).
Ainsi, écrire ou transcrire implique de déterminer jusqu’où l’on peut représenter graphiquement la
langue au travers de l’outil. Ce dernier constitue autant un horizon de possibilités qu’une limitation permettant
l’émergence d’un nouveau mode de pensée objectivé par un système graphématique rigoureux où le geste du
scripteur affleure constamment celui du signeur sans jamais perdre ses principes communicants propres.
Photocalligraphie
À partir de 2008 (de Courville et al., 2010), nous avons exploré la trace en tant qu’entrée dans
l’analogie au sens défini plus haut). Cette conception de l’analogie peut être investie pour l’écriture : si un
geste fait signe dans un système langagier, alors un analogue gestuel écrit cette fois - celui d’un tracé -
devrait non seulement être reconnu comme tracé du signe considéré malgré les anamorphoses subies, mais
devrait, en plus, pouvoir transporter les significations.
Dans cette approche, il s’agit 1/ de capter une trace signifiante de chaque signe, 2/ d’en extraire la
forme figée, y compris dans toutes ses composantes, 3/ d’en dessiner la trajectoire empruntée tout en
agrégeant au dessin le plus d’informations tirées de ces composantes (direction, sens du déroulé, dynamique,
profondeur, rotation éventuelle du poignet...).
Figure 6. Photocalligraphie du signe “disparaître”. La photographie de gauche montre la captation,
celle de droite figure le dessin de la trajectoire empruntée.
Conscients que cette démarche se focalise sur la trace, nous souhaitons nous rapprocher du tracé au plus
près de ce que la dynamique du geste d’écriture permet. Ainsi, et pour ne prendre qu’une dimension, la
dynamique du mouvement dans les signes des LS (tension, accélération, arrêt brusque…) pourrait être rendue
dans le signe graphique par un geste analogue, sans doute réduit et rapporté aux articulateurs mobilisés pour
l’écriture (doigts, main et, dans une moindre mesure, l’avant-bras). Nous nous situons alors dans une analogie
formelle motrice, même si, nous allons le voir, dans le dispositif mis en place, la/es boucle(s) entre trace et tracé
laisse(nt) entrevoir une grande richesse d’exploration et de multiples va-et-vient. On se propose donc de capter
le sens non pas par la seule trajectoire laissée ou par le signe graphique bâti, mais, en amont, par le tracé dans la
mesure où la trajectoire, la dynamique, la direction et les éventuelles rotations des mains sont captées par le
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dispositif photographique. Il s’agit de redonner à la main sa fonction symbolique, par le truchement d’un tracé
fait par un geste analogue à celui par lequel un signe est produit à l’oral.
Pour se faire, un dispositif “photocalligraphique” a été mis en place afin de capturer la trace du geste
dans sa durée, accompagné d’un moniteur permettant au locuteur de visualiser sa production (voir illustration).
Figure 7. Séance de production photocalligraphique suivie d’un entretien avec le signeur/scripteur.
Ce retour rend possible une prise de recul du locuteur sur sa production et donne au dispositif sa
nature scripturale. Sans être un outil d’écriture à proprement parler le dispositif photocalligraphique actualise
le concept de scripturalité inhérente à la gestuelle en LS, française en l’espèce.
Des stratégies spécifiques à ce dispositif ont émergé et prennent la forme d’adaptations (physiques,
spatiales ou temporelles, pour plus de détails voir Miletitch et al. 2013), opérées sur un signe dans le but
d’obtenir une lisibilité maximale de l’image produite ; projection du signe des quatre dimensions du réel
(hauteur, largeur, profondeur et temps) aux deux dimensions du format photographique. Le signeur teste des
aménagements et observe leur impact sur la trace. Si un aménagement est considéré comme efficace, il est
intégré à la stratégie. Chaque signeur ayant son propre niveau d’exigence, le nombre de prises de vue pour
un signe a varié. Par-delà les tactiques inhérentes à chaque signe, des stratégies globales ont émergé au fil de
chaque séance. À mesure que le locuteur se constitue une connaissance du dispositif et un savoir-faire dans
sa manipulation, il devient capable de réactiver des stratégies acquises préalablement, démontrant ainsi
qu’un apprentissage a bien eu lieu.
Deux types de stratégies ont été observés, principalement par réaction à deux contraintes techniques
du dispositif. L’une temporelle, induite par le temps d’exposition (deux secondes) de la photo, qui contraint à
maîtriser l’intensité de la trace ; et l’autre, spatiale, par la position frontale de l’objectif de l’appareil
photographique qui impose la réduction des trois dimensions du geste en deux dimensions.
Ainsi pour l’aspect temporel, le signeur a adapté son signe dans le temps selon trois procédés :
l’accentuation pour faire apparaître nettement les mains par exemple, la décomposition pour marquer des
phases du signe et la suppression de répétition afin d’éviter la superposition des traces.
Pour l’aspect spatial, le signeur a adapté son signe dans l’espace pour rendre une image cohérente du
signe dans l’espace de signation selon trois autres procédés : la rotation, le décalage et l’exagération.
Les stratégies mises en place dépendent directement du rendu visuel de la photographie à pause
longue. Elles visent à assurer la meilleure lisibilité des signes. Par-delà les différences individuelles entre
signeurs, ces stratégies sont partagées. Elles montrent une grande adaptation et une bonne compréhension
au/du support photographique. N’en concluons pas que la lisibilité constitue l’élément le plus important dans
ce potentiel graphique: il s’exprime ainsi à cause de la survalorisation visuelle que provoque le dispositif.
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Typannot
À la suite de cette exploration du tracé pour laquelle la variété d’adaptation de chaque locuteur ne
permet pas de mettre au jour une systématique aisément, d’autres formes d’analogies ont été recherchées, de
sorte à remplir ces quatre exigences évoquées plus haut : la lisibilité, la scripturalité, la modularité et la
requêtabilité. Lisibilité des glyphes qui doivent, d’une part, être distinguables entre eux pour éviter la
confusion de sens (appelée legibility en anglais), et d’autre part, se combiner de manière harmonieuse selon
un principe de continuité formelle (readibility, McMonnies, 1999). Leur scripturalité ou capacité à être écrit,
réponds aux deux prérogatives de la technique calligraphique : la manœuvre de l’outil et l’agencement des
tracés entre eux (Billeter, 2010). La modularité devrait permettre à terme de composer les glyphes qui sont
créés selon chacun des paramètres (configuration de la main, emplacement, mouvement, actions de la
bouche, mimique, regard). Enfin la requêtabilité est essentielle pour les activités de transcriptions de corpus.
Chaque glyphe doit pouvoir être retrouvé (Hoiting & Slobin, 2002)
Ces quatre critères proviennent de constats faits lors de nos expérimentations et des conclusions tirées
des systèmes glyphiques existant pour les LS. Pour répondre à ces quatre critères à la fois, il nous semble
quasi impossible d’adopter une seule analogie pour l’ensemble des paramètres des langues des signes. Au
contraire, l’analogie parce que construite, comme nous l’avons vu, peut reposer sur des schémas adaptés à
chaque paramètre et respectueux des critères énoncés. Les objectifs de Typannot consistent à élaborer un
système de transcription glyphique pour les LS basé sur la notation de la forme des signes. Ce projet
particulier s’inscrit dans une démarche plus générale d’écriture dans la mesure où le système glyphique qui
émergera du projet Typannot servira tout à la fois de boîte à outils, de réflexions sur les principes et de
mesure de leur efficacité. À l’échelle d’une écriture des LS, un tel projet représente au fond une preuve de
concept.
Ainsi, nous avons décomposé le système glyphique de transcription en plusieurs modules, suivant en
cela la décomposition paramétrique faite pour les LS (configuration, emplacement, orientation, mouvement,
mouvement de bouche, mimique, regard) : tout d’abord le plus décrit, le paramètre de la configuration de la
main sur lequel repose l’ensemble des entrées dictionnairiques des LS (Stokoe, 1960 ; Ann, 1996 ; Moody
et al., 1998; Eccarius & Brentari, 2008). S’agissant du paramètre le plus étudié, il présente l’avantage d’être
en inventaire fini, c’est-à-dire que le nombre de configurations existantes pour chaque LS est connu et dans
un nombre délimité. La démarche de bâti glyphique repose pour l’essentiel sur trois étapes. Premièrement,
une approche phonologique (étude des formes d’une langue à un niveau phonétique dès lors que ce niveau
permet de distinguer des mots ou des signes) —quand elle existe —offrant une grande exhaustivité et
l’élaboration de principe de distinctivité productive pour la ou les langue(s) (Stokoe, 1960 ; Sandler, 1987 ;
Eccarius & Brentari, 2008 ; Johnson & Liddell, 2011a, b). Pour la configuration de la main, nous avons
retenu l’approche présentée pour 9 LS par Eccarius & Brentari. Cette première étape donne les principes
d’organisation et au fond délimite la base de données sur laquelle repose la deuxième étape. L’élaboration
d’une formule graphématique intervient dans ce second temps. Cette formule donne la relation à l’écrit du
‘phonème’ dans ces 9 LS. Elle est l’occasion d’un va-et-vient entre formule graphématique et formule
glyphique (troisième étape). Cette boucle au cours de laquelle le design d’information résout des difficultés
de représentation met au jour les phénomènes de rétroaction à l’œuvre dans cette intermédialité de l’écrit et
de l’oral. Si, pour les LV, à cause de cette rupture de modalités entre oral et écrit, les influences réciproques
entre graphisme et parole se font sur un temps long
1
, le partage des mêmes modalités entre l’oral et l’écrit
pour les LS rapproche nécessairement les productions et leurs influences réciproques jusqu’à un temps court.
1
L’évolution de la graphie entre le “u”et le “v”provoque des différenciations de noms propres par exemple :
transformation de ‘Lefebure’en ‘Lefebvre’. La prononciation hésitante pour le mot ‘Gageure’, tantôt dit avec un
‘u’tantôt avec un ‘e’, est due àla raretéd’application de la règle graphique du ‘e’devant la lettre ‘g’pour prononcer ‘j’.
11
La troisième étape, celle des dessins de caractères et de la formule glyphique, parachève finalement le
processus de bâti glyphique sur des bases systématiques avec une traduction analogique. Pour la
configuration de la main, le choix de l’analogie repose sur le dessin et la ressemblance stylisée avec
l’agencement des doigts dans la main (voir l’illustration ci-dessous).
Figure 8. Glyphes de quelques configurations de la main et leurs figurations correspondantes.
Ces trois étapes se retrouvent pour le second paramètre que nous abordons en ce moment :
l’emplacement des segments (main, avant-bras, bras). Nous considérons l’emplacement des segments en début
de signe, comme une mise en place déjà sémiotisée des segments. Il ne s’agit pas d’un silence entre deux mots
comme dans les langues vocales, mais de la mise en place des articulateurs impliqués dans le signe. Les
positions des segments préparent à la fois la forme et la trajectoire du signe, mais règlent aussi de façon
optimale la dépense d’énergie engendrée, c’est-à-dire le contrôle moteur le plus simple, lors de la mise en
mouvement du signe. Le paramètre de l’emplacement prépare et encadre tout à la fois le mouvement à venir
(Boutet, 2001, 2010), un peu à la manière d’un ressort qui se trouverait comprimé dans une direction donnée et
selon un sens particulier, le mouvement de ce ressort se déploie alors selon la tension accumulée et dans une
direction prévisible. Ces deux paramètres - l’emplacement et le mouvement - sont intimement liés l’un albâtre
par dealeur seule successivité. Pour le paramètre de l’emplacement, la première étape, de pure combinatoire, a
consisté à établir l’ensemble des possibilités de placement pour chaque segment selon les trois segments : bras,
avant-bras et main. Les positions impossibles ont été exclues et surtout la combinatoire entre les trois segments
a été précisée. La deuxième étape au cours de laquelle la formule graphématique a été élaborée prépare les
choix de design d’information qui débouche sur la troisième étape, celle des dessins glyphiques. Il n’est pas
utile ici de rentrer dans les détails des principes spécifiques de ce paramètre. L’analogie adoptée ici relève de la
morphologie du bras et de l’avant-bras, c’est-à-dire qu’elle présente les angles et les rapports spécifiques de
l’un à l’autre. Il convient également de rappeler que cette méthodologie en trois étapes semble robuste pour
bâtir des systèmes glyphiques pour la LS. En considérant que des allers-retours entre les niveaux très
linguistiques d’inventaire des possibles, sémiotique de la formule graphématique et design typographique pour
la formule glyphique constituent une nécessité autant qu’une exploration intermédiale.
Par delà les formules glyphiques pour les autres paramètres, les choix analogiques entre les glyphes et
la réalité du paramètre représentés ont variés ; ils vont de la vision quasi en décalque (glyphes de la
configuration de la main), jusqu’à l’intégration du geste par lequel le signe est effectué, en passant par
l’utilisation d’une surface analogique (outil traçant) pour dessiner du bout du doigt la position atteinte à
l’emplacement initial.
12
Conclusion
On a vu la nature essentiellement spatiale des LS et l’inadaptation de nos écritures - faites pour les
LV - à rendre compte des phénomènes spatiaux et non monolinéaires de ces langues gestuelles. Une
caractéristique importante des écritures réside dans la rupture de modalités avec les langues qu’elles
représentent. Voco-acoustiques, les LV n’ont aucune modalité commune avec leurs écritures : gestuo-
visuelle. En revanche les langues des signes partageraient les mêmes modalités avec leur écriture. Gestuo-
visuelle pour l’oral comme pour l’écrit, ce partage inédit de modalités ouvre un nouveau rapport entre les
productions orales et leur écriture. Dans un entre-deux, l’écriture des LS pose la question de son niveau
sémiotique entre la transcription —vue comme la notation fidèle d’un signal —et la traduction sur une
surface 2D de gestes à l’œuvre. Ces modalités communes offrent la possibilité d’exploiter la dimension
iconique des LS en la déplaçant vers l’analogie, autrement plus productive parce que fondée sur des
constructions. Les exemples de notation avec une analogie unique (SignWriting et dans une certaine mesure
HamNoSys) révèlent leur déséquilibre. L’analogie comme construction peut prendre différentes formes pour
l’écriture : motrice, tracée, dessinée, captée. La limite de ces choix dépend des quatre critères que nous nous
sommes fixés au regard de la littérature et des systèmes existants : lisibilité, scripturarité, requêtabilité et
modularité des composantes. Une méthodologie nous permet désormais de bâtir chaque système glyphique
tout en recherchant l’analogie la plus adaptée à chaque paramètre.
Remerciements
Cet article s'inscrit dans le cadre des travaux du projet Typannot, soutenu par le Ministère de la
Culture (Délégation générale à la langue française et aux langues de France), le Conseil régional Haut de
France et l'École Supérieure d'Art et de Design d'Amiens.
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