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(a) Service régional de l’archéologie, DRAC LRMP, 32 rue de la Dalbade BP 811, FR-31080 Toulouse cedex 6 et TRACES-UMR 5608-
Université de Toulouse Jean Jaurès - cristina.san-juan@culture.gouv.fr ; pascal.foucher@culture.gouv.fr
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L’art gravettien sur supports lithiques
de la grotte de Gargas
(Hautes-Pyrénées, France)
Cristina SAN JUAN-FOUCHER(a), Pascal FOUCHER(a)
Résumé : L’art mobilier de la grotte de Gargas a joué un rôle important dans les problématiques d’attribution chrono-
stylistique de l’art pariétal, au début du XXesiècle. En effet, lors de leurs fouilles en 1911 et 1913, É. Cartailhac et
H. Breuil ont découvert plusieurs galets et plaquettes gravés en contexte stratigraphique gravettien, dont les
représentations établissaient des correspondances stylistiques et techniques avec celles figurées sur les parois de la
Galerie inférieure. Jusqu’à ce jour, seulement quatre plaquettes avaient été publiées par L. Jammes et H. Breuil.
Nous présentons quatre autres pièces inédites, appartenant à l’ancienne collection Cartailhac-Breuil et conservées à
l’Institut de Paléontologie Humaine de Paris (IPH), ainsi que deux nouvelles plaquettes découvertes lors de nos
recherches à Gargas de 2004 à 2013. Ces dernières permettent de mieux contextualiser cet art mobilier du point de vue
topographique et chronologique.
Mots-clés : Art mobilier, Art pariétal, Gravettien, Pyrénées.
Abstract: Gravettian art on lithic supports in Gargas Cave (Hautes-Pyrénées, France). The Gargas portable art played an
important role in the chrono-stylistic attribution of parietal art in the early 20th century. During their excavations in 1911
and 1913, É. Cartailhac and H. Breuil discovered several engraved pebbles and slabs in a Gravettian context. The
representations on these objects showed stylistic and technical affinities with those depicted on the walls of the Lower
Gallery. Until now, only four slabs had been published by L. Jammes and H. Breuil.
We present four other pieces, formerly unpublished, from the Cartailhac-Breuil collection conserved at the Institut de
Paléontologie Humaine in Paris (IPH), as well as two new slabs discovered during our excavations at Gargas from 2004
to 2013. The latter enable a clearer contextualization of this portable art from a topographical and chronological
perspective.
Key-words: Portable art, Rock art, Gravettian, Pyrenees.
Cleyet-Merle J.-J., Geneste J.-M., Man-Estier E. (dir.)
« L'art au quotidien - Objets ornés du Paléolithique supérieur »
Actes du colloque international
Les Eyzies-de-Tayac, 16-20 juin 2014
PALEO, numéro spécial, 2016, p. 345 à 359
Partie 4 - De l’Aurignacien au Magdalénien
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1 - Introduction :
historique des recherches
La première mention de l’existence d’art mobilier à Gargas,
nous la devons à L. Jammes, professeur de zoologie à
l’université et président de la Société d’histoire naturelle de
Toulouse, qui publie une courte note à propos d’une figure
d’« équidé gravé de l’époque aurignacienne » (Jammes
1909). La plaquette en schiste provenait des fouilles que
M. Antichan, ancien guide de la grotte, avait réalisées en
collaboration avec F. Régnault dans une partie du talus
d’entrée, à la fin du XIXesiècle. Cet objet a disparu depuis,
sans laisser de trace.
Au cours des fouilles conduites par É. Cartailhac et
H. Breuil en 1911 et 1913 dans la Salle I (fig 1), plusieurs
éléments d’art mobilier gravé sur supports lithiques ont été
découverts dans le « foyer périgordien » à burins de
Noailles. Ces travaux, menés avec le soutien de l’Institut de
Paléontologie Humaine de Paris (IPH) dans le but de
trouver un contexte archéologique à l’art pariétal, ont été
tardivement et partiellement publiés par l’abbé Breuil, à
l’occasion de la révision de la plupart de ses études pour la
publication de sa synthèse « Quatre cents siècles d’art
pariétal » (1952). Dans cet ouvrage, les plaquettes gravées
de Gargas sont brièvement mentionnées à deux reprises,
comme argument décisif pour l’attribution de l’art pariétal
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L'art au quotidien - Objets ornés du Paléolithique supérieur
Partie 4 : De l’Aurignacien au Magdalénien C. SAN JUAN-FOUCHER, P. FOUCHER
Figure 1 - Grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées, France). A : localisation du site et contexte régional gravettien (données P. Foucher ;
fond de carte F. Tessier). B : plan de la Salle I de la Galerie inférieure, avec localisation des fouilles anciennes et récentes (topographie
Foucher, Texier 2004).
Figure 1 - Gargas cave (Hautes-Pyrénées, France). A : location of site and gravettian regional context (data P Foucher ; map
F. Tessier). B: map of the Salle I of the inferior cave, showing the location of the ancient and recent excavations (topography Foucher,
Texier 2004).
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gravé de la grotte au Gravettien, encore appelé
« Périgordien supérieur ».
Conscient de l’intérêt de ces pièces, H. Breuil leur consacre
ensuite un article monographique dans le volume publié en
hommage au professeur Hamal Nandrin par la Société
Royale Belge d’Anthropologie et de Préhistoire (1953).
L’abbé, qui a déjà des problèmes de vue, fait réaliser les
dessins des deux plus grandes à B. Bottet, « sous [sa]
direction », et réalise lui-même celui de la troisième, un tout
petit fragment de schiste où il relève une tête de bovidé à
partir de traits plutôt dispersés. Le professeur C. Barrière en
fera une relecture critique dans sa monographie consacrée
à l’art de Gargas (1976), où la tête de bovidé laisse place à
des tracés indéterminés non figuratifs.
Dans le cadre de notre projet de recherches sur la cavité,
en plus des campagnes de fouilles et de tri des déblais
menées de 2004 à 2013 (Foucher et al. 2008, 2012), nous
avons entrepris la révision des anciennes collections
déposées à l’IPH et au Muséum de Toulouse. Nous avons
pu ainsi vérifier que seulement une sélection de pièces
avait fait l’objet d’une publication (Breuil et Cheynier 1958),
et qu’une partie importante du mobilier, parmi lequel des
plaquettes gravées, restait encore inédite.
2 - Corpus d’étude
Nous n’allons pas revenir ici sur le descriptif détaillé des
plaquettes déjà publiées (fig. 2), nous renvoyons aux articles
et travaux mentionnés plus haut pour les aspects morpho-
typologiques ; nous les prendrons toutefois en considération
pour aborder des aspects plus généraux concernant la
signification / fonction de cet art mobilier et l’analyse
comparative dans un cadre régional élargi. Quant à la
première pièce inédite de la collection Cartailhac-Breuil que
nous avons repérée dans les fonds de l’IPH, la plaquette « à
la Tête de Cheval» (fig. 3), elle a fait l’objet d’un récent article
monographique (Foucher, San Juan-Foucher 2016). Avant
de passer à la description des caractéristiques formelles des
plaquettes inédites des anciennes et nouvelles fouilles, nous
rappelons dans un tableau synthétique l’ensemble du corpus
disponible (tabl. 1).
3 - Attribution chronostratigraphique
de l’art mobilier de Gargas
sur support lithique
Comme nous l’avons indiqué dans notre introduction,
H. Breuil est le premier chercheur à accorder une
chronologie gravettienne aux plaquettes gravées de Gargas
sur la base de ses propres observations effectuées au cours
des fouilles de 1911 et 1913 : « On comprendra avec quel
soin j’ai examiné les nombreuses plaquettes de schiste des
couches périgordiennes rencontrés dans nos fouilles. Le plus
grand nombre était dans un état de décomposition et de
corrosion ne permettant pas de voir si elles avaient porté des
gravures. Seulement trois plaquettes de schiste
particulièrement résistantes ont été recueillies par moi-même
in situ dans le foyer noir, qui sont toutes trois décorées de
gravures fines sur les deux faces » (Breuil 1953).
L’intérêt de l’abbé avait été stimulé par sa connaissance de
la plaquette gravée de deux pattes postérieures de cheval,
publiée par L. Jammes deux années auparavant. Son
attribution à l’Aurignacien sensu lato1avait été avancée par
(1) Au moment des fouilles Cartailhac-Breuil, le matériel des niveaux gravettiens de Gargas a été attribué à l’« Aurignacien supérieur »,
selon la nomenclature de l’époque, et marqué du sigle « Gargas A. S. ». Celui du niveau aurignacien porte le sigle « A. I. » pour
« Aurignacien Inférieur ».
L’art gravettien sur supports lithiques de la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées, France)
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Figure 2 - 1 : plaquette étudiée par L. Jammes (1909).
2 à 4 : plaquettes étudiées par H. Breuil (1953).
Figure 2 - 1 : slab studied by L. Jammes (1909). 2 à 4 :
slab studied by H. Breuil (1953).
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L'art au quotidien - Objets ornés du Paléolithique supérieur
Partie 4 : De l’Aurignacien au Magdalénien C. SAN JUAN-FOUCHER, P. FOUCHER
Dates Fouilles Objets Dimensions
(mm)
Thème
iconographique
Lieu de
conservation
N°
d’inventaire
Référence
biblio.
Fin XIXe Antichan (ancien
guide)
Plaquette
de schiste
(frag.)
2 pattes d’animal Perdue - Jammes 1909
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Galet de
cornéenne
215x75x30 1 bison et 1 félin MAN 81181 Breuil 1953
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Galet de
cornéenne
105x78x30 Tracés indéterminés MAN 81100 Breuil 1953
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Galet de
cornéenne
63x50x13 Tracés indéterminés MAN 81179 Breuil 1953
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Plaquette
de schiste
90x65x14 1 tête de cheval IPH G-IPH-PL 1 Foucher-San
Juan 2016
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Galet de
cornéenne
105x90x15
2 triangles emboités IPH G-IPH-PL 2 Inédit
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Galet de
cornéenne
190x100x35 32 incisions sur un
bord
IPH G-IPH-PL 3 Inédit
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Éclat de
cornéenne
100x55x13 En forme de contour
animal + tracés
indéterminés
IPH G-IPH-PL 4 Inédit
1911 / 1913 Cartailhac-Breuil Galet de
cornéenne
70x50x17 2 têtes d’animal IPH G-IPH-PL 5 Inédit
2004-2013 Foucher-San Juan Galet de
cornéenne 125x95x18 Tracés indéterminés SRA – dépôt
de fouille
Toulouse
GPA-10-9G Inédit
2004-2013 Foucher-San Juan Plaquette
de schiste
65x33x7 1 tête d’animal SRA – dépôt
de fouille
Toulouse
GDI-11-12G Inédit
Tableau 1 - Origine des pièces d’art mobilier sur support lithique de Gargas.
Table 1 - Origin of portable art objects on lithic supports of Gargas.
Figure 3 - Gargas. G-IPH-PL 1 : plaquette en schiste, gravée d’une tête de cheval (collection Cartailhac-Breuil, IPH).
Figure 3 - Gargas. G-IPH-PL 1 : schist slab with an engraved horse head (collection Cartailhac-Breuil, IPH).
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Breuil lui-même à partir d’une comparaison stylistique avec
les gravures de Pair-non-Pair, « ensevelies sous des foyers
aurignaciens » (Jammes 1909), et celles, tout juste
découvertes, du Sanctuaire des Gravures de Gargas
(Cartailhac, Breuil 1910).
À l’occasion de nos propres fouilles, nous avons mis au jour
de très nombreux galets plats et plaquettes dans les
niveaux gravettiens des différents sondages. Certains
portent des traits épars ou des incisions, d’autres
conservent des traces d’utilisation : stigmates d’impacts,
organisés ou non, stries d’abrasion, imprégnations de
matières colorantes, etc. La plus significative, du point de
vue de l’attribution chronologique, est la grande
plaquette/galet en cornéenne GPA-10-9G décrite plus loin
(fig. 8), trouvée dans le décapage 4 du sous-carré Vc du
secteur GPA. La ressemblance matérielle avec les
supports de celles trouvées par Cartailhac et Breuil dans le
sondage proche de ce secteur est d’autant plus
intéressante que nous n’avons pas recueilli des pièces de
cette matière première ailleurs dans la grotte. Tout comme
la grande plaquette « au Bison et au Félin » (fig. 2 : 4 et
fig. 11) et celle « aux bords incisés » (fig. 7), elle présente
des traces d’impacts et des négatifs d’enlèvements
conchoïdaux sur les bords, et gisait au cœur de ce « foyer
noir » caractérisé par l’abondance d’ossements brûlés et de
fragments d’oxyde de manganèse.
Nous avons obtenu des dates 14C (AMS) entre 30 738
± 210 et 28 710 ± 200 cal BP (intCal 13) pour des
échantillons sur os unique (boviné, isard et renne)
provenant des décapages 6 et 7 de ce même niveau, situés
entre 3 et 5 cm en dessous de celui de la plaquette 2. Ceci
nous donne un terminus ante quem pour cette pièce et, si
l’on prend en considération les observations de Breuil, un
cadre chronologique indirect pour les autres éléments d’art
mobilier réalisés sur le même type de support lithique.
4 - Matières premières
des supports gravés
Deux types d’origines ont pu être déterminés au cours de
l’étude des galets trouvés dans le remplissage
archéologique des différents locus de fouille3. Pour la
plupart, ils proviennent des galeries de la grotte de Gargas,
en particulier du démantèlement de placages d’anciens
dépôts dont il reste des témoins en plusieurs endroits de la
cavité (Boule 1892 - p. 30-35, fig. 5 et 7 ; Ferrier 2005). Ils
se sont trouvés mêlés aux sédiments argileux au cours des
différents événements qui ont marqué la dynamique
générale de son remplissage géologique, avant et pendant
les occupations humaines. La majorité de ces galets, en
grès ferrugineux et en schiste, généralement de petit et
moyen module (> 10 et < 50 mm) présente des états
d’altération plus ou moins avancés, se fragmente
facilement et ne porte pas de traces d’activités
anthropiques.
Toutefois, un nombre plus restreint de plaquettes et de
galets sont d’origine allochtone et ils ont été transportés
jusqu’à la grotte par les Gravettiens, afin d’être utilisés,
d’une part, comme matière première pour la production des
industries lithiques (large éventail de quartzites et autres
arénites faiblement métamorphisées, de schistes tachetés,
de roches volcaniques, et de quartz : cf. Foucher et al. sp) ;
d’autre part, comme macro-outillage peu ou pas élaboré,
pour la réalisation de différentes activités domestiques et
artisanales (quartzites, grès quartzitiques, granites). Ces
derniers objets présentent des stigmates caractéristiques
d’utilisation pour des activités de broyage, concassage,
abrasion et percussion. Ils sont souvent imprégnés de
vestiges de pigments rouges et noirs correspondant aux
nuances et aux textures des blocs ou des amas de
matières colorantes trouvés dans la fouille du niveau
gravettien.
Enfin, en ce qui concerne les supports gravés, le choix des
gravettiens s’est porté vers d’autres matières premières, en
particulier des plaquettes / galets de schiste et des galets
de cornéenne (roche métamorphique, en forme de
plaques-galets, présente dans les formations du Flysch
pyrénéen). Les raisons d’un tel choix s’expliquent
facilement par les caractéristiques morphologiques et
mécaniques de ces matériaux, qui offraient des surfaces
planes et tendres aux burins des graveurs (en particulier les
galets de cornéenne).
La provenance de toutes ces matières premières se trouve
à proximité de la grotte (1 ou 2 km), dans les vastes nappes
de galets qui constituent les alluvions du confluent Neste –
Garonne, au pied de la colline de Gargas.
5 - Pièces inédites de la collection
Cartailhac-Breuil (IPH)
G-IPH-PL 2 - Galet en cornéenne
(105 x 90 x 15 mm)
C’est un galet en cornéenne très aplati qui semble avoir été
aménagé pour lui donner une forme sub-quadrangulaire
(fig. 4). Deux côtés correspondent à des cassures
intentionnelles ; le troisième, rectiligne, est un bord naturel
du galet, tandis que le quatrième de forme curviligne, a été
taillé pour dégager un tranchant, postérieurement émoussé
par un usage en percussion directe.
Sur une de ses deux faces, lisses et régulières, a été gravé,
très finement, un triangle isocèle dont le sommet rejoint les
négatifs d’esquillement du bord taillé, antérieurs à la
réalisation de la gravure. Ce triangle s’insère dans un autre
(2) L’ensemble gravettien situé en GPA, d’une épaisseur d’environ 20 cm, a fait l’objet de 18 décapages archéologiques.
(3) Nous remercions ici très chaleureusement Christian Servelle pour son travail de détermination des matières premières.
L’art gravettien sur supports lithiques de la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées, France)
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motif sub-triangulaire inversé ; sa base n’a pas été gravée
mais correspond à une partie du tranchant esquillé –
intégré ainsi à la représentation - et les deux autres traits ne
sont pas jointifs au sommet. Ces deux motifs géométriques
se superposent à quelques traces d’utilisation (stries fines
et impacts de piquetage) réparties sur le galet. Les traits de
gravures - simples de profil en V ou U symétrique -sont peu
accentués mais paraissent sûrs et sans repentir ; ils n’ont
pas été surchargés par la suite de traits parasites
(intentionnels ou d’utilisation). Cette représentation des
deux triangles emboîtés semble donc avoir été le dernier
geste anthropique et intentionnel sur cette face du support.
On retrouve, sur l’autre face, les mêmes stigmates
d’utilisation du galet : légers raclages et petites cupules de
piquetage. Les rares traits plus marqués n’offrent aucune
représentation cohérente.
L’emboîtement de figures triangulaires est une
représentation symbolique originale peu fréquente bien
qu’elle fasse partie de l’ensemble des signes vulvaires
schématiques répertoriés dans l’art paléolithique (Duhard,
Delluc B. et G. 2014).
Il n’existe qu’un seul exemple explicite de représentation
féminine gravée dans l’art pariétal de la grotte : il
correspond à un signe vulvaire circulaire associé à un
ensemble de figures animalières gravées situées dans le
Sanctuaire des Gravures (Barrière 1976). Mais, il est
généralement admis que la grande fissure verticale
naturelle de la Salle II, enduite d’ocre rouge et marquée
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L'art au quotidien - Objets ornés du Paléolithique supérieur
Partie 4 : De l’Aurignacien au Magdalénien C. SAN JUAN-FOUCHER, P. FOUCHER
Figure 4 - Gargas. G-IPH-PL 2 : plaquette - galet en cornéenne, gravée de deux triangles emboités (collection Cartailhac-Breuil, IPH).
Figure 4 - Gargas. G-IPH-PL 2 : hornfels - flat pebble with two engraved, overlapping triangles (collection Cartailhac-Breuil, IPH).
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d’un signe formé par quatre traits digitaux rouges courts et
parallèles, constitue également une représentation
tridimensionnelle à grande échelle d’un sexe féminin
(Foucher, San Juan-Foucher, Rumeau 2007).
Ce galet apporte ainsi un élément supplémentaire original
au corpus figuratif de Gargas.
G-IPH-PL 5 - Fragment de galet en cornéenne
(70 x 50 x 17 mm)
Ce fragment de galet ne présente qu’une seule face plane
sur laquelle se développent quelques traits gravés (fig. 5).
La face inférieure correspond à des négatifs d’enlèvements
ou d’éclatements produits lors du détachement du galet
matriciel et elle n’a recueilli aucune gravure. Compte tenu
du champ graphique et du dispositif gravé, il ne semble pas
que cet éclat soit le fragment d’un galet gravé plus
important mais qu’il ait été gravé après fragmentation. Les
gravures sont très fines, superficielles et peu organisées.
Elles semblent dessiner deux (ou trois ?) têtes d’animal,
très frustes, dont on ne peut déterminer l’espèce.
Si l’on partage la face gravée par une diagonale virtuelle,
dans la partie inférieure droite se situe un ensemble de
traits peu cohérents autour d’une profonde incision ovalaire
qui rappelle un œil. Les traits les plus longs pourraient
correspondre à des lignes de front d’une tête allongée, ou
à des lignes cervico-dorsales d’animaux incomplets.
L’art gravettien sur supports lithiques de la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées, France)
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Figure 5 - Gargas. G-IPH-PL 5 : fragment de galet en cornéenne avec un ensemble de traits rappelant des esquisses de têtes
d’animaux (collection Cartailhac-Breuil, IPH).
Figure 5 - Gargas. G-IPH-PL 5 : fragment of a hornfels pebble with a group of lines that resemble sketches of animal heads (collection
Cartailhac-Breuil, IPH).
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Dans la zone opposée à cet ensemble de traits, dans la
partie supérieure gauche, on peut y reconnaître deux têtes
schématiques opposées, en disposition à la «Janus», de
part et d’autre d’une double ligne qui pourrait figurer le cou
de chaque animal. La tête tournée à gauche est composée
d’un ensemble de traits quadrangulaires ; aucun œil n’est
marqué. Celle tournée à droite, tout aussi sommaire que la
précédente, présente un délinéament plus arrondi du
museau, possède un œil et deux traits parallèles
assimilables à deux cornes.
Il est mal aisé de proposer une détermination spécifique de
ces esquisses animalières ; on pourrait toutefois y retrouver
des éléments basiques des représentations de têtes de
cheval / bison.
G-IPH-PL 4 - Eclat de galet en cornéenne
(100 x 55 x 13 mm)
Éclat de morphologie subtriangulaire, qui présente une face
supérieure naturellement bombée (surface corticale),
recouverte de traits gravés (fig. 6). La face inférieure, non
gravée, est constituée de négatifs d’éclatement. Deux types
de traits se distinguent : les uns profonds et rectilignes à
coloration gris bleu, situés dans le registre inférieur (le trait
principal correspond à un aller-retour, réalisé d’un seul
geste ; il est doublé d’un autre parallèle) et les autres, plus
fins, situés dans le registre moyen, qui ne percent pas la
patine superficielle du galet et dessinent des segments
curvilignes. Il faut également remarquer, dans le registre
supérieur, une plage qui a fait l’objet de raclage et présente
de nombreux impacts de piquetage.
Avec toute la prudence requise pour ce type
d’interprétations formelles, il faut toutefois souligner que la
forme de cet éclat rappelle le contour d’une tête d’animal,
tourné à gauche, avec des négatifs d’enlèvement évoquant
les naseaux. De ces derniers partent cet ensemble de traits
bien marqués qui pourraient, dans cette configuration
hypothétique, suggérer la bouche. Enfin, les principales
plages de piquetage se situent dans la zone où l’œil aurait
pu être figuré.
Les exemples d’appropriation de contours de supports par
les préhistoriques sont bien connus, autant dans l’art
pariétal que dans l’art mobilier. Cette pièce de Gargas
pourrait très bien relever de ce type de productions peu
élaborées.
G-IPH-PL 3 - Galet incisé en cornéenne
(190 x 100 x 35 mm)
Ce fragment de galet aplati, cassé et en partie débité (large
négatif d’enlèvement encore bien visible) a gardé un bord
naturel aux arêtes arrondies (fig. 7). On peut y déceler
quelques stigmates de combustion (surfaces rougies et
noircies). Une de ces arêtes a été gravée d’une série de
petites incisions courtes et parallèles (n=32), à
espacements assez réguliers. Leurs longueurs se
répartissent entre 1 et 3 mm, mais la plupart mesure 2 mm.
Leur section est en V plus ou moins dissymétrique
(vraisemblablement effectuées avec le tranchant d’un outil
en silex). Parmi elles, 30 sont bien marquées et 2 à peine
ébauchées. Concernant ces dernières, la première se
trouve à une extrémité de la série, la seconde à un tiers
environ. Cela suggère que leur réalisation s’est faite au
moins en deux étapes, l’auteur des incisions ayant relâché
la pression sur l’outil à mi-parcours.
Sur la surface plane contiguë aux incisions, on remarque
quelques traits gravés non figuratifs. La face inférieure est
entièrement recouverte de concrétion de calcite.
Dans un contexte chronoculturel et régional proche, il faut
souligner l’existence d’une pièce quasi identique dans le
niveau gravettien de la grotte des Battuts (Bruniquel, Tarn) :
forme générale analogue et même type d’incisions gravées
(Pajot 1969 : 180). Cette pièce a été trouvée par R. Daniel
lors de ses fouilles (1911-1912) et le relevé qu’il en donne
présente deux séries d’incisions, situées sur chaque arrête
du bord en méplat du galet ; il en a décompté 20 sur l’une
et 22 sur l’autre (fig. 9).
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L'art au quotidien - Objets ornés du Paléolithique supérieur
Partie 4 : De l’Aurignacien au Magdalénien C. SAN JUAN-FOUCHER, P. FOUCHER
Figure 6 - Gargas. G-IPH-PL 4 : éclat de galet aménagé, en
cornéenne, figurant une tête d’animal (collection Cartailhac-
Breuil, IPH).
Figure 6 - Gargas. G-IPH-PL 4 : worked pebble flake, in hornfels,
depicting an animal head (collection Cartailhac-Breuil, IPH).
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Un galet de la grotte de la Bergerie (Saint-Géry, Lot), trouvé
dans le niveau gravettien c2 (fouille G. Peyre 1985), présente
le même type d’incision sur un de ses bords, mais au nombre
de 7 (fig. 9). Sur une de ses faces a été également gravé
l’arrière train d’un animal (Clottes et al. 1990).
6 - Pièces trouvées
au cours des fouilles 2004-2013
Gargas. GDI-11-12G - plaquette en schiste
(65 x 33 x 07 mm)
Cette petite plaquette rectangulaire en schiste présente sur
la face supérieure (surface naturelle, légèrement altérée et
patinée) deux traits gravés convergents (profil en U),
interrompus par la fracture du bord (fig. 8 : 1). La face
inférieure, brute de délitage, présente par endroits
quelques stries d’abrasion et des émoussements des
arêtes de clivage. Certains de ces stigmates peuvent tout
autant correspondre à une opération de régularisation de
cette face qu’à l’intervention de processus taphonomiques.
Il est difficile d’interpréter le motif tronqué, mais le dessin défini
par les deux traits, qui ne se rejoignent pas, rappelle un
museau allongé. Le motif, ainsi que la patine des traits gravés
ressemblent à ceux de la plaquette avec une tête de cheval.
L’attribution gravettienne de cette pièce se trouve par
ailleurs confortée par la présence de résidus de sédiment
brun-rouge (caractéristique du niveau 2) dans les pans de
fracture et les microfissures de sa surface.
Gargas. GPA-10-9G – Plaquette
galet en cornéenne (124 x 97 x 20 mm)
Cet objet a été mis au jour au cours du quatrième décapage
du niveau 2 (note 2), dans le sous-carré Vc du secteur GPA
(fig. 8 : 2) C’est un galet plat en cornéenne, à contour
irrégulier, débité par percussion, dont cinq bords sont
constitués par des négatifs d’enlèvements et le sixième
conserve la surface arrondie d’origine. Il est enrobé d’une
patine ocre jaune produite par altération post-
dépositionnelle. La couleur d’origine, visible sur une petite
encoche marginale accidentelle, est grise foncée, presque
noire.
Il présente sur chaque face quelques traits curvilignes
épars (incisions courtes de profil en V), qui ne composent
pas de motif figuré. Il existe également plusieurs zones
légèrement raclées. Le grand intérêt de cette plaquette ne
réside justement pas dans les représentations gravées,
mais dans la forme et la matière première, peu fréquentes
dans le site, qui s’avèrent être identiques à celles des trois
célèbres plaquettes gravées découvertes au cours des
fouilles Cartailhac-Breuil (cf. supra). Notre sondage GPA se
situe environ à un ou deux mètres du second locus de
fouilles Cartailhac-Breuil.
Cette nouvelle plaquette, trouvée dans le niveau en place
de GPA, entourée de vestiges de combustion (os brûlés,
galets rubéfiés) provenant de rejets de foyer, permet
désormais d’attribuer un contexte beaucoup plus précis à
l’art mobilier de Gargas, tant du point de vue de sa
localisation topographique (au centre de la Salle I) que de
sa chronologie absolue (cf. supra).
7 - Cadre comparatif régional
L’art mobilier sur support lithique est une expression
graphique et symbolique qui se développe au cours du
Gravettien. Avec ses 10 pièces, Gargas est parmi les cinq
sites français ayant livré un nombre important
d’exemplaires publiés ; les autres étant Isturitz (23 ex. :
Rivero et Garate 2014), Laugerie-Haute (10 ex. :
Peyronie D. et E. 1938), La Baume Bonne (9 ex. : Bottet B.
et B. 1949), et La Vigne Brun (5 ex. : Sieveking 2001). Il
L’art gravettien sur supports lithiques de la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées, France)
353
Figure 7 - Gargas. G-IPH-PL 3 : fragment de galet en
cornéenne comportant 32 incisions sur un bord et quelques
traits indéterminés (collection Cartailhac-Breuil, IPH).
Figure 7 - Gargas. G-IPH-PL 3 : fragment of a hornfels pebble
with 32 incisions on one edge and a few indeterminate lines
(collection Cartailhac-Breuil, IPH).
345-359 FOUCHER_art00baseclo 27/03/2017 10:20 Page 353
n’est pas rare d’en trouver dans d’autres sites gravettiens,
mais généralement en petit nombre : abri Laraux (1 ex. :
Airvaux et al. 1983), Les Vachons (2 ex. : Bouyssonie
1948), Le Blot (2 ex. : Delporte 1972, Couraud 1985),
Pataud (3 ex. : Movius 1977, Dubourg et al. 1996).
Pour la zone transpyrénéenne, on constate très peu de cas
connus, faisant exception les sites d’El Parpalló en Pays
valencien (7 ex. : Villaverde Bonilla 1994) et d’Antoliñako
Koba au Pays basque (1 ex. : Aguirre Ruiz et González
Sainz 2011).
Nous avons vu qu’il existait des récurrences formelles très
proches entre certaines pièces de Gargas et celles
découvertes dans les niveaux gravettiens des Battuts et de
La Bergerie (fig. 7 et 9). Mais, tout comme nous avons pu
le constater sur d’autres éléments caractéristiques
(industrie osseuse décorée par ex. : San Juan – Foucher
2013), c’est avec la grotte d’Isturitz que Gargas entretient le
plus d’affinités :
- les supports sont majoritairement des galets aplatis,
souvent retouchés ou fragmentés, ayant eu une fonction
d’outil ; la fragmentation peut être postérieure à la gravure ;
354
L'art au quotidien - Objets ornés du Paléolithique supérieur
Partie 4 : De l’Aurignacien au Magdalénien C. SAN JUAN-FOUCHER, P. FOUCHER
Figure 8 - Gargas. Plaquettes
gravettiennes. 1 : GDI-11-12G.
2 : GPA-10-9G (fouilles
Foucher-San Juan 2004-2013).
Figure 8 - Gargas. Gravettian
plaques 1 : GDI-11-12G.
2 : GPA-10-9G (excavations
Foucher-San Juan 2004-2013).
345-359 FOUCHER_art00baseclo 27/03/2017 10:20 Page 354
- les animaux sont très rarement représentés entiers ;
quand c’est le cas, ces derniers sont souvent très réussis ;
- les représentions partielles sont souvent frustes et
semblent être des esquisses ou des ébauches, celles-ci
pouvant correspondre à des essais d’apprentissage ;
- la figuration des animaux partagent certaines conventions
stylistiques, notamment en ce qui concernent les cornes en
perspective semi-tordue (avec un espace vide entre elles),
ou les pattes en vue frontale (en W ou double Y).
- le bestiaire partagé par les deux corpus se compose
essentiellement du bison et du cheval. Le mammouth et les
cervidés sont absents à Gargas (pourtant présents dans
l’art pariétal). En revanche, aucun félin n’a été représenté à
Isturitz.
Ce mode d’expression sur support lithique mobilier se
combine parfois avec l’emploi de supports en os ou en bois
de cervidé (par ex. les deux mammouths affrontés sur
bâton percé de Laugerie-Haute ou le cheval gravé sur côte
d’Isturitz).
8 - Considérations sur la signification /
fonction de l’art mobilier lithique
de Gargas
Sur l’ensemble des supports lithiques gravés provenant
des différentes fouilles menées dans la cavité,
l’iconographie des thèmes figuratifs identifiés est pour la
plupart animalière, à l’exception du double triangle emboîté
qui pourrait être assimilé à un signe féminin. Le bestiaire
des animaux gravés (chevaux, bisons) correspond bien à
celui majoritairement représenté dans l’art pariétal du
Sanctuaire des Gravures et du Camarin, ainsi qu’au
spectre faunique du gibier consommé par les Gravettiens,
où les Bovinés (Bison priscus et Bos primigenius) figurent
en troisième position (NMI 17) et les Equidés (Equus sp.)
en quatrième (NMI 10), après les rennes et les isards
(Vercoutère, San Juan-Foucher, Foucher 2013).
Une exception notable est celle du félin de la grande
plaquette des fouilles Cartailhac-Breuil, puisque aucune
représentation pariétale de cette famille de carnivores n’a
été jusqu’à ce jour trouvée à Gargas. L’identification de
l’animal sur la seule base de la silhouette est risquée : si le
torse puissant et l’arrière-train abaissé, en position de
bondir, rappellent le profil d’un lion ou d’un léopard, la
morphologie générale de la tête (ligne du front, museau,
position des oreilles) correspond plutôt à ce dernier genre.
Les seules évidences matérielles qui mettent en relation
directe les occupants gravettiens de Gargas et les grands
ou petits félins sont les rares vestiges découverts dans les
niveaux d’habitat de la Salle I : une dent perforée de Lynx
boréal (Lynx lynx) recueillie lors des fouilles 2011 et un
métatarsien de léopard (Panthera pardus) provenant de la
collection Cartailhac-Breuil de l’IPH (San Juan-Foucher et
al. 2012). La rareté de ce type de restes osseux n’est pas
en soi surprenante, d’autant plus que c’est sans doute la
peau de ces animaux qui était recherchée et non leur
viande, et que rien ne justifiait donc l’apport de leurs
carcasses dans la grotte. Bien plus significatif est
cependant l’aspect symbolique (élément de parure,
représentation gravée) associé à leur présence dans le site
et, par conséquent, leur rôle supposé dans l’imaginaire
collectif des chasseurs gravettiens.
Les conventions de représentation des animaux gravés
révèlent également des convergences entre l’art mobilier et
L’art gravettien sur supports lithiques de la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées, France)
355
Figure 9 - Éléments d’art mobilier sur support lithique du Gravettien régional. 1 : grotte des Battuts (Tarn), relevé R. Daniel in B. Pajot
1969. 2 : grotte de la Bergerie (Lot), Clottes et al. 1990.
Figure 9 - Portable art objects on lithic supports from the regional Gravettian context. 1 : Battuts Cave (Tarn), recording R. Daniel in
B. Pajot 1969. 2 : Bergerie Cave (Lot), Clottes et al. 1990.
345-359 FOUCHER_art00baseclo 27/03/2017 10:20 Page 355
l’art pariétal de Gargas. Parmi les éléments graphiques les
plus évidents, la morphologie des extrémités des chevaux,
en particulier celle aux sabots arrondis avec des ergots
prononcés, se retrouve à l’identique sur des chevaux du
Sanctuaire des Gravures et sur le relevé de la plaquette
perdue publiée par Jammes (fig. 10). Tout aussi
démonstratives sont les récurrences formelles concernant
la morphologie des pattes en Y / W ou les têtes des bisons
(perspective « semi-tordue », trait continu entre une corne
et le front, espace entre les deux cornes, voir fig. 11 ), ainsi
que celles relatives au tracé de base de certaines têtes de
chevaux que nous avons analysé en détail ailleurs
(Foucher, San Juan-Foucher 2016).
Dans son étude sur les figurations pariétales des chevaux
de Gargas, O. Huard (2012) signale que la réutilisation de
certaines conventions dans des secteurs différents de la
grotte donne une impression d’unité chronologique de
réalisation plus que d’homogénéité du dispositif graphique.
Il pointe aussi le fait récurrent des reprises, rectifications et
dérapages dans la réalisation des gravures, mais ceux-ci
semblent davantage imputables aux contraintes du support
pariétal. Tout comme lui, nous avons remarqué la
coexistence de formes générales communes (« version
simplifiée ») et de combinaisons de multiples détails
anatomiques, à partir d’une sorte de répertoire codifié ou de
palette graphique, qui rend les représentations originales et
différentes mais tout en gardant une cohérence
« stylistique » d’ensemble.
Nous avons, à notre tour, observé des différences de
maîtrise dans l’exécution des gravures sur plaquettes, dont
certaines s’apparentent à des esquisses d’apprentissage
alors que d’autres relèvent d’une main exercée, et conclu à
la possibilité d’une utilisation des supports mobiliers
gravettiens de Gargas comme outil didactique, argument
très largement admis pour l’art magdalénien (Fritz 1999 et
2004, Rivero 2010 et 2011, Tosello 2003 et 2006). Le fait
que certains thèmes et motifs iconographiques demeurent
dans la sphère restreinte du registre mobilier, sans faire
partie du dispositif pariétal, suggère par ailleurs que le
concept de fonction didactique peut s’entendre dans son
sens le plus large, comprenant non seulement la pratique
de l’exercice manuel pour acquérir la maîtrise du geste,
mais aussi l’emploi d’un élément graphique mobile comme
support de transmission de traditions techniques ou
culturelles.
Ces données permettent d’appréhender l’ensemble de l’art
de Gargas sous une nouvelle perspective, dans ce site
remarquable qui associe activités domestiques et
symboliques dans une proximité étroite, tout en respectant
la distribution spatiale de celles-ci voulue par les groupes
gravettiens. En effet, les figurations peintes constituées par
les empreintes de mains négatives sont réparties dans
356
L'art au quotidien - Objets ornés du Paléolithique supérieur
Partie 4 : De l’Aurignacien au Magdalénien C. SAN JUAN-FOUCHER, P. FOUCHER
Figure 10 - Comparaison art
mobilier / art pariétal de
Gargas : conventions
graphiques de représentation
des pattes des chevaux.
1 : Jammes 1909.
2 et 3 : chevaux du
Sanctuaire des Gravures,
Breuil 1952.
Figure 10 - Comparison of the
portable art and parietal art of
Gargas Cave: graphic
conventions used in the
depiction of horse hooves.
1 : Jammes 1909.
2 et 3 : horses of Sanctuaire
des Gravures, Breuil 1952.
345-359 FOUCHER_art00baseclo 27/03/2017 10:20 Page 356
plusieurs endroits de la cavité, parfois isolées, mais la plus
grande concentration se situe autour de la Salle I, à l’endroit
où s’établit le lieu d’habitat et se développent les activités
domestiques (consommation et transformation de matières
d’origine animale, production d’outils et d’éléments de
parure). En revanche, les gravures pariétales animalières
se situent au fond de galeries, conques et diverticules, où il
n’y a pas de traces de séjour, alors que les plaquettes
gravées ont été découvertes mêlées aux restes des sols
d’occupations. Deux types de manifestations graphiques
semblent donc se dessiner, les unes étant compatibles
avec la vie quotidienne du groupe, les autres réservées à
des espaces déterminés, non habités. Il est donc
envisageable que la réalisation de chacune réponde à des
pratiques et des besoins matériels et spirituels différents, au
sein d’un collectif humain de chasseurs-cueilleurs qui
partage un même espace souterrain en y définissant des
frontières symboliques immatérielles, à peine perceptibles
à nos yeux.
Remerciements
Nous avons pu réaliser l'étude des éléments inédits de la
collection Cartailhac-Breuil de l'Institut de Paléontologie
Humaine grâce à l'autorisation de son directeur, Henry de
Lumley, ainsi qu'à l'accueil bienveillant de Marylène Patou-
Mathis (Laboratoire d'archéozoologie) et de Stéphanie
Renault (Direction des collections). Catherine Schwab,
responsable du Département paléolithique au Musée
d'archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, nous a
permis d'accéder à la collection Breuil pour effectuer la
révision des plaquettes conservées dans leurs réserves.
Qu'ils soient tous chaleureusement remerciés.
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Figure 11 - Comparaison art mobilier / art pariétal de Gargas : conventions graphiques de représentation des bisons. 1 : relevé Bottet in
Breuil 1953. 2 : relevés de Breuil 1952.
Figure 11 - Comparison of the portable art and parietal art of Gargas Cave: graphic conventions used in the depiction of bisons.
1 : recording Bottet in Breuil 1953. 2 : recordings Breuil 1952.
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