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Le mot et le geste
Sexualité et affectivité en situation de handicap
The Word & the Gesture. Sexuality, Affectivity, Disability
Johann Chaulet et Sébastien Roux
Cet article a bénéficié du soutien matériel et des échanges conduits au sein du programme ANR
ETHOPOL (14-CE 29-0002-01)
1 Johann Chaulet est atteint de myopathie des ceintures. Sa maladie évolutive, diagnostiquée à l’âge
de huit ans, réduit progressivement sa masse musculaire. Il a perdu la marche à onze ans et se
déplace en fauteuil roulant électrique. Depuis 2005, il respire la nuit à l’aide d’un appareil de
ventilation pour compenser la perte de tonus de son diaphragme et de ses muscles thoraciques.
Cette assistance lui est devenue nécessaire en journée à partir de 2011. Il ne peut désormais réaliser
que des mouvements fins, et n’a pas la capacité de soulever ses jambes ni ses bras. Johann est
accompagné en permanence par quatre assistants qui se relaient toutes les 24 heures. Aujourd’hui
âgé de trente-six ans, il est chercheur en sociologie au CNRS, à Toulouse. Avec Sébastien Roux,
également sociologue au CNRS, ils ont réalisé en 2014 et 2015 une série de dix entretiens de deux
heures afin de penser ensemble la sexualité et l’affectivité en situation de handicap.
2 Cet article détaille une nuit amoureuse entre Johann et Anna1, avec laquelle Johann a
entretenu ces dernières années une relation de quelques mois. Le déroulé est
volontairement fictif. La nuit décrite n’a jamais existé comme telle ; elle réunit plusieurs
moments intimes, vécus avec Anna ou d’autres femmes. En choisissant de publier un récit
qui, s’il est fictionnel, reste fidèle à un vécu sexuel, les auteurs entendent donner à voir le
dispositif2 qui façonne une pratique érotique, et les enjeux qui traversent une
hétérosexualité où le partenaire masculin est en situation de dépendance physique3.
Entre auto-ethnographie et fiction, le récit permet de mettre en question des relations
affectives où le handicap physique reconfigure pour partie les rapports de genre.
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Genre, sexualité & société, 17 | 2017
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Vies de couple
3 Anna est fatiguée ; il est minuit passé. Elle a envie de se serrer contre moi mais nous
n'avons pas encore trouvé de solution satisfaisante pour nous rapprocher lorsque nous
sommes ensemble au salon. Assis sur mon fauteuil, isolé par des accoudoirs proéminents,
la pipette de ventilation et le moniteur de contrôle de l’appareil, je ne peux pas me serrer
contre elle ; l’embrasser est difficile. Enfoncée dans le canapé, elle est trop basse pour que
mes lèvres l’atteignent ; installée sur l’accoudoir, elle se plaint de l’inconfort. « On va au
lit ? » me propose-t-elle. J'acquiesce. Une fois allongés, nos corps pourront se toucher,
sans le fauteuil, les cale-pieds, la pipette… toutes ces entraves qui nous séparent la
journée.
4 Chaque soir, une vingtaine de minutes m’est nécessaire avant qu’elle ne puisse me
rejoindre au lit. Je m’inquiète toujours un peu de ce temps contraint ; je sais trop bien, et
elle aussi, que ce rythme peut atténuer le désir. Si la spontanéité ne nous est pas
interdite, elle reste limitée par la lourdeur de ma prise en charge. J'appelle d’abord mon
assistant, Hugo, pour qu’il m'aide à me brosser les dents avant de me porter aux toilettes.
Anna en profite pour se doucher. Avant de fermer la porte de la salle de bain attenante,
elle sort les chargeurs dont Hugo a besoin pour brancher les batteries de mon fauteuil
roulant et, surtout, de ma machine de ventilation. Dissimulé dans un sac à dos accroché
au dossier de mon fauteuil, l’appareil pulse, à intervalles réguliers, l’air que j’inspire par
une pipette fixée à un harnais d’épaules. Je ne l’entends plus et n’y prête plus attention ;
le respirateur est pourtant là. Son embout translucide capte le regard inquiet de celles et
ceux qui me rencontrent pour la première fois. Le plastique dit (de manière un peu trop
voyante) la fragilité de mon existence ; il rappelle, à celles et ceux qui, comme moi,
seraient tenté-e-s de l’oublier, que ma maladie ne laisse pas de répit.
5 Anna et moi avons entamé notre relation il y a quelques semaines à peine. Mais
rapidement, et avec l’aide de mes assistants, nous avons pris nos habitudes. Chacun sait
ce qu'il doit faire, quand et comment. Hugo me porte dans le lit. Il m’assied pour installer
le masque qui me permet de respirer durant la nuit. Mon équilibre est précaire. Le
moindre geste déplacé risque de me déstabiliser. Les mouvements de mon assistant sont
prudents mais rapides. À mes côtés depuis plusieurs mois maintenant, il a su – à l’inverse
de tant d’autres – apprendre à me manipuler sans s’épuiser, répondre à mes demandes
sans s’imposer et se rappeler, y compris dans les moments les plus intimes ou les plus
joyeux, que notre relation reste avant tout professionnelle. Ce soir, comme deux fois par
semaine, c’est donc son employeur qu’il relie au respirateur et qu’il finit de déshabiller
jusqu’à le laisser nu dans son lit, prêt à être rejoint par sa partenaire. Moments sans gêne
et sans pudeur ; plutôt des habitudes, parfois de la complicité. Alors qu’Anna se glisse
sous les draps, entourée de sa serviette, Hugo place au bord de la table de chevet le
téléphone avec lequel je l’appellerai dans la nuit, plusieurs fois, pour qu’il me retourne
lorsque ma position sera trop douloureuse. Comme souvent à cet instant où il est invité
malgré lui dans notre intimité, il ose quelque sous-entendu explicite mais subtil qu’Anna
accueille en riant. Elle s’approche et me serre contre elle, comme pour confirmer son
intuition. Il balaie la pièce du regard. Tout semble en ordre. Il quitte la chambre, la porte
se referme et de trois nous ne sommes plus que deux.
6 Je suis ventilé la nuit depuis une dizaine d’années. Lorsque je suis couché, un masque
remplace la pipette avec laquelle je respire assis sur mon fauteuil. Ce soir, je veux pouvoir
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embrasser Anna. Pour libérer ma bouche, j’ai décidé de mettre mon « masque à nez » – la
moins encombrante des interfaces. En caoutchouc souple, il envoie de l’air dans mes
narines par deux embouts ajustés qui laissent ma bouche et le haut de mon visage libérés.
Plus fin et léger, il ne possède pas d’attaches sur le front. La différence est notable avec
mon « masque de nuit » qui, lui, est beaucoup plus imposant. Pourtant, je ne peux pas
l’ajuster avec autant de précision et m’en servir pour dormir la nuit entière s’avère
problématique. Il m’est impossible de gérer correctement les fuites d’air et je suis
toujours trop ou pas assez ventilé. Soit mon ventre, gonflé d’air, me fait mal ; soit,
manquant d’oxygène, je me réveille essoufflé et assailli de violents maux de tête. Hugo
devra donc revenir pour m’installer l’interface adéquate avant que je ne m’endorme ;
comme (trop) souvent il faut anticiper et planifier.
7 Je sais le poids de ces artefacts sur mes rapports amoureux. Je n'ai de cesse de chercher
les nouveaux matériels susceptibles de me faire gagner quelques marges de manœuvre
supplémentaires. En fouillant les armoires de l'hôpital, lors de ma dernière consultation
médicale dans le service spécialisé de Lyon qui me suit depuis plusieurs années, j'ai
découvert un appareillage moins encombrant. L’équipe médicale avec laquelle je travaille
s’est habituée à m’écouter mentionner la sexualité comme une dimension qui m’importe,
et en fonction de laquelle j’ajuste les dispositifs qui me soutiennent. J’ai hâte d’essayer ce
nouvel appareil ; je veux pouvoir m’endormir après avoir fait l’amour sans craindre un
réveil désagréable quelques dizaines de minutes plus tard. Mais, pour éviter à Anna des
désagréments éventuels, je préfère remettre ce test à une nuit que nous ne passerons pas
ensemble. Je me contente donc pour ce soir du masque à nez, un matériel qui a déjà fait
ses preuves.
8 Je suis allongé sur le dos. Anna s’approche et vient se lover contre moi. « Tu es gelé ! »,
s'écrit-elle lorsque sa jambe effleure la mienne. Elle commence à me réchauffer. « Tu mets
ma main sur toi ? » Elle attrape mon bras gauche et, soulevant sa tête, le fait passer
derrière sa nuque d'un geste rapide. « Descends un peu ». Elle se glisse de quelques
centimètres le long de mon corps et je peux désormais caresser son épaule sans n'être
plus gêné par la douleur. « Mets-moi l’autre main. » Les mains jointes, je m’aide de l’une
pour bouger l’autre, en prenant soin de ne pas glisser sur sa peau. Je la serre contre moi,
un peu. Comme je peux. L’ajustement de notre position passe par ses mouvements et mes
consignes. Elles m’avaient valu quelques remarques amusées lors de notre première nuit.
« Tu es un vrai dictateur ! » m’avait alors décoché Anna dans un sourire, alors que je la
guidais. Plus qu’un reproche, je pense qu’il s’agissait pour elle d’un moyen d’exprimer
l’inconfort relatif d’une demande de contrôle. Cause ou conséquence de cette façon de
procéder, ma sexualité est assez dominatrice et j’intime régulièrement des ordres à mes
partenaires qui disent prendre du plaisir à les recevoir et à s’y conformer ; j’aime le
croire.
9 Quelques minutes s'écoulent où je laisse tomber progressivement mes bras et mes doigts
pour caresser ses seins. Certains de mes gestes peuvent se dispenser de l’autre en se
jouant aussi du hasard, de ce bout de peau, de cette partie de corps qui soudain se trouve
à la portée de mes lèvres, de mes doigts. Pourtant, la grande majorité de mes mouvements
passe par une demande explicite. J’y suis habitué mais dire mes actions et les soumettre à
la volonté d’autrui fait aussi peser sur moi un sentiment d'insécurité. Voir l’autre se
dégager d'une caresse ou se dérober d'un geste qui lui déplaît m’a toujours semblé
préférable aux refus verbalisés auxquels mes demandes m’exposent. Le mot, s’il intime et
exige, fragilise aussi.
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10 Un jeu de dupe s’instaure alors, que nous acceptons de jouer pour faire « comme si ».
Comme si j’étais effectivement celui qui bouge ma main, celui qui prend, qui décide. Et je
le suis certainement, souvent. Pourtant mes mouvements et mes actions reposent sur un
pacte fragile, les demandes que j’exprime rappelant sans cesse mes incapacités. Quand les
rouages sont un peu enrayés, les désirs émoussés ou les corps disjoints, la médiation de la
parole et la dépendance du geste rendent certainement le rapprochement plus difficile
encore. Du moins, je l’imagine. Cette dépendance me rend vulnérable. Je peux oublier que
je m’en remets aux autres, mais c’est toujours un effort ; je ne peux vivre sans l’action
d’autrui et la présence ronflante d’une machine. Je suis plongé dans une incertitude
latente qui puise aussi ses racines dans mes expériences passées, ces souvenirs de désirs
écartés, repoussés, voire discrédités ou moqués. Mais je n’y pense pas cette nuit. Anna est
avec moi et nous passons un temps que je veux heureux, un moment qui, s’il requiert des
mouvements précis, des manipulations techniques et un dispositif d’appui, n’en reste pas
moins un temps de plaisir et d’intimité partagée.
11 J’ai maintenant envie de me tourner sur le côté. Je propose à Anna d’appeler mon
assistant mais elle préfère se charger de m’aider. Elle s’agenouille sur le lit pour avoir les
prises et la force nécessaires à la manipulation. Elle agit avec souplesse et confiance, et
témoigne d’une aisance qui me plaît et me touche. Une fois rallongée à mes côtés, elle
pose machinalement ma main droite sur sa poitrine. Je lui demande de la descendre. Elle
la glisse sur son ventre. « Encore. » Elle rit légèrement lorsqu’elle me demande « là ? » en
déposant ma main sur son sexe. Elle sait, par habitude, comment placer mes doigts pour
me permettre de la masturber. Je lui demande de « sortir mon pouce » afin de prendre
appui sur le bas de son ventre et caresser son clitoris avec mon annulaire et mon majeur,
malgré les rétractions musculaires qui contraignent l’amplitude de mes mouvements et
limitent la force de ma main. Mes gestes sont souvent sexuels – conséquence indirecte de
ma dépendance. Certains raffinements érotiques me sont interdits ; il me serait difficile,
par exemple, de caresser le dos de ma partenaire en lui demandant de descendre ma main
peu à peu. À l’inverse, j’ai développé d’autres compétences et d’autres envies, et la gamme
de mon répertoire s’est élargie avec le temps. Alors qu’Anna m'aide à placer mes doigts, je
me demande jusqu'à quel point le geste qu'elle accompagne reste le mien, pour moi et
pour elle. Quand elle saisit ma main et la frotte sur son sexe, suis-je en train de la caresser
ou est-elle en train de se masturber ? Et que dit cette parole, omniprésente, des rôles que
nous jouons ? J’aime penser que les mots qui accompagnent le geste marquent ma volonté
et mon désir, et participent de l’appropriation d’une action qui pourrait sinon
m'échapper.
12 Passant sa main entre mes jambes, Anna me touche à son tour. Elle disparaît sous la
couette sans un mot, prenant soin de me laisser couvert – elle sait combien la maladie
m’expose au froid. Elle commence une fellation. Je ne peux plus la voir ; les muscles de
mon cou ne sont plus assez forts pour diriger ma tête vers mon bassin. Je regrette
l’absence de miroir ; il me permettrait de voir une caresse que je ne peux que ressentir et
renforcerait l’excitation. J’ai déjà envie de jouir. Ne pouvant pas me masturber, je n’ai pas
éjaculé depuis une semaine. Au bout de quelques minutes, je demande à Anna de
s’arrêter. Je veux prolonger l’instant et ne pas atteindre trop vite un orgasme. Puisque la
plupart de mes gestes nécessitent une intervention que je dois solliciter, je parle
généralement beaucoup. J’en suis venu à érotiser la parole, l’ordre parfois. Pourtant mes
mots ne sont pas que des consignes ; d’après la plupart des femmes avec lesquelles j’ai
entretenu une relation sexuelle, ces mots participent aussi au plaisir qu’elles m’ont dit
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ressentir et rassurent certaines de leurs inquiétudes. Elles, souvent, parlent moins. Ce soir
encore, mes caresses s’accompagnent du récit de mes fantasmes et de mes désirs.
13 La respiration d’Anna s’accélère. J'ai envie de voir son sexe. Il m’est souvent invisible,
même lorsqu’elle s’allonge nue près de moi. Pour le voir au hasard d'un mouvement de
son corps, même subrepticement, il faut que ma tête soit orientée au bon endroit au bon
moment. Je lui demande de se poser sur ma main pour voir mes doigts entrer en elle. Elle
vient et ajuste nos positions. Voir me donne de nouvelles envies. « Je veux te lécher ».
« Non, j’ai la flemme… ». Je renonce. Ma proposition nécessiterait en effet qu'elle quitte la
couette chaude pour venir se placer à portée de ma bouche. Je doute souvent du confort
de telles positions ; certaines partenaires ont d’ailleurs pu s’en plaindre. Me donner
satisfaction est souvent synonyme d’un abandon, voire d’une lutte. Pour elles, c’est aller à
l’encontre d’une pudeur qui empêche habituellement l’exposition du sexe ; mais c’est
aussi s’en remettre à ma volonté et jouer une fois de plus ce jeu qui fait de mes mots un
palliatif. Pourtant, elles ne se doutent pas à quel point l’anticipation de leur inconfort ou
la peur de ma maladresse peuvent rendre ces désirs difficiles à exprimer. Non pas qu’un
refus serait trop désagréable à entendre, mais il m'est toujours difficile de ne pas craindre
que ma partenaire cède à ma volonté plus qu'elle ne suit ses propres désirs. Peut-être un
syndrome supplémentaire de celui que l’on sert depuis tant d’années alors qu’il n’a jamais
demandé à l’être. L’omniprésence des mots impose des négociations parfois fragiles où
l’autorité que je joue, acceptée voire désirée par Anna, participe de nos efforts pour
tenter de faire oublier pour quelques instants ma dépendance et mes incapacités.
14 Nous passons plusieurs minutes serrés l’un contre l’autre. Elle frotte son sexe contre le
mien. Nous ne sommes plus interrompus par le préservatif qu’elle devait mettre en place
il y a quelques semaines encore. Nous avons tous les deux passé des tests VIH qui ont
confirmé nos séronégativités et Anna prend la pilule. Elle me demande : « on fait
l’amour ? ». Elle propose ainsi que je la pénètre. J’acquiesce. J'ai envie de continuer à
saisir son regard et je lui demande de s’installer sur moi. Si d’autres partenaires se sont
plu à varier à leur guise nos positions, Anna attend habituellement que je la guide et lui
dise que faire et comment se placer. Mais, de fait, je ne peux pas beaucoup changer mes
manières de la pénétrer. Lorsque nous faisons l’amour dans un lit, et non sur mon
fauteuil, je dois toujours me placer sur le dos. Mes muscles sont désormais trop rétractés
pour que je puisse la pénétrer sur le côté. Mes jambes, constamment repliées,
empêcheraient que mon sexe atteigne le sien. Je ne peux plus non plus m’étendre sur elle
comme j’ai eu pu le faire avec d'autres. Le tuyau de la ventilation entrave mes
mouvements, et la position est devenue trop inconfortable pour mes partenaires et pour
moi.
15 « Allonge-toi sur moi ». Suivant mes demandes, Anna déplace mes mains sur son corps.
Mes doigts dessinent sur son dos des caresses dont l’amplitude est limitée. Elle
m’embrasse longuement, tournant sa tête pour glisser ses lèvres sous mon masque.
Malgré mes tentatives pour la rassurer, elle ne peut se départir de l’inquiétude de
m’essouffler ; elle continue de craindre un mouvement maladroit. Pourtant, le lit reste un
endroit où je ne suis que peu exposé à des manipulations potentiellement douloureuses.
Seule la ventilation reste pour moi, pour nous, une préoccupation constante : il faut
veiller à la position du masque et à son maintien. Anna ne cesse de me demander si tout
va bien et de vérifier que je respire avec aisance. Elle sait parfaitement que ma respiration
est devenue plus difficile avec l’effort. Mais, si je m’en accommode, ma réponse trahit
malgré moi ma difficulté à respirer et accentue légèrement son inquiétude. Je cherche à la
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tranquilliser par la parole, encore. « Tu ne me le diras pas de toute façon, si ça ne va
pas. » Elle commence à me connaître.
16 Anna, assise sur moi, débute des mouvements de bassin. Ma voix donne le rythme en lui
demandant d'accélérer, de ralentir, de s’appuyer sur moi ou de se relever. Régulièrement,
je l'invite à se pencher pour pouvoir l’embrasser. Je ne cesse de parler et de partager avec
elle mes sensations. Elle réagit à mes mots et gémit lorsque je contracte mon sexe pour le
pousser plus fort en elle. Anna accélère ses mouvements. Ses yeux me quittent alors que
ses gémissements s’intensifient. J’espère qu’elle a joui. À mon tour. J’annonce mon
éjaculation, comme toujours. Les quelques mots qu’elle me répond précipitent l’arrivée
de mon orgasme. J’éjacule intensément, aussi en paroles.
17 Nous restons quelques temps serrés l’un contre l’autre. Anna se redresse et attrape sur la
table de chevet un mouchoir en papier ; elle nous essuie tous les deux. Comme souvent,
nous en profitons pour échanger quelques remarques amusées et complices. L’humour et
la voix participent à désamorcer le malaise qui pourrait accompagner ce moment où le
geste amoureux s’apparente presque au soin. Ils permettent aussi de vérifier que le
moment fut plaisant. Anna s’allonge maintenant contre moi et passe mon bras autour de
son cou. J’attrape son épaule et la caresse doucement alors qu’elle pose sa tête sur mon
torse et sa main sur mon ventre. J’aime sentir son corps contre le mien alors que vient
peu à peu le sommeil.
18 Je veux m’installer sur le côté. Je demande à Anna de composer le numéro de mon
assistant. Il apparaît en quelques secondes, après avoir frappé doucement à la porte pour
s’annoncer. Son attitude a été définie et discutée au préalable. Lors d’une récente réunion
d’équipe, j’ai précisé à mes assistants – tous des hommes – la manière dont je souhaitais
qu’ils se comportent en pareille situation. Je connais suffisamment Hugo pour savoir qu’il
jouera correctement le rôle que j’attends de lui. Il doit me positionner pour la nuit et me
manipuler tout en préservant la pudeur d’Anna. Il soulève d’abord la couette qu’il replie
entre elle et moi. Je suis nu et accessible sans qu’Anna ne puisse être vue. Seul le couloir
est allumé. La chambre reste dans une pénombre un peu moite. Même si le masque
m’isole, je sais que l’air est lourd de transpiration et d’odeurs de sexe. J’ai appris à ne plus
être gêné de cette intimité forcée. « Ils travaillent », comme je le répète à Anna. Hugo me
tourne rapidement sur le côté. Anna attrape mes mains lorsqu’elles se trouvent à sa
portée et y dépose quelques baisers. Je murmure quelques consignes à Hugo pour
améliorer ma position. Sitôt a-t-il quitté la pièce qu’Anna se rapproche. Elle pose ma main
sur son sein. Nous pouvons dormir maintenant.
S’écrire à deux
19 Pourquoi raconter cette nuit, qu’elle soit fictive ou réelle ? Pourquoi décrire ce vécu
intime, sexuel et affectif, à la fois banal dans son déroulé et extraordinaire au regard de la
condition d’un des deux protagonistes ? Et, surtout, pourquoi se mettre en mots comme
chercheur, homme hétérosexuel et myopathe, en optant pour un genre – l’auto-
ethnographie – qui brouille à dessein les frontières entre récit, témoignage et écriture
scientifique ? (Ellis, 2004 ; Ellis, Adams et Bochner, 2011).
20 L’auto-ethnographie demeure un genre polémique qui, bien qu’il soit de plus en plus
utilisé en sciences sociales, continue de susciter des critiques parfois virulentes4. Nous ne
souhaitons pas rentrer ici dans la défense ou l’attaque a priori de la méthode – qu’une
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forme plurielle rend délicate à définir et/ou circonscrire après plus d’une décennie
d’interprétations et de propositions variées5 (Bochner, 2012 ; Holman Jones, Adams et
Ellis, 2013). Mais, suivant Robin Boylorn et Mark Orbe, cette technique d’écriture nous est
apparue utile, en ce qu’elle :
« … [I]nvite le lecteur à entrer dans l’expérience vécue d’un présumé ‘Autre’, et de
l’expérimenter viscéralement. [Elle permet] de ‘donner voix’ à des expériences tues
ou marginalisées, de répondre à des questions nouvelles sur la multiplicité des
identités sociales, de développer des échanges sur et à travers les différences, et
d’expliquer l’intersection contradictoire des points de vue personnels et culturels »
(Boylorn & Orbe, 2014, p. 15)
21 Certes, notre méthode dialogique – par entretiens répétés et récit de vie – ne nous
orientait pas nécessairement vers ce type d’écriture. Pourtant ce choix s’est imposé
comme une solution a posteriori, permettant un traitement des informations cohérent
avec nos ambitions analytiques.
22 Deux raisons principales nous ont amenés à opter pour cette forme particulière de récit
sexuel (Giami, 2000). D’une part, il nous a semblé que le témoignage long, détaillé, à la fois
introspectif et descriptif, permettait d’unir des registres parfois séparés en réinsérant la
matérialité des artefacts, des intermédiaires ou des manipulations liées à la myopathie
dans le quotidien de Johann. Le récit détaille ainsi les dispositifs (techniques, humains,
organisationnels, médicaux, etc.) qui rendent possible les échanges intimes sans jamais
les extraire d’un quotidien qui leur donne sens et les travaille, ni les appréhender
indépendamment de la subjectivité sur laquelle ils s’exercent. D’autre part – et ce point
est lié au précédent –, comme Johann nécessite un appareillage technique et des formes
d’assistance particuliers, une écriture moins subjective aurait pu davantage objectiver le
pathologique, alors même que nous souhaitons ici nous concentrer davantage sur les
agencements intimes et affectifs qui font un quotidien, certes extraordinaire, mais non
spectaculaire. De même, la surprise et/ou la curiosité que suscite régulièrement la
condition de Johann aurait pu entraîner une écriture – et une lecture – surfant sur
l’émotionnalité particulière de l’a-normalité, et provoquer la fascination trouble du
« spectacle cruel » (O’Connell, 2012) – une forme de jouissance tératologique cherchant
du sensationnel dans l’exceptionnel. Or, ce sont justement les objectifs éthiques,
politiques et scientifiques inverses qui nous ont animés. La sexualité de Johann soulève
certes des enjeux particuliers sur lesquels nous allons revenir, mais elle dit aussi la
banalité relative d’une existence inhabituelle. S’il ne peut se mouvoir aisément, et si cette
mobilité restreinte façonne son existence et sa subjectivité, son vécu l’écarte aussi des
représentations compassionnelles et/ou tragiques qui accompagnent souvent les discours
sur la myopathie, le handicap ou la dépendance. Et le choix du témoignage et du récit
(d’une nuit plus que d’une condition) nous a semblé une stratégie scripturale efficace
pour décrire l’expérience d’un sujet – et non se centrer sur un individu pour décrire, à
travers lui, le traitement d’un objet (le handicap).
23 Ensuite, le récit auto-ethnographique permet de « penser par cas » (Passeron et Revel,
2005), et – paradoxalement – d’extraire le témoignage singulier de sa singularité. Pour le
dire autrement, proposer une analyse à partir de cas particuliers amène à traiter le récit
de vie, le témoignage, l’autofiction ou l’entretien6 comme un texte dont le sens dépasse
l’irréductible singularité de son objet. Son potentiel heuristique ne réside pas dans sa
possible généralisation, encore moins dans son exemplarité. D’une part, la pathologie de
Johann est exceptionnelle (elle ne touche qu’environ 1 personne sur 200 000), et les
dispositifs qui l’entourent (techniques et humains) sont extrêmement spécifiques.
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Prendre son cas comme le récit « exemplaire » d’une condition handicapée participerait
de la croyance – performative – d’une unité dans les « vécus invalides », reproduisant
implicitement une dichotomie normalité/anormalité qu’il nous importe de réfuter.
D’autre part, et surtout, présenter une situation ou un cas particulier reste une démarche
implicitement comparative : la description détaillée permet de pointer des enjeux
spécifiques qui se révèlent et prennent sens dans la description minutieuse des
expériences vécues, à la fois pour ce qu’elles sont per se, mais aussi pour ce qu’elles
diffèrent (des « nôtres » ou des « autres » telles qu’on se les représente). Ainsi,
l’autofiction de Johann nous semble signifiante parce qu’elle est conjointement unique et
banale ; le récit contient une capacité de révélation et de compréhension dans sa
dimension à la fois informative (en donnant un peu plus d’accès à une expérience
singulière) mais aussi politique (en déplaçant les surprises et les questionnements
habituellement associés aux expériences handicapées).
24 Dès lors, il n’est pas surprenant que ce style d’écriture ethnographique – bien qu’encore
relativement peu usité en France – ait un succès relatif dans le sous-champ des Disability
studies. Faye Ginsburg et Rayna Rapp citent notamment, dans leur article de synthèse sur
ce domaine de recherche (2013, p. 56), l’ouvrage de Murphy sur sa tumeur de la colonne
vertébrale et le processus de marginalisation qu’il expérimente au fur et à mesure que sa
maladie le paralyse (2001) ; ceux de Jackson (2000) et Greenhalgh (2001) sur la souffrance
chronique ; ou les recherches de Martin sur la bipolarité, maladie dont elle est elle-même
atteinte et qu’elle enquête en articulant récit personnel et recherche ethnographique
(2007). On pourrait rajouter d’autres récits et témoignages, notamment par exemple le
livre qu’Eve Kosofsky Sedgwick a rédigé lorsqu’elle a entamé une thérapie pour
dépression liée à un cancer du sein (2000). Ces exemples, très divers, montrent comment
le récit autobiographique a pu nourrir la réflexion sociologique sur la maladie et ses
implications, et que la porosité des frontières entre science et littérature peut bénéficier
aux deux arts.
25 Cependant, dans notre configuration, le choix du récit autofictionnel a pour partie
oblitéré la forme du dispositif d’enquête. En effet, et contrairement à la plupart des récits
auto-ethnographiques, le texte proposé émerge d’un échange dialogique entre deux
chercheurs, dont l’un est effacé d’une scène dont il était absent – par le choix narratif du
témoignage (auto)fictionnel7. Certes, et comme l’écrit Daniel Fabre, le genre auto-
ethnographique s’est formalisé comme « exercice solitaire » – l’auto-ethnographe étant
« celui qui entreprend, en combinant, éventuellement, sa mémoire et celles de ses
contemporains, de décrire de son propre point de vue le monde social et culturel auquel il a
participé » (Fabre, 2002, p. 28). Or le récit proposé n’est pas le produit d’un travail
solitaire, ni même le reflet d’un point de vue unique. Heewon Chang, Faith Wambura
Ngunjiri et Kathy-Ann C. Hernandez ont proposé récemment le terme « d’auto-
ethnographie collaborative » pour caractériser ces situations où « l’étude de soi est
conduite en compagnie d’autrui » (2012, p. 17). Sans reprendre nécessairement le terme à
notre compte, ni nous inscrire dans les typologies que les auteures suggèrent8, nous avons
pensé ce récit de telle sorte que le « je » du narrateur – Johann – ne reproduise pas le
« nous » des scripteurs, et que le témoignage autofictionnel s’apparente davantage à une
fiction ethnographique où le « point de vue » exposé par l’un des protagonistes – Johann –
résulte pour partie d’une maïeutique du dialogue entre deux chercheurs – Johann Chaulet
et Sébastien Roux9.
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Dépolitiser/repolitiser la sexualité et le handicap
26 L’autofiction nous a également permis de se décentrer pour partie des débats relatifs à
« la sexualité handicapée » qui, en France, s’organisent principalement autour de
« l’assistance sexuelle » (Brasseur & Detuncq, 2014) et d’oppositions morales autour de la
sexualité tarifée. Quatre formes peuvent actuellement être distinguées. (I) La première,
tenue notamment par les grandes associations du handicap (APF, AFM, GIHP…) et, plus
particulièrement, certains de leurs membres réunis au sein du collectif Ch(s)ose prône
une exception dans la loi sur la prostitution, et vise à la reconnaissance d’un droit à la
sexualité pour les personnes handicapées, y compris lorsqu’elle implique un
professionnel de l’assistance sexuelle – traitée ici moins comme une personne
« prostituée » qu’un agent fournissant un service exceptionnel. (II) La défense de
l’assistance sexuelle a pu prendre une forme plus militante, incarnée notamment par les
prises de position de Marcel Nuss (2012 et 2014) en faveur de l’intégration de l’assistance
sexuelle dans le projet politique plus vaste : la reconnaissance d’un travail du sexe. (III)
Par ailleurs, décentrant légèrement le débat sur le travail sexuel, certaines prises de
positions défendent aujourd’hui l’assistance sexuelle comme soin – par un retour au
modèle médical (voir Blanquier et Dufour, 2012) ; mais le « soin » envisagé impliquerait
également la rémunération de son/sa pourvoyeur-e. Ainsi, malgré leurs variations, ces
positions se rejoignent dans la défense d’un « droit » des personnes handicapées au plaisir
sexuel, et défendent la possibilité du recours à un tiers rémunéré. Elles s’opposent ainsi
directement aux arguments abolitionnistes – tenus y compris par des associations
« handies » comme « Femmes pour le Dire, Femmes pour agir ». (IV) Pour ces collectifs,
l’assistance sexuelle s’apparentant à une forme de prostitution, la dignification des
personnes handicapées ne peut passer par « l’exploitation sexuelle » de tiers, et nulle
exception ne peut s’appliquer à la condamnation de la prostitution per se et de sa violence
supposée. On le voit, et quelques soient leurs variations argumentaires, le débat autour de
la sexualité handicapée tend à se structurer autour d’une opposition éthique sur la
commercialisation du plaisir sexuel, saisi soit comme un « soin », un « service » ou un
« travail », soit comme une forme d’exploitation et d’avilissement.
27 Or la sexualité de Johann – dépeinte à travers sa relation avec Anna – déplace les
représentations habituellement associées à la structure même du débat français. D’une
part, elle invite à considérer les « transactions intimes » (Zelizer, 2001) qui traversent sa
nuit avec Anna en dehors de la contractualisation d’un service sexuel. En effet, si l’argent
est présent et facilite la réalisation d’un échange sexuel, il circule entre Johann et ses
assistants et non pas entre Johann et sa partenaire – suivant le rapport salarié
hiérarchique qu’il a instauré. Si un « travail » est nécessaire à la satisfaction d’un désir
sexuel, il ne s’exerce pas comme service sexuel proprement dit ; mais son existence,
intermittente mais nécessaire, rappelle que l’intimité de Johann et Anna ne peut
échapper longtemps au regard d’autrui, aux interventions et aux manipulations,
recomposant constamment leurs interactions et la manière dont ils négocient leurs
rapports. Ensuite, en faisant le choix de montrer un quotidien accepté, certes organisé et
technique, mais susceptible de laisser s’exprimer une sexualité et une affectivité heureuse
et partagée, nous avons souhaité montrer que la maladie ne définit pas le malade de
manière univoque ni ne le réduit à sa condition. Ainsi, le récit de la nuit entre Johann et
Anna s’inscrit également dans une certaine tradition des Disability studies où le handicap
Le mot et le geste
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est davantage saisi comme une dimension de l’existence plus que sa limite, et la marque
d’une gestion sociale différenciée de la variété des corps plus qu’une réalité objective et
quantifiable (Shakespeare, 1998).
Incapacités, masculinités, handicaps
28 Comme le rappellent Russell Shuttleworth, Nikki Wedgwood et Nathan Wilson (2012,
p. 174), le handicap est socialement perçu comme une incapacité et une dépendance qui
rentre en opposition avec la définition de l’idéal viril (Ash et Fine, 1988). « Le corps
atteint d’incapacités physiques, dans sa déviance par rapport à la normalité attendue,
complique les performances de genre » (Scott, 2014). Or, lors de cette nuit amoureuse, les
attentes (et les désirs) en termes de prise d'initiative, de pratiques érotiques ou de
sexualité pénétrante ne cessent de s’exprimer de part et d’autre dans le respect relatif des
attributs de genre. La temporalité de l’interaction et le respect des scripts hétérosexuels
majoritaires témoignent de la prégnance et de la permanence de ces désirs distincts et
distinctifs. Johann « pénètre » quand bien même il ne peut bouger le bassin ; sa jouissance
termine souvent l’interaction ; et c’est le coït vaginal qui marque alors, pour Anna, le
début du « véritable » acte sexuel (« tu veux faire l’amour ? »).
29 Pour autant, la stabilité de l’inégalité ne signifie pas l’insignifiance du handicap. Comme
l’écrit Connell, « la matérialité compte (...) Les corps jouent substantivement un rôle dans
les pratiques sociales » (2005, p. 58). Pour Johann et Anna, la maladie introduit un coin
dans la permanence pesante des assignations, ne serait-ce qu’en imposant le dialogue
dans l’interaction entre les partenaires et en invitant à une renégociation partielle des
rôles et des répertoires. Pour Shuttleworth, c’est même une condition nécessaire à la
sexualité : « les hommes handicapés qui ont du succès en amour adoptent une identité de
genre flexible et étendent leur répertoire masculin d’idéaux et de pratiques incorporées
et interpersonnelles au-delà de celui de la masculinité hégémonique. » (Shuttleworth,
2004, p. 166). Ici, entre Johann et Anna, l’échange sexuel est travaillé par une intégration
renforcée de la parole qui agit sur leurs identités et leurs rôles de genre. En effet, si les
mots de l’un dirigent les gestes de l’autre – et maintiennent Johann et Anna dans leurs
rôles respectifs – c’est leur existence même, rendue nécessaire par la condition de Johann,
qui facilite l’invention de modes d’expression originaux et rend possible l’interaction.
Ainsi la parole, produite par un rapport inégalitaire, qu’elle reproduit dans le dialogue,
engendre aussi une configuration relationnelle inédite qui ouvre de nouvelles
opportunités. Cette configuration – ici intensifiée par la sexualité – repose pour partie sur
la compensation des incapacités (permettre, rendre possible, faciliter…) et sur l’effort –
subtil mais constant – que requiert l’ajustement des partenaires (agir comme, faire en
sorte de etc.). Or ce travail – de soi (en s’ajustant à la situation et à l’autre) mais aussi de
l’autre (en ajustant l’autre à la situation et à soi) – appelle aussi une érotisation du
handicap. La dépendance limite et la maladie réduit les possibilités corporelles de Johann.
Mais les contraintes qu’elles font peser sur les deux protagonistes deviennent aussi une
ressource érotique qui rend possible, voire facilite, l’échange amoureux.
30 Cette érotisation prend des formes multiples, variant selon les lieux, les moments mais
aussi les partenaires (avec leurs physiques, leurs désirs ou leurs sexualités propres). Elle
porte sur les corps comme sur les configurations. Elle est liée aux manipulations
techniques et à l’investissement qu’appelle la fragilité de certains organes de Johann (cou,
articulations, etc.), mais aussi aux possibilités offertes par une mobilité réduite (plaisir de
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l’intervention, érotisation du regard et de la parole, jeux de pouvoir liés à la remise de soi,
etc.) Elle inclut parfois des tiers – humains ou non-humains – dans les jeux érotiques
(place délicate des assistants, gestion du masque ou du fauteuil, présence constante
d’artefacts médicaux, etc.) Là encore, les mots participent directement de l’érotisation
des incapacités. L’érotique du handicap est moins un donné qu’un construit ; c’est le
résultat d’un travail et d’un processus qui transforment une limite objective en
ressources et en potentialités. Il ne s’agit pas ici ni de quantifier ni de qualifier ces
potentialités – au risque de les mesurer inconsciemment à l’aune d’une représentation
d’une « normalité-étalon » située du côté de la « validité ». Mais elles invitent déjà,
comme telles, à déplacer pour partie le regard habituellement porté sur la sexualité
handicapée et, au-delà, sur la subjectivité dépendante. Encore une fois sans nier la
diversité des situations ni occulter les difficultés engendrées par la maladie – à chaque
fois vécue et expérimentée différemment –, penser la capacité d’agir sexuelle de Johann
(et, ici, d’Anna) à partir des possibilités issues de la contrainte (Wardlow, 2006) rend
compte des capacités d’innovation des sujets, et des formes d’ajustements créatifs qu’ils
déploient. Ainsi, la dépendance, si elle place les individus dans une situation de
vulnérabilité et affecte leurs relations à eux-mêmes et aux autres, « n’invalide » pas ; elle
transforme plutôt, et peut appeler à des recombinaisons génératrices d’agencéité et
d’émancipation10.
Du pouvoir des mots
31 À partir du récit proposé, nous aurions pu détailler de multiples dimensions de l’échange
amoureux – comme le dispositif technique qui accompagne les protagonistes, la place
subtile des assistants qui participe aux interactions sexuelles, ou la sollicitude d’Anna et
sa gestion affective et corporelle de la dépendance. Mais nous souhaitons revenir plus
précisément sur la place des mots dans l’interaction amoureuse et interroger la place
genrée des paroles, de l’invite et de l’ordre dans la gestion de l’interaction sexuelle.
32 Johann ordonne. « Viens, fais, bouge, place… » ; autant d’impératifs qui disent la volonté
d’une action empêchée, affirment une place qui se veut dominante dans l’interaction et
délèguent – dans le même temps – la réalisation concrète de l’interaction sexuelle. Anna
vérifie. « Ça va ? Comme ça ? Tu veux ?... » Inquiétudes d’une partenaire en charge – par
défaut – de la conduite d’une interaction. Bien sûr, ces propos inégaux s’accompagnent
d’échanges plus subtils, doux et négociés – questions, promesses, inquiétudes, désirs, etc.
Mais, dans un contexte contraignant où la parole reste le mode de communication
privilégié par les amants, Johann demande à Anna le soutien nécessaire afin qu’il ne se
fasse pas déposséder d’une capacité d’action (genrée) qui lui échappe pour partie. Ce
rapport se nourrit par ailleurs d’un statut différent accordé aux mots dans l’interaction et
la relation. Pour Johann, il constitue un invariant de la sexualité puisqu’il en est une
condition. Pour Anna – et les autres partenaires avec lesquelles Johann a pu nouer des
relations – le verbe s’apparente davantage a un ingrédient original, voire inédit, de la
sexualité qu’elle(s) partage(nt) avec lui et qui le distingue encore un peu plus. Le verbe
masculin devient ainsi un moyen d’agir, de saisir et de prendre que les deux partenaires
reconnaissent et appréhendent comme tel, suivant un accord tacite qui reconnaît au mot
une prééminence relative sur le geste (à l’inverse des interactions sexuelles majoritaires)
11.
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33 La sexualité en situation de handicap traduit la force d’un « ordre du genre » (Clair, 2008)
qui maintient les protagonistes dans des positions hiérarchisées. En effet, même dans une
situation où le partenaire masculin se retrouve objectivement empêché par une mobilité
quasi nulle, une succession d’accords et de micro-négociations jalonnent le déroulement
de l'acte sexuel pour compenser une incapacité motrice. Entre incertitude, fragilité, désir
et souci de l’autre, se réitère un accord tacite visant à permettre à chacun des partenaires
de jouer le rôle qui « doit » être le sien. Dans cette forme d’hétérosexualité, l’action
masculine en situation de dépendance nécessite la médiation directe de la partenaire
féminine qui, en acceptant de faire « comme si », devient partie prenante de ce que
l’autre fait et lui fait. Mais elle reste, paradoxalement par son accord et son action, limitée
par sa soumission partielle à un désir extérieur – l’agissante, volontaire et consentante,
devient aussi pour partie exécutante. La capacité d’agir de Johann, physiquement limitée,
s’étend par le mot. À l’inverse, celle d’Anna – à la mobilité supérieure – se retrouve
réduite par l’acceptation d’une gestuelle déléguée. Ainsi, dans un moment où deux
agencéités entrent en lutte et en contradiction, le genre – comme assignation et
hiérarchisation – ordonne l’interaction et redistribue les capacités relatives en respectant
la prééminence d’une masculinité hégémonique (Connell, 2014 ; Gourarier, Rebucini et
Vörös, 2015).
34 Ainsi, en disant ses désirs, en ordonnant sa volonté, en s’imposant pour partie par la voix,
Johann compense une mobilité affaiblie. Certes, lorsqu’il s’exprime, il s’expose aux refus
et – comme tout maître – voit son autorité dépendre de la reconnaissance de celle qui s’y
soumet. Les sentiments, les désirs, les plaisirs font de ces négociations répétées un
moment intime, pensé comme extérieur au pouvoir. Pourtant, les deux amants ne vivent
pas leur sexualité en dehors du cadre inégal qui structure l’hétérosexualité, et qui affirme
la prééminence du masculin sur le féminin. Et les logiques compensatoires qui se
déploient visent pour partie à aligner chacun des protagonistes sur des représentations
de genre idéalisées : à l’homme l’initiative, la maîtrise, la gestion de la temporalité, la
satisfaction sexuelle ; à la femme l’acceptation, le soin, le service, la mise à disposition.
Pour autant, la remise de soi verbalisée qu’implique la dépendance de Johann ne conduit
pas qu’au renforcement de la domination masculine. Elle est aussi, et dans le même
temps, une vulnérabilité productive qui ouvre – pour Johann et Anna – des possibilités et
des potentialités nouvelles (Shuttleworth, 2012). La voix, le mot, le verbe de Johann
compensent une incapacité et demandent le geste d’Anna. Toutefois, ils n’impliquent pas
nécessairement l’obéissance, et – surtout – ils invitent les deux amants à des ajustements
constamment négociés. Ni reproduits ni inventés, ces moments intimes mettent en
confrontation deux individus différemment contraints. À la fois vulnérables et capables,
ils s’adaptent ainsi à un cadre où le handicap – comme le pouvoir – limite. Mais il ouvre
aussi des possibilités nouvelles et permet, paradoxalement parce qu’il empêche, d’offrir
des capacités et des opportunités propres aux sujets qu’il contraint.
Retour(s) sur soi
35 Si la sexualité ne se limite en rien à un phénomène subjectif et individuel, une analyse
centrée sur le vécu et la singularité des expériences, notamment handicapées
(Shuttleworth, 2012), permet de mettre au jour la dimension évolutive et re/négociée des
agencements intimes. En se concentrant sur une nuit fictive entre Johann et sa partenaire
d’alors, Anna, nous avons souhaité décrire et penser des formes de sexualité qui, si elles
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sont commentées et discutées dans certains espaces militants ou associatifs, n’en
demeurent pas moins généralement peu visibles, surtout dans leur réalisation concrète.
La description de ces échanges nous a permis d’interroger le poids de la parole et de
l’expression verbale dans un contexte où les attributs de genre – sans être bouleversés –
vacillent, appelant à une renégociation des rôles de chacun.
36 Notre choix méthodologique – l’auto-ethnographie fictionnelle – nous est apparu comme
une ressource utile pour décrire la diversité des pratiques et des dispositifs qui traversent
le quotidien affectif des personnes handicapées et de leurs partenaires. Pour autant, par
sa forme même, le récit soulève deux limites principales. La première tient à la spécificité
de la maladie de Johann, qui contraste avec son intégration dans la catégorie faussement
homogène des « personnes handicapées ». Au-delà de l’appartenance à la catégorie
clinique des « invalides » ou des « anormaux », qu’est-ce qui unit un sourd-e ou un-e
tétraplégique – au sens des expériences vécues ? Un-e aveugle ou une personne atteinte
du syndrome de Down ? Un-e schizophrène et un-e myopathe ? Comment et pourquoi
penser conjointement des formes de vies très disparates dont l’association est pour partie
le produit d’une catégorie de sens commun construite en opposition dialectique à la
fausse normalité des « valides » ? Ces interrogations pourraient paraître d’autant plus
légitimes que nos questionnements touchent à une intimité et une sexualité qui
requièrent, en fonction des situations, des agencements particuliers ; or notre méthode
ethnographique ne permet pas a priori de comparer la vie de Johann à d’autres existences
« invalides ». D’ailleurs, les agencements privés mis au jour constituent une forme
spécifique et personnelle d’accommodement dont l’application dans une situation
différente ne saurait mécaniquement produire les mêmes effets. Si Johann ne peut se
plier physiquement à la définition hégémonique de la masculinité virile, son corps, ses
moyens financiers, son éducation, ou tout autre forme de capitaux matériels et
symboliques constituent, dans une certaine mesure, les conditions de possibilité de ces
arrangements tout comme ils lui permettent par ailleurs de satisfaire nombre d’exigences
communément attendues dans le cadre des rapports de séduction. Pour autant, la
singularité du « cas Johann » nous apparaît comme une force plus qu’une limite. La
démarche ethnographique appliquée à un seul et unique individu affecté par une
pathologie très spécifique révèle des enjeux qui, s’ils ne sont pas équivalents à des
situations non analogues, traversent des configurations bien plus larges que celles que
nous avons détaillée (comme le rapport à autrui, la négociation verbale, la fluidité des
attributs de genre, la présence des artefacts et des tiers, etc.)
37 Si la première limite du récit autofictionnel tient à son unité de « lieu » (la vie de Johann
voire, dans le cas décrit, son univers domestique), la seconde relève davantage de son
unité de temps. En se concentrant sur une seule nuit, nous nous sommes contraints à
passer sous silence la dynamique des agencements. Une approche plus diachronique, à
l’inverse, aurait permis de mesurer la manière dont la sexualité se construit et se
reconstruit, à mesure de l’expérience, dans le cadre d’agencements impliquant des corps
changeants et/ou pour lesquels évoluent les dispositifs de prise en charge. Ce souci est
d’autant plus présent que la maladie de Johann est évolutive et entraîne des
bouleversements concrets qui impactent la gestion des relations et de la sexualité. Et les
façons de composer avec ces éléments nouveaux qu’introduit progressivement la maladie
sont, elles aussi, en évolution constante (perte de la marche, impossibilité grandissante de
soulever des objets, dépendance et appareillage respiratoire nocturne puis diurne...). Or,
ce processus induit une transformation particulière de la sexualité au « cours de la vie »
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(Rossi, 1994)12 qui ne transparaît pas dans notre récit, nous empêchant pour partie de
saisir certains des mécanismes à l’œuvre dans des formes de sexualité pourtant
empreintes de l’incertitude inhérente à la maladie.
38 Cette limite s’est d’ailleurs révélée dans la dynamique de la recherche et de l’enquête. En
effet, la distance et la temporalité particulière de l’écriture nous ont fait mesurer, au
moins en partie, les effets performatifs de la réflexion sur les expériences intimes
associée à la mise en récit de soi. Concrètement, le dialogue que nous avons engagé
comme chercheurs, s’il n’a pas initié le processus de réflexion, a participé à l’évolution de
la sexualité de Johann. Paradoxalement, Johann Chaulet ne vit plus aujourd’hui la
sexualité sur un mode identique à celle dont il témoigne, pour des raisons qui tiennent à
l’évolution de sa maladie mais, surtout, aux effets intimes d’une objectivation partielle de
ses désirs et de ses pratiques. Ainsi, nombre d’éléments présentés ici doivent être moins
appréhendés comme les caractéristiques stables d’une sexualité qu’une forme dynamique
où les pratiques et les dispositifs sont redéfinis, recomposés et repensés, tant dans leur
nature que dans leurs mises en forme.
39 Parmi les raisons qui expliquent ces évolutions, Johann insiste aujourd’hui sur les effets
individuels du témoignage, d’abord dans le dialogue, ensuite dans le récit. Pour lui, et
suivant Tom Shakespeare, la sexualité « nécessite de l’estime de soi... Alors que les
personnes handicapées, systématiquement dévaluées et exclues par les sociétés
occidentales modernes, ne sont souvent pas en situation d’entamer cette tâche d’amour
de soi » (Shakespeare, 2000, p.161). La mise en mots a participé de l’affirmation d’un
nouvel « amour de soi », un processus où s’est « musclée » la défense d’une identité
singulière – offrant à Johann d’autres ressources pour résister aux épreuves que
constituent les nouvelles incapacités liées à l'évolution de sa pathologie chronique.
Concrètement, et comme le suggère Pierre Dufour, Johann cherche aujourd’hui davantage
à s’approprier des codes et des formes érotiques originaux, qui intègrent le handicap sans
tenter de le faire disparaître (Dufour, 2013, p. 65) Ce travail implique et nécessite
l’adhésion - plus ou moins consciente et volontaire – d’un tiers qui participe activement à
l’intégration des incapacités dans le répertoire sexuel, y compris en adossant ce processus
à l’adaptation des dispositifs. Ainsi, faire l’expérience répétée d’une sexualité avec et dans
le handicap, appelle à reconsidérer des propos et des conduites – de soi ou des autres –
qui traitaient certaines incapacités comme des limites indépassables.
40 Une forme de désenchâssement s’est opérée dans la vie de Johann. Son handicap n’est
plus tout sans être moins ; s’il façonne toujours sa sexualité, comme son existence, il
refuse d’en faire le responsable de l’échec ou de la réussite de ses relations, intimes
notamment, comme il a parfois été tenté – voire invité – à le faire. Aujourd’hui, par
exemple, il s’investit différemment dans les rapports de séduction, et anticipe
différemment les réactions que peuvent susciter son corps. Désormais, comme le
handicap n’est plus quelque chose qu’il s’agit d’oublier et de faire oublier, mais bien
davantage une dimension de son existence avec laquelle il est possible de composer, la
maladie devient un élément parmi d’autres qui le constituent comme personne, qui
façonnent son identité, et qui peuvent, légitimement, participer de la séduction et de
l’intérêt qu’il suscite. Et Johann de conclure avec ses mots : « je ne veux pas qu’on m’aime
malgré mon handicap, mais je ne veux pas qu’on oublie mon handicap. J’ai des incapacités
et cela a des conséquences, mais je n’aspire pas à leur invisibilisation. Je fais avec, et cela
me va que l’on fasse avec. »
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University of California Press, 2006.
ZELIZER Viviana, « Transactions intimes », Genèses, 42, 1, 2001, pp. 121-144.
NOTES
1. Nous avons choisi de rendre anonymes tous les personnages du récit (à l’exception de Johann).
2. Nous entendons le terme dispositif au sens de Michel Foucault ; il s’agit moins d’un dispositif
technique que de l’ensemble du dit et du non-dit qui produit un mode de gouvernement
spécifique (Foucault, 1971). L’usage du terme permet de penser conjointement les protagonistes,
les intervenants extérieurs, les outils techniques, les discours, les logiques idéologiques, les
rapports de pouvoir, etc.
3. Nous ne traiterons pas dans cet articule du handicap dit « mental ». Pour une enquête sur ce
type de dépendance, et les enjeux particuliers qu’elle soulève, voir notamment Diederich (1993),
Gruson (2003), Nayak (2014a, 2014b) et Velche et Diederich (1979).
4. Voir Delamont (2007) pour un exemple polémique des critiques adressées à l’auto-
ethnographie. Certaines voix se sont même récemment fait entendre pour remettre en cause
l’ethnographie (ou plutôt son usage jugé abusif), et ont pu s’appuyer sur le récit auto-
ethnographique pour renforcer leur critique afin d’exemplifier le « excès » des approches
« subjectivistes » (Ingold, 2014).
5. Pour un bref aperçu historique de la méthode, voir Reed-Danahay (1997, p. 4-9).
6. Pour un exemple d’article rédigé à partir d’un entretien unique, voir Roux (2009).
7. Sur la notion d’autofiction, l’emmêlement du réel et de l’imaginaire, ainsi que les jeux narratifs
qui traversent une écriture de soi où les « je » du scripteur, du protagoniste et du narrateur
s’imbriquent sans se superposer, voir Doubrovsky (1988).
8. Leur ouvrage se caractérise par une recherche de classification et de systématicité qui nous
semble assez contradictoire avec le projet d’écriture fluide et d’agencements pluriels qui
caractérise le genre.
9. Pour Georges Devereux « un entretien sur la sexualité, même s’il s’agit d’une interview
scientifique est, en lui-même, une forme d’interaction sexuelle qui peut, dans certaines limites,
être entièrement vécue (lived out) et résolue sur un plan purement symbolique et verbal » (1980,
p. 160, cité in Giami, 2000, §6).
Le mot et le geste
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10. Notre analyse peut sur ce point être confrontée aux travaux de Pierre Dufour pour lequel
tenter d’atteindre à tout prix les standards du modèle « valido-viril » ne peut être synonyme que
d'aliénation pour des "handis" dont l''émancipation repose au contraire sur l'invention de
modèles alternatifs dont il sera admis qu'il ne seront pas d'une valeur moindre que celle de la
masculinité valide hégémonique (Dufour, 2013).
11. C’est bien la nécessité des mots qui différencie pour partie ces échanges d’autres
configurations sexuelles où la parole participe de l’érotique – y compris sur le mode de l’ordre et
de la commande. Ici, les mots, s’ils sont érotisés, sont autant une action qu’une condition de
l’action.
12. Pour un examen détaillé des travaux portant sur l’évolution des sexualités au fil des âges et
des expériences, voir la revue de travaux proposée par Laure Carpenter (2015).
RÉSUMÉS
Entre fiction et témoignage, cet article rend compte des pratiques sexuelles et affectives de l’un
des deux auteurs, Johann Chaulet, atteint de myopathie des ceintures. Par le recours à une
méthode auto-ethnographique et la description d’une « nuit » fictionnelle, le récit expose
certains des dispositifs humains et technologiques qui façonnent des échanges hétérosexuels en
situation de handicap. À travers la singularité d’une situation et d’une configuration, les auteurs
interrogent la spécificité d’une relation où la parole soutient et façonne un échange érotique.
Johann suffers from Limb-girdle muscular dystrophy (LGMD). Drawing on auto-ethnography, this
article accounts for his practices and feelings; it describes a fictional “night” – based upon a
recollection of previous experiences with sexual and affective partners. Here, we expose some of
the human and technological apparatuses that frame this peculiar heterosexual relation, and the
way they impact it. We specifically aim at analyzing how words and speech allow and frame
erotic configurations.
INDEX
Mots-clés : hétérosexualité, masculinité, handicap, auto-ethnographie, témoignage
Keywords : heterosexuality, masculinity, disability, autoethnography, account
AUTEURS
JOHANN CHAULET
Chargé de recherche au CNRS, LISST-Cers
SÉBASTIEN ROUX
Chargé de recherche au CNRS, CNRS LISST-Cas
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