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Carrière, Marie. Médée protéiforme. Ottawa : Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2012.

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Médée, figure féminine incontournable de la mythologie grecque, mère coupable de fratricide et d’infanticide, a longtemps fasciné lecteurs, écrivains et chercheurs. Si le personnage de Médée constitue par son acte un être unique dans la mythologie, force est de constater que l’infanticide est un sujet prisé de la littérature féminine actuelle. Comparatiste de formation, Marie Carrière, professeure de littérature à l’Université de l’Alberta où elle dirige également le Centre de littérature canadienne (CLC), propose à ce titre de se pencher sur huit œuvres : La Médée d’Euripide (1986) de Marie Cardinal, Flowers & No More Medea (1994) de Deborah Porter, Médée, Récits de femmes et autres histoires (1986) de Franca Ramee et Dario Fo, The Hungry Woman : A Mexican Medea (2001) de Cherrie Moraga, New Medea (1974) de Monique Bosco, Médée : voix (2004) de Christa Wolf, Petroleum (2004) de Bessora et Le livre d’Emma (2002) de Marie-Célie Agnant). Ces œuvres, aussi différentes soient-elles par leur contexte, revisitent, à travers des procédés d’écriture et de réécriture variés, le mythe de Médée (l’infanticide apparaissant comme source de différend) et façonnent de manière ou d’autre, le discours féministe actuel.
TranscUlturAl, vol.5.1-2 (2013), 216-218
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Carrière, Marie.
Médée protéiforme
. Ottawa : Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2012.
Adrien Guyot
University of Alberta
Médée, figure féminine incontournable de la mythologie grecque, mère coupable de fratricide et
d’infanticide, a longtemps fasciné lecteurs, écrivains et chercheurs. Si le personnage de Médée
constitue par son acte un être unique dans la mythologie, force est de constater que l’infanticide est
un sujet prisé de la littérature féminine actuelle. Aussi, depuis les quatre dernières décennies, le mythe
grec de l’infanticide Médée s’avère-t-il être un intertexte avoué ou non au point que le terme
de « Medea Renaissance » est aujourd’hui très en vogue.
Aux thèmes de la maternité, du couple et de l’infanticide chers à Euripide se mêlent les questions
d’exil, des rapports de force liés aux notions de race, de sexe et de rang social. Si traditionnellement,
la figure de Médée se révèle ambigüe de par les sentiments qu’elle suscite, voire antinomique à
l’intérieur même de son propre mythe, les thèmes sont régulièrement revisités par des œuvres au
féminin qui traduisent pertinemment les oscillations multiples et parfois contradictoires de la
représentation de la femme dans les discours contemporains.
Comparatiste de formation, Marie Carrière, professeure de littérature à l’Université de l’Alberta
elle dirige également le Centre de littérature canadienne (CLC), propose à ce titre de se pencher sur
huit œuvres : La Médée d’Euripide (1986) de Marie Cardinal, Flowers & No More Medea (1994) de
Deborah Porter, Médée, Récits de femmes et autres histoires (1986) de Franca Ramee et Dario Fo, The
Hungry Woman : A Mexican Medea (2001) de Cherrie Moraga, New Medea (1974) de Monique Bosco,
Médée : voix (2004) de Christa Wolf, Petroleum (2004) de Bessora et Le livre d’Emma (2002) de Marie-
Célie Agnant). Ces œuvres, aussi différentes soient-elles par leur contexte, revisitent, à travers des
procédés d’écriture et de réécriture variés, le mythe de Médée (l’infanticide apparaissant comme
source de différend) et façonnent de manière ou d’autre, le discours féministe actuel.
TranscUlturAl, vol.5.1-2 (2013), 216-218
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Après s’être interrogée sur les composantes théoriques et littéraires de la mythopoesis, Carrière
propose de contempler le mythe en tant qu’élément en constante mutation, résultat inéluctable du
mouvement perpétuel de ses (re)transcriptions. À cette approche conceptualisée autour des notions
de dynamisme (Brunel) et supplémentarité (Derrida) s’ajoute chez l’auteure une dimension analytique
féministe ainsi que psychanalytique, postmoderne et postcoloniale qui permet à sa
mythocritique d’aborder une optique comparative et transculturelle du mythe de Médée.
Plutôt qu’une énième interrogation sur la théorisation de la violence et de la colère féminines, la
question qui anime véritablement le travail de Carrière demeure précise : Dans quelle mesure les
auteures contemporaines proposent-elles un nouveau regard, plus multidimensionnel, sinon
ambivalent, de la mère (infanticide ou non) et de la femme séquestrée (et parfois non) par son propre
mythe ainsi que par sa composition sociale et discursive ? En proposant une perspective
herméneutique sur la figure de Médée, Carrière met l’accent sur la pensée féministe contemporaine
où il est question d’acceptation de certaines antinomies à l’endroit de la répétition et de la réécriture
des mythes, de la maternité ainsi que du sujet mythique féminin « mis en œuvre, sinon en crise » (25).
Malgré la difficulté évidente de concilier huit œuvres issues d’horizons divers et par là même
traitant de manière différente le mythe et sujet Médée, l’analyse profonde et détaillée de Carrière la
mène à interroger l’admissibilité du sujet filicide dans la pensée féministe et le discours contemporain
sur le maternalisme en proposant un jumelage improbable entre Médée et éthique. Si l’idée parait
farfelue, c’est sans compter sur la possibilité « d’effondrement » (179) de l’éthique sur laquelle insiste
l’auteure en s’appuyant sur la psychanalyste Jessica Benjamin. De ce fait, la figuration littéraire de
Médée deviendrait davantage un motif d’identité éthique à travers son échec.
En fin de compte, c’est inexorablement la question de l’agentivité de Médée, à savoir la capacité
en soi de reconnaître l’autre et d’agir dans le monde et sur lui, qui se pose. Qu’en est-il, en effet, de
l’autonomie du sujet alors que Médée demeure en proie à des forces tragico-déterministes imposées
par le mythe ?
Carrière nous fait remarquer que les protagonistes des huit œuvres étudiées se trouvent à
« l’épreuve de la réinterprétation de leur propre mythe » (190) où il s’agit d’accomplir sa souveraineté
malgré son destin mythique afin de mettre un terme à la répétition du cycle infanticide. Si le cycle
n’est pas toujours brisé, l’espace discursif peut l’être comme le suggèrent la mythopoesis et les
formes inédites empruntées par Bessora et Agnant pour remplacer l’histoire monologique. Aussi
Carrière conclut-elle que si Médée, en tant que sujet mythique, n’est jamais maîtresse de son récit, elle
n’en est plus tout à fait non plus son esclave. Chaque texte, à travers sa mythopoesis « propose déjà
une autre version possible de Médée » (190) qui continue de se frayer une place, certes instable et
précaire, pour « se représenter dans une écriture métaféministe actualisée par le mythique ainsi que
par la dialectique du sujet » (191).
TranscUlturAl, vol.5.1-2 (2013), 216-218
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Médée Protéiforme, par sa complexité et sa finesse, intéressera sans aucun doute les étudiants et
chercheurs avides de se plonger dans une réflexion portant à la fois sur le sujet et l’écriture mythique
ainsi que sur une pensée féministe actuelle sur la maternité.
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