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Mod´elisation des comportements complexes des ´etudiants et de
l’enseignant pendant un cours
M. Dobrijevic1
1Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux, Univ. Bordeaux, CNRS, B18N, all´ee
Geoffroy Saint-Hilaire, 33615 Pessac, France. Email : michel.dobrijevic@u-bordeaux.fr
R´esum´e
J’ai remarqu´e pendant mes nombreuses ann´ees d’enseignement `a l’universit´e que le bruit
ambiant pendant un cours n’´evoluait pas de mani`ere compl`etement al´eatoire. En effet, des
comportements remarquables apparaissent parfois. Il arrive notamment que le bruit ambiant
qui devenait gˆenant s’arrˆete brusquement sans que j’intervienne consciemment pour l’arrˆeter,
puis, que le silence ainsi retrouv´e perdure pendant un certain temps avant que le bruit ne
finisse par reprendre vie. Afin de comprendre ce comportement, je pr´esente dans cet ar-
ticle un mod`ele qui simule l’interaction entre les ´etudiants et un enseignant lors d’un cours.
Les r´esultats semblent bien correspondre `a mon exp´erience d’enseignant mais il serait tr`es
int´eressant de mettre le mod`ele `a l’´epreuve par des donn´ees prises pendant des cours.
1 Introduction
J’ai remarqu´e, `a de nombreuses reprises, pendant mes cours de Travaux Dirig´es (salle de 20-40
´etudiants) et, parfois, pendant mes cours en amphith´eˆatre (80-150 ´etudiants) que le bruit ambiant
a une ´evolution singuli`ere. Bien ´evidemment, il est corr´el´e avec la mani`ere dont j’interagis avec les
´etudiants, mais parfois le bruit ambiant chute brutalement et un calme complet perdure pendant
quelques instants 1. J’ai souvent utilis´e cette exp´erience pour montrer `a mes ´etudiants que ce
qu’ils sont en train de vivre, et qu’ils vivent probablement dans d’autres cours, est un exemple
de la c´el`ebre maxime ”le tout est plus que la somme de ses parties”, allant jusqu’`a leur expliquer
que ”la complexit´e nait entre l’ordre et le chaos”. Cet interm`ede n’a, tr`es souvent, aucun rapport
avec les cours que je donne, mais c’est un moyen de leur faire d´ecouvrir les syst`emes dynamiques,
omnipr´esents dans la Nature, et de capter leur attention...
Je me suis souvent dis qu’il serait int´eressant de faire un mod`ele de l’interaction entre les
´etudiants et l’enseignant pour voir s’il est possible de pr´edire ce comportement singulier `a l’aide
de consid´erations simples. Voil`a qui est fait ! Dans le premier paragraphe, je pr´esente le mod`ele et
quelques r´esultats sont comment´es dans le paragraphe suivant. Cet article finit par une discussion
sur quelques param`etres du mod`ele et son domaine de validit´e.
2 Model
Il s’agit d’´etudier l’´evolution du bruit ambiant en fonction du temps dans une classe compos´ee
d’un groupe d’´etudiants et d’un enseignant. Nous distinguons deux variables du syst`eme ainsi
d´efinit : le bruit ambiant, not´e B(t), et le niveau d’interaction de l’enseignant avec sa classe, not´e
1. Si moi-mˆeme j’arrˆete de parler `a ce moment, le silence du groupe ne dure pas plus qu’une dizaine de secondes,
l’absence de bruit semble difficilement tenable pour certains ´etudiants.
1
P(t).
En simplifiant le syst`eme (`a la mani`ere d’un physicien par exemple), le probl`eme se ram`ene
`a la r´esolution de deux ´equations diff´erentielles coupl´ees que je pr´esente ci-dessous.
Consid´erons une classe o`u l’enseignant d´ecide de ne pas interagir avec ses ´etudiants. Ces derniers
vont naturellement discuter et le bruit ambiant va augmenter avec un taux d’augmentation a.
On consid`ere celui-ci comme constant et positif. On fait aussi l’hypoth`ese que les ´etudiants ne se
fatiguent pas 2, le niveau de bruit augmente de mani`ere exponentielle si l’enseignant n’interagit
pas et on a donc l’´equation :
dB(t)
dt =a×B(t) (1)
A l’oppos´e, si l’enseignant est face `a une classe compl`etement apathique, son niveau d’interaction
va indubitablement diminuer avec le temps 3. Si on note cle taux d’interaction, que l’on consid`ere
constant et positif, on a de la mˆeme mani`ere que pr´ec´edemment :
dP (t)
dt =−c×P(t) (2)
Dans une classe, les ´etudiants ne sont jamais compl`etement apathiques et l’enseignant jamais
compl`etement r´esign´e 4, si bien que les deux ´el´ements de ce syst`eme dynamique (le groupe
d’´etudiants et l’enseignant) sont en interaction constante. Dans un premier temps, le bruit am-
biant va avoir tendance `a diminuer et le niveau d’interaction de l’enseignant avec ses ´etudiants
augmenter, puis ´evoluer de mani`ere plus complexe.
On consid`ere maintenant que le taux de diminution du bruit est proportionnel au niveau d’in-
teraction de l’enseignant. L’´equation 1 devient :
dB(t)
dt =a×B(t)−(b×B(t)) ×P(t) (3)
o`u best une constante positive.
De mˆeme, le taux d’augmentation de l’interaction de l’enseignant va ˆetre proportionnel au bruit
ambiant. L’´equation 4 devient :
dP (t)
dt =−c×P(t)+(d×P(t)) ×B(t) (4)
o`u dest une constante positive.
Finalement, il s’agit donc de r´esoudre un syst`eme de deux ´equations diff´erentielles non lin´eaires
coupl´ees que l’on peut ´ecrire :
dB
dt =aB −bBP (5)
dP
dt =−cP +dP B (6)
Il faut ensuite d´eterminer les constantes a,b,cet dainsi que les conditions initiales. Pour
r´esoudre ce syst`eme de deux ´equations diff´erentielles non lin´eaires coupl´ees, je me suis servi du
logiciel Maple18 qui pr´esente l’avantage d’utiliser des biblioth`eques num´eriques ´eprouv´ees et une
interface graphique adapt´ee `a la pr´esentation des r´esultats.
2. Un ´el`eve peut se fatiguer de trop parler ou d’´ecouter son voisin, mais le groupe dans son ensemble ne se
fatigue jamais...
3. et son moral, en prendre un coup... L’enseignant fait alors le minimum, c’est-`a-dire son cours.
4. Je n’ai jamais ´et´e confront´e `a cette situation !
2
3 R´esultats
3.1 Les conditions initiales
Quand les ´etudiants et l’enseignant rentrent dans la classe, il peut y avoir un petit moment de
flottement ou les bavardages sont faibles et l’interaction de l’enseignant avec les ´etudiants restreint
`a quelques-uns. On peut choisir des conditions initiales non nulles, par exemple B(t=0)=1.0
et P(t= 0) = 1.0. Qu’importe les valeurs des quantit´es dans l’absolu. Ce qui est important dans
cette ´etude, ce sont les valeurs relatives des deux variables B(t) et P(t) qui seront obtenues dans
les diff´erents cas ´etudi´es.
Il faut aussi d´efinir les constantes du probl`emes, c’est `a dire a,b,cet d. Je ne suis pas en
mesure pour l’instant d’´evaluer quantitativement ces constantes. L`a encore, on va s’int´eresser
aux valeurs relatives. Dans la suite, je distingue plusieurs cas sensiblement diff´erents les uns des
autres.
Enfin, il n’est pas n´ecessaire non plus de d´efinir quantitativement la base de temps. Seuls les
valeurs relatives des intervalles de temps et des p´eriodes nous int´eresserons ici.
Figure 1 – Cas d’une classe bruyante. Les valeurs des param`etres sont : a= 5.0, b= 1.0, c= 5.0,
d= 1.0, B(t= 0) = 1.0 et P(t= 0) = 1.0. Le niveau de bruit en fonction du temps test en
rouge et le niveau d’interaction de l’enseignant est en bleu.
3.2 Cas d’une classe bruyante
Commen¸cons par un premier cas extrˆeme d’une classe bruyante et d’un enseignant peu inter-
actif. Une valeur ”importante” de acorrespondra `a un ensemble d’´etudiants qui va avoir tendance
`a g´en´erer beaucoup de bruit dans la classe et pour une ”faible” valeur de b, ces ´etudiants ne seront
pas tr`es sensibles aux interactions de l’enseignant. De la mˆeme mani`ere, une valeur ”importante”
de cet une valeur ”faible” de dcorrespondront `a un enseignant qui de mani`ere naturelle interagit
difficilement avec ces ´etudiants et ne se pr´eoccupe pas trop du bruit ambiant.
Les r´esultats de l’´evolution coupl´ee de B(t) et P(t) sont repr´esent´es sur la figure 1. Comme
on peut le voir, l’enseignant se d´esint´eresse au d´epart de l’augmentation du bruit, mais quand ce
dernier atteint une valeur ”importante” (pour lui), l’enseignant entre enfin en action et quand
son niveau d’interaction atteint une certaine valeur, le bruit commence `a chuter, relativement
3
plus vite qu’il n’est mont´e. L’enseignant ´etant en retard de phase, son niveau d’interaction va
continuer d’augmenter, culminer puis diminuer plus lentement qu’il n’est mont´e. Le bruit dans
la classe tombe ensuite `a (presque) z´ero... Mais le cycle reprend et ce comportement se r´ep`ete de
mani`ere p´eriodique.
On peut repr´esenter ce r´esultat d’une autre mani`ere (voir la figure 2), en se pla¸cant dans
l’espace des phases, c’est-`a-dire en repr´esentant P(t) en fonction de B(t) (o`u l’inverse). Au cours
du temps, un point (B(t), P (t)) se d´eplace sur la courbe dans le sens inverse des aiguilles d’une
montre `a partir du point (1,1). On remarque l’´evolution p´eriodique du syst`eme et le couplage
entre les deux variables. Les intervalles de temps n’apparaissent pas sur une courbe de phase `a
moins de repr´esenter certains points en particulier comme c’est le cas ici. Dans la suite, je ne
pr´esenterai que l’´evolution temporelle de B(t) et P(t).
Figure 2 – Cas d’une classe bruyante (voir la figure pr´ec´edente pour les valeurs des pa-
ram`etres). Repr´esentation dans l’espace des phases. Les points correspondants au temps t=
0,0.5,0.7,0.8,0.9,1.0,1.5 sont donn´es en noir pour aider `a comprendre l’´evolution temporelle des
couples (B(t), P (t)) ; ils suivent le sens inverse des aiguilles d’une montre `a partir du point (1,1)
3.3 Cas d’une classe tr`es silencieuse
Continuons par un autre cas extrˆeme d’une classe naturellement silencieuse et d’un enseignant
qui interagit beaucoup avec ses ´etudiants. Une valeur ”faible” de acorrespondra `a un ensemble
d’´etudiants qui va avoir tendance `a faire peu de bruit dans la classe et pour une ”importante”
valeur de b, ces ´etudiants seront sensibles aux interactions de l’enseignant. De la mˆeme mani`ere,
une valeur ”faible” de cet une valeur ”importante” de dcorrespondront `a un enseignant qui de
mani`ere naturelle interagit beaucoup avec ces ´etudiants et se pr´eoccupe du bruit ambiant.
Les r´esultats de l’´evolution coupl´ee de B(t) et P(t) sont repr´esent´es sur la figure 3. Par
rapport au cas pr´ec´edent, on voit que le niveau de bruit est environ 13 fois moins important et la
p´eriode 6 fois plus longue ! Il y a donc beaucoup moins de bruit et des temps de calme beaucoup
plus longs que dans le cas pr´ec´edent.
Dans ce cas, comme dans le pr´ec´edent, on remarque que le bruit atteint une valeur maximale
puis chute plus vite qu’il n’est mont´e.
4
Figure 3 – Cas d’une classe tr`es silencieuse. Les valeurs des param`etres sont : a= 1.0, b= 5.0,
c= 1.0, d= 5.0, B(t= 0) = 1.0 et P(t= 0) = 1.0. Le niveau de bruit en fonction du temps test
en rouge et le niveau d’interaction de l’enseignant est en bleu.
3.4 Cas interm´ediaire
Regardons maintenant un cas interm´ediaire. Il y a un nombre infini de possibilit´es mais j’ai
essay´e de repr´esenter un cas qui ne semble pas caricatural. Les r´esultats de l’´evolution coupl´ee
de B(t) et P(t) sont repr´esent´es sur la figure 4. Par rapport aux 2 cas extrˆemes pr´ec´edents, on
remarque que l’´evolution du bruit est presque sinuso¨ıdal, qu’il y a beaucoup moins de pics de
bruit que dans le cas d’une classe bruyante mais que les intervalles de temps o`u la classe est
silencieuse sont bien plus courts que dans le cas d’une classe tr`es silencieuse.
Pour mieux comparer les trois cas pr´esent´es ci-dessus, j’ai repr´esent´e sur la figure 5 l’´evolution
du bruit avec les mˆemes ´echelles de temps et de bruit. Cela permet de noter les diff´erences sur
l’intensit´e des pics de bruit et sur le nombre de pics de bruit dans un mˆeme intervalle de temps.
On remarque aussi, que le silence n’est jamais atteint dans le cas extrˆeme bruyant.
4 Discussion/Conclusion
Dans le mod`ele, je n’ai pas donn´e la signification du terme ”interaction”. Celle-ci peut prendre
de nombreuses formes qui va de la franche r´eprimande `a la plus ou moins subtile histoire hors
propos pour capter l’attention des ´etudiants, en passant par toutes les explications n´ecessaires `a
la compr´ehension des propos d´evelopp´es pendant le cours. Pour le mod`ele, qu’importe la mani`ere
choisie par l’enseignant, tant que cela reste raisonnable, le r´esultat sera qualitativement `a peu
pr`es le mˆeme. Le bruit aussi peut prendre plusieurs formes, entre bavardage entre voisins et une
suite de questions-r´eponses avec l’enseignant. Dans tous les cas, l’enseignant changera tˆot ou tard
de comportement et le niveau de bruit ne sera plus le mˆeme. Il arrive notamment assez souvent
que les ´etudiants profitent d’une discussion entre un ´etudiant et l’enseignant pour bavarder. Le
bruit monte alors tr`es vite et le niveau d’interaction de l’enseignant doit vite augmenter pour
recadrer le groupe. Ce comportement s’observe dans les r´esultats du mod`ele.
Les r´esultats du mod`ele semblent correspondre `a mon exp´erience d’enseignant, notamment
en ce qui concerne les chutes rapides du bruit et leur reprise lente. Le mod`ele pr´edit aussi un
5
Figure 4 – Cas interm´ediaire. Les valeurs des param`etres sont : a= 2.5, b= 5.5, c= 1.0,
d= 1.0, B(t= 0) = 1.0 et P(t= 0) = 1.0. Le niveau de bruit en fonction du temps test en
rouge et le niveau d’interaction de l’enseignant est en bleu.
comportement p´eriodique qu’il m’est difficile de confirmer sans faire des mesures pr´ecises. Je
peux confirmer cependant qu’il peut y avoir plusieurs pics de bruit pendant un mˆeme TD...
Certains ´etudiants s’amusent `a raconter qu’ils ont connu des classes de TD o`u le bruit ´etait
important et constant. J’ai moi-mˆeme exp´eriment´e un amphi de m´edecine 5o`u le bazar (il ne
s’agissait plus seulement de bruit) ´etait ´elev´e et semblait perdurer ind´efiniment. Le mod`ele pro-
pos´e ici ne fonctionne que lorsqu’il y a effectivement interaction entre les ´etudiants et l’ensei-
gnant. Si ce dernier continue `a parler, ind´ependamment de ce qui se passe dans la salle et sans se
pr´eoccuper si on l’entend, le mod`ele propos´e n’est ´evidemment plus adapt´e. De la mˆeme mani`ere,
si l’enseignant ne supporte aucun bruit et dirige sa classe comme une troupe militaire, il n’y aura
effectivement aucun bruit. On ne peut pas parler l`a non plus d’interaction ´etudiants-enseignant
et le mod`ele n’est pas adapt´e. Ainsi, le comportement complexe pr´esent´e ici n’apparait que dans
une classe vivante entre l’ordre et le chaos. On remarquera, qu’individuellement aucun ´etudiant
seul dans une classe ne serait responsable d’une courbe de bruit en fonction du temps comparable
`a celles d´eduites du mod`ele. Le tout (les ´etudiants et l’enseignant en interaction) sont plus que
la somme de ces individualit´es.
Il est important pour bien identifier le comportement pr´edit par ce mod`ele que l’enseignant
et les ´etudiants interagissent librement sans connaˆıtre le mod`ele et forcer l’´evolution du bruit ou
du niveau d’interaction en fonction du temps. La p´eriodicit´e pr´edite par le mod`ele notamment
ne pourra pas ˆetre maintenue dans le cas contraire.
Enfin, certaines personnes auront tr`es probablement reconnues les c´el`ebres ´equations de
Lotka-Volterra utilis´ees pour d´ecrire la dynamique de syst`emes biologiques, que l’on appelle
aussi le ”mod`ele proie-pr´edateur”, qui prennent exactement la mˆeme forme. Ces ´equations si-
mulent en effet l’´evolution de deux populations en interaction : les proies et leurs pr´edateurs.
Les personnes qui d´esirent en savoir plus sur ce syst`eme d’´equations diff´erentielles non-lin´eaires
coupl´ees du premier ordre peuvent lire l’abondante litt´erature relative `a ce sujet.
5. Je n’avais rien `a y faire d’autre que voir et entendre par moi-mˆeme ce que me racontaient des amis en 1`ere
ann´ee.
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Figure 5 – Evolution du bruit dans trois classes diff´erentes en fonction du temps. En rouge :
a= 4.0, b= 1.0, c= 4.0, d= 1.0. En noir : a= 1.0, b= 4.0, c= 1.0, d= 4.0. En bleu : Les
valeurs des param`etres sont : a= 2.5, b= 5.5, c= 1.0, d= 1.0. Pour ces trois cas, les conditions
initiales sont les mˆemes : B(t= 0) = 1.0 et P(t= 0) = 1.0.
Il reste `a chacun d’entre vous d’exp´erimenter ces comportements dans vos classes, que vous
soyez ´etudiants ou enseignants !
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