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La standardisation du religieux.
La norme halal et l’extension
du champ de la normalisation
Florence Bergeaud-Blackler et Valérie Kokoszka
« AFNOR est titulaire des droits d’auteur sur la norme.
La norme est une œuvre collective. En effet, la norme est
élaborée à partir des contributions des différents experts dont
la contribution personnelle se fond dans l’ensemble qui forme
à terme la norme, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun
des experts un droit distinct sur l’ensemble réalisé. »
Règles pour la normalisation française, art. 2.9.2 : droits
d’auteurs relatifs à la norme AFNOR.
Source : Iso.org
Le principe d’une régulation des produits religieux, envisagé
au moment de la révision de la directive sur l’abattage en 2006,
est rejeté par les institutions européennes. En « pétriant » dans un
cadre réglementaire la dénition des rites d’abattage, les institutions
de l’Union européenne auraient indûment arrêté une forme et un
contenu de la « qualité » religieuse, et enfreint le principe de liberté
des cultes [Bergeaud-Blackler, 2008]. Pourtant, le 23 septembre
2013, à Istanbul, le Comité européen de normalisation annonce
qu’il lance un projet de norme halal européenne pour les denrées
alimentaires. Trois ans plus tard, le projet CEN 425/TC est
abandonné, mais le principe de normalisation technique d’une
norme religieuse est enteriné, et la normalisation se poursuit au
niveau national.
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63
LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
Cet article est consacà la description du processus et à l’analyse
des enjeux et des impacts du travail normatif de la commission
CEN 425/TC Halal food sur la norme religieuse d’un point de vue
essentiellement procédural. En nous consacrant à la procédure
1
,
nous voulons montrer que la normalisation dictée par la « nouvelle
approche » au moment du tournant néolibéral européen engendre
un certain type de norme technico-religieuse que seuls les courants
fondamentalistes sont en mesure de soutenir et de contrôler.
Nous verrons ici et successivement dans quelles circonstances
la machine normative a pu se mettre en route pour étendre son
intervention au domaine religieux. Nous tracerons le trajet que le
projet de norme a emprunté pour arriver au Comité européen de
normalisation. Puis, nous nous interrogerons sur les principes de
guidance du travail normatif et sur l’impact qu’ils ont effectivement
sur la production de la norme technique halal. Pour conclure, nous
examinerons les effets de la régulation économique transnationale
sur l’État et sur les autorités religieuses, et la subversion des
équilibres juridiques et politiques séculiers.
*
* *
La proposition de normalisation européenne est venue d’un
pays membre de l’Union européenne, l’Autriche, dotée, depuis
2009, d’un référentiel technique de l’Austrian Standard Institut
(Österreichisches Normungsinstitut) pour la fabrication de produits
halal. Rédigées et publiées sur la base d’un travail d’une équipe
de neuf experts de l’agroalimentaire et d’un « expert islamique
chiite
2
», les spécications de l’« ONR 142000:2009, Halal food
– Requirements for the food chain » proposaient d’encadrer les
conditions de production industrielle des aliments halal
3
. Selon
la procédure habituelle et en vertu du principe de reconnaissance
1. Son contenu a été évoqué par Florence Bergeaud-Blackler [2015], membre de la
commission miroir française AFNOR V06A, dont elle a pu observer le fonctionnement
de l’intérieur.
2. Salem Hassan présenté dans le document comme « Islamic experte, Shiite »,
ONR 142000 ICS 67.040 Halal food Requirements for the food chain.
3. La norme ONR 142000:2009, Halal food – Requirements for the food chain
de l’AQSI est parue en 2009.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
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mutuelle, l’Australian Standard Institut saisit le Comieuropéen de
normalisation pour faire reconnaître sa norme technique halal par
les pays de l’Union européenne et leurs partenaires commerciaux.
Ces derniers, après consultation, décidèrent, plutôt que d’adopter
la norme en l’état, de lancer une « étude de faisabilité » pour la
création d’une norme européenne. Cette étude aboutit à la création
du CEN 425/TC Halal food en 2013.
Pour comprendre comment un petit groupe d’experts autrichiens,
sans compétence particulière en matière théologique, a pu entraîner
dans son aventure un comité international de pays sécularisés
européens – sous la coordination d’un pays, la Turquie, non-membre
de l’Union européenne, gouverné par un parti religieux pour
se lancer dans la fabrication d’une norme industrielle religieuse
en dehors des instances de contrôle démocratique, des instances
jurisprudentielles islamiques, il convient d’expliquer les grandes
lignes du fonctionnement de la normalisation européenne, en
particulier depuis la mise en place du marché unique dans les
années 1980.
La « Nouvelle approche »
L’un des objectifs premiers du traité de l’Union européenne
est la réalisation d’un marché unique. Jusqu’à la n des années
1970, la Communauté économique européenne disposait d’un
seul instrument pour réduire les entraves à la libre circulation des
biens entre les États membres : la directive européenne. Celle-ci
remplaçait, pour chaque cas, les dispositions nationales par des
dispositions communautaires. Cette situation engendrait un travail
législatif immense pour rédiger et mettre en œuvre des centaines
de directives.
Au milieu des années 1980, l’objectif du marché unique de
1992 conduit à un changement de méthode destiné à simplier
et à optimiser cette harmonisation. La « nouvelle approche
4
»,
d’inspiration libérale, prévoit que les directives et règlements de
4. Adoptée par la résolution du Conseil de l’Union européenne du
7 mai 1985. Source : AFNOR, <www.afnor.org/fiches/faq-reglementation/
normes-et-nouvelle-approche>.
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
l’Union européenne se limiteront à l’harmonisation des produits
ou des procédés mettant en jeu des exigences « essentielles »,
en particulier de « sécurité » ou « d’autres exigences d’intérêt
collectif », à savoir la sécurité, la santé, l’environnement et la
protection des consommateurs
5
. Les autres produits et procédés
seront harmonisés par des comités techniques nationaux constitués
de « parties intéressées » (les stakeholders) qui mettront au point à
l’aide de bureaux de normalisation nationaux des normes techniques
consensuelles « volontaires ».
Cette nouvelle approche est fondée sur le principe de
reconnaissance mutuelle destiné à assurer le respect du principe de
subsidiarité. Celui-ci consiste à réduire à l’essentiel l’intervention
réglementaire communautaire
6
et à laisser le reste à la décision
des États qui pourront normaliser à leur niveau. Une norme
technique nationale d’un membre de l’Union européenne doit être
ipso facto reconnue par les autres pays membres. Si toutefois les
autres membres ne veulent pas la reconnaître, une « procédure
d’harmonisation technique » européenne peut être engagée auprès
de l’un des trois comités européens reconnus : le Comité européen
de normalisation (CEN), le Comité européen de normalisation
électrotechnique (CENELEC) et l’Institut européen de normes
de télécommunications (ETSI). C’est ce qui s’est passé pour la
proposition autrichienne : l’Autriche a saisi le CEN
7
.
La Commission européenne peut également passer « commande
de normalisation » au CEN pour la rédaction de normes qui
concernent les « exigences essentielles » légales obligatoires.
Ces normes sont alors appelées « normes harmonisées » avec
« présomption de conformité ». Seules ces normes mandatées par
l’Union européenne (top-down) doivent impérativement respecter
sa législation, et font l’objet d’un test de conformité juridique.
Quand le CEN est saisi directement par un ou des pays membres (ou
d’autres organisations), comme c’est le cas ici, son action se limite
5. Résolution du conseil du 7 mai 1985 concernant une nouvelle approche en
matière d’harmonisation technique et de normalisation (85/C 136/01).
6. Le principe de subsidiarité est respecté lorsque les décisions sont prises au
niveau pertinent le plus près possible des citoyens.
7. Pour réaliser une norme technique, le CEN, comme les deux autres organismes,
peut être saisi soit par l’Union européenne, soit par ses États membres, soit par des
organisations internationales, techniques ou scientifiques.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
66
à coordonner la mise en place de « normes européennes simples
ou non harmonisées ». Celles-ci ne sont pas tenues de respecter les
règlements de l’Union européenne à moins que les participants les
incluent dans les spécications de la norme.
Enn, un État ne peut pas empêcher un produit ou un service
d’être soumis à normalisation dès lors que le produit ou service ne
concerne pas les « exigences essentielles
8
».
Contrairement à ce que pourrait suggérer son appellation,
le Comité européen de normalisation n’est pas une structure
gouvernementale et il n’est pas composé d’États européens, ni
même des gouvernements des États. Il coordonne le travail des
« bureaux nationaux » des membres, qui peuvent être européens
ou partenaires commerciaux de l’Europe. Ces bureaux sont des
structures privées qui possèdent un mandat de leur État. En France,
le bureau de normalisation est assuré par l’Afnor, reconnue d’utilité
publique, chargée par l’État d’une mission d’intérêt général. Ce
caractère mixte à la fois d’utilité publique et d’activités lucratives
est également illustré par la situation statutaire de l’Afnor française,
association de loi 1901, sous tutelle du ministère de l’Industrie,
mais qui est aussi une entreprise disposant de liales commerciales.
En 2014, le CEN co mpt ait tro is c até gor ies de m emb res : trente-trois
pays « membres de plein droit » incluant les bureaux nationaux des pays
de l’Union européenne, de l’Association européenne de libre-échange
et ceux de pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne9 ; dix-sept
bureaux de pays « membres afliés10 » au CEN, du voisinage de l’Union
8. On retrouve ces exigences essentielles dans les accords OTC qui fondent
l’OMC, adoptés en 1995 : « L’Accord sur les obstacles techniques au commerce
vise à faire en sorte que les règlements, les normes et les procédures d’essai et de
certification ne créent pas d’obstacles non nécessaires tout en donnant aux Membres le
droit de mettre en oeuvre des mesures permettant d’atteindre leurs objectifs légitimes
de politique générale, comme la protection de la santé et de la sécurité des personnes
ou l’environnement », <www.wto.org/french/tratop_f/tbt_f/tbt_f.htm>.
9. Au 1
er
Juillet 2013, les vingt-huit membres de l’Union européenne, trois
membres de l’Association européenne de libre échange (Norvège, Suisse, Islande)
et certains candidats à l’Union européenne : la Turquie (affiliée depuis 2008, devenue
membre du CEN en janvier 2012] et la Macédoine.
10.Albanie ; Arménie ; Azerbaijan ; Bielarussie ; Bosnie-Herzegovine ; Égypte ;
Georgie ; Israël ; Jordanie ; Liban ; Libye ; Moldavie ; Montenegro ; Maroc ; Serbie ;
Tunisie ; Ukraine.
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
européenne ou de l’AELE ; et quatre pays « partenaires » qui n’ont pas
vocation à devenir membres de plein droit, ni afliés. Les afliés et
les partenaires ont les mêmes devoirs que les membres : participation
nancière et engagement à adopter la norme produite par les comités
auxquels ils participent. Mais ils n’ont qu’un statut d’« observateur »
qui les empêche de prendre part aux votes11. Comme nous avons pu
le constater directement12, leur statut d’« observateur » ne les oblige
guère à rester muets, et ils peuvent signicativement orienter et peser
sur les discussions même s’ils ne votent pas.
Les bureaux de normalisation (BN) doivent être membres de
l’Organisation internationale de normalisation (ISO
13
) et donc
avoir signé le « Code de pratique pour l’élaboration, l’adoption
et l’application des normes ». Cette signature les engage à suivre
les règles de procédure du travail normatif stipulé dans les accords
sur les Obstacles techniques au commerce (OTC ou, en anglais,
Technical Barriers to Trade TBT) de l’Organisation mondiale du
commerce et à souscrire à leurs objectifs : notamment chasser
les obstacles techniques de façon systématique pour uidier les
échanges commerciaux internationaux et ainsi faire reculer le
« nationalisme normatif
14
».
Les BN doivent se référer aux règles communes en matière
d’organisation, de gouvernance, de conduite des processus induits
par les travaux normatifs, et respecter les principes qui guident
les conduites des travaux de normalisation, principes stipulés
dans l’annexe 4 des accords OTC
15
: indépendance, impartialité,
transparence, ouverture et concertation, consensus, pertinence,
cohérence et efcacité, travail en réseau.
11. CEN/CENELEC, Guide n° 12 et n° 13.
12. Lors d’une séance du CEN à Sarajevo, en octobre 2014.
13. Association créée en 1947 pour rassembler et coordonner le réseau des instituts
nationaux de normalisation de cent soixante-cinq pays.
14. Code de pratique pour l’élaboration, l’adoption et l’application des normes,
reproduit à l’Annexe 3. <https://www.wto.org/french/res_f/publications_f/tbttotrade_f.
pdf>.
15. AFNOR NF X50-088, « Normalisation et activité connexes. Activités des
bureaux de normalisation. Principes, exigences et indicateurs ». Principes découlant
de l’annexe 4 du rapport de la Seconde revue triennale de l’OTC de l’OMC. <https://
www.wto.org/french/res_f/publications_f/tbttotrade_f.pdf>.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
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Les BN sont des jumeaux normatifs. Les commissions ad hoc
qu’ils mettent en place pour élaborer chaque norme prennent d’ailleurs
l’appellation de « commissions miroirs » : leur activité est en effet
supposée « reéter » au niveau national, dans une transparence
optimale, celle du groupe européen. Ces « commissions miroirs »
réunissent des « parties intéressées » du commerce, de la régulation
ainsi que des organismes non gouvernementaux. Elles sont supposées
appliquer les mêmes règles et fonctionner selon le même agenda.
Ces commissions ne sont pas composées de représentants
légitimes au sens politique (comme les syndicats des différents
secteurs) mais de toutes les parties « intéressées » au sens le plus
large. Cependant, quand elles sont désignées pour représenter leur
commission, elles s’expriment au CEN au nom de leur nation. Durant
les réunions, on ne dit pas, par exemple : « les participants qui se
sont exprimés auprès de telle commission française rassemblée par
l’Afnor après obtention d’un consensus sur… est d’avis que… »,
mais, plus simplement : « la France se prononce pour… ».
Les étapes vers la normalisation
Pour résumer les différentes étapes qui ont conduit au travail
normatif du CEN 425 : la norme nationale autrichienne a vu le jour
en 2009, elle a donné lieu en 2010 au lancement d’une étude de
faisabilité européenne (WG212 Halal Food), et au lancement, en
2013, du projet CEN 425/TC Halal food :
1
Norme autrichienne
ONR 142 000 :
2009
2
Étude de faisabilité
WG212 Halal Food
2010
3
Projet de norme
CEN 425/TC Halal
food 2013
L’extension du champ de la normalisation au domaine
religieux
Comment l’Autriche a-t-elle conçu et publié une norme
religieuse nationale sur son territoire ? Et, d’abord, comment un
système conçu pour standardiser la dimension des portes et des
fenêtres, ou certier des services hôteliers, s’est-il autorisé à prendre
en charge une norme religieuse ?
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
Deux hypothèses sont possibles : soit le système normatif n’a
pas identié le halal comme relevant du domaine religieux et l’a
pris pour une simple norme technique, soit il l’a identié comme
tel et, dans ce cas, il a étendu le champ normatif technique au
domaine religieux.
Testons la première hypothèse : le système de normalisation
a-t-il ignoré le caractère religieux des produits halal, ne l’ayant
considéré que d’un point de vue purement technique ? La réponse
est non. Le bureau de normalisation français Afnor, jumeau de
l’ASI, a été saisi d’une demande d’homologation d’une norme
halal par le directeur des ventes de la société Progetto 2000, une
société italienne de Business Process Outsourcing, mais elle a été
rejetée car elle n’était pas soutenue par la « communauté islamique
française
16
». L’Afnor a donc été capable de reconnaître du religieux.
Examinons la seconde hypothèse. Le système normatif a bien
identié la norme halal comme religieuse. Il l’a traitée car il n’avait
aucune raison de ne pas le faire. Le religieux ne fait pas partie des
« exigences essentielles » qui empêchent la normalisation simple et
nécessitent l’intervention de l’État. Le principe de subsidiarité peut
s’appliquer : « La régulation par l’État est sans objet si les acteurs
sont capables de s’autoréguler d’eux-mêmes dans des conditions
conformes à l’intérêt public
17
. » Normaliser du religieux ne semble
pas incompatible avec l’« intérêt public ». En l’état de la dénition
des « exigences essentielles », rien n’empêche d’étendre le champ
normatif au domaine religieux.
La demande de création d’une norme halal autrichienne a
été déposée à l’Austrian Standards Institute par une association
culturelle et religieuse, l’Islamische Informations und
Dokumentationszentrum Österreich (IIDZ). Le système normatif
a apprécié, chez le demandeur, son degré d’implication et d’intérêt
dans le secteur concerné par la norme, mais pas sa représentativité
politique puisque, comme nous l’avons vu, rien ne le lui impose.
L’IIDZ n’est pas reconnue par l’État autrichien, elle est d’ailleurs
une opposante de longue date à l’instance représentative
16. Source : la présentation de la norme Afnor annulée au salon halal, <www.
lequotidienlesmarches.fr/la-presentation-de-la-norme-afnor-annulee-au-salon-halal-
art36435-22.html>, 28 mars 2008.
17. Giard Vincent, « La normalisation technique », Revue française de gestion,
6/2003, n° 147, p. 49-65.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
70
ofcielle des musulmans d’Autriche depuis 1979 : l’Islamische
Glaubensgemeinschaft in Osterreich (IIGIO). Mais elle a acquis une
solide réputation dans le milieu des affaires. Son directeur, Günther
Ahmed Rusznak, un Autrichien converti à l’islam, est un consultant
économique réputé du marché halal. Grâce à ses compétences
en droit commercial, il a mis au point une certication privée :
l’« Islamische Informations – und Dokumentationszentrum Halal-
Austria », reconnue par des pays importateurs réputés exigeants
comme les Émirats Arabes unis, Singapour et surtout la Malaisie,
connue pour sa rigueur en matière de contrôle halal. Il est ainsi
parvenu à ouvrir et à sécuriser de nouveaux marchés pour les
viandes, charcuteries de dinde, chocolats au lait de chamelle halal
made in Austria.
Mais Rusznak n’a pas qu’un prol d’homme d’affaires, il est
aussi réputé pour son engagement religieux qui serait, selon lui,
l’ultime raison de sa démarche d’homologation de sa norme par
l’ASI. À la presse, il déclare vouloir protéger les « consommateurs
musulmans » et barrer la route à des « faux » certicats halal que
l’instance représentative des musulmans d’Autriche ferait circuler à
son seul prot et sans aucune base légale
18
. Expertise commerciale
et engagement religieux ont permis en 2007 à Rusznak de prendre la
présidence du comité ASI chargée de mettre au point la norme halal.
Fondée sur la norme IIDZ, l’ONR 142000 « Produits alimentaires
halal, exigences de la chaîne alimentaire » a aisément éapprouvée
et publiée en février 2009
19
.
L’ASI a ensuite saisi le CEN pour faire reconnaître sa norme au
niveau européen. Selon la procédure, un questionnaire du CEN a
été envoyé aux organismes de normalisation de chaque pays pour
approbation, refus ou, troisième option, lancement d’une étude de
« faisabilité ». Après trois mois de consultation auprès des « parties
intéressées », les bureaux nationaux de normalisation réunis au CEN,
le 19 mai 2010, à Bruxelles, ont choisi la dernière option estimant
que son caractère religieux ne posait pas de problème rédhibitoire.
18. Interview de M. Rusznak, Mulsim Markt, <www.muslim-markt.de/
interview/2009/rusznak.htm>, 27 octobre 2009.
19. Il établit également la norme bancaire islamique ONR 142001-1 : 2010 pour
les banques islamiques.
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71
LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
Là encore, l’hypothèse d’une incompréhension du caractère
religieux de la norme halal par les membres du CEN est à exclure.
Tout laisse penser au contraire que le CEN poursuit son extension
en s’appropriant un nouveau champ normatif, de la même manière
que l’ISO 26000 a investi le champ proprement sociopolitique par
le biais de la régulation de la responsabilité sociale des entreprises
[Igalens, 2009, p. 101-194]. C’est ce que l’on peut déduire des
motivations de la décision, résumées dans un communiqué de l’ASI :
« L’Alle m a g ne » a rejeté la proposition autrichienne, estimant « que
la norme serait une “norme éthique” supplémentaire qui diluerait
la méthode HACCP
20
», « la France » estime que « la proposition
de l’Autriche n’est pas conforme à l’islam », « la Hollande »
indique que « les différentes branches de l’islam ne seraient pas
sufsamment représentées », « la Grande-Bretagne » déclare que
la norme halal européenne « ne serait pas compétente et propose à
la place une norme ISO d’application mondiale », « la Finlande »
objecte « qu’une normalisation fondée sur la religion pourrait sortir
de la main de l’État », et que, néanmoins, « si cette norme devait
être adoptée, alors les règles casher juives devraient aussi être
normalisées
21
».
Que « la France », nation laïque (constitution de 1958)
placée sous le régime de séparation des Églises et de l’État (loi
du 9 décembre 1905), estime que la proposition de l’Autriche ne
soit pas « conforme à l’islam » a de quoi surprendre… Mais il
faut sans cesse se souvenir – car tout semble fait pour maintenir
l’ambiguïté et instrumentaliser la puissance symbolique de l’État
que ces commissions de normalisation sont programmées pour
siéger en dehors et sans contrôle d’instances démocratiquement
élues.
20. HACCP est une norme d’application obligatoire prescrit par le système de
prévention de l’Union européenne visant à assurer la salubrité des aliments.
21. Sources : Institut autrichien de normalisation, <www.as-institute.at/index.
php?id=halal_lebensmittel>.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
72
Le CEN/BT Working Group 212 « Halal Food » (étude de
faisabilité)
La résolution BT 14/2010 du bureau technique du CEN crée
le CEN/BT Working Group 212 « Halal Food » (WG212) sous
la coordination de l’Autriche. Ce choix peut étonner puisque
l’Autriche est, d’une certaine manière, juge et partie. Mais il faut
se rappeler qu’un comité normatif est une assemblée où le but est
d’obtenir le plus rapide et vaste consensus. Il ne paraît pas absurde,
si seul le critère d’efcience compte, de coner cette mission au
plus motivé…
Douze BN des pays membres sur les trente-trois du CEN
22
dont trois avaient déjà des normes nationales (l’Autriche avait
précédé ses proches partenaires, la Bosnie-Herzégovine et la
Croatie), quelques membres afliés ainsi que des organisations
dites de liaison
23
participèrent au WG212. Les travaux durèrent une
vingtaine de mois, d’octobre 2010 à mai 2012, date d’approbation
du rapport nal.
Le déroulement de l’étude de faisabilité
Il n’existe aucun protocole de travail balisant une « étude de
faisabilité ». Quelques recommandations sont faites aux comités
techniques
24
mais la forme du rapport est à l’appréciation du
coordinateur. Le BN autrichien s’est ainsi contenté de compiler
les contributions transmises par les autres BN.
Au niveau national, il n’existe pas de règles non plus. Chaque
BN travaille à obtenir une position consensuelle à partir de
consultations, mais il n’est nullement tenu de justier les critères
de sélection des parties consultées, ni de communiquer sur la teneur
de ces discussions, ni avec qui il a évoqué le dossier. D’après nos
enquêtes la composition du groupe mis en place par l’Afnor a
été réalisée en « s’inspirant » des règles qui régissent le travail
normatif. L’agence française a ainsi envoyé des invitations à ses
22. AENOR, AFNOR, ASI, CYS, DIN, DS, HZN, NBN, NEN, SIS, SNV, TSE.
23. ANEC, CEFIC, BAS, ISRM, ISS, Euro Group for animals, European
Commission DG Health and Consumer Protection.
24. « Adoption of a new work item in a CEN Technical Committee », <http://
boss.cen.eu/reference%20material/guidancedoc/pages/tcnewwi.aspx>.
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73
LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
listes habituelles de correspondants du secteur agroalimentaire,
aux acteurs de la réglementation, aux consommateurs et autres
parties susceptibles d’être intéressées. S’agissant des interlocuteurs
religieux – pour laquelle elle n’avait bien sûr pas de liste –, ils ont
été choisis « en concertation » avec les autres parties intéressées
selon des critères qu’il n’a pas été possible d’élucider, l’animateur
du groupe salarié de l’Afnor n’ayant pas souhaité être interrogé
sur le sujet
25
.
Il faut donc s’en remettre à la presse musulmane sur le Web pour
connaître la composition religieuse du groupe de réexion mis en
place par l’Afnor. On sait, par le site musulman Saphirnews.com
26
,
et par le site Al Kanz, destinataires de documents « fuités », qu’ont
été conviés le CFCM, les trois mosquées agréées pour l’habilitation
des sacricateurs rituels (de Paris, de Lyon et d’Évry), l’Aumônerie
musulmane des armées, l’association de « consommateurs
musulmans » ASIDCOM et l’entreprise de contrôle et de certication
halal AVS. Le BN français a jugé que l’aumônerie militaire, qu’une
association de « consommateurs musulmans » et qu’une agence
de contrôle halal constituaient des parties intéressées par la norme
halal. Mais on ne sait pas pourquoi d’autres n’étaient pas présentes
puisque cela n’a pas à être connu.
L’adoption du rapport de faisabilité
Après deux années d’étude de faisabilité, les commissions de
normalisation du CEN ont pris la décision – à l’unanimité des voix
exprimées moins la France – de s’engager dans l’élaboration d’une
norme halal européenne. Le rapport nal du CEN/BT WG 212
« Halal Food » n’était pas destiné à être publié et il était inaccessible
27
jusqu’à ce que le BN suédois, le Standard Norge, ne le rende public
sur son site internet et permette que nous puissions en proposer ici
une analyse (l’Afnor ayant refusé de le communiquer en dehors du
WG212). Précisons qu’il peut disparaître à tout moment.
25. Entretien réalisé en décembre 2014.
26. Hanan Ben Rhouma, « Le halal européen, un casse-tête français. La charte
halal discutée au CFCM », <www.saphirnews.com/Le-halal-europeen-un-casse-tete-
francais_a13257.html>, 10 octobre 2011.
27. Florence Bergeaud-Blackler en avait fait plusieurs fois la demande, sans
succès.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
74
L’examen de ce rapport permet d’observer qu’il est pauvre
sur la justication de la faisabilité et qu’il contient une dimension
programmatique très développée. Il se révèle comme un programme
technique dans lequel on aurait injecté quelques références aux
sources légales islamiques (« le Coran », « la Sunna », « le prophète
Muhammad », etc.), la reconnaissance d’une sélection d’écoles
juridiques et l’appel à participer à la normalisation en direction de
deux organismes de jurisprudence islamiques fondamentalistes.
Sur les motifs de la faisabilité, le rapport de faisabilité du
CEN se contente de faire ressortir, sans vraiment les appuyer sur
des preuves, les principaux éléments d’éligibilité d’une norme
en général : l’existence d’un marché à réguler ; une offre, une
demande, et le fait que cette demande doit provenir des industriels
aussi bien que des consommateurs. Il s’appuie, par exemple,
sur les conclusions d’un rapport non publié d’un cabinet privé
londonien nommé Verdict Research rédigé par un certain Daniel
Lucht, Senior Retail Analyst, selon lequel le développement d’une
norme harmonisée Halal serait « nécessaire » an d’assurer « la
conance » et « la sécurité » des consommateurs tout au long de
la chaîne de production. Ce document, dont on ne connaît aucun
détail, n’est nullement répercuté en annexe.
La norme doit respecter les exigences religieuses. Le rapport
précise : « Il est reconnu que l’islam est une religion monothéiste
articulée par le Coran, par les enseignements et l’exemple normatif
du prophète Muhammad (appelé la Sunna et composé de Hadith). »
Pour réaliser une norme technique, il faudra donc en référer au
Coran
28
à la Sunna
29
et aux écoles de jurisprudence : « Les besoins
et les attentes des consommateurs musulmans de ces écoles de
jurisprudence doivent être abordés par le Comité Technique CEN »
[…]. Le rapport enjoint les pays qui participeront au travail normatif
de s’engager à faire participer leurs autorités islamiques nationales
mais aussi d’impliquer les associations islamiques supranationales
« reconnues ». Il cite l’European Council for Fatwa and Research
(EFCR)
30
ainsi que l’International Islamic Fiqh Academy (IIFA), qui
28. Premier texte de référence de l’islam représentant la parole divine.
29. La tradition du prophète de l’islam.
30. lequel avait indiqué son désir de participer lors de la troisième réunion de
la phase d’étude de faisabilité.
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
est décrite comme « une instance capable de trouver des solutions en
conformité avec la sharia à travers une interprétation authentique de
celle-ci
31
». Un lecteur au fait des positionnements théologiques de
ces deux entités verra immédiatement qu’elles sont respectivement
les références des deux principaux mouvements fondamentalistes :
les Frères musulmans et les salastes.
Le rapport préconise également la prise en compte des différentes
écoles de Fiqh (écoles de jurisprudence islamique) et la possibilité
pour elles d’amender les listes de composants halal/haram en cas
d’évolution de celles-ci.
Dès le départ, le rapport de faisabilité est très clair, la norme
technique du CEN pourra éventuellement être placée sous contrôle
de certaines instances théologiques et jurisprudentielles islamiques.
Cette primeur accordée à des parties intéressées plutôt qu’à d’autres
est incompatible avec l’un des principes de gouvernance du travail
normatif : celui d’ouverture. Mais cela a été ignoré au moment du
vote.
Le rapport de faisabilité suggère un périmètre assez large de
la norme halal. Il recommande que le projet de norme couvre au
moins toute la chaîne alimentaire : les questions relatives au bien-
être animal, les problèmes de contamination (les procédures de
nettoyage, les technologies de séparation des lignes de production
« halal » et « haram »), l’élevage – notamment la nourriture des
animaux –, la question de l’étiquetage (crédibilité, transparence,
clarté), les techniques d’abattage, d’étourdissement, la traçabilité,
l’usage des composants alimentaires (additifs, protéines, vitamines,
OGM).
Le vote sur l’adoption du rapport de faisabilité et l’éventuel
lancement des travaux normatifs est réalisé par Internet au mois
d’avril 2012. L’Afnor est la seule à manifester son désaccord
au motif que l’étude n’est pas sufsamment aboutie. Dix pays
s’abstiennent, dont le DIN allemand. Vingt et un bureaux de
normalisation sur les trente-trois membres de droit du CEN invités
à se prononcer approuvent la faisabilité d’une norme halal. Puisque
le vote est acquis à la quasi-totalité des voix exprimées, que le
nombre minimum de cinq pays engagés dans le processus normatif
31. Lignes 101 à 107 du rapport de faisabilité.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
76
est atteint
32
, qu’une candidature au poste de secrétariat du futur
comité de projet a été entérinée (celle du TSE turc), la décision
de former un comité de projet est prise le 19 septembre 2012
33
, et
le CEN/Technical Committee 425 Project Committee Halal Food
voit le jour le 12 avril 2013
34
. La Turquie est choisie au poste de
président et de secrétaire avec l’Autriche comme binôme (twinning
partner). Mandat est donné au secrétariat turc du CEN/TC 425 de
soumettre une proposition de norme halal comme base de travail
dans un délai de six mois.
Remarquons que cette décision ne trouvera quasi aucun écho
dans la presse généraliste des différents pays européens. Les circuits
d’information sont conçus pour informer les secteurs de l’économie
et du commerce, mais pas la presse qui traite des faits sociaux ou
religieux
35
.
32. Les pays engagés sont ASI (Autriche), HZN (Croatie), NBN (Belgique), NEN
(NL), TSE (Turquie) et SNV (Suisse). Selon les règles du CEN, un travail normatif est
lancé s’il obtient l’accord de deux tiers des membres qui s’expriment (sans compter
les abstentions) et si cinq membres ou plus s’engagent à participer.
33. BT N 9030. Draft BT C96/2012. Creation of a new Project Committee on
« Halal Food ».
34. Par décision BT 7/2013.
35. Le sujet est pourtant d’actualité : ils seront très nombreux à s’interroger sur
le problème de l’abattage halal quelques semaines après les propos de Marine Le Pen
sur les abattoirs halal d’Île de France, durant la campagne électorale présidentielle
de 2012. À l’époque, Florence Bergeaud-Blackler a reçu durant six semaines des
appels presque quotidiens des médias de toutes sortes, mais jamais au sujet de la
norme halal du CEN.
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
Le Cen 425/TC
Le comité technique du CEN 425 est composé de commissions
miroirs nationales.
Comme toutes les « commissions miroirs », celles du comité
technique CEN/TC 425 « Halal Food » se composent des acteurs
de la chaîne de production, de régulation et de consommation, des
représentants d’Organisations non gouvernementales, des experts
et supports techniques ainsi que des personnels des BN qui les
ont rassemblés et dont le rôle est d’initier, de coordonner et de
modérer les discussions, veiller au bon déroulement de la procédure
et, surtout, véritable leitmotiv, amener les parties intéressées au
« consensus ».
Fig. 1. Document AFNOR
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
78
Le travail normatif d’un comité technique est relativement
simple : obtenir, en une durée moyenne de trois ans, un accord
autour d’un texte de norme. Chaque « commission miroir » discute
la proposition initiale au niveau national pour dégager un consensus
sur les modications à apporter. Les propositions de modications
sont commentées et discutées au cours de réunions bisannuelles des
membres du CEN 425/TC avant un vote nal. La norme est adoptée
si elle rassemble 70 % des suffrages exprimés.
Le travail normatif du CEN/TC 425 Halal food
La machine normative est lancée.
Elle doit atteindre son objectif, comme un train doit atteindre sa
gare, si possible dans les temps et dans le meilleur état consensuel
possible. L’éventualité d’un changement de route n’est plus
envisagée à ce stade : un « travail normatif » est un « programme »,
pas une instance de délibération démocratique.
Les commissions miroirs nationales et les organismes de liaison
dont elles s’entourent sont programmés pour travailler pendant en
moyenne trois ans à la rédaction des lignes directrices du futur
standard européen encadré par le CEN-CENELEC Management
Centre (CCMC), support technique et logistique apporté par le
CEN. Le travail normatif est détaillé dans un document intitulé
« règles communes pour les travaux de normalisation
36
» et peut
être synthétisé de la façon suivante.
Après accord sur une première version du texte de norme obtenu
par le comité technique à partir du travail des commissions miroirs
qui rassemblent des « parties prenantes » (les parties intéressées
assidues aux réunions), ce texte est envoyé à toutes les « parties
intéressées » pour commentaires dans le cadre de ce qui est appelé
plutôt abusivement une « enquête publique », d’une durée de cinq
mois. Les résultats et observations sont synthétisés. Le secrétariat du
comité technique doit modier le texte en recherchant de préférence
l’unanimité des membres votants, ou bien le consensus, ou, en
dernier ressort, la simple majorité. Si les désaccords sont trop
importants, une deuxième et ultime enquête peut être lancée. Si
36. Le document « règles communes pour les travaux de normalisation » : <http://
boss.cen.eu/ref/IR2_F.pdf> (sur le site du CEN).
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
les désaccords persistent à nouveau, le comité technique en réfère au
Bureau technique du CEN qui peut décider d’un nouveau calendrier,
ou bien cesser la procédure.
L’arrêt d’un projet est rarissime d’après les salariés expérimentés
de l’Afnor (personne ne connaît de cas d’échec complet). Lorsque
le comité technique obtient l’unanimité, le consensus ou la majorité
des votes, débute alors la période de préparation du document
nal (FprEN) par le CCMC, texte qui sera soumis au vote par
correspondance de tous les membres du CEN durant une période
de deux mois
37
.
Les résultats du vote nal sont pondérés selon l’importance
démographique de chaque pays membre. S’il y a ratication, la
norme européenne est publiée, et toute norme nationale actuelle
ou en projet qui n’est ou ne serait pas strictement en accord avec
la nouvelle norme est annulée (statu quo).
Le processus normatif débute avec le kick off meeting d’Istanbul
des 23 et 24 septembre 2013, au cours duquel le secrétariat turc
du CEN/TC 425 reçoit les représentants des instances normatives
qui travaillent aux derniers réglages : lancement des commissions
miroirs, circulation d’une proposition turque de standard européen,
liaison avec des organismes internationaux. Les discussions n’ont
pas encore commencé qu’un premier draft de la norme halal est
envoyé, par le secrétariat turc
38
, à toutes les commissions miroirs
en janvier 2014.
Un tunnel normatif strictement encadré pour un seul but :
obtenir un accord, gommer les désaccords
La Turquie, secrétaire du CEN 425/TC et membre du CEN
seulement depuis 2012, est peu entraînée à la pratique de la
normalisation et moins encore à la tâche de coordination, mais
elle peut s’appuyer sur le CCMC qui assure les tâches pratiques
et logistiques.
Le processus normatif fait penser à un tunnel.
37. Des commentaires rédactionnels peuvent être exprimés et le vote négatif
doit être justifié.
38. En tant que président et secrétaire général du CEN/TC 425, le TSE propose
une première version de travail.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
80
Les BN possèdent un tableau de bord, des objectifs pas à pas,
un outil informatique intranet de liaison qui permet de programmer,
documenter, communiquer et archiver chaque événement qui
ponctue le processus normatif dans lequel s’engage la commission
miroir. Le personnel du BN est expérimenté et rompu au travail
normatif. Une base de modèles de document est disponible : ordres
du jour, brieng, réunions, rapports, documents généraux, etc. Les
rouages de la machine normative doivent fonctionner sans heurts, et
inspirer conance aux parties intéressées, leur donner le sentiment
que la machine sait où elle va. Dans la « commission miroir »
française, le groupe de travail AFNOR/V06A « commission halal »,
est composé des « parties prenantes » (les parties intéressées qui se
sont engagées à participer et paient leur cotisation à l’Afnor). Des
salariés de l’Afnor sont mis à disposition du groupe de travail pour
l’envoi des documents, l’organisation et la modération des réunions.
Des ots de documents de priorité et d’importance variées arrivent
ainsi en abondance de l’Afnor dans les boîtes mail des participants.
Tout est mis en place pour favoriser l’accord et l’obtention du
consensus, quitte à gommer les désaccords. Ceux-ci sont évités
par une minimisation systématique des interactions entre les
membres en dehors des cadres prévus, et par une interdiction de
révéler à l’extérieur ce qui se passe en commission. Le règlement
indique, par exemple, que les travaux doivent être menés autant que
possible par correspondance, en limitant les réunions au minimum
raisonnable. Les interactions entre les « commissions miroirs » sont
déconseillées en dehors des réunions programmées par le CEN, et il
est impossible de s’adresser directement, en tant que membre de la
commission, au CCMC (outil logistique du CEN). La communication
doit passer par les BN seuls habilités à s’adresser au CCMC ou au
secrétaire général du CEN 425/TC. Pour faciliter l’« accord » et,
bien que les langues ofcielles du CEN soient l’anglais, le français
et l’allemand et que les participants aux réunions soient tenus d’être
capables de s’exprimer dans l’une de ces trois langues, les réunions
se font uniquement en anglais (ce qui favorise la prise de parole
des participants d’Europe du Nord, plus souvent anglophones). Les
BN traduisent en anglais les procès-verbaux des réunions qu’ils
rédigent eux-mêmes. Ces procès-verbaux gomment une partie des
passages conictuels pour ne retenir que l’accord nal quand il
y en a. S’il n’y a pas accord, ils ne répercutent pas les causes du
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81
LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
désaccord. Le désaccord n’est pas un événement, ce n’est qu’une
étape de discussion vers le consensus.
Le travail normatif est conduit par chaque bureau de normalisation
avec un but fonctionnel : réduire les dissonances et fabriquer « la
position » nationale de sorte que chaque pays puisse parler d’une
seule voix.
Les « commissions miroirs » sont représentées au CEN par un
nombre maximal de deux, voire trois délégués désignés par chaque
commission pour chaque réunion plénière. Ces délégués sont des
« porte-parole » au sens strict de la nation qu’ils représentent. Le
statut de leur parole prend une dimension solennelle. Un président
d’une petite association qui a reçu mandat de délégation se voit
attribuer le nom de son pays : « La France pense, dit, déclare, soutient
que… », ce qui peut être très intimidant et accroître l’autocontrôle.
Ce simple exemple reète toute la puissance politique du travail
normatif du CEN : transformer des sortes de pâtés de réexion
technique, pas encore secs, façonnés en « commission miroir », en
demandes assurées et formelles au nom de chaque nation.
Comme en commission miroir, en assemblée plénière les
décisions ne sont pas prises à la majorité mais par « consensus », en
application d’un des dix principes qui régissent le travail normatif.
Ceci vaut dans tous les cas sauf au moment du vote nal.
Les dix principes de guidance du travail normatif
L’animateur normatif doit guider les discussions en vertu des
dix principes de guidance quigissent le travail normatif
39
:
indépendance, impartialité, transparence, ouverture et concertation,
consensus, pertinence, cohérence et efcacité, travail en réseau.
Comment ces principes sont-ils appliqués ? Le document de
référence du travail normatif, que chaque commission du CEN doit
appliquer scrupuleusement, le précise :
impartialité : l’impartialité y est dénie comme la capacité
à prendre en compte les avis et intérêts exprimés par chacune des
parties prenantes, à en rendre compte, à examiner chacune des
39. AFNOR NF X50-088, « Normalisation et activité connexes. Activités des
bureaux de normalisation. Principes, exigences et indicateurs ». Ils sont présents dans
la normalisation de l’ISO et dans les accords TBT.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
82
contributions, sans en privilégier ni omettre aucune. « Le bureau
de normalisation doit demander formellement aux personnels
concernés de faire preuve d’impartialité dans les débats […]. » Les
BN sont incités à ouvrir le dialogue à une base large sans prendre
parti et à examiner avec la même attention, en lui accordant la même
importance, un haut fonctionnaire de l’État comme un commerçant
ou un secrétaire associatif. Il doit donc effacer le cadre cognitif du
système social et les rapports de domination ;
transparence : « Le bureau de normalisation doit rendre
disponible les modalités de participation au travail normatif, y
compris nancières » ; ou encore : « Il doit fournir les informations
qui répondent au principe de transparence lors de l’ouverture de
nouveaux travaux. » Ce qui est requis n’est donc pas la transparence
mais les informations qui sont reconnues comme porteuses de
transparence ;
ouverture : « Le bureau de normalisation doit faire ses
meilleurs efforts pour identier les catégories d’intérêts pertinentes,
rechercher et solliciter les diverses organisations représentatives
de celles-ci en vue d’assurer une composition équilibrée de la
commission de normalisation. » Ce qui est demandé n’est pas
l’ouverture mais les meilleurs efforts pour y parvenir ;
concertation : « Le bureau de normalisation doit mettre en
forme, référencer, enregistrer et mettre à disposition des parties
prenantes toute contribution technique aux travaux normatifs d’une
commission de normalisation. […] Le bureau de normalisation doit
assurer l’archivage de ces documents. » La concertation est dénie
dans un sens particulièrement restreint de mise à disposition de
l’information ;
consensus : « Le bureau de normalisation doit aider la
commission de normalisation et son président à construire le
consensus. Il doit inviter les représentants des divers intérêts en
cause à coopérer loyalement à cette n. […] En cas de contestation,
le bureau de normalisation doit l’enregistrer, examiner la nature et la
portée des désaccords exprimés et y donner les suites appropriées. »
La commission miroir doit faire en sorte de coopérer loyalement
et, s’il y a contestation, « y donner les suites appropriées », ce qui lui
laisse en pratique le loisir de décider ce qui fait consensus ou non.
Le consensus est aussi un mode de décision. Il est déni en ces
termes : « Accord général caractérisé par l’absence d’opposition
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
ferme à l’encontre de l’essentiel du sujet émanant d’une partie
importante des intérêts en jeu, et par un processus de recherche de
prise en considération des vues de toutes les parties concernées et de
rapprochement des positions divergentes éventuelles
40
. » Mais il est
rappelé également que « le consensus n’implique pas l’unanimité ».
L’accord s’obtient sans trop de dommages lorsque les acteurs ont
des objectifs bien compris, lorsqu’ils partagent une compréhension
similaire des enjeux et qu’ils ont un accès identique à l’information.
Mais si ce n’est pas le cas, le consensus s’obtient par des méthodes
que le sens commun résumerait ainsi : « le dernier qui parle à
raison », ou bien « qui ne dit mot consent ». Le « consensus »,
vanté comme une forme supérieure d’accord, revalide en pratique
des formes de pression aussi sauvages que sournoises.
La priorité accordée au consensus doit être mise en perspective
avec le respect des autres principes. L’animateur normatif est-il
réellement incité à l’ouverture à toutes les parties quand son rôle
principal et son but sont de « veiller au principe de consensus
41
» ?
Est-il incité à la transparence quand le diable se cache dans les
détails ? Est-il encouragé à l’impartialité quand il faut bien trancher
en faveur du consensus le plus large ? Est-il poussé à la concertation
quand il est temps de prendre une décision pour la porter au comité
européen qui se réunit deux fois par an ? Tant d’injonctions
paradoxales pour un organisme qui se proclame et met en avant le
principe d’indépendance mais vit en partie des droits d’entrée des
parties intéressées qu’il invite autour de la table – et qui ne paient
pas toutes le même montant de cotisation selon leur statut.
Certes, le conseil d’administration veille en principe au
bon déroulement des opérations mais leur application n’est pas
réellement vériable dans la mesure où l’obligation ne porte pas sur
le résultat mais sur l’intention : « faire ses meilleurs efforts pour… ».
Deux autres leitmotive sont fréquemment mobilisés. Celui du
« volontariat » : il est rappelé aux participants durant les discussions,
surtout lorsque certains commencent à s’échauffer et que l’objectif
d’accord s’éloigne, qu’« une norme n’est que volontaire, [qu’]elle
40. NF X50-088, « Normalisation et activité connexes. Activités des bureaux de
normalisation. Principes, exigences et indicateurs ».
41. Lettre à Al Kanz, <www.al-kanz.org/2011/10/05/droit-reponse-afnor/>, 5
octobre 2011.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
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n’a aucun caractère obligatoire ». Même s’ils ne sont pas d’accord
avec le résultat, ils ne seront pas « obligés » de l’appliquer. Il n’y
aurait donc pas d’impact pour le récalcitrant.
En réalité, ce n’est pas aussi simple : la publication d’une norme
européenne empêche les pays membres de mettre au point leur
propre norme nationale, même ceux qui ont explicitement voté
contre la norme européenne. Les opérateurs économiques ont
seulement le choix de sortir du jeu compétitif et de s’exclure à leurs
dépens. Ils peuvent uniquement ne pas utiliser la norme européenne
et prendre le risque de s’exclure d’un jeu qui se décide sans eux.
S’ils se sentent malgré tout contraints de participer, le principe du
« provisoire » est alors rappelé. La norme n’est pas gravée dans le
marbre, rappelle souvent l’animateur normatif, dans le même temps
qu’il organise sa xation.
L’État, les religieux, des
stakeholders
parmi d’autres ?
L’État simple stakeholder ?
Le rôle de l’État est volontairement réduit, la réduction du
nationalisme normatif est d’ailleurs dans la nouvelle approche un
objectif central.
Les autorités réglementaires apparaissent comme des « parties
intéressées » au même titre que les autres sous deux des dix
catégories prévues : « catégorie d’intérêt général » ou « autre
intervenant en normalisation ». Elles s’expriment au même titre
que les autres parties.
Toutefois, l’État peut exercer son inuence non pas à l’intérieur
mais de l’extérieur d’au moins quatre façons : 1) nancière : aucun
organisme de normalisation ne pourrait réaliser son travail dans
toutes les conditions exigées sans subvention de l’État ; 2) expert e :
l’atteinte des objectifs réglementaires rend utile, voire nécessaire, la
présence des fonctionnaires spécialisés des départements ministériels
concernés
42
; 3) légale : les acteurs s’autocontrôlent dans la mesure
42. Les représentants des ministères concernés par une norme sont parmi les
premiers à être informés et invités dans une commission normative.
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
où ils savent que la norme doit respecter la réglementation, sinon
leurs produits ne pourront être vendus dans les pays de l’Union
européenne ; 4) politique : les fonctionnaires participants ont de
facto une sorte de « droit de regard » sur les activités normatives
nationales qui leur permet au moment de l’enquête et du vote nal
européen d’intervenir, ou même une fois la norme adoptée de
bloquer son homologation sur le territoire national
43
.
L’État a en outre la possibilité d’empêcher sinon le processus
normatif, au moins l’emploi de la norme sur son territoire : « Le
Délégué interministériel aux normes peut s’opposer à l’homologation
du projet de norme dans lelai d’un mois à compter de la transmission
qui lui est faite par l’Afnor », notamment lorsque le projet de norme
est « contraire à des dispositions législatives ou réglementaires ».
Cette dernière possibilité est rarement utilisée car si la norme en
préparation est arrivée au comité technique du CEN, c’est que les
États de l’Union européenne ont jugé qu’elle ne concernait que des
produits, pas les « exigences essentielles ». Si l’État intervient donc
comme simple support technique ou réglementaire, il a toutefois
la possibilité de refuser l’application de la norme. Il possède donc
bien une responsabilité dans son homologation. Si un État ne
s’oppose pas au principe de normalisation religieuse, alors il porte
la responsabilité de sa publication.
Le religieux simple « support technique » ?
Dans les réunions du comité Afnor et celles du CEN, l’effacement
de toute hiérarchie et spécialisation religieuse est frappante. Tout
musulman est religieux. L’autorité religieuse n’a pas d’existence
en tant que telle. L’herméneutique religieuse est ignorée, les
règles religieuses étant considérées sous leur seul angle technique
à l’exclusion des autres dimensions. Les opinions religieuses se
valent, ceux qui les énoncent ont à ses yeux le même poids. Cette
logique conduit à chercher un plus grand dénominateur commun
et, nalement, par réduction progressive, à privilégier les options
normatives qui conviennent aux plus stricts.
43. En théorie, si la norme est jugée enfreindre certains principes incompatibles
avec ses valeurs, l’État a la possibilité de le signifier et empêcher sinon le processus
normatif, au moins l’emploi de la norme sur son territoire.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
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L’évitement du problème de la référence légale, qui ne peut
conduire qu’à une confrontation puisque les religieux ne veulent pas
concéder la disparition du Coran et de la Sunna des sources légales,
induit une exacerbation du religieux dans toutes les discussions.
Le consensus sur les aspects techniques tend à se faire au prot
de ce qui paraît le plus apte à défendre l’intégrité de la « norme
islamique » face à la normalisation technique (perçue comme
« occidentale »).
Pourtant, pour favoriser l’entente et le consensus, le CEN ne
ménage pas ses efforts en se montrant très hospitalier. L’organisation
de l’agenda des réunions tient compte des heures de prière, indique
une mosquée à proximité et prévoit une nourriture distinctive. Mais,
plus la hiérarchie religieuse est ignorée plus elle se manifeste. Les
religieux (représentants de mosquées ou associations islamiques,
agence de certication) exposent leur islamide façon plus marquée
pour se distinguer des autres parties intéressées représentées par
des personnes musulmanes. (Les entreprises envoient souvent leurs
salariés musulmans pensant qu’ils seront plus aptes à la discussion
et qu’ils sauront décoder la langue et le langage, et défendre leurs
intérêts.) L’islamité devient plus manifeste, audible et visible : des
formules de remerciements en arabe coranique sont utilisées avant
de prendre pour la première fois la parole ou en terminant la séance ;
les « musulmans » disparaissent tous au moment du temps réservé
pour la prière, etc. ; il est fait un usage du nous confessionnel,
« nous, les musulmans » (face à « vous, les Occidentaux »).
Finalement, les seuls participants religieux capables d’agir dans
cet environnement sont ceux qui ont fait un travail de xation de la
norme et qui pensent qu’il existe une orthodoxie de la norme, c’est-
à-dire les courants fondamentalistes. Ils sont les seuls à pouvoir
participer, résister ou déer le processus de normalisation. Ceux qui
ne peuvent suspendre leur tradition herméneutique, les références et
les outils d’exégèse classiques et pensent qu’une orthodoxie ne peut
s’imposer sur les autres ne sont pas outillés pour ce travail normatif.
Discussion et conclusion
La question de la légitimité démocratique des organismes
de normalisation internationaux tels le CEN ou l’ISO n’est pas
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
neuve. Elle s’est renforcée à mesure que ces organismes ont étendu
leurs visées normatives à des domaines qui dépassent de loin le
seul champ économique et l’adoption de règles communes pour
faciliter les échanges et abaisser les barrières « protectionnistes ».
Ainsi, l’ISO avec la norme 26000 sur la responsabilité sociale
des entreprises
44
étend son pouvoir de normalisation au champ
sociopolitique, tandis que le CEN prétend ici normaliser un principe
religieux.
Pour assurer la normativité de sa norme, c’est-à-dire son
adoption concrète par les acteurs sans disposer de la contrainte de
la loi (hard law), le CEN doit susciter et construire l’adhésion à la
norme volontaire qu’il produit. Tel est le coût de la primauté de la
« gouvernance » – concept qui renvoie originairement à la gestion
des organisations – sur le « gouvernement ». À cet effet, il mobilise
différents leviers, dont les deux principaux sont l’implication des
acteurs dans la production de la norme et les principes qui encadrent
la production de la norme.
Primo, la montée en puissance de la gouvernance internationale,
corollaire de la mondialisation économique et technologique,
s’est accompagnée de transformations profondes des dispositifs
d’implication des acteurs, passant de la consultation des groupes
d’intérêt à la participation des parties prenantes, pour tenter de
s’élargir aujourd’hui, dans certaines arènes publiques, à une
coproduction délibérative [Maesschalck et Lenoble, 2009].
Secundo, pour asseoir leur caractère réellement démocratique et
participatif, les procédures de production des normes furent soumises
à un ensemble cohérent de principes tels que l’indépendance,
l’impartialité, la transparence, l’ouverture et la concertation, le
consensus, la pertinence, la cohérence, le travail en réseau, etc.
Notons que nombre de ces principes encadrent aujourd’hui la
production des normes aussi bien privée que publique : la critique
du décit démocratique de la démocratie représentative a suscité
le besoin d’ajouter l’adhésion à la légitimité.
Parmi ces principes, trois méritent une attention particulière pour
une déconstruction des procédures de production de la norme mises
en œuvre par le CEN : l’ouverture, la transparence et le consensus.
44. <www.iso.org/iso/fr/home/standards/iso26000.htm>.
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
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Le principe d’ouverture traduit tout d’abord l’égalité d’accès et
de participation des différentes parties prenantes au processus de
normalisation, garante du pluralisme des intérêts et des perspectives
[Kokoszka, 2006]. Ce réquisit pour la production de la norme est
aussi un impératif pour l’acceptabilité de la norme et l’adhésion à
la norme. Mais le principe d’ouverture ne concerne pas seulement
l’extension du champ des acteurs. Il est également temporel : la
production d’une norme impose que cette norme soit, par principe,
révisable, et révisable par un panel d’acteurs plus large ou différent
de celui que composent les actuels concernés. D’un point de
vue démocratique, l’ouverture temporelle est tout simplement
essentielle : une démocratie qui ne prévoirait pas les modalités de
sa refonte normative s’enfermerait dans un carcan nécessairement
totalitaire.
La transparence est un principe corrélatif de l’ouverture. En
effet, s’il est nécessaire d’assurer l’égal accès de tous les intéressés
au processus de production de la norme, encore faut-il que la
participation soit elle-même égalitaire, notamment en termes
d’accès à l’information et de traçabilité des débats. Enn, le principe
du consensus vise à ce que l’égal accès et l’égale participation des
différentes parties prenantes au processus de production de la norme
se matérialisent effectivement à toutes les étapes de la production
de la norme et dans la norme produite.
Qu’en est-il de ces principes dans le cadre de la commission
CEN 425 Halal ? L’ouverture aux participants a été, comme nous
l’avons vu, particulièrement opaque. À qui a-t-on adressé les
invitations à participer, sur la ase de quels critères a-t-on déni ou
prédéni les parties censément intéressées ?
La nécessité pour une norme volontaire d’emporter l’adhésion
des acteurs conditionne le choix des parties prenantes et impose
la présence de certains d’entre eux. En l’espèce, la norme halal
doit comprendre des acteurs « représentatifs », des associations
de consommateurs, des membres de l’industrie agroalimentaire,
et cela non pas que ces acteurs soient « naturellement » intéressés
à la cause, mais parce que la cause a besoin d’eux pour emporter
l’adhésion.
Ce qui nous amène au point suivant : certes, garantir la
participation de tous par le biais du principe d’ouverture est essentiel
pour toute procédure de production « démocratique » des normes.
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
Encore faudrait-il s’assurer que la présence des différentes parties
prenantes vise bien à participer à la production d’une norme
commune. Or, dans le CEN 425, certaines parties prenantes se
saisissent du processus normatif pour des enjeux de légitimité ou
d’autorité externes [Bergeaud-Blackler, 2015] ; d’autres assistent
aux débats pour les contrôler ou les bloquer
45
.
Quant à l’ouverture temporelle de la norme et sa révisabilité
toujours possible qu’allèguent les animateurs du CEN, imagine-
t-on sérieusement que la standardisation de normes de production
de produits, de processus, de contextes et d’environnement de
production, lancés sur le marché puissent être aisément révisées ? Ces
mêmes remarques valent pour le caractère prétendument volontaire
de la normalisation : en contexte concurrentiel, un entrepreneur
n’aura d’autre choix qu’adopter le standard ou s’exclure du marché.
Le second principe fondamental qui encadre la production
des normes, la transparence, n’est pas mieux rencontré. Si les
commissions miroirs procèdent à des envois massifs d’information,
la manière dont celle-ci est structurée la rend illisible. L’escamotage
systématique des désaccords, l’impossibilité d’entrer directement
en contact avec le bureau technique du CEN ou avec les autres
commissions miroirs ruinent la possibilité même d’une traçabilité
des débats internes, et d’une traçabilité des débats des commissions
miroirs censées travailler en réseau. De ce point de vue, le fait même
que les commissions miroirs travaillent selon un agenda identique,
suppose que l’agenda soit xé indépendamment des débats. Or
l’indépendance dans la planication de la production de la norme
ne peut être fondée que sur l’opacité de ses modalités matérielles
de production.
Quant au principe de consensus, si essentiel à la production
coopérative d’une norme et à l’acceptabilité commune du
« produit normatif » nal, il est littéralement vidé de son sens et
de son efcace par la soustraction systématique des désaccords
internes autant qu’externes aux commissions miroirs. En effet,
seuls les dissensus pourraient être ces lieux d’apprentissage, de
déplacements cognitifs, de réexivité nécessaire à la construction
commune d’une norme.
45. Sur ces effets d’opportunité, Maesschalck [2008, p. 10 et suiv].
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RELIGION. LE RETOUR ? ENTRE VIOLENCE, MARCHÉ ET POLITIQUE
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On pourrait objecter que la mise au point d’une norme technique
ne nécessite peut-être pas autant de réexivité. Ce qui nous ramène à
la question initiale : comment un comité technique de normalisation
a-t-il pu s’emparer d’une norme religieuse ? Ou, pour le dire sans la
confusion qui a précisément permis la tentative de production d’une
norme halal : comment a-t-on pu vouloir standardiser l’application
d’un principe normatif religieux ? Comment a-t-on pu le vouloir
au sens technique, au sens juridique et au sens éthique ? L’essence
même d’une norme religieuse, mais aussi éthique, réside dans les
possibilités indénies d’assomption de la norme, c’est-à-dire dans
les possibilités multiples et nécessairement indénies de mise en
œuvre de la norme [Kokoszka, 2014]. De même que la responsabilité
peut prendre de multiples et d’indéfinies figures, de même le
« permis » (sens étymologique de halal qui semble être l’acception
théologique du terme). Standardiser le permis, enxer une modalité
parmi d’autres, serait-ce de manière consensuelle, ce n’est pas
seulement exclure toutes les autres gures qu’il aurait pu adopter
pour ordonner le réel, c’est mettre n à la modalisation comme
telle, ou, pour le dire autrement, mettre n à l’invention possible
des gures possibles du permis [Kokoszka, 2005, p. 149-169].
Ainsi s’opère la réduction de la liberté religieuse que l’Union
européenne avait, conformément au principe de séparation des
pouvoirs, souhaitée préserver en ne légiférant pas sur le geste
d’abattage religieux, et qui favorise, comme nous l’avons montré,
les tendances fondamentalistes [Bergeaud-Blackler, 2017]. La
standardisation du religieux par l’extension du champ de la
normalisation s’invite dans les relations entre État et religion et
vient remettre en question le fragile équilibre de la séparation des
pouvoirs. Penser la sécularisation dans nos sociétés de marché, plus
interdépendantes que jamais, nécessite désormais l’introduction
d’un troisième terme – l’économie entre le politique et le religieux.
Pour la suite…
À la suite d’un vote auprès des commissions miroirs, le
CEN 425/TC s’est autodissout en 2016. La proposition d’arrêt
est descendue du bureau technique du CEN, sans préavis, avec une
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LA STANDARDISATION DU RELIGIEUX. LA NORME HALAL
réponse à envoyer dans les quinze jours, parmi les nombreux points
de l’ordre du jour.
Une coalition de représentants musulmans des commissions
miroirs réunies en congrès en juin 2015 à Istanbul [Bergeaud-
Blackler, 2015] avait décidé que, si la norme n’était pas placée sous
la responsabilité musulmane, ils travailleraient à sa destruction.
Le bureau technique du CEN invoqua le non-respect du principe
d’ouverture pour soutenir sa demande de dissolution.
La commission française V06A de l’Afnor, mise en place par le
CEN 425, se donna un nouvel objectif : mettre en place une « norme
expérimentale XP » « halal » pour une période d’essai de trois ans
à partir de janvier 2017 pour son éventuelle remise à l’étude…
Références bibliographiques
BERGEAUD-BLACKLER Florence, 2017, Le Marché halal ou l’invention d’une
tradition, Seuil, Paris.
– 2015, « COMMENT la “norme halal” travaille le paysage islamique français »,
Conuences Méditerranée, 4, n° 95, p. 91-108.
2008, « L’encadrement de l’abattage rituel industriel dans l’Union euro-
péenne : limites et perspectives », in FORET F., I TÇAINA X. (dir.), Dieu
loin de Bruxelles, Politique européenne, L’Harmattan, Paris, p. 103–122.
IGALENS Jacques, 2009, « norme de responsabilité et responsabilité des normes »,
Management & Avenir, 3, n° 23, p. 91-104.
KOKOSZKA Valérie, 2014, « Phenomenological habitus and social creativity »,
Phenomenology and Mind, 12, IUSS, p. 147-154.
2006, « L’i r on ie d u li bé ra l is me e t la qu e st io n de l a c o mm un a ut é ch ez R or ty »,
Carnets du centre de philosophie du droit, 78, p. 6-7.
2005, La Médiation de l’expérience. Sur l’incarnation de la liberté dans
l’idéalisme transcendantal, Cerf, Paris.
MAESSCHALCK Marc, 2008, « Quelle philosophie des normes aujourd’hui ?
Gouvernance et apprentissage », Carnets du centre de philosophie du
droit, 38.
MAESSCHALCK Marc, LENOBLE Jacques, 2009, L’Action des normes. Éléments
pour une théorie de la gouvernance, Les éditions Revue de Droit, Université
de Sherbrooke, Québec, Canada.
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... This transformation produces certified options that allow the choice of opting liberal individuals, and market coordination as well. In her comprehensive research on "halal" certification (Bergeaud-Blackler & Kokoszka, 2017;Bergeaud-Blackler et al., 2016), Florence Bergeaud-Blackler demonstrated that the investments in forms and measurement conventions required by this standardization led to a dispositif that combines inspiration, market and industrial orders of worth to reach a stabilized compromise and create a certifiable halal quality of goods and services. She showed the effect of this reduction of faith to a measurable and certifiable quality: it reinforces, on a large scale and insidiously via the market, a literalist and fundamentalist conception of religion (see also Stavo-Debauge, 2018). ...
Book
Full-text available
This open access book offers unique insight into how and where ideas and instruments of quantification have been adopted, and how they have come to matter. Rather than asking what quantification is, New Politics of Numbers explores what quantification does, its manifold consequences in multiple domains. It scrutinizes the power of numbers in terms of the changing relations between numbers and democracy, the politics of evidence, and dreams and schemes of bettering society. The book engages Foucault inspired studies of quantification and the economics of convention in a critical dialogue. In so doing, it provides a rich account of the plurality of possible ways in which numbers have come to govern, highlighting not only their disciplinary effects, but also the collective mobilization capacities quantification can offer. This book will be invaluable reading for academics and graduate students in a wide variety of disciplines, as well as policymakers interested in the opportunities and pitfalls of governance by numbers. Andrea Mennicken is Associate Professor of Accounting at the London School of Economics and Political Science, UK, and Co-Director of the Centre for Analysis of Risk and Regulation (LSE), UK. Robert Salais is Associate Researcher at the Ecole Normale Supérieure de Paris-Saclay, France, and member of the Institutions and Historical Dynamics of the Economy and Society (IDHES) Centre, France.
... This transformation produces certified options that allow the choice of opting liberal individuals, and market coordination as well. In her comprehensive research on "halal" certification (Bergeaud-Blackler & Kokoszka, 2017;Bergeaud-Blackler et al., 2016), Florence Bergeaud-Blackler demonstrated that the investments in forms and measurement conventions required by this standardization led to a dispositif that combines inspiration, market and industrial orders of worth to reach a stabilized compromise and create a certifiable halal quality of goods and services. She showed the effect of this reduction of faith to a measurable and certifiable quality: it reinforces, on a large scale and insidiously via the market, a literalist and fundamentalist conception of religion (see also Stavo-Debauge, 2018). ...
Chapter
Full-text available
Governing with quantification rests on preliminary processes of transforming the world to make it quantifiable through conventions of formatting and equivalence-making. This chapter investigates a new globalized mode of governing, operating, away from states, through voluntary certification standards. Considering the case of sustainable palm oil certification, it follows the most vulnerable “stakeholders”, from their daily life in remote rural areas to the governing public roundtables and private confidential negotiations. Fostering the dialogue between the extended convention theory framework and governmentality studies, the chapter shows that in a new kind of “standardizing liberalism” [libéralisme normalisateur], “governing by standards” shifts the political debate about power, legitimacy and the common good onto measurable certifiable characteristics of goods and services to be chosen by autonomous opting individuals.
Chapter
This chapter looks at the concepts of “eating together” and “eating differently” in the halal meat market through the dynamics of standardization versus differentiation, both in terms of purchasing practices and offers, as well as in terms of meat production methods and guarantees of their halal nature. The halal market illustrates the problem of eating together AND differently and reflects the coexistence of these two strategic dynamics of standardization‐differentiation of offer, responding to an increasingly complex demand. The study of the phenomena of standardization‐segmentation will shed light on the economic, regulatory and productive issues underlying the “transformation” of the living animal into a halal meat product identifiable by consumers. The chapter also examines the main specificities of halal meat consumption. Some trends are consistent with what is generally observed in food supply and demand practices; others are more specific to the halal meat market.
Article
This article charts the history of the invention of halal and of its extension to an increasingly diverse range of goods, services and even modes of behaviour. Following the works of Bergeaud-Blackler, it argues that halal is not the industrialization of traditional practices but rather that it is ‘born industrial’ as the result of the encounter between neoliberal economic globalization and the spread of consumerism across the Muslim world. It argues that the wild development of halal and its extension well beyond the edible is part of a wider reconfiguration of Islam within a Global-Market frame, away from Nation-State bound forms. From its inception within industrial processes of meat production, halal has been extended to qualify vacation packages, refrigerators and proper sexual morality.
Article
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Plutôt que de faire un résumé strict qui aurait peu d’intérêt s’agissant d’un ouvrage qui synthétise déjà un certain nombre d’années de recherche, j’ai choisi d’en faire plus simplement une présentation méthodologique et thématique en soulignant l’intention qui m’a animée tout au long de son écriture.
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Qu’en est-il des relations d’influence entre « marché halal » et « offre islamique » aujourd’hui en Europe ? Peut-on établir un lien entre contrôle de la garantie halal et composition et recomposition du paysage religieux ? Cet article montre que la question du contrôle de la norme halal marchande a émergé récemment dans l’espace public et joue un rôle croissant dans la structuration de l’offre religieuse islamique française. Après avoir mis en lumière le contexte d’émergence d’une bataille mondiale autour d’une« norme halal » opposant pays musulmans et non-musulmans, l’article retrace le cheminement par lequel un projet de norme halal est arrivé dans les instances de normalisation européenne (le CEN) et l’impact que ce projet, toujours en cours, a d’ores et déjà sur le paysage islamique français.
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Regulation of Industrialised Ritual Slaughter in the European Union: Limits and Perspectives In our secularised societies, a few domains still exist where the political temptation to regulate the religious field has not totally disappeared. This is the case of the slaughter industry in Europe. An increasing number of these ritually slaughtered meats circulate in the conventional food chain which poses the question of their double status, that of food and that of a religious product. As they revise this directive will the European Union reflect on the regulation of religious foods? This revision represents a unique opportunity for us to reflect on what main issues are at stake in the regulation of religious slaughter.
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The global halal market. A conversation with Florence Bergeaud-Blackler about her book The Halal Market, or the Invention of a Tradition. Interview by François Gauthier All commercial sectors are now affected by halal standardisation: food of course, but also cosmetics, drugs, cleaning products, services such as logistics, hotels, tourism, etc. In her latest book, Florence Bergeaud-Blackler shows how this commercialized version of halal emerged at the end of the twentieth century as a product of the crossing of neoliberalism with religious conservatism and fundamentalism.
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The ISO 26000 standard is the first international standard that may be qualified as fourth type. After a long elaboration process which involved 80 countries and 40 international organizations, it should be published next year. Its precise designation is “guidance on social responsibility”. It concerns not only the firms but also the place and the role of any kind of organizations inside the society. It is based on universal principles and imposes a set of core subjects. This article deals with the legitimacy of ISO to address such issues as human rights, labour practices, environment, community involvement and development. Neither ISO structures nor elaboration process offer guarantees that one is supposed to require from a democratic institution.
Le Marché halal ou l'invention d'une tradition, Seuil, Paris. -2015, « COMMENT la "norme halal
  • Bergeaud-Blackler Florence
BERGEAUD-BLACKLER Florence, 2017, Le Marché halal ou l'invention d'une tradition, Seuil, Paris. -2015, « COMMENT la "norme halal" travaille le paysage islamique français », Confluences Méditerranée, 4, n° 95, p. 91-108.
  • Kokoszka Valérie
KOKOSZKA Valérie, 2014, « Phenomenological habitus and social creativity », Phenomenology and Mind, 12, IUSS, p. 147-154.
L'Action des normes. Éléments pour une théorie de la gouvernance
  • Maesschalck Marc
  • Jacques
MAESSCHALCK Marc, LENOBLE Jacques, 2009, L'Action des normes. Éléments pour une théorie de la gouvernance, Les éditions Revue de Droit, Université de Sherbrooke, Québec, Canada.