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Gesnerus
SwissJournal
of theHistory
of Medicine
and Sciences
Vol. 73 (2016)
NO2
www.gesnerus.ch Schwabe Verlag Basel
The Frontiers of Amateur Science (18th–20th Century)
Hervé Guillemain, Nathalie Richard: Towards a Contemporary
Historiography of Amateurs in Science
Claire Gantet: Ni pédants, ni amateurs? Les journaux de psychologie
en Allemagne
Anne-Gaëlle Weber: Savants et amateurs ornithologues
Volny Fages: L’affaire Chacornac, ascension et stigmatisation
d’un astronome
Loïc Casson: L’entomologie autour de 1900, une science d’amateurs?
Jacqueline Carroy: La psychologie de Marcel Sembat
Philippe Le Vigouroux, Gabriel Gohau: De l’amateurisme en géologie
Rémy Amouroux: Anne Berman (1889–1979), secrétaire du mouve-
ment psychanalytique
Book Reviews, Books Received
360 Gesnerus 73 (2016)
Gesnerus 73/2 (2016) 360–375
Anne Berman (1889–1979), une «simple secrétaire»
du mouvement psychanalytique français?
Rémy Amouroux
Summary
This article is focused on the gure of personal secretary in the history of
science with the example of Anne Berman (1889–1979) who was, between
1933 and 1962, the secretary for the psychoanalyst Marie Bonaparte (1882–
1962). Berman was not a psychoanalyst and psychoanalytic historiography
considers her as a minor gure. However, her career as a personal secretary
and her role in the French psychoanalytic movement should be considered
inconjunction with her involvement with the feminist movement. This phar-
macist by training has indeed played a prominent role within the Soroptimist,
which was a movement that championed the professional interest of women
andprides female excellence. In the case of Berman, the status of personal
secretary did not enable her to gain lasting recognition by psychoanalysts, but
only a weak and fragile legitimacy.
Keywords: Anne Berman, Personal Secretary, Translation, Psychoanalysis
Rémy Amouroux, Université de Lausanne, Geopolis, Institut de Psychologie, CH-1015
Lausanne (remy.amouroux@unil.ch)
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Résumé
Cet article s’intéresse à la gure du secrétaire particulier dans l’histoire des
sciences à travers l’exemple d’Anne Berman (1889–1979) qui fut la secrétaire
de la psychanalyste Marie Bonaparte (1882–1962) de 1933 à 1962. Berman
n’est pas psychanalyste et l’historiographie psychanalytique en fait donc un
personnage de second plan. Cependant, sa carrière de secrétaire particulière
et son rôle au sein du mouvement psychanalytique français gagnent à être
misen parallèle avec son engagement au sein d’un réseau de femmes. Cette
pharmacienne de formation a en effet joué un rôle considérable au sein des
Soroptimist, un mouvement qui défend les intérêts professionnels des femmes
et prône l’excellence féminine. Dans le cas d’Anne Berman, le statut de
secrétaire particulier n’a pas permis d’accéder à une reconnaissance durable
par les psychanalystes, mais seulement à une forme de légitimité partielle et
fragile.
Introduction
L’histoire de la psychanalyse est essentiellement centrée sur la gure de
Sigmund Freud. Cette focalisation a été critiquée et il existe des propositions
historiographiques alternatives pertinentes.
1
L’une des manières de procéder
pour pallier cet écueil consiste à opter pour une «histoire par le bas». Cela
implique de prendre au sérieux des individus habituellement considérés
comme «modestes» ou comme «profanes» et pas seulement les «grands
hommes» qui sont célébrés par la discipline. A ce sujet, les travaux initiés
par Roy Porter sur le point de vue des patients ont permis de mieux
comprendre l’histoire des pratiques et des savoirs «psy».2
Qu’en est-il des secrétaires particuliers? S’agit-il d’une de ces catégories
d’individus considérés comme mineure dont nous parlions précédemment?
En effet, les secrétaires particuliers, par le poste qu’ils occupent, sont à la fois
très proches et très éloignés des acteurs ofciels du mouvement. Proches
parce qu’ils accompagnent leur «employeur» au quotidien et qu’ils ont tout
loisir d’observer ce que l’on réserve habituellement aux plus intimes. Eloignés
car le statut de secrétaire implique une hiérarchie naturelle dans la relation
qui, dès lors, ne saurait être comparable à celle que l’on entretient avec ses
1 Citons notamment le célèbre livre d’Henri Ellenberger (1994) ou encore les travaux plus
récents de Lydia Marinelli et d’Andreas Mayer (2009) qui tous les deux brisent le mythe d’un
Freud isolé, se frayant un passage dans un milieu hostile.
2 Porter 1985.
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pairs. C’est donc par dénition un acteur invisible – ou en tout cas peu
audible – dont le rôle est difcile à évaluer.
Dans ce travail, nous étudierons en détail la trajectoire professionnelle
d’Anne Berman qui fut la secrétaire de la psychanalyste Marie Bonaparte
(1882–1962) de 1933 à 1962. Berman n’est pas psychanalyste mais elle est une
femme éduquée, docteure en pharmacie et polyglotte. Elle est aussi engagée
dans la vie publique notamment au sein du mouvement Soroptimist qui
défend les intérêts professionnels des femmes et prône l’excellence féminine.
Dans l’historiographie psychanalytique, elle est surtout connue pour ses
traductions en français de l’œuvre de Sigmund Freud qui, après avoir fait
référence, furent progressivement abandonnées. Berman serait une pionnière
dont les choix de traductrice révèlent le statut d’amateur. Pourtant, en suivant
au plus près la carrière de Berman, on peut aboutir à une perception diffé-
rente et à une tout autre interprétation quant au statut de ses traductions.
A travers cet exemple, il s’agira d’explorer la gure du secrétaire particu-
lier dans l’histoire des sciences, et plus particulièrement dans l’histoire des
sciences du psychisme. Je tenterai de montrer que, dans le cas de Berman, il
ne s’agit pas d’un simple travail d’exécutante sans aucune autonomie, mais
bien d’une manière originale de participer au débat scientique. Pour ce
faire, je commencerai par m’interroger sur la fonction de secrétaire dans
l’histoire des sciences, puis je m’intéresserai aux différentes carrières de
Berman tant dans le milieu de la psychanalyse française qu’au sein d’un
réseau social féminin, enn je développerai plus particulièrement son travail
contesté de traductrice de textes psychanalytiques.
La gure du secrétaire particulier
Affranchi, éminence grise ou simple employé de bureau?
C’est à Tacite, l’historien et sénateur romain du premier siècle, que l’on
attribue l’une des premières dénitions d’une fonction proche de ce que
l’onappelle aujourd’hui le secrétaire particulier. Il rapporte en effet que les
patriciens romains avaient recours aux services d’«affranchis employés
auxaffaires condentielles».
3
L’«affranchi» désigne ici un esclave auquel ona
octroyé la liberté, ce qui prégure le rapport hiérarchique entre le secrétaire
et celui qui l’emploie. Ce serviteur s’occupe par ailleurs des «affaires con-
dentielles» de son employeur ce qui implique qu’il s’agit d’un travailleur de
l’ombre qui exerce en «service commandé».
3 Blanc-Sanchez 1992.
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Dans l’historiographie, la majorité des travaux disponibles sur les secré-
taires particuliers portent sur des acteurs politiques de l’Ancien Régime
dontle rôle a été sous-estimé. Ainsi, pour citer un exemple parmi d’autres,
Poisson
4
a mis en évidence le rôle crucial des secrétaires-interprètes de
l’ambassadeur de France à Soleure en Suisse dans la seconde partie du
XVII
e
siècle. Ici, c’est le rôle de conseiller personnel qui semble déterminant.
L’exemple le plus célèbre est probablement celui du Père Joseph, le secrétaire
du cardinal de Richelieu. François Leclerc du Tremblay, plus connu sous le
nom de Père Joseph, fut un moine capucin proche condent du cardinal.5
Ildoit son surnom «d’Eminence grise» à la couleur de sa robe de bure et au
pouvoir dont il aurait joui en tant que proche conseiller de «son Eminence»,
le cardinal de Richelieu.
Enn, au milieu du XIXe siècle, la diffusion de la machine à écrire et
dutéléphone ainsi que des modications de la structure du marché de l’em-
ploi ont participé à l’émergence d’une nouvelle profession: le secrétaire de
bureau.6 Cette activité, initialement réservée aux hommes, a rapidement
évolué et s’est féminisée. Le terme de secrétaire désigne alors des femmes
employées de bureau chargées de rédiger le courrier mais aussi d’aider à
l’organisation générale et à la bonne tenue des affaires de leur employeur.
Comme le note Pinto,7 outre ses compétences techniques, la secrétaire est
une employée qui doit s’appuyer sur ses qualités féminines relationnelles
pour «enchanter» – adoucir – les relations dans un milieu où la concurrence
«virile» est la règle.
Le secrétaire de savant
Il y a peu de travaux dans l’historiographie portant spéciquement sur les
secrétaires de savants. Il s’agit généralement d’hommages à des personnes
auxquelles les historiens sont redevables car ils ont préservé tout ou partie
del’œuvre de leur maître. Ainsi, l’historien de la physique Gerald Holton
souligne sa gratitude pour Helen Dukas, la secrétaire d’Albert Einstein
pendant près de trente ans, à qui on doit la préservation d’une partie des
archives du célèbre physicien.8 Dans la même veine, Léonie Razet, qui fut la
secrétaire de Marie Curie, est souvent créditée dans l’historiographie pour
le rôle «important» qu’elle a joué.9 Dans ces deux cas, faute d’informations
4 Poisson 2010.
5 Pierre 2007.
6 Pinto 1990; Gardey 1999.
7 Pinto 1990.
8 Holton 20 07.
9 Pigeard-Micault 2013.
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précises, il semblerait que leur contribution se limite à la gestion habile des
affaires courantes durant leur vie professionnelle et à la constitution des
archives après le décès de leur ancien employeur. Ici encore, la féminisation
de cette profession est importante à noter. En effet, ces proches collabo-
rateurs sont le plus souvent de proches collaboratrices qui évoluent dans
un milieu où ce sont les hommes qui dominent sans partage le monde
aca démique. Pour se faire une place dans ce domaine, les femmes ont fré-
quemment dû se limiter à certains domaines considérés comme féminins,
ouencore accepter d’avoir une reconnaissance limitée des milieux acadé-
miques.10 Ainsi, à défaut de pouvoir exercer comme des actrices légitimes,
certaines de ces femmes ont investi des lieux à l’écart des institutions
savantes, faisant par exemple de leur foyer un laboratoire pour l’observation
des enfants.11 De même, ces secrétaires de savants ont pratiqué une forme
descience en dehors des milieux académique, à la frontière de l’amateurisme,
en assistant leur employeur dans les différentes tâches requises par la
recherche scientique. Cet amateurisme peut d’ailleurs peut-être même être
vu comme un choix raisonnable
12
compte tenu du contexte fort peu favorable
au développement des carrières académiques féminines.
Le secrétaire du «psy»
Otto Rank, s’il ne fut pas réellement le secrétaire particulier de Freud, est
devenu à l’âge de 22 ans, en 1906, le secrétaire de la Société Psychanalytique
de Vienne.
13
Freud a donné à Rank une place toute particulière dans le mou-
vement psychanalytique. Il lui paie ses études universitaires et le nomme
secrétaire de la première société psychanalytique. De 1910 à 1915, Rank est
chargé d’établir le compte rendu détaillé – les «Minutes» – des soirées du
mercredi chez Freud. Ce n’est pas un simple titre honorique mais un travail
qui va lui permettre d’entreprendre des études universitaires. Cependant,
Rank obtient en 1912 un doctorat en psychologie et a exercé en tant que
psychanalyste avant de se brouiller avec le fondateur de la psychanalyse. A
ce titre, s’il fut un temps un protégé et un proche collaborateur de Freud, il
est par la suite devenu un membre à part entière de la société savante. Ainsi,
il ne correspond pas à proprement parler à la dénition de secrétaire par-
ticulier que nous évoquions précédemment. Le cas de Gloria Gonzalez, la
secrétaire particulière de Jacques Lacan de 1948 à sa mort, est probablement
10 Carroy/Edelman/Ohayon/Richard 2005.
11 Oertzen 2013.
12 Pomata 2 013.
13 Lieberman 1985.
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plus intéressant.14 D’abord au service de Sylvia, la lle de Lacan, Gloria va
progressivement devenir une proche collaboratrice du théoricien du «retour
à Freud». De plus, Gloria semble avoir joué un rôle actif auprès des analy-
sants de Lacan: «Quand il reçoit ses patients, elle ouvre la porte puis sur-
veille du coin de l’œil les déplacements de tous et de chacun […] Elle calme
lesagités, console les anxieux ou accompagne dans l’escalier les candidats à
la dépression.»15 Il y a en effet beaucoup de témoignages de son rôle
«apaisant».
16
En plus de Gloria qui a joué, auprès de Lacan, davantage le rôle
d’assistante personnelle que celui de secrétaire, on peut aussi mentionner
Maria Pierrakos. Cette dernière fut pendant douze ans sa sténotypiste. Elle
fut notamment chargée de retranscrire les fameux séminaires du maître tout
en poursuivant des études de psychologie et une formation d’analyste.17 Ces
exemples semblent donc bien corroborer l’hypothèse que certaines de ces
secrétaires de savants (ici de psychanalystes) ont pu bénécier – directement
ou indirectement – de leur position pour faire carrière et passer du statut de
collaborateur à celui de pair. Comme nous allons le voir, le cas de Berman va
dans le même sens.
Anne Berman, la Société Psychanalytique de Paris et le mouvement
Soroptimist
Une secrétaire dévouée
Comment cette pharmacienne est-elle devenue la secrétaire d’une des pion-
nières de la psychanalyse en France? On dispose de peu de travaux portant
spéciquement sur Anne Berman.18 Le 10 janvier 1927 où Berman devient
latoute première adhérente de la Société Psychanalytique de Paris (SPP).
Pourquoi cette femme qui n’est ni psychanalyste, ni médecin, ni psychologue
s’est-elle afliée à ce groupe? Berman est proche de plusieurs pionniers de la
psychanalyse française, notamment d’Odette et de Henri Codet, mais aussi
et surtout d’Adrien Borel avec qui elle entretint une liaison amoureuse pen-
dant plusieurs années. Au début de l’année 1930, Anne Berman entreprend
une psychanalyse avec Marie Bonaparte qui se terminera à la n de l’année
1932. Au cours de l’été 1933, Berman devient ofciellement la secrétaire de
la princesse de Grèce, succédant ainsi à un jeune homme du nom de Sello
14 Roudinesco 1994.
15 Roudinesco 1994, 305.
16 Godin 1990; Haddad 2002; Rey 1989.
17 Pierrakos 2003.
18 Bourgeron 2005.
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Frenkel. Cette activité, loin d’être un hobby intellectuel, va progressivement
occuper une bonne partie de l’emploi du temps de Berman. En effet, s’il s’agit
d’abord uniquement de gérer l’abondante correspondance de Bonaparte,
Berman va petit à petit étendre son champ de compétences: ses talents de
polyglotte en font une assistante de choix pour les traductions de Freud
surlesquelles travaille Bonaparte, mais c’est surtout sa connaissance ne du
milieu psychanalytique qui va faire de Berman une sorte de conseillère per-
sonnelle. Bonaparte étant souvent en voyage, Berman la représente à Paris
et l’informe presque quotidiennement de la vie tumultueuse du mouvement
psychanalytique français. Cet engagement implique nécessairement une
forme substantielle de rémunération. Elles ne parlent jamais directement de
cela, mais tout semble indiquer que Bonaparte, qui a la réputation d’être
généreuse, salarie Berman.
De 1933 à 1962, elles entretiennent toutes les deux une abondante corres-
pondance où on peut suivre l’histoire du mouvement psychanalytique fran-
çais – notamment celle de la Société Psychanalytique de Paris – sous un angle
original. Ce groupe de pionniers, créé en 1926, est à l’origine du développe-
ment de la psychanalyse en France. Composé d’hommes, médecins de sur-
croit, c’est un milieu où la place d’une femme sans diplôme universitaire,
comme Bonaparte, ne va pas de soi. Sa fortune, son réseau social, son amitié
avec la famille Freud, et son indépendance d’esprit vont lui permettre de
jouer un rôle décisif. Cette descendante de l’Empereur mariée au prince
deGrèce et du Danemark, va réussir à se faire une place de premier ordre et
à participer à la mise en minorité de ceux qui souhaitent que le mouvement
français prenne ses distances avec la stricte orthodoxie freudienne.19 D’une
manière générale, loin d’être une simple mécène, Marie Bonaparte a dura-
blement marqué la première génération de psychanalystes français. Elle est
alors reconnue pour ses travaux sur la sexualité féminine, sa conception
d’une psychanalyse ancrée dans les sciences naturelles ou encore son enga-
gement pour l’exercice de la psychanalyse par les non-médecins. Berman
estalors aux premières loges de ce débat intellectuel. Elle n’y participe pas
directement mais y apprend sûrement beaucoup et échange fréquemment
surces sujets. Si elle n’a jamais été une théoricienne ou une praticienne du
mouvement, Berman est cependant à l’origine d’un nombre très important
de traductions de textes de psychanalystes. Il est probable que Bonaparte,
constatant ses talents linguistiques dans ses fonctions de secrétariat, l’ait
encouragé à traduire des textes. Rien ne semble indiquer en effet que Berman
ne dispose d’une formation professionnelle en langues. En outre, elle s’oc-
19 Ohayon 1999.
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cupe dès 1934 – l’année de sa création – du secrétariat de l’Institut de Psycha-
nalyse et devient secrétaire de la Revue Française de Psychanalyse (RFP) de
1948 à 1969. Il est étonnant que cette collaboratrice personnelle d’un des
membres de la SPP ait pu occuper ces fonctions qui semblent plutôt devoir
être réservées à un membre titulaire de la société. Berman semble avoir
occupé un statut ou entre celui de collaboratrice et de membre à part
entière. Elle est d’ailleurs nommée membre titulaire de la SPP en 1949. Cette
nomination est surprenante car, contrairement à tous les autres membres
titulaires, Berman n’est pas psychanalyste. Elle a certes été analysée mais n’a
pas suivi une formation de psychanalyste. Pourtant, il ne semble pas qu’il
s’agisse d’une erreur car Anna Freud lui écrit à cette occasion une lettre de
félicitation.20 Malgré ce message enthousiaste, dès l’année suivante et sans
que l’on puisse trouver d’élément d’explication, son nom disparaît de la liste
des membres titulaires de la SPP. Elle continuera à travailler auprès de
Bonaparte jusqu’au décès de cette dernière.
Une militante de l’excellence féminine
Cette première série d’informations biographiques fait cependant l’impasse
sur tout un pan de la vie professionnelle de Berman: sa carrière au sein du
mouvement des Soroptimist. Car avant d’être la secrétaire personnelle de
Bonaparte, Berman est d’abord une femme éduquée et ambitieuse. Ainsi,
après avoir obtenu une licence de lettres, elle fait des études de pharmacie,
soutient une thèse en botanique sur la «famille des Borraginacées»
21
et entre
à l’hôpital Sainte-Anne en qualité de pharmacienne-adjointe dans le labo-
ratoire d’Edouard Toulouse, où elle restera jusqu’en 1924. Elle acquiert alors
la pharmacie Souffron rue de Miromesnil à Paris où elle va exercer pendant
de nombreuses années. A la n de son analyse avec Bonaparte, elle hésite
entre un poste de pharmacien des prisons et un poste de pharmacien-chef à
l’hôpital de Grenoble. Mais, à lire leur correspondance, on comprend que
ces deux postes ne l’intéressent pas sufsamment, nancièrement et intel-
lectuellement. C’est à ce moment là – en 1933 – qu’elle devient la secrétaire
particulière de Bonaparte. En 1940, elle est interdite d’exercer en tant que
pharmacienne, probablement à cause de ses origines juives. Elle ne se sépa-
rera pourtant de sa pharmacie qu’au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
Par ailleurs, elle s’investit dans différents domaines et sera déléguée des
pharmaciens à la chambre syndicale. Cependant, c’est surtout son engage-
20 Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 10.12.1949, Bibliothèque Nationale de France
(BNF), fonds Marie Bonaparte.
21 Berman 1926.
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ment chez les Soroptimist qu’il semble important d’explorer ici. Soroptimist
est la contraction de l’expression latine «sorores ad optimum», que l’on peut
traduire par «sœurs pour le meilleur». Cette organisation est fondée en 1921
par Violet Richardson Ward aux Etats-Unis dans l’état de Californie. Elle
prône l’excellence intellectuelle, morale et professionnelle des femmes. C’est
par l’intermédiaire de Suzanne Noël, une femme médecin, que le premier
«club» français – et européen par la même occasion – voit le jour à Paris en
1924.22 Pendant la Première Guerre mondiale, Noël s’initie aux techniques
de la chirurgie réparatrice auprès des «gueules cassées» et, par la suite,
s’engage auprès des suffragettes.23 Au sortir de la guerre, elle devient une
pionnière de la chirurgie esthétique qu’elle conçoit comme une pratique
progressiste.24 Parmi les autres membres du mouvement Soroptimist en
France, on trouve des femmes militantes politiques comme par exemple
Cécile Brunschvicg qui, en 1936, est l’une des trois premières femmes à siéger
dans un gouvernement français, ou encore Germaine Poinso-Chapuis qui
futen 1947 la première femme ministre en France. Il y a aussi des artistes
comme la poétesse Anna de Noailles et la couturière Jeanne Lanvin, mais
aussi des juristes comme Marcelle Kraemer-Bach et Yvonne Netter, ou
encore des psychanalystes comme Blanche Reverchon-Jouve ou Juliette
Favez-Boutonnier. Toutes ont en commun d’être des pionnières ou d’exceller
dans leur exercice professionnel. Elles ne sont cependant pas toutes célèbres.
Ainsi, dans le numéro du bulletin français des Soroptimist où se présente
Anne Berman en 1928, on trouve aussi une Madame Jouannin qui possède
des «dons exceptionnels d’industrielle»25 dans le secteur émergent du com-
merce des réfrigérateurs, ou encore mademoiselle Terrier qui est traductrice
de l’anglais. Anne Berman va jouer un rôle non négligeable au sein des
Soroptimist françaises. La consultation du bulletin français du mouvement
montre en effet qu’elle est fréquemment présente aux réunions et qu’elle a
participé activement à la vie du groupe. Elle a d’ailleurs occupé dans les
années 1950 les postes de secrétaire et de vice-présidente de l’Union Natio-
nale Française des Soroptimist. A ce titre, son engagement dans le mouve-
ment psychanalytique français peut apparaître comme secondaire comparé
à celui dont qu’elle a occupé au sein des Soroptimist. En effet, alors qu’elle
22 Jacquemin 1988 .
23 Guirimand 20 05.
24 Suzanne Noël (Noël, 1926) conçoit la chirurgie esthétique comme une «thérapeutique
progressiste» qui s’adresse en particulier aux femmes qui ne souhaitent pas renoncer à leur
apparence corporelle. Elle propose ainsi ces interventions autant aux femmes aisées et
privilégiées qui pensent le physique est un atout dans leur exercice professionnelle, à des
résistantes qui souhaitent changer de visage pendant l’occupation, ou encore aux rescapées
des camps de concentration dont le corps a été ravagé par la guerre.
25 Soropt imist-C lub, 1928.
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est une actrice légitime et reconnue de l’Union féminine des intérêts pro-
fessionnels, son statut au sein de la SPP est plus ou. Certes, elle y occupe
certaines fonctions assez importantes comme celle de secrétaire de la RFP
ou de l’Institut de psychanalyse, mais elle reste l’employée de Marie Bona-
parte et n’a jamais été considérée comme une «véritable» psychanalyste.
Traductions savantes et traductions amateurs
Une traductrice «pour le meilleur»
L’engagement de Berman au sein du mouvement psychanalytique français
semble être une mise en pratique à la lettre de la philosophie générale
des Soroptimist. Comme d’autres membres qui furent des pionnières dans
leur propre domaine, Berman est, au sujet des traductions de Freud, une
«sœur pour le meilleur» pour reprendre la devise de son club. C’est d’ailleurs
comme «traductrice» de «travaux scientiques et philosophiques»26 qu’elle
seprésente dans le registre des membres des Soroptimist françaises à partir
de 1947. Comme l’a écrit Alain de Mijolla, Anne Berman «[…] va devenir
la traductrice attitrée de Freud en français, car elle bénécie de l’appui
inconditionnel de Marie Bonaparte».27 Une analyse de la RFP entre 1927 et
1962 permet de conrmer l’afrmation de Mijolla. C’est Anne Berman qui
arrive en tête du nombre des traductions, un peu moins d’un quart – 15 sur
les 67 traductions de la période – des articles traduits. Outre les productions
de Berman, on trouve principalement celles de Marie Bonaparte (12 traduc-
tions), celles d’Henri Hoesli (10 traductions). Hoesli est un protégé de Marie
Bonaparte. Ce Suisse originaire du canton de Glaris fut en effet le précep-
teur de Pierre de Grèce, le ls de la princesse. Cette dernière l’a par la suite
soutenu nancièrement dans son projet d’entreprendre des études univer-
sitaires de médecine à Paris.28 Hoesli deviendra par la suite membre de la
SPP. En contrôlant les traductions, et notamment en s’adjoignant les services
de proches collaborateurs qui peuvent faire ce travail à sa place, Bonaparte
peut défendre et imposer sa propre conception de la psychanalyse. Pour
Berman et Hoesli, c’est aussi un moyen d’obtenir une reconnaissance liée
au prestige de voir leur nom associé à celui de Freud. D’ailleurs, sans
sous-estimer le rôle de Bonaparte, le travail de Berman est particulièrement
conséquent en lui-même: sur la période qui nous intéresse, celle-ci peut être
26 Soroptimist-Club, 1947.
27 Mijolla 1991, 253.
28 Bertin 1982.
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considérée comme «la» traductrice ofcielle française car c’est elle qui signe,
ou co-signe, le plus de traductions dans la RFP et ailleurs. Ainsi, son travail
est sufsamment reconnu pour que ses collègues de la SPP lui remettent
unprix qui récompense l’ensemble de ses traductions. Elle reçoit en effet en
1964 le prix Maurice-Bouvet dont elle est d’ailleurs la seule récipiendaire
àne pas être psychanalyste.
Le marché convoité des traductions de Freud
L’hégémonie de Bonaparte et Berman va progressivement être remise en
question. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’inuence de la prin-
cesse n’est plus la même. En effet, Marie Bonaparte s’est exilée pendant
plusieurs années en Afrique du Sud et, lorsqu’elle revient en France, le mou-
vement psychanalytique français est à l’aube d’une série de bouleversements
comme la scission de 1953.
29
Les membres fondateurs de la SPP se font rares,
beaucoup sont décédés ou ont quitté la France. De nouveaux acteurs appa-
raissent et les traductions vont devenir l’un des enjeux notoires de cette
reconguration des pouvoirs et des inuences de chacun. Ainsi, Daniel
Lagache, un médecin psychiatre normalien à l’origine de la première licence
de psychologie en France, recommande à Anna Freud certaines personnes
pour des traductions.30 De même, Maryse Choisy, une journaliste et écri-
vaine qui s’est intéressée de très près la psychanalyse notamment en créant
la revue Psyché en 1947, contacte elle aussi la lle de Freud pour s’enquérir
de la possibilité de traduire certains textes.31 L’attitude de Berman au sujet
est tout à fait éloquente. Apprenant notamment que Lagache souhaite intro-
duire de nouveaux candidats pour les traductions, elle écrit à la princesse:
Mais pourquoi diable coner des travaux semblables à des personnes qui ne connaissent ni
la psychanalyse, ni le français? Ne pourrait-on réserver les droits de traductions à vous-
même et à moi?32
Assez rapidement ces candidats contactent directement des maisons d’édition
avec des projets précis. En réponse à des demandes insistantes des Presses
Universitaires de France, Berman se montre tout aussi catégorique:
«J’ai dit et je suppose que vous m’approuvez qu’Anna Freud et vous même ne consen-
tiriezpas à ce qu’une autre que moi traduisent les ouvrages comme certaines semblent le
proposer.33
29 Ohayon 1999.
30 Lettre d’Anne Berman à An na Freud du 14.01.1949, fonds An na Freud, Library Of
Congress (LOC).
31 Lettre de Mar yse Choisy à Anna Freud du 22.12.1946, LOC.
32 Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 19.07.1947, BNF.
33 Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 25.01.1948, BN F.
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A la même période elle échange fréquemment avec Anna Freud pour la tra-
duction française d’articles et d’ouvrages. Elle lui rend notamment visite à
Londres à l’occasion de réunions organisées par les Soroptimist. Pourtant,
malgré les afrmations véhémentes de Berman, il n’est plus possible de conti-
nuer à contrôler l’ensemble des traductions françaises. Par exemple, n 1950,
Paul Jury écrit à Anna Freud pour lui dire qu’avec Ernest Fraenkel il a
traduit Inhibition, symptôme et angoisse de Freud34 et qu’il souhaite savoir
sesconditions concernant les droits d’auteur.35 Berman et la princesse sont
alors en train de traduire ce texte mais, mises devant le fait accompli, elles
serésolvent à abandonner leur projet, du moins en apparence. Une fois la
traduction imprimée, Bonaparte et Berman posent leur véto: le texte de Jury
est trop mauvais pour être mis en vente. Ce dernier ne compte pas se laisser
faire et menace les PUF de procès. Berman est chargée d’établir la liste des
erreurs de traduction de Jury.36 En octobre 1953, après négociation, le livre
est mis en vente avec une feuille d’erratum.37 Comme cet exemple l’illustre,
le contexte a changé: la princesse, qui décédera moins de dix ans plus tard,
n’a plus la même inuence qu’auparavant. Après la disparition de la prin-
cesse, Berman n’est plus la secrétaire de personne. Elle devient alors un
personnage au statut hybride qui, sans être psychanalyste, joue pendant
encore quelques années un rôle au sein de la SPP.
Une traductrice «historique»
Berman ne peut plus imposer ses choix comme avant. Ainsi en 1965, alors
qu’elle doit corriger une traduction de Freud effectuée par Rudolph Loewen-
stein, elle se heurte à une demande de Lagache qui l’enjoint expressément
à reconsidérer ses choix de traductrice. Entre-temps, Lagache est devenu
professeur et responsable de collection aux PUF:
Je suis en désaccord avec le professeur Lagache à propos du mot Trieb qu’il veut partout
traduire par pulsion. Par exemple dans le cas de ce qu’on a jusqu’ici appelé «instinct de vie
et instinct de mort », il désire (il exige même) qu’on dise «pulsion de vie et pulsion de mort».
A moi, la «pulsion» ne me semble pas une chose permanente.38
Berman n’arrivera pas à défendre sa cause. Pire, à compter de cette période,
ses traductions vont progressivement passer du statut de référence obligée à
celui de contre-exemple. Entre temps, la psychanalyse française évolue très
34 Freud 1951.
35 lettre de Paul Jur y à Anna Freud du 14.12.1950, fonds John Rodker, Harry Ransom
Center3.
36 Lettre des PUF à Marie Bonapar te du 30.5.1952, BNF.
37 Lettre des PUF à Marie Bonaparte du 9.10.1953, BNF.
38 Lettre d’Anne Berman à Rudolph Loewenstein du 12 .5.1965, LOC.
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rapidement. Ces changements vont notamment se traduire par une attitude
différente vis-à-vis de l’œuvre de Freud. Je pense ici à Lacan et à son «retour
à Freud»,39 ou encore au Vocabulaire de la psychanalyse40 publié par Jean
Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis en 1967. Cette attention nouvelle au
texte aboutira au projet des œuvres complètes de Freud en français. Au
milieu des années 1980, Laplanche entreprend avec un groupe de psychana-
lystes et de germanistes de publier un équivalent français à la Standard
Edition de James Stratchey.41 Laplanche est critique vis-à-vis de ceux qu’il
appelle les «traducteurs des commencements»:
Personne, plus que Freud n’a été mis à mal par ses traducteurs. Je n’entends pas ici revenir
aux moqueries – désormais historiques – dont on n’accablait naguère ces traducteurs non
moins historiques, A nne Berman ou Serge Jankélévitch.42
Le groupe de Laplanche reproche tout particulièrement à Bonaparte et
Berman les choix de termes contestables qui ont entraîné, selon eux, des
contresens importants. Odile Bourguignon qualie ainsi les traductions
de Bonaparte «d’acclimatisantes»43 et «d’éthnocentriques».44, 45 Mais, sans
entrer dans un débat qui dépasse l’objet de ce travail, la traduction de Freud
par Laplanche et ses étonnants néologismes – «désaide» ou encore «dési-
rance» – rendent-ils réellement Freud plus accessible au lectorat français?
Lamultiplication des nouvelles traductions depuis le passage en 2010 dans
ledomaine public de l’œuvre de Freud, montre en tout cas que le débat n’est
pas clos.46
Ainsi, si la marginalisation des traductions de Berman s’explique en partie
par les transformations du champ psychanalytique français, son statut
d’amateur a largement accéléré le phénomène. Après la mort de Bonaparte,
Berman ne dispose plus des appuis sufsants pour défendre son travail.
Malgré sa brillante ascension au sein du milieu psychanalytique, elle reste
une secrétaire particulière sans pratique de la psychanalyse et ne sera donc
jamais considérée comme une actrice légitime du mouvement.
39 Roudinesco 1994.
40 Laplanche/Pontalis 1967.
41 Amouroux 2011.
42 Laplanche 1984.
43 Bourguignon 1989 11.
44 Bourguignon 1989, 22.
45 Ce faisant, elle se réfère au x travaux du théoricien français de la traduction A ntoine
Berman (1942–1991) qui, malgré son patronyme, n’a pas de lien de parenté avec la secrétaire
de Bonaparte.
46 Sur les traductions de Freud en français voir notamment: Le Rider 2002 et Sedat 2011.
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Conclusion
Avant de devenir la proche collaboratrice d’une éminente pionnière de la
psychanalyse, Anne Berman est déjà une pharmacienne propriétaire de son
ofcine, déléguée à la chambre syndicale et membre active du mouvement
Soroptimist. Elle n’a donc probablement pas besoin nancièrement de trou-
ver un poste ni même de développer son réseau social qui semble déjà tout à
fait riche et diversié. Elle va pourtant faire le choix d’embrasser une carrière
de secrétaire aux perspectives incertaines. Cela lui permettra notamment
d’occuper un rôle capital dans les traductions des œuvres de Freud, et ce,
même si elle n’est ni psychanalyste ni traductrice professionnelle. Il s’agit
alors d’un positionnement stratégique au sein de la Société Psychanalytique
de Paris car nombreux sont ceux qui cherchent à prendre le contrôle de ces
traductions. Mais, pour Berman, le fait de devenir la traductrice «ofcielle»
de Freud s’inscrit probablement dans un projet professionnel plus large
quecelui d’exister au sein du milieu psychanalytique parisien. En tant que
Soroptimist, elle aspire surtout à devenir une de ces femmes qui excellent
dans son exercice professionnel.
Ses travaux de traductrice sont à la fois à l’origine de son ascension et de
sa disqualication au sein du milieu psychanalytique français. On lui a ainsi
reproché son manque de compétence en tant que traductrice et son absence
de réel statut professionnel. Son positionnement «intermédiaire» – pas réel-
lement expert, pas réellement amateur – a probablement fragilisé le statut
deses traductions. A la mort de la princesse de Grèce, Berman n’a plus de
soutien sufsamment puissant pour participer au débat intellectuel d’égal à
égal avec les membres de la Société Psychanalytique de Paris. Ses traductions
vont alors être progressivement remplacées par celles produites par des
personnes considérées comme plus légitimes.
Dans le cas d’Anne Berman, la condition de secrétaire particulière n’a
doncpas permis d’accéder à une réelle reconnaissance scientique par les
psychanalystes, mais seulement à une légitimité partielle et fragile. Berman
n’est pas pour autant une simple exécutante des volontés de la princesse de
Grèce. En effet, sans être une «éminence grise», il est indéniable qu’elle a joué
un rôle actif dans le mouvement psychanalytique français, notamment en
défendant sa conception des traductions de l’œuvre de Freud. Ainsi, le statut
de secrétaire particulier semble bien ici être une manière de faire carrière en
dehors des milieux académiques,47 mais il s’agit d’un positionnement hybride
produisant donc un savoir dont la légitimité est aisément remise en question.
47 Carroy/Edelman/Ohayon/Richard 20 05; Oertzen/Rentetzi/ Watkins 2013.
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