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Torre A. et al., Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace. Bilan d’un programme de recherche pluridisciplinaire, L'Information géographique

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On a souvent le sentiment diffus d’une montée de la conflictualité liée aux usages de l’espace, laissant à penser que ces conflits occupent un rôle important dans la société française et qu’ils viennent s’immiscer dans les processus de développement en marquant une opposition déclarée à certains projets décidés par l’État, des entreprises ou des particuliers. Différentes explications sont alors avancées, parmi lesquelles la judiciarisation de la société, l’implication et le niveau d’information croissant des populations, l’égoïsme de certains groupes de riverains, la complexité croissante des actes techniques ou le manque d’espace dans certaines zones particulières du territoire comme le périurbain. Cet article a pour objectif de faire un bilan sur l’état de la conflictualité liée aux usages de l’espace en France.
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LES CONFLITS D’USAGE ET DE VOISINAGE DE L’ESPACE. BILAN
D’UN PROGRAMME DE RECHERCHE PLURIDISCIPLINAIRE
Andre Torre, Thierry Kirat, Romain Melot, Hai Vu Pham
Armand Colin | « L'Information géographique »
2016/4 Vol. 80 | pages 8 à 29
ISSN 0020-0093
ISBN 9782200930547
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2016-4-page-8.htm
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Pour citer cet article :
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Andre Torre et al., « Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace. Bilan d’un
programme de recherche pluridisciplinaire », L'Information géographique 2016/4
(Vol. 80), p. 8-29.
DOI 10.3917/lig.804.0008
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Les conflits d’usage et de voisinage
de l’espace. Bilan d’un programme
de recherche pluridisciplinaire
Par André Torre, Thierry Kirat, Romain Melot et Hai Vu Pham
André Torre, directeur de recherche INRA, UMR SAD-APT, INRA AgroParistech
Université Paris-Saclay torre@agroparistech.fr
Thierry Kirat, directeur de recherche CNRS, UMR IRISSO, Université Paris Dauphine
thierry.kirat@dauphine.fr
Romain Melot, chargé de recherche INRA, UMR SAD-APT, INRA AgroParistech
Université Paris-Saclay melot@agroparistech.fr
Hai Vu Pham , maître de conférences, UMR CESAER, AgroSup Dijon hai-vu.pham
@dijon.inra.fr
Introduction
Si, faute de données statistiques fiables, il est difficile d’affirmer avec cer-
titude que l’on se trouve aujourd’hui dans une phase d’augmentation de la
conflictualité liée aux usages de l’espace, force est de constater la persistance
et le caractère récurrent des conflits d’usage et de voisinage. Tout le monde
garde à l’esprit les épisodes conflictuels de Notre-Dame-des-Landes (Loire-
Atlantique) ou de Sivens (Tarn) et leurs issues dramatiques ou incertaines,
qui posent des questions de démocratie locale et de légitimité de la prise
de parole des populations. Mais nombre d’édiles se plaignent également
de la difficulté à mener à bien leurs projets de développement local, alors
que les aménageurs soulignent les obstacles provoqués par la résistance des
populations ou des associations face à des infrastructures telles que les lignes
de TGV, des usines de traitement des déchets ou des tracés de routes... (Beau-
cire, 2009 ; Cavé, 2016 ; Fortin, Fournis, 2015 ; Foulquier, 2009 ; Mtibaa et
al., 2012).
De manière générale, on a le sentiment diffus d’une montée, voire d’une
exaspération des conflits, même les plus petits, ainsi que d’une volonté des
acteurs des territoires de prendre en main leur destin et de refuser les projets
opposés à leurs volontés ou à leurs attentes, comme le traduit, par exemple,
l’accroissement des recours aux tribunaux, en particulier administratifs.
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Ces éléments laissent à penser que les conflits occupent un rôle important
dans la société française, et qu’ils viennent s’immiscer dans les processus
de développement en marquant une opposition déclarée à certains projets
décidés par l’État, des entreprises ou des particuliers.
Plusieurs causes sont avancées. La première fait référence à des changements
de nature sociétale : les habitants des villes ou des campagnes s’appuieraient
sur un niveau d’éducation et d’information toujours plus important pour
s’opposer, en toute conscience, aux projets qui ne leur conviennent pas. On
évoque également une judiciarisation de la société, provoquant un recours
systématique aux tribunaux, y compris face à des problèmes mineurs, ou
encore la division de la société en classes aux objectifs irréductibles. On
va jusqu’à employer le terme de Nimby (Not in my BackYard) pour fustiger
l’égoïsme de certaines personnes ou groupes, qui ne voudraient pas voir
installer à côté de chez eux des infrastructures, certes contraignantes, mais
dont va bénéficier l’ensemble de la population.
Une autre explication renvoie à la difficulté technique croissante des opéra-
tions d’aménagement du territoire, qui nécessiteraient des raffinements et
des complexités toujours plus grandes et porteuses d’oppositions. On parle
également de la montée des normes et des règlements de toutes sortes, fac-
teurs de ralentissement des projets et propices à être saisis et utilisés par la
contestation. Enfin, une dernière explication trouve sa source dans la rareté
croissante des disponibilités en termes d’espace et surtout de sols — en
particulier dans des lieux très habités et recherchés, comme les bords de
mer ou les zones périurbaines -, les concurrences d’usages conduisant à des
conflits entre les parties prenantes locales, qui portent des volontés d’usages
différentes et opposées sur les mêmes espaces restreints (Cadoret, 2011 ;
Darly, Torre, 2008 ; Desponds, Auclair, 2016 ; Joerin et al., 2015 ; Melé,
2013).
Au total, le niveau des conflits d’usage et de voisinage tend à rester élevé en
dépit de l’arsenal des nombreuses mesures prises en faveur de la concertation,
telles que les consultations ou enquêtes publiques par exemple. Le nombre
d’associations de défense de l’environnement ou du voisinage est important,
comme les recours aux tribunaux administratifs pour les demandes d’annu-
lations de projets d’infrastructures ou de construction. Au-delà des tensions
entre individus ou groupes, les conflits d’usage posent ainsi la question de
la compatibilité entre les intérêts locaux et l’intérêt général. Ce dernier est
fréquemment invoqué par les pouvoirs publics pour défendre leurs projets
et affirmer des objectifs de développement des territoires censés répondre
aux attentes du plus grand nombre. Or, on peut non seulement se poser
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
la question de la complémentarité de ces objectifs (en termes de dévelop-
pement économique, de préservation de l’environnement, de diversité et
d’équilibre entre les activités des territoires...) mais encore davantage de leur
compatibilité avec les intérêts des parties prenantes et la manière dont ces
dernières entendent infléchir les orientations pour faire prévaloir leurs droits
(Lascoumes, Le Gales, 2010 ; Pasquier, 2012).
Le présent article a pour objectif de faire un bilan sur l’état de la conflictualité
liée aux usages de l’espace en France et de porter un jugement sur les
caractéristiques de ces conflits, à partir des résultats d’un programme de
recherche mis en place depuis plusieurs années (Caron, Torre, 2006 ; Kirat,
Torre, 2008 ; Torre, Caron, 2005 ; Torre et al., 2006 et 2010). La première
partie est consacrée à la présentation des principales hypothèses et de la
méthodologie d’étude mise en action, alors que la deuxième présente les
principaux résultats appliqués et les grands invariants de la conflictualité.
La dernière partie analyse l’impact de ces conflits sur les processus de
gouvernance et de développement des territoires.
Le programme de recherche sur les conflits d’usage et
de voisinage, hypothèses et méthodologie
Afin d’apporter des réponses fondées et argumentées à la question des conflits
d’usage et de voisinage, de leur place et de leur rôle dans les évolutions socio-
économiques des territoires français, et en l’absence de données publiques
fiables sur ce sujet, nous avons lancé, à la fin des années 1990, un programme
de recherche pluridisciplinaire, car la définition des conflits ne peut se référer
à une seule discipline (leurs causes et manifestations sont liées à des dimen-
sions économiques, sociales, géographiques, psychologiques, juridiques...),
il a impliqué différentes équipes, appartenant à des Instituts publics (CNRS,
INRA, Irstea, Cirad...), des Universités (Dauphine, Montpellier) et des Écoles
d’ingénieurs (Agroparistech, VetAgroSup, AgroSupDijon...). Soutenu par
différentes institutions, dans le cadre de plusieurs appels à projets, il avait
pour objet de répondre à une question simple : quelles sont les caractéris-
tiques des conflits dans les espaces ruraux et périurbains, en France, ainsi
que leur rapport avec les dimensions humaines et géographiques, dans le but
d’établir le lien avec les processus de gouvernance et de développement des
territoires ?
Principales questions et interrogations
Le fait de s’interroger sur la place des conflits dans les sociétés contempo-
raines renvoie à un certain nombre de présupposés, voire de lieux communs
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ou de croyances, qu’il importe d’examiner rapidement afin de pouvoir y
apporter ensuite des réponses argumentées. On peut les regrouper sous une
question générale, à détailler en fonction de ses multiples déclinaisons :
quelle est la place des conflits dans le développement des territoires ?
En d’autres termes, les conflits constituent-ils un obstacle aux processus de
développement, par leur caractère bloquant, qui empêcherait la réalisation
de (grands) projets bénéfiques à l’ensemble de la population et entraverait
des objectifs de bien être ou d’augmentation des richesses ? Sont-ils un frein
à la bonne gouvernance des territoires, par le déroulement de manifesta-
tions peu représentatives ou fractionnaires, face à des décisions prises de
manière démocratique suite à un processus électif ? Ou bien ne représentent-
ils qu’une péripétie dans la longue vie de territoires soumis à des aléas mul-
tiples mais traçant leurs chemins résilients en dépit des chocs de différentes
natures ?
Pour être plus précis, qui sont les principaux acteurs (groupes ou personnes)
de la conflictualité ? Quelles sont les principales sources et causes invoquées
de conflits, en termes matériels ou immatériels ? Quelles sont les princi-
pales zones de conflictualité : plutôt près des concentrations urbaines ou
dans les zones rurales reculées, par exemple ? Les conflits naissent-ils, prin-
cipalement, suite à des évènements particuliers (pollutions, constructions
d’infrastructures, grands projets...) ou en liaison à des types de productions
(activité industrielle, portuaire, carrières, gravières...) ? Enfin, sont-ils fondés
i. e. reposent-ils sur des oppositions réelles ? –, ou relèvent-ils plutôt de
comportements individualistes ou opportunistes provenant de personnes ou
de groupes particuliers ?
Présupposés analytiques
Pour étudier les conflits d’usage et de voisinage, il est nécessaire de les
définir et de les circonscrire. Une manière efficace de le faire consiste
à lever l’ambiguïté courante entre les termes de conflit et de tensions, à
partir de l’identification de l’engagement d’un ou plusieurs acteurs dans
un acte conflictuel, en se référant aux travaux de la théorie des jeux et de
la psychologie cognitive en la matière (Schelling, 1960 ; Rapoport, 1960 ;
Kahnemann, Tversky, 1979).
D’une portée plus générale que le conflit, les tensions peuvent se développer
et perdurer au sein de sociétés ou de groupes de personnes sans déboucher
nécessairement sur des actes conflictuels. Le passage au conflit se caractérise
par le franchissement d’un seuil qualitatif, qui correspond à l’engagement
des parties et a pour but de crédibiliser leurs positions. Je m’engage dans le
conflit pour le faire savoir aux autres, mais également pour me contraindre
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
à aller de l’avant et ne plus laisser de doutes quant à ma détermination. Cet
engagement a donc un coût irréversible, monétaire ou hédonique, et peut
prendre différentes formes : le recours en justice, la publicisation (différend
porté devant des instances publiques ou des services de l’État), la médiatisa-
tion (différend porté devant les médias), les voies de faits ou la confrontation
verbale, la destruction de biens ou d’infrastructures, la production de signes
(interdiction d’accès, barrières...). Il se distingue donc des concurrences, qui
ne nécessitent pas ce type d’opposition et privilégient l’ajustement par le
marché, ou des controverses qui peuvent rester purement verbales (Torre et
al., 2006, 2010).
Les conflits d’usage et de voisinage possèdent deux caractéristiques sup-
plémentaires. La première concerne leur inscription dans le territoire. Ils
reposent sur une base physique, se déroulent entre voisins et prennent nais-
sance autour de biens-supports matériels ou immatériels localisés. Ils s’ins-
crivent également dans un cadre institutionnel déterminé à la fois par les
jeux et les règles des instances locales et supra-locales. La seconde est la
matérialité. Contrairement aux conflits sociaux ou de personnes, qui peuvent
se dérouler en dehors de références spatiales majeures, les conflits d’usage
sont liés à l’existence d’actes réalisés ou anticipés. Les oppositions des per-
sonnes ou groupes se réfèrent à des objets, à des actes techniques en cours
ou à venir, et se traduisent par des actions concrètes.
Les conflits qui nous intéressent se distinguent ainsi par leur caractère
localisé – i. e. superposition territoriale d’intérêts contradictoires, rivalités
entre espaces contigus ou proches –, par la matérialité de leur support ou
de leur objet d’intérêt, ainsi que par le fait qu’ils naissent à propos d’usages
différenciés de l’espace. Les oppositions de personnes ou de groupes se
réfèrent à des objets concrets, à des actes techniques en cours ou à venir,
et se traduisent par des actions. Ces conflits peuvent avoir une composante
strictement locale, ou être reliés à des questions dont l’ampleur paraît de
nature plus universelle. Ils peuvent connaître des expansions sociales et
spatiales, dès lors qu’ils cristallisent un ensemble d’enjeux à dimension
sociétale.
Méthodologie
Notre démarche de repérage et d’analyse des conflits repose principalement
sur trois sources d’information : la presse quotidienne régionale, les entre-
tiens à dire d’experts et les données du contentieux. C’est en recoupant et
confrontant ces trois sources que nous sommes en mesure d’établir l’état de la
conflictualité sur une zone d’étude. Pas toujours possible, la triangulation des
informations fournit une information complète quand elle est réalisable. En
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effet, tous les conflits ne sont pas portés devant les tribunaux et les experts
comme les journalistes peuvent omettre de diffuser des informations, les
euphémiser, ou encore les traiter avec des biais.
Étudier la presse quotidienne régionale
Avec 20 millions de lecteurs, la presse quotidienne régionale est le deuxième
média en France après la télévision (Charon, 2005). Elle constitue un outil
d’observation particulièrement intéressant puisque c’est en grande partie par
son biais que l’information est mise à disposition de la population, avec
la double spécificité d’être le principal média de l’actualité locale et, pour
chacun des quotidiens régionaux, de posséder le quasi-monopole de diffusion
de cette actualité sur son territoire. Ses informations sont une source très
accessible et relativement détaillée sur les conflits locaux ; elles complètent
très efficacement celles du contentieux (Mc Carthy et al., 1996 ; Rucht,
Neidhardt, 1999) à partir d’une lecture attentive des articles des quotidiens.
Les entretiens à dire d’experts
Nous réalisons entre 40 et 50 interviews d’experts par zone d’étude afin
d’entrer dans la dynamique des alliances et oppositions locales (Deininger et
Castagnini, 2006). Le choix d’experts de différents milieux professionnels
et associatifs ouvre à la variété des opinions, conséquence des diverses
appartenances institutionnelles. Sont contactés les institutions publiques
locales, institutions de l’environnement et associations d’usagers de la nature,
les acteurs de l’agriculture, de l’industrie, de la forêt, les représentants
socioprofessionnels, les aménageurs, les autres services de l’État, etc. Les
personnes enquêtées sont amenées à discuter autour d’une grille ouverte,
avec pour objectif de recueillir le maximum d’informations concernant les
conflits et leurs évolutions. Les questions sont toujours indirectes, pour
éviter les rejets, les enquêteurs étant formés pour repérer les éléments de la
conflictualité.
L’analyse statistique du contentieux
L’analyse statistique des sources judiciaires vise à examiner la manière
dont les règles juridiques sont mobilisées dans les conflits d’usage faisant
l’objet d’un traitement juridictionnel (Joerin et al., 2005). L’analyse du
contentieux judiciaire et administratif est réalisée à l’échelle du département,
échelon territorial de référence de nombreux acteurs publics en charge de la
réglementation des usages des espaces (préfet, services extérieurs de l’État)
ou parapublics et privés (associations de protection de l’environnement,
chambres d’agriculture, associations de pêche ou de chasse). En outre, les
décisions de justice mentionnent, en règle générale de manière précise, le lieu
du litige au niveau communal (litiges privés, recours en annulation d’arrêtés
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
ou de délibérations municipaux) ou départemental (recours contre des arrêtés
préfectoraux).
Les corpus de décisions de justice sont constitués à partir de bases de données
juridiques documentaires qui proposent un archivage exhaustif du texte de
ces décisions. Il s’agit, suivant les cas, de recueils de décisions d’appel ou
de cassation (accessibles via des éditeurs privés comme Lamyline) ou de
recueils de décisions des juridictions du premier degré (fonds d’archives
des tribunaux administratifs). Afin de constituer des corpus pertinents, des
interrogations par mots-clefs sont réalisées (sur les visas des textes de
référence, par exemple), puis complétées par un examen détaillé afin de
ne retenir que les décisions pertinentes.
Zones géographiques
Les investigations ont été menées sur 13 terrains différents, tous situés dans
des zones rurales et périurbaines françaises, avec la volonté de couvrir une
grande diversité de situations : zones de plaine, de montagne ou zones litto-
rales, aires urbaines, périurbaines et rurales peu peuplées, différentes Régions
de France, zones proches de la capitale et plus ou moins périphériques ou
ultrapériphériques, etc. Il s’agit d’estuaires ou de zones littorales comme
les estuaires de la Seine et de la Loire, le littoral montpelliérain et le bassin
d’Arcachon, de bassins versants avec la Charente, de zones de montagne
comme le PNR des Monts d’Ardèche, le Voironnais en Isère et la Zone
des Puys en Auvergne, de rural étendu comme les zones rurales de Midi-
Pyrénées et la Communauté de communes de Montrevel, ou enfin de zones
mixtes de grande taille comme le Cortenais, la Balagne et l’extrême sud
en Corse, l’Île de la Réunion, l’île de France, (carte n
°
1). Les zones rete-
nues ressortissent toujours à des clôtures institutionnelles : communauté de
communes, communauté d’agglomération, Pays, PNR, cantons, etc. Un diag-
nostic initial permet de repérer les principales caractéristiques géographiques,
socio-économiques et environnementales de la zone et d’identifier les points
saillants et les acteurs en présence.
La base de données
Ces informations abondent une base de données Conflits
, construite pour
quantifier et analyser les phénomènes de conflictualité et permettre une
démarche comparative entre les sources et les territoires. Elle est dotée de
trois tables principales : les variables géographiques des conflits (au niveau
communal, intercommunal ou départemental) ; les variables descriptives,
propres à un contexte d’observation ou identiques selon la source support de
l’enquête ; le profil des acteurs concernés, avec leur usage propre de l’espace,
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Fig. 1 : Les zones françaises d’études des conflits
Source : les auteurs
les arguments qu’ils déploient et l’intérêt qui motive leur engagement dans
le conflit. La base est également abondée, dans une optique comparative et
de compréhension du contexte local, par des données socio-économiques
décrivant les dimensions sociales (données fiscales, proportion de logements
sociaux), les enjeux environnementaux (part des terres agricoles et naturelles,
des espaces protégés pour leur intérêt patrimonial), les dynamiques démo-
graphiques (mouvements migratoires, pyramide des âges) locales, etc., ainsi
que des décisions administratives susceptibles de donner lieu à contestation :
permis de construire délivrés par les maires, données sur les autorisations de
construction des directions régionales de l’Équipement, autorisations déli-
vrées par les préfectures au titre de la législation des installations classées...
Des résultats au niveau national
La persistance et le caractère récurrent des conflits de voisinage et d’usage
de l’espace sont attestés par les recherches menées sur nos différents terrains
d’étude. Elles révèlent le caractère étendu de ces conflits, leur grande fré-
quence, mais également leur extrême variété, qu’il s’agisse des formes prises,
des acteurs qui les portent, des objets qui les motivent ou autour desquels ils
s’organisent, des argumentaires retenus ou des territoires sur lesquels ils se
déroulent.
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
Les objets des conflits
Les oppositions conflictuelles se cristallisent autour d’un ou de plusieurs
objets de conflit, autour desquels s’organisent à la fois les contestations et
les discussions entre les partisans et les opposants. Si notre base de données
en recense plus d’une centaine, on peut les regrouper en fonction de grandes
catégories principales, récurrentes dans les espaces périurbains et ruraux que
nous avons étudiés.
Le principal objet de conflit est sans conteste lié à la maîtrise du foncier et
au développement résidentiel, une question qui se retrouve aussi bien dans
les dimensions matérielles des oppositions que dans les argumentaires des
parties prenantes ou des recours aux tribunaux. Il se révèle particulièrement
prégnant dans les zones de forte pression foncière, telles que le périurbain
(Darly et Torre, 2013) ou les zones littorales (Cadoret et al., 2012) et porte en
particulier sur les questions de choix d’occupation des sols entre différents
usages (nature, construction, industriel, agricole, loisirs...) et les probléma-
tiques de concurrence foncière concernant l’édification d’immeubles, de
bâtiments ou d’infrastructures. Toutes les décisions publiques concernant les
droits à construire donnent ainsi lieu à un contentieux important. C’est en par-
ticulier le cas des recours en annulation visant les documents d’urbanisme au
niveau communal (cartes communales, plans locaux d’urbanisme ou PLU
1
),
et encore davantage des permis de construire (Aubusson et al., 2006). Ainsi,
une étude sur les recours contre les déclarations d’utilité publique devant
les tribunaux administratifs met en évidence la cristallisation des conflits
dans les zones de pression foncière intense (zones littorales, massif alpin,
périurbain francilien) (carte n° 2).
Toutefois, l’étude des litiges d’urbanisme dans une zone concentrant un très
grand nombre de recours (départements du Var et des Alpes-Maritimes) met
en évidence que ces derniers ne se limitent pas à bloquer des projets de
construction (Melot, 2014). Les résultats obtenus par l’État sont importants,
en particulier en cas de déféré préfectoral, alors que ceux des associations
restent aléatoires, même si les recours portés par des particuliers riverains
constituent indéniablement la partie la plus importante du contentieux de
l’urbanisme. La diversité des intérêts en jeu en matière de constructibilité
traduit aussi bien les revendications des acteurs opposés aux projets pour des
motifs individuels (protection du cadre de vie immédiat, revendiquée par les
riverains) ou collectifs (préservation de l’environnement et des milieux) que
1. Le Plan Local d’Urbanisme est le principal document destiné à définir l’utilisation des sols au niveau
d’une commune. Il définit en particulier les règles indiquan t la forme que do ivent pren dre les constructions,
les zones devant rester naturelles ou agricoles, celles réservées pour les constructions futures, etc.
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Fig. 2 : Localisation des recours contentieux visant les déclarations d’utilité
publique devant les tribunaux administratifs (2006-2013)
Source : les auteurs
les prétentions des propriétaires à obtenir des droits à construire. Opposition
des riverains aux projets de construction ou résistance des collectivités aux
demandes des pétitionnaires, l’expression de ces intérêts révèle la pression
qui s’exerce sur les élus auteurs des décisions.
Le second objet de conflits, également très important, concerne les contes-
tations autour de la construction d’infrastructures, privées ou publiques. Si
les oppositions autour des projets d’aéroports comme celui de Notre-Dame-
des-Landes sont fortement médiatisées, les infrastructures liées au transport
font l’objet de nombreuses contestations : tracés d’autoroutes, de routes ou
de contournantes, lignes de TGV, tunnels, infrastructures portuaires... Une
bonne part de ces conflits concerne également la construction ou la mise en
œuvre d’installations liées au traitement des déchets, à la production d’éner-
gie, à l’exploitation de carrières ou à des activités industrielles sources de
risques. On trouve, enfin, de nombreux conflits concernant la construction
et l’édification de centres commerciaux ou de zones commerciales et de
prisons, en particulier, ici encore, en zone périurbaine.
On constate, en troisième lieu, l’importance des conflits liés aux activités de
loisirs de toutes sortes, qu’il s’agisse d’aménagements pour des espaces verts,
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
des activités de randonnée ou du tourisme de lacs et de rivières par exemple.
La chasse occupe une place importante, avec les contestations des modalités
d’exercice, la gestion de populations d’animaux sauvages et la cohabitation
avec des usages rivaux tels que le tourisme ou l’usage résidentiel. La chasse
reste une activité de loisir extrêmement prégnante dans les espaces ruraux,
et les chasseurs sont souvent organisés en associations efficaces, défendant
leurs territoires ou privilèges et s’opposant à d’autres usages des espaces.
Les conflits liés aux externalités négatives résultant des activités productives
sont également fort nombreux. Ils résultent en particulier de la perception de
nuisances diverses (pollutions, risques liés à l’activité, nuisances olfactives
ou sonores...) par des riverains d’activités polluantes, le plus souvent de
nature industrielle. On constate une légère augmentation des nuisances
attribuée à l’activité agricole. Ces conflits sont souvent portés par des acteurs
organisés au sein d’associations, qu’il s’agisse de défense du voisinage ou
de l’environnement, très actives et attachées à la protection des droits des
riverains, souvent au nom de principes d’écologie, d’environnement ou de
préservation de la biodiversité.
Enfin, la question de l’eau, dans toutes ses dimensions, occupe une place de
plus en plus forte dans le paysage de la conflictualité. Rivières, lacs, bords
de mer, zones humides et aquifères font l’objet de nombreux conflits en
termes d’occupation et de concurrences d’utilisation, et ressortissent à des
réglementations et des modes d’organisation souvent très particuliers (loi
littoral, Clés, SAGE...). La ressource, plus rare, est mise en concurrence et
souvent gérée avec difficulté pour les activités productives, résidentielles
ou récréatives, mais il s’agit également d’une source de risques, avec les
inondations, les crues, le ruissellement érosif ou les tempêtes, comme le
montre le cas du bassin versant de la Charente par exemple.
Les acteurs des conflits
On pense parfois aux conflits d’usage de l’espace en termes de grandes
catégories d’usages qui s’opposeraient (usage agricole, industriel, récréatif,
de nature...). Si cette vision des activités est juste au niveau macro, elle ne
peut refléter la complexité des acteurs des territoires et des relations qu’ils
entretiennent : un industriel peut être un défenseur de l’environnement, un
agriculteur va pratiquer la chasse... Pour cette raison, nous avons choisi
de partir des acteurs plutôt que de leurs usages des espaces considérés.
Nous parlons alors, suivant l’exemple de Janelle (1977) et de Ley et Mercer
(1980), de participants aux conflits, unité de base économique et sociale de
la conflictualité, ou encore de parties prenantes des conflits.
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Représentatifs de la diversité des parties prenantes dans les territoires, les
acteurs des conflits sont d’abord des particuliers et des associations de
défense de l’environnement ou du voisinage les représentant. Très nom-
breuses, ces associations occupent une place éminente dans le cadre français
(Lecourt, 2003), par exemple dans le cas de contestation de construction
d’infrastructures ou d’épisodes de pollutions et jouent un rôle essentiel en
portant et en structurant les oppositions et le discours qui les soutient. Depuis
longtemps partenaires des processus de concertation et de négociation, ainsi
que de l’élaboration partagée de normes communes, elles se manifestent éga-
lement en tant qu’opposants à de multiples projets, portés en particulier par
les pouvoirs publics ou des entreprises industrielles, et jouent ainsi un rôle
essentiel dans le débat public et la discussion sur les modes de développe-
ment des territoires. Il convient donc de distinguer l’action des associations
au caractère local et spontané, dont l’objet est de protéger un intérêt ou de
lutter contre un projet territorial de faible ou moyenne ampleur, de celle
des associations de défense de l’environnement en général, qui possèdent
l’agrément d’utilité publique sur l’ensemble du territoire national.
Fréquemment impliqués en raison de leur activité de construction et d’ex-
ploitation d’infrastructures ou d’aménagement de l’espace, ainsi que des
actions de normalisation et d’édiction de règles ou de zonages, l’État (par ses
services centraux ou déconcentrés) et les collectivités territoriales font sou-
vent face à des contestations qui remettent en cause les projets de nouvelles
infrastructures ou les décisions en matière d’aménagement et d’urbanisme et
d’aménagement du territoire. La contestation des Plans locaux d’urbanisme
(PLU) et des Schéma de cohérence territoriale (SCoT)
2
est ainsi l’une des
sources les plus importantes du contentieux administratif, en particulier pour
les questions de construction ou d’exploitation d’infrastructures et d’exploi-
tations classées, ainsi que de mise en cause de zonages environnementaux.
Mais on retrouve également l’État du côté des auteurs de recours, en par-
ticulier quand il s’oppose à des constructions illégales en bord de mer ou
en zones de montagne, ou désire faire annuler des documents d’urbanisme
jugés inappropriés comme des permis de construire dans des espaces à forte
pression touristique par exemple.
Les entreprises privées se voient généralement mises en cause en raison de
leur activité de production, génératrice de pollutions, ou encore dans le cas
d’implantation d’usines nouvelles, d’extension des lieux de production ou
2.
Le Schéma de cohérence territoriale est un document d’urbanisme qui détermine, à l’échelle de
plusieurs communes ou groupements de communes, un projet de territoire visant à mettre en cohérence
l’ensemble des politiques sectorielles, notamment en matière d’habitat, de mobilité, d’aménagement
commercial, d’environnement et de paysage. Il joue évidemment un rôle très important dans l’organisation
des usages des sols.
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
de réhabilitation de sites... Citons le cas d’une entreprise de peausserie dans
l’Ain qui se livre à des pollutions involontaires mais répétées d’une rivière
et va ainsi faire l’objet de multiples contestations en justice. On voit plus
rarement les entreprises apparaître comme requérants, par exemple dans le
cas de contestation d’arrêtés préfectoraux réglementant les installations clas-
sées ou en contestation de PLU restreignant les constructions de bâtiments
de commerce dans les zones périurbaines, par exemple.
Les agriculteurs, enfin, sont parfois visés par des contestations dans le cadre
de leur activité quotidienne de production (bruits, odeurs des épandages,
passages sur les routes). Mais ils se voient surtout, et de plus en plus souvent,
attaqués pour leurs pratiques agricoles (usage de produits phytosanitaires et
rejets de polluants comme les effluents porcins), si bien que l’image positive
attachée à leur métier tend à s’estomper devant les risques qu’ils feraient subir
aux populations en termes de sécurité alimentaire, notamment. Ils peuvent
également parfois contester certaines mesures qui entravent leur activité,
comme l’application de mesures de protection de la nature par exemple.
Des conflits peu violents... et d’anticipation
Les conflits d’usage de l’espace sont le plus souvent, en France, des conflits
d’anticipation. Contrairement à l’idée de l’aboutissement ultime d’un long
processus de gradation des oppositions et de dégradation des relations à
l’issue duquel tout ou partie des parties prenantes se résout finalement à
entrer en lutte ouverte, il s’avère, en effet, que la grande majorité des conflits
survient, en France, avant même le déclenchement d’une action, et plus
généralement pour tenter d’empêcher la réalisation d’un projet. Plutôt que
d’assister à l’installation d’une infrastructure ou au changement d’usage
d’une parcelle, les acteurs locaux (le plus souvent des associations) préfèrent
prendre les devants et faire émerger le problème, devant la justice ou les
médias, avant le début du processus de construction ou de production et dès
son annonce, dans l’objectif d’empêcher sa concrétisation ou, à tout le moins,
d’y faire introduire des modifications explicites.
Ce résultat s’oppose également au principe selon lequel on pourrait aisément
résoudre, pacifier ou terminer les conflits en usant de compensations de type
monétaire ou hédonique, c’est-à-dire en trouvant une solution à la désutilité
provoquée par l’installation d’un immeuble ou par la destruction d’une
forêt par un dédommagement financier ou la plantation d’une autre parcelle
ailleurs. Les cas les plus frappants sont ceux des recours aux tribunaux
déposés à la suite de déclarations ou d’enquêtes d’utilité publique, ou encore
de l’intense activité de contestation des PLU. Les possibilités offertes par la
réglementation pour intervenir en amont d’un projet (débat public, enquête
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et réunion publiques, transparence des dossiers techniques) permettent de
détecter, voire de désamorcer un bon nombre de conflits. Mais elles s’avèrent
également des outils mobilisés par les groupes sociaux pour s’insérer dans
le débat et justifier leur réclamation de façon déterminée. L’importance de
ce type d’intervention laisse à penser que la conflictualité peut apparaître
aujourd’hui comme partie intégrante du débat et du processus de décision
publique, en particulier en matière de projets de développement (Pham et al.,
2013).
Cette caractéristique, que l’on ne retrouve pas dans les pays en voie de déve-
loppement, est liée au fort degré d’information, d’éducation et de conscience
de la population, ainsi qu’aux propriétés d’apprentissage des processus
conflictuels (Magsi, Torre, 2014). La multiplication des sources d’infor-
mation, des enquêtes publiques, des documents disponibles dans les mairies,
des cahiers de doléances et des réunions publiques permet de diffuser une
information quant aux projets prévus et à leurs spécificités en matière d’amé-
nagement ou de risques et nuisances potentiels. Par ailleurs, les opposants
possèdent souvent un niveau d’éducation conséquent et des réseaux de rela-
tions développés, et peuvent ainsi mobiliser des ressources intellectuelles et
sociales dans la lutte. Enfin, ils tirent avantage des expériences passées et
sont conscients à ce titre qu’il est important d’attaquer rapidement les projets
et d’éviter leur lancement par des actions en justice, en particulier auprès des
tribunaux administratifs, car les actions en réparation s’avèrent généralement
beaucoup moins satisfaisantes et plus aléatoires.
Le rôle des conflits dans les processus de
développement
Après la présentation des principaux résultats issus de cette démarche de
recherche appliquée, venons-en aux caractéristiques mêmes des conflits
d’usage de l’espace et à leur rôle dans les dynamiques économiques et
sociales. Un certain nombre d’invariants ressort de nos recherches, que l’on
peut mettre en relation avec les processus de gouvernance et de dévelop-
pement des territoires. Les conflits rencontrés participent en effet de la vie
des territoires et contribuent à la fois à leur construction et à la définition
des chemins de développement (Torre, 2015), et pour cela ils vont parfois
poser des obstacles à la réalisation de projets voulus par des grands décideurs
publics ou privés.
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
Conflits et prise de parole
Quand on extrapole au cas des relations territoriales les solutions présentées
par Hirschman (1970) en cas de désaccord entre acteurs, il apparaît que les
parties prenantes indisposées par les décisions prises dans leur environne-
ment ou qui s’estiment lésées par des choix qui ne leur conviennent pas,
peuvent choisir trois comportements distincts, correspondant à autant de
voies d’expression de leur différend :
la loyauté consiste à accepter la décision prise et à « jouer le jeu » en
silence. C’est l’acceptation des décisions en cours, par une participation
aux dynamiques et aux projets mis en place, ainsi que par l’absence
d’opposition publique ou l’attente d’une sanction par un passage ultérieur
par les urnes ;
l’exit revient à voter avec les pieds (Tiebout, 1956) ou à la sortie du jeu. Il
va sans dire que cette solution n’est pas toujours praticable ; par exemple,
pour des raisons de coûts ou de prix du foncier. Ainsi, il est difficile
de revendre à un bon prix des terrains pollués comme le montre le cas
des usines Métaleurop dans le Nord pas de Calais (Letombe, Zuindeau,
2006) ;
la prise de parole, ou voice, consiste à s’opposer, de manière légale ou
illégale, à la décision prise et à la contester en prenant publiquement la
parole.
Parmi ces solutions caractérisant différentes voies de management des pro-
cessus de gouvernance, en situation de dissension ou de désaccord sur les
processus de développement territorial (Beuret, Cadoret, 2010 ; Torre, Beu-
ret, 2012), c’est la troisième qui nous intéresse ici. Les conflits se présentent,
en effet, comme une expression du voice, de la prise de parole, quand tout
ou partie de la population est insatisfaite des décisions ou des projets, se sent
négligée dans les négociations ou ne trouve pas de représentation dans les
structures de gouvernance.
Le voice peut prendre une expression individuelle, qui est plutôt réservée
aux petits conflits, ou une expression collective, avec alors un élargissement
de l’espace de concernement et la mobilisation contre des projets de taille
importante ou impliquant une reconfiguration forte des modalités locales de
gouvernance (Dowding et al., 2000). Dans ce cas, l’opposition est souvent
dirigée vers les pouvoirs publics, dans l’objectif de remettre en question leurs
décisions et d’influencer le processus de gouvernance (Martinais, 2015). Le
but est soit de faire renoncer la partie adverse à des projets prévus ou en
cours, soit d’infléchir la décision et d’y incorporer une partie des arguments
et des attentes des opposants, soit, encore, de modifier la composition des
parties prenantes de la décision et d’y intégrer les acteurs qui s’opposent.
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L’impact de la conflitualité, qui peut être considérable, est le plus souvent lié
à l’ampleur du conflit et à la mobilisation des personnes. Dans tous les cas,
les conflits permettent de maintenir les interactions entre les groupes et les
parties prenantes, y compris durant les phases d’opposition les plus tendues,
et évitent la rupture du dialogue.
Conflits et innovation : la double relation
Les conflits sont très fortement liés aux processus d’innovation, du moins
si l’on retient une acception de cette dernière qui ne se limite pas à la
seule technologie et intègre des dimensions organisationnelles, sociales et
institutionnelles (Klein et al., 2014), en lui rendant sa fonction de nouveauté
économique ou sociale. L’association conflits-innovation est double :
d’une part, les conflits constituent de bons indicateurs des innovations, ou
plutôt de la résistance à l’innovation et au changement ;
d’autre part, les périodes de conflictualité correspondent à des phases de
changement, pendant lesquelles s’élaborent de nouvelles innovations et
sont bousculés les équilibres passés.
Les projets de territoires, ou dans les territoires, apportent de la nouveauté,
des innovations, sociales, techniques, économiques. Il peut s’agir d’un nou-
veau tracé de route, d’une usine, de la construction d’un parc de loisir, de
l’édification de bureaux ou d’habitations, ou encore de la définition de zones
constructibles ou réservées à la nature dans le cadre d’un plan local d’aména-
gement. Ces nouveautés peuvent provoquer des résistances, cristalliser des
oppositions, plus ou moins fondées, voire donner naissance à des conflits en
cas d’engagement des opposants. Des changements importants, comme la
construction d’un grand aéroport, d’une centrale nucléaire, un changement
drastique d’usage des sols, donnent le plus souvent naissance à des conflits
longs et importants, en raison de leur extension spatiale et surtout sociale,
à base d’enrôlement de nouveaux opposants, parfois localisés bien loin des
lieux de l’affrontement.
Mais le conflit est également une source d’innovation. Pendant son dérou-
lement, les interactions, les discussions et les oppositions, le brassage qu’il
provoque, entraînent des changements importants. En termes de gouver-
nance, c’est le moment de l’apparition de nouveaux acteurs ou groupes,
y compris dans les tours de table, de la réintégration de parties prenantes
oubliées ou lésées dans une phase antérieure d’élaboration des projets, ainsi
que de la mise en place de nouvelles hiérarchies, qui renversent ou modifient
l’ordre précédent. En termes techniques, la discussion et les échanges font
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
émerger de nouvelles solutions innovantes : nouveaux tracés de routes, nou-
velles techniques de méthanisation, nouvelles modalités de gestion de l’eau,
changements d’usages des sols...
Les phases conflictuelles sont ainsi marquées par des recompositions sociales
ou de groupes d’intérêts, ainsi que par des changements de nature technique
ou juridique : on peut tester de nouvelles alliances, défendre des positions et
confronter des points de vue, ainsi que rectifier la liste des parties prenantes
et/ou de leurs représentants à la table des négociations. Parfois, elles sont
également occupées à s’opposer à la prise de contrôle ou à la maîtrise éven-
tuelle d’un groupe ou d’une personne sur le processus en cours, ou à écarter
un groupe dominant au début du processus au profit de groupes émergents ou
de recomposition d’alliances. Après le conflit, restent les nouveaux accords
au niveau local, les nouveaux modes de gouvernance, les nouvelles configu-
rations des tours de tables, ainsi que les actes techniques (changements de
tracés des routes, aménagements paysagers ou techniques, modifications des
Plans d’occupation des sols...), qui résultent des négociations précédentes.
Les conflits et leur impact sur la gouvernance et le
développement des territoires
Contrairement à certains pays émergents, en France, les conflits d’usage ne
sont que rarement destructeurs ou ultra-violents. Au contraire, ils reflètent
généralement des oppositions entre des personnes qui partagent un objectif
de développement ou un projet commun, qui acceptent ou désirent vivre
ensemble au sein d’un même territoire mais sont en désaccord quant aux
moyens et techniques pour y parvenir. Motivés par un faisceau complexe
de causes de nature sociale, économique et technique, qui vont de la diver-
gence sur l’utilisation d’un espace aux processus d’exclusion spatiale, en
passant par les débats concernant des normes ou choix technologiques, ils
manifestent la possibilité d’un échange démocratique a minima et d’une
discussion ouverte sur les moyens ou les finalités mêmes (durable ou indus-
triel par exemple) d’un développement commun. De ce point de vue, il
n’est pas étonnant que la contestation des PLU ou des permis de construire
s’avère si importante, car elle donne corps et découle de choix divergents
d’aménagement et de développement des territoires.
Les conflits témoignent des réactions et des manifestations de différentes
natures que suscitent les innovations, des discussions autour de leur mise
en œuvre, de leur processus d’acceptabilité ou de leur refus éventuels suite
à la phase conflictuelle. Ils constituent un bon moyen de trier les bonnes
innovations territoriales et de les sélectionner, par un processus d’essai et
d’erreur (Argyris et Schon, 2001), et ainsi de tester des solutions et de les
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rejeter si elles sont jugées inappropriées par une partie importante de la
population. Les conflits sont en quelque sorte des laboratoires de la décision
et de l’acceptabilité (Pelletier, 2014). Quand sont lancés de nouveaux projets,
ils permettent de les tester :
dans certains cas, ils vont empêcher la réalisation de ceux-ci, s’ils s’avèrent
trop en décalage avec les attentes des populations ;
dans d’autres, ils vont provoquer des changements et des modifications,
afin de rendre les projets acceptables, et donc de leur permettre d’être
réalisés, même si c’est sous une forme modifiée.
De manière générale, l’opposition de fond porte sur la question : « quels
espaces, et donc quels territoires, désirons-nous pour demain ? ». Ainsi, les
conflits ne sont pas des phases de rupture avec le processus de gouvernance,
mais font partie intégrante de ce dernier, étapes d’opposition, qui viennent
s’intercaler et compléter des moments plus consensuels et coopératifs. À
ce titre, ils participent de la gouvernance des territoires, et ne peuvent être
fondamentalement conçus sans référence aux phases et aux structures de
négociation ou de concertation, mais plutôt en association et en complément
de ces dernières (voir aussi Glazer, Konrad, 2005 ; Benasayag, del Rey,
2007, ou Bobbio, Melé, 2015). Scandant les étapes de développement, ils
marquent les périodes d’avancées fortes et d’innovation — et donnent ainsi
lieu à des oppositions importantes — comme les phases de blocage et de
ralentissement, qui peuvent aussi bien conduire à l’atonie qu’à de nouveaux
élans.
Conclusion
Quelle place occupent les conflits d’usage dans le processus de gouvernance
et de développement ? Pourquoi ne pas chercher systématiquement à les
supprimer ou à les éradiquer ? La réponse apportée par nos recherches est
extrêmement claire. Ces conflits constituent une forme de résistance et d’ex-
pression des oppositions d’une partie de la population locale à des décisions
des pouvoirs publics ou d’opérateurs privés qui la laissent insatisfaite. Alter-
natifs au vote avec les pieds, ils maintiennent l’échange et le dialogue, y
compris durant les phases d’opposition les plus tendues, tout en permettant
de faire le tri dans les innovations territoriales et de ne retenir que celles qui
sont compatibles avec les volontés des populations. À ce titre, ils font partie
intégrante des processus de gouvernance ou d’aménagement des territoires,
et participent de l’action publique.
On a tendance à opposer relations conflictuelles et relations de coopérations,
qui seraient antinomiques, les premières ayant pour effet de séparer les
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Les conflits d’usage et de voisinage de l’espace
habitants des territoires, alors que les secondes présenteraient la vertu de
les rapprocher et de leur permettre de fonctionner ensemble. Du coup, les
mécanismes formels de gouvernance et de développement des territoires,
fondés sur des principes de coopération, n’accordent généralement qu’une
place réduite à l’expression vive des oppositions. Il importe de modifier cette
vision négative des conflits. Loin des accusations de nymbisme systématique,
ils reposent sur des causes tangibles et recèlent parfois un réel intérêt en
termes de dynamique territoriale. Les conflits au sein des espaces ruraux
ou périurbains sont avant tout révélateurs des évolutions profondes des
territoires, ainsi que de la difficulté de mise en œuvre de processus de
coordination impliquant des acteurs aux intérêts et projets souvent différents.
Aujourd’hui, les contours de la conflictualité dans les zones rurales et péri-
urbaines révèlent des changements socio-économiques et de mentalité des
populations, qui apparaissent moins réceptives à l’autorité des argumenta-
tions techniques ou à l’expression d’un intérêt général, et manifestent une
demande croissante à être impliquées de manière précoce dans les choix
de développement. Rarement violents ou éruptifs, les conflits d’usage de
l’espace apparaissent comme une prise de parole des opposants, qui permet
de maintenir les interactions sans entraîner de rupture du dialogue entre les
parties adverses. Solidarisant les oppositions, ils contribuent à la constitution
de réseaux de personnes autour de questions ou d’intérêts communs, main-
tiennent la communication et préservent, sauf cas extrêmes, l’avenir et la vie
en communauté. Enfin, ces conflits constituent un rempart contre l’atonie
sociale et protègent souvent, par leur expression, du danger d’explosions
plus profondes ou de fuite vers des territoires jugés plus accueillants.
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26 Information géographique n°4 - 2016
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... Dans la même perspective, les démarches participatives, érigées en programme politique à des échelles politiques variées, appellent à̀ la prise en compte de l'avis du plus grand nombre pour tendre vers une plus grande acceptabilité sociale des projets, fantasmés comme de nouveaux biens communs. Cette recherche du consensus et du partenariat est, paradoxalement, concomitante à un accroissement de la visibilité (et du nombre ?) des conflits relatifs à l'usage et au partage de l'espace et des ressources (Grannec et al., 2017 ;Torre et al., 2016). À̀ l'échelle des quartiers comme à celle des États, au-delà des luttes transversales de classes ou identitaires, ce sont des champs des possibles, des finalités vers lesquelles tendre, qui s'affrontent et se négocient dans ces conflits territoriaux. ...
Article
Depuis 1970, en France, des centaines de projets d’aménagement écocidaires portés par l’État, des collectivités et/ou des acteurs privés ont été abandonnés suite à des mobilisations locales. L’objectif de cet article est de décrire la morphologie de ces victoires écologistes territorialisées. Pour cela une base de données des mobilisations considérées réussies par les militant·es écologistes a été constituée à partir de la presse, d’archives et d’entretien. Son analyse montre que la plupart des mobilisations remportées par les militant·es s’opposaient à de “petits projets inutiles” (plutôt qu’à de grandes infrastructures) et ont nécessité une grande diversité de tactiques, des plus légalistes au plus contestataires. L’histoire de ces victoires remet en cause l’idée d’un reflux des mobilisations écologistes dans les années 1990 et permet de comprendre leurs effets sur la structuration d’un mouvement social large. L’article s’interroge finalement sur la notion même de victoire, ses effets et le devenir des militant·es une fois la cause gagnée.
Article
L’artificialisation des sols, objet sociotechnique à la définition floue, est devenue un objet juridique à travers une succession de dispositifs législatifs dont la loi Climat et Résilience de 2021. Après une rétrospective sur la formalisation de cette notion depuis 1982, une analyse de la presse française révèle que le nombre d’articles en rapport est en forte augmentation et que les registres lexicaux correspondent à des représentations protéiformes incluant notamment le changement climatique, la biodiversité, la gouvernance ou les projets urbains. La presse nationale et régionale produit et diffuse des informations d’ordre juridique, environnemental, sociétal et conflictuel sur ce paradigme désormais affirmé de l’urbanisme. Les lieux cités dans la presse du Nord de la France tend à démontrer que l’artificialisation des sols est employée à la fois dans les centres urbains les plus importants, leurs périphéries et les zones moins denses et plus agricoles, notamment lors de risques environnementaux majeurs.
Article
En mobilisant deux terrains d’observation participante de longue durée en Ariège et dans le Massif central, cet article traite des trajectoires d’installation des populations néo-rurales dans les campagnes françaises et des dynamiques de pouvoir par lesquelles elles sont traversées. Nous documentons les stratégies de légitimation que les néo-ruraux déploient, pour s’intégrer, notamment à travers la mobilisation d’un capital social diversifié, la démonstration d’une valeur travail et d’une filiation d’usage avec la paysannerie traditionnelle locale. Nous démontrons que, malgré leurs efforts, les néo-ruraux rencontrés se situent dans un rapport de force peu favorable, dont les composantes identitaires et économiques se cristallisent lors de certains événements conflictuels. En intégrant dans notre analyse les jeux d’acteurs entre « néo’ », « locaux » et propriétaires des résidences secondaires, nous nuançons l’importance du capital d’autochtonie dans leur intégration sur le long terme en montrant comment interviennent les relations de pouvoir basées sur des logiques de classe et de genre dans ces installations.
Article
The theoretical framework of public problem remains quite discreet in geography, even though it is very classical in sociology and political science. Yet it seems useful to analyse conflictual situations regarding space, its sharing and its planning, as well as their (non-)resolution by public policies. The paper proposes to build on this framework to study a problem lasting for over a century: the deprivatization of the shores of Lake Geneva (Switzerland/France) and Lake Annecy (France). The paper reconstitutes the slow and difficult construction of the public problem and then analyses the strategies used to activate or circumvent the existing political rules. Drawing on this case study, we emphasize on the non-linearity of the construction and resolution of the problem and invite to shift the focus on the multiple retroactions between the early (framing, publicization) and late (agenda setting, public policies) stages of the classical model.
Article
Dans cet article, nous questionnons l’évolution des conflits d’usage liés à la gestion des ressources et des espaces forestiers à l’heure de la transition énergétique. Utilisant les outils de l’économie patrimoniale, nous mettons l’accent sur les stratégies d’acteurs qui sous-tendent ces dynamiques conflictuelles, leurs mutations et leurs modalités de régulation. Notre réflexion s’appuie sur l’étude empirique de deux territoires forestiers : La Tuque, au Québec, et le massif des Landes de Gascogne, en France. La description historicisée de ces systèmes productifs et territoriaux montre d’abord que les frictions véhiculées par la transition énergétique tiennent tout autant à l’arrivée de nouveaux acteurs qu’au réveil de tensions entre usagers historiques. Nous soulignons aussi le pouvoir de régulation acquis par certains de ces usagers historiques. Cela nous amène à considérer que, si la transition énergétique renforce l’influence des logiques d’usages marchands de la ressource dans les choix de gestion forestière, tous les acteurs ne sont pas habilités à promouvoir ces nouvelles trajectoires.
Article
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Depuis quelques années, la gestion des forêts françaises fait l’objet de critiques environnementales et sociales au point de déclencher des enquêtes parlementaires. Cette augmentation de la conflictualité reste cependant à confirmer tant l’histoire des forêts françaises est émaillée de controverses. Assumant une perspective sociohistorique et interprétative, nous faisons l’hypothèse que certaines tensions et certains facteurs explicatifs traversent le temps sans pour autant être reproduits à l’identique. Cette grille de lecture met en lumière l’influence contemporaine de l’écologisation partielle de la gestion forestière, ainsi que des modes de socialisation plus distanciés des acteurs et usagers de la forêt, d’une gouvernance inachevée et d’une confiance très relative dans les autorités épistémiques. Pour tenter d’atténuer ces conflits, qui apparaissent autant comme des troubles de l’ordre social que des occasions de régulation, les forestiers sont partagés entre trois types de solutions très différentes : tenter de faire accepter les méthodes de gestion, améliorer la communication, changer les méthodes de sylviculture.
Article
Local planning conflicts bring a new perspective to territorial public action. The paper explores the Italian case and more specifically the planning conflict generated by the Fiumicino Airport expansion project, and is focused on the role of institutional scale articulations between local/regional/national levels in the dynamics of these conflicts. Beyond the diffusion of the territorial conflicts in Italy, this example highlights the ambiguous role of the local level in its relationships with the other levels (the Region and more especially the State). The local level is both a central one, for its proximity with the mobilization of the residents, and a weak one, confronted to the return of the State to the front of the stage. Local mobilizations, using complex and contradictory institutional temporalities, appear to be an opportunity for a resourcing of the territorial public action and have contributed to the evolution of the infrastructure project.
Article
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The conflict as way of participation. The example of local communities faced to technological risk prevention plans This article presents a research on protest movements of local communities who consider to be affected in their property and participatory rights by the French industrial risks policy. It focuses more precisely on about fifty local residents’ associations which fight since 2010 against the implementation of technological risk prevention plans (PPRT). The PPRT is a specific French prevention measure created after the Toulouse (F) industrial accident (2001) which modified the approach to land-use planning around the main dangerous facilities such as chemical factories or refineries. The observation of the huge protest movement caused by those PPRT shows that conflicts can be considered as a way to participate to the public policy implementation, especially when local residents are not clearly invited to collaborate with authorities.
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Nombreuses, novatrices et souvent pertinentes, ces initiatives méritent d’être mieux reconnues afin de créer plus de synergies entre la gestion territoriale de l’environnement et les pouvoirs publics. Dialogues entre agriculteurs et ostréiculteurs au sujet de la qualité de l’eau, débats autour de la gestion d’un espace naturel ou de l’aménagement d’un quartier : les auteurs s’appuient sur trois cents projets menés en France pour dresser un portrait aux mille visages de la concertation territoriale. Ils montrent comment ces initiatives multiformes instaurent une véritable culture de la concertation indispensable à la dynamique des territoires et introduisent une nouvelle façon de vivre la participation démocratique. Mettant en perspective ces différents projets, ils établissent ensuite un ensemble de propositions pour que démocratie participative et démocratie représentative se complètent plus harmonieusement.
Article
The notion of territorial development, although quite new, has to be proved more or less independent from national or regional ones. If one wants to settle territorial policies, or provide recommendations to local actors or various stakeholders, it is crucial to define the basis of this concept and to set up its content, its validity and its legitimacy. This is the rationale of this article. First, we outline the theoretical path from regional development theories to territorial development approaches, and then we establish the foundations of the notion of territorial development, linked with territorial innovation. We end up with an illustration of the process of territorial development, and we emphasize bifurcations and trajectories breakthroughs stemmed from co-operative or conflictual innovations.
Book
Les processus de décentralisation, de dévolution et de fédéralisation se poursuivent partout en Europe. La France " une et indivisible ", façonnée par le centralisme jacobin, n'échappe pas à cette évolution, sous l'effet conjugué de la réforme de l'État, du regain des identités territoriales et de la part croissante des régions et des métropoles dans le développement économique. Cet ouvrage propose une nouvelle sociologie du fait régional à partir des notions clés de pouvoir, de mobilisations sociales, de coalitions, de jeux multi-niveaux ou d'instruments de gouvernement. Il analyse les mutations de la gouvernance publique à l'échelle des territoires, auxquels la mondialisation et l'intégration européenne fournissent de nouvelles ressources politiques. Il offre enfin une perspective inédite sur la France contemporaine, celle d'une nation différenciée, composite, où les acteurs locaux jouent un rôle grandissant dans la régulation publique ; où le pouvoir régional redessine la figure d'une République à la croisée des chemins. Une synthèse attendue, qui s'adresse autant aux étudiants et enseignants qu'aux lobbyistes, fonctionnaires territoriaux et organismes de formation.
Article
The paradoxical relationships between conflict and participation Participation is paradoxically accused by some to curb conflicts and by others to promote their development. This introductory article, based on our lecture of the literature and on the presentation of the texts collected in this issue, addresses this topic both in analytical and in normative terms. One may ask, not only whether the institutional participatory processes have the effect of channeling or strengthening conflict, but also, at a normative level, whether the conflict should never be avoided or appeased and thus whether the positions that, explicitly or implicitly, support conflict against participation make sense. Beyond the opposition between the two terms, we find that it is possible to empirically observe all possible combinations of struggle and participation with very different effects and we call for research onto the local debate on public projects that is able to analyze with the same care the collective mobilization processes and the institutional participation devices.