« Manquer d'air », « suffoquer », « étouffer », c’est là l'une des pires épreuves auxquelles peut être soumis un être humain. Ainsi, la dyspnée, définie comme "la perception consciente de la respiration assortie d'un affect négatif tels que la peur ou l’anxiété", modifie profondément la vie des patients qui en souffrent, en particulier lorsqu'elle ne peut pas être soulagée adéquatement par un traitement. On parle alors de dyspnée persistante. Il s'agit d'une situation particulièrement désespérante pour les patients, les proches et les soignants. Elle concerne de nombreux patients atteints de maladies respiratoires, cardiaques et neuromusculaires ou cancéreuses, notamment aux stades avancés. Elle est pourtant notoirement sous-évaluée autant collectivement, comme problème de santé public, qu'individuellement, comme souffrance physique et psychologique. Les professionnels de santé sous-estiment l'intensité et l'impact de la dyspnée. Ces constats, à l’origine du concept d’invisibilité de la dyspnée, sont une injustice. Cette injustice existe sur le plan épistémique, en ceci que les patients ne peuvent faire reconnaitre leur expérience dans toute sa significativité et que l'invisibilité de la dyspnée empêche de facto les patients concernés de bénéficier, de la part des soignants, de la "considération" qui leur donnerait accès à des approches thérapeutiques adaptées. Cela se traduit, in fine, par une injustice dans la prise en charge médicale. L'objectif de cette thèse est de contribuer à corriger cette situation, au travers d'une triple approche, phénoménologique, expérientielle et expérimentale. L’approche phénoménologique s'adresse à l'injustice épistémique telle que décrite ci-dessus. Ainsi, elle a pour objectif de donner la parole aux patients, et à travers cela de décrire la façon ils perçoivent leur maladie ainsi que l'appréhension qu'ont les autres (famille, environnement social, soignants). Elle a permis de conceptualiser différentes formes d'invisibilité (sur le plan temporel et catégoriel), de mettre en lumière certaines particularités de la souffrance respiratoire (symbolique du souffle par exemple) et d’identifier différents déterminants de l’invisibilité de la dyspnée. L’approche expérientielle nous a permis d’explorer certaines de nos hypothèses élaborées à partir de ces déterminants de l’invisibilité de la dyspnée. Ainsi, dans le contexte de pandémie de Covid 19 qui a généralisé le port du masque, nous avons pu démontrer que le port du masque génère une expérience de dyspnée et que cette expérience de masse d’une dyspnée induite sensibilise la population générale au concept de santé respiratoire et aux vécus des malades souffrant de dyspnée). L’approche expérientielle permet également de tester la portée correctrice d’actions, notamment pédagogiques à destination des soignants, intégrant à un enseignement spécifique à la dyspnée une composante expérientielle. L’étude menée dans cette perspective a montré que l’aspect expérientiel de l’enseignement améliore la compréhension par les étudiants du vécu des patients dyspnéiques. Enfin, l’approche expérimentale vise à objectiver et quantifier l’impact de l’invisibilité de la dyspnée sur le vécu (notamment affectif) de celle-ci. Des volontaires sains, exposés à deux épisodes successifs de dyspnée expérimentale, sont randomisés dans un bras qualifié de « neutre » et un qualifié de « sollicitude empathique ». La sollicitude empathique étant ici conceptualisée comme un levier de correction de l’invisibilité de la dyspnée. Les différences de vécu des volontaires sains peuvent donc être considérés comme une première estimation, bien qu’indirecte, de l’impact de l’invisibilité de la dyspnée dans le cadre de la relation soignant-soigné. Les travaux de ce travail de thèse sont les premières, mais indispensables, étapes pour repenser la dyspnée et sa prise en considération dans notre société et dans le soin.