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VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
Concevoir et accompagner le développement du pouvoir d’agir des adolescent.e.s dans
leur orientation
Catherine Loisy 1
Maîtresse de conférences de psychologie
S2HEP (EA EA 4148), ENS de Lyon, Institut français de l’éducation
Émilie Carosin 2
Assistante de recherche
Institut d’administration scolaire (INAS), Université de Mons
Résumé
S’appuyant sur la théorie sociale cognitive de l’orientation scolaire et professionnelle (Lent,
2008) et la notion de pouvoir d'agir (Le Bossé, 2008), cet article propose un cadre pour
concevoir et accompagner l’adolescent.e dans la construction à long terme d’un projet
professionnel porteur de sens et participant à son épanouissement en tant qu'acteur de la société.
Activités productives et constructives (Rabardel, 2005) doivent être organisées pour
accompagner l’adolescent.e dans la construction de ses intérêts par la prise de conscience de
l'interdépendance des caractéristiques personnelles et des conditions environnementales,
l’élaboration éclairée de buts, et le développement de stratégies d’actions pour son orientation.
Abstract:
Based on the social cognitive career theory (Lent, 2008) and the concept of empowerment (Le
Bossé, 2008), this paper suggests a framework to conceive and support teenagers in the
development of meaningful professional projects that will help them flourish as actors of the
society in the long-term. Productive and constructive activities (Rabardel, 2005) are intended to
help adolescents build their interests by and gaining awareness of the interdependence of
personal characteristics and environmental conditions, by developing enlightened goals, and by
designing acting strategies for their professional development.
Mots clés : adolescence, théorie sociale cognitive de l’orientation scolaire et
professionnelle, pouvoir d’agir, éducation, accompagnement
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Keywords: teenager, social cognitive career theory, empowerment, education,
support
Les auteurs souhaitent remercier Sophie Mahi,
Conseillère d’orientation psychologue,
pour sa relacture de l’article à la lumière
de sa pratique professionnelle.
Ces échanges ont conforté l’approche
choisie et l’intérêt qu’elle peut avoir
pour les pratiques d’accompagnement
en milieu scolaire.
1.#Introduction#
L’adolescence est une phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte qui se
caractérise par le développement accru de compétences cognitives et sociales, par des
changements identitaires, et par la construction d’une signification personnelle par
rapport à son histoire (Zittoun & Perret-Clermont, 2001). Elle est accompagnée d’un
désir d’autonomie grandissant (Coslin, 2010). Adolescentes et adolescents souhaitent
être reconnu.e.s comme faisant partie de la société et pouvant y apporter leur
contribution (Carosin, 2013). Cette contribution s’instancie dans la construction d’un
projet de vie (Young & Valach, 2006) comportant un projet professionnel, et démarre
par une orientation scolaire s’inscrivant dans cette perspective. La pertinence de
l’emploi du terme « projet » est renforcée par le fait que l’adolescence représente cette
période courte de la vie marquée par une construction (Young & Collin, 2000), celle
d’un projet qui va s’étoffer, se modifier et s’adapter aux désirs du jeune et aux
changements dans son environnement. Tout projet est personnel et contextualisé car il
est un point de vue sur les éléments constitutifs des contextes quotidiens et qu’il se
fonde sur des informations qui ont du sens pour la personne (Little, 1999). Bien
entendu, un projet débouche sur des actions qui favorisent le développement de buts et
de moyens pour les atteindre.
Ainsi, un projet de vie initié à l’adolescence mobilise le sujet jeune autour de la
« construction de sa vie » (Savickas et al., 2010). Ce projet le prépare également à une
participation active marquant le passage de la dépendance aux autres à la contribution
au bien-être commun (Perret-Clermont, Pontecorvo, Resnick, Zittoun, & Burge, 2004).
En contexte scolaire, comment accompagner l’adolescent.e dans l’exploration des
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possibles et la construction d’un projet qui oriente son développement et donne sens à sa
vie ?
L’approche éducative en orientation conçoit la tâche d’orientation comme faisant partie
intégrante du développement d’une maturité professionnelle et de compétences visant à
rendre le sujet autonome dans la connaissance de soi et la prise de décision (Pelletier
& Dumora, 1984). Elle pose l’orientation comme une étape importante pour
l’adolescent.e qu’il faut inviter à élaborer un projet pour contribuer au développement
de la société. Elle est née du constat que si, pour préparer son orientation, le sujet jeune
est livré à lui-même, ses choix d’orientation sont influencés par des représentations
simplifiées, et parfois erronées, tant sur lui-même que sur l’environnement
socioprofessionnel dans lequel il va devoir s’intégrer. Cependant, la construction d'une
représentation de soi comme « un sujet détenteur [...] de qualités personnelles, de
compétences, de savoirs, de savoir-faire, de capacités […] pour être à même […] de
penser son avenir en termes de projet ou de carrière » (Guichard & Falbierski, 1994,
p. 431) nécessite un accompagnement. Celui-ci devra soutenir la construction du sens de
l’histoire et du vécu scolaire de l’adolescent.e pour qu’il se pense et se pose comme
« acteur » de son histoire et de son futur. Cela peut aller jusqu’à « développer chez
l’individu une manière d’être éveillé au monde, d’être attentif aux choix et aux
personnes » (Danvers, 2009, p. 188), ce qui contribue à la dimension axiologique du
projet d'orientation. L’exploration se construit dans les interactions avec les « autrui
significatifs » (de Singly, 2003), notamment les acteurs de l’éducation et de
l’orientation, qui, in fine, l’aident à orienter son activité et l’encouragent à s’engager
dans des voies où il est susceptible de réussir plutôt que celles où il échouerait
probablement (Bandura, 1977).
Dans un environnement sociétal mouvant (Pelletier & Dumora, 1984) où on se dirige
vers une responsabilisation des salariés vis-à-vis de leurs compétences (Lichtenberger,
1999) voire de leur employabilité (Tallard, 2001), l’orientation peut apparaître comme
un processus à long terme reposant sur une autonomie de la personne. Cependant,
sachant qu’elle sera confrontée à un contexte économique, social, politique et
idéologique déstabilisant, il ne s’agit pas de lui faire porter les responsabilités qui
incombent à ce contexte, mais plutôt de lui faire construire des instruments pour
soutenir un développement à long terme. L’objectif d’un accompagnement n’est alors
pas que d’aider le sujet jeune à faire les meilleurs choix dans l’immédiat (e.g., le choix
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de la section de lycée adaptée à ses souhaits de poursuite d’étude et à ses résultats
scolaires), mais de lui donner les moyens de construire un cursus d’études et un projet
professionnel dans la durée, au fil de sa vie professionnelle.
Pour aider le sujet jeune à se situer dans cet environnement mouvant, il est nécessaire de
lui permettre de développer son aptitude à construire des projets qui incluent des
intentionnalités, des directions, des objectifs situés dans le temps et l’espace, et des
actions (Young & Valach, 2006). La mise en action nécessite des ressources
individuelles pour exploiter celles qu’offre l’environnement. Ainsi, le projet
d’orientation se construit dans l’interaction entre attentes socioculturelles et besoins
individuels. Cette interaction peut nourrir le besoin de prendre conscience de soi et des
possibilités offertes par l’environnement, et elle peut être à la source du développement
du pouvoir d’agir. Le sujet jeune qui s’engage dans cette démarche inscrit
consciemment et activement ses choix professionnels dans un double projet personnel et
de société.
Sur le plan théorique, il est nécessaire de convoquer un modèle qui rende compte du jeu
de contraintes dans lequel se trouve l’adolescent.e engagé.e dans la tâche de construire
son projet d’orientation ; pour cela, la théorie sociale cognitive de l’orientation scolaire
et professionnelle (Lent, 2008) est mobilisée. La dimension conative du projet, qui
implique un effort d’adaptation et la manifestation active de tendance débouchant sur
des activités finalisées et organisées (Reuchlin, 1990), est approchée grâce aux
processus de développement du pouvoir d’agir (Le Bossé, 2008). Ces deux approches
sont ensuite articulées dans un modèle et permettent de proposer des repères pour
accompagner la ou le jeune.
L’originalité de cet article est d’explorer la notion de développement du pouvoir d’agir
et ses articulations avec l’orientation scolaire et professionnelle en mettant l’emphase
sur la prise de conscience, l’appropriation et la révision du projet professionnel par le
sujet comme moyen de réaliser son potentiel et d’agir sur le monde. Cet article propose
un modèle pour penser l’activité du jeune dans son orientation et des repères pour
l'accompagner, en contexte scolaire1.
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2.#Fondements#théoriques
Selon Danvers (1992, p. 190), le comité d’experts de l’UNESCO a proposé la définition
suivante :
« L’orientation consiste à mettre l’individu en mesure de prendre conscience de
ses caractéristiques personnelles et de les développer en vue du choix de ses
études et de ses activités professionnelles dans toutes les conjonctures de son
existence avec le souci conjoint de servir la société et l’épanouissement de sa
responsabilité ».
Ainsi définie, l’orientation présente un double mouvement, l’un de centration sur soi, et
l’autre en direction de la société à laquelle l’individu va contribuer à travers
l’épanouissement de sa responsabilité individuelle.
La théorie sociale cognitive de l’orientation scolaire et professionnelle (TSCOSP) (Lent,
Brown, & Hackett, 1993, cité par Lent, 2008) qui s'inscrit dans le courant
interactionniste et pose l’articulation entre le sujet et son environnement comme un
élément clé de l’orientation permet d’aborder la complexité de cette tâche. Les auteurs
insistent sur la nécessité du développement de « l’agentivité personnelle » ou de la
« capacité à se diriger » des jeunes qui peut être encouragée ou limitée par des éléments
personnels ou contextuels. Cette question de l'agentivité invite à étudier le
développement du pouvoir d’agir comme moyen pour penser le sujet engagé et actif
dans la construction de son projet d’orientation dans toutes ses dimensions. L’objectif
est alors d’encourager chez les adolescent.e.s « une agentivité responsable qui organise
leur vie en termes d’actions dirigées vers un but, de projets et de carrière » (Young
& Valach, 2008, p. 655). La prise de conscience de son environnement et ses
potentialités, ainsi que le développement de compétences pour les exploiter et agir sur et
dans un projet de vie donnant sens à son apprentissage et à son développement doit
donc être favorisée chez l’adolescent.e.
Dans cette perspective, le projet professionnel vise à aider le sujet à donner sens à son
histoire et à son futur tout en se structurant, assurant ainsi une flexibilité et une
adaptabilité qui semblent essentielles aux travailleurs de demain (Savickas et al., 2010).
En invitant à une exploration active de soi et de son environnement, cette approche du
projet professionnel favorise la construction identitaire à l’adolescence qui renvoie à
une quête d’engagement (Marcia, 1966). En effet, la formation de l’identité « dépend du
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processus grâce auquel une société […] identifie le jeune individu en le reconnaissant
comme quelqu’un qui avait à devenir ce qu’il est. » (Erikson, 1972, p. 167). Or, dans la
société contemporaine, cette identification est plus labile ; il s'avère donc d'autant plus
crucial d'être en mesure de disposer d’instruments pour se construire et se reconstruire.
2.1.&Le&modèle&TSCOSP&de&Lent
La théorie sociale cognitive de l’orientation scolaire et professionnelle (TSCOSP) (Lent,
2008) se base sur la théorie sociale cognitive de Bandura (1986). Construite autour du
concept de sentiment d’auto-efficacité, elle « met l’accent sur la capacité des personnes
à diriger leur propre orientation scolaire et professionnelle tout en reconnaissant aussi
l’importance des nombreuses influences personnelles et environnementales […] qui
contribuent à renforcer, à affaiblir ou, dans certains cas, à annihiler l’agentivité
personnelle ou la capacité à se diriger » (Lent, 2008, p. 2).
Dans le modèle, les expériences d’apprentissages sont tributaires de l’interaction entre
les caractéristiques personnelles et potentialités offertes par le contexte. Ces éléments
offrent à la fois des potentialités et des contraintes pour les expériences d’apprentissage,
par lesquelles se développent l’auto-efficacité et l’attente de résultats. Ces dernières
déterminent les intérêts professionnels, les choix de buts, puis les choix d’actions qui
sont modérés par les influences contextuelles et influent ainsi sur le niveau atteint selon
le domaine. Parmi les potentialités sociales offertes par le contexte, les parents, voire
d’autres acteurs, peuvent influencer les attentes de résultats et les choix d’actions, à
travers le soutien émotionnel ou financier qu’ils peuvent apporter. Les variables
sociodémographiques influencent également le choix en facilitant ou limitant l’accès à
certains modèles professionnels (opportunités de formation et de professions). De
manière générale, l’environnement à travers les ressources sociales et matérielles qu’il
met à disposition va déterminer l’étendue des choix professionnels et des opportunités
de développement (Lent, 2008).
Un élément joue un rôle déterminant dans le modèle, le sentiment d’efficacité
personnelle, notion tirée des travaux de Bandura : « l’efficacité personnelle perçue
concerne la croyance de l’individu a en sa capacité d'organiser et d’exécuter la ligne de
conduite requise pour produire des résultats souhaités » (Bandura, Carré, & Lecomte,
2007, p. 12). On est ici sur les croyances que le sujet a de ses capacités telles qu’il les
perçoit suite à ses expériences d'apprentissage et de maîtrise, et qui conditionnent ses
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actions. L’ensemble de ces croyances relatives à soi et rattachées à des domaines
particuliers constitue l’auto-efficacité personnelle. Les chercheurs qui travaillent sur
l’orientation portent une attention particulière à cette notion (Rottinghaus, Larson,
& Borgen, 2003). Le sentiment d’auto-efficacité, articulé aux attentes de résultats des
sujets relatives aux tâches et aux activités qu’il se sent capable d’effectuer, contribue au
développement des intérêts professionnels (goût, attirance pour une activité
particulière), puis de buts personnels (intentions de s’engager dans une activité ou dans
une profession spécifique). Les interactions entre ces variables, les éléments contextuels
et les croyances personnelles jouent sur l’ensemble du processus de prise de décision et
d’action. Les résultats de l’action, une fois celle-ci accomplie, influent en retour sur les
expériences d’apprentissage, et plus globalement sur le développement des choix
professionnels. Cela joue en boucle sur le sentiment d’auto-efficacité personnelle et sur
la révision des attentes de résultats et amène de nouveaux engagements dans l’action.
Ces rétroactions renforcent ou affaiblissent les choix d’orientation. Les éléments
contextuels contribuent à encourager ou diminuer l’agentivité personnelle des élèves
dans leur choix professionnels, ainsi, ce modèle met en exergue le sujet capable d’agir,
même s’il le conçoit sous l’influence de multiples éléments.
La théorie de Lent présente un grand intérêt par les interrelations entre facteurs qu'elle
modélise, c'est un système explicatif assez complet. Par ailleurs, l'auteur pointe que les
aidants doivent questionner leurs pratiques afin de ne pas limiter leur activité à la mise
en relation entre ce que la personne montre d’elle-même et une classification a priori de
formations et de métiers, comme le risquent parfois les conseiller.ère.s d'orientation en
utilisant la typologie de Holland (1997). Ainsi, la TSCOSP peut aider à adapter les
méthodes de counseling et améliorer les techniques d’intervention (Lent, 2008). En
revanche, le counseling, apparaît plus comme une technique qui consiste à donner des
conseils que comme un accompagnement (Paul, 2009). Les exemples que donne Lent
semblent montrer que la personne est guidée dans sa conduite, plutôt que soutenue dans
l’élaboration de son propre cheminement, et si Lent met l’accent sur la capacité des
personnes à diriger leur propre orientation, l'objectif de la TSCOSP est « d’aider les
consultants à sélectionner un ensemble de professions qui s’accordent suffisamment
bien avec les caractéristiques importantes de leur personnalité impliquées dans le choix
professionnel » (Lent, 2008, p. 12). Or, l’objectif visé est que les personnes elles-mêmes
apprennent à développer une réflexion éclairée à propos des influences personnelles et
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environnementales pour ensuite agir concrètement sur leurs choix de parcours. Pour
cela, la posture défendue est celle de l'accompagnement plutôt que du conseil. Pour
penser un accompagnement qui aide les personnes à agir sur leur parcours, il convient
d’étudier si la notion de pouvoir d'agir est adaptée. Enfin, alors que la TSCOSP met
l’accent sur les « aspects psychologiques et sociaux des variables » (Lent, 2008, p. 5), il
semble nécessaire de mettre également l'accent sur les dimensions cognitives et
conatives (Little, 1999) dans la construction du projet professionnel.
2.2.#La#notion#de#pouvoir#d’agir#
L’expression « pouvoir d’agir » est l’une des traductions de la notion d’empowerment.
D’après son étymologie, l’expression empowerment renvoie à un « mouvement
d’acquisition de pouvoir qui débouche sur un résultat tangible » (Le Bossé, 2008,
p. 138). Selon Lemay (2007), l'empowerment ne se limite pas à une conscientisation de
sa réalité par le sujet, il nécessite une décision d'action incluant un travail sur les
conditions de réalisation de cette action. Le sujet agit ensuite dans une visée
transformatrice et l’évalue, pour, in fine, faire émerger une nouvelle conscience de soi
qui engendre un sentiment d’efficacité personnelle révisé. Cela résonne avec l’approche
instrumentale (Rabardel, 1995) qui pose que le « sujet capable » agit pour transformer le
réel (celui-ci pouvant être de nature symbolique aussi bien que matérielle), et qu’il se
transforme lui-même dans un processus de développement (Rabardel & Pastré, 2005).
Pour Rabardel, « l’agir » ne se limite pas au « faire », mais concerne « au-delà du
rapport à l’objet de l’activité, les autres rapports constitutifs de l’action, rapport à soi,
aux autres, à la société via les diverses institutions dans lesquelles elle s’incarne »
(Rabardel, 2005, p. 18). L’auteur souligne la différence entre la capacité d’agir qui est
un potentiel, et le pouvoir d’agir qui est circonstanciel ; cette distinction rend compte
des situations dans lesquelles le sujet est empêché de faire quelque chose alors même
que sa capacité d’agir n’est pas en cause. Cette distinction est intéressante du point de
vue du sentiment d’efficacité personnelle du fait que le sujet confronté plusieurs fois à
des situations dans lesquelles il n’a pas pu agir puisse finir par douter de sa capacité
d’agir.
La notion de « pouvoir d’agir » est souvent employée en référence aux populations
opprimées en vue d’« augmenter la capacité des personnes, individuellement ou
collectivement, à influencer leur réalité selon leurs aspirations » (Le Bossé, 2003, p. 34).
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Les psychologues communautaires y recourent pour « contribuer à la recherche de
solutions véritables aux problèmes causés par la pauvreté, l’isolement social, le racisme,
le chômage ou d’autres formes de marginalisation » (Vallerie & Le Bossé, 2006, p. 88).
Tout sujet jeune ne dispose pas dans son éducation familiale d’un accompagnement à
l’élaboration de son projet personnel et professionnel, et peut se trouver limité dans sa
capacité d’agir sur son avenir et son insertion dans la société. Sans être en situation
d’exclusion ou d’oppression à proprement parler, il peut être défavorisé par un
épanouissement social et professionnel restreint. La notion de pouvoir d’agir comprend
une capacité à organiser sa vie et à participer à la vie sociale et politique en vue d’une
meilleure qualité de vie communautaire (Shultz, Israel, Zimmerman, & Checkoway,
1993). Le Bossé (2003) souligne la prudence qu’il faut adjoindre à l’emploi de ce terme
dans ces contextes pour ne pas créer des illusions qui pourraient leurrer ces personnes.
Posant le pouvoir d’agir comme « la possibilité pour une personne d’avoir une plus
grande influence sur ce qui est important pour elle, cette finalité redonne aux personnes
concernées leur place au centre de la définition du problème et des solutions
envisageables » (Le Bossé, Bilodeau, & Vandette, 2006, p. 190). Elle situe la démarche
du point de vue de ce qui est important pour la personne et non à des fins de
revendications sociales dont elle ne sortirait pas forcément gagnante. Dans le passage de
la capacité au pouvoir d’agir, l’orientation des conduites (Broonen, 2010) se manifeste
par le choix de buts et par la mise en œuvre de moyens pour atteindre ces buts. Cette
manifestation est encouragée par la réussite des tentatives antérieures qui sont
déterminantes au développement du sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1986).
Se fixer des buts complexes qui ont du sens pour le sujet, permet de renforcer ce
sentiment, mais il est nécessaire que ces buts soient réalistes pour renforcer le sentiment
d’efficacité personnelle.
Dans le milieu scolaire, une approche éducative en orientation fondée sur le
développement du pouvoir d’agir conduit ainsi à considérer l’adolescent.e comme un
acteur plutôt que quelqu’un qui subit, c’est à dire à le voir « en tant qu’être agissant de
manière autonome en fonction de ses desseins et intentions » pour « atteindre un résultat
qui lui importe » (Guichard & Huteau, 2007, pp. 3-4). Ainsi, l’élève engagé dans des
activités relatives à son projet d’orientation est amené à « produire » des traces tangibles
sur son projet en cours d’élaboration, sur lui-même, et sur les personnes qui peuvent
l’accompagner dans cette construction. Puis ces expériences d’apprentissage le
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transforment par la dimension constructive de l’activité (Samurçay & Rabardel, 2004).
Dans le même temps qu’il produit des éléments en lien avec son orientation, il construit
des connaissances qu’il pourra réinvestir dans son activité future, selon ce triple rapport
à l’objet (projet professionnel), à lui-même, et à autrui (Loisy, 2012). L’inscription de
son activité d’apprentissage dans son projet d’orientation, permet de donner sens à son
vécu et à son parcours scolaire.
Dans une approche sociale du développement, les personnes sont accompagnées dans la
définition de leurs souhaits et dans l’élaboration des étapes pour y parvenir, dans un lien
de réciprocité (Lemay, 2007). Et l’accompagnant.e joue un rôle clé car elle ou il
contribue à soutenir l’émergence des conditions nécessaires au développement du
pouvoir d’agir (Le Bossé, 2003). Ce lien suppose qu’on considère le sujet comme
« agent autonome » et acteur de sa socialisation, engagé dans une réflexion sur son
histoire, sa raison d’être et ses buts de vie (Beaumatin, Baubion-Broye, & Hajjar, 2010).
Pour Paul (2009), l’accompagnement a, à la fois, une dimension de relation et une
dimension de cheminement. La dimension relationnelle qui guide l’action, est articulée
à la dimension éthique de l’accompagnement : l’accompagnant.e soutient, valorise, et
suit l’accompagné.e en allant où elle ou il va et en ne se plaçant jamais en surplomb. La
dimension cheminement renvoie aux aspects opérationnels et s’explique par le caractère
singulier de la démarche d’accompagnement qui s’adapte à chaque accompagné, au fil
de son évolution. Cette posture permet de dépasser celle de conseil qui suppose que l’on
donne un avis, un diagnostic, une prescription (Savickas et al., 2010). Il s’agit ici
d’identifier, de développer et d’utiliser avec le sujet jeune des ressources, des outils qui
lui permettent de prendre en main et d’agir sur son orientation en tant que sujet
autonome. Se positionner en tant qu’accompagnant.e, permet de le placer comme expert
de son développement, de son projet professionnel et ultimement de son projet de vie.
Prenant en compte l’ensemble des facteurs qui influencent la prise de pouvoir des
personnes, le pouvoir d’agir s'accorde avec la TSCOSP de Lent et la complète en
insistant sur l'action et son évaluation (Lemay, 2007). Par ailleurs, la notion de pouvoir
d'agir porte une dimension démocratique qui s'accorde avec les valeurs défendues de
soutenir le développement de toutes les personnes, quelle que soit leur condition sociale,
y compris les plus vulnérables. L’accompagnement prend en compte la question du
pouvoir (Paul, 2009) en posant que l'accompagnant.e et l'accompagné.e, non seulement,
se reconnaissent mutuellement et s'engagent de manière conjointe, mais qu’ils ou elles
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contribuent ensemble au développement de ressources et d'expertises. Cette question est
fondamentale car l'agir suppose une directivité et renvoie ainsi à l’exercice d'un pouvoir
(Giddens, 1987). L'accompagnant.e doit fournir suffisamment de ressources au sujet
pour qu'il fasse un choix et pose des actions éclairées qui vont dans la direction d'une
meilleure emprise sur son futur. L’intérêt de la notion de pouvoir d’agir réside donc à la
fois dans la visée de développement de la personne, dans le soutien apporté à ce
développement par un accompagnement, et dans son ouverture vers un résultat tangible.
3.#Modèle#théorique#développé#
Le modèle développé pour l’accompagnement des élèves dans leur projet d’orientation
rapproche la TSCOSP – Théorie sociale cognitive de l’orientation scolaire et
professionnelle (Lent, 2008) et la notion de pouvoir d’agir (Folcher & Rabardel, 2004 ;
Le Bossé, 2003 ; Lemay, 2007) :
●& la TSCOSP conduit à prendre en compte les relations entre les facteurs
personnels, contextuels, expérientiels, et leur influence sur le sentiment d’auto-
efficacité qui est un déterminant de l’agentivité et peut ainsi influencer les choix
d’orientation ;
●& la notion de pouvoir d’agir amène à considérer la reprise de pouvoir par la
personne dans le jeu des interrelations entre ces facteurs ; elle permet de poser
des buts qui conduiront à des « résultats tangibles » ; et elle amène à penser en
matière d’accompagnement.
Il s’agit maintenant d’articuler ces deux approches pour envisager un accompagnement
du processus d’orientation qui soutienne le développement du pouvoir d’agir de
l’adolescent.e en considérant la tension entre la personne et son contexte, les pistes
d’actions favorables au dialogue entre ces deux pôles et les résultats tangibles
envisageables.
3.1#Structure#générale#du#modèle#développé#
Selon Guichard et Huteau (2007), le projet implique une mise en perspective de la
situation (passé et présent) dont le sens est donné par l’action future visée. En
complément à l’engagement dans des expériences d’apprentissages favorisant la prise
de conscience des caractéristiques personnelles et de potentialités contextuelles,
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l’identification des intérêts et le choix de buts, le sujet doit également mettre en place
des stratégies d'exécution d’action. En effet, tout projet est en tension entre sa
dimension pragmatique et sa dimension programmatique (Ardoino, 2000), c'est-à-dire
qu’il repose sur des buts, mais aussi des moyens pour les atteindre. Ces stratégies vont
contribuer rétroactivement à l’enrichissement des expériences d’apprentissage, à la
construction du sentiment d’auto-efficacité, et à la révision des attentes de résultat. Ce
travail s’accompagne d’une attention particulière aux risques que comportent les
stratégies d’exécution, d’une interrogation sur le processus de construction des intérêts,
par rapport à des éléments oubliés ou plus prégnants les uns que les autres, et d’une
constante adaptation du projet aux éléments perçus et anticipés
Ainsi, comme le montre la figure 1, trois processus itératifs se nourrissent
mutuellement, ce qui conduit à faire apparaître davantage de boucles de rétroaction que
dans le modèle initial de Lent (2008) dont le modèle développé est inspiré.
3.2#Prise#en#compte#de#la#complexité#de#la#tâche#d’orientation#
La tâche d’orientation consiste à se connaître, connaître son environnement, et articuler
ces connaissances dans un projet personnel et professionnel. Se connaître, c’est prendre
!
Expérience
d’appren-
tissage
originale
Auto-
efficacité
(re)cons-
truite
Attentes de
résultats
(re)cons-
truites
Intérêts
élaborés
consciem
ment
Choix de
buts
Choix
d’actions
Influences contextuelles relatives aux
choix perçues
Conscientisation
des
caractéristiques
personnelles
Conscientisation
des potentialités
offertes par le
contexte social
Stratégies élaborées
Figure 1. Modèle inspiré de Lent (2008).
Figure 1. Model inspired from Lent (2008).
Note : les éléments en gris ont été modifiés ou ajoutés au modèle de Lent (2008). Les
cadres apparaissant en pointillés correspondent à l’aboutissement de trois
processus itératifs dans l’élaboration du projet d’orientation.
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
conscience de son identité : les « caractéristiques physiques, psychologiques, morales,
juridiques, sociales et culturelles à partir desquelles la personne peut se définir, se
présenter, se connaître et se faire connaître », mais aussi « à partir desquelles autrui peut
la définir, la situer, ou la reconnaître » (Tap, 1979, p. 8). Être acteur de son
développement implique aussi de prendre conscience de ses conditions d’action et des
dimensions dans lesquelles on souhaite agir (Lemay, 2007, p. 170). L’adolescent.e doit
considérer à la fois l’environnement sociétal (avec les possibilités qu’il offre en matière
de formation et de métiers et les obstacles qu’il peut dresser), et l’environnement
familial, économiquement et socialement situé, et qui constitue un « microsystème »
porteur de valeurs et de représentations (Dumora, 2006). Il importe que l'adolescent.e
prenne conscience « des attitudes, des croyances, des sentiments de compétences, des
intérêts, des représentations sociales, etc. » développés dans ce microsystème (Guichard
& Huteau, 2007, p 350) lui-même imbriqué dans un environnement sociétal plus large
porteur de représentations. Enfin, ces conditions individuelles (caractéristiques
personnelles) et structurelles (potentialités du contexte) étant en interdépendance
(Le Bossé, 2003), leurs interrelations doivent être mises au travail afin de faciliter le
développement du pouvoir d'agir chez le sujet jeune.
Engager l'adolescent.e dans l’élaboration de son projet, c’est identifier les activités qu’il
doit mener dans chacun des trois processus du modèle développé. En effet, le pouvoir
d’agir renvoie à « l’action, la capacité de créer une différence dans le cours des
événements » (Giddens, 1987, cité par Lemay, 2007, p. 167). Selon Folcher et Rabardel
(2004) deux types d’activités se déploient dans le pouvoir d’agir :
1.&l’activité productive qui « est dirigée vers l’atteinte des buts en situation ainsi
que la configuration des situations de façon à ce que le sujet utilise au mieux son
pouvoir d’agir » (Folcher & Rabardel, 2004, p. 264) ;
2.&et l’activité constructive qui « est orientée vers l’accroissement, le maintien, la
reconfiguration du pouvoir d’agir » (Folcher & Rabardel, 2004, p. 264). Elle est
envisagée comme un processus itératif qui permet de réorganiser l’activité et
développer de nouvelles stratégies à partir de l’évaluation de son action en
contexte.
Des activités productives et constructives doivent être organisées dans les trois
processus : se connaître sous diverses facettes, connaître certaines dimensions de son
environnement, articuler ces connaissances dans le projet.
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4.#Repères#pour#l’accompagnement#des#jeunes
Comment une double activité, productive et constructive, peut-elle soutenir
l’élaboration d’un projet d’orientation ? Pour simplifier les choses, cette section est
organisée en trois parties : une double activité dont l’objectif est de conscientiser ses
conditions pour construire ses intérêts, une double activité dont l’objectif est de
construire des buts de vie, et une double activité dont le but est d’évaluer et d’adapter
son projet. Cette présentation rationaliste est utilisée à des fins d’exposé, mais en réalité,
l’élaboration du projet d’orientation est beaucoup plus dynamique.
4.1# Double# activité# dans# la# conscientisation# des#
conditions#pour#construire#ses#intérêts
Les intérêts professionnels participent d'une dynamique de projet, aussi, l’élaboration du
projet d’orientation par le sujet jeune s’initie par une clarification de ceux-ci en lien
avec une réflexion sur ses conditions individuelles et structurelles. Concernant les
conditions individuelles, l’activité productive vise à lui permettre de s’engager dans une
« démarche d’action conscientisante » (Lemay, 2007) par la production de traces (listes,
textes, images, etc.) de son exploration de soi en matière de personnalité, de
compétences, de capacité, de goûts, d’aspirations, de valeurs, de représentations
sociales, etc. Concernant les conditions structurelles, l’activité productive peut consister
à matérialiser (schémas, figures, etc.) l’influence, sur les expériences quotidiennes
d’apprentissage, des caractéristiques des potentialités offertes par son environnement.
Ces activités productives se doublent d’une activité constructive permettant au sujet
d’élaborer ce dont il pense avoir besoin pour développer son pouvoir d’agir (Le Bossé,
2003). Il s’agit d’une expérience d’apprentissage d’un genre nouveau l’amenant à
mettre en perspective les influences personnelles et structurelles qu’ont subi ses
expériences d’apprentissage passées pour les regarder autrement. L’activité constructive
vise à (re)construire le sentiment d’efficacité personnelle, et (re)voir les attentes de
résultats pour élaborer des intérêts personnels sur lesquels il a un pouvoir de décision.
Ces premières activités n’aboutissent évidemment pas à quelque chose de fini, mais
elles constituent le point de départ d’un projet en émergence, et permettent de se poser
comme acteur de son projet d’orientation.
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
Cette perspective de développement du pouvoir d’agir peut être associée au sous-
ensemble du modèle TSCOSP qui va des influences initiales aux intérêts en passant par
les expériences d’apprentissage (voir figure 2), avec une double activité vue comme une
expérience d'apprentissage focalisée sur la prise de conscience de soi et de son
environnement dont le but est de permettre au jeune sujet de percevoir l'influence de ces
conditions sur la construction de ses intérêts professionnels.
Ainsi, le premier pôle du projet d’orientation repose sur une activité productive orientée
vers la réappropriation, par le sujet, de ses caractéristiques personnelles et des
potentialités offertes par le contexte social dans lequel il évolue, et une activité
constructive d’identification éclairée de ses intérêts. L’objectif de cette double activité
est de poser un regard nouveau, plus clairvoyant, sur l'interdépendance de ses intérêts,
du contexte et de ses expériences d'apprentissages dans la construction de son sentiment
d'efficacité personnelle mais aussi dans l'élaboration de son projet professionnel. Il
s’agit de « favoriser l'émergence d'une image de soi positive et différenciée » (Guichard
& Huteau, 2007, p. 322) qui place le sujet au centre de son histoire et de son projet
professionnel.
!
Activité productive de
conscientisation de ses
caractéristiques
personnelles
Activité productive de
conscientisation des
potentialités offertes
par le contexte social
Expériences
d’apprentissage
Construction
d’un nouveau
regard sur
l’auto-
efficacité
Construction
de nouvelles
attentes de
résultats
Construc-
tion des
intérêts
Figure 2. Modélisation de la double activité dans la construction des intérêts,
inspirée de Lent (2008).
!
Figure 2. Model of double activity in the construction of interests, inspired from
Lent (2008).
!
Note : les éléments en gris ont été modifiés ou ajoutés au modèle de Lent (2008).
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
Dans ce pôle, le rôle de l'accompagnant.e est d'apporter un « soutien à la
conscientisation » de l'adolescent.e sur sa situation et sur les ressources dont il ou elle
dispose déjà, en l’aidant à les formaliser, par exemple sous forme d’inventaire de
compétences, incluant celles qui se construisent hors du cadre scolaire. Le dialogue et le
récit constituent des activités structurantes qui peuvent aider à articuler expériences
antérieures et intérêts (Savickas et al., 2010). L'usage de tests existants peut alors être
utile, mais en tant que support de discussion et d'exploration des intérêts plutôt qu'en
tant qu'outil de mise en correspondance des intérêts et des métiers comme c'est
généralement le cas lors de l'utilisation de la typologie de Holland en orientation.
L'accompagnement à « la construction de la vie » (Beaumatin, Espiau, & Troupel,
2005) conduit à prendre en considération le soutien apporté par les autrui significatifs
(de Singly, 2003) dans l’objectivation des conditions sociales et subjectives qui
contribuent à (ou entravent) la réalisation du potentiel du sujet (Beaumatin, Baubion-
Broye, & Hajjar, 2010). En effet, l’exercice du pouvoir d’agir est tributaire d’une part
de la disponibilité et de l’accessibilité des ressources (matérielles, informationnelles et
sociales) du milieu, et d’autre part, de la possibilité des personnes de prendre leur
destinée en main à partir du moment où elles se rendent compte de l’influence du
contexte sur leur choix, désirs et potentialité d’actions (Le Bossé, 2003).
L’accompagnement ne peut se faire sans une prise en compte du fait que
l’environnement sociétal porte et transmet des représentations sociales, notamment en
ce qui concerne la valorisation de telle ou telle discipline, filière et formation selon les
sexes, le milieu social ou encore l’ethnicité (Verdier, 2010a ; 2010b). En conséquence,
les accompagnant.e.s doivent prêter attention aux contextes où elles et ils se situent
(e.g., l’école), aux représentations qui y sont véhiculées, et aux représentations qui
pourraient être transmises aux jeunes afin d’aider chacune et chacun « à enrichir ses
représentations professionnelles et à corriger ce qu’elles peuvent avoir d’erroné »
(Guichard & Huteau, 2007, p. 322).
4.2#Double#activité#dans#l’élaboration#de#buts
La dimension complémentaire à l’élaboration des intérêts professionnels est
l’élaboration de buts. Si l’on poursuit sur le modèle TSCOSP, on voit que pour l’auteur
les intérêts influencent les choix de buts, qui à leur tour, jouent sur les choix d’actions.
Buts et actions sont également influencés par le sentiment d’auto-efficacité et les
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attentes de résultats, ainsi que par les influences contextuelles. Ceci n’est pas
contradictoire avec le développement du pouvoir d’agir dont Le Bossé (2003) relève
qu’il est tributaire de la « capacité de projection » des personnes. Pour cet auteur, le
sujet identifie les problèmes rencontrés et les solutions envisageables. Dans la
perspective développée, le sujet jeune doit déterminer le changement visé (ce qu’il
souhaite pour sa vie d’adulte) et ses modalités d’action pour atteindre ce but. Son projet
personnel et professionnel se présente alors comme « une intention réfléchie (…),
inscrite dans le temps et dans l’action et se situant au-delà de tous les objectifs qu’elle se
donne » (Guichard & Huteau, 2007, pp. 347-348). Dans le modèle en construction, les
activités de prise de conscience de soi et du contexte social ne suffisent pas en elles-
mêmes pour soutenir les choix de buts et d’actions en adéquation avec les intérêts ;
l’adolescent.e doit aussi réfléchir spécifiquement aux buts et aux finalités de son projet
de vie, ainsi qu’aux stratégies qu’il peut adopter pour y parvenir.
Pour savoir où aller, le sujet jeune doit partir de ses buts (re)construits en fonction de
ses intérêts (re)conscientisés et s’engager dans un double mouvement. D’une part, il doit
pointer les possibles en termes de compétences cognitives et sociales à mobiliser et à
construire dans son projet de métier en lien avec les possibilités que lui offre la société.
D’autre part, il doit mener une réflexion sur le citoyen qu’il veut être. Il s’agit alors
d’identifier et d’évaluer les compétences nécessaires à la réalisation de son projet, les
moyens pour y arriver, ainsi que l’utilité de ces compétences pour son développement
personnel et pour la société en général. Ce travail sur l’utilité des compétences
professionnelles en construction et à acquérir engage la ou le jeune dans une réflexion
sur la contribution future qu’il souhaite apporter à sa famille, à son quartier et plus
largement à la société, et vient ainsi donner sens et valeur à son projet (Carosin, 2015).
Ce double mouvement est particulièrement lié aux influences contextuelles qui jouent
sur les choix (Lent, 2008), dont la ou le sujet jeune doit prendre conscience et par
rapport auxquelles elle ou il doit pouvoir se situer : ayant mené une réflexion sur son
potentiel et sa future contribution en tant que membre de famille et citoyen, elle ou il
doit ensuite identifier les activités et interactions susceptibles de lui permettre de se
réaliser. Le sujet est alors engagé dans son projet d’orientation qui le conduit à se diriger
vers un but (Gollwitzer, 1999). Ainsi, ce projet s’inscrit dans la construction d’une
signification personnelle par rapport à son histoire (Zittoun & Perret-Clermont, 2001) et
s’instancie dans la définition des choix d’actions ayant du sens pour lui. Ces stratégies
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impliquent avant tout d’envisager des actions qui puissent « rétablir, consolider ou créer
des liens entre les personnes et les différentes ressources (sociales, matérielles, etc.)
requises dans leur situation » (Simon, 1994, cité par Lemay, 2007, p. 173). La
consolidation de liens autour du projet professionnel à travers la mise en relation des
ressources dont le sujet dispose tant au niveau relationnel (personnes de références par
rapport au métier ou à la formation envisagée), matériel (possibilités de financement des
formations), logistique (accès aux formations) permet de cristalliser le projet et peut
ainsi favoriser la prise d’initiatives par le sujet et la mise en œuvre de son pouvoir
d’agir. Cette expérience d’apprentissage le transforme par la dimension constructive de
l’activité (Samurçay & Rabardel, 2004), lui permettant de construire des
ressources qu’il pourra réinvestir dans son activité future selon le triple rapport à son
projet d’orientation, à lui-même et à autrui (Loisy, 2012).
Les outils de prises de décision que les conseiller.ère.s d'orientation maîtrisent comme
le SWOT2 (Strength, Weaknessess, Opportunities, Threats) produisent une analyse qui
peut être pertinente pour aider le sujet à définir une stratégie d'acquisition de nouvelles
compétences car elle permet d'identifier les besoins (weaknesses) et de les mettre en
relation avec les forces (compétences et capacités) existantes (strengths) et opportunités
mobilisables (opportunities) tout en considérant les menaces externes (threats). Pour
compléter le tout, et notamment relier ce type de production aux intérêts et aux buts, une
carte mentale peut être un outil de médiation adapté car elle permet de structurer des
informations dans un projet personnel et professionnel (Mailles-Viard Metz, Loisy,
& Leiterer, 2011). Cette carte, évolutive en fonction des paramètres influant au moment
où on la travaille, permet de ne pas perdre de vue les motivations. Ces cartes, dont la
réalisation peut être accompagnée par les conseiller.ère.s d’orientation ou les
enseignant.e.s, sont réalisables manuellement ou sous logiciels, mais l’un de ses
avantages du format numérique est la facilité avec laquelle la carte peut être retravaillée
au fil du projet, et partagée avec les autrui significatifs. Ces caractéristiques sont
particulièrement intéressantes, compte tenu des caractéristiques d’un projet
d’orientation.
Ces activités engagent le sujet dans une activité constructive qui lui permet d’évaluer
son projet à la lumière de l’exploration de ses compétences et de ses aspirations pour le
futur, ainsi que des moyens d’actions pour y parvenir : ces derniers sont-ils adaptés ?
Quels obstacles peuvent se présenter ? Quelles ressources peuvent être mobilisées pour
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
y répondre ? Et comment la poursuite de ce projet répond-elle à ses attentes concernant
la contribution qu’il souhaite apporter à sa famille, son quartier et à la société ? Cette
mise en perspective, qui peut se faire sous forme de dialogue, permet au sujet de
réajuster et de préciser son projet, en vue de définir des stratégies d’actions plus
adaptées à ses besoins. Ces stratégies peuvent être formalisées dans un plan d’action
chronologique qui servira de repère à la mise en œuvre de son projet.
4.3# Double# activité# dans# l’élaboration# de#
stratégies#pour#engager#la#réalisation#du#projet
Au schéma de Lent, le modèle élaboré ajoute les stratégies d’exécution, car, une fois ces
liens posés, le sujet doit s’engager à les consolider à travers l’action. S’il a formulé des
intentions d’agir vers ses buts, celles-ci ne garantissent pas le passage à l’action,
notamment dans le domaine de l’orientation (Broonen, 2010). La projection en contexte
peut favoriser la mise en œuvre de ces stratégies à travers des actions prédéfinies. C’est
ce que Gollwitzer (1993) désigne comme des « intentions d’exécution ». Ces dernières
permettent de formuler où, quand et comment avancer vers un but, tout en envisageant
différentes trajectoires. Cette projection favorise les conditions de mise en œuvre des
actions pertinentes pour le projet d’orientation du sujet, en lui permettant d’anticiper les
éventuels obstacles qui pourraient se présenter tant dans son environnement (activités
concurrentes plus attractives, distractions, contraintes familiales) qu’au niveau de ses
processus mentaux (mécanismes auto-défensifs, découragement, faible sentiment
d’auto-efficacité). Selon Lent (2008, p. 15), « les personnes ont une probabilité plus
forte de réaliser leurs choix professionnels (c’est-à-dire de traduire leurs buts en actions)
s’ils perçoivent que leurs options préférées seront associées à des obstacles faibles et à
des soutiens solides ».
En partant des résultats de la double activité précédente, la ou le jeune s’engage dans
une activité productive d’élaboration de différents scénarios pour mettre en œuvre son
projet professionnel. Ici, le rôle de l’accompagnant.e est de soutenir le développement
d’une « maturité vocationnelle » en encourageant la « capacité à explorer, à décider, à
planifier, à mobiliser des ressources » (Guichard & Huteau, 2007, p. 163). Par exemple,
en milieu scolaire, cela peut renvoyer à un travail accru dans certaines disciplines qui
trouvent un sens nouveau par le projet professionnel en construction. Par ailleurs, pour
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
enrichir la palette de ressources disponibles chez l’adolescent.e, accompagner peut
consister à favoriser l’accès à des « groupes de références » (Lemay, 2007), par exemple
des groupes de pairs avec des projets similaires, ou des rencontres avec des jeunes
engagées dans des formations, ou des professionnels en lien avec son projet. Ces
rencontres contribuent à une projection en situation d’agir, à la mise en visibilité du plan
d’actions, à la confrontation de plans d’actions entre pairs, et nourrissent une réflexion
sur leur pertinence pour l’épanouissement personnel et la contribution envisagée à la
société. Construire un réseau de personnes ressources constitue un réel soutien face aux
obstacles qu’il pourrait rencontrer dans la réalisation de son projet (Lent, 2008).
Une fois le sujet jeune engagé dans l’action, l’accompagnement doit pouvoir lui
permettre de maintenir cette activité. L’activité constructive se présente, ici, comme un
moyen de réguler les actions engagées à travers des processus rétroactifs ressortant de
l’évaluation de ces actions. Le maintien et la persistance dans l’action, essentiels à ce
stade, peuvent être encouragés en apprenant au sujet jeune à évaluer ses actions en
fonction des résultats obtenus et à identifier les conditions qui ont contribué à leur
efficacité ou leur échec (Lemay, 2007). De plus, le sujet jeune doit pouvoir attribuer
l’évolution de son projet professionnel à sa réflexion et son activité en contexte. Il est
important qu’il se perçoive comme un agent actif « dans la production des résultats »
(Lemay, 2007, p. 174). Pour cela, l’accompagnement doit veiller à ce que les actions
d’orientation engagées contribuent au développement du sentiment d’efficacité et que
les résistances rencontrées tant au niveau contextuel qu’au niveau personnel ne soient
pas perçues comme des obstacles insurmontables, mais plutôt comme des indicateurs
sur le sens que doit et peut prendre l’orientation. Ces expériences d’apprentissage
réalisées dans un contexte sécurisant et valorisant se traduisent alors en « expériences de
maîtrise » qui détiennent un potentiel valorisant pour le sentiment d’auto-efficacité
personnelle (Lent, 2008) et peuvent contribuer au développement d’un projet
professionnel pertinent pour l’épanouissement du sujet jeune.
Discussion et conclusion
Le modèle élaboré dans le présent article pose l’orientation comme une expérience
d’apprentissage originale qui transforme, par le développement du pouvoir d’agir, les
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
relations entre les facteurs influençant la tâche d’orientation. S’appuyant sur celui de
Lent (2008), le modèle développé ne mène plus à « un niveau atteint », mais à des
stratégies élaborées. Cette modification dans le modèle de Lent peut sembler mineure,
mais elle est fondamentale, car, elle se distingue d’une vision passive du sujet dont le
niveau atteint reposerait sur les effets d’un certain nombre de variables, et présente un
sujet en mouvement par son action conscientisante, projective et rétroactive, influant sur
l’ensemble des éléments initialement identifiés par l’auteur. Ces facteurs, pour la
plupart, n’apparaissent alors plus seulement comme des variables agissantes, mais
comme des éléments en interactions dans un processus guidé par le sujet.
Le modèle développé est unitaire, mais fractionné en trois sous-ensemble d’activités
itératives aboutissant à des productions intermédiaires formalisées, mais toujours
susceptibles d’évoluer. Chaque sous-ensemble peut ainsi nourrir les autres au fil de
l'évolution du projet. Le premier élément est la conscientisation des conditions, par une
prise de conscience des dimensions structurelles et individuelles de la réalité étudiée (Le
Bossé, Bilodeau, & Vandette, 2006 ; Le Bossé, 2003). Alors que ce premier élément est
essentiellement conscientisant, les deux autres, élaboration de buts et de stratégies, sont
projectifs. On peut alors parler d’un « projet » d'orientation avec sa dimension
pragmatique la conscientisation des conditions et sa dimension programmatique -
l’élaboration de buts et des stratégies pour les atteindre- (Ardoino, 2000).
Ces travaux visent la temporalité longue et l’invariance dynamique de la capacité d’agir,
au-delà des aspects circonstanciels de l’élaboration du projet d’orientation au moment
de l’adolescence. L’activité d’orientation peut-être perçue comme « outil d’acquisition
de pouvoir qui ne conserve sa pertinence que dans la mesure où elle s’inscrit dans une
logique d’influence personnelle et collective sur l’environnement » (Le Bossé, 2003,
p. 36). Dans un contexte sociétal contemporain déstabilisant sur les plans économique,
social, politique et idéologique, le développement de la capacité d’agir se présente
comme une réponse aux défis de l’approche éducative en orientation. L’orientation
participe ainsi du développement personnel en appelant l’individu à « se prendre en
main et développer par lui-même les capacités nécessaires pour faire face aux exigences
de l’existence » (Guichard & Huteau, 2007, p. 140). Le modèle développé pointe
comment accompagner le sujet jeune dans son orientation en le mobilisant autour
d’activités productives et constructives. In fine, à travers la conduite d’un projet
signifiant (Le Bossé, 2003), qui part de l’analyse de ses conditions à l’élaboration de
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stratégies, l’adolescent.e apprend à donner du sens à son histoire et ses apprentissages
sur le long terme.
Ce projet ambitieux mais réaliste doit également répondre aux besoins de la société,
l’adolescent.e envisageant la contribution qu’il y apportera. Le double mouvement de
centration sur soi et d’ouverture au monde conduit à considérer simultanément le
développement de la personne au niveau individuel et au niveau social, en posant la
possibilité de son épanouissement concomitamment à l’intégration dans la société, en
tant qu’acteur responsable. Du point de vue de la dimension sociétale et de
l’épanouissement de la responsabilité, se trouve le service à rendre à la société :
l’orientation ne vise pas qu’à favoriser le développement du sujet isolément, mais
également à faire en sorte que ses choix participent du bien commun.
L’accompagnement doit relever ces défis pour que l’adolescent.e s’engage dans une
démarche d’orientation dans la durée. La question de la durée est une préoccupation des
politiques éducatives : en France, la loi d’orientation et de programmation pour la
Refondation de l'École de la République (Loi du 8 juillet 2013) a réaffirmé les
préoccupations des politiques vis-à-vis de la question de l’orientation en instituant un
parcours pour les élèves français du second degré de l’enseignement scolaire permettant
l'élaboration du projet d’orientation au fil de la scolarité, par des activités qui semblent
respecter le rythme et la maturité de l’élève. Il serait nécessaire de voir comment peut
être prise en compte la disposition des adolescent.e.s à prendre conscience des
conditions structurelles et individuelles de leur orientation, à développer des stratégies
d’actions, à anticiper les obstacles, et à mobiliser des ressources, notamment en contexte
scolaire.
Du côté de l’accompagnant.e, chercher à développer le pouvoir d’agir de l’adolescent.e
nécessite une posture particulière. Cette posture doit soutenir la ou le jeune, non
seulement dans l’exploration des conditions et des possibles ainsi que dans l’élaboration
de buts et de stratégies pour atteindre ces buts, mais elle doit plus largement lui
permettre de développer son autonomie dans la construction d’un projet personnel et
professionnel. Ici, l’accompagnement nécessite donc de savoir engager et valoriser
l’adolescent.e dans des expériences d’apprentissage significatives qui le reconnaissent
comme acteur de son devenir. Pour cela, il faut proposer un cadre rassurant parce que
respectueux du rythme, des représentations, des ressources et des limites du sujet qui
fait face à une tâche d’orientation complexe. Cette posture n’est pas évidente à tenir
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
pour l’adulte, notamment lorsque l’accompagnement se passe en milieu scolaire, où
l’autorité des équipes éducatives, notamment des enseignants, se fonde sur la maîtrise
de savoirs. En effet, certains élèves peuvent remettre en question le changement de
posture de l’enseignant lorsqu’il met en œuvre des activités autour de l’orientation car
elles leur apparaissent moins académiquement fondées et moins cadrées (Loisy, 2012).
Convoquer la notion de pouvoir d’agir conduit à mettre en exergue l’importance de
l’action dans le projet d’orientation. La mise en œuvre d’activités productives et
constructives nécessite des ressources et des dispositifs. L’article évoque quelques
pistes à titre illustratif (outils de prise de décision, cartes mentales). Et, là aussi, les
politiques éducatives essaient de développer des dispositifs pour soutenir
l'accompagnement du projet d'orientation des élèves, comme FOLIOS qui se déploie au
niveau secondaire, mais des études complémentaires devraient être menées pour savoir
si les activités mises en œuvre par les équipes éducatives conduisent réellement les
élèves à une autonomie (Loisy, Malassingne, Fontanieu, & Pérotin, 2014). Cependant,
répertorier l’existant et les ressources manquantes serait un autre travail qui ne peut être
réalisé dans le présent article.
Mettre en œuvre le projet d’orientation en milieu scolaire conduit à poser la question
des prérogatives des différents accompagnant.e.s, car l’accompagnement que peut
mettre en place un.e enseignant.e ne recouvre pas l’aide spécifique à l’orientation telle
que la proposent les conseillères et les conseillers d’orientation. Chacun a un rôle
complémentaire à jouer en fonction de sa position, de ses compétences et de la vision
qu’il peut développer du jeune. Se pose alors la question de la formation des
accompagnant.e.s, notamment des enseignants. De plus, le soutien apporté au sujet
jeune doit être cohérent et élaboré en complément de l’accompagnement dont il dispose
au sein de son environnement (Le Bossé, 2003), ce qui complexifie encore
l’organisation de l’accompagnement du projet d'orientation en accroissant la nécessité
de disposer de temps de concertation pour assurer un suivi cohérent et complémentaire à
chaque élève.
Pourtant, l’idée est défendue que l’école a un rôle à jouer dans l'accompagnement du
projet d'orientation, car quand l’élève a fixé ses buts, il peut voir autrement l'intérêt qu’il
porte à certaines disciplines scolaires ou certains champs d’une discipline dont il n’avait
pas perçu l’utilité tant qu’il n’avait pas élaboré de projet, et il peut se remobiliser sur les
apprentissages, tout du moins sur certains apprentissages liés à son projet. Bien entendu,
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cela nécessite que le système intègre le projet de l’élève, et que l’orientation ne repose
pas sur les seules performances scolaires. Si l’accompagnement, notamment par les
équipes éducatives est bien pensé et si elles disposent des moyens pour le mettre en
œuvre (formations, méthodes, outils, etc.), le projet d’orientation peut devenir un projet
d’apprentissage. Et une approche éducative en orientation peut alors être vue comme
une chance pour l’école de s’inscrire dans une logique curriculaire au sens anglophone
du terme, fondée sur le principe de l'intégration sociétale du sujet, l’idée d’un parcours
finalisé, ainsi que l’intégration des composantes éducatives (Lenoir, 2015).
VOL 46 | No. 1 | 2017 | L’Orientation Scolaire et Professionnelle – 61 > 87
Références#bibliographiques
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Notes#de#bas#de#page
1.&En contexte scolaire, toute personne ayant ou se donnant pour mission d’aider le
sujet jeune dans la construction de son projet d’orientation peut être considérée
comme accompagnant(e). Il peut s’agir d’une conseillère ou d’un conseiller ou
d’orientation, d’une enseignante ou d’un enseignant, ou d’un groupe de
professionnels.
2.&L’analyse SWOT a été initialement conçue pour que les organisations puissent
construire un plan stratégique au regard des ressources et des faiblesses
(endogènes) et des opportunités et menaces (exogènes) qui pourraient influencer
un projet.