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1
Journée thématique du Groupement Romand de Médecine, d'Hygiène et de Santé au Travail
Comment réussir un bâtiment malsain?
Claude-Alain Roulet
Ingénieur Physicien EPUL; Prof. honoraire EPFL
claude.roulet@epfl.ch
Houses are built to live in and not to look on.
Les maisons sont faites pour y vivre, pas pour les regarder
Francis Bacon, Essays
RÉSUMÉ
L’exposé, malgré son titre provocant, montre tout de même comment réussir et exploiter un bâtiment où il
fait bon vivre ! Les progrès de la physique du bâtiment pendant ces 50 dernières années permettent
actuellement de concevoir et de construire – voire rénover - des locaux confortables et à faible impact
environnemental.
Après une définition du concept de bâtiment malsain et du syndrome associé, quelques résultats d'audits de
bâtiment administratifs, tant en Suisse qu’en Europe sont présentés, qui montrent plusieurs tendances
permettant d'étayer les conseils prodigués par la suite. En fait, le concepteur et l'exploitant doivent privilégier
les mesures passives pour assurer un bon environnement intérieur, en les complétant au besoin par des
mesures actives. De plus, ils doivent toujours garder les besoins de l'occupant parmi leurs nombreuses
préoccupations. Pour cela, ils peuvent soit se baser sur une grande expérience soit, si on désire innover,
mettre à profit les nombreux outils de modélisation disponibles pour prédire les effets de diverses options sur
la qualité de l'environnement intérieur. Quelques exemples illustrent cette stratégie.
MALADIES CAUSÉES PAR CERTAINS BÂTIMENTS
Lorsque les normes de conception ou de construction ne sont pas respectées, certaines affections peuvent
en résulter. Citons notamment:
· Les conséquences d'émissions excessives de composés organiques volatils, par exemple de solvants
toxiques, de formaldéhyde émis par certains matériaux ou de benzène provenant du garage
· La concertation excessive de radon, cause de cancer du poumon (voir l'intervention de Vincent Perret et
Joelle Goyette)
· Les effets de l'inhalation passive ou active de fumée
· Les intoxications au monoxyde de carbone résultat d'installation de combustion hors normes ou mal
utilisées (brasero par exemple)
· La présence simultanée de personnes allergiques et d'allergènes (acariens, moisissures)
· Les expositions à des agents pathogènes hors normes professionnelles
· etc.
Les symptômes correspondant à l'exposition exagérée à chaque contaminant sont connus, les causes de
ces maladies généralement aussi, ce qui fait que l'on a progressivement fortement réduit les expositions aux
contaminants toxiques: on évite l'immission du radon dans les bâtiments, on respecte les normes
d'installation des calorifères, les garages ne sont pas en liaison directe avec les logements, les matériaux de
construction ne contiennent pratiquement plus de COVs toxiques, l'isolation moderne a pratiquement
supprimé la prolifération de moisissures, et on ne fume plus dans les bâtiments publics. D'autre part, la
règlementation limite fortement l'exposition des travailleurs aux risques sanitaires connus.
Nous ne discuterons donc pas plus avant de ces affections, dues à des causes précises, qu'il ne faut pas
confondre avec le syndrome du bâtiment malsain, thème de cette présentation.
2
LE SYNDROME DU BÂTIMENT MALSAIN1
Dans les bâtiments dits "malsains" au contraire, certains symptômes, qui ne peuvent pas être reliés à des
causes précises, se retrouvent fréquemment. L'Organisation Mondiale de la Santé a défini le SBM2 comme
une réaction de la majorité des occupants d'un immeuble à leur environnement intérieur, réaction qui ne peut
pas être directement reliée à des causes évidentes telles qu'une exposition à une concentration excessive
d'un contaminant connu ou à une défectuosité d'un système de ventilation.
Le SBM se caractérise par des symptômes d'inconfort et de réactions physiologiques ou sensorielles aiguës.
Les personnes qui développent le SBM voient généralement leurs symptômes disparaître lorsqu'elles
quittent l'immeuble incriminé. Le Tableau 1 donne la liste de ces symptômes.
Tableau 1: Liste des symptômes du syndrome du bâtiment malsain.
Symptômes les plus fréquents Autres symptômes observés
Yeux secs, irrités, qui picotent Yeux larmoyants
Nez bouché, respiration par le nez difficile
Nez qui coule, usage fréquent du mouchoir
Gorge sèche ou irritée Poitrine oppressée, difficulté à respirer
Mal à la tête Symptômes de grippe
Peau sèche Peau irritée, éruptions
Apathie, fatigue
Pour quantifier l'impact du bâtiment sur la santé des occupants, on demande aux occupants s'ils ressentent
l'un ou l'autre de ces symptômes, et si ces symptômes disparaissent lorsque la personne quitte le bâtiment.
Si c'est le cas, c'est à dire si le symptôme n'apparaît que lorsque la personne se trouve dans le bâtiment, il
est réputé lié au bâtiment.
Pour comparer les bâtiments, un indice des symptômes liés au bâtiment (BSI pour Building Symptom Index)
a été défini. Ce indice donne le nombre moyen de symptômes liés au bâtiment ressentis par personne.
L'indice complet prend en compte tous les symptômes et prend donc une valeur entre 0 et 11.
RÉSULTATS D’ENQUÊTES
L'information donnée dans ce chapitre résulte de trois enquêtes effectuées dans des immeubles
administratifs, ces trois enquêtes utilisant des méthodes d'investigation, notamment des questionnaires
similaires. Deux de ces enquêtes ont été effectuées dans le cadre de programmes de recherches européens
en 1993-1994 [3, 4] et 2002-2003 [5]. Ces enquêtes ont été effectuées dans plus de 200 immeubles
administratifs et résidentiels situés en Europe, de la Grèce à la Finlande, en passant par l'Italie, le Portugal,
la Suisse, la France, les Pays Bas, le Royaume Uni et la Suède. Une enquête identique a été aussi
effectuée par des collègues de l'Université de Singapour [6]. Il faut préciser qu'aucun des bâtiments choisis
ne présentait a priori de problème sanitaire ou était réputé malsain.
Prévalence des symptômes du SBM
La Figure 1 montre la prévalence des symptômes (pourcentage des occupants ressentant le symptôme) du
syndrome du bâtiment malsain dans les immeubles résidentiels et administratifs. On note que les
symptômes les plus présents ne sont ne sont pas les mêmes dans ces deux types d'immeubles, et que la
prévalence des symptômes est en général plus élevée dans les bureaux que dans les logements. On note
aussi que pour tous les symptômes, on trouve au moins un bâtiment à prévalence nulle. Par contre, les
bâtiments dans lesquels le BSI est nul sont pratiquement inexistants.
1 De nombreuses parties du présent document sont extraites de deux ouvrages de l'auteur [1, 2] publiés aux Presses
Polytechniques et Universitaires Romandes. La reproduction même partielle de ce document est dès lors soumise à
l'autorisation de l'auteur ou des PPUR
2 Syndrome du Bâtiment Malsain , en anglais SBS pour Sick Building Syndrom.
3
Figure 1: Prévalence des symptômes (pourcentage des occupants ressentant le symptôme) du syndrome du
bâtiment malsain dans les immeubles résidentiels et administratifs. (Enquête HOPE [7, 8]). Les rectangles
montrent la prévalence dans la moitié des bâtiments, alors que les barres montrent les écarts maximaux.
SBM et qualité de l'air
Nous avons tenté de trouver des causes possibles du SBM en mesurant les débits d'air neuf, la
concentration de divers contaminants, en notant diverses caractéristiques du bâtiment et finalement en
demandant aux occupants leur perception du confort thermique, aéraulique, acoustique et lumineux de leur
logement ou place de travail. Les diagrammes qui suivent montrent quelques tentatives de corrélations.
Chaque point représentant les valeurs moyennes d'un immeuble, et la droite pointillée est ajustée par la
méthode des moindres carrés.
Figure 2 : Relation entre le BSI et la
concentration en composés organiques volatils
totaux (COVT) dans les bureaux [1].
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80% Logements
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80% Bureaux
0
1
2
3
4
5
6
7
01234
BSI
COVT [ppm]
Tropic. Medit. Ocean Contin. Nord
4
La corrélation entre le BSI et la concentration de composés organiques volatils (COV), reflétant la pollution
de l'air, est inexistante, du moins tant que celle-ci n'est pas trop importante. En effet, les concentrations
nettes de COV mesurées sont toutes nettement inférieures aux limites généralement admises.
Figure 3 : Relation entre le BSI et le débit d'air neuf par occupant dans les bureaux.
Comme le montre la Figure 3, le BSI n'est pas corrélé au débit d'air par personne, même s'il est nettement
au-dessous ou au-dessus des normes. Rappelons qu'un débit de 30 m³/h et personne est considéré comme
suffisant si la contamination de l'air est due aux seuls occupants, alors que, dans tous les cas, il est
déconseillé de descendre en-dessous de 10 m³/h et personne et considéré comme potentiellement
dangereux de descendre en-dessous de 4 m³/h et personne.
SBM et contrôle de l'environnement intérieur
Les occupants ont rarement la possibilité d'agir sur leur environnement de travail (température, aération,
ouverture des fenêtres, etc.), et ceci est ressenti négativement (Figure 4). Une amélioration de cette situation
permettrait de diminuer le nombre relativement élevé de symptômes liés au lieu de travail qui ont été
observés. En effet, le BSI semble diminuer lorsque les occupants ont l'impression de contrôler leur
environnement.
Figure 4 : BSI dans les bureaux, en
fonction du niveau de contrôle, qui
représente l'opinion des occupants
relative à l'impression de contrôler
trois aspects de leur
environnement.
0
1
2
3
4
5
6
010 20 30 40 50 60
BSI
Débit d'air [l/(s·personne)]
Débit
insuffisant Débit exagéré
0
1
2
3
4
5
6
7
BSI
< Nul Niveau de contrôle Total >
Température Aération Lumière
5
SBM et mode de ventilation
La Figure 5 montre que le BSI est généralement plus élevé dans les bureaux à ventilation mécanique que
dans ceux à ventilation naturelle et les bâtiments les moins sains dans l'échantillon observé étaient tous à
ventilation mécanique. Il ne faut toutefois pas généraliser et accuser ventilation mécanique de tous les maux.
Des bâtiments sains à ventilation mécanique existent, et le BSI élevé peut être dû à d'autres causes comme
l'éloignement des fenêtres, la taille des locaux ou le manque de contrôle, trois caractéristiques souvent
rencontrées dans les grands bâtiments qui nécessitent une ventilation mécanique.
Figure 5 : Distributions du BSI
dans les bureaux à ventilation
mécanique et naturelle.
Le Tableau 2 qui résulte de la seconde enquête, montre que le BSI est, en moyenne, significativement plus
bas dans les locaux où on peut ouvrir les fenêtres que dans ceux où elles sont scellées. Il est aussi
significativement plus élevé dans les locaux à ventilation mécanique que dans ceux à ventilation naturelle.
Les locaux à ventilation hybride (par ex. mécanique en hiver et naturelle en été) sont en position
intermédiaire.
Tableau 2 : Moyenne des BSI, du nombre moyen d'allergies annoncées, de la perception de la qualité de
l'air intérieur(QAI) et du confort (échelle de 1 = excellent à 7 = inacceptable) et consommation annuelle
d'énergie par m² de plancher pour les locaux aérés de différentes manières. P est ici la probabilité que la
différence soit due au hasard, donc non significative (NS).
Par contre, il n’y a pas de relation significative entre le mode de ventilation et les allergies, la qualité de l’air
ressentie, le confort thermique ou la consommation d’énergie.
SBM, taille du bureau et densité d'occupation
Les bureaux paysagers sont souvent créés pour mieux utiliser l’espace disponible dans un bloc entre quatre
rues. On peut se poser la question sur la qualité de l’environnement intérieur dans de tels bureaux, en
comparaison avec les bureaux cellulaires classiques. Il s'avère que le BSI est corrélé de manière
significative avec le nombre de personnes par bureau (Figure 6) et la densité d'occupation (Figure 7).
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
0-1 1-2 2-3 3-4 4-5 5-6 BSI
Naturelle
Mécanique
6
Figure 6 : BSI en fonction du nombre de personnes
par bureau. Figure 7 : BSI en fonction du nombre de personnes
par surface de plancher.
En moyenne, les bureaux paysagers présentent un BSI plus élevé que les bureaux classiques. Le
dépouillement de questionnaires montre aussi que les bureaux paysagers semblent moins bien acceptés par
les occupants que les bureaux individuels. Il s’ensuit que, si on désire créer un bureau paysager sans SBM,
il faut apporter un soin particulier à la qualité de l’environnement intérieur.
BSI et confort perçu
Nous avons observé que le confort est perçu comme un tout: tous les critères de confort (thermique, air,
visuel, acoustique) sont corrélés. On voit sur la Figure 8 l’étroite corrélation entre la qualité de l’air et le
confort thermique perçus, alors que ces caractéristiques sont a priori indépendantes. De même, la Figure 9
montre une bonne corrélation entre le BSI et la sensation d'inconfort. On en conclut que si un des aspects
de la qualité de l'environnement intérieur est négligé, il est fort probable que les autres aspects seront aussi
mal perçus.
Figure 8 : Valeurs moyennes des perceptions de la
qualité de l'air et du confort dans les immeubles
administratifs et résidentiels.
Figure 9 : BSI et valeurs moyennes de la perception
du confort global dans les immeubles administratifs
et résidentiels.
Consommation d'énergie, confort et BSI
On consomme de l’énergie dans les bâtiments essentiellement pour améliorer le confort, notamment en
chauffant en hiver. On pourrait donc imaginer que le confort s’améliore avec la consommation d’énergie
0
1
2
3
4
5
6
110 100 1'000
BSI
Personnes/bureau
0
1
2
3
4
5
6
0.00 0.05 0.10 0.15 0.20
BSI
Personnes/m²
1.5
2
2.5
3
3.5
4
4.5
5
5.5
12345
Défaut de ualité d'air perçue
Inconfort thermique perçu
Bureaux
Logements
0
1
2
3
4
5
1.5 22.5 33.5 4
BSI
Inconfort global perçu
Bureaux
Logements
7
(rapportée ici à la surface de plancher chauffé pour s’affranchir des différences de taille des bâtiments). On
voit dans la Figure 10 qu’il n’en est rien, et que dans les logements, l’inconfort augmente même avec la
consommation.
Figure 10 : Valeurs moyennes de l'inconfort perçu
et consommation spécifique annuelle d'énergie Figure 11 : BSI et et consommation spécifique annuelle
d'énergie.
Une journée d’absence (environ 400.-) coûte de deux à huit fois plus cher que le coût annuel du chauffage
de la place de travail (environ 50.- à 200.-). De ce fait, le maître de l'ouvrage est prêt à acquérir de
coûteuses installations de conditionnement et à dépenser de l'énergie pour améliorer les conditions de
travail. En moyenne sur les 160 bâtiments examinés en Europe, le résultat semble décevant: on note sur la
Figure 11 une corrélation significative positive entre l'indice de dépense d'énergie et le nombre de
symptômes ressentis: plus on consomme d'énergie, plus les occupants sont malades...
Ce résultat n’est en fait pas surprenant: on peut s'attendre à ce qu'un bâtiment mal conçu et médiocrement
exploité soit moins sain et consomme plus d'énergie qu'un bâtiment bien conçu et exploité avec
compétence. Il est aussi possible que l'on cherche à réagir aux plaintes exprimées dans les bâtiments à
problèmes en augmentant la température de chauffage ou la climatisation, ce qui augmente la
consommation.
A NE PAS FAIRE!
Quelles sont les raisons des inconforts et des symptômes ressentis?
Il est maintenant établi qu’il n’y a pas une seule cause au SBM, et que les bâtiments dits «malsains»
présentent plusieurs problèmes peu évidents dont l’ensemble rend les personnes les plus sensibles
malades. Le SBM résulte très probablement de la conjonction d'au moins trois facteurs: inconfort, stress, et
pollution.
· L'inconfort peut résulter d'une température trop haute ou trop basse pout l'habillement et l'activité de
l'occupant, d'une humidité ou au contraire d'une sécheresse excessive, d'un éclairage inadéquat ou d'un
bruit excessif. D'autres facteurs, notamment le stress et la pollution, peuvent influer le confort perçu, qui
est en fait une sensation de bien être général.
· Le stress provient généralement d'insatisfaction au travail, d'une trop haute densité d’occupation, de
manque de sphère privée et de manque de contrôle sur l’environnement.
· La pollution résulte de mauvais entretien, de la saleté, des sources de pollution intérieure et extérieure,
d'humidité excessive et/ou d'une aération insuffisante.
En résumé, pour réussir un bâtiment malsain, il suffit de réunir quelques-unes des conditions suivantes (la
liste n'est pas exhaustive!):
1
2
3
4
0100 200 300 400 500
Inconfort perçu
Consommation spécifique d’énergie
[kWh/m²]
Bureaux Logements 0
1
2
3
4
5
0100 200 300 400 500
BSI
Consommation spécifique d’énergie
[kWh/m²]
Bureaux Logements
8
Lors de la conception et la construction du bâtiment:
· n'accorder que peu d'importance aux occupants, à leur confort hivernal et estival
· chercher une occupation des locaux la plus rentable possible
· ne laisser aucune possibilité aux occupants de modifier leur environnement
· sceller les fenêtres
· si une ventilation mécanique est prévue, ne pas y accorder un soin particulier pour la conception, la
construction et l'entretien
· utiliser des matériaux émettant des composés toxiques (solvants, formaldéhyde, pesticides, plastifiants,
etc.)
· négliger l'isolation acoustique et l'acoustique interne
· négliger l'éclairage naturel et artificiel.
Lors de l'exploitation du bâtiment
· n'accorder aucune importance aux plaintes ou aux propositions
· interdire d'ouvrir les fenêtres
· sur-occuper les locaux
· installer des appareils polluants à l'intérieur
· négliger l'entretien des locaux et des installations.
Le quartier de la Défense, à Paris ou la prestigieuse Prime Tower de Zurich (Figure 12), illustrent bien ce
que l'on peut faire en laissant libre cours à l'imagination sans se préoccuper de l'habitabilité. Dans ce genre
de bâtiments, le climat intérieur est complètement conditionné, et l'éclairage artificiel est généralisé ce qui
les rend difficilement utilisables, voire inutilisables. Par exemple, la Prime Tower a dû être évacuée suite a
une simple panne d'électricité!3
Figure 12: La Défense, à Paris, la Prime Tower de Zurich, deux exemples ou l'expression a primé sur la
protection…
ALORS QUE FAIRE?
Les enjeux
Vitruve a énoncé trois piliers de l'architecture, ou trois qualités qu'un bâtiment doit avoir de manière
équilibrée :
Voluptas ou Venustas4 : être beau, esthétiquement bien conçu
Firmitas ou Necessitas1 : tenir debout, au besoin pendant longtemps
Comoditas : être confortable et fonctionnel
La première qualité sont particulièrement bien traitées à l'atelier et dans les traités d'architecture, et la
seconde dans les manuels de construction et de statique. Ce document ne concerne donc que la troisième
qualité, comoditas.
3 http://www.tdg.ch/suisse/La-plus-haute-tour-de-Suisse-a-ete-evacuee-a-Zurich/story/25157944
4 Ce mot change suivant les sources !
9
Lors de la conception et de l'utilisation d'un bâtiment, les intervenants ont des objectifs parfois différents:
· le promoteur cherche la rentabilité,
· la compagnie propriétaire aussi bien que l'architecte désire que le bâtiment ajoute à son prestige,
· le locataire désire avoir le meilleur rapport performance/prix
· l'occupant espère se trouver bien dans ses locaux
· la société a tout intérêt à respecter les critères d'un développement durable.
En fait, tous ces enjeux doivent être pris en compte lors de la conception, de la construction et de l'utilisation
du bâtiment. Il se trouve que, à condition de réfléchir correctement, c'est parfaitement possible et que ces
objectifs ne sont pas contradictoires. Il n'en reste pas moins que le bâtiment est d'abord une protection, et
ensuite une expression!
Le bâtiment est construit avant tout pour être confortable et sain. C'est en fait sa raison d'être. Le bâtiment
doit protéger les occupants de l'environnement extérieur, assurer un climat et une qualité d'air agréables à
l'intérieur, et fournir des services tels que le transport, des produits et des communications. Rappelons que
l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la santé comme un état de bien être physique, mental et
social total et non simplement comme une absence de maladie ou d'infirmité.
Un des objectifs des professionnels du bâtiment et des occupants est de limiter ces sources de SBM et de
malaise autant que possible. En fait, dans l'idéal, le bâtiment devrait être non seulement pas malsain, mais
encore parfaitement sain, apportant de la joie de vivre à ses occupants.
Pour apporter en toute circonstance un minimum de bien être à ses occupants, le bâtiment doit être construit
de manière à apporter naturellement, sans aucune installation technique, un confort au moins égal à celui
de l'extérieur. Sa conception et sa construction doivent donc être adaptées au climat local.
Méthodes actives et passives pour assurer le confort
Pour assurer une bonne qualité de l'environnement intérieur, on peut appliquer des mesures passives et des
mesures actives.
· Les mesures passives sont des mesures architecturales et constructives qui permettent d'atteindre
naturellement le but poursuivi sans apport d'énergie, ou presque. Leur conception dépend fortement du
climat et de l'environnement locaux.
· Les mesures actives ou technologiques permettent d'atteindre le but poursuivi par des actions
mécaniques, en consommant de l'énergie pour compenser les défauts du bâtiment ou compléter les
mesures passives.
Voici quelques exemples de mesures passives :
· La compacité du bâtiment : En climat froid, les déperditions de chaleur augmentent avec la surface
exposée de l'enveloppe du bâtiment, et la compacité des formes est avantageuse de ce point de vue. Il
faut toutefois pondérer ce critère par les besoins en éclairage naturel, qui nécessitent des espaces
proches de l'enveloppe.
· La distribution des volumes doit être adaptée au climat. Les grandes hauteurs sont confortables en
climat chaud, alors que les petits volumes sont plus faciles à chauffer. Les mezzanines et les ouvertures
entre plusieurs étages favorisent la ventilation par effet de cheminée, mais augmentent aussi les
variations de température entre le haut et le bas des espaces habités.
· l'orientation du bâtiment par rapport au soleil, aux vents dominants, à la vue, a une influence
importante sur le confort en général, et une influence non négligeable sur la consommation d'énergie.
· L'emplacement des ouvertures détermine l'éclairage et la ventilation naturels. Par exemple une
ouverture tout en haut permet d'évacuer l'air chaud. Des fenêtres hautes éclairent mieux le fond des
pièces que des vitrages larges.
· L'isolation thermique protège du climat extérieur et supprime les risques de moisissure et de
condensation en climat froid. Si elle est placée à l'extérieur de la structure, elle la protège des variations
rapides de température, stabilise la température intérieure, favorise l'utilisation des gains solaires, permet
le refroidissement passif.
· La ventilation naturelle est généralement mieux acceptée par les habitants que la ventilation
mécanique. Elle permet des débits nettement supérieurs à ceux que la ventilation mécanique peut
atteindre, ce qui facilite l'évacuation rapide de grandes quantités de polluants ou de chaleur et améliore
nettement l'efficacité du refroidissement passif.
10
· Le refroidissement passif consiste à refroidir la structure du bâtiment la nuit pour éviter les surchauffes
les jours de canicule. Pour cela, on utilise de grandes ouvertures pendant toute la nuit, une des
ouvertures étant située le plus haut possible.
· Le chauffage solaire passif consiste à utiliser la chaleur du rayonnement solaire entrant dans le
bâtiment par les fenêtres, ou parfois par des dispositifs ad hoc, pour contribuer au chauffage des locaux.
· L'éclairage naturel est parfaitement adapté à nos yeux, bien accepté, voire recherché par les
occupants. A éclairement égal, il chauffe moins que l'éclairage artificiel.
· L'isolation et l'absorption acoustiques assurent une ambiance acoustique agréable dans les locaux,
évitent les interférences désagréables entre voisins et réduisent l'impact des bruits extérieurs.
Et voici quelques exemples de mesures actives :
· Le chauffage local ou central reste indispensable dans les climats froids pour assurer une température
confortable en hiver.
· La ventilation mécanique supplée à la ventilation naturelle ou la complète dans les locaux de grande
dimension ou à fort taux d'occupation. Elle permet aussi de récupérer la chaleur dans l'air extrait.
· Le conditionnement d'air permet de refroidir les locaux dans lesquels la charge thermique est trop
élevée. On peut aussi utiliser à cet effet les parois radiantes (par exemple des plafonds froids)
· L'éclairage artificiel est bien connu et reste indispensable pour voir la nuit !
· Le contrôle, la régulation, la domotique qui agissent sur les installations actives ou des éléments
passifs pour automatiser leur fonctionnement en cherchant un optimum aussi bien pour le bien être des
occupants que pour la consommation d'énergie.
· Les écrans montrant des paysages ou d'autres images, peuvent être utilisés pour donner l'illusion
d'ouvertures.
· La musique d'ambiance, parfois utilisée pour couvrir des bruits désagréables.
Les mesures passives sont généralement bon marché, consomment peu ou pas d'énergie et par définition
ne peuvent pas tomber en panne. Leur conception dépend fortement du climat et de l'environnement locaux.
Elles sont donc influencées (à part les mesures acoustiques) par les conditions météorologiques et ne
peuvent pas toujours fournir les prestations souhaitées.
Les mesures actives sont bien adaptées aux besoins (c'est leur raison d'être principale), du moins quand
elles sont bien conçues, construites et mises en service. Ces mesures utilisent des méthodes connues
appliquées par des professionnels (chauffagistes, éclairagistes, installateurs, ingénieurs, etc.). Souples et
relativement indépendantes des conditions météorologiques, elles permettent de fournir en permanence les
prestations souhaitées, voire de rattraper des erreurs de conception. Par contre, elles sont souvent chères,
énergivores et peuvent tomber en panne. Si une installation active faillit, l'inconfort sera nettement plus
grave dans un bâtiment technologique où l'installation active a l'entière charge du confort que dans un
bâtiment passif où elle ne fait qu'améliorer un confort dû en grande partie aux mesures passives.
Les avantages et inconvénients des mesures passives et actives sont résumés dans le Tableau 3. Les
avantages sont en vert et les inconvénients en rouge. On remarque qu'à chaque avantage d'un type de
mesures correspond un inconvénient de l'autre et vice versa. Les mesures passives et actives sont donc
complémentaires.
Tableau 3 : Avantages et inconvénients des mesures passives et actives.
Mesures passives
Mesures actives
Bon marché
Consomment peu d'énergie
Ne tombent pas en panne
Difficiles à contrôler
Parfois inutilisables
Chères
Énergivores
Des pannes sont possibles
Faciles à contrôler
Disponibles
Les mesures actives ont été privilégiées quand l'énergie n'était pas chère (années 70) mais maintenant, les
mesures passives sont préférables pour des raisons de coût et de consommation d'énergie. Elles ne
peuvent toutefois pas toujours garantir des conditions confortables, donc la stratégie à adopter consiste à
aller aussi loin que raisonnablement possible avec les mesures passives, et de pallier les insuffisances
résiduelles par des installations actives dont les dimensions seront alors réduites. Cette stratégie permet
souvent d'avoir plus de choix quant aux types et aux emplacements des installations actives.
11
Pour construire un bâtiment performant, l’architecte peut soit compter sur son expérience et imiter des
constructions existantes et connues comme performantes, soit créer un projet innovant et étudier à fond ses
performances prévisibles avant de le construire! Des outils informatiques sont actuellement disponibles,
qui permettent de prédire la consommation d'agents énergétiques, la température, l'éclairage naturel et
artificiel, le bruit, le débit d'air, la concentration de polluants, etc. d'un bâtiment ou d'un local sur la base du
projet.
Quelques exemples
Le nouveau bâtiment de l'office fédéral de la statistique (Figure 13), situé à côté de la gare de Neuchâtel,
veut être un exemple. Il a été conçu comme un bâtiment à ventilation naturelle à hauts gains solaires passifs
et actifs (65% des besoins), ce qui est rare dans un grand immeuble administratif situé en ville. En été, le
refroidissement par ventilation naturelle assure un climat confortable dans les bureaux et circulations
représentant plus de 80 % des espaces. Les ouvertures en façades, protégées des intempéries, laissent
entrer l'air qui traverse les locaux occupés pour s'échapper ensuite vers le haut du bâtiment par les couloirs,
les cours intérieures et les superstructures [9].
En revanche, les autres espaces, qui sont d'une part des locaux à hauts gains internes tels que les salles de
réunion, le restaurant, certains locaux techniques, le sous-sol et les toilettes sont ventilés mécaniquement.
L'installation de chauffage comprend 1200 m2 de capteurs solaires thermiques combinés avec un stockage
saisonnier and un réservoir d'eau de 2400 m3, la récupération des gains du centre de calcul et une
chaudière à gaz.
Figure 13 : Office Fédéral de Statistiques, Neuchâtel. Architectes : Bauart, Bern, 1999, ingénieurs climat :
Sorane SA, Lausanne. Photo Ruedi Walti, Basel.
Presque tous les matériaux de construction ont été choisis en fonction de leurs caractéristiques
écologiques : ossature béton, allèges en panneaux sandwich bois ciment, et isolation cellulose, protégées
par du verre, isolation en verre cellulaire pour la toiture, cloisons internes en Placoplatre, parquets huilés.
L'eau de pluie est retenue sur les toitures en partie par une végétalisation, et en partie par des basins de
rétention. Elle est aussi récoltée et stockée pour les toilettes et les postes de nettoyage.
12
Ce bâtiment se situe en tête, du point de vue de la santé et du bien être des occupants, des bâtiments
administratifs examinés en Suisse dans le cadre d'un projet de recherches Européen [4].
Figure 14 : A l'EPFL, le Rolex Learning Centre et le bâtiment BC.
A l'EPFL, le projet du Rolex Learning Center (Figure 14 de gauche) a certes gagné le concours d'idées, mais
a nécessité de sérieuses études non seulement pour pouvoir le construire, mais aussi pour le rendre
habitable. La répartition des activités, l'arrangement des fenêtres, les revêtements de surface intérieurs et
les protections solaires ont notamment été modifiés pour rendre les espaces confortables.
Dans le bâtiment BC de l'EPFL (Figure 14 de droite), le concept de ventilation a été particulièrement bien
étudié: la ventilation naturelle est utilisée partout où c'est possible, les ouvertures sont construites pour
pouvoir rester ouvertes la nuit en été en toute sécurité, ce qui permet de rafraîchir passivement le bâtiment.
Les locaux borgnes sont évidemment équipés de ventilation mécanique, et ceux à forte charge thermique
sont refroidis artificiellement en utilisant, come le reste du site, l'eau du Léman.
CONCLUSIONS
Avec les connaissances actuelles [1, 2, 10, 11], il est parfaitement possible de réussir un bâtiment sain,
beau, confortable et à basse consommation d'énergie, ceci à un coût généralement inférieur à celui de
certains bâtiments de prestige où le concepteur a parfois oublié les occupants. Pour cela, il faut intégrer les
besoins de l'occupant, notamment son confort et sa santé, dans la conception, la construction et
l'exploitation du bâtiment. On peut même affirmer que, à l'heure actuelle, une grande négligence est
nécessaire pour obtenir un bâtiment malsain
Les économies réalisables en Europe par l'amélioration de la qualité de l'environnement intérieur estimées
en 1994 par un groupe d'experts [4] sont loin d'être négligeables:
Par réduction du nombre d'allergies 3 à 6 milliards d'Euros
Par réduction du SBM 15 à 45
Par augmentation de la productivité 30 à 240
Prévention des dommages 10 à 20
Économie d’énergie dans les bâtiments 100 à 150
Ces économies compensent largement les petits efforts supplémentaires pour obtenir un bâtiment que les
Français qualifient de "Haute Qualité Environnementale".
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RÉFÉRENCES
1. Roulet, C.-A., Santé et qualité de l'environnement intérieur dans les bâtiments. 2004, Lausanne: PPUR.
368.
2. Roulet, C.-A., Eco-confort - Pour une maison saine et à basse consommation d'énergie. 2012,
Lausanne: PPUR. 198.
3. Bluyssen, P.M., et al. European Audit Study in 56 Office Buildings: Conclusions and Recommendations.
in Healthy Buildings '95. 1995. Milano.
4. Bluyssen, P.M., et al., European Audit Project to Optimise Indoor Air Quality and Energy Consumption
in Office Buildings. Final report of Contract Jou2-CT92-022,, 1995, TNO Bouw,. Delft (NL).
5. Bluyssen, P.M., et al. European Project HOPE (Health Optimisation Protocol For Energy-Efficient
Buildings). in Healthy Buildings. 2003. Singapore.
6. Zuraimi, M.S., et al., A comparative study of VOCs in Singapore and European office buildings. Building
and Environment, 2006. 41(3): p. 316-329.
7. Cox, C., Health Optimisation Protocol for Energy-efficient Buildings, 2005, TNO Bouw: Delft. p. 82.
8. Roulet, C.-A., et al., Perceived Health and Comfort in Relation with Energy Use and Building
Characteristics. Building Research Information, 2006. 34(5): p. 467-474.
9. Jaboyedoff, P., D. Aiulfi, and D. Bicklé. Office Fédéral de la Statistique à Neuchâtel: Nouveau Bâtiment,
Mise en Service et Optimisation en Exploitation Réelle. in CISBAT 2001. 2001. Lausanne: EPFL.
10. Roulet, C.-A., et al., Health, Comfort, and Energy Performance in Buildings - Guidelines to achieve them
all 2005, EPFL, LESO: Lausanne. http://hope.epfl.ch/guidelines/HOPEGuidelines7.pdf
11. SIA, SIA 180: Protection thermique, protection contre l'humidité et climat intérieur dans les bâtiments,
2014, SIA: Zurich.