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13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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LES EMOTIONS PARTAGEES LORS D’UNE EXPERIENCE COLLECTIVE DE
CONSOMMATION : UNE APPROCHE SOCIOCULTURELLE DU HADRA TRANCE
FESTIVAL
Nico DIDRY
Doctorant / Enseignant SUAPS
Univ. Grenoble Alpes
CERAG – UMR 5820
nico@didry.net
Jean-luc GIANNELLONI
Professeur
Univ. Grenoble Alpes, IAE
CERAG – UMR 5820
jean-luc.giannelloni@iae-grenoble.fr
LES EMOTIONS PARTAGEES LORS D’UNE EXPERIENCE COLLECTIVE DE
CONSOMMATION : UNE APPROCHE SOCIOCULTURELLE DU HADRA TRANCE
FESTIVAL
RESUME : Cette communication vise à la fois à clarifier le concept d’émotions
collectives, lorsqu’elles sont vécues et partagées lors d’une expérience de consommation, et à
décrire leur processus de construction. A partir d‘une approche ethnomarketing du Hadra
Trance Festival, ce travail met en avant le rôle premier que joue la contagion émotionnelle
dans le vécu de l’expérience de consommation, et permet aussi d’identifier les médias et
moyens mis en place par les festivaliers pour développer ces interactions sociales.
MOTS CLES : émotions collectives, contagion émotionnelle, ethnomarketing,
expérience de consommation, communauté, festival, trance.
SHARED EMOTIONS IN A COLLECTIVE CONSUMPTION EXPERIENCE: A SOCIO-
CULTURAL APPROACH OF THE HADRA TRANCE FESTIVAL.
ABSTRACT: This paper aims both to clarify the concept of collective emotions, when
experienced and shared during a consumption experience, and to describe their construction
process. Using an ethnomarketing approach to analyze the Hadra Trance Festival, this
research emphasizes the leading role played by emotional contagion in the lived experience
of consumption, and also identifies the media and means implemented by the festival
consumers to develop there social interactions.
KEY WORDS: collective emotions, emotional contagion, ethnomarketing, consumption
experience, community, festival, trance music.
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
2
INTRODUCTION
Ressentir une émotion, l’exprimer
dans un contexte collectif en même temps
que d’autres, la partager volontairement
ou involontairement, ou bien simplement
recevoir les émotions des autres, tels sont
des phénomènes que les individus et
groupes rencontrent et vivent
régulièrement notamment lors de concerts,
événements sportifs, meetings politiques,
etc.
Photo n°1 : Expressions lors du Hadra Trance Festival 2013 (source Hadra)
Depuis les travaux fondateurs de
Durkheim (1912) et Le Bon (1963), les
chercheurs en sociologie ont toujours été
intrigués par les émotions collectives.
Néanmoins, même si les émotions
collectives ont joué un rôle important dans
de nombreux domaines, les recherches sur
le sujet n’ont pas suivi le rythme de celles
consacrées aux émotions individuelles.
Malgré le développement récent d’un
corpus de recherches sur les émotions
collectives en sociologie, psychologie
sociale et en management, les analyses
conceptuelles sur la définition des
émotions collectives et sur les méthodes
d’investigation à mettre en place sont rares
(Von Scheve et Ismer, 2013). Dans le
champ du comportement du
consommateur, le partage des émotions
est absent de la littérature, alors que ces
dernières sont intégrées comme variables
explicatives du comportement du
consommateur depuis les travaux de
Holbrook et Hischman (1982), et que
l’expérience de consommation est « un
vécu personnel dont la caractéristique
principale est de faire la part belle aux
émotions et aux sensations au détriment
de la dimension cognitive » (Addis et
Holbrook, 2001). Ceci suggère que
l’expérience de consommation dépend de
la nature et de l’intensité des émotions
vécues ou ressenties. Celles-ci se
substituent pour une bonne part à la
raison, caractérisant ainsi la société post-
moderne dans laquelle nous vivons (Cova,
1996).
Or, dès lors que l’émotion se vit
dans un contexte public (ou collectif), la
question de la diffusion de ces émotions se
pose. La notion de partage des émotions,
étudiée en psychologie sociale (Rimé,
2000, 2005, 2007 ; Luminet, 2008), est
omniprésente dans les comportements
sociaux. Les travaux sur le partage social
des émotions (Decety et Jackson, 2004 ;
Goldman et Sripada, 2005 ; Rimé, 2007 ;
Hess et Blairy, 2001), mettent en avant
que, contrairement aux hypothèses
communément admises, le ressenti de
l’émotion émise n’est pas limité à
l’individu lui même en raison du partage
social de celle-ci. Mais, plus encore, les
émotions peuvent être synchronisées ou
imitées et devenir contagieuses (Hatfield,
Cacioppo et Rapson, 1994 ; Hess, Houde et
Fischer, 2014).
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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Alors que de nombreux travaux
concernant le rôle et l’influence de la
contagion émotionnelle ont été réalisés
dans le champ du management et de
l’organisation du travail (Barsade, 2002 ;
Van Hoorebecke, 2008, 2009), cet aspect
n’a pas été étudié dans le champ du
comportement du consommateur en tant
que tel, même si les recherches sur la
notion de communitas (Arnould et Price,
1993 ; Lugosi, 2008), défini comme un flow
collectif (Turner, 1992) se rapprochent de
la notion d’expérience émotionnelle
collective. En effet, on ne trouve pas de
contexte de consommation directe dans les
études réalisées hors champ du marketing,
les situations étudiées au regard de la
contagion émotionnelle et des émotions
collectives étant uniquement relatives aux
contextes sociaux tels les conflits (Bar-Tal,
2001 ; Bar-Tal, Halperin et De Riviera,
2007 ; Kanyangara et alii, 2007), ou les
catastrophes climatiques. (cf. Rimé (2005)
et Luminet (2008) pour un inventaire
détaillé). Or, sur la base des travaux de
Cheek (1971) qui suggère que l’unité
d’analyse lors de situations de
consommation de loisirs doit être le
groupe, la littérature développe
progressivement cette idée selon laquelle,
l’approche du comportement du
consommateur doit se faire de manière
collective. Holt (1995) précise à ce niveau,
que les interactions interpersonnelles sont
toujours à considérer lors de l’étude des
actes de consommation. Bagozzi,
Gopinath et Nyer (1999) déploraient déjà
que la grande majorité des recherches sur
le comportement émotionnel aient été
abordées avec un point de vue individuel
et non collectif.
Or, les enjeux marketing potentiels
d’une approche collective de l’émotion
semblent importants. Les travaux sur
l’aspect communautaire de la
consommation, portant notamment sur
l’utilisation des réseaux sociaux, prennent
en compte l’avis des consommateurs, mais
se situent principalement en amont de
l’acte de consommation. Or, pendant l’acte
de consommation, les interactions sociales,
et de ce fait le climat émotionnel présent
(De Riviera, 1992), peuvent avoir une
importance considérable notamment dans
la prestation de service d’activités de
loisirs comme les clubs de vacances, les
festivals ou autres événements qu’ils
soient sportifs (Holt, 1995) ou culturels.
L’ambition de notre propos est
donc une analyse du consommateur et de
l’acte de consommation en contexte
collectif. Les festivals de musique offrent
un tel contexte (Goulding, Shankar et
Elliot, 2002 ; Collin-Lachaud, 2010 ; Till,
2011). Une méthodologie fondée sur une
approche ethnomarketing (Badot et alii,
2009) a été choisie et élaborée en ce sens. Il
s’agit donc d’évaluer d’une part le rôle des
émotions collectives dans le vécu de
l’événement, mais aussi et surtout
d’identifier les mécanismes de
construction des émotions collectives,
notamment via le phénomène de
contagion émotionnelle (Hatfield,
Cacioppo et Rapson, 1994). Ce travail,
orienté vers la compréhension des
mécanismes de consommation du
festivalier au travers du rôle des émotions
collectives, s’inscrit dans une perspective
socioculturelle de la consommation
(Arnould et Thompson, 2005 ; Ozcaglar-
Toulouse et Cova, 2010).
CONTEXTE THEORIQUE
Les émotions, un construit culturel
Nous retenons la définition
consensuelle de Tcherkassof (2008, p. 15) :
« « Une émotion est un épisode qui
émerge automatiquement, imposant sa
préséance sur toute autre activité en cours,
épisode constitué d’un ensemble de
réponses inter-reliées et synchronisées, de
type neuro psychologique, comportement
expressif, subjectif-phénoménal, cognitivo-
attentionnel et motivationnel ». Nous
considérons donc ici le terme émotion au
sens strict et non synonyme d’affects
(intégrant aussi les sentiments et les
humeurs) (Derbaix et Filser, 2011) comme
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c’est souvent le cas dans la littérature
scientifique anglo-saxonne. Concernant le
lien entre émotion et contexte culturel,
nous noterons que de nombreux travaux
en sociologie ont montré l’importance des
aspects sociaux et culturels dans la
construction des émotions (Von Scheve et
Ismer, 2013), tels Illouz (2006), avançant
que le capitalisme a contribué à
développer un style émotionnel
spécifique, ou Bar-Tal (2001) développant
le concept d’orientation émotionnelle
collective construit selon les normes et
pratiques culturelles. Pour Channouf
(2009, p. 70), « les émotions sont façonnées
par les pratiques culturelles et les systèmes
symboliques d’une société ou d’une
culture donnée ». Cela renvoie à la notion
d’ethos développée par Aristote. L’ethos
est un système de croyances, de valeurs,
normes et habitudes en rapport avec les
émotions, la croyance émotionnelle en
d’autres termes. (Tcherkassof, 2009).
L’ethos est ainsi le système culturel
organisé des émotions. De Riviera (1992),
développe même la notion de culture
émotionnelle qui se réfère à des pratiques
sociales et culturelles ancrées ainsi qu’à
des normes et idéologies concernant le
vécu et l’expression des émotions, qui sont
bien spécifiques à chaque communauté.
Dans un cadre de consommation
événementielle, à forte tendance
communautaire, la construction socio-
culturelle des émotions est forte et
prégnante (Bromberger, 1995), c’est donc
un mécanisme à étudier et analyser pour
comprendre les mécanismes de partage de
ces émotions.
Les émotions collectives :
clarification terminologique
Le constat de la revue de littérature
à ce propos est l’existence d’une profusion
de concepts et de définitions liés à
l’émotion vécue dans un contexte groupal,
et d’une certaine difficulté de se repérer
tant certains termes sont utilisés dans des
contextes et significations différents,
notamment en ce qui concerne émotion de
groupe et émotion collective, d’ailleurs
souvent employées tels des synonymes. Il
nous semble donc important de bien
définir les notions inhérentes à notre
propos, afin de ne pas apporter de
confusion supplémentaire.
Emotion de groupe.
Nous considérons ici le terme
d’émotion de groupe comme une émotion
individuelle ressentie en tant que membre
du groupe (Barsade et Gibson 2007). Le
concept d’émotion de groupe selon
Parkinson, Fisher et Manstead (2005),
renvoie aux similarités relatives aux
comportements et expériences
émotionnelles des membres du groupe.
C’est ce que Smith, Seger et Mackie (2007)
appellent « group level emotion », soit
émotion au niveau du groupe, en lien
direct avec l’identité sociale de l’individu. .
Les normes construites collectivement,
concernant les émotions appropriées à
exprimer ou à avoir dans un groupe,
forment le type d’émotion qui est autorisé
et exprimé dans le contexte du groupe
(Barsade et Gibson, 1998 ; Kelly et Barsade,
2001).
Emotions collectives.
Nous définirons le concept
d’émotions collectives comme des
émotions partagées par plusieurs
personnes dans un groupe, au travers
d’interactions sociales, dont la contagion
émotionnelle (Huy, 2011 ; Barsade, 2002).
Bar-Tal et ses collègues (2007) distinguent
les émotions collectives des « group based
emotions » dans le sens ou les émotions
collectives sont une réponse simultanée à
un événement, alors que l’émotion de
groupe ne nécessite pas d’expérience
commune. Ce sont, dans ce cas, les mêmes
émotions vécues collectivement suite à un
même stimuli, le plus souvent de manière
quasi simultanée, soit par une contagion
émotionnelle, soit en raison du fait que la
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réaction affective des individus du groupe
est orientée par les normes sociales du
groupe. Les chercheurs parlent aussi
d’expériences émotionnelles collectives
(Rimé 2007, 2009). Même si les émotions
collectives ont été définies de manière
variée lors de la dernière décennie (Bar-Tal
et alii, 2007 ; Emirbayer et Goldberg, 2005 ;
Kanyangara et alii, 2007), un consensus net
existe autour du fait qu’une telle émotion
est partagée et que les membres du groupe
sont conscients de cela. Nous nous
baserons sur les travaux complets de
Lawler et ses collègues dans le champ de
la sociologie, et adopterons la définition
suivante : « les émotions collectives sont
des sentiments communs entre les
membres d’une unité sociale résultants
d’expériences partagées » (Lawler, Thye et
Yoon, 2014, p191). Selon ces derniers, la
base fondamentale des émotions
collectives est une expérience commune.
Pour résumer, les émotions
collectives apparaissent lors des échanges
sociaux lorsque l’expérience commune des
membres d’un groupe ou communauté,
est répétée et que les gens déduisent que
les autres ont des réponses similaires à ces
expériences.
Pour plus de précisions sur ces
notions, se référer aux travaux de Barsade
(2002, 2007) dans le secteur du
management et à l’ouvrage dirigé par Von
Scheve et Salmela (2014) sur les émotions
collectives.
Climat émotionnel.
Enfin, nous entendons par climat
émotionnel, l’état affectif d’un groupe qui
provient d’une combinaison de facteurs
affectifs individuels que possèdent les
membres du groupe et de facteurs
contextuels qui définissent ou forment
l’expérience affective du groupe (Kelly et
Barsade, 2001). Elle est la composition
affective (émotionnelle) des différentes
caractéristiques émotionnelles des
membres du groupe, c’est à dire la
composition d’émotions partagées variées
des membres d’un groupe (Barsade et
Gibson, 1998). Cette notion est proche de
la notion « d’atmosphère émotionnelle »
définie par De Riviera (1992) comme
l’humeur collective à court terme
apparaissant lorsqu’un groupe est
concentré sur un événement commun. Les
travaux initiés par De Riviera (1992) et
approfondis par Rimé (2007) et De Riviera
et Paez (2007) font références pour
approfondir la notion de climat
émotionnel.
La contagion émotionnelle
La contagion émotionnelle
provient d’une transmission d’un individu
(ou d’un groupe) à un autre individu (ou à
un groupe) d’une émotion ressentie et
« d’une tendance automatique non
intentionnelle et généralement non
reconnue, à imiter et synchroniser des
expressions faciales, des mouvements du
corps et des vocalisations pendant les
rencontres avec d’autres individus »
(Hatfield, Cacioppo et Rapson, 1994, p.5).
En d’autres termes, la contagion
émotionnelle est un mécanisme selon
lequel les émotions se diffusent d’un
membre du groupe à un autre membre du
groupe le plus souvent de manière
automatique (sans prise de conscience) et
produisent ainsi des émotions partagées
(Barsade, 2002).
C’est, en quelque sorte un partage
d’émotion sans verbalisation, et sans
action volontaire. En effet, à contrario du
partage d’émotion, considéré comme une
action volontaire de partage d’une
émotion d’une personne vers une autre
(Rimé, 2007), la contagion émotionnelle est
considérée comme un processus lors
duquel l’action serait plutôt du côté de
celui qui reçoit l’émotion (Hatfield,
Carpenter et Rapson, 2014). Rimé (2005)
compare même la contagion émotionnelle
à l’empathie, et de ce fait, se place aussi du
point de vue du récepteur plus que de
celui de l’émetteur. La contagion
émotionnelle primitive est un processus de
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base des interactions humaines, qui
permet de comprendre et de partager les
sentiments des autres en ressentant soi-
même les émotions d’autrui
(Ramachandran, 2011). Le mécanisme de
contagion émotionnelle renvoie à la
propension innée de l’être humain à
adopter les expériences émotionnelles de
son entourage (Hatfield, Cacioppo et
Rapson, 1994 ; Neumann et Stark, 2000 ;
Hess, Houde et Fischer, 2014), et plus
généralement à imiter le comportement
des autres (Davis, 1985; Levenson, 1996 ;
Wild, Erb et Bartels, 2001). A ce propos, il
faut souligner l’importance des signaux
non verbaux (expression faciale,
mouvement du corps, tonalité), dans la
mesure où l’expression des émotions est
d’abord perçue par les autres membres du
groupe par des signaux non verbaux plus
que par les mots (Mehrabian, 1972 ;
Hatfield, Cacioppo et Rapson, 1994).
Les récentes recherches sur les
neurones miroirs amènent des explications
à ce processus complexe (Rizzolati, 2005).
Néanmoins, la contagion émotionnelle
reste un processus délicat et fin à observer,
du fait de la subtilité de l’observation de
l’imitation faciale ((Lundqvist, 1995 ;
Hatfield, Rapson et Le, 2009) et de la
rapidité de la synchronisation posturale
(Condon et Ogston, 1966).
La notion de contagion mise en
avant par Le Bon (1963) lors de situations
de face à face est bien établie dans la
littérature contemporaine sur les
comportements collectifs et les
mouvements sociaux (Goodwin, Jasper et
Poletta, 2000).
Plus encore, la récente étude de
Kramer, Guillory et Hancock (2014)
apporte la preuve expérimentale via une
étude à grande échelle sur Facebook que la
contagion émotionnelle peut se produire
sans interaction directe entre les personnes
et ceci en l’absence totale de signaux non
verbaux. Le face à face n’étant pas
nécessaire à la contagion émotionnelle,
l’observation d’expériences émotionnelles
positives d’autrui, ici via les réseaux
sociaux, constitue une expérience positive
pour l’observateur.
Enfin, la contagion primitive, qui
nous intéresse particulièrement dans cette
recherche est à distinguer de la contagion
consciente, à dominante cognitive (Bartel
et Saavedra, 2000). C’est d’ailleurs entre ce
processus involontaire (et non le processus
conscient) de contagion émotionnelle et le
contexte socioculturel que Durkheim
(1912) avait déjà établi des liens.
Cependant, « bien que les études sur la
contagion émotionnelle donnent un
éclairage sur les processus physiologiques
sous-jacents à la transmission des
émotions, et mettent en avant le rôle des
facteurs issus du contexte social immédiat,
elles restent muettes sur les effets d’un
ancrage social et culturel plus général »
(Von Scheve et Ismer, 2013, p. 407). Ceci
renforce l’intérêt de notre démarche.
Pour conclure, nous considérons ici
la contagion émotionnelle comme un
processus, mécanisme dans lequel les
émotions véhiculées sont les émotions de
groupe. Les émotions collectives et le
climat émotionnel sont alors considérés
comme le résultat de ce processus, étant
entendu que la contagion émotionnelle
n’est pas la seule raison de la construction
de ces émotions collectives, mais qu’elle en
est un ingrédient indispensable (Collins
2004, Von Scheve et Ismer, 2013).
Néanmoins, comme nous l’avons
vu, de nombreuses interrogations
subsistent à la fois concernant les
processus de contagion émotionnelle et ses
résultantes dans le contexte de
consommation collective et expérientielle.
L’ambition de cette recherche est
justement de comprendre les processus de
partage des émotions de manière plus fine
au regard notamment de l’aspect culturel
et social, d’identifier les effets de ce
partage en situation collective de
consommation, mais aussi en amont, de
définir les moyens mis en œuvre par les
festivaliers (consommateurs) pour
développer les interactions sociales. La
méthodologie que nous présentons
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maintenant a été choisie pour nous
permettre de répondre à ce
questionnement.
METHODOLOGIE
Hadra Trance Festival : le
« voyage » de la communauté trance
Le terrain choisi pour cette
recherche est le Hadra Trance Festival,
plus important festival « Psytrance » en
France avec 11 000 festivaliers présents
pendant l’ensemble des 3 jours. Créé en
2004 et organisé par l’association Hadra, le
festival est surnommé « le Woodstock
contemporain » et fait partie des cinq gros
rassemblements de la communauté trance
en Europe. La musique trance, rattachée
au courant de musique électronique, est
issue des musiques traditionnelles
indienne et du rock psychédélique des
années 60 (Hendrix, Pink Floyd) le tout
mélangé avec la techno de Détroit et la
house de Chicago (cf. encadré n°1). Ce
métissage culturel va donner naissance à
un courant bien particulier de la musique
électronique : « la trance psychédélique ».
« La trance devient alors un état d’esprit,
un mode de vie, porteur des valeurs du
partage, du voyage et du respect de
l’autre »
1
. Il faut donc appréhender le
genre « psytrance » au delà d’un simple
courant de musique, mais comme une
sorte de méta-culture (Diotalevi, 2012)
dont les rassemblements sont ces festivals,
qui sont selon St John (2009), les plus
culturellement diversifiés au monde. Le
culture psytrance est le prolongement de
la contre-culture hippy des « sixties »
associée à la spiritualité orientale d’ou elle
est issue (Goa sur les bords de l’océan
indien). Les notions d’échange, de
communion et de rencontres sont des
valeurs centrales de la culture psytrance
dont le slogan est « we are one » et les
valeurs spirituelles : « Peace, Love, Unity
and Respect » (Rill, 2006 ; Till, 2011), en lien
1
Extrait du dossier de presse de l’édition 2013 du
Hadra Trance Festival.
direct avec la pratique éthique qu’est le
psychédélisme (Saldanha, 2007). C’est
pourquoi Bennett (2014) intègre cette
communauté dans ce qu’il appelle
« emotional communities of respect ». La
communauté est en effet liée par ce thème
dominant défini par Rill (2006) comme
« l’unité et l’acceptation de la diversité ».
Cette culture discrète et « underground »
évoque le réenchantement dans le sens
d’un retour au sacré, à la religiosité, au
mysticisme (Diotalevi, 2012), paradigme
caractérisant la postmodernité (Berger,
2001).
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Encadré n°1 : Définition du courant
musical psytrance
La trance psychédélique ou psy-trance est
un courant de musique électronique
regroupant de nombreux styles variés, ce
qui en fait selon Snoman (2008, p 522) un
genre tellement ambigu qu’il est difficile à
définir précisément. L’ensemble des
spécialistes s’accorde donc pour dire que
la trance est le plus ambigu des styles de
musiques électroniques du fait de sa
variété, ce qui a comme conséquence une
faible lisibilité au sein des musiques
électroniques. L’association Hadra,
organisatrice de l’événement éponyme,
décrit la trance comme « un style musical
mélodieux de forme plus ou moins libre
dérivant de la house et de la techno »
2
. Ce
style musical devenu populaire en Europe,
Israël et Japon à partir de 1994 (Childs et
Storry, 1999), reste confidentiel en
Amérique du Nord.
Nous distinguerons la trance de la
psytrance, pour laquelle il y a la
valorisation d’une rythmique synthétique
et répétitive poussée à l’extrême, et non
pas de la mélodie comme c’est le cas pour
la trance. L’objectif de la psy-trance est de
procurer à l’auditeur un état hypnotique et
transcendantal. D’une manière plus
technique, la psytrance peut se caractériser
comme étant le mélange de rythmiques
rapides et de nappes synthétiques plutôt
longues avec des boucles « acides »
générées par synthétiseur, ceci souvent
accompagné par des chants mystiques
hindous. Son tempo se situe en général
entre 125 et 160 BPM
3
(Verderosa 2002).
D’une durée de 3 jours et 3 nuits, la
spécificité de ce festival est de proposer
des concerts non stop 24h/24, mais aussi
des animations (déambulations arts du
cirque, balade guidée à la découverte de la
faune et la flore) et ateliers artistiques et
réflexifs liés au bien-être (Yoga, QI Qong,
2
Site www.hadra.net consulté le 10/07/14.
3
Beat Per Minute (Battements Par Minute)
éveil musical, méditation, massage…). Le
site choisi est significatif des événements
psytrance dont la proximité avec la nature
est une des valeurs phares (Boutouyrie,
2009). C’est pourquoi, le Hadra festival se
déroule depuis les 5 dernières éditions (de
2009 à 2014) dans un cadre de plein air en
moyenne montagne, à savoir la station de
Lans-en-Vercors en Isère. Les festivaliers
viennent sur le festival pendant 2 jours à
minima
4
(ce qui permet une meilleure
immersion dans l’expérience du festival
selon Chaney, 2011). L’une des spécificités
des festivals psytrance est de proposer un
camping au sein du site de concert. Ainsi,
Les festivaliers laissent leur véhicule au
village de Lans en Vercors à 900 mètres
d’altitude, puis montent en navette avec
tente, sac de couchage, à boire
5
et à
manger sur le site de l’événement au décor
psychédélique éphémère situé à 1400
mètres d’altitude au cœur du parc naturel
du Vercors. La descente ne s’effectuera
que quelques jours plus tard. De ce point
de vue, le fonctionnement est proche de
celui du Burning Man décrit par Kozinets
(2002). Toutes les conditions du voyage
initiatique sont réunies, voyage dans un
« refuge utopique » (Kozinets, 2002),
espace-temps permettant aux festivaliers
de s’évader du quotidien (Goulding,
Shankar et Elliot, 2002 ; Boutouyrie, 2009 ;
Diotalevi, 2012). De nombreuses
caractéristiques de Hadra renforcent cette
idée de voyage. Déjà le fait que les sites
des festivals psytrance soient liés aux
représentations touristiques (c’est le cas du
Hadra qui se déroule dans une station de
ski) conditionne le festivalier. La
décoration, présente sur l’ensemble du
site et pas uniquement sur la scène plonge
le festivalier dans un autre univers. Un
gros travail de décoration du site est
réalisé par l’organisateur (ce qui le
4
Les tickets vendus sont des pass 4, 3 ou 2 jours,
donnant accès à l’ensemble du site (camping inclus)
Pour l’édition 2014, 14870 tickets uniques ont été
vendus, pour une fréquentation de 33179 personnes.
5
L’organisateur permet aux festivaliers d’emmener
leurs boissons, alcool ou autres, sur le site. C ‘est
l’un des seuls festival à autoriser cela.
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9
différencie des teknivals) avec
l’installation de toiles, tentures colorées et
autres objets décoratifs au style
psychédélique, réalisant par là une œuvre
d’art aux dimensions spectaculaires (cf.
photo n°2). Le budget dédié à cet aspect
montre l’importance accordée à cette
personnalisation de l’espace. L’objectif au
travers de cette personnalisation,
adaptation du décor est double : d’abord,
créer un univers bien spécifique, à la
tonalité psychédélique, pour permettre
plus facilement au festivalier de s’évader
physiquement et psychiquement, mais
aussi développer les conditions de la
communion et de l’expérience commune.
Car « le lieu fait le lien » (Maffesoli, 2003),
c’est lui qui unit les initiés entre eux et crée
cet « espace de célébration » (Maffesoli,
2007 p. 220) qui permettra de cimenter la
tribu (Ferrand 2009).
Photo n°2 : décor du dancefloor principal du Hadra Trance Festival 2013 (vue depuis la
scène) (source Hadra)
Enfin, d’un point de vue structurel
toujours, la construction du festival
reproduit un Goa mythifié et condensé,
une ville imaginaire avec ses commerces et
services (le Goa village : stands de
nourriture exotique, de vêtements indiens,
…) son espace de sociabilité et de
décompression (le chill-out), et son espace
expérientiel et de communion (le
dancefloor, piste de danse considéré
comme le temple, d’ailleurs nom de la
scène principale du Hadra 2014). Plus
encore, les règles de vie des festivaliers
déterminées par les valeurs de la culture
psytrance et le concept d’unité et
d’acceptation de la diversité (tout le
monde se sourit, échange lors du festival)
font de ce monde éphémère, l’incarnation
de l’idéal (Rill, 2006).
Mais le voyage n’est pas seulement
physique il est aussi spirituel. N’oublions
pas que les « trance parties » sont issues des
« love in », fêtes de hippies nées à San
Francisco et décrites comme « un rituel
unique qui mêle méditation
transcendantale, « voyages » à l’acide ou à
la marijuana, musique pop, danse et jeux
amoureux » (Rosenberg, 1990 p89). La
notion de rite de passage au sens de Van
Gennep (1909) est non seulement présente
lors du passage de l’entrée du festival et
de la montée en navette, séparant les deux
mondes (Goulding, Shankar et Elliot,
2002), mais aussi lorsque sur la piste de
danse, le soi individuel se dissout en un
ensemble collectif (Tramacchi, 2001 ; Rill,
2006).
La notion de sacré est
particulièrement présente dans les
festivals psytrance, comme le Hadra, déjà
au niveau de l’organisation spatiale du
festival (le dancefloor central est le lieu des
cérémonies et rituels) et de la terminologie
utilisée (noms des scènes : temple, lotus,
etc…), mais aussi par la notion de
pèlerinage et de rituel sacré (Till, 2011), à
la fois cultivés par les organisateurs, mais
aussi vécus en tant que tels par les
festivaliers, très clairs à la lecture de leurs
commentaires et messages Facebook en
amont de l’événement. Gautier (2004)
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
10
considère même ces festivals comme des
fêtes religieuses. Selon Till (2011), la
spiritualité de la culture des musiques
électroniques est une spiritualité
démocratisée, post-moderne, et ré-
enchantée, qui est focalisée sur la création
d’une communauté, de communitas et
d’effervescence collective. Le terme Hadra
désigne d’ailleurs, en arabe, la transe
collective telle qu’elle est pratiquée lors
des cérémonies de confréries religieuses
marocaines.
La communauté psytrance, que
Appaduraï (2001) qualifie de communauté
transnationale sur fond de culture
musicale est différente de la communauté
électro de par ses valeurs culturelles et son
approche spirituelle clairement affichée.
De plus, le public est proche d’un festival
de musique « traditionnel » avec plus de
55% des festivaliers ayant entre 21 et 25
ans, et une population étudiante à raison
de 33%. Le festival, même s’il s’en
rapproche par certaines caractéristiques ne
doit pas être assimilé à une rave party telle
qu’on l’entend à l’heure actuelle
6
,
précision importante pour les
organisateurs de l’événement, mais aussi
pour appréhender le festival et la
communauté de manière pertinente au
niveau culturel. En effet, l’amalgame est
souvent fait, la connotation du terme rave
n’étant pas le même en France qu’à
l’étranger. On remarquera que la
communauté observée est en réalité la
communauté du Hadra dans laquelle
figurent nombre de membres de la
communauté psytrance. Dans tous les cas,
l’une et l’autre peuvent être définies
6
La rave party ou rave est une fête électro souvent
illégale (car non déclarée) et revêt à l’heure actuelle
une connotation assez péjorative et des
représentations axées sur les excès de drogue et les
dérives d’une pratique festive (Measham et alii
1998). L’emploi de ce terme actuellement en France
n’englobe pas le côté spirituel de la culture trance et
fait uniquement référence à la structure d’une fête
électro de plein air et illégale. Le terme « rave » en
Angleterre notamment, est associée à la notion de
culture de la fête électro « rave culture », que ce soit
dans des clubs ou en plein air.
comme des « néo-tribus » (Bennett, 1999)
au sens de Maffesoli (1988), dans le sens
ou elles sont effervescentes, ascétiques,
orientées vers le futur, et se caractérisent
par une rupture avec la sagesse, et une
volonté d’amélioration de l’aspect
organique de l’agrégation sociale, selon les
termes de Maffesoli (1988). Ce qu’affirmait
déjà Goulding, Shankar et Elliot (2002)
concernant la communauté de la
« rave culture» des années 1990. Les
festivaliers du Hadra intègrent par leurs
caractéristiques le cadre des nouvelles
tribus de consommation défini par Cova,
Kozinets et Shankar (2007) en ce sens que
ce qui lie la communauté entre elle, est
cette volonté de partager des émotions,
des styles de vie, des convictions morales
et des pratiques de consommation.
Le choix de ce terrain, au départ
exploratoire, a été motivé par le fait que
les caractéristiques de ce type de festival
(Boutouyrie, 2009) et le comportement des
festivaliers favorisent les interactions
sociales (Diotalevi, 2012), ce qui à priori,
était un élément facilitateur pour observer
le transfert et le partage d’émotions (Rimé
2007). De plus, ce qui distingue ces fêtes
électro de la culture dominante est la mise
en avant du lien social, l’expérience de la
danse collective, un état d’euphorie
collective et l’ambiance « joyeuse » (happy
vibes) selon Measham, Parker et Aldridge
(1998). Cette sous culture semble donc
offrir un terrain adapté et fertile à notre
objet de recherche. Enfin, la
consommation de psychotropes
désinhibiteurs par de nombreux
festivaliers, renforce l’hypothèse que
l’expression des émotions et les
interactions sociales sont importantes
(Diotalevi, 2012). Le postulat qui était
d’avoir accès facilement aux émotions des
consommateurs, donc l’observation plus
riche, a été vérifié dès le premier terrain.
Enfin, la dimension postmoderne
(Goulding, Shankar et Elliot, 2002), voire
hypermoderne de cette expérience de
consommation et de cette communauté
nous laisse penser que, même si cette sous-
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
11
communauté peut sembler spécifique au
premier abord, elle est révélatrice des
besoins et caractéristiques d’une part
importante des consommateurs de notre
société occidentale actuelle. Ce qui nous
permet de faire l’hypothèse d’une
transversalité importante des observations
et résultats, thèse soutenue aussi par
Goulding, Shankar et Elliot dès 2002. Le
phénomène « Tomorrowland
7
» qui explose
depuis deux ans, avec l’appropriation
d’ingrédients de la culture trance par la
culture mainstream atteste aussi de l’intérêt
de l’étude de cette sous-culture.
Ethnographie des festivaliers
Nous avons adopté une approche
Ethnomarketing au sens de Desjeux (1990)
et de Badot et alii (2009 ) qui consiste en
une immersion dans le terrain, et adopté
une analyse culturelle des phénomènes
observés. L’approche retenue est
phénoménologique, avec l’objectif de faire
émerger un cadre théorique depuis le
terrain, suivant le cadre de la Grounded
Theory (Glaser et Strauss, 1967).
L’une des caractéristiques de
l’immersion ethnographique est la
pluralité des sources mais aussi des
méthodes de collectes de données
(Kozinets, 2009). C’est le parti-pris pour
lequel nous avons opté, à savoir puiser
dans un large panel de méthodes de
collecte de données, adaptées au contexte
et évolutives tout au long de notre
immersion.
Le recours à des prises de photos,
de vidéos, prises de notes, journal de bord
sera significatif de cette approche
ethnomarketing, que Dion et Sitz (2013)
définissent comme un marketing de
terrain par opposition à un marketing de
laboratoire. L’objectif, par l’utilisation de
7
Festival de musique électronique en Belgique qui
compte en 2014 plus de 1000000 spectateurs, se
développe aux USA (Tomorrowworld) depuis 2013,
et crée une édition au Brésil en 2015. Ce festival
utilise de nombreux ingrédients et caractéristiques
de la culture trance tout en répondant aux codes
classiques et rationnels de la culture mainstream.
cette méthode, est de comprendre de
l’intérieur l’expérience de consommation
(Robert-Demontrond et alii, 2013), ce qui
est particulièrement adapté à notre sujet,
le fait d’être « insider » favorisant la
richesse de la collecte (Hirschman, 1992).
De plus, dans le champ de la musicologie,
Till (2013) recommande l’utilisation de
l’approche ethnologique (ethnomusicology),
pour mieux saisir l’aspect culturel de la
musique, ce que confirme Bates (2013) qui
déplore le manque d’études
ethnographiques concernant l’étude des
musiques populaires. Dans la même
dynamique, mais dans le champ du
marketing, Derbaix et Filser (2011) invitent
à utiliser les méthodes ethnographiques
dans le cadre de l’exploration des
réactions affectives.
L’observation participante,
approche « canonique de collecte de
données en ethnomarketing » (Arnould et
Wallendorf, 1994) implique une
immersion personnelle du chercheur dans
le terrain. Elle consiste, selon Badot et alii.
(2009) « en une recherche caractérisée par
une période d’interactions sociales
intenses entre le chercheur et les sujets,
dans le milieu de ces derniers ».
Néanmoins, nous ne nous limiterons pas à
l’observation participante, comme le
suggère Bonnafous-Boucher (2005) qui
regrette que les chercheurs en marketing
s’engageant dans une démarche
ethnologique, n’utilisent le plus souvent
que l’observation participante, limitant
ainsi le potentiel de la recherche. Aussi,
nous avons élargi au maximum les
moyens et méthodes de recueil de
données, en utilisant des méthodes
d’observations via photos et vidéos prises
in situ et la collecte de matériel
commercial, promotionnel ou informatif
sur le terrain, mais aussi en intégrant la
Netnographie (Kozinet, 2002) en nous
impliquant dans les communautés
virtuelles, et enfin, en collaborant avec les
organisateurs pour orienter les données de
l’enquête de satisfaction réalisée auprès
des festivaliers afin que celles-ci soient
utilisables pour notre recherche.
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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L’immersion s’est aussi voulue
longitudinale, c’est à dire durant plus de
14 mois, avec des temps forts telle
l’observation synchrone, définie par Dion
et Sitz (2013) comme l’observation du
consommateur en situation de
consommation, c’est à dire le vécu du
festival deux années de suite (cf encadré
n°2). L’objectif étant de pouvoir collecter,
puis analyser des données et les faire
valider aux membres reconnus de la
communauté et organisateurs de
l’événement. L’observation asynchrone,
traces physiques ou virtuelles laissées
(volontairement ou involontairement) par
le consommateur au fil de ses pratiques
(Evrard et alii, 2009), étant aussi collectées
et analysées. Cette phase d’observation
étant orientée à la fois vers les festivaliers
via une observation netnographique
(Kozinets 2001) du contenu et des
interactions sur les réseaux sociaux
(groupes et pages Facebook du Hadra
Trance Festival et de la communauté
Trance), et vers les organisateurs via une
observation des photos et clips vidéos sur
le site internet de l’événement et des
entretiens non-directifs et semi-directifs
des membres de l’association Hadra (5) et
d’artistes (3), tous deux experts reconnus
de la communauté. Ces entretiens,
enregistrés, ont été intégralement
retranscrits.
Figure n°1 : planning de la recherche
A cela s’ajoute une observation
flottante (Petonnet, 1982) dont le principe
est une vigilance permanente concernant
l’objet de recherche, c’est à dire être un
état de veille, à l’affût de la moindre
information exploitable pour la recherche,
ceci hors du cadre formel ou prédéterminé
de la recherche.
Pour compléter le dispositif
méthodologique, nous avons mis en place
un processus d’observation d’autres
festivals de musiques actuelles (10 soit 20
soirées), ceci dans l’objectif à la fois de
garder du recul par rapport à l’objet et à la
communauté observée, mais aussi de
saisir les spécificités et à contrario les
transversalités des pratiques relationnelles
des festivaliers.
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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Encadré n°2 : Recueil des données des 2 observations synchrone Hadra 2013 et Hadra 2014
Pour le terrain lors du Hadra Trance Festival 2013, nous avons adopté la méthodologie
suivante, présentée en reprenant le modèle des méthodes d’observation de Dion et Sitz
(2013).
- Observation directe (journée et nuit), avec tenue d’un journal de bord constituant « la
mémoire vive de la recherche » (Badot et alii, 2009), mais aussi par vidéo avec prise de vue
flottante dans la tradition anthropologique, donc la caméra au cœur de l’événement, et enfin
par photos, tenant elles aussi une place prépondérante dans l’anthropologie visuelle (Dion
2007)
-- Entretiens semi directifs (7) pendant une journée (J2), et entretiens informels (7) la nuit et
en journée (J3), ces entretiens se rapprochant de l’introspection du fait du contexte propice à
l’échange « intime » (codes culturels et aussi prise de drogues qui désinhibent), l’aspect
introspectif permettant de connaître les émotions et le ressenti intime des consommateurs
durant l’expérience.
- Recueil de documents in situ (programme, brochures prévention drogues, etc.)
Sur le terrain du Hadra 2014, les méthodes d’observation directe mises en place sur le Hadra
2013 (tenue de journal de bord, prise de vidéos et photos et discussions informelles) ont été
reconduites.
A cela s’ajoute une immersion complète avec observation d’un festivalier néophyte (n’ayant
jamais participé au Hadra Festival, ni à d’autres festivals trance) sur les 4 jours du festival
avec enregistrement audio des données. L’objectif est ici à la fois d’observer l’évolution du
ressenti du festivalier au cours du festival (lors duquel il va découvrir et apprendre la culture
trance) mais aussi d’évaluer la transversalité de l’expérience de consommation. En parallèle
de cette observation, une introspection du chercheur est réalisée, dont les données relatives
au vécu collectif, interactions sociales et partage d’émotions sont retranscrites par écrit en
temps réel. Enfin, l’immersion forte du chercheur et une connaissance approfondie des codes
culturels et du sujet étudié ont permis de saisir « au vol » des verbatim des festivaliers ayant
une signification forte dans le contexte, verbatims retranscrits immédiatement par écrit,
méthode nouvelle et dont la pertinence a été découverte sur le terrain.
L’analyse des données collectées a
été réalisé suite à un processus de « va-et-
vient » classique de l’approche culturelle
(Arnould et Wallendorf, 1994) « entre les
observations, les analyses, la
catégorisation interprétative et les théories
mobilisées » (Badot et alii 2009, p. 101)
Ainsi, le traitement et l’interprétation des
données s’est fait par triangulation des
observations selon les diverses méthodes
et outils, ceci en faisant référence aux
théories et cadres théoriques développés
et issus du courant CCT (Consumer Culture
Theory). Concernant les entretiens semi-
directifs et informels, et les données issues
de l’enquête de satisfaction de
l’événement, un codage sémantique semi-
automatique (Kozinets, 2009) sous Excel et
Word a été effectué, jugé plus pertinent
que l’utilisation de logiciels de traitement
de données (e-g Nvivo), mais aussi que
d’un codage par mot, du fait de la
spécificité de la terminologie et
sémantique employée par les festivaliers et
membres de la communauté Trance et afin
de ne pas réduire les possibilités liées à
l’interprétation (Kozinets, 2009).
Ainsi, la construction de cette
méthodologie ethnographique, s’est
voulue la plus large et globale possible,
tant au niveau des outils de recueil des
données et du type de données collectées
(entretiens formels et informels
individuels et en groupe, enquête, photos,
vidéos, commentaires et messages
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
14
facebook, journal de bord, introspection,
etc…) mais aussi de la typologie des
personnes observées et interrogées
(festivaliers à forte appartenance à la
communauté trance, festivaliers
néophytes, organisateurs, artistes (DJ)).
L’objectif était ici de saisir de la manière la
plus fine et pertinente possible le vécu et le
ressenti de ces derniers de comprendre
leur fonctionnement en terme
d’interactions sociales et de partage des
émotions, et la signification de ceux-ci.
RESULTATS ET DISCUSSIONS
Contagion inter-personnelle et
contagion de masse
L’observation des festivaliers
associée aux données issues des entretiens
fait apparaître que les interactions sociales
ont pour but principal de partager des
émotions que cela soit de manière verbale
ou pas. « L’échange d’émotions, c’est ici
que ça se passe » (Pomme). De même, les
observations et entretiens font apparaître
que la contagion émotionnelle recherchée
par les festivaliers est la contagion
émotionnelle primitive (Hatfield,
Cacioppo et Rapson, 1994) et non la
contagion « consciente », peu présente par
ailleurs. De manière encore plus
approfondie, le vécu en situation
d’immersion participante associé à
l’analyse des vidéos prises in situ sur les
interactions des festivaliers, nous a permis
d’identifier deux types de contagion
émotionnelle primitive. (1) La première,
que nous qualifierons de contagion
interpersonnelle, se diffuse dans un cercle
limité de personnes, souvent en face à face
(Von Scheve et Ismer, 2013), par mimiques
et expressions faciales. Le processus pour
percevoir les émotions de l’autre peut être
illustré par ce que Cosnier (1994, 1997)
appelle l’échoïsation corporelle du corps
de l’autre. Elle est particulièrement
présente en période diurne. (2) La
seconde, que nous appellerons « contagion
de masse », se distingue de la première par
son rayonnement (son champ d’action
n’étant pas limité à un groupe de
personnes) mais aussi par son
déclenchement (le stimuli n’étant pas une
émotion partagée, mais un facteur
externe : son, musique). Néanmoins,
même si ce n’est pas forcément une
émotion émanant d’une ou plusieurs
personnes qui déclenche l’émotion, (ici,
c’est souvent le « beat » à la fin d’une
montée musicale qui est déclencheur), la
contagion émotionnelle joue un rôle
important dans l’intensité vécue de
l’émotion par le festivalier, occasionnant
par réaction en chaine une variation de
l’intensité de l’expression de cette
émotion. Cette contagion émotionnelle
primitive de masse est plus fine à observer
et saisir que la contagion primitive
interpersonnelle. Cependant, le processus
de contagion est le même que l’on soit
dans un contexte de face à face ou dans un
contexte de foule (Hatfield, Carpenter et
Rapson, 2014).
Les stratégies de la contagion
émotionnelle interpersonnelle
La contagion émotionnelle
interpersonnelle est assez réduite en terme
de palette d’émotions partagées et
pourrait être illustrée par « je souris - tu
souris » en référence aux travaux de Hess
et Bourgeois (2010). Les festivaliers
cherchent à communiquer aux autres
festivaliers, qu’ils ne connaissent
généralement pas, leur bien-être, leur joie
d’être présent au festival. En effet,
l’imitation des expressions faciales peut
être considérée comme un moyen d’initier
ou de renforcer les émotions collectives
(Hess, Houde et Fisher, 2014). Une des
caractéristiques importantes de l’imitation
est que celle-ci n’apparaît spontanément
dans les interactions sociales que si il y a
un niveau minimal de ressemblance ou
d’appartenance entre l’observé et la cible.
(Bourgeois et Hess, 2008). Or le fait que
cette pratique soit omniprésente sur le
festival, et qu’elle fonctionne, prouve que
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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les festivaliers se sentent appartenir à une
communauté, et même sans se connaître
ressentent un sentiment de proximité et de
ressemblance. Cela montre l’importance
du lien communautaire et de la culture,
puisque c’est cette dernière qui est le
ciment entre les membres de la
communauté. Cette contagion
émotionnelle en face à face est non
seulement recherchée, mais elle leur paraît
logique et fait partie des normes
culturelles des membres de cette
communauté qui se surnomment les
« happys ». D’un autre coté, l’imitation qui
peut être considérée comme une « colle
sociale » qui lie les personnes entre elles
(l’effet caméléon de Lakin et alii, 2003), est
un moyen utilisé par les festivaliers pour
renforcer la communauté et son sentiment
d’appartenance à la communauté.
Ce bonheur et de cet enthousiasme
se répandent dans les réseaux sociaux
(amis, voisins ou communauté élargie) de
la même manière et avec la même viralité
que les maladies infectieuses (Christakis et
Fowler, 2011 ; Hill et alii, 2010).Cela
implique donc qu’il y ait un
contaminateur et un contaminé. Le
comportement des contaminateurs étant
orienté vers une recherche d’interactions
sociales, les festivaliers ont développé des
stratégies afin de rentrer en contact avec
les autres membres de la communauté.
Cela consiste déjà à « regarder et trouver
le regard de quelqu’un, et c’est la
communion » (Alex). Ces stratégies
passent par l’élaboration de deux types de
médias, des médias interactifs créant un
contact direct, et ceux plus passifs attirant
l’attention des autres. A ce niveau, la
manière de s’habiller, de se chapeauter
attirant l’œil est le moyen utilisé pour
créer l’interaction sociale. « C’est
contagieux, on attire pas mal les gens avec
nos déguisements » (Acajou). Les tenues
vestimentaires colorées, atypiques ou
exubérantes sont légions chez les
festivaliers en plein jour et suscitent les
interactions sociales (cf. photos n°3 et 4).
Elles changent la nuit pour des coloris
fluorescents ou accessoires
phosphorescents permettant de garder
une visibilité. « C’est pour se faire
remarquer et attirer l’attention et
justement discuter avec les gens »
(Nicolas). D’autres stratégies ont aussi
recours aux accessoires, tel ce groupe de
filles dansant avec une bouteille d’eau en
équilibre sur la tête et qui malgré
l’obscurité crée un cercle d’échanges
réguliers et éphémères autour d’elles.
Photos n°3 et 4 : création d’interactions sociales au travers d’accessoires et déguisement :
1 minute entre la photo n°3 (échange de sourires) et la photo n°4 (partage et échanges)
(source N. Didry, lors du Hadra Trance Festival 2014)
Concernant le type de média
permettant de rentrer en contact direct
avec les autres, le brumisateur, (objet
totémique ?) est très présent en plein jour
et quand il fait chaud. Les membres de la
communauté l’utilisent pour créer le
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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premier contact visuel et pouvoir échanger
le sourire. «C’est un moyen de rencontrer
des gens. Sur le festival, tu as toujours des
gens qui sont déguisés, avec de la
peinture, des brumisateurs, ça crée des
échanges le fait d’apporter quelque chose
à l’autre, et d’avoir quelque chose en
échange, un regard, un merci » (Emilie).
Les bulles de savon sont aussi utilisées en
ce sens en grande partie, en plus de leur
dimension esthétique. Et puis, les attitudes
encore plus directes telles le hug, « ça c’est
un truc de la trance, comme il n’y a pas de
barrière, on se fait un câlin, prend soin de
toi, take care » (Emilie). « Ce matin, un gars
était super content et il faisait des bises à
tout le monde » (Alex).
De nuit, c’est le maquillage
fluorescent qui devient le média, les
membres de la communauté passant dans
la foule pour maquiller les uns et les
autres.
Enfin, les psychotropes sont un des
éléments de cette stratégie. En effet, la
prise de drogues et d’alcool ayant des
effets désinhibiteurs facilite ce contact et
l’intimité de la relation : « c’est plus facile
la rencontre, on est sous produit, on le sait
bien, ça facilite » (Rémi, rencontré sur le
dancefloor)
Nous remarquerons que les
stratégies sont différentes de jour et de
nuit. En effet, la nuit, on retrouvera
beaucoup moins le processus d’imitation
émotionnelle, considéré comme un des
processus qui amène à la contagion
émotionnelle (Hess, Houde et Fischer,
2014). Le processus de contagion
émotionnelle sera donc différent entre les
périodes diurnes et nocturnes d’un point
de vue structurel, mais le fait que cette
contagion interpersonnelle soit bien moins
présente la nuit n’est pas uniquement dû
au manque de visibilité. En effet,
l’atmosphère y est différente, mais aussi
les attentes des festivaliers : « La nuit, c’est
pas pareil, moi j’utilise souvent l’image du
grémlins : la journée c’est les mogaïs et,
passé minuit, ils ont mangé des trucs et ils
se transforment en grémlins, on est pas sur
les mêmes rapports » (Julien). « Dans la
communauté, on peut dire qu’il y a des
sous communautés en fonction des styles
de musique, par exemple la prog (ndlr :
progressive) passe surtout en journée, du
coup le public progueux est surtout là en
journée et la nuit, le son se durcit et le
public n’est pas forcement le même car les
progueux n’aiment pas forcement la dark
et inversement, donc certains publics
peuvent se croiser sans forcement être
ensemble sur le dancefloor » (Nicolas).
Deux profils de festivaliers se distinguent
donc clairement, les « darkeux » qui
écoutent de la « dark », musique jouée la
nuit proche de la techno, et les
« progueux » qui écoutent de la
« progressive » musique plus festive et
joyeuse proche de la house jouée plutôt le
jour lors des festivals. « La musique de
jour est très charnelle, c’est une parade
d’amour. » (Antoine).
Ainsi, il ressort que les stratégies
ne sont pas les mêmes en fonction du
public (de la sous communauté) et du
contexte (période de la journée), nous
verrons plus tard que les émotions
collectives varient aussi en fonction de ces
variables, ce qui impacte la nature et
l’intensité de la contagion émotionnelle
interpersonnelle.
Contagion émotionnelle de masse :
une vague furtive
En ce qui concerne la contagion de
masse, nous pourrions l’illustrer par « je
crie-tu cries » ou « je danse fort-tu danses
fort ». « Entre potes on dit, diarrhée
d’énergie, diarrhée verbale » (Alex). Là
aussi, l’émotion partagée est une émotion
de joie. Les signes d’expression de cette
émotion sont gestuels (danser de manière
« impliquante », lever les bras, frapper
dans les mains, se redresser) ou verbaux
(crier, siffler). Cette contagion est plus
difficile à observer de l’extérieur car assez
fine et rapide dans son développement
(Hatfield, Carpenter et Rapson, 2014).
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
17
Nous avons néanmoins observé
trois types de processus concernant la
contagion de masse, selon la situation du
festivalier et le contexte.
Dans le premier cas de figure, le
stimuli de départ est extérieur et est le
même pour tous, (le break
8
à la fin d’une
montée musicale). C’est la situation la plus
fréquente. Ici, on pourrait croire à
première vue qu’il n’y a pas de contagion
puisque c’est le DJ qui déclenche la vague
d’émotion. Il existe néanmoins un fin
décalage entre la mise en œuvre des signes
d’expression des émotions de chacun des
festivaliers, ceux-ci étant à l’écoute des
autres pour agir. Mais c’est surtout
concernant l’intensité de l’expression de
cette émotion et donc de son ressenti que
l’on retrouve l’effet de la contagion
émotionnelle. Le fait de ressentir plus ou
moins fort l’émotion en fonction de
l’expression de l’émotion des autres. « Je
suis le mouvement » (Mélina). « C’est ce
qui t’entoure qui te motive » (Marie). Le
rôle des initiés, membres de la
communauté est important à ce niveau,
car ils permettent aux non initiés de
« lire » la musique et réagir en fonction.
Pour le second cas de figure, la
contagion agit aussi pour les danseurs sur
le dancefloor, mais le stimuli vient soit de la
foule, soit d’un groupe de danseurs, soit
d’une personne seule exprimant son
émotion et contaminant les personnes
autour de lui sans face à face direct,
simplement en exprimant son émotion,
son plaisir d’être là et de vivre ce moment
par une implication dans la danse, les cris,
les sauts. En fonction de l’intensité de
l’émotion partagée, la contagion peut être
assez localisée, ou au contraire s’étendre à
l’ensemble des danseurs, ce qui est plus
rare, du fait de la musique qui va
phagocyter nombre d’autres signaux. De
8
Un break en musique électronique est un coupure
des sections principales du morceau durant lequel
ne subsiste que les percussions, qui généralement
sont renforcées au fur et à mesure du break pour
créer une sensation d’explosion une fois que le
break s’arrête et que la rythmique principale
reprend le dessus.
plus, ce type de contagion lorsqu’elle n’est
pas vocale (« Allééééé ! »), ne peut se faire
qu’en plein jour, la nuit limitant la portée
des signaux posturaux et faciaux.
D’ailleurs, la contagion émotionnelle
s’étend plus facilement lorsque le stimuli
est vocal.
Pour le troisième cas de contagion
de masse, « il suffit de regarder, on n’a pas
besoin d’être dans la foule, on ressent
l’énergie » (Marie). « C’est cette énergie
qui arrive de tout le monde » (Alex). Ce
type de contagion émotionnelle de la foule
vers les individus situés en dehors du
dancefloor est recherchée et appréciée des
festivaliers. Nombreux sont ceux qui sont
assis, tournés vers le dancefloor à profiter
du spectacle de la foule qui danse, bouge
et de cette masse qui envoie des émotions.
(cf. photo n°5) « En faire partie sans en
faire partie » (Nicolas). Ce n’est, dans ce
cas de figure, pas une réaction en chaine
comme on peut l’observer dans les deux
premiers cas de contagion de masse. Cette
contagion correspond à celle mise en avant
par l’étude de Kramer, Guillory et
Hancock (2014) sur Facebook, qui montre
que l’observation des expériences
positives des autres constitue une
expérience positive pour les individus.
« J’aime bien regarder les gens danser, être
à fond, faire des hugs » (Alex) ; « quand ils
sautent tous, ça me fait vraiment quelque
chose » (fille assise regardant le dancefloor)
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
18
Photo n°5 : Cercle d’observation des danseurs sur le dancefloor lors du Hadra Trance
Festival 2014 (source N. Didry)
Ainsi, le phénomène de contagion
émotionnelle est omniprésent quel que
soit le contexte du festival. Comme nous
l’avons vu dans le cadre théorique, c’est
effectivement un moyen de créer des
émotions partagées et le climat émotionnel
propice recherché par les festivaliers. Nos
observations montrent aussi que ce moyen
est efficace et très utilisé par les
festivaliers, qui ont une maitrise et
connaissance certaine de ses mécanismes.
En conséquence, il ressort que la contagion
émotionnelle est véritablement une
composante première de l’expérience de
consommation du festival.
Une émotion de groupe
culturellement marquée
Il s’agit ici de confronter la
classification élaborée dans notre cadre
théorique (émotion de groupe, émotions
collectives et climat émotionnel) au
terrain, en analysant notamment
l’articulation entre ces trois notions lors du
vécu de l’événement.
Concernant la notion d’émotion de
groupe, entendue comme une émotion
individuelle ressentie en tant que membre
du groupe, les observations du terrain
nous montrent l’importance des codes et
règles de la communauté. En effet, dans ce
monde idéal éphémère, le sourire est de
mise, « scotché » aux lèvres des
festivaliers, les « happys ». Les émotions de
groupe sont peu diversifiées dans la
communauté trance. L’observation de
l’expression de ces émotions (Tcherkassof,
2008) nous montre qu’il s’agit des
émotions de joie et de bonheur. Les
normes culturelles issues à la fois de la
culture trance, de ses racines indiennes et
hippies façonnent cette émotion de
groupe. Le fait que le festival psytrance soit
considéré comme un voyage, permettant
de fuir le quotidien vers un monde idéal
aux valeurs de « peace, love, unity and
respect » impacte le fait que dans ce monde
idéal, les émotions vécues ne sont que
positives et agréables. La prise de
psychotropes est révélatrice à ce niveau,
puisque l’effet recherché des drogues
consommées est l’euphorie et le bien-être.
Cette émotion de groupe, dont
l’expression principale est le sourire, est
visible et frappante sur l’ensemble du
festival. Le partage de cette émotion
redéfinit les normes sociales et instaure un
climat émotionnel propice au bien-être.
Plus encore, l’influence de la culture est
telle que le « we are one », et les notions de
fusion, de transe collective, impactent la
lecture des émotions de la part des
festivaliers. En effet, alors que leurs
expressions corporelles, faciales et
verbales montrent clairement le vécu
d’une émotion de joie (Tcherkassof, 2008),
ils ont du mal à identifier quelle est
l’émotion qu’ils ressentent, et parlent
d’« énergie », plutôt que d’une émotion en
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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particulier. « C’est une énergie vraiment
physique, il y a un ressenti » (Annabelle).
Or, ce terme « énergie » est fortement
ancré culturellement dans la communauté
trance comme nous le verrons plus tard.
Nous retrouvons ici le cadre
théorique de départ, qui considère la
contagion émotionnelle comme le
processus, et l’émotion de groupe comme
l’émotion partagée.
Emotions collectives : joie et …
énergie !
Comme pour l’analyse de la
contagion émotionnelle, nous
distinguerons ici deux types de niveau en
ce qui concerne les émotions collectives.
Un premier niveau, interpersonnel,
d’émotions collectives limitées à un cercle
restreint de personnes car issues d’une
contagion émotionnelle interpersonnelle,
mais ayant néanmoins une influence sur le
climat émotionnel (Rimé, 2007) ; et un
niveau plus large dans lequel nous
considérons l’émotion collective comme
ressentie et vécue simultanément par une
grande partie des festivaliers impliqués,
issue d’une contagion émotionnelle que
nous avons qualifiée de masse.
L’observation du comportement
des festivaliers lors du festival, sur le
dancefloor, nous permet d’affirmer que tous
les composants de l’expérience commune,
condition de base des émotions collectives,
(Lawler, Thye et Yoon, 2014) sont présents.
Le partage est bien réel que ce soit au
niveau de l’appartenance à la
communauté, comme nous l’avons vu
avec la prégnance de la culture psytrance
avec ses codes et sa philosophie de vie sur
l’événement, ou que ce soit au niveau du
vécu de l’expérience : l’attention est
commune et focalisée sur la musique et la
scène, « ils s’unissent tous sur le même
beat en fait, ils attendent tous la même
chose » (Nicolas) ; l’action en réponse à la
musique, à la fin de la montée et au
« beat » est claire et simultanée ; les
émotions partagées visibles au travers de
leurs expressions à la fois vocales (cris,
sifflements), faciales (sourires) et
posturales (applaudissements,
sautillements, bras levés) ; le visionnage
de vidéos du festival avec les festivaliers et
organisateurs fait aussi apparaître que
tous ont la même perception de la raison
de l’apparition des émotions vécues sur le
dancefloor ; et enfin le produit collectif au
travers de cette hystérie éphémère, ces
cris, cette exaltation dansée, que l’on
pourrait qualifier globalement comme
Ferrand (2009) d’effervescences musicales.
Les résultats de notre recherche
montrent qu’au sein d’un petit groupe de
festivaliers ou lors d’un face à face,
l’émotion collective est la joie, mais dès
lors que l’on passe à une plus grande
échelle, c’est la notion d’énergie qui prime
et qui fait sens auprès des festivaliers.
Cette notion d’énergie est d’ailleurs
omniprésente dans les verbatim de
l’ensemble des festivaliers interrogés. Elle
remplace souvent pour eux la notion
d’émotion. Ils ont d’ailleurs du mal à
définir quelles émotions ils vivent et
recherchent : « Une putain d’énergie !, si
l’énergie est bonne, le moment est bon »
(Acajou) « je ressens l’énergie des gens »
(Pomme), « c’est souvent bien, grâce à
l’énergie, c’est un langage universel »
(Mélina). Cette notion d’énergie est
toujours associée avec la notion de
partage, ces vibrations (« good vibes ») que
l’on reçoit. Ces vibrations sont
caractérisées par Rill (2006) comme une
irrésistible vague d’énergie positive qui
dissout les participants en une pensée
collective, tous vivant la même sensation
aux moments forts de la nuit. Les danseurs
sont « une mer liquide, tous synchronisés
avec les battements de la musique » (Rill,
2006), et bercés par les vagues d’émotions
pour reprendre la métaphore de la mer et
des vagues initiée par Cannetti (1966)
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
20
Emotions collectives et
communauté
Que ce soit la joie, le bonheur, le
bien-être ou l’énergie, ces émotions (en
tout cas considérées en tant que telles par
les festivaliers) sont des émotions
positives. Or le vécu de celles-ci augmente
la propension des festivaliers à rester dans
le groupe, à agir socialement avec les
autres dans le groupe et à sacrifier ses
propres intérêts pour ceux du groupe.
(Lawler, Thye et Yoon, 2014). Ainsi,
l’impact concernant l’aspect
communautaire est important. Les
émotions collectives permettant de
renforcer les liens relationnels et de facto
le sentiment d’appartenance au groupe
(Rimé, 2007). Mais l’inverse est aussi
valable, en effet, comme nous l’avons vu,
le sentiment d’appartenance au groupe est
un des facteurs générateurs d’émotions
collectives. Ainsi, nous pourrions dire que
les émotions collectives s’alimentent elles-
mêmes et augmentent au cours du festival.
C’est la spirale ascendante de la cohésion
et des sentiments collectifs (théorie de la
cohésion relationnelle de Lawler, Thye et
Yoon, 2014), que l’on observe au court du
festival, où « on se sent bien », « les gens
sont cools » (Acajou), « tout le monde est
bien et le dit » (Fabienne).
Le sentiment d’appartenance à la
communauté est en lien étroit avec le sens
des responsabilités partagées, concept
développé par Lawler, Thye et Joon (2014).
Ces derniers postulent que la répétition
des échanges, les taches communes et la
perception de la cohésion ne pourront
créer des émotions collectives que si un
sens de responsabilité partagée a été
développé. Dans le cas du Hadra Trance
Festival, cela se traduit par une
responsabilité au niveau de l’ambiance, de
la création des émotions, du climat
émotionnel. Les festivaliers sont
considérés comme des acteurs de
l’événement, les messages de la part des
organisateurs vont dans ce sens. « Souvent
simple consommateur passif, le spectateur
du festival devient un acteur
indispensable à la réussite de cette grande
fête grâce aux moments d’échanges et de
convivialité qu’il peut apporter »
9
. Acteurs
de la fête par un comportement festif,
solidaire et respectueux, mais aussi par un
comportement au regard de
l’environnement. Pour preuve, ce message
depuis la page Facebook Hadra demandant
d’être encore plus respectueux du site
cette année. Aussi, le fait que ce post soit
« liké » par plus de 1000 fans en un jour,
partagé 250 fois, et avec plus de 30
commentaires, au lieu de 400 likes et 70
partages en moyenne pour les autres
messages de l’organisation, montre
l’implication de la communauté et sa
réceptivité au niveau du partage des
responsabilités. Ce sens des
responsabilités partagées concernant
l’ambiance visuelle et relationnelle se
retrouve aussi dans les stratégies mises en
place pour la contagion émotionnelle,
dans le sens ou les déguisements, les
démonstrations personnelles d’art du
cirque (jonglerie, feu), les échanges,
participent aussi à la réussite de
l’événement. D’ailleurs, le fait de
s’impliquer dans la réussite du festival est
un moyen pour les festivaliers de montrer
et/ou accroitre son niveau d’appartenance
à la communauté. Les tenues
vestimentaires jouent un rôle non
seulement pour signifier sa ressemblance
et similarité avec la communauté, mais
aussi pour tisser des liens, échanger et
partager les émotions. C’est l’effet
caméléon de « glue » sociale de Lakin et alii
(2013).
9
Extrait de l’édito du dossier de presse de l’édition
2013 du Hadra Trance Festival
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
21
Emotions collectives précurseurs de
… la transe ?
L’expérience de consommation des
festivaliers dépend en priorité de
l’environnement humain, la recherche
d’interactions sociales étant omniprésente,
voire structurante de leur fonctionnement,
ce qui confirme ce que Collin-Lachaud
(2010) avait déjà identifié par une étude
qualitative sur les festivals de musique.
Plus encore, il ressort qu’un état proche ou
similaire à celui de flow (Csikszentmihalyi,
1997) est un état visé par les festivaliers et
recherché lors de l’expérience.
Cette expérience optimale appelée
flow par Csikszentmihalyi (1990) réfère à
l’état subjectif de bien-être
(Csikszentmihalyi et Patton, 1997) et peut
être défini comme un état transcendantal
qui se produit quand une situation
demande une totale implication de la
personne (Csikszentmihalyi, 1974). C’est à
dire « un état dans lequel les individus
sont tellement immergés dans l’activité
que rien d’autre ne semble avoir
d’importance » (Csikszentmihalyi, 1990,
p. 4) ce qui est le cas lors du Hadra
Festival. Belk, Wallendorf et Sherry (1989)
rapprochent la notion de flow de celle de
« peak experience » (Maslow, 1964). Nous
resterons prudents quant à l’utilisation du
concept de flow, dans la mesure où c’est un
concept en pleine évolution, les moyens
d’atteindre et de contrôler l’état de flow
n’étant pas clairement établis
(Demontrond et Gaudreau, 2008). Nous lui
préférerons le très proche concept de
neotrance développé par St John (2009) en
opposition à la transe possessionnelle, ou
transe chamanique à visée curative que
l’on retrouve dans les rites tribaux
ancestraux (Rouget, 1990). L’état de
néotranse, même s’il est à visée
hédonique, garde néanmoins un versant
spirituel bien présent.
Cependant, la dimension sociale
apparaît comme fondamentale dans
l’atteinte de cet état extatique. Ceci montre
pour les festivaliers l’importance des
interactions globales (de masse) et non
celles uniquement liées à un cercle
restreint de proches, généralement
étudiées en marketing avec la notion
d’accompagnement (Collin-Lachaud,
2010 ; Puhl, Bourgeon et Bouchet, 2005 ;
Dedenedetti, 2003).
L’analyse des données des
verbatims nous apprend aussi que cet état
de neotrance dépend très fortement, voire
complètement des autres au travers des
interactions sociales. Elle nous permet
aussi d’avancer que, plus que des
émotions, les festivaliers viennent
chercher cet état de neotrance : « une
envolée à base de musique » (Jérémy),
« l’instant présent » (Marie) « le frisson de
la musique qui plait, la chair de poule »
(Acajou), « ce serait presque la transe ou
l’extase, (...) ils sont là pour ce style de
moments, c’est le genre de moment que tu
veux vivre » (Julien). L’étude des effets des
drogues prises par de nombreux
festivaliers (cf. annexe n°2) confirme cela,
avec notamment, la sensation d’euphorie
étant un effet commun des drogues,
euphorie qui est l’un des construits
régulièrement cités comme relié à l’état de
flow (Ettis, 2005).
Mais ce serait faire fi de la
dimension collective de l’expérience de
raisonner sur un ressenti individuel
uniquement, puisque celui-ci est lié à
l’expérience émotionnelle de la
communauté toute entière. Cet état
transcendantal ou extatique dépend en
effet des autres personnes. Sans eux, sans
les interactions sociales et sans un climat
émotionnel optimal, les festivaliers ont
plus de mal à l’atteindre : « c’est plus une
énergie dégagée par les autres, ce sont eux
qui font l’événement » (Marie). La
dépendance à l’environnement humain est
ici très importante. Cela conforte l’idée
que les festivals trance sont des instances
de communitas, définis par Turner (1969)
comme un flow collectif, mettant l'accent
sur la spontanéité, la liberté d'expression,
l'immédiateté, et l'expérience affective
(Rill, 2006).
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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Ces événements sont l’illustration
de la théorie de Turner des
« communitas », un moment non structuré
« dans et en dehors du temps », ou les
gens se rassemblent pour s’exprimer et se
libérer de la structure sociale. Ehrenreich
(2006, p. 10) traduit la définition de Turner
comme un amour et une solidarité
spontanée qui peut survenir dans une
communauté d’individus égaux. Cela fait
référence à la notion d’effervescence
collective de Durkheim (1912) qui lie les
individus dans leur recherche de fusion
extatique avec le groupe, mais aussi de
Temporary Autonomous Zone (TAZ) définie
par Bey (1997, p. 5) comme « des moments
fugaces lors desquels les fantasmes
deviennent réels, et la liberté d’expression
prime devant la réalité extérieure ».
Néanmoins, quelle que soit la
manière dont on appelle ou définit ces
états émotionnels et expériences vécues
sur lors du festival, les émotions
collectives en sont à la fois le moyen et
l’expression.
CONCLUSION
D’une manière générale, il ressort
que l’expérience de consommation est
directement impactée par la dimension
sociale du vécu, et plus particulièrement
par le partage et le vécu collectif des
émotions. Cet aspect semble même être
primordial pour les consommateurs
festivaliers dans le sens ou l’émotion
partagée est le lien entre les différentes
composantes de l’expérience de
consommation de festival, et où elle est
omniprésente, sous différentes formes,
quel que soit le contexte.
D’un point de vue conceptuel, cette
recherche nous a permis de valider
l’hypothèse émise dans le cadre théorique,
à savoir le fait que la contagion
émotionnelle est un processus central de la
construction des émotions collectives, qui
en est donc la résultante. La contagion
émotionnelle mise en œuvre par les
festivaliers, influe aussi directement sur le
climat émotionnel. Les émotions
véhiculées sont à ce niveau des émotions
de groupe déterminées culturellement.
Nous avons aussi identifié que le partage
d’émotion lors de l’expérience de festival
se fait à différents niveaux, c’est à dire à
un niveau inter-personnel, mais aussi à un
niveau plus global, aspect inexistant dans
la recherche sur le comportement du
consommateur.
Notre étude ethnomarketing met
aussi en avant le fait que non seulement,
les festivaliers co-construisent de manière
« proactive » leur expérience de
consommation du festival, mais que les
stratégies de développement de contagion
émotionnelle qu’ils mettent en place sont
des éléments forts de l’appropriation de
cette expérience.
L’observation ethnographique des
festivaliers nous a montré que le lien entre
communauté et émotion est très fort et
réciproque. En effet, les émotions
collectives permettent de renforcer la
communauté, mais dans l’autre sens, un
sentiment fort d’appartenance à la
communauté favorise le développement et
l’expression des émotions collectives. La
notion de communauté est donc centrale
dans l’étude des émotions, tout comme la
notion de culture. En effet, nous avons pu
observer la prégnance de la culture que ce
soit au niveau de la communauté (ça la
renforce) ou au niveau des émotions (ça
les détermine). Ce qui nous permet de
déduire qu’une fine et approfondie
connaissance de la culture du
consommateur (donc de sa communauté)
est indispensable pour comprendre ses
émotions et saisir les mécanismes de
contagion émotionnelle. Ce qui renforce
notre opinion sur la pertinence d’adopter
une approche ethnomarketing pour
l’étude du ressenti des consommateurs.
D’un point de vue
méthodologique, il ressort que la variété et
diversité des méthodes et outils de recueil
de données, malgré le surcroit d’analyse
nécessaire à leur traitement, est la voie
permettant d’interpréter de manière
pertinente et juste l’ensemble des
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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observations, qui plus est, dans une
immersion impliquant l’affectif.
Enfin, d’un point de vue sociétal,
nous avons pu déterminer que l’objectif
des consommateurs au travers de
l’expérience du festival trance, est de se
créer leur propre système relationnel, un
système idéal dans un monde idéal et
utopique (présence uniquement des
émotions de joie, bonheur et bien-être ;
ouverture aux autres, échanges sans
préjugés ni jugement). Ceci en rupture
complète avec la société. Les codes et
règles de vie du festivalier trance,
culturellement construis, vont tous en ce
sens ; le poids de la culture et des racines
étant particulièrement important pour la
sous-communauté trance. Les émotions et
la manière dont elles sont partagées ont un
rôle premier à ce niveau.
Ainsi, la construction culturelle des
émotions de groupe, les stratégies
permettant le vécu d’émotions collectives
pour arriver à un climat émotionnel idéal,
sont les mécanismes de base de cette
expérience spirituelle en rupture avec les
codes sociaux occidentaux. Et cette
expérience de consommation, dans cette
éphémère et nouvelle réalité, se crée et se
vit collectivement.
Implications managériales
Les résultats de cette étude mettant
en avant l’importance de la dimension
sociale du vécu de l’expérience de festival,
notamment au travers de la contagion des
émotions et des émotions collectives, vont
impliquer une réflexion sur l’organisation
du festival. Les implications managériales
sont donc à imaginer du côté des
organisateurs. L’organisation spatiale est
ici un facteur favorisant (ou non) la
contagion émotionnelle, notamment de
masse. Une attention particulière devra
être portée à la taille du dancefloor adapté
au public, mais aussi son emplacement
permettant d’avoir des zones autour de ce
dancefloor permettant de regarder la foule
et recevoir ses émotions. D’autre part, la
question des horaires impliquant un
déroulement de l’événement de jour ou de
nuit, n’est pas à négliger, en fonction de
l’expérience émotionnelle (et du type de
contagion émotionnelle) que l’on veut
favoriser chez les festivaliers. D’autant
plus que le soleil joue un rôle important
pour les festivaliers au niveau des
émotions : « il y a un changement
d’énergie à ce moment-là » (lever du
soleil) (Annabelle), « le soleil nous donne
de nouvelles énergies, de nouvelles ondes
à partager, c’est différent et important »
(Jérémy)
De plus, l’identification de médias
développés par les festivaliers pour
rentrer en contact avec les autres et
instaurer cette contagion émotionnelle
(vaporisateur, maquillage,…), peut inciter
les organisateurs à développer ces objets
« totémiques » significatifs de cette culture
de festival, soit en les utilisant lors de leur
communication, soit en les intégrant dans
leur offre de merchandising.
Aussi, cette notion de contagion
émotionnelle doit être présente lors de la
conceptualisation de l’événement
notamment au regard du public visé, car
nous avons vu que la présence d’experts
de la communauté, dans le sens de
personnes appartenant au premier cercle
de la communauté selon le modèle
d’appartenance communautaire
concentrique de Fox (1987), est important
pour la diffusion des codes culturels aux
festivaliers plus néophytes. Ce sont eux
qui vont impulser le mouvement, donner
le ton, bref être les premiers
contaminateurs.
Enfin, le fait que les interactions
sociales aient une importance primordiale
dans le vécu de l’expérience du festival,
(dans le cas du Hadra, La motivation
principale ce n’est pas le son, mais
rencontrer des gens, échanger) doit être
plus prise en compte par les organisateurs
qui omettent généralement cette
dimension dans les questionnaires ou
enquêtes de satisfaction. L’intégration des
notions d’ambiance, rencontres, et vécu
émotionnel est indispensable à ce niveau
pour avoir une vision globale et juste de
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
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l’expérience de consommation du
festivalier.
Voies de recherche
Justement, cette étude nous montre
que cette dimension d’échange et
d’interactions sociales va bien au-delà des
accompagnants, or les études concernant
les festivals qu’ils aient une approche
sociologique (Négrier, 2010) ou marketing
(Collin-Lachaud, 2010 ; Puhl, Bourgeon et
Bouchet, 2005) restent limitées à ce cercle
rapproché. Il semble intéressant
d’envisager les interactions sociales de
manière plus globale, en intégrant
l’ensemble des festivaliers dans
l’observation et l’analyse.
Cet aspect relationnel nous amène
aussi à différencier les profils de
festivaliers des profils des spectateurs, et
réfléchir à l’intégration de la dimension
sociale de manière plus structurante dans
les profils de spectateurs proposés par
Puhl, Bourgeon et Bouchet (2005).
De plus, cette étude ouvre la voie à
une réflexion sur la dimension « évasion »,
au sens d’expérience initiatique, de
voyage, liée à l’expérience de
consommation du festival, qui n’apparaît
pas suffisamment à notre sens dans les
modèles de profils proposés. Il en est de
même avec la motivation de la rupture
avec le monde social et ses codes,
thématique abordée par Lahire dès 2004 et
encore trop peu prise en compte dans les
travaux en comportement du
consommateur.
Pour conclure, nous rappellerons
que dans le cas du Hadra Trance Festival,
l’expérience de consommation dépend en
priorité de l’environnement humain au
travers de ces nécessaires interactions
sociales, échanges, permettant à la
contagion émotionnelle de se développer
et de créer des émotions partagées et un
climat émotionnel propice à l’atteinte de
l’état collectif de communitas, phase
ultime de l’expérience recherchée par les
festivaliers. En ce sens, le festivalier est co-
constructeur de son expérience, ce qui
confirme la notion de co-production de
l’expérience de consommation (Consumer
made) (Cova, 2008) dans ce domaine, et
ouvre un champ d’investigation sur la co-
création de la valeur de l’expérience
(Arnould, 2007) au travers des stratégies
sociales mise en place par les festivaliers et
un approfondissement de la notion de
valeur de lien (Cova ,1995) dans ce
contexte.
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
25
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31
ANNEXE 1 : TABLEAU DES « SOURCES » DES VERBATIM : STATUT ET CONDITIONS DE COLLECTE DES VERBATIM
Nom
Âge
Profession
Ville
Statut
connaissance
de la culture
trance
date de
collecte du
verbatim
condition de collecte du verbatim
Acajou
26
éducatrice jeune enfants
Montpellier
festivalier
faible
23/08/2013
entretien semi-directif proche du dancefloor lors du
Hadra 2013
Alex
29
technicien du spectacle
Lyon
festivalier
élevée
23/08/2013
entretien semi-directif proche du dancefloor lors du
Hadra 2013
Antoine
Chargé de l'action sociale
(association Hadra)
Grenoble
organisateur
élevée
17/06/2014
entretien de groupe semi-directif avec visionnage de
vidéos du Hadra 2013
Emilie
26
chargé de production
(association Hadra)
Grenoble
organisatrice
élevée
17/06/2014
entretien de groupe semi-directif avec visionnage de
vidéos du Hadra 2013
Fabienne
37
enseignante
Grenoble
festivalière
faible
21-
24/08/14
discussions informelles tout au long du Hadra 2014
festivalière
A
?
?
?
festivalier
?
24/08/2014
discussion informelle sur la butte surplombant le
dancefloor lors du Hadra 2014
Jeremy
31
agriculteur/ paysagiste
Montpellier
festivalier
élevée
23/08/2013
entretien semi-directif proche du dancefloor lors du
Hadra 2013
Julien
resp administratif
association Hadra
Grenoble
organisateur
élevée
17/06/2014
entretien de groupe semi-directif avec visionnage de
vidéos du Hadra 2013
Marie
20
étudiante
Bourgoin-Jallieu
festivalier
moyen
23/08/2013
entretien semi-directif proche du dancefloor lors du
Hadra 2013
Mélina
32
Chômage
Valence
festivalier
faible
23/08/2013
entretien semi-directif proche du dancefloor lors du
Hadra 2013
Nicolas
chargé de
communication
(association Hadra)
Grenoble
organisateur
élevée
17/06/2014
entretien de groupe semi-directif avec visionnage de
vidéos du Hadra 2013
Noé
17
étudiant
Barcelone
festivalier
moyen
23/08/2013
Pomme
22
horloger
Bourg-en-Bresse
festivalier
moyen
23/08/2013
entretien semi-directif proche du dancefloor lors du
Hadra 2013
Rémi
?
?
?
festivalier
élevée
23/08/2013
discussion informelle en journée sur le dancefloor du
Hadra 2013
13èmes Journées Normandes de Recherches sur la Consommation : Société et Consommation, 27-28 Novembre
2014, Rouen.
32
ANNEXE 2 : TABLEAU RECAPITULATIF DES EFFETS DES PSYCHOTROPES
CONSOMMES SUR LE HADRA TRANCE FESTIVAL.
Alcool
Cannabis
LSD
MDMA
ecsta
Cocaïne
Speed
Meta
CARACTERISTIQUE
PRINCIPALE
Stimulant
X
X
X
X
Hallucinogène
X
X
x
EFFETS RECHERCHES
Sensation d’euphorie /
bien-être
X
X
X
X
X
X
Levée des inhibitions
et/ou envie de
communiquer
X
X
X
Augmentation confiance
en soi
X
X
X
Modification ou
Intensification perceptions
sensorielles
X
X
X
Augmentation activité
physique ou baisse des
sensations de fatigue
X
X
X
Hallucinations
x
X
X
Tableau réalisé par N.Didry, selon les sources www.drogues-infos-service.fr, brochures de
prévention de l’association « Keep Smiling » (association de prévention sur les effets et la
consommation de drogues), ainsi qu’entretiens avec les organisateurs du Hadra Trance
Festival et les membres de l’association « Keep Smiling ».