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La fabrique des entités : récits sur l’enchantement d’un riverain extraordinaire en Amazonie brésilienne

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Abstract and Figures

Cobra Honorato myth is widely spread in the Brazilian Amazon. Although the story may include multiple versions, it is mainly about the adventures of twin children born from the intercourse between a woman and a subaquatic being. As a consequence, Honorato and his sister were born in the shape of giant anaconda snakes. In Santarém rural area (Lower Amazon), this story informs the narratives about the life and trajectory of remarkable people (such as deceased healers). While they recount these stories, the riverine peasants of the Amazon reconstitute a meshwork based on kinship, insisting on its spatial, historical and sociological aspects. I will demonstrate how such actualisations of this specific mythic story attend to micro-sociological issues, and enable us to learn more about historical power and domination relations within the Amazonian dwellers in this region.
La cité enchantée © Ray Troll, " The Encante " , 2004, colored pencil on paper, 11 x 30" (URL : http://www.trollart.com) Par définition, le pajé sacaca est un être ambivalent, humain et enchanté. Il navigue entre ces deux mondes où il entretient des relations sociales. Comme le disent les riverains, « ces guérisseurs, on dit qu'ils sont mariés sur la terre et dans le monde subaquatique (no fundo) ». Ils ont de ce fait des relations sexuelles et commensales avec des humains et des êtres enchantés. Sur terre, Merandolino était ainsi marié à une femme de Mentai, tandis que « Dolina était sa femme dans la cité enchantée », où se trouve la plage inondable de Toronó. L'autre versant de l'enchantement est la disparition de certains proches, très fréquemment d'enfants (Félix, 2011 ; Stoll, 2014), mais également d'adultes (Faulhaber, 1998, p. 162) et aussi, de guérisseurs décédés (dont le corps disparaît du cercueil). Contrairement au commun des mortels, ce n'est donc que post-mortem que les guérisseurs s'enchantent « pour de bon ». C'est alors un dauphin enchanté qui leur sert de véhicule jusqu'à leur nouvelle demeure (Slater, 1994 ; Dário dans la version longue du récit 3). Dans ces récits, l'image de l'embarcation – qu'elle prenne la forme d'un Cobra Grande ou d'un bateau, voire d'un dauphin – est récurrente et polysémique (figure 6). La peau d'anaconda de Merandolino est d'ailleurs comparée à une vedette, un bateau à moteur rapide (lancha) que seuls les ONG, la Marine nationale et l'hôpital possèdent (sous forme d'ambulance, l'ambulancha).
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Cahiers de littérature orale
79 | 2016
Des vies extraordinaires : les territoires du récit
La fabrique des entités : récits sur l’enchantement
d’un riverain extraordinaire en Amazonie
brésilienne
Making New Entities: Narratives about the Enchantment of an Extraordinary
Man in the Brazilian Amazon
A produção de entidades : Narrativas sobre o encantamento de uma pessoa
extraordinária na Amazônia brasileira
Émilie Stoll
Édition électronique
URL : http://clo.revues.org/2792
ISBN : 9782858312344
ISSN : 2266-1816
Éditeur
INALCO
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2016
ISBN : 9782858312337
ISSN : 0396-891X
Référence électronique
Émilie Stoll, « La fabrique des entités : récits sur l’enchantement d’un riverain extraordinaire en
Amazonie brésilienne », Cahiers de littérature orale [En ligne], 79 | 2016, mis en ligne le 20 décembre
2016, consulté le 23 décembre 2016. URL : http://clo.revues.org/2792 ; DOI : 10.4000/clo.2792
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
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La fabrique des entités: récits
sur l’enchantement d’un riverain
extraordinaire en Amazonie brésilienne
Émilie S
UMR208 Patrimoines locaux et gouvernance IRD/MNHN
En janvier2011, jai commencé une enquête de terrain 1 dans de petits villages
riverains de la zone rurale de Santarém, ville amazonienne de300000 habitants,
localisée à la conuence du Tapajós et de lAmazone, dans lÉtatduPará, au Brésil.
Les villages de la rivièreArapiuns (dernier auent du Tapajós) étaient traversés
par des conits présentés comme identitaires depuis quune partie des familles
se revendiquait «indigène », tandis que les autres familles considéraient être
des «populations traditionnelles». En eet, la législation brésilienne prévoit
diverses catégories légales à partir de critères ethnico-raciaux et/ou dusages des
ressources, auxquelles sont associés des droits territoriaux (démarcation de terres
indigènes ou de réserves écologiques) et sociaux. Dans ces villages, ces aliations
identitaires divergentes étaient sources de tensions entre des groupes qui étaient
par ailleurs liés entre eux par des liens de parenté (voir Stoll, 2014). À mon arrivée
dans le village LagodaPraia, les habitantsindigènes mindiquèrent une avancée de
1. Deuxrelecteurs anonymes ont contribué par leurs commentaires à lamélioration de ce
texte. OmairaBolañosCárdenas, RoxaniRivasRuiz, RayTroll, AnaCarlaBruno et les
administrateurs du blog «No Amazonas é assim» mont gentiment donné leur autori-
sation pour publier des illustrations extraites de leurs travaux. Lenquête de terrain a été
nancée par une bourse du CNPq/INPE (Geoma2). Jai également bénécié du soutien
nancier et institutionnel de lANRFabriqAm, du programme Capes-Cofecub, ainsi que
de lUniversitédAberdeen et de la FondationFyssen. uils en soient chaleureusement
remerciés.
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Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
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sable sur la rivière qui, selon eux, était le lieu de résidence actuel de Merandolino,
un chamane-guérisseur (pajé) ayant vécu jusquau début du esiècle. La «pointe
de Toronó» (gures2 et3) était lendroit où cet homme «sétait enchanté»
en place et lieu du trépas 2. Depuis lors, Merandolino était devenu un encantado,
cest-à-dire lun de ces êtres enchantés qui résident dans une «cité enchantée»
(cidade encantada) subaquatique (gure5) et qui, éventuellement, servent des-
prits auxiliaires à certains guérisseurs. La pointe de Toronó est considérée par les
Indigènes comme un «lieu sacré» (lugar sagrado). Elle sert de balise topogra-
phique dans le périmètre proposé pour la démarcation de leur territoire, qui a été
baptisé «terre indigène CobraGrande» 3 justement en référence à Merandolino,
comme le raconte une chanson composée par un dirigeant indigène local.
En eet, les riverains racontent que ce guérisseur se déplaçait sous leau
« enroulé dans une peau de CobraGrande », cest-à-dire danaconda géant.
Lobjet de cet article est de soumettre à lanalyse un ensemble de récits au sujet de
la vie de Merandolino, le plus célèbre guérisseur de la rivièreArapiuns, décédé dans
les années1940. Dans un premiertemps, je décrirai le corpus de textes où lon voit
que la plupart des récits sont racontés par les gens du commun à la manière des
histórias: les protagonistes de lhistoire et le narrateur sont localisés socialement
et spatialement dans le réseau dinterconnaissance régional et ils sont mis en scène
dans des situations extraordinaires, à partir de motifs amplement répandus dans
la région. Dans un deuxièmetemps, jexpliquerai comment, dans des contextes
dénonciation précis, lorsque le conteur est un guérisseur, ces récits peuvent inté-
grer dans leur trame narrative des épisodes du mythe de CobraHonorato. Enn,
je ferai une lecture sociologique de ces récits en partant des faisceaux dindices qui
sy trouvent toujours, quel que soit le narrateur, et qui visent à situer Merandolino
dans un espace régional hétérogène chargé denjeux sociaux, politiques et éco-
nomiques. Je conclurai en proposant que ces récits de vie, informés par dautres
genres narratifs, comme le mythe ou le récit-type (manière stéréotypée de raconter
un évènement), participent à faire de Merandolino un personnage extraordinaire,
presque légendaire. La fabrication de la légende neace pas pour autant les détails
sociologiques de laaire, qui deviennent centraux dans le récit, participant à
2. Le processus denchantement est formulé ainsi: «Merandolino sest enchanté (ele se
encantou) sur la pointe de Toronó». Les riverains disent quil «nest pas mort» et que
son corps a disparu du cercueil.
3. La terre indigène CobraGrande a été identiée par la FUNAI (Fondation Nationale de
lIndien) le 29septembre2015. Il sagit de la premièreétape du processus de démarcation.
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D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
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entretenir et à nourrir les discours identitaires actuels des populations riveraines
de lArapiuns.
Des récits ordinaires sur un homme extraordinaire
MerandolinoCobraGrandedelArapiuns
Merandolino a vécu le long de la rivièreArapiuns entre la n du esiècle et
les années1940. Ce riverain avait cependant une particularité: cétait un talen-
tueux guérisseur, un pajé sacaca (termes en Nheengatú utilisés localement pour
désigner les guérisseurs les plus puissants) dont les prouesses extraordinaires sont
encore commentées jusquà nos jours. Tout le monde, dans lArapiuns, sait racon-
ter lhistoire, au moins dans ses grands traits, de MerandolinoCobra Grande.
Né avec le don de guérison, il sest fait connaître grâce à la réputation quil avait
de se déplacer sous leau à vive allure, enroulé dans une peau danaconda géant.
Lhomme habitait en amont de la rivière, à Mentai, et il parvenait avec ce véhicule
subaquatique à précéder larrivée, à la ville de Santarém, de son propre bateau. La
peau danaconda de Merandolino, «cétait une sorte de vedette [bateau rapide à
moteur]!» me commentait une jeune lle dune vingtainedannées. Merandolino
pouvait également rester immergé sous leau pendant plusieurs jours. Lorsquil
réapparaissait à la surface, son cigare était encore allumé. Ces récits font appel à un
motif très présent en Amazonie, celui de lanaconda, véhicule entre les mondes 4
4. «Les [Indiens] Tukano sont sortis du Lagode Leite dans le canoë de lanaconda,
quon appelle PãmëripiroYukësë. Cest de cette manière quils se sont dispersés dans tous
les coins de la terre, et sont devenus des humains normaux» (GetB, 2007,
p.239, URL: http://www.scielo.br/pdf/hcsm/v14s0/10.pdf, ma traduction).
GentiletBruno, 2007, p.239; RivasRuiz, 2011)
(Tastevin, 1925; Galvão, 1976; Faulhaber, 1998, p.154; Chaumeil, 2003, p.40;
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Figure1
Embarcation-anaconda tukano, véhicule entre les mondes
© GabrielGentil, in: GentiletBruno, 2007, p.239
Dans le bas-Amazone, comme ailleurs, les pajéssacacas naviguent sous la forme
danacondas entre la terre et la «cité enchantée», demeure subaquatique des
encantados, les êtres enchantés. Le destin post-mortem de ces grands guérisseurs
est de devenir à leur tour les entités auxiliaires des guérisseurs encore vivants. Ce
passage dénitif dun état dêtre humain vivant sur terre à celui dentité subaqua-
tique est appelé «enchantement». En général, les riverains considèrent quil y
a eu enchantement lorsque le corps du défunt «disparaît» du cercueil. Il en est
de même pour les personnes qui disparaissent sans que lon retrouve leur corps
ou que lon ait pu identier avec certitude quelles sont décédées. Chaque indi-
vidu enchanté est invité à construire sa nouvelle demeure à un étage inférieur du
monde des humains, dans un lieu précis de la cité enchantée. Celle-ci reproduit
la forme et les contours de la surface terrestre, si bien que les guérisseurs défunts
–comme tous les humains enchantés dailleurs– s«enchantent» quelque part,
à un emplacement subaquatique précis qui correspond en surface à un lieu connu
et potentiellement habité par les humains. Ces endroits auxquels sont associés des
habitats enchantés correspondent à des saillances paysagères et/ou écologiques:
plages inondables, criques, monticules, embranchements aquatiques, mangroves,
etc. Ils prennent alors lappellation d«enchantements» (encantes) et sont sou-
mis à certaines règles daccès et dusage en raison de leur qualité dhabitat den-
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D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
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tité subaquatique. Cest ainsi que Merandolino «sest enchanté sur la pointe de
Toronó».
Figure2
Localisation des lieux cités
© Édition: Ricardo Folhes/2016 Sources: IBGE, INCRA, FUNAI, ICMBio
Dans tous les récits, Merandolino est systématiquement localisé en amont de
la rivière, à Mentai où il résidait de son vivant, et en aval, sur la pointe de Toronó
où il sest enchanté (gure2). Mentai est situé à la conuence des deux formateurs
de lArapiuns, le Maró et lAruã. Cest un passage stratégique entre une rivière de
large envergure navigable en bateau de ligne (lArapiuns) et des cours deau plus
étroits, ponctués de cascades. En aval de lArapiuns, la plage de Toronó est une
avancée de sable de plusieurs centaines de mètres qui modie le lit de la rivière
lorsquelle apparaît, pendant létiage, entre juillet et décembre (gure3). Le reste
du temps, elle est immergée. La nature même de cette plage inondable en fait un
élément paysager mouvant, à mi-chemin entre la surface et lélément aquatique.
Les transformations morphologiques que la plage subit dune crue à lautre sont
autant dindices sur lactivité de ses habitants subaquatiques et des guérisseurs
sacaca qui lutilisent pour naviguer entre les mondes.
Cette plage du Toronó est aussi un espace stratégique pour la pêche et pour
le commerce: passage obligé pour les bateaux de ligne qui relient les villages rive-
rains à la ville de Santarém, la pointe de Toronó est une escale où sont déposés des
passagers. Dailleurs, dans les années1930, le lieu accueillait même un entrepôt
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commercial (voir récit2 ci-après). Enn, la pointe de Toronó fait partie du ter-
ritoire de la fratrie résidentielle 5 Barbosa, un groupe de parents installé dans les
lieux au moins depuis la première moitié du esiècle. Suite à ladhésion de cette
famille au mouvement indigène, Toronó est devenu une balise spatiale et spiri-
tuelle de la terre indigène CobraGrande.
Des récits de gens ordinaires…
Pour commencer, je présente deuxrécits représentatifs de ceux que jai fréquem-
ment pu entendre le long de lArapiuns. Il sagit dénoncés produits par des rive-
rains au cours dune discussion banale, souvent au sujet dexpériences personnelles
liées à la consultation de guérisseurs encore en activité. Mon interlocuteur en
venait spontanément à évoquer Merandolino sans que jaie moi-même orienté la
discussion sur ce personnage. Ces récits apportent des éléments généraux sur les
prouesses de Merandolino et sur les grandes lignes de sa trajectoire sociale. Le
personnage apparaît comme lexemple type du guérisseur talentueux.
Figure3
La pointe Toronó pendant létiage
Fond de carte: Google Earth / Réalisation: Laurence Billault, IRD
Le premiernarrateur, Bruno, habite à VilaBrasil, village légèrement en amont
de mon lieu détude, sur la rive gauche du bas-Arapiuns. Aucune revendication
5. Le terme «fratrie-résidentielle» (SetF, 2014; S, 2014) renvoie à
lorganisation sociospatiale des riverains de lArapiuns qui consiste dans loccupation et
dans la transmission, par plusieurs générations de fratries, de territoires aux périmètres
xes.
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identitaire particulière nest en cours dans cette localité. Bruno a longtemps tra-
vaillé comme coordinateur de la chapelle de son village et a ocié comme caté-
chiste dans le bas-Arapiuns (personne en charge des baptêmes en labsence de
prêtre). Il a donc parcouru lensemble des villages riverains grâce à ses fonctions
ecclésiastiques, mais également en raison de son engagement politique dans les
luttes syndicales. Bruno possède ainsi une très bonne connaissance topographique
de la géographie locale mais également des réseaux généalogiques et dinter-
connaissance distribués le long de la rivière.
Récit 1: « Je nai pas connu personnellement Merandolino,
mais on ma raconté son histoire et je connais son petit-ls. Il
habite là-bas, un peu après Mentai. Lorsque lon arrive à lembran-
chement entre la CascadedAruã et le Maró [les deux formateurs de
lArapiuns], alors il y a aussi une pointe appelée Catarina. Sur cette
pointe il y a la maison qui appartenait à ce guérisseur célèbre, ce
Merandolino. Jai entendu des histoires à son sujet, il était vraiment
très bon. Depuis environ quinzeans, son petit-ls habite là-bas, il
sappelle Salvador. Et il a aussi ce don de guérir, il peut aussi rester
sous leau plusieurs jours. À chaque fois quil y avait des élections,
on allait ensemble faire campagne [pour le syndicat] […]. Les gens
racontent que lorsque Merandolino se rendait à Santarém, il avait
un grand bateau, les barges à voile (batelão) dautrefois, alors il
envoyait ses employés dans le bateau et lui il restait à Mentai. Et
quand les employés arrivaient à Santarém [au bout dune semaine]
parce quil ny avait pas de moteur, lui, il était déjà arrivé! On dit
quil sest enchanté sur la pointe de Toronó. À cet endroit, il se passe
des choses bizarres, il y a un tourbillon (rebojo) qui apparaît, et ça,
je lai vu; jai même eu peur! Jétais dans le bateau de ligne. Il sar-
rête là-bas pour déposer des passagers. Jen avais déjà entendu parler
mais je ne lavais jamais vu. Soudain une femme sest mise à crier
et jai vu… un tourbillon énorme! Il y avait de leau qui jaillissait
très haut… Presque aussi haut que cette maison. Le jet expulsait
aussi des troncs darbre depuis le fond de leau. […] Je lai vu de mes
propres yeux!». BrunoFonseca, 72ans, au domicile de lauteur à
Santarém, juillet2012.
Bruno dresse le portrait-type de Merandolino unanimement connu dans
la région, à savoir le guérisseur sacaca qui se déplace sous leau à vive allure. Il
indique que ce sont des «employés» qui pilotent le bateau du guérisseur jusquà
Santarém. Pour raconter cette histoire, Bruno précise quil possède des sources
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
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dinformation légitimes: dune part il est un intime du petit-ls du guérisseur
défunt, et dautre part il a lui-même fait lexpérience dune manifestation de
Merandolino sur la pointe de Toronó.
Parmi ces récits ordinaires, certains sont produits par des riverains dun
certain âge qui arment avoir connu Merandolino de son vivant, dans les
années 1930. Ces souvenirs denfance consistent toujours en une description
physique du guérisseur, suivie dune anecdote. Cest le cas du récit2, dont le nar-
rateur, FranciscoGodinho, habite actuellement sur la pointe de Toronó, car il a
épousé une femmeBarbosa. Francisco est né à VilaAnã, un village situé en face
de la pointe de Toronó, sur la rive droite de lArapiuns. Mais il a été élevé par sa
grand-mère à Mentai, dans le haut-Arapiuns. À VilaAnã, les familles Godinho
etGuimarães sont majoritaires et liées par la parenté. Leurs membres racontent
quils sont le fruit dun métissage entre une Indienne et un Portugais 6. Pendant
la Cabanagem (un conit armé du début du esiècle), une partie de la famille
a fui et sest réfugiée en amont de la rivière, à Mentai. Certains y résident encore;
cétait le cas de la grand-mère de Francisco. La trajectoire spatiale de cette famille
est donc, à linstar de celle de Merandolino, ancrée en amont (à Mentai) en en aval
de la rivière (à VilaAnã, Toronó, etc.).
Récit2: «Merandolino était un enfant de la région de Toronó
et il sest marié avec une femme de Mentai. Il faisait beaucoup de
prouesses. […] Je lai encore connu [de son vivant] à Mentai. On
lappelle Meroca pour ne pas dire “Merandolino, parce que ça attire
les apparitions. Il était grand, corpulent, bien clair, et tout brûlé,
comme ces touristes américains quon voit parfois. Il est venu une
fois avec MonsieurSarmento, le propriétaire du bateau Sarmento. Il
est arrivé à Toronó. Là-bas il faisait du commerce, il y avait un grand
entrepôt commercial. Lépouse de mon frère aîné, Lourdes, était sa
lleule et cest lui qui la élevée». Francisco, 73ans, à son domicile
de Toronó, juillet2012.
Après mavoir expliqué quil a lui-même grandi à Mentai (haut-Arapiuns),
Francisco me décrit sa rencontre avec Merandolino, insistant alors sur leur
insertion mutuelle dans un même réseau de voisinage, aux alentours de Mentai.
Il ajoute quavant daller vivre sur le terrain de ses beaux-parents, avec son
6. Sur les récits sur limaginaire du métissage entre hommes européens et femmes noires
ou indiennes dans lArapiuns, voir S2014 et2015. Pour un autre exemple ailleurs
en Amazonie, voir B2008.
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D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
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épouse, Merandolino était lui aussi originaire du bas-Arapiuns (de la «région de
Toronó»). Le narrateur insiste sur le phénotype européen de Merandolino, qui
avait la peau «bien claire», ce qui le distinguait de la majorité des autres rive-
rains (dont lui), métis, qui ont la peau mate. Il nous informe quà lépoque, dans
les années1930, la pointe de Toronó abritait un entrepôt commercial où se ren-
dait le guérisseur pour y faire des aaires. Enn, Francisco clôt le sujet en laissant
entendre que des liens de parenté classicatoire le lient à Merandolino, puisque sa
belle-sœur était la lleule et lle adoptive du guérisseur.
… aux motifs dhistoires extraordinaires
Comme on peut le voir dans les deuxrécits ci-dessus, les histoires sur la vie de
Merandolino possèdent le style narratif local des histórias (Harris, 2014; Slater,
1994): des récits à la premièrepersonne au sujet dune rencontre insolite avec un
non-humain et de linteraction qui sen est suivie.
Ainsi, le narrateur est toujours le protagoniste ou lun de ses proches
(quelquun de la famille): Bruno (récit1) précise quil est un intime du petit-ls
de Merandolino (dans la version longue, il ajoute dautres détails sur leur amitié)
et quil a été témoin en personne dune manifestation du guérisseur enchanté;
Francisco (récit2) raconte quil a rencontré personnellement Merandolino et
que ce dernier était le père adoptif de sa belle-sœur. Dans deuxautres versions de
cette histoire racontées par le même narrateur, rapportées par BolañosCárdenas
(2008:142) et MahalemdeLima (2015:146), Francisco conte une anecdote sur
lamitié qui liait Merandolino à son beau-père (le père de son épouse Barbosa).
Ces histórias sont ainsi personnelles et relatent systématiquement une rencontre
(de visu, auditive, olfactive, etc.) avec un non-humain –un être enchanté subaqua-
tique ou sylvestre– dans un lieu spécique. Elles attirent un large auditoire et sont
commentées et transmises de génération en génération au sein des groupes rési-
dentiels. Elles sont en principe connues de tous mais possèdent des propriétaires
légitimes, à savoir les habitants du lieu où se manifestent ces rencontres et appa-
ritions, cest-à-dire le protagoniste et ses proches parents. La fratrie-résidentielle
Barbosa est de cette manière dépositaire de lhistoire de Merandolino-encantado
(de par les apparitions à Toronó). Or, comme le remarquait BolañosCárdenas à
ce sujet, «les Indigènes ArapiunsetJaraqui [habitants du village où se trouve la
pointe de Toronó] mexpriment toujours leur erté pour ce quils considèrent être
leur propre légende. La légende sest transmise par les histoires que les plus âgés
racontent lors de célébrations spéciales et, plus récemment, elle est devenue lun
des thèmes étudiés à lécole [indigène du village]» (2008, p.43, ma traduction).
À travers la mise en «patrimoine» des signes diacritiques dindianité, depuis
ladhésion de la famille Barbosa et dautres au mouvement indigène, on observe
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
32
le glissement dun savoir propre à un groupe résidentiel à un savoir collectif et
institutionnalisé (par lécole) propre à un village indigène (gure4).
Plus généralement, ces histórias sont un objet de discussion privilégié entre les
adultes. Elles sont amplement commentées même si un doute subsiste toujours
quant à la véracité des évènements. Dailleurs, elles peuvent être appelées «his-
toires de menteurs» lorsquelles proviennent dun chasseur ou dun pêcheur,
narrateurs qui ont souvent tendance à exagérer les faits pour le plaisir de laudi-
toire. De manière générale, elles reprennent des motifs très connus en Amazonie,
comme celui des encantados et leurs tentatives pour enchanter des humains, ou
encore celui de lembarcation enchantée.
Figure4
Un écolier de LagodaPraia rédige «la légende du CobraGrande»
© BolañosCárdenas, 2008, p.195 (photo prise le 18mai2006)
Lintrigue débute toujours par une rencontre insolite avec un être enchanté
puis par la mise en place dun «champ de communication illusoire» (Taylor,
1993, p.434). Parfois le protagoniste humain est leurré par lapparence huma-
noïde dun encantado qui tente de lenchanter en initiant avec lui une relation
commensale ou sexuelle, après lavoir séduit. Dautres récits relatent une visite de
la cité enchantée sur invitation dun encantado ou dun guérisseur (gure5). Le
protagoniste est mis en garde de ne pas accepter la nourriture ou les boissons quon
ne manquerait pas de lui orir, sous peine dêtre enchanté. Le monde enchanté est
lié à la pratique dune forme de «chamanisme aquatique» (appelé localement
LA FABRIQUE DES ENTITÉS: RÉCITS SUR L’ENCHANTEMENT
D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
33
pajelança) qui a pu être décrit comme un «mécanisme cognitif […] pour penser
les déplacements sur de longues distances» le long de la rivière (Chaumeil, 2003,
p.40; GentiletBruno, 2007, p.239 et gure1). Il est éminemment territorialisé.
Figure5
La cité enchantée
© RayTroll, “e Encante”, 2004, colored pencil on paper, 11 x 30"
(URL: http://www.trollart.com)
Par dénition, le pajé sacaca est un être ambivalent, humain et enchanté. Il
navigue entre ces deux mondes où il entretient des relations sociales. Comme le
disent les riverains, «ces guérisseurs, on dit quils sont mariés sur la terre et dans
le monde subaquatique (no fundo)». Ils ont de ce fait des relations sexuelles et
commensales avec des humains et des êtres enchantés. Sur terre, Merandolino était
ainsi marié à une femme de Mentai, tandis que «Dolina était sa femme dans la
cité enchantée», où se trouve la plage inondable de Toronó. Lautre versant de
lenchantement est la disparition de certains proches, très fréquemment denfants
(Félix, 2011; Stoll, 2014), mais également dadultes (Faulhaber, 1998, p.162) et
aussi, de guérisseurs décédés (dont le corps disparaît du cercueil). Contrairement
au commun des mortels, ce nest donc que post-mortem que les guérisseurs sen-
chantent «pour de bon». Cest alors un dauphin enchanté qui leur sert de véhi-
cule jusquà leur nouvelle demeure (Slater, 1994; Dário dans la version longue du
récit3).
Dans ces récits, limage de lembarcation – quelle prenne la forme dun
CobraGrande ou dun bateau, voire dun dauphin– est récurrente et polysé-
mique (gure6). La peau danaconda de Merandolino est dailleurs comparée à
une vedette, un bateau à moteur rapide (lancha) que seuls les ONG, la Marine
nationale et lhôpital possèdent (sous forme dambulance, lambulancha).
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
34
Lembarcation, quelle soit enchantée (CobraGrande, navire enchanté illuminé)
ou matérielle (le bateau de ligne ou, à lépoque, la barge à voile), est une sorte
de fétiche et est un signe extérieur de richesse (Faulhaber, 1998, p. 154). Or,
Merandolino cumule ces embarcations 7.
Figure6
Le serpent aquatique-bateau à vapeur des Indiens Cocama-Cocamilla
© RivasRuiz, 2011, p.53
Lexploitation de ces diérents motifs extraordinaires dans la trame de lhis-
toire de vie dune personne réelle –Merandolino– fait ainsi émerger un person-
nage hors du commun.
7. «uand [les Indiens] voient [le serpent aquatique], on dit que le grand bateau à
vapeur remonte le euve. La séance dayahuasca terminée, on dit que le serpent, fatigué
par sa navigation, senfonce et retourne de nouveau dans son nid par la même route et le
même tourbillon qui lui a permis démerger. Le serpent aquatique reçoit lappellation
wapuru, du castillan vapor, (bateau à) vapeur, car on dit que les chamanes sorciers appa-
raissent comme des bateaux, leurs corps sont représentés comme les premiers bateaux à
vapeur qui autrefois parcouraient les euves amazoniens». (RivasR, 2011, p.52-54).
LA FABRIQUE DES ENTITÉS: RÉCITS SUR L’ENCHANTEMENT
D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
35
Lorsque le mythe informe les récits des guérisseurs
Récits de guérisseurs en activité et enchâssement dépisodes mythiques
Nous venons de voir que les récits de riverains au sujet de Merandolino reprennent
des motifs régionaux que lon retrouve dans toutes les histoires de rencontre
avec des êtres enchantés. Ainsi toutes ces prouesses ne sont pas spéciques à
Merandolino. En revanche, laccumulation des motifs denchantement ainsi que
de leur versant matériel (par exemple le bateau) participe à en faire un personnage
remarquable et assurément extra-ordinaire. Or, dans des contextes dénonciation
spéciques, un procédé narratif permet de le hisser au niveau des personnages
mythiques ou légendaires. En eet, jai interrogé deuxspécialistes rituels (des gué-
risseurs en activité) originaires de la région de lArapiuns et ils ont systématique-
ment inséré un extrait de mythe dans la trame de leur récit. Pour le dire autrement,
lorsque les interlocuteurs sont eux-mêmes des individus extraordinaires, le récit de
vie de Merandolino intègre un épisode mythique, le propulsant au rang de géni-
teur des jumeaux mythiques CobraNorato et MariaCaninana.
Le premiernarrateur, Dário, 38ans, est originaire de SãoMiguel (Arapiuns)
et il habite avec sa famille à AlterdoChão (bas-Tapajós). Ce guérisseur âgé dune
trentainedannées est spécialiste dans le traitement des aictions qui touchent
les enfants et les nouveau-nés. Nous nous sommes rencontrés dans un restaurant
dAlterdoChão en juillet2012. Je souhaitais linterroger sur sa pratique de gué-
risseur, car il sétait rendu à plusieurs reprises, dans les années1990, dans le village
de lArapiuns où je séjournais pour réaliser des rituels de «nettoyage ». Dário
était en train de me raconter comment il était devenu guérisseur, après que sa
grand-mère sage-femme lui ait transmis son don à sa mort, alors quil navait que
douzeans. Or, cest pendant quil me parlait de sa grand-mère médium quil en est
venu spontanément à évoquer Merandolino. En eet, sa grand-mère, me disait-il,
avait eu un rôle actif dans la naissance des enfants de Merandolino. Je résume ici
son récit:
Récit3: La grand-mère de Dário était une sage-femme renom-
mée à SãoMiguel, spécialisée dans les accouchements «diciles»
ou qui sortaient de lordinaire ; cest-à-dire quelle était médium
et pouvait faire appel à des entités auxiliaires en cas de nécessité
(par exemple lorsque le géniteur de lenfant à naître est un dauphin
enchanté ou un guérisseur). La femme de Merandolino attendait
des jumeaux et le couple t appel à la grand-mère de Dário pour
lassister lors de laccouchement. Lévènement eut lieu une nuit de
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
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pleine lune, non pas à Mentai, précise Dário, mais à CacoalGrande
[grande plantation de cacao], au bord du lac Lago Grande où
Merandolino possédait une seconderésidence. Or, les nouveau-nés
avaient la forme de deuxserpents enchantés: un garçon et une lle,
appelés Norato et MariaCaninana 8. Ils sont sortis en courant lun
derrière lautre, et bientôt se sont enfuis de la maison pour gagner la
rivière et la cité enchantée, où leur père les a ensuite rejoints. Dário
fait alors le lien avec sa pratique de guérisseur actuelle et celle de
sa grand-mère, en expliquant quil est spécialisé dans la guérison
des enfants et des bébés. uant à Merandolino, qui était le com-
padre de sa grand-mère 9, il est le chef de ses entités; Norato, ls de
Merandolino, est également lun de ses esprits auxiliaires.
Le deuxièmerécit est celui de JoséGuimarães 10, la trentaine, jeune guérisseur
originaire et résident dAraci, un village du Lago Grande, un lac proche de la
région de Toronó. Pour sy rendre, il faut traverser une bande de terre qui sépare
la rivièreArapiuns du euveAmazone, soit vingtminutes de marche (cf. gure2).
José est membre de la famille Guimarães dispersée entre VilaAnã et Mentai (voir
supra). Une ramication a traversé la rivière et linteruveArapiuns-Amazone
pour sinstaller au bord du lac. Ce narrateur est donc (du moins indirectement)
parent avec Francisco, lauteur du récit2. Javais déjà connu José brièvement lors
de travaux antérieurs; aussi lentretien a-t-il eu lieu une soirée daoût2012, à mon
domicile de Santarém. Il était alors de passage en ville où il prend régulièrement
part aux activités dune maison dUmbanda (culte de possession afro-brésilien). Je
lai interrogé au sujet de Merandolino, alors quil le mentionnait en passant. Voici
ce quil me répondit:
Récit4: «Merandolino, cétait mon oncle. Cétait le frère du
grand-père de mon père, donc cétait mon oncle». Daprès le jeune
homme, Merandolino «habitait à lembouchure (boca) de lAra-
piuns», une zone qui «incluait lArapiuns et le LagoGrande».
[Il sagit de la partie où linteruve entre lArapiuns et lAmazone
8. Du nom dun serpent jaune et noir particulièrement agressif.
9. Le long de lArapiuns, une femme qui aide à la naissance dun enfant est considérée
comme sa marraine. Elle devient donc la comadre des parents de son/sa lleul/e. Les per-
sonnes cumulent plusieurs parrains et marraines tout au long de leur vie.
10. Nom ctif pour préserver lidentité de mon interlocuteur.
LA FABRIQUE DES ENTITÉS: RÉCITS SUR L’ENCHANTEMENT
D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
37
est le plus mince (voir Figure2), ce qui permet une circulation entre
les habitants du LagoGrande et les riverains de lArapiuns]. José
ajoute que «Merandolino était un Guimarães comme lui», famille
dont les centres de peuplement sont aujourdhui répartis entre le
bas-Arapiuns, Mentai (haut-Arapiuns) et Araci (Lago Grande).
Après avoir situé géographiquement la proximité généalogique
qui le relie à Merandolino, José passe directement au récit sur les
enfants de Merandolino: «Norato a tué sa sœur jumelle, Caninana,
qui était méchante et perturbait les hommes. Elle népargnait per-
sonne et faisait des bêtises au bord de la plage!». Il poursuit sur
ses activités thérapeutiques. Norato est lun de ses esprits auxiliaires
et «il est toujours vivant. Il sestenchanté sur une pointe, entre
JurutietParintins, dans la BocadoCalderão[sic: dans la gueule de
la marmite], une entrée entre lÉtatduPará et lÉtatdelAmazo-
nas». José clôt son récit en armant que son don de guérisseur lui
a été transmis par «le sangde son père» et que cest donc de cet
ascendant collatéral, Merandolino, quil la reçu en héritage.
Ces deuxrécits de guérisseurs avec lesquels je nétais pas intime ont de nom-
breux points communs. Dans les deuxcas, il sagit de récits à visée légitimatrice
qui sont servis à lethnologue comme une preuve de crédibilité de leurs activités
thérapeutiques. On y retrouve le style de lhistória avec la volonté de tracer un
lien de parenté avec une source légitime: la grand-mère protagoniste de lhis-
toire (récit3) et une histoire de famille (récit4). Les deuxguérisseurs donnent
également un ensemble de détails spatiaux et sociaux au sujet de Merandolino.
Il est présenté comme ayant une doublerésidence, à Mentai et CacoalGrande
(récit3), et comme un résident de lembouchure de lArapiuns, à mi-chemin avec
le LagoGrande, où se trouve une partie de la famille dont il est supposé être issu
(récit4); on retrouve donc une fois de plus cette trajectoire spatiale entre lamont
et laval à laquelle vient sajouter un mouvement transversal entre lArapiuns et
le LagoGrande. Ces descriptions de lieux donnent des indices sur la condition
sociale de Merandolino, propriétaire dune maison dans les plantations de cacao
et possédant des liens avec les habitants du LagoGrande, une terre plus riche que
celle de lArapiuns (voir ci-après et Stoll2014). Enn et surtout, ce quapportent
ces récits sont des détails sur la progéniture de Merandolino, décrite comme des
anacondas enchantés. Or, il sagit ici dune version du mythe de CobraHonorato,
amplement connu dans toute lAmazoniebrésilienne riveraine métisse.
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
38
Le mythe de CobraHonorato
uils viennent de la région du Salgado sur le littoral (Maués, 1995), de la région
du Trombetas (Sauma, 2013) ou de la rivièreSolimões (Faulhaber, 1998), les rive-
rains racontent des versions du mythe de CobraHonorato 11. La trame est toujours
la même, ce qui change sont les noms des lieux, certains épisodes de la dispute
entre les jumeaux et la façon dont Honorato est désenchanté. Voici en quelques
traits son contenu:
Une jeune femme, décrite comme indienne ou métisse (tapuia, cabocla),
tombe enceinte dun anaconda géant –CobraGrande ou Boiúna, Boiaçú (grand
serpent en nheengatú)– après sêtre baignée dans la rivière. Elle met au monde des
jumeaux, un garçon et une lle, qui sont des serpents. Elle les baptise Honorato
(ou Norato) et MariaCaninana et les jette dans la rivière, parfois sur les conseils
dun pajé. Les serpents grandissent et deviennent deuxanacondas géants. Le gar-
çon, Honorato, est gentil, attentionné et sociable. Il vient régulièrement rendre
visite à sa mère, il sauve les hommes lorsque leur barque chavire, etc. Il aime se
rendre aux bals des riverains: il laisse alors sa peau danaconda au bord de leau
et se transforme en beau jeune homme clair vêtu de blanc pour aller danser. Sa
sœur est son contraire. Elle est méchante et asociale. Elle ne rend jamais visite à
sa mère et passe son temps à couler les bateaux, tuer les pêcheurs et les animaux
aquatiques, etc. Dans certaines variantes, MariaCaninana tente de couler la ville
dÓbidos 12 (Slater, 1994, p.155) ou den faire tomber léglise en mordant un
autre anaconda qui sy trouve (Cascudo, 2001, p.29; gure7). Mais son frère
sinterpose et leur lutte serait à lorigine de la grande ssure que lon peut voir
jusquà aujourdhui sur le perron de léglise. Finalement, Honorato décide de tuer
sa sœur pour mettre n à ses méchancetés. Dans une variante du Salgado, il la tue
car il soppose à son mariage avec un autre serpent enchanté; cette union aurait
rendu impossible son propre désenchantement (Maués, 1995). Une fois sa sœur
morte, Honorato na quune idée en tête: se désenchanter pour aller vivre dans le
monde des hommes. Il y parviendra nalement après une longue quête car avant
lui tous ceux qui sy étaient essayés avaient échoué pour avoir pris peur à la vue de
lanaconda monstrueux. Les versions dièrent sur la forme que prend cet épisode.
11. On peut considérer que le mythe de CobraHonorato est lui-même une variante ou
un épisode du mythe plus général de CobraGrande (voir T, 1925; T,
2005, p.117).
12. Cette histoire est racontée de la même façon en ce qui concerne la cathédrale de
NossaSenhoradoRosário, dans la ville dItacoatiara (Amazonas).
LA FABRIQUE DES ENTITÉS: RÉCITS SUR L’ENCHANTEMENT
D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
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Pour certains (sans doute la version la plus répandue), cest un soldat dÓbidos
qui le désenchante en lui crevant un œil par mégarde (Slater, 1994, p.122). Dans
dautres versions, cest sa propre mère qui sen charge. Dans le Salgado, une autre
version circule au sujet du combat entre CobraHonorato et un autre anaconda
enchanté, le RoiSébastien, un encantado de lîle de Manindeua (littoral atlan-
tique). Ce dernier gagne le combat et tue Honorato, devenant ainsi le roi des
encantados dAmazonie (Maués, 1995). Les riverains dErepecuru relatent que
suite à la défaite de la sœur, les os des côtes du serpent servent de support à lautel
de la statue de NotreDamedeNazareth dans la basilique de Belém, capitale du
Pará (Sauma, 2013, p.71).
Figure7
Lanaconda géant de la cathédrale dItacoatiara, mordu par Caninana
© No Amazonas é assim – Blog brésilien sur la culture amazonienne (source:
http://noamazonaseassim.com.br/a-lenda-da-cobra-grande-debaixo-da-catedral-
de-itacoatiara/ )
Dans la version mythique, ni les lieux ni la mère des jumeaux ne sont identi-
és, ce qui permet une appropriation de cette histoire par tout un chacun. Dès
lors, les diérentes versions mettent en scène divers personnages: une Indienne du
Tocantins ou du Solimões, une tapuia du Trombetas ou dErepecurú, une cabocla
de la rivièreParu et… la femme de Merandolino dans lArapiuns! La trame du
mythe informe ainsi le récit des guérisseurs Dário et José sur la vie et la naissance
des enfants de Merandolino. Ce procédé permet de rattacher ce personnage qui a
réellement vécu à un panthéon mythique dentités auxiliaires, admettant sa péren-
nisation sous une forme spirituelle.
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
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Jumeaux-animaux enchantés, production et reproduction des pajés
Il faut savoir que les récits sur la naissance de jumeaux enchantés dans des condi-
tions similaires à celles décrites dans le mythe sont nalement chose courante dans
le bas-Amazone (Galvão, 1976, p.70; Slater, 1994, p.99; Stoll, 2014, p.239).
En général, il sagit de petits du Boto (botinhos), ce dauphin rose enchanté qui
prend lapparence dun beau jeune homme blond vêtu de blanc et qui séduit et
met enceinte les riveraines lors des fêtes dansantes. Lanalogie de ce personnage
avec CobraHonorato est frappante et a aussi été relevée par Slater (1994, p.114).
Dans lArapiuns, des femmes arment avoir mis au monde des enfants qui
avaient la forme danimaux, principalement de dauphins, mais également de raies,
voire dhybrides (par exemple un bébé sirène). Dans les récits les plus détaillés
auxquels jai eu accès, il sagissait de jumeaux: lun était un bébé humain, lautre
un petit du Boto. Le jumeau enchanté est jeté dans la rivière tandis que le petit
humain, sil survit à laccouchement, développe un don médiumnique qui le des-
tine à devenir guérisseur. De cette manière, laccouplement entre une femme et
un encantado (quil soit CobraGrande, Boto ou autre) crée de nouveaux êtres
enchantés –puisque le bébé enchanté est rendu au monde subaquatique– ainsi
que la production de guérisseurs au sein du collectif humain. Cette hypothèse
semble conrmée par ZeneidaLima, une guérisseuse notoire de lîledeMarajó
(estuaire de lAmazone). Dans un livre autobiographique, elle explique que son
don de guérisseuse est lié à «une chose jumelle» née avec elle, qui avait «une
forme ronde, totalement enveloppée par la poche de liquide amniotique et qui
avait des yeux, un nez, une bouche et tous les organes» (Lima, 1993, p.54, ma
traduction). Merandolino est quant à lui le père de CobraHonorato, qui nit éven-
tuellement par devenir humain et ocier à son tour comme guérisseur auprès des
riverains. Dans ces récits, la gémellité assure ainsi la production et la reproduction
des grands sacacas. Il nest donc pas étonnant que lorsque les narrateurs sont des
guérisseurs qui produisent des récits institutionnalisés, lhistoire de Merandolino
soit associée à cette théorie native sur la production du don de médiumnité.
Pour une sociologie du mythe
Une topographie des réseaux dinterconnaissance et des lieux saillants
Nous sommes en présence de procédés langagiers visant à faire de Merandolino un
personnage légendaire voire mythique. Or, cette uniformisation de son histoire,
à travers des récits-types et une trame mythique, ne se fait pas au détriment des
détails sociologiques de laaire. On a au contraire une personnalisation marquée
LA FABRIQUE DES ENTITÉS: RÉCITS SUR L’ENCHANTEMENT
D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
41
du personnage, avec son inscription dans des lieux précis, dans une parentèle spé-
cique et dans un milieu social déterminé. En eet, les histoires fourmillent de
détails sociologiques, quelles aient pour auteurs des riverains ordinaires ou des
guérisseurs.
Les récits retracent litinéraire dun riverain originaire dune famille du
bas-Arapiuns, de la «région de Toronó», où la circulation avec le LagoGrande
se fait poreuse. On voit en eet que certains groupes familiaux, comme celui des
Guimarães dont sont issus les narrateurs des récits2 et4, et dont il est dit que
Merandolino ferait partie (récit4), ont développé des stratégies doccupation
régionale selon deuxaxes: un axe transversal entre la rive droite de lArapiuns et
le LagoGrande, et un axe riverain entre lamont et laval de lArapiuns. Suite à
son mariage avec une native du haut Arapiuns, Merandolino sétablit sur le terrain
de ses beaux-parents, dans les environs de Mentai. En eet, dans lArapiuns, on
observe une tendance à luxorilocalité, sans que cela soit la règle. En revanche, en
pratique, les riverains perdent leurs droits sur la terre de leurs parents à partir du
moment où ils sinstallent sur celle de leurs beaux-parents. Ceci nempêche pas
les membres dune fratrie de négocier entre eux laccès aux ressources du terrain
parental (Stoll, 2014), par exemple pour cultiver le cacao ou ponctionner dautres
produits. Cest sans doute sous cette forme que lon prête à Merandolino des
activités en aval de la rivière(dans un entrepôt commercial à Toronó, dans une
plantation de cacao, etc.), quand bien même il réside à Mentai. Dailleurs, ce nest
quune fois enchanté que la pointe de Toronó devient sa maison.
Or, cette familleGuimarães, dont on voit quelle domine des espaces straté-
giques le long de la rivière (lamont, laval et le LagoGrande) possède une histoire
singulière. Les descendants arment être issus dun mariage entre une Indienne
et un Portugais. Et il se trouve que lhistoire conrme cette version puisque les
GuimarãesdeSantarém sont issus dune des plus anciennes familles de Portugais
à sêtre installées à Santarém pendant lépoque coloniale. Lun des personnages
illustres de la famille, MiguelAntônioPintoGuimarãesJunior (1808-1882), a été
anobli BarondeSantarém et a occupé des fonctions politiques élevées. LeBaron
possédait des terres dans la zone rurale dItuqui, mais on peut imaginer quun de
ses descendants se soit installé à Anã, à proximité de VilaFranca, ancienne mission
jésuite et bourgade dimportante envergure jusquau début du esiècle, où rési-
daient de nombreux «Blancs» 13 éleveurs et cultivateurs de cacao.
13. Il sagit dun terme local, utilisé pour désigner des descendants dEuropéens présumés.
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
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Un commerçant nanti du début du e siècle?
Les détails sur la topographie généalogique et spatiale de la trajectoire de
Merandolino sont accompagnés dindices sur sa position sociale plutôt élevée. En
eet, tous les récits décrivent quil possédait un bateau et pas des moindres. Il
sagissait dune barge à voile (batelão), ce que peu de riverains pouvaient se vanter
de posséder. Dans le récit que Francisco (narrateur du récit2) fait à Lima, il donne
plus de détails à ce sujet:
À cette époque, il y avait très peu de bateaux dans lArapiuns,
«une personne avait une bijarrona, une embarcation à trois voiles»,
et quelques autres avaient «un batelão à deux voiles». La plupart
avaient seulement des barques ou des canoës, il fallait ramer, et on
ne pouvait se déplacer que sur de petites distances. Mirandolino
était le seul qui avait un grand bateau à moteur très beau et tout
illuminé (MahalemdeLima, 2015, p.145, ma traduction).
Lanecdote insiste donc sur le bateau hors du commun et assurément unique
de Merandolino, qui était «à moteur et tout illuminé». La description fait pen-
ser à un bateau de ligne, ce qui expliquerait les «employés» mentionnés dans
le récit1. Il fait le pont avec le motif du navire enchanté, une embarcation qui
apparaît la nuit, toute illuminée avec des bruits de fête.
Les récits décrivent souvent Merandolino alors quil eectue un voyage à
Santarém, enroulé dans sa peau danaconda. Il est en eet présenté comme un
commerçant. Il fait des aaires à Santarém, mais également à lentrepôt commer-
cial de la pointe de Toronó (récit3). Il a des gens à son service (les «employés»
du récit1). Apparemment, il possédait lui-même «une taverne bien achalandée»
à Mentai (MahalemdeLima, 2015, p.145), localité stratégique pour installer un
commerce puisque cest un passage obligé pour se rendre dans lAruã et le Maró.
On retrouve également cette conception du sacaca-commerçant dans le Solimões,
où les riverains racontent quaprès avoir été désenchanté, CobraHonorato est
«devenu un Blanc ou un caboclo [métis]»; certains arment même «quil
est marreteiro (commerçant [navigant])» (Faulhaber, 1998, p.169). Ainsi, en
arrière-plan des récits sur lenchantement de Merandolino se dessine un rive-
rain intégré à la vie économique régionale, un commerçant qui opère le long de
la rivière, sans doute actif dans les réseaux daviamento (forme traditionnelle de
crédit à la base du système de production des produits dextraction, comme le
caoutchouc; voir Santos, 1968), avec ses fournisseurs et ses clients.
LA FABRIQUE DES ENTITÉS: RÉCITS SUR L’ENCHANTEMENT
D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
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Perception du métissage et hétérogénéité régionale
En toile de fond de cette accumulation de détails se dégage assez nettement une
conclusion: Merandolino, pajé sacaca, était par ailleurs un «Blanc»; descen-
dant de Portugais, propriétaire de bateau et commerçant. Cest ce que conrme
Francisco (récit2) lorsquil décrit son phénotype: «blond, clair, à la peau brûlée
comme celle des touristes américains».
La mention de CacoalGrande comme lun des lieux dactivité de Merandolino
(récit3) fait explicitement référence à la culture du cacao dans les plaines inon-
dables du LagoGrande, une activité économique mise en place par les Européens
à lépoque coloniale. Ces plantations avaient recours à de la main-dœuvre esclave,
noire et indigène. La conguration géographique était telle que la plupart des
colons européens occupaient le LagoGrande tandis que lArapiuns est jusquà
aujourdhui référé comme la terre des pauvres (Noirs et Indiens). Or, dans la région
de Toronó, où linteruve entre lArapiuns et lAmazone est étroit (gure2), de
nombreuses familles du LagoGrande se sont installées au bord de lArapiuns, an
de bénécier du double écosystème, plus commode pour lélevage bovin ou encore
pour diversier leurs activités productives. Les indices convergent de façon à lais-
ser penser que la trajectoire de Merandolino est celle de lun de ces «Blancs», à
mi-chemin entre ces deuxunivers.
Mahalem de Lima (2015, p. 102) propose une hypothèse allant dans le
même sens. Selon lui, Merandolino était parent avec un propriétaire terrien de
Cuipiranga, maître desclaves et possédant une ferme à Mentai. Toujours selon
cet auteur, pendant la deuxième moitié du esiècle, Merandolino aurait acquis
le terrain de Cuipiranga (par héritage?) puis laurait vendu en1908 alors quil
sinstallait à Mentai (chez son épouse). Cette hypothèse doit être vériée et si
elle savérait exacte, Merandolino ne serait donc pas issu (sinon par alliance) de
la familleGuimarães comme annoncé dans le récit4. Malgré tout, on reste sur le
même prol dindividu et sur une trajectoire sociale semblable. Jajouterai quà
la n de mon entretien avec JoséGuimarães (récit4), je lui ai proposé que nous
fassions ensemble son arbre généalogique, ce à quoi il sest dérobé, prétextant que
ses entités auxiliaires ne lui en avaient pas donné lautorisation.
La trajectoire de Merandolino est donc un bon exemple de la façon dont les rive-
rains accommodent une classication dichotomique des populations régionales
(Blancs versus pauvres, Noirs, Indiens) ancrée dans lespace (LagoGrande versus
Arapiuns) à des pratiques doccupation spatiale perméables à ces deuxespaces.
La disposition réticulaire des familles et de leurs lieux dhabitation, au gré des
alliances matrimoniales, selon deux axes (transversal à linteruve et riverain)
nocculte ainsi pas les distinctions sociales. De cette façon, suite à son mariage
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
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avec une riveraine de Mentai, Merandolino déplace sa qualité de «Blanc» dans
ce lieu; de même quont pu le faire avant lui les GuimarãesdAnã. On voit com-
ment ces récits décrivent un espace hétérogène où circulent des hommes, des
entités mais également des écarts diérentiels, aménageables à loisir. Par exemple,
la famille Barbosa, dont on peut supposer quelle possédait aussi le prol des
«Blancs» (entrepôt commercial, amitié avec Merandolino, etc.), a récemment
choisi de sidentier à une ascendante indienne «attrapée au lasso», et de faire
de Merandolino un emblème identitaire dans son autoarmation indigène.
Chanson « Merandolino », composée et interprétée par Seu Nezinho
Raimundo Branches de Sousa, cacique dArimum, terre indigène CobraGrande,
Santarém – Pará. (https://clo.revues.org/2792)
Conclusion
Dans cet article, jai voulu montrer à partir de lhistoire de Merandolino com-
ment peut se former une légende au sujet dune personne hors du commun, grâce
à un procédé stylistique qui vise à enchâsser dans la narration danecdotes person-
nelles des motifs extraordinaires et, dans certains contextes spéciques, des épi-
sodes mythiques. Or, cette façon particulière de procéder –un mythe qui informe
des récits de vie– nest pas circonscrite à lArapiuns ni au cas de Merandolino.
Ailleurs dans le bas-Amazone, à Parintins, Slater (1994, p.131, 148) a relevé une
occurrence similaire, au sujet dun pajésacaca appelé Munju 14. Daprès cet auteur,
Munju est identié par certains interlocuteurs 15 comme le père de jumeaux ana-
condas, dont lun dentre eux est CobraNorato. Lhistoire se termine par une
variante qui met en scène une dispute entre les anacondas et leur père. Munju nit
par se faire dévorer par ses propres enfants.
Dans la littérature ethnographique, on trouve quelques autres exemples din-
sertion de récits mythiques dans des anecdotes vécues: cest le cas dun chamane
amérindien du Xingu, au Brésil, qui raconte ses rêves à lanthropologue, ceux-ci
étant des épisodes de mythes xinguanos (PatrickMenget, communication person-
nelle). Dans les Andespéruviennes, RobinAzevedo (2008, p.141-178) donne éga-
lement des exemples denchâssement de contenus stéréotypés qui se rapprochent
du mythe (les histoires de damnés) dans des récits au sujet dévènements réels
14. Terme en nheengatú désignant une substance enchantée (RenatoAthias, communi-
cation personnelle).
15. Slater ne précise pas si ses interlocuteurs sont des guérisseurs.
LA FABRIQUE DES ENTITÉS: RÉCITS SUR L’ENCHANTEMENT
D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
ÉmilieSTOLL
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liés à des morts violentes (souvent suite à des actions de guérilla), ce qui permet
dactualiser ces faits dans un registre plus conventionnel.
Dans le bas-Amazone, on peut se demander si ce procédé langagier très parti-
culier, et dont on voit quil est utilisé par des guérisseurs pour parler dun confrère
décédé devenu lun de leurs esprits auxiliaires, ne serait pas localement la façon
par laquelle sont créées de nouvelles entités de la pajelança, comme le sont déjà
Norato, le RoiSébastien et bien dautres. Plus de soixante-dixans se sont écoulés
depuis le décès de Merandolino et il semblerait que son statut soit en train dévo-
luer. Des indices vont dans le sens de cette transition, du personnage historique au
héros légendaire, pour nalement devenir un esprit auxiliaire des guérisseurs de la
région, quils soient ou non de lArapiuns. Ceci expliquerait une certaine diver-
gence parmi les riverains au sujet de la nature de Merandolino: si tous saccordent
sur son enchantement à Toronó, seuls certains conçoivent quil soit une entité
susceptible dêtre invoquée dans le cadre des rituels de possession. Du point de vue
des guérisseurs, en revanche, ce passage est déjà eectif et il est probable que dici
quelques années, cet encantado et son histoire auront intégré les cultes de posses-
sion urbains et ruraux de toute la région, voire au-delà. Lexemple de Merandolino
expose ainsi de façon assez convaincante comment un procédé narratif (lenchâs-
sement dun mythe dans un récit de vie) participe à «fabriquer» une nouvelle
entité. Loccurrence dun procédé similaire rapporté par Slater (1994), tout
comme la diversité foisonnante et créative des entités invoquées dans les rituels de
pajelança ou dans les cultes urbains de possession afro-brésiliens, semblent indi-
quer que cette pratique est répandue dans lunivers riverain amazonien.
Or, dans les deuxcas ethnographiés –Munju à Parintins et Merandolino dans
lArapiuns–, il semble que lidentité sociale des protagonistes ne soit jamais ea-
cée au prot de leur changement de statut, dune personne de chair à un person-
nage mythique ou légendaire. On sait grâce à lexemple de Merandolino que cette
identité sociale est même minutieusement décrite et remémorée. Ceci pose un cer-
tain nombre de questions en lien avec la sociologie du mythe. Nous avons vu que
Merandolino est décrit comme un commerçant nanti, descendant de Portugais. Il
cumule laspect spirituel et matériel des motifs véhiculés par le monde enchanté
(bateau, pouvoir darticulation, etc.). Cet aspect fondamental a participé à faire
de lui un individu remarquable et éligible à lenchantement dans un lieu sail-
lant de par sa conguration paysagère et commerciale. Est-ce à dire, alors, que la
fabrique de lentité Merandolino, avec son histoire riche de détails sociologiques,
est aussi une manière de pérenniser la présence régionale de certaines gures de
«Blancs»?
Dans ses travaux pionniers sur la structure du mythe, Lévi-Strauss évoquait
déjà la ressemblance entre la «pensée mythique» et «lidéologie politique»,
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE
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46
dans le sens où toutes deux partent de récits dévènements passés pour inférer des
structures sociales présentes. Il prend alors lexemple dun évènement historique
–la Révolution française– pour montrer que lévocation actuelle de cette réfé-
rence doit être comprise comme «un schème doué dune ecacité permanente,
permettant dinterpréter la structure sociale de la France actuelle» (Lévi-Strauss,
1955, §9). Cette analyse semble pertinente pour lexemple qui nous occupe. Si
lon y pense, la plupart des encantados sont décrits sous des traits physiques vus
comme caractérisant les Européens. Ils portent même parfois des noms signica-
tifs, comme «Germano» (au sujet dun «allemand enchanté»), soit autant de
marqueurs mémoriels au sujet du passé colonial marqué par des ux migratoires
vers lAmazonie et de linévitable métissage qui sen est suivi. Un autre exemple
de cette réactualisation du passé dans le présent est celui du RoiSébastien. Sous
sa forme humanoïde, il est décrit comme Blanc et blond 16, et son histoire est celle
de SébastienIer du Portugal, disparu (enchanté) au combat lors dune bataille au
Maroc (Alcacer-Kebir, en1578) 17. Dautres personnages au statut social élevé
co-résident avec le RoiSébastien, comme le roi des Turcs (enchanté lors dune
croisade à Jérusalem), ou encore le roi Camutá de Hollande (corsaire hollandais
qui a coulé au large des côtes du Maranhão).
Ces exemples posent la question du statut des grands guérisseurs: une bonne
condition sociale est-elle indispensable dans le fait de devenir un être enchan
pour la postérité? Une chose est sûre, tout semble indiquer que le cumul dune
super-agentivité spirituelle et matérielle concoure à produire les conditions pro-
pices à la naissance dune nouvelle entité.
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16. Le nombre important dalbinos quon trouve dans cette île est corrélé à une paternité
de Sébastien.
17. Une littérature abondante existe sur le sébastianisme (par ex. Valensi, 1992), un
mythe messianique portugais qui consiste à espérer le retour sur le trône du Portugal du
jeune roi SébastienI, disparu lors de la bataille des TroisRois (à Alcacer-Kebir), dont la
légende rapporte quil ne serait pas mort.
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D’UN RIVERAIN EXTRAORDINAIRE EN AMAZONIE BRÉSILIENNE
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Résumé : Le mythe de CobraHonorato, largement diusé en Amazoniebrési-
lienne sous de multiples variantes, met en scène un serpent enchanté (encantado)
et sa sœur jumelle, fruits de lunion charnelle entre une femme et une entité suba-
quatique. Dans la zone rurale de Santarém, bas-Amazone, cette trame narrative
informe de façon récurrente les récits produits sur les trajectoires de vie dindivi-
dus remarquables (comme de grands guérisseurs décédés). À travers ces récits, les
riverains retracent un réseau dinterconnaissance fondé sur la parenté en insistant
sur ses dimensions spatiale, historique et sociologique. Je montrerai par ailleurs
comment ces actualisations du mythe servent des enjeux microsociologiques, et
permettent dappréhender les conditions historiques des jeux de pouvoir et de
domination au sein de la population régionale.
Mots clefs : encantados, CobraHonorato, gémellité, récit de vie extraordinaire,
Brésil, Amazonie, ethnologie
Making New Entities: Narratives about the Enchantment
of an Extraordinary Man in the Brazilian Amazon
Abstract: Cobra Honorato myth is widely spread in the Brazilian Amazon.
Although the story may include multiple versions, it is mainly about the adventures
of twin children born om the intercourse between a woman and a subaquatic being.
As a consequence, Honorato and his sister were born in the shape of giant anaconda
snakes. In Santarém rural area (LowerAmazon), this story informs the narratives
about the life and trajectory of remarkable people (such as deceased healers). While
they recount these stories, the riverine peasants of the Amazon reconstitute a meshwork
based on kinship, insisting on its spatial, historical and sociological aspects. I will
demonstrate how such actualisations of this specic mythic story attend to micro-so-
ciological issues, and enable us to learn more about historical power and domination
relations within the Amazonian dwellers in this region.
Keywords: enchanted people, Cobra Honorato, Brazil, Amazon, twins,
narratives about extraordinary people, ethnology
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Des vies extraordinaires : les territoires du récit – n° 79
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A produção de entidades: Narrativas sobre o encantamento
de uma pessoa extraordinária na Amazônia brasileira
Resumo : O mito de CobraHonorato e suas múltiplas variações são largamente
conhecidos na Amazônia brasileira. Se trata das peripécias de uma CobraGrande
encantada e da sua irmã gêmea, casal nascido da união entre uma mulher e uma
entidade subaquática. Na área rural de Santarém, no baixo Amazonas, essa trama
narrativa informa de maneira recorrente os relatos produzidos sobre as trajetórias
de vida de pessoas notáveis (como famosos curadores já falecidos). Ao falar sobre
essas histórias, as populações trazem informações e dão vida à uma ampla rede de
interconhecimento baseada sobre o parentesco, insistindo sobre dimensões espacial,
histórica e sociológica. Mostrarei também como essas atualizações do mito se encaixam
em questões micro sociológicas, e permitem entender melhor as condições históricas do
estabelecimento de relações de poder e de dominação existentes entre os moradores da
região.
Palavras-chave : encantados, Cobra Honorato, Brasil, Amazônia, gêmeos,
relato de vida extraordinária, etnologia
Note sur l’auteur
Émilie Stoll est anthropologue, docteure de lÉcole Pratique des Hautes
Études et de lUniversité Fédérale du Pará (Brésil). Elle réalise des recherches
en Amazonie brésilienne auprès des populations indigènes et riveraines de la
rivièreArapiuns depuis 2010. Elle est actuellement post-doctorante à lInstitut de
Recherche pour le Développement, au sein de lUMR208 Paloc «Patrimoines
locaux et gouvernance» IRD/MNHN.
... Farei aqui uma primeira e mais sucinta descrição, que será completada no capítulo seguinte, onde analiso um conjunto de narrativas orais das crianças que têm como personagem principal "donos", "mães" e outros "bichos". Muito do que será dito são pontos já relativamente bem estabelecidos na literatura etnográfica sobre a região (Harris, 2000(Harris, , 2014Mahalem de Lima, 2015;Stoll, 2014Stoll, , 2016Vaz, 2010;Wawzyniak, 2003Wawzyniak, , 2008Wawzyniak, , 2012 e, em grande medida, partilhados por populações ribeirinhas de diversos pontos da Amazônia (Faulhaber, 1998;Lima, 2014;Lima Ayres, 1992;Maués, 2006;Sauma, 2019;Slater, 1994;Teixeira, 2006;Valentin, 2001). O que proponho é, partindo desse quadro geral, pôr em perspectiva essa relação e aquela que se estabelece entre as pessoas mais e menos experientes na região. ...
... Sobre a centralidade dessas narrativas orais, ver, por exemplo: Faulhaber (1998), que pesquisou nos arredores de Tefé, Amazonas;Harris (2008), para uma análise histórica de narrativas no interior do estado do Pará e Harris (2014), para materiais de comunidades de várzea do rio Amazonas no município de Óbidos, Pará; Lima Ayres(1992), pesquisando no Médio Solimões, Amazonas, e Lima(2014), quando a mesma autora propõe uma análise comparativa regional;Maués (2006), associando as narrativas de Boto à "pajelança cabocla";Slater (1994), discutindo um grande conjunto de histórias de Boto coletadas nas cidades de Parintins e Manaus, entre seringueiros do Acre e comunidades quilombolas e rurais de diferentes comunidades da várzea do Amazonas;Stoll (2016), trazendo as narrativas do "encantamento" de um pajé-sacaca no Baixo Tapajós;Vaz e Carvalho (2013), que recolhem versões de narrativas que circulam na região do Baixo Tapajós;Valentin (2001), que estrutura sua etnografia em torno das histórias que coletou na zona costeira do Pará. ...
... Outras etnografias da região e do vale do Amazonas também o mencionam. 13 Ver descrições similares em Mahalem de Lima(2015, p. 361 e ss.),Vaz (2010, p. 164 e ss.) eStoll (2016). Elas diferem da interpretaçãode Wawzyniak (2003de Wawzyniak ( , 2012, que não distingue as transformações por engeramento de outras formas de transformações, como o encantamento. ...
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Como é comum em outros contextos nos quais os novatos têm acesso à maior parte das atividades das pessoas mais experientes, no Tapajós aprende-se participando progressivamente dessas atividades. O livro apresenta uma revisão de literatura sobre essa modalidade de “aprendizagem por participação”, explicitando seus princípios gerais e as idiossincrasias da região estudada. Ali, adultos e pessoas mais experientes de maneira geral mostram-se particularmente pouco pacientes com os novatos. Nada mais distante da realidade local que a ideia de que é “errando que se aprende”. A aprendizagem acaba, então, sendo percebida como um desafio: e tu, afinal, “tu garante?”
... Emilie Stoll (2016) devotes an entire article to the transformations of Merandolino, another renowned shaman-sacaca in the region (more precisely, Merandolino comes from the Arapiuns). "He gained fame thanks to his reputation for moving underwater at high speed, wrapped in the skin of a giant anaconda" (Stoll 2016:25 -translated from the original in French). ...
... Emilie Stoll (2016) devotes an entire article to the transformations of Merandolino, another renowned shaman-sacaca in the region (more precisely, Merandolino comes from the Arapiuns). "He gained fame thanks to his reputation for moving underwater at high speed, wrapped in the skin of a giant anaconda" (Stoll 2016:25 -translated from the original in French). These are facts that circulate widely among the Tupinambá, and which Seu Edno often recounts. ...
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This article explores the intricate connections between territorial degradation, bodily health, and the phenomenon of quebranto among the Tupinambá people of Lower Tapajós, Brazil. The Tupinambá attribute various health issues, physical debilitation, and diminished longevity to the consumption of urban-sourced foods, a pattern that correlates with the ongoing destruction of their ancestral lands. Since the mid-1950s, the encroachment of logging operations has progressively devastated Tupinambá territory, leading to an increasing dependence on external resources. The deterioration of the land is perceived as directly linked to the decline in human health; as the territory becomes “sick”, so too do its inhabitants. I engage with Tupinambá perspectives to analyze the impacts of territorial destruction on bodily vitality, particularly through the lens of quebranto, understood here as a form of corporeal malaise and a disruption in the commensal relationships that underpin kinship bonds - among people as well as between people and the land.
... Le terme autochtone, utilisé de manière globale au Québec pour désigner les Premiers Peuples, ne peut être utilisé dans le contexte amazonien sans distinction et quelques précisions. La région de Santarém, comme d'autres régions de l'Amazonie, est caractérisée par la complexité et l'enchevêtrement de plusieurs référents ou appartenances identitaires ainsi que par des processus complexes d'auto-identification (Boyer 2015 ;Jérôme et al., 2018 ;Stoll 2014Stoll , 2016. Les sociétés de cette région ont longtemps été considérées, se considèrent encore actuellement ou s'auto-identifient comme métisses, c'est-à-dire caboclas (Harris 2006), ou comme populations traditionnelles, c'est-à-dire ribeirinhas (Galvão 1955 ;Harris 2014 ;Maués 1990 ;Wagley 1988). ...
... On dénombre également plusieurs communautés afro-brésiliennes (Quilombolas). À partir des années 1990, la région connaît également un processus d'ethnogenèse autochtone ou indigène (Boyer 2015 ;Lima 2015 ;Stoll 2014Stoll , 2016 qui se superpose à la reconnaissance de communautés autochtones historiques (aldeias). Les conflits et dissensions autour de ces revendications identitaires autochtones (indígenas) sont aujourd'hui nombreux à Santarém et dans la région : certaines personnes refusent d'être ainsi identifiées ou de se définir comme autochtone (indígena). ...
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Dans cet article, les auteurs proposent de documenter la construction des images mythiques dans les sociétés et les cosmologies autochtones du Québec et du Brésil. La lecture comparative développée vise plus spécifiquement à analyser la place de la forêt et de l’eau dans les relations entre humains et non-humains dans les cosmologies locales. Tant la territorialité atikamekw nehirowisiw que celle des peuples de la forêt en Amazonie brésilienne doivent être appréhendées dans le cadre de relations conçues, nommées, racontées, vécues, négociées et partagées avec le monde sensible, sensoriel et non humain. Des recherches de terrain menées au Québec et en Amazonie brésilienne auprès de Premières Nations, de groupes autochtones et de communautés traditionnelles nous permettent de proposer une lecture comparative de la place de l’eau et de la forêt au sein de la tradition orale, de savoirs et de relations qui s’étendent à l’infini : connaître la forêt, nommer ses règles et concevoir les sentiments vécus comme présage de la présence d’êtres invisibles sont des dispositifs d’une éthique vécue et partagée entre ceux qui ont vécu cette relation et ceux qui peuvent potentiellement en faire l’expérience.
... Emilie Stoll (2016) dedica todo um artigo às transformações de Merandolino, outro renomado pajé-sacaca na região (mais precisamente, Merandolino é originado do Arapiuns). "Ele adquiriu fama graças à reputação que tinha de se mover por debaixo da água em alta velocidade, envolto na pele de uma anaconda gigante" (Stoll 2016:25, tradução minha). ...
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Resumo: No Baixo Tapajós (Pará), indígenas tupinambá relacionam alimentação proveniente da cidade com problemas de saúde, fraqueza e pouca longevidade. Isto ocorre porque o território Tupinambá, à medida que por ali passaram a atuar madeireiras, em meados dos anos 1950, é paulatinamente destruído. Os Tupinambá percebem que já não podem mais obter caças como antes e cresce a dependência em relação à cidade. O território adoece, e com ele também adoecem as pessoas. Neste artigo penso junto com os Tupinambá os efeitos da destruição territorial com o estado de enfraquecimento do corpo quando objeto de quebranto, entendendo-o como um mal-estar corpóreo, uma forma negativa de experimentar as relações de comensalidade que constituem o parentesco - entre pessoas e com a terra. Trata-se aqui de dialogar com uma teoria antropológica tupinambá sobre corpo, alimentação e doença.
... Cada una se identifica y/o es identificada como persona con nombre propio. Entonces, ella incorpora el cuerpo del chamán, y como persona comienza a trabajar curando todo tipo de enfermedades: 5 La misma idea se encuentra entre la población ribereña de Arapiuns, Brasil (ver Stoll, 2016). 6 ...
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La cuestión política ¿qué significa la serpiente/río para los Kukama-Kukamiria cuya cosmología predominante es animista? emerge en un contexto en que el Estado peruano impulsa el Proyecto Hidrovía Amazónica, que busca dragar lechos de poca profundidad en los principales ríos de la Amazonía peruana: Amazonas, Marañón, Huallaga y Ucayali (Cohidro, 2019); con el propósito de mejorar la conectividad y promover el desarrollo económico de Loreto, una de las regiones más pobres del Perú. Dichos espacios fluviales forman parte del territorio tradicional de los Kukama-Kukamiria. Desde la cosmovisión animista de los kukama, el ambiente ribereño es un espacio vivo, donde humanos y no humanos poseen un alma/espíritu que se comunican entre sí (Descola 2011). La serpiente acuática, ser hegemónico del ecosistema fluvial, simboliza el chamanismo acuático, la institución más importante en dicha sociedad. Así, la serpiente es imagen del río y emblema del territorio ancestral que a través de su andar...
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À la croisée de l'anthropologie du religieux, des techniques et des échanges, cet article interroge les conditions socio-historiques d'émergence (au cours de la première moitié du XXe siècle) et de pérennité d'une sanctification locale dans un bourg du littoral de la région Nordeste, dont la majorité des habitants vit de la pêche artisanale côtière. Sur la base d’une enquête ethnographique au long cours et des récits recueillis sur la vie et la translation de la sainte locale, les caractéristiques sociales des personnages qu'ils mobilisent et les lieux qu'ils convoquent, il analyse les relations entre les modalités de productions techniques et d'échanges des ressources halieutiques et ce mythe hagiographique afin d'en dégager les dimensions spatiales et temporelles. La mise en regard des séquences du récit légendaire et des lieux où il se déroule en tant que milieu de vie, en tant que lieux d’extractions et / ou d’échange de « ressources » fait apparaitre la sainte comme une figure redistributrice face à deux figures emblématiques de la captation des ressources. Plus largement, l’article porte aussi sur la construction de la relation entre un groupe social et un lieu.
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À partir d’un corpus de récits recueillis auprès d’enfants et d’adultes dans des villages du bas-Tapajós (Amazonie brésilienne, état du Pará), j’analyserai, dans cet article, le paysage narratif local à la lumière de l’histoire régionale. Les deux personnages les plus récurrents des récits, le Jurupari, un monstre sylvestre qui dévore les chasseurs imprudents, et le Boto, un dauphin enchanté qui se transforme en un beau jeune homme blanc pour séduire ses victimes, sont associés respectivement, par les populations locales, à une figure stéréotypée de l’« Indien » et au monde des « Blancs » et des téléromans. Je propose une lecture conjointe de ces deux figures en montrant comment les villageois se situent face à elles, selon un jeu d’identification et de mise à distance qui n’est pas exempt d’ambiguïtés.
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Horizontes Antropológicos Número 60, ano 27, 2021 Disponível on line em https://www.scielo.br/j/ha/i/2021.v27n60/
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Resumo Qual a contribuição da antropologia para o estudo dos processos de aprendizagem? O artigo destaca os pontos distintivos da abordagem antropológica sobre a aprendizagem, ancorando-se numa etnografia da circulação de saberes e habilidades na região do Baixo Tapajós (Pará). Argumento que estudar a aprendizagem in loco, considerando o contexto social e cultural no qual ela ocorre, traz elementos de compreensão que permanecem inacessíveis de outra maneira. A etnografia apresentada mostra que, além de balizar o que aprendemos (os “conteúdos”), especificidades culturais marcam profundamente as maneiras de aprender e de transmitir (sua forma). Somente levando essas especificidades em conta é possível dar sentido à relação ríspida que se estabelece entre pessoas mais e menos experientes no Tapajós.
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Neste artigo pretendo evidenciar a dimensão cosmopolítica da luta pela terra entre os índios Xukuru do Ororubá, no Agreste do Pernambuco, Brasil, ao analisar os efeitos da transformação do cacique Xicão Xukuru, assassinado em 20 de maio de 1998, em “mártir-encantado”. As motivações deste crime foram a sua atuação nas “retomadas” das terras indígenas, então ocupadas por fazendeiros e políticos locais. Após seu assassinato Xicão Xukuru foi nomeado mártir da causa indígena” por lideranças católicas e também “encantado” pelos indígenas da sua etnia. Esta transformação circunscreve o sistema sociocosmológico do grupo, habitado por guerreiros e heróis mortos, com uma diferença substancial: enquanto todos os guerreiros mortos são genericamente nomeados “encantados” o cacique Xicão assume uma posição particular ao ser individualizado como “Mandaru”. Sua força e presença são descritas no ritual, o Toré, reconhecidas nos elementos da natureza e nas relações dos Xukuru do Ororubá com os não-índios. Neste sentido, seu nome materializa-se nas reivindicações por direitos coletivos (terra, saúde, educação, entre outros) e transforma suas experiências pessoais em atos extraordinários. Ao narrar seu líder morto como “mártir-encantado” os Xukuru transformam o cacique num operador das relações entre pessoas, coisas e mundos.
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Cet article analyse les dynamiques et les logiques à l’œuvre dans la genèse de villages riverains d’Amazonie, appelés « communautés » depuis la théologie de la libération dans les années 1960. À partir des années 1970, l’État brésilien a entrepris leur régularisation foncière, produisant – notamment dans l’Arapiuns étudié ici – des effets de télescopage en raison du contraste entre sa propre logique institutionnelle et les pratiques locales d’occupation et de transmission de la terre. L’organisation sociale locale en « fratries résidentielles » (groupes de collatéraux et leurs conjoints habitant un même territoire) et les mécanismes d’exclusion permettant sa reproduction ont trouvé leurs limites dans une structure légale ressentie comme coercitive. Les conflits récents ayant surgi entre groupes résidentiels et, parfois, entre membres d’une même famille peuvent être interprétés dans le cadre d’une crise de représentation plus large, opérant aussi bien au niveau collectif de la « communauté », qu’à celui des choix identitaires individuels des habitants de la région.
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Através de um estudo de caso amazônico, o artigo propõe analisar como as orientações do Estado brasileiro, dizendo respeito ao caráter pluriétnico da sociedade, são elaboradas a nível local. Pois, os grupos sociais são agora incentivados a dar relevo a certas práticas culturais enquanto símbolos de identidades especificas. Quais são então os lugares atribuídos às genealogias concorrentes, doravante minoritárias? Como são ritualizadas e encenadas as diferenças culturais, étnicas e religiosas? Essas questões serão discutidas para uma vila amapaense que, através das suas festas, reivindica uma dupla ou talvez mesmo uma tripla herança: "portuguesa" com a festa católica de São Tiago, "negra" com a dança do marabaixo, e "índia" com a dança do sairê - esta última expressando atualmente um desejo, ainda não concretizado, de reativação.
Thesis
Cette étude propose une réflexion sur les logiques sociales sous-jacentes à des conflits présentés comme « identitaires », chez des populations riveraines d’Amazonie. Cette problématique a surgi des politiques publiques mises en œuvre par l’État brésilien pour l’encadrement territorial en Amazonie. Dans les villages étudiés, des familles qui s’identifient comme « indigènes » s’opposent, depuis les années 2000, à d’autres, considérées comme « traditionnelles » par l’Etat. L’approche adoptée, résolument microsociologique, permet de mettre en avant les dynamiques locales d’inclusion et d’exclusion des acteurs au sein de groupes résidentiels (les « fratries-résidentielles »), ainsi que les relations interfamiliales dans le jeu du factionnalisme local. Dans ce cadre, l’adoption d’une catégorie identitaire juridico-légale apparaît alors comme un langage parmi d’autres – comme la sorcellerie – pour exprimer les relations d’antagonisme et de violence symbolique qui constituent, localement, un mode interactionnel à part entière. Plus qu’ils ne « font communauté », les riverains du bas-Amazone pratiquent ainsi une culture de réseaux et articulent plusieurs sphères sociales et groupes d’interconnaissance où sont recrutés les membres des factions villageoises, dans des stratégies d’appropriation locale des ressources.
Thesis
This is an ethnography of the Filhos do Erepecuru (henceforth Filhos), an African-American people who live on the Erepecuru river (Amazonian State of Pará, Brazil). This riverine population are self-identified Remanescentes de Quilombos (Quilombo Survivors), descendants of those who escaped from slavery on regional plantations in the eighteenth and nineteenth centuries. The thesis is concerned with exploring the conceptions and practices involved in the Filhos’ vida tranquila (peaceful life). In doing so, it also reflects on how ethnic formation approaches, which have dominated studies about peoples like the Filhos in the Americas, have become ethnographically inappropriate, following recent debates over the question of representation in anthropology. Instead, an ethnographic exploration of the Filhos’ ‘indigenous sociology’ is proposed, which can compare their conceptions and practices relative to sociality and those proposed by an ‘ethnicity’ led approach. It is also argued that the ‘engagements’ between sociological and cosmological dimensions, which persistently appear in the ethnography, constitute the Filhos’ collectivity, and must be included in our understanding of how they create a peaceful life. For this purpose, the thesis traces connections between the Filhos’ ‘landscape of arrival’ and their contemporary place-making, kinship and shamanic practices, as well as the reciprocally related practices of work and play, food acquisition and healing. This will provide a framework for understanding how the Filhos’ ‘territorial approach’ is an interdependent and persistently transformative phenomenon, which will be explored through recent socio-political developments in the final chapter. Focusing on the points of convergence between the Filhos’ sociopolitical and cosmopolitical landscapes, the overall aim is to provide a comparative perspective to questions that continue to inspire anthropological research: the relation between change and continuity, and collective process and individual action.
Article
A partir d'une description de la structure des rapports de communication entre un temoin, un esprit et un auditoire implicite (description centree sur la comparaison de deux genres d'« histoires vraies », l'une concernant la rencontre d'un fantome et d'un homme eveille, l'autre la cohabitation entre un esprit aquatique et un humain endormi), l'A. caracterise les relations qu'etablit la pensee achuar entre le reel, la fiction, la croyance et l'hallucination, et explore les mecanismes de « defictionnalisation » a l'oeuvre dans les rapports aux objets de croyance.